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Juillet 2011 126
Les acrobates de l’innovation
Jean-Baptiste Soufron*
The transistor was only hardware.
James Gleick, The Information
Give me the liberty to know, to utter, and to argue
freely according to conscience, above all liberties.
John Milton, Aeropagitica
Il est difficile de souligner avec assez d’insistance l’incompréhension
qui caractérise depuis plusieurs années les nouveaux mécanismes de
l’innovation, et ce d’autant plus depuis que leur dynamique s’est
accélérée sous le double impact de la numérisation et du dévelop-
pement des réseaux.
Autour de la révolution numérique, le début des années 1980 a vu
apparaître de nouveaux acteurs de l’innovation. Sûrs de leur supériorité
et de l’efficacité de leur production, ils ont rapidement commencé à
représenter une communauté à part entière – capable de faire contre-
poids à ses prédécesseurs plus traditionnels.
D’un côté, c’est l’american dream – l’idée que n’importe qui peut
réussir à force de courage et de ténacité; de l’autre, c’est l’exemple des
tycoons de la révolution industrielle. Reprenant l’image de l’artiste
solitaire voué à son œuvre dans la solitude de son atelier, ces acrobates
de l’innovation se sont dotés d’une mythologie faisant la part belle au
jeune créateur d’entreprise capable de démarrer dans son garage pour
ensuite conquérir le monde. Une vision quasi nietzschéenne, mélange
à la fois de volonté et de supériorité intellectuelle et éthique.
*Directeur du think tank de Cap Digital, avocat et ancien Chief Legal Officer de la Wikimedia
Foundation. Voir son précédent article : « Standards ouverts, open source, logiciels et contenus
libres: l’émergence du modèle du libre», Esprit, mars-arvil 2009.
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Les acrobates de l’innovation
127
Depuis, la théorie de l’innovation par le garage est devenue l’un des
socles fondamentaux de la politique publique du gouvernement Obama.
Longtemps ignorée, l’économie innovante vient de faire l’objet de plu-
sieurs rapports successifs démontrant son importance croissante dans
l’économie: au cours de la dernière décennie, les effets directs et indi-
rects du seul numérique ont représenté environ la moitié de la crois-
sance constatée aux États-Unis et un peu moins du quart en France.
Qui sont les entrepreneurs du Web? D’où viennent-ils? Quels sont
leurs formations, leurs ambitions, leurs parcours ? Quels sont leurs
convictions politiques, leurs bagages culturels?
L’innovation buissonnière
Et avant toute chose, que racontent-ils ? La nouvelle innovation
s’articule selon un scénario bien ficelé dont les héros et leurs histoires
ont fait rêver et ont servi de modèles à au moins deux générations de
spectateurs-entrepreneurs. Depuis la fin des années 1970, plusieurs
héros ont émergé autour de ce thème – Bill Gates et Steve Jobs il y a
trente ans, Mark Zuckerberg et Sean Parker aujourd’hui. Tous ont
commencé par quitter l’école.
Né à Seattle en 1955, William Henry Gates III était encore au collège
quand il crée Traf-O-Data, sa première entreprise à 17 ans avec Paul
Allen. Admis à Harvard l’année suivante, il quitte l’université au bout
d’un an à peine pour fonder Microsoft avec le même camarade.
Né à San Francisco en 1955 aussi, Steve Jobs travaillait déjà chez
Hewlett Packard dès le collège. Entré à l’université, il ne réussit à
rester qu’un seul semestre mais continue à la fréquenter en auditeur
libre pour suivre des cours de typographie. Après avoir enchaîné une
série de voyages à l’étranger, notamment en Inde, et travaillé pour
différentes entreprises dont Atari, il finit par créer Apple en 1976 avec
Steve Wozniak, un camarade plus âgé qu’on lui avait présenté au lycée.
Né en 1979, trois ans après la création d’Apple, Sean Parker n’a
jamais été à l’université. Après avoir été l’un des premiers employés
de Napster, il a survécu à la chute du réseau créé par Shawn Fanning
en créant Plaxo, puis en devenant Business Angel – et le premier inves-
tisseur de Facebook contre 7% de la société.
Né en 1984, «Zuck» alias Mark Zuckerberg n’a jamais terminé ses
études non plus. Admis à Harvard, il ne s’en est servi que pour obtenir
l’annuaire des étudiants et le transformer en site de rencontres à succès
qu’il a ensuite étendu à l’ensemble des autres universités américaines
– puis au monde entier.
Ces mythes fondateurs n’ont pas seulement vocation à jeter le doute
sur la valeur des institutions d’enseignement pour valoriser ceux qui
ont choisi de s’en écarter. Elles décrivent aussi des jeunes qui ont
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 127
Les acrobates de l’innovation
128
rencontré un immense succès en décidant très tôt d’abandonner le
cursus honorum auquel ils étaient destinés – un choix qui ne relève en
rien du hasard.
À leurs yeux, l’innovation est stratégique au sens fort du terme, c’est-
à-dire qu’elle n’est pas seulement essentielle, mais surtout qu’elle est
le fruit de stratagèmes. L’histoire de l’innovation est pleine d’idées que
des personnes différentes ont eues séparément à des moments différents
– l’ampoule à incandescence avait été inventée vingt-trois fois avant
d’être finalement brevetée avec succès par Edison. Rares sont ceux qui
réussissent à assurer leur victoire sur leurs adversaires déjà en place.
Dans la Bible, David est équipé pour partir au combat contre Goliath
avec une cuirasse, un casque et une épée – des armes conventionnelles
pour une bataille conventionnelle (1 Samuel, 17). Mais une fois équipé,
il se rend compte qu’il ne pourra pas utiliser ces armes parce qu’il ne
les connaît pas. C’est alors qu’il choisit d’utiliser cinq pierres ramassées
sur le chemin – des armes plus frustes mais dont il sait se servir et qui
lui permettent d’élaborer une stratégie.
Le fait d’abandonner le système éducatif très jeune ne correspond ni
à l’expression d’une précocité particulière, ni à une nouvelle règle
d’airain qui devrait pousser chaque jeune à devenir entrepreneur dès
le lycée. Il s’agit plutôt d’une stratégie intelligente choisie à un moment
où elle leur permettait de gagner un avantage compétitif décisif sur
leurs concurrents. La contrepartie étant de réussir à compenser le
manque de matériel éducatif par une énergie et une discipline supplé-
mentaires. Inféodés par leurs prédécesseurs, les innovateurs sont
contraints d’essayer de changer les règles du jeu – au prix de beaucoup
d’efforts.
L’«individustrie» numérique
À 29 ans, en 1984 sur France 3, après avoir rencontré François
Mitterrand, Steve Jobs estimait déjà que le problème de la France
n’était ni ses chercheurs, ni son enseignement, mais qu’elle devait créer
des centaines d’entreprises individuelles dans le secteur du logiciel
afin d’innover par le développement d’applications concrètes.
À l’entendre, on peut chercher longtemps le lien entre l’innovation
et le pourcentage de PIB consacré à la R&D, le nombre de brevets ou
le rôle des doctorants. Ce qu’il décrit, ce sont des aventures indivi-
duelles qui s’inscrivent au sein de la construction d’une nouvelle et
importante tradition culturelle et politique à laquelle nous sommes de
plus en plus hermétiques.
Le numérique est souvent décrit comme une nouvelle révolution
industrielle – au grand dam des victimes de la désindustrialisation qui
voient leurs emplois menacés dans tous les secteurs d’activité. Mais si
révolution il y a, c’est celle de la création d’une nouvelle «individus-
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 128
trie». Les très grands groupes y sont rares – Microsoft ne représente
que 89 000 salariés. Les exploits individuels y sont légion : Linus
Torvalds1, Shawn Fanning2, Bram Cohen3.
