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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
               FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE
                     ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE




         DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS
      UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA

 (DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS, DANS LE
       CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006)




Promoteur :                                  Mémoire présenté en
Dan Kaminski                                 vue de l’obtention du
                                             grade de Master en
                                             Criminologie


                                             par Marco Aurélio
                                             BASTOS DE MACEDO




                    Louvain-la-Neuve, août 2011
2




                UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
               FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE
                     ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE




         DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS
      UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA

 (DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS, DANS LE
       CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006)




Promoteur :                                   Mémoire présenté en
Dan Kaminski                                  vue de l’obtention du
                                              grade de Master en
                                              Criminologie


                                              par Marco Aurélio
                                              BASTOS DE MACEDO




                     Louvain-la-Neuve, août 2011
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                    A Josi, cette femme « addictive »
qui me conduit tous les jours à l’overdose de bonheur
4



                                                  Je tiens à remercier…

                       … Riccardo, pour tout (il n’y a pas de place pour tout dire
                                 et je ne trouve pas de mots pour le remercier)
 … Dan, mon promoteur (et psychologue !), pour la liberté presque dangereuse
 avec laquelle il m’a laissé conduire cette recherche, tout en m’encourageant et
                             en me soutenant pendant les crises et les angoisses
                                     avec des commentaires toujours très sages
  … mes parents, Inês et Eduardo, pour leur soutien ; sans eux, cette idée folle
                         de venir étudier en Belgique resterait encore un rêve
… ma sœur Mariana et mon frère Augusto, pour avoir compris mes absences et
      supporté ma mauvaise humeur pendant la période d’écriture de ce texte
     … Celso, Felipe, Lorena, João, Leonardo, Maria José, Pollyanna, Tatiana,
                Thaiane, Thays, Renato et les autres membres du Groupe de
                         Recherche en Criminologie, où tout cela a commencé
            … Mme Jeanine Zaorsky-Bedynek, pour l’attention et la gentillesse
                                  qu’elle a toujours montrées à mon égard
                       … Alvaro Pires, pour les contributions directes et surtout
                                        indirectes qu’il a apportées à ce travail
          … Joao et Celso, pour les discussions interminables et la compagnie
                            chaleureuse pendant le (très) froid hiver canadien
                … tou(te)s les collègues du Master en Criminologie et de l’UCL
         … Mariana Raupp, Camille Dessurault, Louis-Philippe, Carmen Fullin,
                     José Roberto Xavier, et tout(es) les ami(e)s du Canada
            … Sergio Giorgi, Nathalie Alessi, Mylène Schiltz, Jonathan Samyn,
                   Karen Bähr, Virginie De Baeremaecker, Laurianne Dewale
                                            et tou(te)s les ami(e)s de Belgique
          … Maria Victoria, François Houtart, François Polet, Bernard Duterme,
                              Laurent Delcourt et tou(te)s les ami(e)s du CETRI
    ... Jamile, Verena, Manu, Kiko, Jhon, Paulo, Cândido, Lilian, Rodrigo, Eder,
             Monique, Lívia, Núbia, Larissa, Mirna et tou(te)s les ami(e)s que j’ai
                     au Brésil, pour m’avoir accompagné, chacun(e) à sa façon,
                                        dans cette aventure en terres étrangères
                      ...les compagnons du PSOL, pour me faire (encore) croire
                                  que l’on peut (et l’on doit) changer les choses,
                                                                         et, enfin,
                          …les drogues prises pour la réalisation de ce travail,
                                           notamment la caféine et la ritaline
(heureusement, l’épreuve académique ne soumet pas au test contre le dopage)
5




« Nous sommes voués historiquement à l’histoire, à la patiente construction de
        discours sur les discours, à la tâche d’entendre ce qui a déjà été dit. »

                                    Michel Foucault - Naissance de la clinique.
6



                       TABLE DES MATIÈRES


INTRODUCTION                                                            8


PREMIÈRE PARTIE
Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la
                                                         13
construction d’une recherche

1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE
                                                                        13
DES LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS

2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE...                         18


3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE                                        22


4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES                                          26
4.1. La récolte des données                                             26
4.2. L’analyse des données                                              30


DEUXIÈME PARTIE
Les débats parlementaires : positions politiques, regards
                                                          33
sur les drogues et discours justificatifs
1. LES POSITIONS PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE L’USAGE DE
DROGUES                                                                 34
1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de
la criminalisation »                                                    34
1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes »                           34
1.1.2. Les discours « prohibitionnistes »                               36
1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de
l’emprisonnement »                                                      38
1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation »                           38
1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement »                              41
7



2. LES DIFFÉRENTES FAÇONS DE CONSTRUIRE L’USAGE DE
DROGUES COMME UN PROBLÈME                                                45
2.1. Les représentations du problème                                     46
2.1.1. Les représentations des drogues                                   46
2.1.2. Les représentations de l’usage de drogues                         48
2.2. Les perceptions de l’usager de drogues                              54
2.2.1. Les mots utilisés pour désigner l’usager de drogues               54
2.2.2. Les affirmations positives : « l’usager de drogues est… »         55
2.2.3. Les affirmations négatives : « l’usager de drogues n’est pas… »   57


3. TROIS MANIÈRES DE TRAITER LA PROBLÉMATIQUE DE L’USAGE
DE DROGUES                                                               59
3.1. Le regard « manichéen »                                             61
3.2. Le regard « médical »                                               65
3.3. Le regard « garantiste-libéral »                                    67
3.4. Remarques conclusives                                               70
3.4.1. Un noyau : les représentations de la drogue                       72
3.4.2. La subjectivation de la drogue                                    72
3.4.3. Une nuisance absolue                                              74


4. CHERCHER « L’INNOVATION » DANS LE « CONCUBINAGE » : UNE
BRÈVE RÉFLEXION SUR LES RÉSULTATS DE CETTE RECHERCHE                     76
4.1. Criminalisation, symptomatologisation, périllisation                77
4.2. Les « regards » brésiliens et le concubinage des logiques           79


CONCLUSION                                                               83
BIBLIOGRAPHIE                                                            86
ANNEXES                                                                  89
8



INTRODUCTION


Ce travail porte, de façon très large, sur les « manières de penser » l’usage de
drogues et d’y répondre. Il s’agit, plus spécifiquement, d’un effort de mieux
comprendre des décisions politiques prises à l’égard de ce phénomène, à partir
de l’analyse des représentations et des arguments présents dans les discours
parlementaires qui les justifient. L’objet de cette recherche est donc constitué
par le contenu des discours parlementaires, dans lesquels les représentants
politiques prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de
drogues, tout au long de la période de débats qui précédent la création d’une loi
sur cette thématique.


Depuis à peu près un siècle, l’usage de drogues est, sauf de très rares
exceptions, légalement interdit partout au monde. Dans l’immense majorité des
pays, l’on sanctionne même ce crime par la peine de prison, avec une durée
plus ou moins élevée selon le cas.


En réaction, des voix contestataires se lèvent pour critiquer une telle posture
répressive de la part des États et exiger plus de tolérance à l’égard de cette
conduite (Beauchesne, 1991). Les propositions de changement du modèle de
réaction sociale à l’usage de drogues peuvent être très diverses : la prévision
de peines moins lourdes ; l’application de mesures alternatives ; l’exclusion de
l’emprisonnement ; la décriminalisation de l’usage de certaines ou de toutes les
drogues ; la légalisation et la régulation étatique de la production, de la vente et
de la consommation de certaines ou de toutes les drogues, entre autres.
Normalement, ces propositions rencontrent une opposition très forte et le conflit
s’instaure, sa solution pouvant aller tant dans le sens d’une répression accrue
que d’un assouplissement de la prohibition.


De temps en temps, des acteurs politiques engagés arrivent à faire passer
l’idée que le cadre juridique de l’Etat concernant les drogues est obsolète ou
inadéquat par rapport aux conflits et aux problèmes de l’époque. Alors, un
processus de réforme des lois en matière de drogues voit le jour, afin de
9



produire une nouvelle législation qui soit plus appropriée à la réalité du moment.


Cette recherche s’intéresse pourtant moins à ce processus proprement dit
qu’aux discours tenus pendant qu’il se développe. Il s’agit plutôt d’une occasion
intéressante pour observer la façon dont les parlementaires font leur propre
usage des drogues (Kaminski, 2003), en touchant à ce sujet et en prenant (ou
non) une « position » à cet égard. Ce travail cherche ainsi à analyser comment
les parlementaires, à l’occasion d’une réforme légale, construisent des discours
justificatifs de leur prise de position par rapport à l’usage de drogues.


D’après Foucault (1963, vii), un discours est toujours produit à partir d’un regard
posé par un sujet sur un objet. Il représente l’association, au ras du langage,
entre une « manière de voir » et une « manière de dire ». La façon de regarder
cet objet est alors constitutive de la façon dont le sujet en parle. La situation de
production discursive constitue donc un « rapport de situation et de posture »
entre celui qui parle et ce dont on parle.


Dans ce sens, il est possible de concevoir la production d’un discours comme le
fait d’une médiation entre « un sujet qui parle » et « un objet dont il parle » au
travers d’un « regard », c'est-à-dire, d’une manière particulière et contextuelle
de voir cet objet pour en dire quelque chose. Pour ce travail, analyser les
significations des discours parlementaires sur les drogues implique alors de
comprendre le(s) « regard(s) » posé(s) sur l’objet « drogue » par les sujets
«parlementaires» dans le but spécifique de répondre au problème de l’usage
des drogues.


Dans la perspective de la découverte et de la sélection d’un terrain
d’observation de ces manifestations parlementaires, le travail de Pires et
Cauchie (2007) sur la nouvelle loi brésilienne sur les drogues (la loi 11.343, du
23 août 2006) s’est révélé assez important pour faire naitre « l’étonnement »
nécessaire à la formulation du problème (Javeau, 2003, 29). En effet, cette loi
présente un caractère inédit et inusité par rapport au contrôle pénal de drogues
établi au Brésil jusque-là: tout en maintenant la criminalisation de l’usage de
drogues, l’emprisonnement a été légalement exclu des sanctions autorisées au
10



juge en réponse à ce crime. Pour les auteurs, la nouveauté représente
l’occasion de réfléchir sur les réactions possibles des systèmes juridiques et
politiques à l’égard de cette « innovation accidentelle » en matière de peines
(Pires et Cauchie, 2007). Pour ce mémoire, il sera question de chercher dans
les travaux préparatoires de cette loi et dans les discours parlementaires
formulés à cette occasion, des éléments de compréhension des choix
favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues et
notamment favorables et contraires à la « décarcéralisation » de l’usager.


