1. La revue ind isciplinée www.mouvement.net
M 0 UVEMENT
I artistes, créations, esthétique et politique i avril-juin?OLZ i numéro 63 L14944 -63-Fi 12,00 ,BD
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Numéro spécial, LZE
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Nègres, sauvages
et bougnoules
Quand I'art bat en brèche les
relents colonialistes et racistes.
Scènes
Allen Ginsberg
Sophie Agnel
Alexis Forestier
Catherine Diverès
Artistes de Croatie
Portfolios
Stephan Vanfleteren
Ziad Antar
2. §fuæ&âræ æffi
§resss ærs§ æsE s§€§ §æ§me
Part*ut en France surgissent de nouveaux projets de Ëh*âtre
pr*f*ndément ar:erÉs dans Ë'§cole. te drarnatuq* Eric ila 5ilva,
Ia c*mp*gnie du zi*u dans §es bleus, ie rnettsur er: scè*e
Antcnin MÉnerd et d'autres *n *nt f*it un tenrain fertil* püur
fæir* éclrre Ieurs cr**ticns.
3. rencontre Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud 75
S'iI est un sujet en apparence consensuel en et metteur en scène, fondateur de exister quoi ? Je ne pourrais pas oiare si je crolais
matière de politique culturelle, c'est bien l'Emballage Théâtre, a voulu concrétiser que je Ïaisais du mal. ,>
celui des arts à l'école. Agauche comme à dans un cadre précis. D'où le retour aux élèves du lycée Renoir,
droite (facques Chirac évoquait cette question Il avait déjà eu l'occasion de fréquenter Ie lycée 26 ans plus tard, pour essayer de deüner avec
dès les années 1970), tout le monde s'accorde Renoir en 1984, non comme élève, mais pour eux << à quoi peut bien serair cette littêrature , qu,i >>
pour dire que la présence de I'art dans le parler avec eux de Ia GrandeetlaPetite a vocation à s'incarner pour dire Ie monde,
dispositif scolaire, par le biais de Ia présence Manæuure dArthur Adamov (un écrivain sans prétendre pour autant le comprendre
concrète d'artistes et donc d'une réelle tristement oublié), qu'il présentait au Théâtre et le contrôler. Ces questionnements précieux
pratique des formes artistiques, est une de Gennevilliers voisin, alors dirigé par prennent dans ce lieu un relief exceptionnel.
exigence pédagogique de premier plan. Bernard Sobel, qui l'a toujours soutenu, même Et motivent le choix d'Eric Da Silva de
Même si certains répondent aux restrictions dans les périodes les plus difficiles... Ses <, s'installer,> dans cette école pour y proposer
budgétaires actuelles en misant sur une moments de <, rencontres aaec le milieu scolaire '> , une expérience assez inédite . <, Ici, à Renoir,
reconversion de la question par I'introduction lui ont d'emblée posé question. En ouwant la il était possible d'accêder à une compréhension par
de cours d'histoire des arts, la présence des porte du théâtre, de son théâtre, à ces jeunes la sensation etl'qcpérience. ,> Une manière
enseignements artistiques reste la boussole yeux d'élèves peu <. avertis ,>, il les écoute et de pédagogie qui renverse tranquillement
d'une grande majorité d'acteurs, dans les saisit très üte ce qu'il peut leur apporter : un la mécanique scolaire ambiante.