À l’instar de la pensée néoconservatrice, la révolution «individus-
trielle» est elle aussi le fruit des grands think tanks de l’Amérique de
la guerre froide, au premier rang desquels la Rand Corporation4 et le
Xerox Parc5. C’est une révolution culturelle qui s’épanouit peu à peu
dans toutes les sphères de la société – sexe, argent, éducation, politi-
que, commerce, médias. Ses paradigmes investissent notre discours et
nos actions: les universités sont des réseaux sociaux, le dégroupage de
la boucle ADSL est une question de neutralité du net, etc.
Et c’est tout naturellement que l’innovation se retrouve aujourd’hui
au cœur du récit américain. Buzz l’Éclair, La famille Indestructible,
Ratatouille ou WALL-E, chaque film de Pixar répète à l’infini le thème
du hacker – l’innovateur capable de remettre en question les règles de
la société par le fruit de son intervention individuelle disruptive et
originale – pour le plus grand bien commun.
Même la presse se transforme en outil de propagande culturelle
organisé autour de quelques navires amiraux tels le magazine Wired qui
n’a pas son pareil pour transformer un jeune développeur un peu créatif
en un entrepreneur révolutionnaire capable de renverser l’ordre établi.
Quant à la politique, il suffit de reprendre les mots du président
Obama lui-même à l’occasion de son discours de l’état de l’Union de
2011 : « Personne ne peut prédire avec certitude quelle sera la pro-
chaine grande industrie, ni d’où viendront les emplois du futur.» Il y
a trente ans, il était impossible de savoir que l’internet serait un tel
moteur de notre société. Dont acte, la doctrine américaine consiste
désormais à faire confiance aux individus, à leur créativité et à leur
imagination –d’où qu’ils viennent.
Politique de R&D ou souci de self-innovation?
À entendre Obama, il ne faudrait même plus parler de politique de
R&D. En échange, c’est presque une politique du souci de soi que
l’administration américaine essaie de mettre en œuvre – on retrouve le
care de Joan Tronto. Pour ses thuriféraires les plus ardents, l’innovation
ne se contente pas de changer la vie, elle en est la définition même. Elle
Les acrobates de l’innovation
1.Le créateur de Linux.
2.Le créateur de Napster.
3.Le créateur de BitTorrent.
4.Un think tank créé en 1948 dont le rôle a été crucial dans le développement du concept de
dissuasion nucléaire dont le projet Arpanet – l’ancêtre de l’internet – était un élément important
garantissant la continuité des communications militaires sur le territoire américain.
5. Autre think tank créé en 1970 qui est à l’origine de nombreuses avancées informatiques
telles que l’imprimante laser, le réseau Ethernet, les interfaces graphiques manipulées à la souris.
129
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 129
Les acrobates de l’innovation
130
devient alors le résultat d’exercices personnels de transformation de son
mode de vie. Steve Jobs se présente lui-même comme un designer ascète
tendance gourou ayant expérimenté de nombreuses drogues hallucino-
gènes. Son élève le plus doué, Mark Zuckerberg, affirme déjà refuser de
manger de la viande s’il n’a pas été capable de tuer lui-même l’animal.
Dans cette optique, l’innovation se présente comme le fruit de l’inter-
action du marché, des individus et du principe de la libre entreprise.
Même si sa place est importante, l’État n’intervient que comme un
organe de support destiné à semer les graines du succès.
L’importance théorique des problèmes soulevés par le développement
de l’innovation n’est pas forcément en proportion directe de son degré
de formalisation. On devrait aujourd’hui tenir pour acquis qu’à l’excep-
tion des sciences dites fondamentales, l’innovation n’est ni très
déductive, ni très technologique. Elle reste liée à l’imagination, elle est
source d’incertitude et elle crée ainsi des paradoxes pour tous ceux qui
essaient de l’appréhender.
Le problème politique décisif n’est donc plus la souveraineté, mais
la gestion de cet ensemble de micropouvoirs qui risquent d’inventer
silencieusement de nouvelles formes de domination, mais peuvent tout
aussi bien ouvrir le champ de nouveaux possibles.
Quant aux grands groupes, leur sort n’est pas plus enviable que celui
de l’État. Le dilemme de l’innovateur les amène à protéger leurs techno-
logies existantes en interne comme en externe – et ce d’autant plus
facilement que les innovations ne permettent souvent qu’un service de
moins bonne qualité dans les premiers moments de leur développement.
Il est vrai que c’est eux et leurs puissants laboratoires de recherche
qui ont dominé l’innovation pendant la plus grande partie du XXe siècle
– Dupont, IBM, ATT. Mais cette époque est révolue. Même si leur
investissement reste important, ils collaborent désormais de plus en
plus avec de plus petites structures. Procter & Gamble sous-traite déjà
plus de 30% de ses innovations. Intel investit plusieurs centaines de
millions de dollars chaque année dans des opérations de venture capital.
Même Apple est fortement dépendante de ses partenariats de recherche
– et parfois des innovations de ses concurrents.
En d’autres termes, la tendance est désormais au développement de
l’Open Innovation. Il s’agit de chasser en meute plutôt que de faire
cavalier seul. Étant donné la quantité phénoménale d’entreprises qui
investissent aujourd’hui dans cet effort, il est difficile pour une seule
d’entre elles de réussir à battre toutes les autres. Et les technologies
sont devenues trop complexes pour être capable de les rassembler
toutes sous un même toit. In fine, des Mindstorms Lego6 au Kite
6. Après la création des Mindstorms Lego, un jeu très ouvert aux bricolages électroniques,
plus de 900 adultes utilisateurs se sont pris de passion et ont rapidement débordé l’équipe de
quelques ingénieurs employés par le fabricant.
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 130
Les acrobates de l’innovation
131
Surfing7, ce sont même parfois les consommateurs ou les usagers qui
sont eux-mêmes les plus innovants.
Le mythe des talents
Pourtant, l’orthodoxie du système éducatif européen et des grandes
formations américaines de management reste dédiée à la recherche et
à la production des meilleurs talents. Le besoin absolu d’objectiver
l’apport complexe des individus dans l’innovation conduit les
entreprises à privilégier ceux qui sont issus de grandes écoles ou ayant
fait un MBA – alors même qu’il n’existe pas de MBA de design et que
peu d’étudiants décrocheurs reprennent un jour leurs études après avoir
créé une entreprise.
Cette logique consistant à ramener l’innovation au niveau de diplôme
atteint par des individus dans le système éducatif ne concorde pas avec
les faits. Elle produit de nombreux dommages collatéraux. À la fin des
années 1990 par exemple, les meilleurs élèves du système éducatif se
retrouvaient généralement embauchés dans de grands cabinets de
consultant. Ces cabinets étaient ensuite choisis par les entreprises pour
les aider à diriger leurs activités. Dans l’un des cas les plus célèbres,
une grande entreprise d’énergie s’est ainsi vanté de sa capacité à
innover grâce aux curriculum vitae de ces «talents» de cabinets qu’elle
avait réussi à attirer en échange de gros revenus et de places au sein
de son conseil d’administration. L’un de ses fondateurs résumait même
ce fantasme de l’individu innovant en déclarant: «Nous embauchons
les gens les plus intelligents et nous les payons plus que ce qu’ils
pensent valoir.» Cette entreprise c’était Enron.
À l’américaine ou non, l’innovation n’est pas le résultat d’exploits
individuels. Elle dépend d’un processus complexe au cours duquel les
idées de nombreux individus se nourrissent les unes des autres.