Pour ce faire, la méthodologie adoptée fut celle de la « théorie fondée » à partir
des données (« grounded theory »), proposé par Glaser et L. Strauss (1967). Je
cherche ainsi à faire émerger des discours les représentations des
parlementaires par rapport à deux catégories centrales de l’analyse,
empruntées à Cappi (2011) : « les représentations du problème » et « les
perceptions de l’usager de drogues ». Les discours sont donc travaillés à partir
de la « manière de voir » qu’ils révèlent, mise en relation avec les positions
prises, ou encore les « manières de répondre » au problème. Finalement, le
travail aboutit à la construction de « discours-types » sur les « manières de
traiter »   la   problématique       de   l’usage    de     drogues,   les   « regards
parlementaires », englobant la « manière de voir » et la « manière de
répondre ».


Ce mémoire est composé de deux parties. La première consiste en une
présentation     des   différentes    décisions     de    nature   épistémologique   et
méthodologique qui ont « donné forme » à la présente recherche. Au premier
chapitre, la présentation d’une « préhistoire » permet de rendre claire
l’importance de certaines décisions, prises antérieurement à la formulation de la
question de recherche, pour la constitution de la présente problématique.


Je propose ensuite une introduction à la thématique de la recherche, en
consacrant le deuxième chapitre au dévoilement des significations que l’on
donne au mot « drogue ». Le troisième chapitre présentera au lecteur la
problématique de ma recherche, centrée sur les débats dans lesquels les
parlementaires prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de
11



drogues, au cours de la période pendant laquelle est discutée et formulée la loi
brésilienne 11.343/2006. A la fin de cette première partie, un chapitre
méthodologique clôture l’exposé de ces décisions préliminaires, prises avant
(ou au moment même) de passer à l’acte de la recherche.


La deuxième partie est, à son tour, consacrée aux résultats obtenus à partir de
l’analyse des discours. Pour commencer, j’aborde les différentes « positions
parlementaires », manifestées au sein des discours, à l’égard de la réponse
politique à établir face à la problématique de l’usage de drogues ; ceci constitue
la matière du premier chapitre de cette deuxième partie. Ensuite, au deuxième
chapitre, je m’éloigne momentanément des positions rencontrées, afin de saisir
les discours comme un ensemble de représentations mobilisées pour construire
discursivement l’usage de drogues comme un « problème ». A ce moment,
deux catégories sont analysées en particulier : « les représentations du
problème » et « les perceptions de l’usager de drogues ».


Après avoir exposé ces « manières de voir » l’usage et l’usager de drogues, je
montrerai, au troisième chapitre, comment les différentes représentations
trouvées dans les manifestations parlementaires peuvent être croisées et
regroupées pour constituer des « discours-types » sur la façon de regarder le
problème et d’y proposer de réponses : on y parlera de « regards
parlementaires ». Enfin, ces regards parlementaires seront discutés à la lumière
des approches théoriques formulées par Nicolas Carrier (Carrier et Quirion,
2003 ; Carrier, 2008) : le quatrième chapitre de cette deuxième partie sera
ainsi consacré à une mise en perspective théorique des résultats de la
recherche.


Avant de clôturer cette introduction, il me semble encore important d’expliquer
un choix particulier : l’écriture de cette recherche en première personne du
singulier. Même conscient du personnalisme et du subjectivisme (parfois
excessif) que l’usage du « je » peut entraîner, il s’agit d’une limitation que je n’ai
pas su (ou voulu) dépasser, pour trois raisons au moins que j’exposerai tout de
suite.
12



Tout d’abord, n’étant pas d’origine francophone, la langue française constitue
un univers linguistique dans lequel je ne suis entré que très récemment. Ainsi,
l’utilisation de la première personne du singulier s’avère plus proche de la
langue orale, avec laquelle je me sens plus familiarisé, ce qui rend moins
pénible la tâche d’écrire un mémoire dans une langue étrangère.


En même temps, s’il est vrai que l’écriture au pluriel permet une sorte de
modestie, renforce l’idée d’une « prise de distance » et rend le texte plus
formel, l’usage du « je » me semble produire une plus grande vraisemblance de
« ce que je suis en train de raconter » par rapport à « ce que j’ai fait ».
D’ailleurs, même si certaines personnes ont eu une large influence sur les
aspects épistémologiques et méthodologiques de la recherche, les décisions
les plus importantes ont été basées sur des choix individuels, qui sont le fruit de
mes inquiétudes à l’égard de ce sujet et de ma façon de le construire.


Cette manière d’écrire démarque enfin la posture constructiviste que je soutiens
dans l’élaboration du présent travail. Les résultats obtenus dans cette
recherche ne sont donc pas une description objective de la réalité qui se
donnerait à connaître par l’activité d’investigation, mais plutôt une construction
du chercheur, c’est-à-dire la mienne, à partir de ce que je perçois dans cette
réalité et des « grilles de lecture » (Debuyst, 1985) que j’utilise pour l’observer.


Ceci dit, il est important d’éviter un « je » vaniteux et narcissique, raison pour
laquelle j’essaierai d’utiliser également, dans les limites du possible, la voix
passive ou des formulations à la troisième personne pour la rédaction de ce
travail.


Il me semble enfin important de souligner que cette recherche n’a aucunement
la prétention de construire un « bâtiment » théorique, ni peut-être même un
« étage » de savoir. Elle ne sert qu’à ajouter une petite pierre à la
« construction » de la connaissance sur l’usage que l’on fait de drogues, en
particulier son usage pénal (Kaminski, 2003).
13



PREMIÈRE PARTIE
Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la
construction d’une recherche


Cette première partie du travail se destine à présenter au lecteur le processus
de construction de ma recherche. Il sera question ici d’exposer un ensemble de
décisions prises avant de passer à l’exercice de recherche proprement dit.


Cette partie est divisée en quatre chapitres. D’abord, j’effectue une présentation
de la recherche par une sorte de « préhistoire ». J’y expose le début d’un
parcours de chercheur et son lien avec le présent mémoire, ainsi que
l’importance de cette « préhistoire » pour la construction de la problématique de
la recherche. Ensuite, le deuxième chapitre se destine à introduire le sujet de la
recherche par une discussion terminologique sur les sens que l’on attribue
socialement au mot « drogue ». Il s’agit d’expliciter de quoi l’on parle lorsque
l’on utilise ce mot.


Le troisième chapitre, à son tour, est consacré à la présentation de cette
problématique, élaborée à partir des décisions prises dans la « préhistoire » et
de la lecture d’un article intrigant de Pires et Cauchie (2007). Une fois construite
la problématique, cette première partie sera enfin bouclée par un chapitre
méthodologique,        synthétisant les processus de récolte et d’analyse des
données.


1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE DES
LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS


Il me semble important de reconstituer un parcours préliminaire à ma recherche
proprement dite, lequel représente une sorte de « préhistoire » de ce mémoire,
pour que le lecteur puisse comprendre les premières décisions prises, que je
considère essentielles à la formulation définitive du présent travail.


En effet, cette recherche est le résultat (encore partiel et inachevé) d’un long
14



processus        d’apprentissage       méthodologique          et    épistémologique         sur
l’investigation scientifique en criminologie. Ses origines remontent à 2008,
moment de la constitution du Groupe de Recherche en Criminologie à
l’Universidade Estadual de Feira de Santana, au Brésil, sous la coordination du
professeur Riccardo Cappi.


A cette époque, après avoir terminé un travail de fin d’études en Droit sur les
rapports entre la psychiatrie et le droit pénal dans la construction sociale des
« délinquants malades mentaux »1 (Macedo, 2008), je me suis consacré, avec
une certaine liberté méthodologique, à une étude exploratoire sur l’historique
des lois brésiliennes criminalisant les conduites liées à l’usage, la production et
la commercialisation de certaines substances désignées comme « drogue ».


Au début, la recherche se penchait, de façon très large, sur ce que j’appelais à
ce moment-là le « contrôle pénal des drogues au Brésil», c’est-à-dire les
différentes manières formulées par l’Etat brésilien de répondre pénalement au
« problème de la drogue ». Plus particulièrement, je considérais la distinction
des réponses proposées par la loi, à l’égard des consommateurs et des
commerçants des produits qu’elle interdisait, un enjeu très important pour
l’observation.


La méthode d’analyse était très simple et visait notamment à l’exploration des
documents légaux. En suivant la proposition de Cappi (2011), les textes des
différentes lois ont été codés et regroupés selon trois catégories centrales : 1)
la représentation du problème ; 2) la perception de l’usager, et ; 3) la
conception des réponses2. Ensuite, les « modalités » relevant de chacune de
ces catégories ont été regroupées et une première observation a été réalisée.


Ce faisant, j’ai remarqué des variations significatives en ce qui concerne les
1
  Ce travail discute les processus de définition qui se produisent dans le cadre de l´élaboration
des sentences et expertises, respectivement par des juges et des psychiatres du Tribunal de
Justice pénale de l´Etat de Bahia au Brésil.
2
  L’analyse des données, à partir de ces trois « catégories de second ordre », a été
inductivement élaborée par Cappi (2011, 134) dans sa recherche de doctorat sur les discours
parlementaires à l’égard de l’abaissement de l’âge de la majorité pénale au Brésil. Cette
méthode accompagne d’ailleurs, avec quelques modifications, le développement
méthodologique du présent travail.
15



mots utilisés pour expliciter quelle situation-problème liée à la drogue motivait
l’élaboration d’une loi : par exemple, la « toxicomanie », la « consommation »,
l’« usage abusif », la « dépendance », la « production », la « contrebande », le
« trafic illicite », etc. Pareillement, la façon de nommer les sujets changeait
significativement d’une législation à l’autre : « toxicomane », « drogué »3,
« dépendant », « usager », « infracteur », telles ont été des expressions
rencontrées dans les lois pour faire référence à celui qui fait un usage, abusif
ou non, d’une substance interdite.


