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La fin de l’humain?




 Que l’on se rassure, cette présentation n’a rien à voir avec une quelconque prophétie sur la potentielle survenue
 d’un événement dévastateur qui mettrait fin à notre humanité. Ces réflexions concernent davantage une fin de
 l’humain plus pernicieuse, car moins spectaculaire, mais aux conséquences bien réelles : celle de la négation
 progressive du libre-arbitre souverain et du hasard au profit de l’illusion de se convertir en une divinité
 technologiquement assistée. Car si la technologie nous seconde dans bien des domaines, nous rend omniscients,
 devins et nous transforme en demi-dieux potentiellement immortels, ne perdons-nous pas, au sein de cette foi en
 l’algorithme, la foi en l’Homme, cet être par définition faillible et limité?

 Cette foi en la technologie comme remède à nos failles bien humaines puise ses racines dans une volonté
 séculaire on ne peut plus naturelle de dépassement de notre condition limitée de mortel. Mais au fur et à
 mesure que la technologie seconde nos vies émerge le paradoxe suivant : plus nous nous arrachons à cette
 condition et plus nous perdons de vue la spécificité de l’humain, qui, bien que contrastant avec des capacités
 divines/technologiques infinies, constitue notre essence profonde.
Le secret des Dieux




                      Mais rembobinons donc un peu. Si l’homme a été si
                      prompt à embrasser la technologie comme moyen de
                      son émancipation, c’est parce qu’il se révolte depuis
                      des siècles contre sa propre condition qu’il juge
                      limitée ; son statut de mortel aura probablement
                      cristallisé l’ensemble de ses frustrations et nourri au
                      fil des siècles sa volonté de dépassement de soi.
                      Rebelle, il aura déployé une multitude de stratagèmes
                      afin de s’en accommoder, apprivoiser sa peur de la
                      fin, voire nier sa finitude. Or, bien que la religion
                      soulage ses fidèles en leur apportant la garantie de
                      l’existence d’un « après », l’homme demeure motivé
                      par cette volonté impérieuse de rivaliser avec les
                      divinités afin de percer le secret de leur immortalité.
                      Ainsi, s’il leur envie leurs dons d’omniscience ou
                      encore d’ubiquité, c’est aussi parce qu’ils sont
                      symptomatiques de la figure divine par essence
                      immortelle…
Le secret des Dieux




C'est ainsi que la mythologie est pleine de cette volonté de dépasser la condition
humaine originelle… mais Icare s'y brûle les ailes et l'audace de Prométhée, voleur du feu
sacré de la connaissance, est sévèrement punie.
Le secret des Dieux




Au fil de l'évolution des sociétés, ce désir prend des formes distinctes
mais demeure un pilier fondateur. L'acharnement avec lequel l'homme
s'évertue à conquérir la jeunesse éternelle n'est-il pas une preuve
supplémentaire de cette volonté de repousser la vieillesse afin de nier
la mort? Il suffit de considérer la survalorisation de l’enfance (pub
Evian), la difficulté de quitter le cocon familial (phénomène des
Boomerang Kids) ou encore la vague des rétromaniaques : la fuite vers
un temps révolu ne cache-t-elle pas une course effrénée à rebours qui
nous libérerait du futur et donc de la fin ?
L’allié technique   Or, dans sa quête de
                    dépassement de soi, l’homme
                    aura su trouver sur son chemin
                    un puissant allié. En volant le feu
                    sacré, Prométhée aura suscité le
                    courroux des Dieux ; mais la
                    sévérité avec laquelle il est puni
                    a moins à voir avec l'audace dont
                    il aura fait preuve qu'avec la
                    possibilité désormais faite aux
                    hommes de disposer de la
                    technique, future condition de
                    son élévation au rang de demi-
                    Dieu. Déjà homme volant grâce
                    aux progrès de l’aviation,
                    l’homme n’a donc de cesse de
                    repousser les limites de sa
                    condition. La technique puis la
                    technologie auront fait passer
                    un homme galvanisé par ses
                    succès du simple statut de
                    mortel à celui d’homme
                    omniscient, d’homme devin, et
                    bientôt d’homme immortel…
L’Homme-Omniscient




Grâce à la technique puis la technologie, l'omniscience n'est donc plus l'apanage des divinités : les technologies
de la communication permettent à l'homme d'être le témoin d'événements se déroulant à l'autre bout de la
planète, Facebook de pénétrer dans l'intimité d'inconnus, et chacun pourra bientôt compter sur les capacités des
futurs services de géolocalisation afin de surveiller les allées et venues de tout un chacun. Un seul clic de souris
nous sépare désormais d’un puits sans fond de données en tout genre (cf présentation sur l’infobésité), qui nous
font miroiter la possibilité de l’acquisition d’un savoir sans effort et infini.
L’Homme-Omniscient




Nul besoin donc de se
déplacer pour visiter un
lieu, le regard de
l’homme omniscient
embrasse l’ensemble de
la planète… et peut-être
bientôt l’intérieur même
de votre appartement !
Google Street View a en
effet lancé en Octobre
2011 un nouveau projet
visant à numériser
l’intérieur d’enseignes et
de magasins.
L’Homme-Omniscient




                      En Novembre 2011, Delta Airlines a
                      de son côté lancé une nouvelle
                      version de son application, enrichie
                      d’une option permettant de suivre
                      en temps réel les mouvements de
                      ses bagages. L’homme omniscient
                      dispose donc désormais d’yeux
                      partout, tout le temps, de tel sorte
                      qu’aucun de ses effets personnels ne
                      peut désormais échapper à sa
                      vigilance…

Photo : John Hinde
L’Homme-Omniscient




…et il en sera bientôt de même pour les personnes de son entourage, qu’il peut désormais suivre à la trace et espionner en temps réel.
Pris au jeu de l’omniscience, il vit avec une difficulté croissante l’idée de ne pas être au fait des moindres
gestes/discussions/déplacements des êtres qui lui sont chers, et cède à la tentation d’exercer une étroite surveillance des activités de
ces derniers. « Bienvenue dans l’enfer du couple 3.0 ! » titrait le mensuel Technikart en Juin 2011, alors qu’il énumérait des solutions
techniques dignes de romans d’espionnage et multipliait les anecdotes de couples obnubilés par les moindres faits et gestes de leur
conjoint. Jacques Attali, dans son livre « Une brève histoire de l’avenir » prophétise pour sa part que l’omniscience permise par la
technologie transformera à terme notre société en une société de l’hyper-surveillance. Sans en arriver à de tels extrêmes, force est de
constater qu’à force de persévérance technologique, l’omniscience n’est désormais plus l’apanage des dieux…
Le don d’ubiquité