Du kaizen à la beer-innovation
Le système Toyota est célèbre pour avoir renversé l’approche schum-
peterienne en promettant de réussir à mettre en place un processus plus
graduel de qualité continue. L’objectif n’est pas de faire un bond en
avant soudain et inattendu. Il s’agit plutôt de réussir à améliorer les
choses petit à petit sur la base d’un exercice quotidien – le kaizen.
Cette notion de redondance est extrêmement importante. Tout est
affaire de statistiques. Les partisans du logiciel libre nomment 1,000
eyeballs la méthode qui permet à leur code source d’être souvent
meilleur que celui d’entreprises traditionnelles. Leurs programmeurs
ne sont peut-être pas salariés et sont parfois des amateurs, mais la
7. Dans l’industrie des sports extrêmes, 37% des innovations viennent des usagers eux-mêmes.
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Les acrobates de l’innovation
132
disponibilité du code source permet aux projets libres de disposer de
tellement de contributeurs qu’ils bénéficient statistiquement de
beaucoup plus d’énergie que leurs équivalents propriétaires. Même
avec un taux élevé de déchets, un système peut être extrêmement inno-
vant à condition de susciter suffisamment de tentatives et de correcte-
ment récompenser le succès.
Cette stratégie est d’autant plus efficace qu’elle concerne des innova-
tions dites de rupture, c’est-à-dire celles qu’il est impossible de prévoir.
Si l’industrie de la télévision avait prévu le succès de Youtube, il ne
fait aucun doute qu’elle l’aurait développé elle-même. Venture capita-
lists, chercheurs, entrepreneurs ou décideurs publics, tous sont par
définition aveugles à l’innovation.
De ce point de vue, la qualité est une simple fonction statistique de
la quantité. Plus il y a de tentatives, plus il y a de succès – et plus il
y a d’échecs. L’objectif n’est donc pas d’essayer d’améliorer la qualité
des innovations et de la recherche, mais d’en augmenter le nombre.
Le secret du succès des start-ups de la Silicon Valley ne tient pas
aux qualités intrinsèques et exceptionnelles de ses dirigeants, mais à
la culture locale et à ses traductions politique, économique et sociale
qui valorisent énormément les stratégies originales, individuelles,
ambitieuses – et qui leur donne les moyens de se développer malgré
l’existence d’une compétition déjà en place. Au lieu de se concentrer
sur un planning top-down préparant les programmes triannuels de
recherche et d’investissement, les start-ups et leurs partenaires essaient
de réussir le maximum de petites améliorations, tout en adoptant une
attitude opportuniste pour sauter sur l’occasion que personne n’avait
prévue. Dans cette perspective, le marché de l’innovation fonctionne
parce qu’il permet aux gens d’être chanceux – en les poussant à faire
le plus d’essais et d’erreurs possibles, sans chercher à récompenser le
talent ou la bonne stratégie. In fine, même si les réussites sont
individuelles, elles ne doivent pas masquer le poids de l’écosystème et
de la stratégie collective basés sur la plus grande participation du plus
grand nombre.
Cette volonté de faire masse n’est nulle part aussi impressionnante
qu’à South By South West, la plus importante convention de start-uppers
américains qui se déroule chaque année à Austin au Texas. Débarquant
par charters de Boston, de New York et de San Francisco, plusieurs
dizaines de milliers de geeks s’y rendent chaque année pour lancer leurs
nouveaux produits, assister à des conférences d’intérêt très variable,
comparer leurs innovations, discuter… et boire de la bière au soleil ou
jusque tard dans la nuit.
La connaissance de cette pratique communautaire est essentielle à
la bonne compréhension de l’écosystème d’innovation américain. Si les
Français sont critiqués pour leur productivité parce qu’ils aiment
travailler autour d’un bon déjeuner, les Américains sont tout autant
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 132
critiquables pour leur propension à travailler en troupeau, entre deux
rendez-vous, une bière à la main.
On passe de la peer-innovation à la beer-innovation mais c’est aussi
une façon de dépasser les catégories. Cette attitude évite aux innova-
teurs de penser en secteurs trop verticaux. Et elle conserve la conscien-
ce du caractère vague des frontières de leurs activités. À l’origine, les
fondateurs de Flickr8 travaillaient sur un jeu vidéo en ligne avant de
se rendre compte que les joueurs préféraient s’échanger des photos de
leurs parties. Les créateurs de AirBNB9 étaient arrivés dans la Silicon
Valley pour chercher un travail et n’ont commencé à créer leur site que
pour sous-louer leur propre appartement.
C’est à SXSW que se sont lancés, par exemple, Foursquare10, Twitter11
et nombre d’autres innovations similaires. L’existence de ces grands
rassemblements et de cette culture communautaire est bien sûr l’une
des raisons essentielles du succès des réseaux sociaux aux États-Unis.
Avant d’être un site internet s’adressant au public du monde entier,
Facebook est d’abord le réseau social de ses fondateurs, de leurs amis
et des amis de leurs amis. Il ne correspond pas à une innovation tech-
nologique, mais à une innovation culturelle initiée par une communauté
particulière. Les mathématiques des grands réseaux d’interaction sont
parfaitement maîtrisées en France comme ailleurs. Les technologies du
Web sont connues partout dans le monde. Mais il fallait une culture et
une pratique de l’innovation communautaire pour imaginer créer des
sites internet organisant des communautés.
50 millions de lignes de code
Ces caractéristiques très spécifiques ne se sont pas développées par
hasard. Elles sont le fruit d’une adaptation à la complexité de plus en
plus grande de la technologie. Et, contrairement à ce qu’on pourrait
croire, elles ne rendent pas l’innovation plus simple, elles lui
permettent simplement de suivre.
Depuis l’arrivée de l’informatique, une longue chaîne d’innovations
de faible amplitude complexifie sans cesse l’environnement technolo-
gique. Elles sont d’autant plus difficiles à détecter et à se représenter
que leur intensité est faible et que plus une technologie est complexe,
plus elle a tendance à devenir invisible, légère, transversale et
omniprésente.
Les acrobates de l’innovation
8. Un site de partage de photos très populaire hébergeant plus de 5 milliards d’images et
vendu à Yahoo en 2005.
9. Un site de petites annonces d’appartements à louer lancé en 2008 et valorisé à plus d’un
milliard de dollars.
10. Un site permettant différentes interactions géolocalisées avec un téléphone mobile.
11. Un site très populaire de discussion en ligne.
133
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Les acrobates de l’innovation
134
Si l’on s’en tient au seul exemple du logiciel – un secteur immatériel
dans son essence même, le nombre de lignes de code d’un programme
tel que Windows a été multiplié par dix sur les trente dernières années.
Il représentait quatre à cinq millions de lignes en 1993, cinquante en
2003 et probablement bien plus aujourd’hui.
Cette montée dans la complexité s’accélère et contamine les services
qui dépendent des technologies d’infrastructure. Le site de chaussures
online Zappos recense plus de 90000 modèles différents. Ne serait-ce
qu’en comptant le rayon des téléphones portables, Amazon propose plus
de 85000 produits. Dans le registre de l’immatériel, on compte plus de
500 000 films produits depuis l’invention du cinéma, et plus de
1 000 000 d’épisodes de séries télévisées. Par comparaison, Apple a
mis en ligne la 500000e application pour l’iPhone moins de trois ans
après le lancement de son appareil.
On croit généralement que c’est la compétence qui est une ressource
rare, alors que c’est plutôt l’effort et la capacité à s’astreindre à être
innovant qui est difficile à trouver. Et la difficulté à appréhender la
complexité rend l’innovation très dépendante de la diversité.