Et, finalement, nous avons pu constater qu’au Brésil le modèle de réponse
légalement proposée pour faire face au « problème de la drogue » s’est
fortement modifié au cours du XXe siècle. En effet, il était possible d’observer,
en termes généraux, la transition d’une régulation initiale plutôt administrative et
encore faiblement pénale (décret-loi 891/1938) vers des choix législatifs allant
dans le sens de la légitimation de la « guerre à la drogue » (lois 5.726/1971 et
6.368/1976), jusqu’à une certaine « mitigation » du caractère pénal en la
matière (initié par la loi 10.409/2002 et renforcé dans la loi 11.343/2006).


Essentiellement exploratoire, cette recherche a eu l’importance de permettre un
premier contact avec la problématique de la criminalisation des drogues au
Brésil, ainsi qu’une familiarisation du chercheur avec des techniques de
recherche qualitative. Néanmoins, pendant la réalisation d’un Séjour d’études
en Belgique (avril 2009), les commentaires critiques formulés par le professeur
Dan Kaminski à l’égard des projets présentés par ledit Groupe de recherche en
criminologie m’ont fait apercevoir les limitations d’un travail d’investigation
centré uniquement sur le contenu des textes de loi4.



3
  Je traduis ici par « drogué » le terme « viciado » dont la traduction en langue française s’avère
difficile. En effet, le substantif portugais « vício », duquel l’adjectif « viciado » dérive, transmet
en même temps l’idée de « dépendance » et celle de « vice », à connotation clairement plus
moralisante, dont je ne trouve pas l’équivalent en français. Pour la traduction de cette même
expression dans les discours parlementaires, j’ai préféré utiliser le terme « accro », dont l’usage
oral et informel me semble plus proche du sens de l’idée de « viciado ». Je n’y utilise donc le
terme « drogué » que pour traduire l’adjectif « drogado ».
4
  Le texte présenté ici est une version librement adaptée des commentaires proférés oralement,
de façon informelle et non structurée, par le professeur Kaminski. Son discours à l’égard de la
recherche qualitative ayant pour objet les textes de loi a été enregistré en format vidéo par les
membres du Groupe de recherche en Criminologie et transcrit par moi-même. Il reste à dire que
16




Tout d’abord, une loi est un texte qui « n’a pas de sens » à lui seul. Afin de
constituer des normes générales et abstraites, l’écriture juridique cherche
l’objectivation la plus parfaite – autant que possible – des énoncés d’une loi,
laquelle est codée en telle façon que tous les sens s’en soient disparus. L’enjeu
de l’élaboration de la loi est donc celui de faire disparaitre toute signification qui,
en quelque sorte, pourrait attacher directement le texte à une réalité sociale
spécifique ou concrète.


Par contre, il y a lieu de nuancer ce qui vient d’être dit. En effet, les lois ont
nécessairement un vocabulaire, ce qui permet d’ailleurs la réalisation d’une
analyse comparative. En 1938, par exemple, celui qui fait un usage abusif de
certaines substances est appelé « toxicomane » ; par contre, dans le texte de la
loi 11.343/2006, on l’appellera « dépendant ». Un chercheur peut donc faire une
analyse par comparaison de la signification de ces vocabulaires qui, à des
époques différentes, sont présentés comme objectifs. Ainsi, il est possible
d’analyser des textes légaux qui ont peut-être des manières différentes
d’objectiver une réalité, mais ce travail se limite à l’analyse du vocabulaire
employé. Les résultats de la recherche sont, à priori, plus adéquatement valides
en termes de description que de compréhension du phénomène étudié.


Alors, si l’on veut approcher le sens, la signification d’un dispositif légal, il faut
aller voir ailleurs que dans son texte. En reprenant la métaphore évoquée par
Kaminski (enregistrement, 2009), à moins que ce soit leur mise en œuvre ce
qui nous intéresse, les lois sont des textes déjà morts, « ce sont des cadavres,
rigidifiés. Même si elles sont encore en application. (…) Une loi, en tant que
texte, n’est paradoxalement vivante que tant qu’elle n’est pas adoptée. C’est la
vie intra-utérine de la loi qui est intéressante (…) »5. Pour lui, « la loi est le
résultat codé (et le plus souvent un compromis) d’une discussion conflictuelle,

ce texte n’a aucune prétention de reproduire tout le contenu de ce discours et vise uniquement
à en reprendre quelques idées centrales.
5
   Bien sûr, il peut également être important d’étudier l’application d’une loi, laquelle constitue sa
« vie extra-utérine ». Dans ce cas, il s’agit d’aller toujours voir ailleurs que dans son texte,
puisque l’application de la loi englobe, en plus du texte (voire même contre lui), des ressources
institutionnelles, organisationnelles, professionnelles et celles produites au moment même de
l’interaction entre les acteurs qui se trouvent devant une situation inédite ou particulière.
(Lascoumes, 1990a ; Kaminski, enregistrement, 2009).
17



interne à la société ou à ses représentants politiques. Donc la signification de la
loi ne peut se trouver que par l’examen des conflits et de leurs résolutions
progressives ».


Ces constats ont fait basculer le projet initial. Même si je n’avais pas encore
une « question de recherche » précisément formulée, il m’a semblé très limitant
de restreindre l’analyse au vocabulaire des textes de loi sur les drogues. C’était
plutôt leurs significations qui m’intéressaient. Ainsi, si je cherchais des
significations, des éléments de réflexion qui pourraient éventuellement
m’apporter une compréhension du phénomène du « contrôle pénal des
drogues » dans la réalité brésilienne, les lois – ces cadavres rigides – n’étaient
pas la source adéquate pour les fournir. Il fallait donc aller à la rencontre d’une
« scène » où des choses « significatives » pourraient se passer. Dans ce cas,
les travaux préparatoires d’une loi sont apparus comme un matériau intéressant
à observer.


J’ai alors choisi une nouvelle source pour la (nouvelle) recherche : les débats
parlementaires concernant l’élaboration des lois sur les drogues. En effet, ceux
qui ont parlé et participé à la production de la loi ont en même temps mobilisé
des catégories, des représentations et des arguments dans leurs discours pour
justifier une idée ou une position prise à l’égard des questions en jeu. Il y a
donc là, à l’intérieur de ces discours, des significations dont l’analyse peut
aboutir à des résultats plus expressifs pour la compréhension du phénomène
« contrôle pénal des drogues » que la simple comparaison des vocabulaires
utilisés dans les lois. J’ai donc pris la décision d’abandonner les discours légaux
comme     objet   d’étude,   en   me   tournant   vers   l’analyse   des   discours
parlementaires formulés autour du sujet de la drogue, à l’occasion de
discussions sur une réforme légale.


Par contre, si je savais déjà vers quelle « scène » diriger le regard, il fallait
encore préciser « quoi » observer dans les travaux parlementaires, ainsi que
décider « où » et « comment » le faire. Autrement dit, il était avant tout
nécessaire de formuler une question de recherche. Mais celle-ci n’était que le
point de départ d’une série de décisions sur les contours de l’objet et la
18



méthodologie      pour     l’observer :   je   devais     encore     délimiter    le   champ
d’observation, échantillonner les discours, les récolter et finalement en définir
une méthode d’analyse6. Les défis d’une recherche venaient à peine de
commencer.


2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE...


Avant de passer à la construction du problème de recherche, il me semble
important d’interroger les mots utilisés pour désigner l’objet de la recherche et
les significations qui peuvent lui être attribuées. En effet, de quoi parlons-nous
lorsque nous évoquons l’idée d’un « problème de la drogue » ? Qu’est-ce que
cette expression peut vouloir dire ? Et, même avant cela, qu’est-ce que c’est
qu’une « drogue » ? Évidemment, le mot « drogue » n’est pas univoque,
pouvant se référer à des produits ou des groupes de produits assez différents,
récréatifs ou médicinaux, interdits ou non…


D’après le Dictionnaire de la langue française Le Robert (2006, p. 416), les
acceptions contemporaines du terme « drogue » sont : « 1. Médicament dont
on conteste l’utilité, l’efficacité ou dont on condamne l’usage. Toutes les
drogues que lui ordonne son médecin lui font plus de mal que de bien. 2. LA
DROGUE : toxiques, stupéfiants (cocaïne, morphine, L.S.D., etc.). Trafic de
drogue. ». Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales7, il est possible de retrouver des définitions plus complexes :

« 1. Matière première d'origine animale, végétale ou minérale, employée pour la
préparation des médicaments magistraux et officinaux ; substance utilisée en teinture
et employée à divers usages ménagers.
2. Anciennt. Se disait spécialement d'un remède préparé de façon artisanale. Auj.,
parfois péj. Remède, médicament. Administrer, prendre des drogues. Avez-vous pris
votre drogue ?
3. Généralement au singulier. La drogue, nom donné à l'ensemble des substances
naturelles ou synthétiques, comme la cocaïne, la morphine, l'héroïne, les dérivés du
chanvre indien, les amphétamines, dont certaines sont utilisées en thérapeutique, mais
dont l'usage illégal et répété, à la recherche d'une évasion du réel, crée la dépendance
et conduit à la toxicomanie. Les drogues peuvent avoir des effets hallucinogènes ou
6
  Il est important de souligner que ces étapes sont des processus intellectuels différents qui
apparaissent au début de la recherche, mais pas nécessairement dans cet ordre temporel.
Dans ce travail, elles se sont plus ou moins imbriquées temporellement, ce qui pose parfois des
difficultés pour les expliquer séparément et à postériori.
7
  Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/drogue.
19



stupéfiants. Drogue dure, drogue douce, dont les effets immédiats sont plus ou moins
graves. L'accoutumance aux drogues douces peut conduire à l'usage de drogues
dures. La vente de la drogue est strictement règlementée dans la plupart des pays. Les
fabricants, les trafiquants de drogue. La lutte contre la drogue. La douane a saisi une
cargaison de drogue. Par ext. Fam. Le café est sa drogue quotidienne. Fig. et péj. Ce
qui intoxique l'esprit, ce dont on ne peut se passer. Le jeu peut devenir une drogue. »
(Nous soulignons).

Malgré son étymologie obscure, l’origine du mot « drogue » semble venir du
néerlandais « droog » qui veut dire « plante sèche réservée à la pharmacie ou à
la cuisine ». Nous retrouvons également une influence douteuse du celtique
« drwg » : « chose mauvaise »8.