milieux culturels comme dans celui de <, désordre uiaant >> qui développe chez eux une Mais il est un autre argument, qui est venu
l'Education nationale. Reconnue et encouragée << intelligence spontanée et déroutante >>. ll reviendra aiguiser le désir de l'écrivaln. Le lycée
par tous les ministres successifs, cette politique sept fois au Théâtre de Gennevilliers, avec sept d'Asnières est équipé d'un magnifique petit
de I'art à l'école avait été largement renforcée spectacles qui tous tournent résolument le dos théâtre, de dimension modeste certes, mais
sous les mandats de Jack Lang et de Catherine au répertoire qu'il avait transmis au départ. parfaitement équipé, avec des cintres, des
Tasca à la tête des ministères de la Culture et En traduisant Tiol'lus et Cressido de Shakespeare, coursives, des pendrillons, des coulisses et des
de l'Education nationale - même s'il y eut des il se rend compte qu'il doit quitter les mots du loges. Un équipement qui, aujourd'hui,
difficultés à mettre en æuvre une véritable maitre pour apprendre à ül're avec les siens, semblerait incongru, presque déplacé, mais
politique transministérielle. parce que ce sont les mots d'aujourd'hui qui qui témoigne de la politique menée dans
Au terme de dix ans de gouvernements de nous font üwe la üe d'aujourd'hui, quitte les années 1970 par les maires communistes
droite, le dispositif mis en place par les à embarquer les spectateurs dans des contrées de ladite <. banlieue rouge >>. Une formule qui
socialistes a fondu comme neige au soleil et la imprévisibles. nétait pas un slogan et qui cherchaitwaiment,
pérennité des projets à finalité culturelle et par tous les moyens, à démocratiser Ia culture.
artistique est de plus en plus difficile à tenir Dans leur esprit, I'Ecole méritait un véritable
pour le corps enseignant comme pour les Pour certâins théâtre et non un préau au rabais. Si l'art doit
artistes invités. Mais, paradoxalement, dans entrer dans I'enceinte des lycées, il doit le faire
ce contexte sinistré, précarisé et sans boussole, artistes, I'Ecole par la grande porte. Da Silva est l'héritier de
on observe I'irruption de projets singuliers, cette conüction, même s'il n'est pas dupe.
portés par des artistes, eux aussi singuliers, est devenue un Il a beaucoup pratiqué les ateliers d'initiation
qui ont choisi d'investir le milieu scolaire, pratique (toujours au Lycée Renoir) et il en
pour y inscrire de véritables propositions vénitable médiurn a bien mesuré les contradictions.
artistiques. Dans leur esprit, I'Ecole n'est plus Quand il commence à mener des expériences
simplement une institution où ils dispensent de leur créatlon, de pratique plus encadrées par la structure du
leur pratique, leur savoir-faire ou leurs lycée, il fait ce constat lucide : <,Las,latalement,
connaissances, elle devient un véritable Car, pour Eric Da Silva, l'écrivain n'a pas pour les choses ont perdu ileleurJluidité - c'était couru
médium de création, où I'artiste reçoit autant fonction de nous consoler, bien au contraire, d'auance -, dès lors que I'obligation ou la trop forte
qu'il donne. il donne forme et vie à des <. personnages de attente de résultats manquèrent à l'appel réJlexe de
C'est de sa propre initiative qu'Eric Da Silva déroutes et pourtant d'acharnement », de ceux l'instant. » II s'agit donc d'être très clair : I'Ecole
a frappé à la porte du lycée Renoir à Asnières qui, selon lui, sont nés à partir des voix n'a pas pour vocation de former des artistes,
pour s'y installer durant toute l'année scolaire. collectées par le sociologue Pierre Bourdieu, mais, pour autant, elle a tout à gagner, en
Il venait d'obtenir une résidence grâce au dansLaMisèredumonde. Le cortège de ces s'enrichissant par d'autres types
programme de soutien aux écrivains du êtres invisibles, absents de la scène théâtrale d'expériences : se laisser gagner par la force
Conseil régional d'Ile-de-France, qui stipule dominante, a pris des proportions hors des <, inuisiblesJaits et gestes que sont les mots et les
que les auteurs retenus consacrent 30 % normes, au point de devenir une <, saga de phrases d'une littérature pour le plateau >>.
de leur temps, outre l'écriture, à entrer dix pièces ,>. Quand ils ont commencé à prendre D'où le projet radical de la résidence d'Eric
en relation avec l'enüronnement qui accueille vie sur la scène, Eric Da Silva s'est trouvé Da Silva. Avec son équipe artistique, il
Ieur résidence. Une préconisation générale confronté à une question très simple, mais accompagne durant toute I'année une classe
un peu floue que le comédien, écrivain abyssale ; <. Faire du théôtre bien sûr, mais pour.faire de première en option théâtre, avec un
4. 76 Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud rencontre
complètement la répartition des tâches et des
savoirs - condition sans 1aquelle la résidence
d'Eric Da Silva n'aurait jamais pu avoir lieu.