Hormis sa localisation géographique, la Silicon Valley est loin d’être
aussi américaine qu’on le pense. De eBay à Yahoo, plus de la moitié
de ces entreprises ont été fondées par des étrangers. Mais ce n’est même
pas encore assez et les entrepreneurs américains ne cessent de réclamer
la mise en place d’une politique de start-up visa pour accueillir encore
plus de monde.
De façon générale, le rapport à l’international est fortement encoura-
gé. Cette tendance s’accélère encore à mesure de la mise en réseau de
l’ensemble de l’industrie puisque toute innovation est immédiatement
confrontée à une compétition internationale – même simple start-up,
n’importe quel développeur d’application iPhone doit se confronter à
des concurrents situés partout dans le monde sitôt qu’il publie son
programme sur l’appstore d’Apple.
Google lex
Comme le disait Lawrence Lessig, Code is Law. Au-delà d’un outil
de développement économique, l’innovation est devenue un enjeu
stratégique.
Entre lex mercatoria et Google Plex12, il faut désormais compter avec
la Google lex. Face à l’attitude offensive de Google, les États ont du
mal à faire respecter leur droit national et leur souveraineté par le site
le plus visité du monde: conflit sur le droit d’auteur avec les éditeurs
de livres et de journaux, conflit sur le droit d’auteur avec les
12. Le nom donné au quartier général de Google à Mountain View en Californie.
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 134
producteurs de films et les chaînes de télévision, conflit avec les CNIL
du monde entier sur un nombre incalculable de sujets, conflit avec les
autorités de la concurrence sur les conséquences de leur position
dominante sur tout un ensemble de marchés en aval – depuis les cartes
routières jusqu’au téléphone portable, etc.
Les autres entrepreneurs du Web emboîtent le pas et n’hésitent pas
à prendre des positions politico-juridiques dictées par leurs visions ou
leurs intérêts technologiques. En ce qui concerne la vie privée par
exemple, Michael Arrington, le fondateur de Techcrunch, explique que
«nous allons devoir devenir beaucoup plus ouverts à la multiplication
des indiscrétions online. Nous ne nous intéressons plus vraiment à la
vie privée. Et Facebook correspond exactement à ce que nous voulons».
Autant pour la CNIL et le Groupe de l’article 29 qui travaillent à
réglementer la protection des données personnelles en France et en
Europe.
Pour nombre de ces innovateurs, leur activité est une forme de rébel-
lion. Einstein lui-même était réputé avoir quitté l’école à l’âge de 15ans
à la suite d’une dispute avec un professeur.
Mélangeant droits de l’homme, politique étrangère et lobbyisme
industriel, on représente souvent les start-ups américaines comme
d’importants instruments de propagation de la démocratie dans le
monde. C’est Hillary Clinton, ministre des Affaires étrangères, qui a
prononcé le principal discours américain sur les libertés en ligne.
L’internet serait naturellement plus favorable aux opprimés qu’aux
oppresseurs.
Dans un autre registre, Peter Thiel13 a créé la Thiel Fellowship: un
prix de 100000dollars versé à des jeunes prêts à abandonner l’école
ou l’université pour créer leur entreprise. D’influence libertarienne
assumée – peut-être même pourrait-on le qualifier d’extrême droite,
proche du Cato Institute14 –, il estime que la liberté n’est plus
compatible avec la démocratie, ni avec le processus électoral.
Naturellement, cette vision cyber-naïve et prophétique se fonde sur
l’espoir que les possibilités du réseau permettraient d’accomplir en
2000 ce que les utopies libérales des années 1960 n’ont pas réussi à
concrétiser.
Mais cette façade ne résiste pas longtemps à l’analyse des faits. Le
cyber-espace est un espace cyber-hobbesien. Les défenseurs de l’innova-
tion ont beau croire au contrat social autopoïétique et à la self regula-
tion, aucune auto-interaction positive ne semble émerger naturellement
sans une intervention forte de l’État en arrière-plan – dégroupement,
droit de la concurrence, liberté de la presse, etc.
Les acrobates de l’innovation
13. Le fondateur de Paypal et l’un des premiers investisseurs dans Facebook.
14. Un think tank libertarien créé en 1977.
135
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 135
Les aspirations libertariennes qui fleurissent au croisement de la
liberté d’informer et d’entreprendre risquent surtout d’aboutir à la mise
en place de nouveaux monopoles industriels, ainsi que d’un régime
saturé de contraintes sociotechniques n’offrant pas nécessairement plus
de libertés que son prédécesseur. Transfigurée par les réseaux, la
lecture mal digérée d’un Hayek mâtiné de Ayn Rand pourrait finir par
mettre à mal un certain nombre d’autres libertés fondamentales désor-
mais jugées comme secondaires.
Or dans le même temps, la Chine et la Russie ont réussi à développer
des services qui sont au moins aussi efficaces que leurs équivalents
californiens – voire plus dans la mesure où leurs fondateurs se sont
adaptés à leur public local. Pétri de l’internet americano-centré, nous
avons souvent tendance à penser que seuls comptent Facebook, Twitter
ou Youtube, alors que pour les Chinois, ce sont plutôt Baidu15, Weibo16
ou Tencent17.
http://www.startup.gouv.fr
Il est donc important de ne pas s’engager trop avant sur la pente
glissante de l’innovation en roue libre. L’État doit évoluer, mais il doit
continuer à jouer pleinement son rôle pour aider au développement et
à l’adoption de standards sur l’ensemble des secteurs émergents – aussi
bien de standards technologiques que de standards d’usage. Autant au
niveau européen que français, son action est importante pour protéger
les entreprises et les aider à travailler ensemble – développant ainsi
l’emploi et la consommation. La création d’un marché européen du
numérique doit être une priorité afin d’éviter la situation actuelle dans
laquelle des marchés de petites tailles aboutissent à une concurrence
inutile et à une balkanisation du secteur.
Le diagnostic de la pathologie française est régulièrement décrit
comme une incapacité à transformer les avancées technologiques en
usages. Il est aussi relié à la monodisciplinarité de nos formations,
supposée expliquer le manque de créativité de nos entreprises dans
l’usage des technologies: d’un côté, la recherche française ne serait pas
assez orientée business; de l’autre, l’enseignement ne serait pas assez
varié.
Mais c’est faire peu de cas de la réalité de l’innovation: un processus
individuel et souvent non technologique, vécu comme un exercice de
Les acrobates de l’innovation
15. Le «Google chinois». Son fondateur, Robin Li, est l’homme le plus riche de Chine.
16. Un réseau social chinois, sorte de mélange entre Facebook et Twitter représentant plus de
140 millions d’utilisateurs.
17. Le créateur de QQ, le plus important système de messagerie instantanée en Chine avec
près de 650 millions d’utilisateurs. Avec une capitalisation de 38 milliards de dollars, Tencent
est la 3e plus grosse compagnie de l’internet après Google et Amazon.
136
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 136
développement personnel, un stratagème, réalisé hors de l’académie,
hors de l’entreprise, par des inventeurs d’usages nouveaux – designers,
créateurs industriels, voire utilisateurs éclairés.
Pour autant, l’idée de l’auto-entrepreneur à succès relève largement
du mythe. L’innovation est un processus d’exploration collective. Malgré
son apport personnel, chaque innovateur se repose systématiquement
sur ses associés, ses financeurs, les pouvoirs publics et les incitations
qu’ils mettent en place, les chercheurs qui l’entourent, ses premiers
clients ou utilisateurs, et plus généralement l’écosystème d’innovation
dont il dépend.
Ces acrobates de l’innovation ont fait leur réforme de la pensée.
Tirant le meilleur parti de la théorie de l’information, de la cybernétique
et de la théorie des systèmes, ils font l’aller-retour entre le macro et le
micro, pensant pour eux-mêmes des principes qu’ils appliquent ensuite
à l’ensemble des internautes. À leurs yeux, l’individu se transforme en
transformant la société. Il est l’acteur de sa métamorphose.