                    Mais dans la course effrénée à la conquête des attributs
                    divins, l’homme galvanisé par ses succès n’en reste pas
                    là. Les smartphones, webcams et autres avatars en 3D
                    ont contribué à l'effondrement d'un autre mythe, celui
                    de l'ubiquité : chacun est ici et ailleurs en même temps,
                    se dédouble, avale des kilomètres sans même se
                    déplacer.
Le don d’ubiquité
En Juin 2011, les offices de tourismes de Toronto et de Montréal
ont crée l’événement en installant un mur d’écrans permettant aux
habitants des deux villes de s’observer en temps réel, à l’image
d’un Skype grandeur nature. Arpenter les rues de Montréal tout en
discutant avec un ami déambulant à Toronto le tout comme s’il
était à ses côtés pourrait bien constituer le quotidien de millions
de citadins dans un futur proche.
L’Homme-Devin
Mais il est un autre domaine que les efforts
technologiques auront contribué à désacraliser : le
futur. En effet, grâce à l'engouement toujours
plus grand que suscitent les algorithmes, l’avenir
ne fait plus partie intégrante du secret des Dieux :
nul besoin de déchiffrer des présages ou de
consulter un quelconque oracle afin d’en établir
une version approximative, l’homme peut
désormais le lire comme il le ferait avec un livre
ouvert. Au sein de son numéro de Novembre, le
magazine culturel Chronic’art prophétisait déjà
l’avènement d’une société de l’anticipation.
Chacune de nos décisions serait assistée par de
puissants algorithmes capables non seulement de
nous indiquer le meilleur choix possible, en
fonction de notre taille, genre, nombre d’animaux
de compagnie, couleur de brosse a dent et album
de Chantal Goya préféré, mais également
capables de compiler un nombre incalculable de
données apparemment hétéroclites afin d’en
extraire une vision de l’avenir. L’avènement de
cette société, on le comprend, est donc
étroitement corrélé au phénomène d’infobésité
déjà évoqué (ici), phénomène d’autant plus
malicieux qu’il organise la collecte anarchique
d’informations personnelles sous le prétexte
louable de mieux nous servir.
La jeunesse éternelle




         Il est également intéressant de constater qu’il n’est nul besoin aujourd’hui de vendre son âme
         au diable comme le Dorian Gray d'Oscar Wilde, ni de se plonger dans la fontaine de jouvence
         afin de combattre les signes du temps : la technique et les progrès scientifiques se chargent
         de défier chaque jour un peu plus les signes de l'âge et de démythifier progressivement
         l'accès à l'éternelle jeunesse.
La marque de cosmétique Kiehl’s va
La jeunesse éternelle   jusqu’à proposer un chocolat riche en
                        anti-oxydants comme remède au
                        vieillissement …




                                                                Photo : Kendrick Brinson
L’Homme-Immortel

Galvanisé par l’ensemble de ses succès,
l’apprenti Prométhée place donc ses espoirs
dans la techno-science et se lance dans un
ultime affront fait aux Dieux : la conquête de
l’immortalité. Certains très sérieux
scientifiques prophétisent en effet que grâce
aux avancées technologiques, l’homme de
2045 sera immortel. Or, cette immortalité ne
sera pas sans prix : elle se fera à la condition de
la fusion entre un corps fragile et une âme
mortelle d’un côté, et de l’autre la machine
devenue toute puissante. Aussi loufoque que
cette « théorie de la singularité » puisse
paraître, elle n’est pas considérée comme
relevant de la science-fiction : « il ne s’agit pas
d’une idée marginale, mais d’une hypothèse
sérieuse quant à l’avenir de notre vie sur terre
» explique le Time magazine dans un numéro
dédié au sujet.
La menace technologique?

  Or, pendant que certains se réjouissent de
  l’accumulation des conquêtes de cet homme
  devenu demi-Dieu, d’autres rappellent au monde
  le triste sort qu’a subi jadis un jeune Prométhée
  bien trop audacieux. Sherry Turckle, dans son livre
  « Alone Together: why we expect more from
  technology and less from each other » s’inquiète
  de notre rapport à la technologie et à la machine,
  et craint pour la survie et l’authenticité de nos
  rapports humains qui, bien que coûteux en
  émotions, demeurent d’une intensité sans
  pareille. Il est vrai que la littérature sur le thème
  du « retour de bâton » technologique ne manque
  pas : cyberdépendance, abrutissement (le bien
  connu « Is Google making us stupid ? » de
  Nicholas Carr ou encore cet article publié dans
  Science suggérant que l’infobésité supprime nos
  capacités cognitives de mémorisation), ou encore
  révolte des machines (le très actuel « Les
  androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » de
  Philipp K. Dick pourtant publié en 1966).
La menace technologique?
L’algorithme


               Toutefois, le but de cette présentation n’est pas
               d’abonder dans le sens d’une littérature déjà
               prolifique ; il est plutôt de mettre le doigt sur un
               phénomène d’autant plus pernicieux qu’il passe
               inaperçu : celui de l’anéantissement de
               « l ’humain » et de la vie par l’intermédiaire de la
               surenchère algorithmique. Paradoxe absolu,
               l’homme, devenu demi-Dieu promis aujourd’hui à
               l’immortalité serait donc menacé dans son
               essence même…