A partir de ces définitions, il y a lieu de postuler deux significations différentes
du mot « drogue ». La première, plus générale et « neutre », fait référence à
« drogue » comme une substance utilisée en teinture, à la cuisine ou
notamment en médicine. Il est question de voir la « drogue » ici plutôt comme la
source d’un médicament, « substance spécialement préparée pour servir de
remède » (Le Robert, 2006, p. 819), pouvant faire du bien mais aussi produire
un mal selon l’usage que l’on en fait.


La deuxième signification, plus spécifique à certains produits, conçoit « la
drogue » comme un « stupéfiant » :

« Substance euphorisante (opium, morphine, cocaïne…) entraînant généralement une
accoutumance et un état de stupeur. => drogue. Trafic de stupéfiants » (Le Robert,
2006, p. 1270).
« (Substance toxique) qui agit sur le système nerveux en provoquant un effet
analgésique, narcotique ou euphorisant dont l'usage répété entraîne une
accoutumance et une dépendance. (…) Produit naturel ou synthétique dont l'usage est
sévèrement réglementé tant dans sa prescription médicale que dans son emploi, afin
de contrôler et d'interdire le trafic de ces produits et leur usage conduisant à la
toxicomanie » (CNRTL9).


Dans ce deuxième sens, l’usage que l’on fait du mot « drogue » est déjà chargé
de certaines connotations morales. Plusieurs éléments semblent donc lier « la
drogue » à l’idée d’une « chose mauvaise » : d’un côté, son usage



8
     Référence trouvée        à   l’adresse      virtuelle du   Dizionario     Etimologico Online:
http://etimo.it/?term=droga&find=Cerca, et confirmé par les analyses de Bertolotti (1958).
9
  Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/stupefiant.
20



« généralement        entraîne »      l’état    de    stupeur10,      l’accoutumance11,        la
dépendance12, voire la toxicomanie13 ; de l’autre côté, la référence fréquente au
« trafic », « commerce plus ou moins clandestin, honteux et illicite » (Le Robert,
2006, p. 1347), indique une production et une commercialisation marginales,
échappant à la régulation et au contrôle étatiques.


Il est dès lors possible de remarquer une distinction, au niveau terminologique,
entre « drogue », produit ou substance que l’on prend comme une sorte de
« remède », et « la drogue », stupéfiant qui entraîne la dépendance et dont
l’usage, le commerce et la production sont souvent interdits.


Au plan concret, cette distinction s’avère moins évidente. D’abord, les
« remèdes » peuvent aussi entraîner une dépendance et leurs usages peuvent
bien être motivés par « la recherche d’une évasion du réel ». De façon
identique, certains produits comme l’alcool et le tabac14 conduisent également
(et même davantage) à la toxicomanie sans que leur usage soit pour autant
interdit.


Par ailleurs, un stupéfiant (« la drogue ») peut tout de même « servir de
remède », « en provoquant un effet analgésique, narcotique ou euphorisant »
(CNRTL). Selon Bucher (1989, p. 18), « la drogue » a encore une fonction
rassurante et anxiolytique très ancienne, en permettant à son usager


10
   « 1. Incapacité totale d’agir et de penser (due à un trouble, à un choc moral, psychologique, à
des substances chimiques). 2. Etonnement profond. => stupéfaction. Je suis resté muet de
stupeur. » (Le Robert, 2006, p. 1271). Du latim stupor: l’état de l’âme de celui qui, en voyant
des choses merveilleuses, reste muet (Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario
Etimologico Online: http://etimo.it/?term=stupore&find=Cerca).
11
   « 1. Le fait de s’habituer, de se familiariser. (…) 2. Processus par lequel un organisme tolère
de mieux en mieux un agent extérieur (…). – Etat dû à l’usage prolongé d’une drogue (désir de
continuer, etc.). => dépendance. » (Le Robert, 2006, p. 11).
12
   « 1. Rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre => corrélation. Dépendance entre des
faits. 2. Le fait pour une personne de dépendre de qqn ou de qqch. => assujettissement,
servitude, sujétion. Être dans, sous la dépendance de qqn. (…) – Asservissement à une
drogue. 3. Etat d’une personne qui n’est pas ou n’est plus autonome dans la vie quotidienne. »
(Le Robert, 2006, p. 360).
13
    « Habitude de consommer régulièrement des substances ou des médicaments toxiques
(opium, cocaïne, haschisch, hypnotiques), créant un état de dépendance psychique et
physique. => intoxication. » (Le Robert, 2006, p. 1345).
14
    Plusieurs produits se trouvent dans la même situation, comme la Salvia Divinorum dont
l’usage, la production et la commercialisation ne sont pas interdits dans certains pays, comme
le Brésil.
21



d’échapper à la conscience de la fugacité de l’existence et à l’angoisse que cela
entraîne. Pour Nowlis (1975, p. 53),

« on cherche dans l’usage de stupéfiants cinq effets pharmacologiques principaux : 1)
soulager la douleur (…) ; 2) essayer de réduire une activité ou une sensation qui atteint
un niveau désagréable ou indésirable, comme l’anxiété, la frousse, l’insomnie,
l’hyperstimulation… (…) ; 3) essayer d’augmenter le niveau d’activité et la sensation de
puissance, ou de réduire la sensation de fatigue, de dépression, de somnolence. (…) ;
4) essayer d’avoir des modifications dans la façon habituel de perception de l’individu
face à son propre moyen physique et social, c’est-à-dire, explorer, sortir de soi-même,
avoir des nouvelles intuitions, augmenter sa créativité, augmenter l’intensité des
expériences sensorielles et esthétiques et le plaisir que l’individu en tire ; 5) essayer
d’atteindre plusieurs degrés d’ivresse, d’hallucination, d’euphorie, des sensations d’être
en train te flotter ou de vertige… »

Alors, il nous semble qu’une caractéristique fondamentale pour distinguer « la
drogue » des autres « drogues »15 est le fait de son interdiction légale. Il y a
même lieu de soutenir que « la drogue » porte ce nom en raison de la
normativité pénale à laquelle elle est indexée (Kaminski, 2003, 15). Autrement
dit, ce qui différencie les « stupéfiants » des produits comme les médicaments,
l’alcool ou le tabac est essentiellement le processus de criminalisation16 que les
premiers ont subi.


Bien que la criminalisation de certaines drogues et de leur usage soit le résultat
d’un processus historique très récent (Guillain, 2009, 458-459), il est possible
d’observer l’existence aujourd’hui d’un quasi-« amalgame » entre « la drogue »

15
    Cette distinction terminologique sera partiellement soutenue dans l’écriture du présent travail.
Ainsi, lorsque j’écris « les drogues » (au pluriel), je veux faire référence à l’ensemble des
substances qui, introduites dans l’organisme, affectent le système nerveux et en modifient le
fonctionnement habituel, jusqu’à entrainer (ou non) la dépendance. Par ailleurs, l’utilisation
d’expressions comme « stupéfiant » (ou « stupéfiants ») ou « la drogue » (au singulier) désigne
spécifiquement les produits pénalement interdits. Finalement, pour indiquer le groupe des
produits dont l’usage, le commerce et/ou la production sont autorisés et régulés par l’Etat, je
ferai l’usage de l’expression « drogues licites ».
16
    La criminalisation consiste en un processus d’interdiction légale d’un comportement par
l’attribution (ou la menace) d’une peine à son auteur (Robert, 2005). Ce processus se réalise en
deux moments distincts : le premier, que l’on appelle la « criminalisation primaire », consiste
essentiellement dans les étapes de la production de la loi pénale, et le deuxième, nommé
« criminalisation secondaire », consiste dans le travail effectif des agences (la police, le
parquet, la magistrature, le service pénitentiaire…) qui opèrent la mise en œuvre de cette loi. Il
est important de dire que la criminalisation secondaire est relativement autonome par rapport à
l’incrimination légale : un comportement peut être criminalisé par le législateur sans que pour
autant des gens soient arrêtés, poursuivis, jugés, condamnés et emprisonnés. Tout dépend du
fonctionnement et des objectifs de certaines agences du système pénal : la police, le parquet et
la magistrature opèrent un « filtrage » des conduites (et/ou des personnes) qui sont les cibles
prioritaires de leur travail, parmi l’ensemble des comportements criminalisés (et de toutes les
personnes qui passent à l’acte – à la limite même sans le faire), en soumettant effectivement à
une peine ceux qui ne disposent pas des moyens d’y échapper.
22



et le droit pénal. Si depuis longtemps les sociétés inscrivent l’usage de drogues
dans leurs contextes les plus divers – économique, médical, religieux, rituel,
culturel, psychologique, esthétique, voire militaire (Bucher, 1989, p. 18) – sans
que cela fasse l’objet d’aucune forme de sanction punitive, au tournant du XXe
siècle17, la drogue commence à être publiquement problématisée et sa
construction pénale apparaît comme « la » réponse. Depuis ce moment, la
réaction sociale prépondérante à l’usage d’un produit stupéfiant est devenue,
jusqu’à aujourd’hui, la menace d’une peine.


3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE


Dans un papier publié dans la revue électronique Champ Pénal18, Pires et
Cauchie (2007) analysent « une modification hyper improbable concernant les
peines », présente dans une nouvelle loi en matière de drogues : la loi
brésilienne nº 11.343, du 23 août 2006, actuellement en application. Il s’agit de
l’article 28 qui se trouve dans le chapitre III de cette loi (« Des crimes et des
peines »). Voici le texte de cet article :

« Art. 28 : Quiconque achète, garde, a en dépôt, transporte ou amène sur soi, pour la
consommation personnelle, des drogues sans autorisation ou à l’encontre d’un
dispositif légal ou règlementaire sera soumis aux peines suivantes :
I. Avertissement sur les effets des drogues ;
II. Prestations de services à la communauté ;
III. Mesure éducative de participation à un programme ou cours éducatif.
§ 1° Les mêmes mesures s’appliquent à quiconque, po ur sa consommation
personnelle, sème, cultive ou cueille des plantes destinées à la préparation d’une
petite quantité de substance ou de produit susceptible de causer une dépendance
physique ou psychique.
§ 2° Pour déterminer si la drogue est destinée à la consommation personnelle, le juge
tiendra compte de la nature et de la quantité de substance appréhendée, du lieu et des
conditions où l’action s’est passée, des circonstances sociales et personnelles, aussi
bien que de la conduite et des antécédents judiciaires de l’individu.
§ 3° Les peines prévues dans les points II et III d e l’en-tête de cet article seront
appliquées pour une durée maximale de 5 (cinq) mois ».