En plus du travail hebdomadaire, certains
élèves de ia classe tiennent un b1og, formés et
accompagnés par un ingénieur informaticien.
Un blog entièrement pris dans 1e cadre scolaire
des « TPE ,>. La compagnie d'Eric Da Silva a
investi dans I'achat de matérie1 informatique,
financé par la résidence, mais destiné à rester
durablement dans le lycée. Une décision qui
pose cette question cruciaie : comment les
élèves d'un lycée peuvent-ils rendre compte
d'une te1le expérience ? Ce médium peut-il
leur permettre d'exprimer 1'expérience que Ie
théâtre leur permet de faire ? A quelles
conditions ?
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Ces questions sont au cæur du nouveau projet
de 1a compagnie marseillaise du zieu dans les
bleus, animée par Nathalie Garraud et Olivier
Saccomano. Après avoir interrogé pendant
plusieurs années la présence du tragique dans
notre monde à travers un triptyque alignant
Eschyle, Sophocle, 1e dramaturge anglais
Howard Barker et un jeune écrivain, FéIix
Jousserand, la compagnie a lancé un nouveau
cycle de créations sur le thème de
l'adolescence, ce moment de la vie qui en
concentre toutes Ies contradictions. entre
1'engouement et la désorientation. La première
étape de cette recherche doit se dérouler
durant toute 1'année scolaire dans différents
établissements, où seront présentées devant les
élèves des formes brèves, appelées << études '>,
des petits dialogues entre deux interlocuteurs
programme peu banal : la traversée intégrale de théâtre, Marie-Christine Boncour, a accepté désaccordés. Un nombre d'étapes
de sonDécalogue loic. Dix mois pour dix pièces de consacrer I'ensemble des heures disponibles impressionnant, de Fécamp à Marseille, en
Un défi qui n'a de sens qu'à la condition de à cette expérience artistique. Sans plus séparer passant parAmiens et la banlieue parisienne,
trouver une réponse concrète et active de la les heures de théorie, normalement assurées pour partager un récit et des questions, avec
part des principaux enseignants de la classe. par ses soins, et les heures d'atelier de un public actifet concerne.
Et c'est ce qui s'est passé pour cette classe de pratique, elle propose et assume une Le principe d'écriture repose sur 1e pillage
première L, dont la professeure de français et configuration du travail inédite qui réorganise et Ie démontage (Brecht, Godard), de sorte
5. rencontre Eric Da Silva/Antonin Ménard/Nathalie Garraud 77
Ies-ügnes, dans le cadre du Festival des caves
rli:l:l:a::i::i::::la§::::::ll initié par Guillaume Dujardin. La danse n'est
§§t§t§:il:l pas en reste, elle non plus. Des résidences
tiiâiiit§§§ similaires ont été proposées à la chorégraphe
l:!X:,4::l::ili:::laiilllta:tll:iaa:a:::lii:i:::i::i::l::,:i::li:aa:
ralliiiiiai:ailillit:i:iaiill:la:::alil::la::llll:ii:liill:iiil::aiaail:ii:
s§§§ Nathalie Pernet dans un lycée professionnel de
Lons-le-Saunier, ou au danseur Sylvain Groud,
:ta::::rl.'|:i.:':
,:r::::a:i:::::,ar:§.ia,t:,,t:::ii::::::: ii::a:liaii:::ill
dans I'internat du lycée Cuüer de Montbéliard,
rl::iiil::ll:l:§ll::ilil::l::i::lll::l:lil:i:r:l::::i:::l
l§§:it.:ll.t§t Côté arts plastiques, certains Fonds régionaux
8q§t:§:§iria d'art contemporain relèvent également le défi,
comme à Dunkerque ou, à l'invitation du Frac
1§§:l.,::
:r::::::Fl
槧§§:l:.:':': Nord-Pas-de-Calais, le photographe Régis
§::lt:::iia::: §§tt§i§t:i Baudy a rencontré des élèves du collège Àubrac
:Siaaiii:iaii::i:lia::r.i: et créé une série photo et üdéo. Par-delà leurs
différences esthétiques, tous ces projets ont
,!§ii:*ert, !f§§ll$::i;a::.:ili
choisi le terrain de l'école pour éclore, et
i§§§llr§::lilii:
l:ll:§§§s!5§is§ltâsl titiiuiiiut:J,I
§§r::i::i:::::i::4,:t'
démontrent de façon exemplaire les richesses
§§ttai;lt: d'une véritable rencontre entre I'art et I'Ecole,
§§i§§i::ii:::' dans le respect de Ieurs exigences réciproques.