               Car qu’est-ce que la vie si ce n’est le contraire de
               l’algorithme, à savoir l’imprévisible, l’aléa, la
               chance mais aussi la décision volontaire, issue de
               l’expression d’un libre-arbitre en opposition avec
               une décision technologiquement imposée car
               jugée optimale ?
L’algorithme
Il est vrai que dans un contexte d’infobésité, nous
ne disposons ni du temps ni des capacités
cognitives nécessaires aux traitements de toutes
les informations pouvant concourir à la formation
d’une décision. La tentation est donc forte
d’optimiser automatiquement chacune d’elles :
c’est ainsi que les assistants personnels qui
décident pour nous, comme ce GPS qui nous
ordonne de tourner à droite, ces puces RFID qui
trient automatiquement nos déchets ou cette
voiture Google qui se conduit toute seule
promettent généreusement de libérer l’homme de
toute anxiété ressentie face à une infinité de choix
possibles. Gloire donc aux outils libérateurs qui
nous affranchissent de cette « fatigue
décisionnelle », concept théorisé par le
psychologue Roy F. Baumeister (voir ici le brillant
article du New York Times à ce sujet). Certains
entrevoient donc dans la systématisation
logarithmique un potentiel salut : Il nous sera
devenu inutile de décider le jour où des
algorithmes aux capacités d’analyse
démultipliées choisirons pour nous, en fonction
de nos goûts/historique de navigation/
affinités/type d’appartement/etc.
L’algorithme
Justbuythisone.com est un exemple éloquent de ce type de démarche. Lancé en Décembre 2010 par le site de
critiques « Reevoo », l’accroche de ce site est univoque : « des millions de produits, des centaines de magasins.
Trop de choix. Pourquoi ne pas abandonner le shopping et commencer à profiter de la vie ? ». L’ambition
affichée est de ne mettre en avant qu’un seul et unique produit par catégorie (aspirateurs, lave linge, appareil
photo…), celui que vous devez acheter. Deux millions de commentaires de consommateurs sous-tendent les
algorithmes qui conduisent à cette sélection jugée infaillible. (cliquer sur l’image afin d’accéder au site)
L’algorithme




La tentation est également forte d’investiguer le futur à l’avance et de s’assurer que l’erreur et l’errance seront bientôt les
reliques d’un temps révolu. Quoi de plus rassurant en effet qu’un avenir balisé, au sein duquel l’on est assuré de ne
croiser le chemin que de personnes qui nous ressemblent et que l’on appréciera, de ne consommer que des mets qui
satisferont nos papilles et de n’écouter que de la musique qui ravira nos oreilles? C’est le service que se propose de nous
rendre le moteur de recherche Google, par l’intermédiaire des filtres au travers desquels il dispense chaque résultat. Dans
son livre « The Filter Bubble », Eli Pariser explique qu’un ingénieur de la firme lui aurait avoué que les résultats du leader
des moteurs de recherches étaient conditionnés à l’aide de 57 paramètres officiels (localisation, marque d’ordinateur,
historique…) et 52 tenus secrets. Nous voici donc condamnés selon lui, par les effets pervers des algorithmes, à errer
dans une bulle qui réduit le champ de nos possibles.
Le courroux divin

La voici donc peut-être, cette vengeance
divine ? Car alors que l’humain peine à
transparaitre sous la rigidité et
l’infaillibilité de l’algorithme, c’est
l’Homme qui finalement se meurt tout
entier. Alors qu’il se hissait au sommet de
l’Olympe, l’homme est donc frappé par
une effroyable vérité : un demi-Dieu est
certes à moitié Dieu, mais il n’est plus
tout à fait homme. Car bien qu’en
apparence généreux et dévoués, ces outils
ne sont-ils donc pas une occasion perdue
de se perdre justement, et d’explorer un
nouveau champ de possibles ?


Cette métaphore questionne donc notre
rapport à la technologie, et permet
d’expliquer le besoin contemporain de
déconnexion ainsi que la volonté actuelle
de renouer avec « l’humain », à savoir le
faillible et l’imprévisible.
Face à l’algorithme, il apparaît progressivement logique de se
demander si l’homme se laissera si facilement déposséder de son
précieux libre-arbitre. Il est probable en effet qu’il souhaite          Le libre-arbitre
conserver le choix… d’avoir le choix. Après tout, la capacité à forger
des décisions ainsi que notre libre-arbitre ne constituent-ils pas les
éléments essentiels de notre condition humaine ? En construisant
des outils capables de décider à notre place, ne s’expose-t-on pas au
risque que les individus finissent par rejeter toute technologie
intelligente par peur de perdre leur souveraineté ?
La déconnexion




                                  OFF
Bien qu’émergent, le phénomène de déconnexion est aussi révélateur d’une société éprouvant le besoin intermittent de ralentir le
rythme, ainsi que de prendre ses distances vis à vis d’une technologie dont elle ne veut pas se faire l’esclave. Le but de cette démarche
est moins de nier les avantages apportés par ces outils que de nuancer notre dépendance vis à vis d’eux, dans le but de limiter les
distractions parasites afin de renouer avec soi.
Les innovations et phénomènes suivants témoignent du fait que la déconnexion n’est pas l’unique fait d’ascètes tibétains mais bien
d’une volonté qui tend à se démocratiser :
• Les Slow Cities : Segonzac en France bénéficie depuis 2010 du label « Cittaslow », récompensant ses efforts pour « re-prendre le temps
» à travers la promotion d’un mode de vie alternatif privilégiant la multiplication des espaces verts, le commerce de proximité ainsi que la
mise en place d'initiatives fortes en matière d'environnement (lien)
• The Idler est une revue qui promeut la procrastination comme art de vivre salutaire (lien)
• Le Mountain Sky Guest Ranch, situé dans le Montana, ne bénéficie pas de la couverture réseaux des opérateurs téléphoniques. Mais il a
su tirer partie de ce handicap en se positionnant comme un havre de paix permettant aux familles de se retrouver et de se ressourcer.
• Le Six Senses Destination Spa, situé au Nord de Phuket n’autorise aucun ordinateur ni téléphone mobile dans les lieux communs (lien)
La déconnexion
En 2011, 10,5% des inscrits en France auront choisi de faire une
croix sur le réseau social Facebook. « Finalement, le plus cool c’est        La déconnexion
de ne pas être sur les réseaux sociaux! » s’amusent les comiques
américains Dan de Lorenzo et Ben Stumpf, auteur de la parodie « a
Man without a Facebook » (cliquer sur la vidéo afin de la lancer,
cliquer ici afin de découvrir l’excellent article de Stratégies au sujet
de ces égarés des réseaux sociaux, les « No Names »)                         A Man
                                                                           without a
                                                                           Facebook
La déconnexion
Dans le but de promouvoir l’ergonomie du Windows Phone
HTC Mondrian, Microsoft a lancé en 2010 une campagne
invitant à la déconnexion, y faisant se succéder des
situations ridicules peuplées d’individus aux yeux rivés sur
leurs mobiles. Paradoxalement, c’est ici la technologie qui
vient au secours de ces « techno goujats » obnubilés par
leurs prothèses technologiques : en délivrant des
notifications directement sur sa page d’accueil, ce nouveau
mobile leur permet d’être informé de l’essentiel en un seul
coup d’œil, et d’ainsi renouer avec un semblant de vie
sociale (lien).
La sérendipité