17
     C’est en effet à cette époque qu’émerge, notamment aux États-Unis, un discours de
diabolisation des drogues (l’alcool y compris) et de stigmatisation de leurs usagers, porté d’une
part, par les ligues de tempérance, et d’autre part, par les milieux médicaux. Pour les premiers,
il s’agit de représenter la drogue comme « le symptôme d’une dégénérescence sociale », tandis
que ces derniers veulent opérer un contrôle monopolisé de sa circulation (Guillain, 2009, 490).
Le racisme à l’égard des Chinois, des Noirs et des Mexicains, auxquels on associait l’usage de
l’opium, de la cocaïne et de la marijuana respectivement, a aussi joué un rôle dans la
promulgation des premières lois prohibant l’usage de stupéfiants (Beauchesne, 1991, 107-119).
18
    Disponible à l’adresse électronique suivante : http://champpenal.revues.org/1541.
23



Pour les auteurs, ce dispositif légal constitue un évènement « improbable » et
« accidentel », présentant cinq dimensions qui lui donnent, plus ou moins selon
le cas, un caractère « surprenant » :
     1) la peine de prison est exclue comme sanction autorisée au juge à l’égard
        des crimes qui y sont prévus;

     2) il est rare de voir un article de loi qui constitue des crimes prévoir en
        même temps des peines autres que la mort, le châtiment corporel,
        l’emprisonnement ou l’amende ;

     3) les peines prévues dans cet article n’ont pas usuellement le statut
        juridique de peines dans les lois criminelles, d’habitude elles ne sont pas
        usuellement des peines indépendantes des peines de prison, et ne sont
        pas des peines valorisées par les théories modernes de la peine19 ;

     4) les peines sélectionnées ne correspondent pas de façon optimale au
        concept de peine qui exige de la part de l’autorité l’intention visible de
        vouloir infliger une souffrance ou une blessure au coupable;

     5) les peines prévues dans cet article ne correspondent pas non plus de
        façon optimale aux peines auxquelles la doctrine criminelle pense
        lorsqu’elle soutient que « le crime se définit par la peine »20 (Pires et
        Cauchie, 2007, s.p.).

Les auteurs mentionnent que, suite à l’approbation de la loi, cet article sui
generis a engendré plusieurs débats entre les pénalistes brésiliens sur les
conséquences juridico-pénales d’une telle réglementation. Ces discussions se
centraient autour de la question de savoir si l’article analysé avait ou non
effectué une « décriminalisation » ou une « dépénalisation » de l’usage de
drogues au Brésil. Toutefois, en s’attachant à une discussion conceptuelle sur
le caractère potentiellement innovateur de « cet élément perturbateur » pour les


19
     D’après Pires (2009), les théories modernes de la peine (rétribution, dissuasion,
neutralisation et le premier paradigme de la théorie de la réhabilitation) sont souvent articulées
les unes aux autres, en constituant un système d’idées fermé qu’il appelle la « rationalité pénale
moderne ». Cette « manière de penser » la justice pénale et le rapport crime-peine défend
essentiellement la (sur)valorisation des sanctions afflictives ou carcérales, la valorisation de la
sévérité ou de la durée de la peine, l’obligation de punir et la « dévalorisation des sanctions
pénales non afflictives ». Autrement dit, la « rationalité pénale moderne » considère
« l’inflicction intentionnelle d’une douleur » au coupable (Christie, 2005) comme la réponse
nécessaire au « mal » qu’il a causé au travers de son crime.
20
   Dans ce sens, l’article premier du Décret-loi 3.914, du 09 décembre, 1941 – Loi d’introduction
                                           er
au Code Pénal brésilien, prévoit : « Art. 1 . L’on considère crime l’infraction pénale à laquelle la
loi commine la peine de réclusion ou de détention soit isolément, soit alternativement ou
cumulativement à la peine d’amende ; l’on considère contravention, l’infraction pénale à laquelle
la loi commine, isolément, la peine de prison simple ou d’amende, ou les deux, alternativement
ou cumulativement ».
24



systèmes politique et de droit criminel, Pires et Cauchie ne s’intéressent pas
aux aspects qu’il comporte au regard du thème spécifique des drogues21.


A partir de la lecture de cet article, j’ai décidé de suivre la piste implicitement
laissé par ses auteurs et de réaliser ce qu’ils n’ont pas fait. Ainsi, au lieu de me
pencher sur les conséquences de cet « évènement accidentel » sur les
« manières de penser » le rapport crime-peine, il m’a semblé pertinent d’étudier
les « manières de voir » cet « élément perturbateur » par ceux qui l’ont formulé.


Autrement dit, il pourrait être intéressant d’observer comment cette idée –
l’incrimination de l’usage de drogues n’ayant pas la prison comme peine – a été
discutée par les parlementaires brésiliens, dans le cadre spécifique de la
réforme de la loi sur les drogues. J’ai donc décidé d’analyser le débat sur la
« décriminalisation », la « dépénalisation » et la « décarcéralisation », non pas
après l’approbation de la loi 11.343/2006, mais pendant le processus de son
élaboration et tel qu’il se présente dans l’enceinte parlementaire.


Ce faisant, il serait possible d’identifier les différentes positions prises par ces
parlementaires en ce qui concerne la réponse juridico-pénale à attribuer au
phénomène de l’usage de drogues, ainsi que la façon dont on construit et
justifie ces positions. En conséquence, j’ai formulé une question de recherche
pouvant être énoncée de la manière qui suit : « A l’occasion de l’élaboration de
la loi brésilienne nº 11.343/2006, quelles ont été les différentes positions
parlementaires à l’égard des réponses étatiques face à l’usage de drogues ? »


L’objectif de cette recherche est donc de comprendre certains enjeux
spécifiques au processus de réforme de ladite loi de drogues brésilienne, ainsi
que des « manières de penser » le problème de l’usage de drogues en général
et, par conséquent, d’y répondre. Je cherche ainsi « à réfléchir sur les
implications d’une décision politique, (…) à comprendre plus nettement
comment certaines personnes appréhendent un phénomène et à rendre
visibles certains fondements de leurs représentations » (Quivy et Van

21
   D’après eux, « le statut ‘improbable’ de ce changement aurait en effet été le même si cette
modification avait porté sur un autre crime » (Pires et Cauchie, 2007).
25



Campenhoudt, 2006, 19).


Ceci dit, il est important de rappeler au lecteur que le processus d’élaboration
d’une norme pénale n’est pas que le résultat de débats parlementaires. En
effet, selon Lascoumes (1990b), l’analyse de la prise de décision politique
conduisant à la création de la loi pénale doit se faire de façon séquentielle, en
intégrant une pluralité d’acteurs interreliés et impliqués dans des formes
d’action diversifiées. Ainsi, cet auteur propose de distinguer quatre groupes de
« définisseurs », c’est-à-dire des acteurs qui luttent pour ou contre la définition
de problèmes et pour ou contre la nécessité de leur traduire pénalement :


   1. les acteurs qui représentent une revendication collective ou la défense
      d’intérêts de certains groupes (mouvements féministes, anti-
      homophobie, pour la légalisation des drogues, par exemple) ;

   2. des groupes corporatistes ou lobbies professionnels qui interviennent
      directement auprès des groupes parlementaires ou de l’exécutif
      gouvernemental :

   3. les acteurs technocratiques, très proches des centres de décision mais
      faiblement visibles (les fonctionnaires du parlement, des ministères,
      etc.) ;

   4. enfin, les acteurs politiques, agissant en fonction de ce qu’ils perçoivent
      de leur électorat passé ou futur.

Dans le processus d’élaboration ou de réforme d’une loi, il est possible de
retrouver des conflits, des ajustements, des compromis et des rapports de force
entre ces différents groupes. Comprendre ce processus implique donc de
prendre en compte l’action de tous ces acteurs sur la scène politique et même
dans ses coulisses.


Dans cette recherche, je ne centre mon analyse que sur l’action discursive de
membres du dernier de ces groupes : les acteurs parlementaires. Ainsi, le point
névralgique de mon problème n’est pas en soi le processus d’élaboration de la
loi 11.343/2006, mais plutôt comment les parlementaires (députés et sénateurs)
construisent et justifient, au moment de la réforme légale, les réponses
politiques et juridico-pénales à donner au problème de l’usage de drogue.
26




Le moment de la réforme n’est donc pas étudié pour lui-même, mais il est
considéré dans mon travail comme le contexte d’émergence des discours que
je désire analyser. La sélection de ce contexte particulier se justifie dès lors ici
par le fait qu’il est plus probable d’y trouver des discours qui proposent des
réponses concrètes pour le problème diagnostiqué et non seulement des
options normatives abstraites.


4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES


4.1. La récolte des données


La constitution du corpus empirique de cette recherche est le résultat de deux
étapes distinctes : 1) la création d’une base de données reprenant tous les
documents et discours produits au sujet de la drogue pendant le processus
d’élaboration de la loi 11.343/2006 et 2) la réalisation d’un échantillonnage
qualitatif pour sélectionner les discours qui seraient effectivement retenus pour
l’analyse.


En ce sens, la spécificité de l’objet choisi inscrit le présent travail dans la
technique de recherche que Quivy et Campenhoudt (2006, p. 201-205)
appellent la « récolte des données préexistantes », étant donné que les
discours       proférés     par    les   parlementaires   existent   préalablement   et
indépendamment de l’analyse.