Il est encore temps de se mettre au diapason. Malgré leur puissance,
les acteurs en place sont encore dans une situation précaire, à peine
une étape. Ils ont refait leur renaissance, mais l’origine est devant nous.
Jean-Baptiste Soufron
Les acrobates de l’innovation
137
14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 137

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Les acrobates de l'innovation, Esprit, juillet 2011

  • 1. Juillet 2011 126 Les acrobates de l’innovation Jean-Baptiste Soufron* The transistor was only hardware. James Gleick, The Information Give me the liberty to know, to utter, and to argue freely according to conscience, above all liberties. John Milton, Aeropagitica Il est difficile de souligner avec assez d’insistance l’incompréhension qui caractérise depuis plusieurs années les nouveaux mécanismes de l’innovation, et ce d’autant plus depuis que leur dynamique s’est accélérée sous le double impact de la numérisation et du dévelop- pement des réseaux. Autour de la révolution numérique, le début des années 1980 a vu apparaître de nouveaux acteurs de l’innovation. Sûrs de leur supériorité et de l’efficacité de leur production, ils ont rapidement commencé à représenter une communauté à part entière – capable de faire contre- poids à ses prédécesseurs plus traditionnels. D’un côté, c’est l’american dream – l’idée que n’importe qui peut réussir à force de courage et de ténacité; de l’autre, c’est l’exemple des tycoons de la révolution industrielle. Reprenant l’image de l’artiste solitaire voué à son œuvre dans la solitude de son atelier, ces acrobates de l’innovation se sont dotés d’une mythologie faisant la part belle au jeune créateur d’entreprise capable de démarrer dans son garage pour ensuite conquérir le monde. Une vision quasi nietzschéenne, mélange à la fois de volonté et de supériorité intellectuelle et éthique. *Directeur du think tank de Cap Digital, avocat et ancien Chief Legal Officer de la Wikimedia Foundation. Voir son précédent article : « Standards ouverts, open source, logiciels et contenus libres: l’émergence du modèle du libre», Esprit, mars-arvil 2009. 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 126
  • 2. Les acrobates de l’innovation 127 Depuis, la théorie de l’innovation par le garage est devenue l’un des socles fondamentaux de la politique publique du gouvernement Obama. Longtemps ignorée, l’économie innovante vient de faire l’objet de plu- sieurs rapports successifs démontrant son importance croissante dans l’économie: au cours de la dernière décennie, les effets directs et indi- rects du seul numérique ont représenté environ la moitié de la crois- sance constatée aux États-Unis et un peu moins du quart en France. Qui sont les entrepreneurs du Web? D’où viennent-ils? Quels sont leurs formations, leurs ambitions, leurs parcours ? Quels sont leurs convictions politiques, leurs bagages culturels? L’innovation buissonnière Et avant toute chose, que racontent-ils ? La nouvelle innovation s’articule selon un scénario bien ficelé dont les héros et leurs histoires ont fait rêver et ont servi de modèles à au moins deux générations de spectateurs-entrepreneurs. Depuis la fin des années 1970, plusieurs héros ont émergé autour de ce thème – Bill Gates et Steve Jobs il y a trente ans, Mark Zuckerberg et Sean Parker aujourd’hui. Tous ont commencé par quitter l’école. Né à Seattle en 1955, William Henry Gates III était encore au collège quand il crée Traf-O-Data, sa première entreprise à 17 ans avec Paul Allen. Admis à Harvard l’année suivante, il quitte l’université au bout d’un an à peine pour fonder Microsoft avec le même camarade. Né à San Francisco en 1955 aussi, Steve Jobs travaillait déjà chez Hewlett Packard dès le collège. Entré à l’université, il ne réussit à rester qu’un seul semestre mais continue à la fréquenter en auditeur libre pour suivre des cours de typographie. Après avoir enchaîné une série de voyages à l’étranger, notamment en Inde, et travaillé pour différentes entreprises dont Atari, il finit par créer Apple en 1976 avec Steve Wozniak, un camarade plus âgé qu’on lui avait présenté au lycée. Né en 1979, trois ans après la création d’Apple, Sean Parker n’a jamais été à l’université. Après avoir été l’un des premiers employés de Napster, il a survécu à la chute du réseau créé par Shawn Fanning en créant Plaxo, puis en devenant Business Angel – et le premier inves- tisseur de Facebook contre 7% de la société. Né en 1984, «Zuck» alias Mark Zuckerberg n’a jamais terminé ses études non plus. Admis à Harvard, il ne s’en est servi que pour obtenir l’annuaire des étudiants et le transformer en site de rencontres à succès qu’il a ensuite étendu à l’ensemble des autres universités américaines – puis au monde entier. Ces mythes fondateurs n’ont pas seulement vocation à jeter le doute sur la valeur des institutions d’enseignement pour valoriser ceux qui ont choisi de s’en écarter. Elles décrivent aussi des jeunes qui ont 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 127
  • 3. Les acrobates de l’innovation 128 rencontré un immense succès en décidant très tôt d’abandonner le cursus honorum auquel ils étaient destinés – un choix qui ne relève en rien du hasard. À leurs yeux, l’innovation est stratégique au sens fort du terme, c’est- à-dire qu’elle n’est pas seulement essentielle, mais surtout qu’elle est le fruit de stratagèmes. L’histoire de l’innovation est pleine d’idées que des personnes différentes ont eues séparément à des moments différents – l’ampoule à incandescence avait été inventée vingt-trois fois avant d’être finalement brevetée avec succès par Edison. Rares sont ceux qui réussissent à assurer leur victoire sur leurs adversaires déjà en place. Dans la Bible, David est équipé pour partir au combat contre Goliath avec une cuirasse, un casque et une épée – des armes conventionnelles pour une bataille conventionnelle (1 Samuel, 17). Mais une fois équipé, il se rend compte qu’il ne pourra pas utiliser ces armes parce qu’il ne les connaît pas. C’est alors qu’il choisit d’utiliser cinq pierres ramassées sur le chemin – des armes plus frustes mais dont il sait se servir et qui lui permettent d’élaborer une stratégie. Le fait d’abandonner le système éducatif très jeune ne correspond ni à l’expression d’une précocité particulière, ni à une nouvelle règle d’airain qui devrait pousser chaque jeune à devenir entrepreneur dès le lycée. Il s’agit plutôt d’une stratégie intelligente choisie à un moment où elle leur permettait de gagner un avantage compétitif décisif sur leurs concurrents. La contrepartie étant de réussir à compenser le manque de matériel éducatif par une énergie et une discipline supplé- mentaires. Inféodés par leurs prédécesseurs, les innovateurs sont contraints d’essayer de changer les règles du jeu – au prix de beaucoup d’efforts. L’«individustrie» numérique À 29 ans, en 1984 sur France 3, après avoir rencontré François Mitterrand, Steve Jobs estimait déjà que le problème de la France n’était ni ses chercheurs, ni son enseignement, mais qu’elle devait créer des centaines d’entreprises individuelles dans le secteur du logiciel afin d’innover par le développement d’applications concrètes. À l’entendre, on peut chercher longtemps le lien entre l’innovation et le pourcentage de PIB consacré à la R&D, le nombre de brevets ou le rôle des doctorants. Ce qu’il décrit, ce sont des aventures indivi- duelles qui s’inscrivent au sein de la construction d’une nouvelle et importante tradition culturelle et politique à laquelle nous sommes de plus en plus hermétiques. Le numérique est souvent décrit comme une nouvelle révolution industrielle – au grand dam des victimes de la désindustrialisation qui voient leurs emplois menacés dans tous les secteurs d’activité. Mais si révolution il y a, c’est celle de la création d’une nouvelle «individus- 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 128