    Mais l’autre effet pervers de l’algorithme réside dans sa
    perfection et dans sa rationalité, qui promet de nous
    éloigner chaque jour un peu plus du chaos de l’aléa…
    qui pourtant fait notre humanité. Or, si depuis le début
    de mon existence chacune de mes décisions avaient été
    assistées par des algorithmes rationnalisant des milliers




?
    de données, en serais-je là aujourd’hui ? Probablement
    pas. Aurais-je été plus heureuse ? Probablement pas non
    plus, voire peut-être moins, dans la mesure où
    l’excitation de la découverte hasardeuse m’aurait été
    niée.

    Ainsi s’explique probablement le regain d’intérêt récent
    pour la « sérendipité », phénomène qui puise son
    origine linguistique dans un conte persan du 16ème
    siècle, « les trois princes de Serendip ». L’histoire de ces
    trois princes qui multiplient les découvertes hasardeuses
    aura inspiré deux siècles plus tard Horace Walpole, qui
    utilisa alors le terme de sérendipité pour désigner la
    découverte fortuite d’une chose alors que l’on est
    occupé à en chercher une autre.
La sérendipité




Quid donc de cette sérendipité dans cette post-modernité algorithmiquement assistée ?
Force est de constater que la foi en la toute puissance algorithmique lui aura mené la vie dure. La rencontre
amoureuse, pourtant dernier bastion des défenseurs du hasard et de sa magie, est elle aussi soumise désormais à
une rationalisation imparable. Exit le prince charmant et son cheval blanc : votre prochain amoureux vous sera livré
directement par e-mail, et vous serez assurée, grâce à son score de 150 au « test de compatibilité » avec votre
personnalité, de vous épargner bien des malentendus.

Cependant, une récente étude menée par des psychologues américains (lien) révèle que les algorithmes des sites de
rencontre tels que eHarmony, Match.com ou OKCupid ne surpassent en rien la véritable rencontre, et que les
algorithmes sont inopérants lorsqu’il s’agit de prédire des affinités entre personnes…
Cette étude constituerait-elle un appel du pied des défenseurs de la sérendipité ?
La sérendipité

Car ils sont probablement bien plus nombreux qu’on ne le croit, ces fameux défenseurs de la sérendipité :
une récente étude (lien) a révélé que 45.4% des internautes étaient en défaveur de la personnalisation de
leurs résultats par leur moteur de recherche en fonction de leurs historiques ou activités sur les réseaux
sociaux. Il n’est donc pas étonnant que l’agence JWT ait fait de la redécouverte du hasard l’une de ces 10
tendances pour 2012 (voir la présentation ici)



Lors d’une brillante conférence pour
TED, Lenny Rachitsky explique en quoi
la sérendipité est un concept
essentiel à placer au centre de notre
organisation actuelle du net. Il y
évoque d’intéressantes pistes de
réflexion, telle qu’un nouveau moteur
de recherche Google qui renverrait
des résultats au hasard – ce même
« Serendipity Engine » évoqué par Ed
Chi, un des chercheurs de la firme
dans un récent numéro du trimestriel
de Google, « Think Quarterly ».
(cliquer sur la vidéo afin de la lancer)
La sérendipité
Dan Cottrell, jeune diplômée de l’école d’art
et de design de Chelsea a crée pour sa part
« AWOL » (lien), un plan conçu dans
l’unique but de permettre à ses utilisateurs
de… se perdre. La démarche est d’autant
plus intéressante qu’elle propose une série
de « promenades algorithmiques »,
l’algorithme désignant ici un ensemble de
tracés géométriques permettant une
exploration aussi enrichissante que
rassurante, le marcheur étant assuré de
revenir à son point de départ. L’algorithme
est donc utilisé ici comme pourvoyeur de
sérendipité, et non l’inverse…

L’application mobile « Serendipitor » est une
excellente application digitale de ce modèle
de sérendipité comme vecteur d’exploration
: au lieu d’utiliser les données de
localisation de l’utilisateur afin de lui
indiquer le chemin optimum afin de joindre
un point A à un point B, elle trace un
itinéraire au hasard afin de favoriser
rencontres inattendues et découvertes.
(lien)
La sérendipité



Dans la même idée de valorisation du hasard,
notanotherbill.com est un site internet (lien) proposant
de vous envoyer, moyennant une souscription mensuelle,
une surprise différente chaque mois, en lieu et place de
vos traditionnelles factures. Chaque cadeau est
soigneusement sélectionné, et permet de découvrir
chaque mois un nouvel artiste, concept, designer etc.
En guise de conclusion…

Les exemples précédents sont donc révélateurs
d’une volonté émergente de réaffirmer notre
humanité en opposition à la rigidité de
l’algorithme, et de renouer avec le hasard, la
chance, bref : la vie. Car si l’algorithme est une
arme précieuse qui nous concède un avantage au
sein de notre rivalité avec les divinités, il n’en
demeure pas moins une arme… susceptible de se
retourner contre nous.