La récolte des discours utilisés dans la présente recherche a été réalisée au
moyen des sites internet de la Chambre des Députés22 et du Sénat Fédéral23
du Brésil. À travers ces sites, il a été possible de retrouver des documents
divers liés au processus de réforme de la loi sur les drogues, parmi lesquels :
      -   les lois 10.409, du 11 janvier 2002, et 11.343, du 23 août 2006 ;

      -   différents projets de loi :


22
     Adresse électronique : http://www.camara.gov.br.
23
     Adresse électronique : http://www.senado.gov.br
27



          o le projet 6108/2002, élaboré par le Président de la République, à
            l’époque M. Fernando Henrique Cardoso, suite au véto partiel
            opposé à la loi 10.409/2002 ;
          o le projet 115/2002, élaboré par un groupe de travail du Sénat,
            intitulé « Crime organisé, narcotrafic et blanchiment d’argent »,
            et ;
          o le projet substitutif 7134-B, élaboré par la Chambre des Députés,
            sur base de l’analyse simultanée des deux autres projets ;

   -   les « avis » prononcés par les rapporteurs des projets mentionnés ci-
       dessus dans les commissions où ils ont transité :

          o l’avis sur le Projet 6108/2002, émis par Vicente Arruda (PSDB-
            CE), à la Commission de Sécurité Publique et Combat au Crime
            Organisé (CSPCCO) de la Chambre des Députés ;
          o l’avis sur les Projets 6108/2002 et 115/2002 et sur l’élaboration du
            Projet Substitutif 7134-B, de Paulo Pimenta (PT-RS), à la
            Commission de Constitution, Justice et Rédaction (CCJR) de la
            Chambre des Députés ;
          o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, établi par Sérgio Cabral
            (PMDB-RJ), à la Commission des Affaires Sociales (CAS) du
            Sénat Fédéral, et ;
          o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, formulé par Romeu Tuma (PFL-
            SP), à la Commission de Constitution, Justice et Citoyenneté
            (CCJC) du Sénat Fédéral ;

   -   et, enfin, tous les amendements proposés par différents députés et
       sénateurs.

Par la suite, sur les sites de chacune des Commissions parlementaires
mentionnés au-dessus, j’ai pu retrouver les discussions qui y ont eu lieu, en
rapport direct avec les dispositifs de la nouvelle loi sur les drogues.


Une fois ces documents téléchargés, une première lecture en a été faite, dans
le but de mieux approcher le processus d’élaboration de la loi et les enjeux qui
s’y présentaient à première vue. Ce faisant, j’ai pu constater que ces
documents étaient assez riches en détails sur les débats liés à la pertinence et
à la rédaction adéquate de plusieurs dispositifs légaux réglementant la
thématique des drogues dans le pays.


Cependant, dans leur grande majorité, ces textes ne présentaient que des
points de vue très ciblés à l’égard de la matière sous examen (par exemple, la
durée de la peine pour le crime de blanchiment d’argent en rapport avec le
28



trafic de drogues ; les types de sanctions à appliquer à l’usager de drogues ; la
responsabilité étatique pour l’organisation des communautés thérapeutiques,
etc.). Il y manquait donc l’expression plus fouillée des représentations des
parlementaires à l’égard du problème, susceptibles de m’aider à comprendre
les choix opérés ou les propositions défendues.


En conséquence, j’ai décidé de réaliser une nouvelle recherche sur les mêmes
sites, afin d’y trouver les discours prononcés à la tribune de l’assemblée
plénière, tant de la Chambre que du Sénat, pendant toute la période de la
réforme légale24. L’intérêt de ces discours réside dans le fait que les députés et
les sénateurs peuvent s’y exprimer librement, sur les thématiques qui leur
conviennent le plus et qui sont portées normalement à l’agenda politique du
moment.


En introduisant dans le moteur de recherche des sites officiels le terme
« droga » (en français, « drogue »), il a été possible de retrouver les
transcriptions de toutes les manifestations parlementaires émises, sur le sujet,
à la tribune de la Chambre et du Sénat. Après la lecture de ces textes, j’ai
téléchargé les documents jugés pertinents pour ce travail25.

Ensuite, j’ai construit une base de données à l’aide du logiciel Microsoft Access,
contenant tous ces textes téléchargés : j’ai classé par orateur, date, chambre
et lieu de Production (assemblée plénière ou commissions). Cette base de
données contient 609 entrées, soit une quantité suffisamment importante pour
« l’épuisement » du problème mais en même temps trop importante, étant
donné le temps et les ressources dont je disposais, pour effectuer l’analyse
subséquente. Ce paradoxe a rendu impératif et nécessaire la réalisation d’un
échantillonnage pour constituer le groupe des discours sur lequel mon analyse

24
   Cette période s’étend du 22 février 2002, date du renvoi du Projet 6108/2002 à la Chambre
par le Président Fernando Henrique Cardoso, jusqu’au 23 août 2006, date à laquelle la loi
11.343 a été signée par le Président Luís Inácio da Silva (Lula).
25
   En effet, des discours dans lesquels le mot « drogue » était utilisé ne parlaient pas du tout du
« problème de la drogue ». Le moteur de recherche a donc sélectionné des discours sur des
thématiques diverses, comme par exemple la situation économique du Brésil, à propos de
laquelle un député se prononçait en disant : « Notre pays est une drogue ». Ces discours
n’avaient donc aucune pertinence pour cette recherche. De façon identifique, d’autres discours
dans lesquels la place de la question « drogue » dans l’ensemble du discours était trop réduite
ont été directement exclus.
29



porterait effectivement.


A partir de cette base de données reprenant tous les discours prononcés sur le
sujet de la drogue pendant la période d’élaboration de la loi 11.343/2006, j’ai
décidé de centrer l’analyse sur les discours au sein desquels les parlementaires
discutaient spécifiquement la question de la (dé)criminalisation de la drogue ou
de la (dé)pénalisation de l’usager. En utilisant le moteur de recherche du
logiciel Microsoft Access, j’y ai introduit les mots-clés suivants : « *criminaliz* »
ou « *legaliz* » ou « *penaliz* » (en français, « *criminalis* » ou « *légalis* » ou
« *pénalis* »26). Ce critère de sélection a retenu 67 discours, groupe dont j’ai
encore exclu cinq discours qui ne touchaient pas directement aux questions
visées27. Mon échantillon (corpus empirique analysé dans la présente
recherche) est, donc, composé de 62 discours28.


De cet ensemble, 31 discours ont été prononcés à l’occasion des travaux
préparatoires de la loi, dont quatre sont les présentations des avis par les
rapporteurs ; 17 discours ont été tenus oralement dans des événements
organisés par des commissions parlementaires pour discuter sur les problèmes
liés à l’usage de drogues ; 14 discours constituent des manifestations « libres »
des parlementaires tenues oralement à la tribune. 34 discours ont été
prononcés à la Chambre et 28 au Sénat.


La structure de ces discours est enfin très diversifiée : ils peuvent varier d’une à
cinq pages ; traiter du sujet de la drogue en général ou cibler une question
spécifique (la durée de la peine, par exemple), fournir des informations de
26
    Pour le lecteur moins familiarisé avec les techniques de « recherche » dans une base de
données, il est peut-être important de souligner que cette façon de réaliser des recherches à
l’aide de l’astérisque (« * ») vise à trouver des mots ou des passages qui contiennent
l’information souhaitée, quelle que soit l’inflexion initiale et/ou finale du signifiant recherché.
Dans ce travail, cette méthode a permis de retrouver tous les discours dans lesquels les
parlementaires se sont exprimés en termes de « criminalisation », « décriminalisation »,
« criminaliser », « légalisation », « dépénalisé », etc.
27
    Ces discours contenaient les expressions recherchées, mais ils ne portaient pas sur le sujet
espéré, parlant de la « légalisation des armes » ou d’une conférence sur l’abus de drogues,
entre autres. Les cinq discours suivants sont concernés : Alice Portugal, PC do B-BA,
10/09/2003 ; Edna Macedo, PTB-SP, 22/10/2003 ; João Campos, PSDB-GO, 15/05/2003 ;
Magno Malta, PL-ES, 21/06/2006, et ; Marçal Filho, PMDB-MS, 24/04/2002.
28
    Le lecteur trouvera en annexe deux listes complètes des discours répertoriés à la Chambre
des Députés et au Sénat Fédéral, présentés par date de dépôt, par parti et État du
parlementaire qui en est l’auteur.
30



degrés très divers (n’exposer qu’un argument pour soutenir une position, en
exposer plusieurs, exposer des représentations sur la drogue ou seulement sur
l’usager, etc.).


4.2. L’analyse des données


Une fois délimité le corpus empirique de la recherche, il se révèle important de
fournir des informations à l’égard des méthodes utilisées pour effectuer
l’analyse des discours parlementaires.


Initialement, pour ce qui est du tracé de la recherche, la problématique formulée
m’a conduit à privilégier une démarche inductive, puisque l’objectif du présent
travail est notamment de générer des hypothèses, à partir de l’observation des
discours parlementaires. Ainsi, au départ, je ne cherche pas à vérifier dans ces
discours la pertinence d’une théorie spécifique, mais plutôt à générer, au
travers du processus de recherche, une ébauche de théorisation qui puisse
rendre compte de ce que je peux y observer. Par contre, à la fin du travail, des
éléments de déduction sont utilisés pour comparer les résultats de cette
recherche avec ceux d’autres auteurs.


La méthode d’analyse sur laquelle ce travail s’appuie est essentiellement la
« théorie fondée » (« grounded theory »), telle que proposée par Glaser et
Strauss (1967). Cette approche prévoit la génération d’une théorie à partir de la
codification, de la catégorisation et de la mise en relation des « unités de sens »
retrouvées dans les discours qui font l’objet de l’analyse29. Comme aucune
recherche ne peut être strictement inductive, le stéréoptype d’ancrage de ma
recherche (son présupposé en quelque sorte) se tient dans le postulat de la
cohérence interne des discours entre une position soutenue par l’orateur et les
« catégories » qu’il mobilise pour construire son propos.


Ainsi, dans un premier temps, j’ai lu attentivement les discours qui composent

29
   Etant donné les limites du présent travail, il ne sera pas question d’expliquer chacune des
étapes à suivre dans la démarche proposée par la « théorie fondée ». Je ne ferai donc
référence qu’aux procédures qui sont directement utiles à rendre raison des opérations que j’ai
réellement réalisées dans l’analyse des discours.
31



le corpus empirique, en y cherchant des manifestations sur les différentes
réponses juridico-pénales soutenues par les parlementaires à l’égard de l’usage
de drogues. Ce premier moment d’imprégnation a permis un contact initial avec
les discours, ainsi que la prise en compte des positions parlementaires, ayant
émergé pendant l’élaboration de la loi 11.343/2006.


Ensuite, pour réaliser la codification de ce matériel, j’ai observé – ligne par
ligne – ces mêmes discours, dans le but de faire ressortir des mots, des
expressions ou de courtes phrases représentant des idées, des significations,
des sens attribués par les parlementaires aux éléments évoqués pour discuter
la problématique de l’usage de drogues. Comme je n’avais à ce moment
aucune théorie pour guider la codification, j’ai fait émerger toutes les « unités de
sens » qui me paraissaient significatives et qui pourraient avoir une importance
pour l’élaboration des catégories de l’étape suivante.