  • 4. trie». Les très grands groupes y sont rares – Microsoft ne représente que 89 000 salariés. Les exploits individuels y sont légion : Linus Torvalds1, Shawn Fanning2, Bram Cohen3. À l’instar de la pensée néoconservatrice, la révolution «individus- trielle» est elle aussi le fruit des grands think tanks de l’Amérique de la guerre froide, au premier rang desquels la Rand Corporation4 et le Xerox Parc5. C’est une révolution culturelle qui s’épanouit peu à peu dans toutes les sphères de la société – sexe, argent, éducation, politi- que, commerce, médias. Ses paradigmes investissent notre discours et nos actions: les universités sont des réseaux sociaux, le dégroupage de la boucle ADSL est une question de neutralité du net, etc. Et c’est tout naturellement que l’innovation se retrouve aujourd’hui au cœur du récit américain. Buzz l’Éclair, La famille Indestructible, Ratatouille ou WALL-E, chaque film de Pixar répète à l’infini le thème du hacker – l’innovateur capable de remettre en question les règles de la société par le fruit de son intervention individuelle disruptive et originale – pour le plus grand bien commun. Même la presse se transforme en outil de propagande culturelle organisé autour de quelques navires amiraux tels le magazine Wired qui n’a pas son pareil pour transformer un jeune développeur un peu créatif en un entrepreneur révolutionnaire capable de renverser l’ordre établi. Quant à la politique, il suffit de reprendre les mots du président Obama lui-même à l’occasion de son discours de l’état de l’Union de 2011 : « Personne ne peut prédire avec certitude quelle sera la pro- chaine grande industrie, ni d’où viendront les emplois du futur.» Il y a trente ans, il était impossible de savoir que l’internet serait un tel moteur de notre société. Dont acte, la doctrine américaine consiste désormais à faire confiance aux individus, à leur créativité et à leur imagination –d’où qu’ils viennent. Politique de R&D ou souci de self-innovation? À entendre Obama, il ne faudrait même plus parler de politique de R&D. En échange, c’est presque une politique du souci de soi que l’administration américaine essaie de mettre en œuvre – on retrouve le care de Joan Tronto. Pour ses thuriféraires les plus ardents, l’innovation ne se contente pas de changer la vie, elle en est la définition même. Elle Les acrobates de l’innovation 1.Le créateur de Linux. 2.Le créateur de Napster. 3.Le créateur de BitTorrent. 4.Un think tank créé en 1948 dont le rôle a été crucial dans le développement du concept de dissuasion nucléaire dont le projet Arpanet – l’ancêtre de l’internet – était un élément important garantissant la continuité des communications militaires sur le territoire américain. 5. Autre think tank créé en 1970 qui est à l’origine de nombreuses avancées informatiques telles que l’imprimante laser, le réseau Ethernet, les interfaces graphiques manipulées à la souris. 129 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 129
  • 5. Les acrobates de l’innovation 130 devient alors le résultat d’exercices personnels de transformation de son mode de vie. Steve Jobs se présente lui-même comme un designer ascète tendance gourou ayant expérimenté de nombreuses drogues hallucino- gènes. Son élève le plus doué, Mark Zuckerberg, affirme déjà refuser de manger de la viande s’il n’a pas été capable de tuer lui-même l’animal. Dans cette optique, l’innovation se présente comme le fruit de l’inter- action du marché, des individus et du principe de la libre entreprise. Même si sa place est importante, l’État n’intervient que comme un organe de support destiné à semer les graines du succès. L’importance théorique des problèmes soulevés par le développement de l’innovation n’est pas forcément en proportion directe de son degré de formalisation. On devrait aujourd’hui tenir pour acquis qu’à l’excep- tion des sciences dites fondamentales, l’innovation n’est ni très déductive, ni très technologique. Elle reste liée à l’imagination, elle est source d’incertitude et elle crée ainsi des paradoxes pour tous ceux qui essaient de l’appréhender. Le problème politique décisif n’est donc plus la souveraineté, mais la gestion de cet ensemble de micropouvoirs qui risquent d’inventer silencieusement de nouvelles formes de domination, mais peuvent tout aussi bien ouvrir le champ de nouveaux possibles. Quant aux grands groupes, leur sort n’est pas plus enviable que celui de l’État. Le dilemme de l’innovateur les amène à protéger leurs techno- logies existantes en interne comme en externe – et ce d’autant plus facilement que les innovations ne permettent souvent qu’un service de moins bonne qualité dans les premiers moments de leur développement. Il est vrai que c’est eux et leurs puissants laboratoires de recherche qui ont dominé l’innovation pendant la plus grande partie du XXe siècle – Dupont, IBM, ATT. Mais cette époque est révolue. Même si leur investissement reste important, ils collaborent désormais de plus en plus avec de plus petites structures. Procter & Gamble sous-traite déjà plus de 30% de ses innovations. Intel investit plusieurs centaines de millions de dollars chaque année dans des opérations de venture capital. Même Apple est fortement dépendante de ses partenariats de recherche – et parfois des innovations de ses concurrents. En d’autres termes, la tendance est désormais au développement de l’Open Innovation. Il s’agit de chasser en meute plutôt que de faire cavalier seul. Étant donné la quantité phénoménale d’entreprises qui investissent aujourd’hui dans cet effort, il est difficile pour une seule d’entre elles de réussir à battre toutes les autres. Et les technologies sont devenues trop complexes pour être capable de les rassembler toutes sous un même toit. In fine, des Mindstorms Lego6 au Kite 6. Après la création des Mindstorms Lego, un jeu très ouvert aux bricolages électroniques, plus de 900 adultes utilisateurs se sont pris de passion et ont rapidement débordé l’équipe de quelques ingénieurs employés par le fabricant. 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 130
  • 6. Les acrobates de l’innovation 131 Surfing7, ce sont même parfois les consommateurs ou les usagers qui sont eux-mêmes les plus innovants. Le mythe des talents Pourtant, l’orthodoxie du système éducatif européen et des grandes formations américaines de management reste dédiée à la recherche et à la production des meilleurs talents. Le besoin absolu d’objectiver l’apport complexe des individus dans l’innovation conduit les entreprises à privilégier ceux qui sont issus de grandes écoles ou ayant fait un MBA – alors même qu’il n’existe pas de MBA de design et que peu d’étudiants décrocheurs reprennent un jour leurs études après avoir créé une entreprise. Cette logique consistant à ramener l’innovation au niveau de diplôme atteint par des individus dans le système éducatif ne concorde pas avec les faits. Elle produit de nombreux dommages collatéraux. À la fin des années 1990 par exemple, les meilleurs élèves du système éducatif se retrouvaient généralement embauchés dans de grands cabinets de consultant. Ces cabinets étaient ensuite choisis par les entreprises pour les aider à diriger leurs activités. Dans l’un des cas les plus célèbres, une grande entreprise d’énergie s’est ainsi vanté de sa capacité à innover grâce aux curriculum vitae de ces «talents» de cabinets qu’elle avait réussi à attirer en échange de gros revenus et de places au sein de son conseil d’administration. L’un de ses fondateurs résumait même ce fantasme de l’individu innovant en déclarant: «Nous embauchons les gens les plus intelligents et nous les payons plus que ce qu’ils pensent valoir.» Cette entreprise c’était Enron. À l’américaine ou non, l’innovation n’est pas le résultat d’exploits individuels. Elle dépend d’un processus complexe au cours duquel les idées de nombreux individus se nourrissent les unes des autres. Du kaizen à la beer-innovation Le système Toyota est célèbre pour avoir renversé l’approche schum- peterienne en promettant de réussir à mettre en place un processus plus graduel de qualité continue. L’objectif n’est pas de faire un bond en avant soudain et inattendu. Il s’agit plutôt de réussir à améliorer les choses petit à petit sur la base d’un exercice quotidien – le kaizen. Cette notion de redondance est extrêmement importante. Tout est affaire de statistiques. Les partisans du logiciel libre nomment 1,000 eyeballs la méthode qui permet à leur code source d’être souvent meilleur que celui d’entreprises traditionnelles. Leurs programmeurs ne sont peut-être pas salariés et sont parfois des amateurs, mais la 7. Dans l’industrie des sports extrêmes, 37% des innovations viennent des usagers eux-mêmes. 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 131