Plus largement et en guise de conclusion,
réjouissons-nous donc d’être parvenu à repousser
si loin nos limites de mortels, mais méfions-nous
de ne pas perdre, au sein de notre foi aveugle en
la technologie et ses progrès, notre humanité. Car
il ne s’agit pas là de potentielle révolte robotique à
la source de notre anéantissement, mais bel et
bien de façon de concevoir la vie à un niveau plus
philosophique : nous cesserons d’être humains
non pas le jour où nous serons véritablement
immortels, mais tout simplement le jour où nous
rayerons le hasard du champ des possibles.
Pour aller plus loin
                                      Le secret des dieux
                                      • La mort, la technologie et le mythe – Influencia (lien)
                                      • 2045 : the year man becomes immortal – Time (lien)




Déconnexion
• Social Media “Indigestion”, a tipping point in communications
– Social Media Today (lien)
• The myth of the disconnected life – The Altlantic (lien)




                            Sérendipité
                            • The modern matchmakers, The Economist (lien)
                            • Recherche sérendipité désespérement, OWNI (lien)
Contact




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La fin de l'humain (l'algorithme m'a tuer)

  • 1. La fin de l’humain? Que l’on se rassure, cette présentation n’a rien à voir avec une quelconque prophétie sur la potentielle survenue d’un événement dévastateur qui mettrait fin à notre humanité. Ces réflexions concernent davantage une fin de l’humain plus pernicieuse, car moins spectaculaire, mais aux conséquences bien réelles : celle de la négation progressive du libre-arbitre souverain et du hasard au profit de l’illusion de se convertir en une divinité technologiquement assistée. Car si la technologie nous seconde dans bien des domaines, nous rend omniscients, devins et nous transforme en demi-dieux potentiellement immortels, ne perdons-nous pas, au sein de cette foi en l’algorithme, la foi en l’Homme, cet être par définition faillible et limité? Cette foi en la technologie comme remède à nos failles bien humaines puise ses racines dans une volonté séculaire on ne peut plus naturelle de dépassement de notre condition limitée de mortel. Mais au fur et à mesure que la technologie seconde nos vies émerge le paradoxe suivant : plus nous nous arrachons à cette condition et plus nous perdons de vue la spécificité de l’humain, qui, bien que contrastant avec des capacités divines/technologiques infinies, constitue notre essence profonde.
  • 2. Le secret des Dieux Mais rembobinons donc un peu. Si l’homme a été si prompt à embrasser la technologie comme moyen de son émancipation, c’est parce qu’il se révolte depuis des siècles contre sa propre condition qu’il juge limitée ; son statut de mortel aura probablement cristallisé l’ensemble de ses frustrations et nourri au fil des siècles sa volonté de dépassement de soi. Rebelle, il aura déployé une multitude de stratagèmes afin de s’en accommoder, apprivoiser sa peur de la fin, voire nier sa finitude. Or, bien que la religion soulage ses fidèles en leur apportant la garantie de l’existence d’un « après », l’homme demeure motivé par cette volonté impérieuse de rivaliser avec les divinités afin de percer le secret de leur immortalité. Ainsi, s’il leur envie leurs dons d’omniscience ou encore d’ubiquité, c’est aussi parce qu’ils sont symptomatiques de la figure divine par essence immortelle…
  • 3. Le secret des Dieux C'est ainsi que la mythologie est pleine de cette volonté de dépasser la condition humaine originelle… mais Icare s'y brûle les ailes et l'audace de Prométhée, voleur du feu sacré de la connaissance, est sévèrement punie.
  • 4. Le secret des Dieux Au fil de l'évolution des sociétés, ce désir prend des formes distinctes mais demeure un pilier fondateur. L'acharnement avec lequel l'homme s'évertue à conquérir la jeunesse éternelle n'est-il pas une preuve supplémentaire de cette volonté de repousser la vieillesse afin de nier la mort? Il suffit de considérer la survalorisation de l’enfance (pub Evian), la difficulté de quitter le cocon familial (phénomène des Boomerang Kids) ou encore la vague des rétromaniaques : la fuite vers un temps révolu ne cache-t-elle pas une course effrénée à rebours qui nous libérerait du futur et donc de la fin ?
  • 5. L’allié technique Or, dans sa quête de dépassement de soi, l’homme aura su trouver sur son chemin un puissant allié. En volant le feu sacré, Prométhée aura suscité le courroux des Dieux ; mais la sévérité avec laquelle il est puni a moins à voir avec l'audace dont il aura fait preuve qu'avec la possibilité désormais faite aux hommes de disposer de la technique, future condition de son élévation au rang de demi- Dieu. Déjà homme volant grâce aux progrès de l’aviation, l’homme n’a donc de cesse de repousser les limites de sa condition. La technique puis la technologie auront fait passer un homme galvanisé par ses succès du simple statut de mortel à celui d’homme omniscient, d’homme devin, et bientôt d’homme immortel…
  • 6. L’Homme-Omniscient Grâce à la technique puis la technologie, l'omniscience n'est donc plus l'apanage des divinités : les technologies de la communication permettent à l'homme d'être le témoin d'événements se déroulant à l'autre bout de la planète, Facebook de pénétrer dans l'intimité d'inconnus, et chacun pourra bientôt compter sur les capacités des futurs services de géolocalisation afin de surveiller les allées et venues de tout un chacun. Un seul clic de souris nous sépare désormais d’un puits sans fond de données en tout genre (cf présentation sur l’infobésité), qui nous font miroiter la possibilité de l’acquisition d’un savoir sans effort et infini.
  • 7. L’Homme-Omniscient Nul besoin donc de se déplacer pour visiter un lieu, le regard de l’homme omniscient embrasse l’ensemble de la planète… et peut-être bientôt l’intérieur même de votre appartement ! Google Street View a en effet lancé en Octobre 2011 un nouveau projet visant à numériser l’intérieur d’enseignes et de magasins.
  • 8. L’Homme-Omniscient En Novembre 2011, Delta Airlines a de son côté lancé une nouvelle version de son application, enrichie d’une option permettant de suivre en temps réel les mouvements de ses bagages. L’homme omniscient dispose donc désormais d’yeux partout, tout le temps, de tel sorte qu’aucun de ses effets personnels ne peut désormais échapper à sa vigilance… Photo : John Hinde