En effet, le travail de catégorisation a consisté en l’attribution, aux « unités de
sens », d’« étiquettes » qui classifiaient les caractéristiques du phénomène par
des codes qui les représentent. Les catégories sont donc plus larges, plus
englobantes, que les codes initiaux (Glaser et Straus, 1967). A ce stade,
puisque j’avais obtenu un nombre très large et diversifié de catégories, il a été
nécessaire de restreindre la recherche, en analysant seulement certaines
catégories. Je me suis donc inspiré du travail de Cappi (2011) en lui empruntant
(pour l’adapter à mon sujet) l’idée de me centrer sur des classes de catégories
plus larges, telles que les « représentations de l’usage de drogues » et les
« perceptions de l’usager de drogues ». Cette « grille de lecture » des discours
a permis d’éviter la multiplication de « va-et-vient » requis par une induction
absolue ; elle fournit un « raccourci » pour calibrer la recherche dans des
proportions « réalistes ».


Ensuite, la mise en relation des diverses « modalités » pertinentes de chacune
de ces catégories a été réalisée, dans le but de trouver des « affinités » et des
« oppositions » dans le contenu des discours. A partir de ces deux grandes
catégories, englobant des sous-catégories, et des positions dégagées au début
de   l’analyse,   j’ai   pu   élaborer   une schématisation    des   discours   par
32



l’interprétation des sens attribués au phénomène analysé. Ce faisant, il a été
possible de construire des « discours-types », qui représentent les différentes
manières parlementaires de regarder et de traiter la problématique de l’usage
de drogues.


Il improte enfin de préciser que l’analyse des discours a été matériellement
facilitée par l’utilisation du logiciel libre WEFT-QDA, développé pour permettre
l’analyse de textes dans l’esprit de la théorie fondée. Ce programme permet de
créer et de modifier des catégories attribuées à des séquences textuelles ; il
rend également possible le comptage, le tri et la visualisation de l’ensemble des
séquences répertoriées sous une même catégorie et la recherche de mots dans
les textes.
33



DEUXIÈME PARTIE
Les débats parlementaires : positions politiques, regards sur
les drogues et discours justificatifs


Dans cette deuxième partie, il sera question de présenter les résultats de
l’analyse empirique des discours parlementaires. Tout d’abord, j’exposerai au
premier chapitre les différents choix politiques des parlementaires indicatifs de
la réaction au « problème de l’usage de drogues » qu’ils préconisent. Il s’agira,
dans une premier temps, de dévoiler les postures politiques des parlementaires
sur la question de l’espace normatif où placer la question de l’usage de
drogues, c’est-à-dire à l’intérieur ou à l’extérieur du droit pénal. Dans un second
temps, la tâche sera de faire émerger les propositions de réponse au problème,
en ce qui concerne une option pénale spécifique : la peine d’emprisonnement.


Au deuxième chapitre, je laisse temporairement de côté les différentes positions
retrouvées dans les discours et je les rassemble, pour en extraire certaines
représentations à l’égard du problème auquel ils s’attachent. Ainsi, pour
montrer la façon dont les parlementaires construisent l’usage de drogues
comme un problème, je présenterai successivement leurs « représentations du
problème », ainsi que leurs « perceptions de l’usager de drogues ».


Le troisième chapitre se destine à la construction de « discours-types » sur les
manières de traiter la problématique débattue. J’y exposerai les différents
regards parlementaires sur l’usage de drogues, englobant les représentations,
les positions et les propositions de réponse. J’y présenterai également
certaines conclusions étonnantes que la construction de ces regards a fait
émerger.


Finalement, un effort de théorisation des résultats de cette recherche est réalisé
dans le quatrième chapitre, par l’intégration de ces conclusions à des
propositions théoriques préexistantes concernant les logiques de contrôle de
l’usage de drogues.
34



1. LES POSITIONS DES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE RÉPONSE À
L’USAGE DE DROGUES


Dans ce premier chapitre de la deuxième partie, je cherche à élucider deux
sortes   d’opposition   présentes   dans   les   discours :   le choix   entre la
décriminalisation et le maintien de la criminalisation des drogues, ainsi que la
décision portant sur la décarcéralisation ou le maintien de l’emprisonnement de
l’usager de drogues.


1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de la
criminalisation »


En ce qui concerne les positions des parlementaires, le premier point
d’observation des discours a été le choix qu’ils portaient sur le lieu où situer
l’intervention étatique en matière d’usage de drogues : dans ou hors du droit
pénal. J’ai donc analysé la nature (pénale ou non) de la réponse que les
parlementaires envisageaient d’attribuer à la conduite de la consommation de
stupéfiants.


Ceci dit, déjà à partir de l’échantillonnage réalisé, je cherchais à vérifier
l’existence d’une première opposition entre les discours parlementaires
favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues. Pour
ce faire, j’ai lu attentivement les 62 discours sélectionnés, en les séparant en
deux modalités : « décriminalisation » et « maintien de la criminalisation ».


1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes »


Je me suis penché initialement sur les discours qui prenaient une position pour
la décriminalisation de l’usage de drogues et que j’ai par conséquent
appelés les discours «non prohibitionnistes ». Leur trait d’affinité consistait
en la proposition, directe ou indirecte, de la « décriminalisation », de la
« légalisation » ou de la « libération » de l’usage de stupéfiants. Autrement dit,
ils proposaient que cette conduite ne doive pas être sanctionnée par le droit
pénal. Le plus souvent, ces discours défendaient également la régularisation de
35



la vente et le contrôle étatique du marché de la drogue comme la voie qui
devrait découler de sa décriminalisation.


Cela a été le cas pour 16 discours, prononcés par 7 parlementaires30. De cet
ensemble, seulement 4 discours ont été formulés aux occasions spécifiques
des votations du projet de loi et ce, à l’intérieur des Commissions de
Constitution et Justice où il a transité. Tous les autres ont eu lieu dans des
circonstances diverses,        à    l’intérieur   d’évènements         organisés      par    les
Commissions parlementaires (8 discours), et à l’occasion des discours libres à
la tribune de l’Assemblée plénière, tant de la Chambre (1 discours) que du
Sénat (3 discours). Aucun de ces discours ne constituait une Présentation
d’Avis concernant le projet de loi.


Cela m’a permis d’inférer un caractère « timide » de la prise de position
publique pour la décriminalisation de l’usage des drogues31. Il s’agissait en fait,
pour ces orateurs, de « commencer à discuter (…) s’il n’est pas l’heure de
décriminaliser la drogue »32, de chercher au moins « la meilleure stratégie pour
aborder la question des drogues et de leur décriminalisation »33, de « créer un
grand débat national sur la libéralisation et la décriminalisation de la drogue »34,
et ce, afin de penser et de défendre « la légalisation des drogues, avec des
procédures diverses »35 , « la décriminalisation des drogues »36 ou « la
décriminalisation de l’usage de drogues »37. Il pouvait être également question
de vouloir « légaliser le cannabis »38, « libéraliser la drogue et en maintenir



30
    Les députés : Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP; Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ ;
Guilherme Menezes, PT-BA ; et Vicente Arruda, PSDB-CE. Les sénateurs : Eduardo Suplicy,
PT-SP ; Jefferson Péres, PDT-AM ; et João Batista Motta, PSDB-ES.
31
   A titre d’information, il est intéressant de remarquer que, pendant la période analysée (2002-
2006), au moins 596 parlementaires ont siégé au Congrès National brésilien, seulement 4
députés et 3 sénateurs ayant pris la parole pour soutenir ouvertement une proposition de
décriminalisation à l’égard des drogues. De façon identique, d’un total de 609 discours
constituant notre champ d’analyse, seulement 16 ont été centrés sur l’abandon de la répression
pénale comme modèle de gestion de la drogue.
32
   Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006.
33
   Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003.
34
   Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003.
35
   Eduardo Suplicy, PT-SP, 26/04/2004
36
   Eduardo Suplicy, PT-SP, 19/04/2004.
37
   Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004.
38
   Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 26/03/2003.
36



sous contrôle la vente et l’accès au pays »39, pour ensuite « commencer à créer
des restrictions (...): on ne peut pas conduire drogué, on ne peut pas travailler
drogué à l’hôpital (…) »40.


1.1.2. Les discours « prohibitionnistes »


En ce qui concerne la deuxième modalité, les discours « prohibitionnistes »
qui prenaient une position pour le maintien de la criminalisation de l’usage de
drogues, ce groupe était composé par 44 discours, prononcés par 25 orateurs.
Cette quantité expressive a permis une analyse plus en profondeur afin de
mieux comprendre une opposition secondaire présente à l’intérieur de ce
groupe. En effet, parmi ceux qui ont pris la parole pour s’opposer à la
« décriminalisation », à la « légalisation » ou à la « libéralisation » de l’usage de
stupéfiants, il a été possible de distinguer trois sous-groupes :
     1) l’ensemble des discours qui, tout en étant favorables au maintien de la
        criminalisation de l’usage, étaient contraires à l’emprisonnement de
        l’usager de drogues (14 discours) ;

     2) les discours qui voulaient garder la peine d’emprisonnement comme une
        possibilité de réponse dont disposerait le juge, parmi d’autres, pour punir
        l’usager (23 discours), et ;

     3) un petit sous-groupe de discours opposés à la décriminalisation et qui ne
        touchaient pas à cette deuxième opposition (7 discours).

Je reviendrai plus en détails, dans le point suivant, sur cette opposition
présente à l’intérieur des discours « prohibitionnistes », raison pour laquelle je
ne me concentre maintenant que sur le troisième sous-groupe.