  • 7. Les acrobates de l’innovation 132 disponibilité du code source permet aux projets libres de disposer de tellement de contributeurs qu’ils bénéficient statistiquement de beaucoup plus d’énergie que leurs équivalents propriétaires. Même avec un taux élevé de déchets, un système peut être extrêmement inno- vant à condition de susciter suffisamment de tentatives et de correcte- ment récompenser le succès. Cette stratégie est d’autant plus efficace qu’elle concerne des innova- tions dites de rupture, c’est-à-dire celles qu’il est impossible de prévoir. Si l’industrie de la télévision avait prévu le succès de Youtube, il ne fait aucun doute qu’elle l’aurait développé elle-même. Venture capita- lists, chercheurs, entrepreneurs ou décideurs publics, tous sont par définition aveugles à l’innovation. De ce point de vue, la qualité est une simple fonction statistique de la quantité. Plus il y a de tentatives, plus il y a de succès – et plus il y a d’échecs. L’objectif n’est donc pas d’essayer d’améliorer la qualité des innovations et de la recherche, mais d’en augmenter le nombre. Le secret du succès des start-ups de la Silicon Valley ne tient pas aux qualités intrinsèques et exceptionnelles de ses dirigeants, mais à la culture locale et à ses traductions politique, économique et sociale qui valorisent énormément les stratégies originales, individuelles, ambitieuses – et qui leur donne les moyens de se développer malgré l’existence d’une compétition déjà en place. Au lieu de se concentrer sur un planning top-down préparant les programmes triannuels de recherche et d’investissement, les start-ups et leurs partenaires essaient de réussir le maximum de petites améliorations, tout en adoptant une attitude opportuniste pour sauter sur l’occasion que personne n’avait prévue. Dans cette perspective, le marché de l’innovation fonctionne parce qu’il permet aux gens d’être chanceux – en les poussant à faire le plus d’essais et d’erreurs possibles, sans chercher à récompenser le talent ou la bonne stratégie. In fine, même si les réussites sont individuelles, elles ne doivent pas masquer le poids de l’écosystème et de la stratégie collective basés sur la plus grande participation du plus grand nombre. Cette volonté de faire masse n’est nulle part aussi impressionnante qu’à South By South West, la plus importante convention de start-uppers américains qui se déroule chaque année à Austin au Texas. Débarquant par charters de Boston, de New York et de San Francisco, plusieurs dizaines de milliers de geeks s’y rendent chaque année pour lancer leurs nouveaux produits, assister à des conférences d’intérêt très variable, comparer leurs innovations, discuter… et boire de la bière au soleil ou jusque tard dans la nuit. La connaissance de cette pratique communautaire est essentielle à la bonne compréhension de l’écosystème d’innovation américain. Si les Français sont critiqués pour leur productivité parce qu’ils aiment travailler autour d’un bon déjeuner, les Américains sont tout autant 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 132
  • 8. critiquables pour leur propension à travailler en troupeau, entre deux rendez-vous, une bière à la main. On passe de la peer-innovation à la beer-innovation mais c’est aussi une façon de dépasser les catégories. Cette attitude évite aux innova- teurs de penser en secteurs trop verticaux. Et elle conserve la conscien- ce du caractère vague des frontières de leurs activités. À l’origine, les fondateurs de Flickr8 travaillaient sur un jeu vidéo en ligne avant de se rendre compte que les joueurs préféraient s’échanger des photos de leurs parties. Les créateurs de AirBNB9 étaient arrivés dans la Silicon Valley pour chercher un travail et n’ont commencé à créer leur site que pour sous-louer leur propre appartement. C’est à SXSW que se sont lancés, par exemple, Foursquare10, Twitter11 et nombre d’autres innovations similaires. L’existence de ces grands rassemblements et de cette culture communautaire est bien sûr l’une des raisons essentielles du succès des réseaux sociaux aux États-Unis. Avant d’être un site internet s’adressant au public du monde entier, Facebook est d’abord le réseau social de ses fondateurs, de leurs amis et des amis de leurs amis. Il ne correspond pas à une innovation tech- nologique, mais à une innovation culturelle initiée par une communauté particulière. Les mathématiques des grands réseaux d’interaction sont parfaitement maîtrisées en France comme ailleurs. Les technologies du Web sont connues partout dans le monde. Mais il fallait une culture et une pratique de l’innovation communautaire pour imaginer créer des sites internet organisant des communautés. 50 millions de lignes de code Ces caractéristiques très spécifiques ne se sont pas développées par hasard. Elles sont le fruit d’une adaptation à la complexité de plus en plus grande de la technologie. Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, elles ne rendent pas l’innovation plus simple, elles lui permettent simplement de suivre. Depuis l’arrivée de l’informatique, une longue chaîne d’innovations de faible amplitude complexifie sans cesse l’environnement technolo- gique. Elles sont d’autant plus difficiles à détecter et à se représenter que leur intensité est faible et que plus une technologie est complexe, plus elle a tendance à devenir invisible, légère, transversale et omniprésente. Les acrobates de l’innovation 8. Un site de partage de photos très populaire hébergeant plus de 5 milliards d’images et vendu à Yahoo en 2005. 9. Un site de petites annonces d’appartements à louer lancé en 2008 et valorisé à plus d’un milliard de dollars. 10. Un site permettant différentes interactions géolocalisées avec un téléphone mobile. 11. Un site très populaire de discussion en ligne. 133 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 133
  • 9. Les acrobates de l’innovation 134 Si l’on s’en tient au seul exemple du logiciel – un secteur immatériel dans son essence même, le nombre de lignes de code d’un programme tel que Windows a été multiplié par dix sur les trente dernières années. Il représentait quatre à cinq millions de lignes en 1993, cinquante en 2003 et probablement bien plus aujourd’hui. Cette montée dans la complexité s’accélère et contamine les services qui dépendent des technologies d’infrastructure. Le site de chaussures online Zappos recense plus de 90000 modèles différents. Ne serait-ce qu’en comptant le rayon des téléphones portables, Amazon propose plus de 85000 produits. Dans le registre de l’immatériel, on compte plus de 500 000 films produits depuis l’invention du cinéma, et plus de 1 000 000 d’épisodes de séries télévisées. Par comparaison, Apple a mis en ligne la 500000e application pour l’iPhone moins de trois ans après le lancement de son appareil. On croit généralement que c’est la compétence qui est une ressource rare, alors que c’est plutôt l’effort et la capacité à s’astreindre à être innovant qui est difficile à trouver. Et la difficulté à appréhender la complexité rend l’innovation très dépendante de la diversité. Hormis sa localisation géographique, la Silicon Valley est loin d’être aussi américaine qu’on le pense. De eBay à Yahoo, plus de la moitié de ces entreprises ont été fondées par des étrangers. Mais ce n’est même pas encore assez et les entrepreneurs américains ne cessent de réclamer la mise en place d’une politique de start-up visa pour accueillir encore plus de monde. De façon générale, le rapport à l’international est fortement encoura- gé. Cette tendance s’accélère encore à mesure de la mise en réseau de l’ensemble de l’industrie puisque toute innovation est immédiatement confrontée à une compétition internationale – même simple start-up, n’importe quel développeur d’application iPhone doit se confronter à des concurrents situés partout dans le monde sitôt qu’il publie son programme sur l’appstore d’Apple. Google lex Comme le disait Lawrence Lessig, Code is Law. Au-delà d’un outil de développement économique, l’innovation est devenue un enjeu stratégique. Entre lex mercatoria et Google Plex12, il faut désormais compter avec la Google lex. Face à l’attitude offensive de Google, les États ont du mal à faire respecter leur droit national et leur souveraineté par le site le plus visité du monde: conflit sur le droit d’auteur avec les éditeurs de livres et de journaux, conflit sur le droit d’auteur avec les 12. Le nom donné au quartier général de Google à Mountain View en Californie. 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 134