  • 9. L’Homme-Omniscient …et il en sera bientôt de même pour les personnes de son entourage, qu’il peut désormais suivre à la trace et espionner en temps réel. Pris au jeu de l’omniscience, il vit avec une difficulté croissante l’idée de ne pas être au fait des moindres gestes/discussions/déplacements des êtres qui lui sont chers, et cède à la tentation d’exercer une étroite surveillance des activités de ces derniers. « Bienvenue dans l’enfer du couple 3.0 ! » titrait le mensuel Technikart en Juin 2011, alors qu’il énumérait des solutions techniques dignes de romans d’espionnage et multipliait les anecdotes de couples obnubilés par les moindres faits et gestes de leur conjoint. Jacques Attali, dans son livre « Une brève histoire de l’avenir » prophétise pour sa part que l’omniscience permise par la technologie transformera à terme notre société en une société de l’hyper-surveillance. Sans en arriver à de tels extrêmes, force est de constater qu’à force de persévérance technologique, l’omniscience n’est désormais plus l’apanage des dieux…
  • 10. Le don d’ubiquité Mais dans la course effrénée à la conquête des attributs divins, l’homme galvanisé par ses succès n’en reste pas là. Les smartphones, webcams et autres avatars en 3D ont contribué à l'effondrement d'un autre mythe, celui de l'ubiquité : chacun est ici et ailleurs en même temps, se dédouble, avale des kilomètres sans même se déplacer.
  • 11. Le don d’ubiquité En Juin 2011, les offices de tourismes de Toronto et de Montréal ont crée l’événement en installant un mur d’écrans permettant aux habitants des deux villes de s’observer en temps réel, à l’image d’un Skype grandeur nature. Arpenter les rues de Montréal tout en discutant avec un ami déambulant à Toronto le tout comme s’il était à ses côtés pourrait bien constituer le quotidien de millions de citadins dans un futur proche.
  • 12. L’Homme-Devin Mais il est un autre domaine que les efforts technologiques auront contribué à désacraliser : le futur. En effet, grâce à l'engouement toujours plus grand que suscitent les algorithmes, l’avenir ne fait plus partie intégrante du secret des Dieux : nul besoin de déchiffrer des présages ou de consulter un quelconque oracle afin d’en établir une version approximative, l’homme peut désormais le lire comme il le ferait avec un livre ouvert. Au sein de son numéro de Novembre, le magazine culturel Chronic’art prophétisait déjà l’avènement d’une société de l’anticipation. Chacune de nos décisions serait assistée par de puissants algorithmes capables non seulement de nous indiquer le meilleur choix possible, en fonction de notre taille, genre, nombre d’animaux de compagnie, couleur de brosse a dent et album de Chantal Goya préféré, mais également capables de compiler un nombre incalculable de données apparemment hétéroclites afin d’en extraire une vision de l’avenir. L’avènement de cette société, on le comprend, est donc étroitement corrélé au phénomène d’infobésité déjà évoqué (ici), phénomène d’autant plus malicieux qu’il organise la collecte anarchique d’informations personnelles sous le prétexte louable de mieux nous servir.
  • 13. La jeunesse éternelle Il est également intéressant de constater qu’il n’est nul besoin aujourd’hui de vendre son âme au diable comme le Dorian Gray d'Oscar Wilde, ni de se plonger dans la fontaine de jouvence afin de combattre les signes du temps : la technique et les progrès scientifiques se chargent de défier chaque jour un peu plus les signes de l'âge et de démythifier progressivement l'accès à l'éternelle jeunesse.
  • 14. La marque de cosmétique Kiehl’s va La jeunesse éternelle jusqu’à proposer un chocolat riche en anti-oxydants comme remède au vieillissement … Photo : Kendrick Brinson
  • 15. L’Homme-Immortel Galvanisé par l’ensemble de ses succès, l’apprenti Prométhée place donc ses espoirs dans la techno-science et se lance dans un ultime affront fait aux Dieux : la conquête de l’immortalité. Certains très sérieux scientifiques prophétisent en effet que grâce aux avancées technologiques, l’homme de 2045 sera immortel. Or, cette immortalité ne sera pas sans prix : elle se fera à la condition de la fusion entre un corps fragile et une âme mortelle d’un côté, et de l’autre la machine devenue toute puissante. Aussi loufoque que cette « théorie de la singularité » puisse paraître, elle n’est pas considérée comme relevant de la science-fiction : « il ne s’agit pas d’une idée marginale, mais d’une hypothèse sérieuse quant à l’avenir de notre vie sur terre » explique le Time magazine dans un numéro dédié au sujet.
  • 16. La menace technologique? Or, pendant que certains se réjouissent de l’accumulation des conquêtes de cet homme devenu demi-Dieu, d’autres rappellent au monde le triste sort qu’a subi jadis un jeune Prométhée bien trop audacieux. Sherry Turckle, dans son livre « Alone Together: why we expect more from technology and less from each other » s’inquiète de notre rapport à la technologie et à la machine, et craint pour la survie et l’authenticité de nos rapports humains qui, bien que coûteux en émotions, demeurent d’une intensité sans pareille. Il est vrai que la littérature sur le thème du « retour de bâton » technologique ne manque pas : cyberdépendance, abrutissement (le bien connu « Is Google making us stupid ? » de Nicholas Carr ou encore cet article publié dans Science suggérant que l’infobésité supprime nos capacités cognitives de mémorisation), ou encore révolte des machines (le très actuel « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » de Philipp K. Dick pourtant publié en 1966).
  • 18. L’algorithme Toutefois, le but de cette présentation n’est pas d’abonder dans le sens d’une littérature déjà prolifique ; il est plutôt de mettre le doigt sur un phénomène d’autant plus pernicieux qu’il passe inaperçu : celui de l’anéantissement de « l ’humain » et de la vie par l’intermédiaire de la surenchère algorithmique. Paradoxe absolu, l’homme, devenu demi-Dieu promis aujourd’hui à l’immortalité serait donc menacé dans son essence même… Car qu’est-ce que la vie si ce n’est le contraire de l’algorithme, à savoir l’imprévisible, l’aléa, la chance mais aussi la décision volontaire, issue de l’expression d’un libre-arbitre en opposition avec une décision technologiquement imposée car jugée optimale ?