rl§l§p§::::::]irr:r]: §§§itrtl:l::ii Quand on pense au nombre de lycées qui
irÊ8:i'ri"i:11t'a :::a maillent le territoire, on
se dit que
§§ii:t::aiari décidément, il n'y aura jamais trop de
ri::::::i::,:::::,::i:i:1:
§§:t:i:::iirt compagnies théâtrales en France !
Itiii.::iit:::lr:li:
Bruno Tackels
que <. Ies ocfeurs jouent des masques contemporains, et Ia présentation du spectacle Randonnée.Tous
empruntant auc masques au passé r>. Parce qu'il mangent sur place et dorment à proximité.
s'agit d'étudier l'amour, I'histoire ou Une véritable traversée qui a donné
1'économie, des scènes décrivant une situation I'impulsion du nouveau projet de la
actuelle seront confrontées à des scènes compagnie. Les spectacles s'élaborent en effet
d'autres époques. Une nouvelle manière, pour en contact direct avec le thème traité. Pour
les élèves, de réüser leurs connaissances. Ces Randonnée, la compagnie est partie en
études serviront ensuite d'impulsion pour randonnée deux fois quinze jours ! Lorsqu'elle
l'écriture de la prochaine création du zieu dans travaillait sur la folie, le spectacle a été répété
les bleus, NotreJeunesse, qui se veut résolument dans un hôpital psychiatrique.Pout Deoant
1111s <. pièce historique ,>, regardant notre nous, consacré à l'adolescence, il était donc
époque comme si elle n'était pas la nôtre. Dans d'autant plus évident de s'immerger à nouveau
cette démarche novatrice, on reconnaît Ia dans Ie milieu représenté sur le plateau. C'est
même curiosité que celle d'Eric Da Silva, le dans sept lycées de Basse-Normandie que la
même désir de faire repasser les questions création s'est construite, avant d'être
dans le camp de ceux qui nous les adressent. interprétée... dans d'autres lycées, toujours
Le metteur en scène Antonin Ménard, basé sous la forme d'une réelle résidence immersive
à Caen, est lui aussi convaincu de l'importance d'une semaine, comme en janüer dernier au
de I'Ecole dans son cheminement artistique. lycée Paul Cornu de Lisieux.
A condition que le rendez-vous soit bien pensé. La Franche-Comté nest pas en reste sur ces
D'où cette proposition d'une véritable sujets, avec une politique active de résidences
<, immersion » dans un établissement scolaire. d'artistes dans les écoles, conduites par la Drac.
Pendant une semaine entière, Ies acteurs de la Des périodes de travail conséquentes de trois
compagnie CHanTier2lTHéâTre proposent semaines, qui accordent aux artistes un wai
trois §pes d'interventions, des performances temps de création. Loin d'une simple logique
pendant les récréations, des interventions à d'animation, la priorité est véritablement
I'intérieur des cours, préparées avec les donnée à la création, comme ce fut le cas pour
enseignants de français, de mathématique, de Raphaël Patout dont Ia compagnie Mala Noche
philosophie, de biologie, d'anglais et de sport, a créé Le Salut de Narcisse au collège de Pouilley-