  • 10. producteurs de films et les chaînes de télévision, conflit avec les CNIL du monde entier sur un nombre incalculable de sujets, conflit avec les autorités de la concurrence sur les conséquences de leur position dominante sur tout un ensemble de marchés en aval – depuis les cartes routières jusqu’au téléphone portable, etc. Les autres entrepreneurs du Web emboîtent le pas et n’hésitent pas à prendre des positions politico-juridiques dictées par leurs visions ou leurs intérêts technologiques. En ce qui concerne la vie privée par exemple, Michael Arrington, le fondateur de Techcrunch, explique que «nous allons devoir devenir beaucoup plus ouverts à la multiplication des indiscrétions online. Nous ne nous intéressons plus vraiment à la vie privée. Et Facebook correspond exactement à ce que nous voulons». Autant pour la CNIL et le Groupe de l’article 29 qui travaillent à réglementer la protection des données personnelles en France et en Europe. Pour nombre de ces innovateurs, leur activité est une forme de rébel- lion. Einstein lui-même était réputé avoir quitté l’école à l’âge de 15ans à la suite d’une dispute avec un professeur. Mélangeant droits de l’homme, politique étrangère et lobbyisme industriel, on représente souvent les start-ups américaines comme d’importants instruments de propagation de la démocratie dans le monde. C’est Hillary Clinton, ministre des Affaires étrangères, qui a prononcé le principal discours américain sur les libertés en ligne. L’internet serait naturellement plus favorable aux opprimés qu’aux oppresseurs. Dans un autre registre, Peter Thiel13 a créé la Thiel Fellowship: un prix de 100000dollars versé à des jeunes prêts à abandonner l’école ou l’université pour créer leur entreprise. D’influence libertarienne assumée – peut-être même pourrait-on le qualifier d’extrême droite, proche du Cato Institute14 –, il estime que la liberté n’est plus compatible avec la démocratie, ni avec le processus électoral. Naturellement, cette vision cyber-naïve et prophétique se fonde sur l’espoir que les possibilités du réseau permettraient d’accomplir en 2000 ce que les utopies libérales des années 1960 n’ont pas réussi à concrétiser. Mais cette façade ne résiste pas longtemps à l’analyse des faits. Le cyber-espace est un espace cyber-hobbesien. Les défenseurs de l’innova- tion ont beau croire au contrat social autopoïétique et à la self regula- tion, aucune auto-interaction positive ne semble émerger naturellement sans une intervention forte de l’État en arrière-plan – dégroupement, droit de la concurrence, liberté de la presse, etc. Les acrobates de l’innovation 13. Le fondateur de Paypal et l’un des premiers investisseurs dans Facebook. 14. Un think tank libertarien créé en 1977. 135 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 135
  • 11. Les aspirations libertariennes qui fleurissent au croisement de la liberté d’informer et d’entreprendre risquent surtout d’aboutir à la mise en place de nouveaux monopoles industriels, ainsi que d’un régime saturé de contraintes sociotechniques n’offrant pas nécessairement plus de libertés que son prédécesseur. Transfigurée par les réseaux, la lecture mal digérée d’un Hayek mâtiné de Ayn Rand pourrait finir par mettre à mal un certain nombre d’autres libertés fondamentales désor- mais jugées comme secondaires. Or dans le même temps, la Chine et la Russie ont réussi à développer des services qui sont au moins aussi efficaces que leurs équivalents californiens – voire plus dans la mesure où leurs fondateurs se sont adaptés à leur public local. Pétri de l’internet americano-centré, nous avons souvent tendance à penser que seuls comptent Facebook, Twitter ou Youtube, alors que pour les Chinois, ce sont plutôt Baidu15, Weibo16 ou Tencent17. http://www.startup.gouv.fr Il est donc important de ne pas s’engager trop avant sur la pente glissante de l’innovation en roue libre. L’État doit évoluer, mais il doit continuer à jouer pleinement son rôle pour aider au développement et à l’adoption de standards sur l’ensemble des secteurs émergents – aussi bien de standards technologiques que de standards d’usage. Autant au niveau européen que français, son action est importante pour protéger les entreprises et les aider à travailler ensemble – développant ainsi l’emploi et la consommation. La création d’un marché européen du numérique doit être une priorité afin d’éviter la situation actuelle dans laquelle des marchés de petites tailles aboutissent à une concurrence inutile et à une balkanisation du secteur. Le diagnostic de la pathologie française est régulièrement décrit comme une incapacité à transformer les avancées technologiques en usages. Il est aussi relié à la monodisciplinarité de nos formations, supposée expliquer le manque de créativité de nos entreprises dans l’usage des technologies: d’un côté, la recherche française ne serait pas assez orientée business; de l’autre, l’enseignement ne serait pas assez varié. Mais c’est faire peu de cas de la réalité de l’innovation: un processus individuel et souvent non technologique, vécu comme un exercice de Les acrobates de l’innovation 15. Le «Google chinois». Son fondateur, Robin Li, est l’homme le plus riche de Chine. 16. Un réseau social chinois, sorte de mélange entre Facebook et Twitter représentant plus de 140 millions d’utilisateurs. 17. Le créateur de QQ, le plus important système de messagerie instantanée en Chine avec près de 650 millions d’utilisateurs. Avec une capitalisation de 38 milliards de dollars, Tencent est la 3e plus grosse compagnie de l’internet après Google et Amazon. 136 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 136
  • 12. développement personnel, un stratagème, réalisé hors de l’académie, hors de l’entreprise, par des inventeurs d’usages nouveaux – designers, créateurs industriels, voire utilisateurs éclairés. Pour autant, l’idée de l’auto-entrepreneur à succès relève largement du mythe. L’innovation est un processus d’exploration collective. Malgré son apport personnel, chaque innovateur se repose systématiquement sur ses associés, ses financeurs, les pouvoirs publics et les incitations qu’ils mettent en place, les chercheurs qui l’entourent, ses premiers clients ou utilisateurs, et plus généralement l’écosystème d’innovation dont il dépend. Ces acrobates de l’innovation ont fait leur réforme de la pensée. Tirant le meilleur parti de la théorie de l’information, de la cybernétique et de la théorie des systèmes, ils font l’aller-retour entre le macro et le micro, pensant pour eux-mêmes des principes qu’ils appliquent ensuite à l’ensemble des internautes. À leurs yeux, l’individu se transforme en transformant la société. Il est l’acteur de sa métamorphose. Il est encore temps de se mettre au diapason. Malgré leur puissance, les acteurs en place sont encore dans une situation précaire, à peine une étape. Ils ont refait leur renaissance, mais l’origine est devant nous. Jean-Baptiste Soufron Les acrobates de l’innovation 137 14-a-Soufron:Mise en page 1 21/06/11 18:45 Page 137