  • 19. L’algorithme Il est vrai que dans un contexte d’infobésité, nous ne disposons ni du temps ni des capacités cognitives nécessaires aux traitements de toutes les informations pouvant concourir à la formation d’une décision. La tentation est donc forte d’optimiser automatiquement chacune d’elles : c’est ainsi que les assistants personnels qui décident pour nous, comme ce GPS qui nous ordonne de tourner à droite, ces puces RFID qui trient automatiquement nos déchets ou cette voiture Google qui se conduit toute seule promettent généreusement de libérer l’homme de toute anxiété ressentie face à une infinité de choix possibles. Gloire donc aux outils libérateurs qui nous affranchissent de cette « fatigue décisionnelle », concept théorisé par le psychologue Roy F. Baumeister (voir ici le brillant article du New York Times à ce sujet). Certains entrevoient donc dans la systématisation logarithmique un potentiel salut : Il nous sera devenu inutile de décider le jour où des algorithmes aux capacités d’analyse démultipliées choisirons pour nous, en fonction de nos goûts/historique de navigation/ affinités/type d’appartement/etc.
  • 20. L’algorithme Justbuythisone.com est un exemple éloquent de ce type de démarche. Lancé en Décembre 2010 par le site de critiques « Reevoo », l’accroche de ce site est univoque : « des millions de produits, des centaines de magasins. Trop de choix. Pourquoi ne pas abandonner le shopping et commencer à profiter de la vie ? ». L’ambition affichée est de ne mettre en avant qu’un seul et unique produit par catégorie (aspirateurs, lave linge, appareil photo…), celui que vous devez acheter. Deux millions de commentaires de consommateurs sous-tendent les algorithmes qui conduisent à cette sélection jugée infaillible. (cliquer sur l’image afin d’accéder au site)
  • 21. L’algorithme La tentation est également forte d’investiguer le futur à l’avance et de s’assurer que l’erreur et l’errance seront bientôt les reliques d’un temps révolu. Quoi de plus rassurant en effet qu’un avenir balisé, au sein duquel l’on est assuré de ne croiser le chemin que de personnes qui nous ressemblent et que l’on appréciera, de ne consommer que des mets qui satisferont nos papilles et de n’écouter que de la musique qui ravira nos oreilles? C’est le service que se propose de nous rendre le moteur de recherche Google, par l’intermédiaire des filtres au travers desquels il dispense chaque résultat. Dans son livre « The Filter Bubble », Eli Pariser explique qu’un ingénieur de la firme lui aurait avoué que les résultats du leader des moteurs de recherches étaient conditionnés à l’aide de 57 paramètres officiels (localisation, marque d’ordinateur, historique…) et 52 tenus secrets. Nous voici donc condamnés selon lui, par les effets pervers des algorithmes, à errer dans une bulle qui réduit le champ de nos possibles.
  • 22. Le courroux divin La voici donc peut-être, cette vengeance divine ? Car alors que l’humain peine à transparaitre sous la rigidité et l’infaillibilité de l’algorithme, c’est l’Homme qui finalement se meurt tout entier. Alors qu’il se hissait au sommet de l’Olympe, l’homme est donc frappé par une effroyable vérité : un demi-Dieu est certes à moitié Dieu, mais il n’est plus tout à fait homme. Car bien qu’en apparence généreux et dévoués, ces outils ne sont-ils donc pas une occasion perdue de se perdre justement, et d’explorer un nouveau champ de possibles ? Cette métaphore questionne donc notre rapport à la technologie, et permet d’expliquer le besoin contemporain de déconnexion ainsi que la volonté actuelle de renouer avec « l’humain », à savoir le faillible et l’imprévisible.
  • 23. Face à l’algorithme, il apparaît progressivement logique de se demander si l’homme se laissera si facilement déposséder de son précieux libre-arbitre. Il est probable en effet qu’il souhaite Le libre-arbitre conserver le choix… d’avoir le choix. Après tout, la capacité à forger des décisions ainsi que notre libre-arbitre ne constituent-ils pas les éléments essentiels de notre condition humaine ? En construisant des outils capables de décider à notre place, ne s’expose-t-on pas au risque que les individus finissent par rejeter toute technologie intelligente par peur de perdre leur souveraineté ?
  • 24. La déconnexion OFF Bien qu’émergent, le phénomène de déconnexion est aussi révélateur d’une société éprouvant le besoin intermittent de ralentir le rythme, ainsi que de prendre ses distances vis à vis d’une technologie dont elle ne veut pas se faire l’esclave. Le but de cette démarche est moins de nier les avantages apportés par ces outils que de nuancer notre dépendance vis à vis d’eux, dans le but de limiter les distractions parasites afin de renouer avec soi. Les innovations et phénomènes suivants témoignent du fait que la déconnexion n’est pas l’unique fait d’ascètes tibétains mais bien d’une volonté qui tend à se démocratiser : • Les Slow Cities : Segonzac en France bénéficie depuis 2010 du label « Cittaslow », récompensant ses efforts pour « re-prendre le temps » à travers la promotion d’un mode de vie alternatif privilégiant la multiplication des espaces verts, le commerce de proximité ainsi que la mise en place d'initiatives fortes en matière d'environnement (lien) • The Idler est une revue qui promeut la procrastination comme art de vivre salutaire (lien) • Le Mountain Sky Guest Ranch, situé dans le Montana, ne bénéficie pas de la couverture réseaux des opérateurs téléphoniques. Mais il a su tirer partie de ce handicap en se positionnant comme un havre de paix permettant aux familles de se retrouver et de se ressourcer. • Le Six Senses Destination Spa, situé au Nord de Phuket n’autorise aucun ordinateur ni téléphone mobile dans les lieux communs (lien)
  • 26. En 2011, 10,5% des inscrits en France auront choisi de faire une croix sur le réseau social Facebook. « Finalement, le plus cool c’est La déconnexion de ne pas être sur les réseaux sociaux! » s’amusent les comiques américains Dan de Lorenzo et Ben Stumpf, auteur de la parodie « a Man without a Facebook » (cliquer sur la vidéo afin de la lancer, cliquer ici afin de découvrir l’excellent article de Stratégies au sujet de ces égarés des réseaux sociaux, les « No Names ») A Man without a Facebook
  • 27. La déconnexion Dans le but de promouvoir l’ergonomie du Windows Phone HTC Mondrian, Microsoft a lancé en 2010 une campagne invitant à la déconnexion, y faisant se succéder des situations ridicules peuplées d’individus aux yeux rivés sur leurs mobiles. Paradoxalement, c’est ici la technologie qui vient au secours de ces « techno goujats » obnubilés par leurs prothèses technologiques : en délivrant des notifications directement sur sa page d’accueil, ce nouveau mobile leur permet d’être informé de l’essentiel en un seul coup d’œil, et d’ainsi renouer avec un semblant de vie sociale (lien).
  • 28. La sérendipité Mais l’autre effet pervers de l’algorithme réside dans sa perfection et dans sa rationalité, qui promet de nous éloigner chaque jour un peu plus du chaos de l’aléa… qui pourtant fait notre humanité. Or, si depuis le début de mon existence chacune de mes décisions avaient été assistées par des algorithmes rationnalisant des milliers ? de données, en serais-je là aujourd’hui ? Probablement pas. Aurais-je été plus heureuse ? Probablement pas non plus, voire peut-être moins, dans la mesure où l’excitation de la découverte hasardeuse m’aurait été niée. Ainsi s’explique probablement le regain d’intérêt récent pour la « sérendipité », phénomène qui puise son origine linguistique dans un conte persan du 16ème siècle, « les trois princes de Serendip ». L’histoire de ces trois princes qui multiplient les découvertes hasardeuses aura inspiré deux siècles plus tard Horace Walpole, qui utilisa alors le terme de sérendipité pour désigner la découverte fortuite d’une chose alors que l’on est occupé à en chercher une autre.
  • 29. La sérendipité Quid donc de cette sérendipité dans cette post-modernité algorithmiquement assistée ? Force est de constater que la foi en la toute puissance algorithmique lui aura mené la vie dure. La rencontre amoureuse, pourtant dernier bastion des défenseurs du hasard et de sa magie, est elle aussi soumise désormais à une rationalisation imparable. Exit le prince charmant et son cheval blanc : votre prochain amoureux vous sera livré directement par e-mail, et vous serez assurée, grâce à son score de 150 au « test de compatibilité » avec votre personnalité, de vous épargner bien des malentendus. Cependant, une récente étude menée par des psychologues américains (lien) révèle que les algorithmes des sites de rencontre tels que eHarmony, Match.com ou OKCupid ne surpassent en rien la véritable rencontre, et que les algorithmes sont inopérants lorsqu’il s’agit de prédire des affinités entre personnes… Cette étude constituerait-elle un appel du pied des défenseurs de la sérendipité ?
  • 30. La sérendipité Car ils sont probablement bien plus nombreux qu’on ne le croit, ces fameux défenseurs de la sérendipité : une récente étude (lien) a révélé que 45.4% des internautes étaient en défaveur de la personnalisation de leurs résultats par leur moteur de recherche en fonction de leurs historiques ou activités sur les réseaux sociaux. Il n’est donc pas étonnant que l’agence JWT ait fait de la redécouverte du hasard l’une de ces 10 tendances pour 2012 (voir la présentation ici) Lors d’une brillante conférence pour TED, Lenny Rachitsky explique en quoi la sérendipité est un concept essentiel à placer au centre de notre organisation actuelle du net. Il y évoque d’intéressantes pistes de réflexion, telle qu’un nouveau moteur de recherche Google qui renverrait des résultats au hasard – ce même « Serendipity Engine » évoqué par Ed Chi, un des chercheurs de la firme dans un récent numéro du trimestriel de Google, « Think Quarterly ». (cliquer sur la vidéo afin de la lancer)
  • 31. La sérendipité Dan Cottrell, jeune diplômée de l’école d’art et de design de Chelsea a crée pour sa part « AWOL » (lien), un plan conçu dans l’unique but de permettre à ses utilisateurs de… se perdre. La démarche est d’autant plus intéressante qu’elle propose une série de « promenades algorithmiques », l’algorithme désignant ici un ensemble de tracés géométriques permettant une exploration aussi enrichissante que rassurante, le marcheur étant assuré de revenir à son point de départ. L’algorithme est donc utilisé ici comme pourvoyeur de sérendipité, et non l’inverse… L’application mobile « Serendipitor » est une excellente application digitale de ce modèle de sérendipité comme vecteur d’exploration : au lieu d’utiliser les données de localisation de l’utilisateur afin de lui indiquer le chemin optimum afin de joindre un point A à un point B, elle trace un itinéraire au hasard afin de favoriser rencontres inattendues et découvertes. (lien)
  • 32. La sérendipité Dans la même idée de valorisation du hasard, notanotherbill.com est un site internet (lien) proposant de vous envoyer, moyennant une souscription mensuelle, une surprise différente chaque mois, en lieu et place de vos traditionnelles factures. Chaque cadeau est soigneusement sélectionné, et permet de découvrir chaque mois un nouvel artiste, concept, designer etc.
  • 33. En guise de conclusion… Les exemples précédents sont donc révélateurs d’une volonté émergente de réaffirmer notre humanité en opposition à la rigidité de l’algorithme, et de renouer avec le hasard, la chance, bref : la vie. Car si l’algorithme est une arme précieuse qui nous concède un avantage au sein de notre rivalité avec les divinités, il n’en demeure pas moins une arme… susceptible de se retourner contre nous. Plus largement et en guise de conclusion, réjouissons-nous donc d’être parvenu à repousser si loin nos limites de mortels, mais méfions-nous de ne pas perdre, au sein de notre foi aveugle en la technologie et ses progrès, notre humanité. Car il ne s’agit pas là de potentielle révolte robotique à la source de notre anéantissement, mais bel et bien de façon de concevoir la vie à un niveau plus philosophique : nous cesserons d’être humains non pas le jour où nous serons véritablement immortels, mais tout simplement le jour où nous rayerons le hasard du champ des possibles.
  • 34. Pour aller plus loin Le secret des dieux • La mort, la technologie et le mythe – Influencia (lien) • 2045 : the year man becomes immortal – Time (lien) Déconnexion • Social Media “Indigestion”, a tipping point in communications – Social Media Today (lien) • The myth of the disconnected life – The Altlantic (lien) Sérendipité • The modern matchmakers, The Economist (lien) • Recherche sérendipité désespérement, OWNI (lien)
  • 35. Contact E-mail : trendcancan@gmail.com Twitter : @trendcancan Blog : http://trendcancan.wordpress.com LinkedIn : http://uk.linkedin.com/in/benedicteibert Bénédicte Ibert