Ces 7 derniers discours, prononcés par 7 parlementaires différents41, ne se
positionnaient pas à l’égard de la peine d’emprisonnement pour le crime de
l’usage de stupéfiants. Ils constituaient en fait un groupe hétérogène de
manifestations contraires à la décriminalisation de l’usage de drogues en
général, ou spécifiquement de la marijuana, ainsi que de propositions
39
   Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003.
40
   João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006.
41
   Les députés : Denise Frossard, PPS-RJ; Gonzaga Patriota, PSB-PE ; Laura Carneiro, PFL-
RJ; Marçal Filho, PMDB-MS; Neucimar Fraga, PL-ES; Valdenor Guedes, PP-AP. La sénatrice :
Heloísa Helena, PSOL-AL.
37



concernant des changements dans la politique de répression à la drogue. Ces
discours présentaient une position opposée tant à la décriminalisation de
l’usage qu’à la légalisation des drogues :

« Je pense que nous pourrions même penser à la décriminalisation des drogues si
la mesure était mondiale. Si tous les pays l’adoptaient en même temps, le problème
serait résolu. »42
« Je demande à votre Excellence d’éclaircir votre position à l’égard de la Convention
de Vienne, de laquelle le Brésil est signataire, en se compromettant à
criminaliser l’usage, en se réservant seulement au droit de déterminer la peine de
l’usager de la drogue. Nous n’avons pas fait de réserve. »43
« Je pense que légaliser les drogues dans un seul pays conduirait au chaos (...).
J’ai des doutes à l’égard de la libéralisation des drogues (…). »44
« Il s’agit de montrer notre faiblesse de réaction devant un problème si sérieux
auquel le pays fait face. Si à chaque fois que nous rencontrons un problème aussi
grave que la question des drogues, nous agissons de cette manière, d’ici peu de temps
nous devrons légaliser le crime organisé du pays (...). »45
« Nous ne sommes pas du tout d’accord, car nous savons que la marijuana, en
plus d’être hautement préjudiciable à la santé, est le tremplin pour l’usage de
d’autres stupéfiants, d’autres substances toxiques. »46
« C’est logique (...) que la marijuana ait un aspect médicinal. Mais si nous regardons
l’autre aspect, les problèmes de santé découlant de son usage sont
astronomiques. (…) Dans ce pays [Pays-Bas], M. le Président, Ms. les Députés, à
cause de la légalisation de l’usage des drogues, les problèmes sociaux ont
augmenté, les problèmes juridiques ont augmenté astronomiquement, les problèmes
familiaux et ceux pour la santé aussi. »47
« Il ne s’agit donc pas d’investir plus d’argent dans la même politique, mais de changer
la politique de répression aux drogues. (…) Il ne s’agit pas d’abolir la répression aux
drogues, mais d’éviter qu’une telle répression serve à leur donner un glamour,
spécialement aux yeux des jeunes. (…) Je répète : il ne s’agit pas de décriminaliser
les drogues, mais de savoir que sa criminalisation n’aide pas à les combattre. »48


Finalement, 2 autres discours49 ne se prononçaient pas à l’égard de cette
première     opposition     observée      dans     toutes    les    autres    manifestations
parlementaires. Bien qu’ils aient utilisé l’expression « décriminalisation », ils
faisaient référence seulement à la « décriminalisation (sic) de l’usager »,
42
   Laura Carneiro, PFL-RJ, 19/03/2003. Même si cet extrait ne parait pas en première vue
favorable à la décriminalisation des drogues, il s’avère en fait contraire, puis que son auteure
propose le maintien de la criminalisation dans le pays jusqu’au moment où tous les autres pays
au monde décident ensemble que les drogues peuvent être légalisées. C’est une position
faussement « progressiste », puisqu’elle remet la possibilité de tenter une « innovation » à
l’égard de la question à l’existence d’une décision consensuelle et accordé pour toutes les
nations au monde. Cela représente encore une façon de reporter le problème à une future
distante…
43
   Denise Frossard, PPS-RJ, 11/02/2004.
44
   Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006.
45
   Neucimar Fraga, PL-ES, 19/03/2003.
46
   Marçal Filho, PMDB-MS, 11/04/2002.
47
   Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003.
48
   Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002.
49
   Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004, et Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003.
38



signifiant en réalité sa « décarcéralisation » et ne fournissaient pas d’autres
éléments qui pourraient expliciter une position favorable ou contraire à
l’incrimination de l’usage de drogues. Ces discours seront analysés dans le
point   suivant,     avec   les   discours     prohibitionnistes    favorables     à    la
décarcéralisation.


1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de
l’emprisonnement »


Comme je l’ai mentionné dans le point précédent, à l’intérieur des discours
prohibitionnistes, j’ai constaté l’existence d’une deuxième opposition. Même si
ces parlementaires étaient d’accord en ce qui concerne le maintien de la
criminalisation de l’usage de stupéfiants, il y avait une confrontation au plan
discursif entre une position contraire à l’emprisonnement de l’usager de
drogues et une autre posture qui défendait le maintien de la possibilité légale de
son emprisonnement.


1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation »


Les discours « pro-décarcéralisation » sont en nombre de 16, prononcés par
11 parlementaires différents50. Dans cette position, il était question d’éviter au
maximum la peine de prison pour l’usager de drogues, même si sa conduite
devrait rester criminalisée. Pour une partie de ces orateurs, puisque le
consommateur de stupéfiants ne serait plus emprisonné, il s’agissait en fait de
soutenir l’option de la « décriminalisation » de l’usager, voire même de la
décriminalisation de l’usage de drogues.

« (…) nous savons que le domaine de la santé lutte pour la décriminalisation de
l’usager. L’usager mérite, c’est du traitement, il mérite des ressources pour qu’il soit
vraiment traité comme une personne qui, pendant un certain temps, est atteinte d’une
maladie ». 51



50
   Les députés : Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ; Dr. Hélio, PDT-SP; Elcione Barbalho, PMDB-
PA ; Fernando Ferro, PT-PE; Luiz Alberto, PT-BA; Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ; Paulo
Pimenta, PT-RS (Rapporteur-CCJR); Zelinda Novaes, PFL-BA. Les sénateurs : Augusto
Botelho, PDT-RR; Fátima Cleide, PT-RO; Sérgio Cabral, PMDB-RJ (Rapporteur-CAS).
51
   Fátima Cleide, PT/RO, 03/06/2004.
39



« Ce que l’on a vu à la télésérie [Le Clone]52 a constitué un plaidoyer pour la
décriminalisation et aussi pour la dépénalisation de l’usager. Je vous demande de
faire une réflexion sur cette phrase : un pays qui pénalise le malade est un pays de
barbares (…). »53
« Nous ne voyons pas une politique adéquate, correcte, mais la criminalisation des
dépendants de drogues et de stupéfiants en général. Alors, je crois qu’il faut changer
cette conception. »54
« Ce que nous voyons avec satisfaction dans les question débattues sur les drogues,
c’est la volonté politique de regarder le consommateur de drogues, non pas
comme un criminel, mais comme quelqu’un qui a besoin de soin, d’attention et de
temps. Mais nous réaffirmons que nous devons continuer à regarder le trafiquant, le
vendeur de marijuana, de cocaïne, d’ecstasy comme un criminel. »55
« Nous sommes toujours, je ne dirais pas généreux, mais peut-être réalistes, par
rapport à la décriminalisation de l’usager. Je suis même d’accord et je fais écho
dans le sens où la décriminalisation doit être pénale et non pas morale. »56
« La loi antérieure agissait comme si l’on prenait une personne parce qu’elle avait
tuberculose ou avait le Sida et l’arrêtait. (…) Alors, c’est un pas très grand qui nous
sommes en train de faire en arrêtant de criminaliser la détention de drogues. »57
« Il ne s’agit pas d’une critique de la qualité ou de la pertinence intrinsèque au
programme qui doit être adopté par le Ministère de la Santé ; ce que l’on questionne
est ce qui soutient en fait l’initiative de décriminaliser l’usage de drogues et
principalement les effets pratiques d’une telle mesure. »58

La distinction entre la position de ces orateurs et celle que j’ai retrouvée dans
les discours non prohibitionnistes se tient dans les propositions à l’égard de la
vente et de la production de la drogue. Autrement dit, s’ils étaient d’accord sur
l’idée de ne pas punir l’usager de drogues, voire même de ne pas criminaliser la
conduite de l’usage de stupéfiants, les orateurs non prohibitionnistes voulaient
également ôter tout caractère pénal des conduites liés à la commercialisation et
à la production, ce qui n’est pas du tout le cas pour ces parlementaires-ci. Cette
posture reste donc prohibitionniste à l’égard de l’usage de drogues, puisqu’elle
vise quand même à empêcher la consommation de stupéfiants par la
répression, toutefois concentrée uniquement sur l’offre de ces produits (seule la
demande bénéficie d’un changement de perspective).


Par contre, tout en soutenant la même proposition – ne pas envoyer l’usager de


52
   La télésérie (en portugais, « novela ») Le clone (2001/2002) à laquelle fait référence la
sénatrice Elcione Barbalho, a été largement suivie au Brésil : elle aborde le phénomène de la
toxicomanie, à partir de l’histoire de Mel, une jeune fille riche qui souffre de sa dépendance à la
cocaïne.
53
   Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002.
54
   Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003.
55
   Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003.
56
   Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ, 19/04/2004.
57
   Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004.
58
   Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003
40



drogues en prison – d’autres parlementaires se refusaient expressément de
définir leur position en termes de « décriminalisation ».

« (…) la grande vertu de la proposition est l’élimination de la possibilité de la prison
pour l’usager et le dépendant. (…) Nous soulignons que nous ne sommes d’aucune
façon en train de décriminaliser la conduite de l’usager – le Brésil est même
signataire de conventions internationales qui prohibent l’élimination de ce délit ». 59
« (…) dans la mesure où nous avons ‘décarcéralisé’ l’usager, c’est-à-dire, nous avons
éliminé la possibilité de la peine privative de liberté, la peine de prison, la peine de
taule. Nous avons avancé. Nous n’avons pas décriminalisé l’usage, nous avons
‘décarcéralisé’, je répète, l’usager et nous avons établi une politique de santé publique
à l’égard de l’usager ou du dépendant ».60
« Il a été trouvé une formule par laquelle la conduite qui inclut l’usage et la
possession de la drogue n’a pas été décriminalisée. Je pense que les conventions
internationales desquelles le Pays est signataire empêchent la libéralisation de l’usage
ou de la possession de drogues au Brésil. (…) Au Brésil, si la loi est approuvée,
l’usager, qui est une victime des drogues, n’ira en prison même pas au cours de la
phase initiale [de la procédure criminelle]. Toutefois, cela ne signifie pas la
libéralisation (…). »61
« Nous n’avons pas adopté la décriminalisation de l’usage, encore moins la
libéralisation de la drogue au Brésil. »62
« (…) oui, il existe un changement de paradigme. Il n’y a pas de décriminalisation,
mais la distinction entre l’usager de drogues et le trafiquant, celui qui utilise ce moyen
illicite pour s’enrichir. Ce sont deux situations bien différentes. »63


Cette deuxième posture s’est révélée plus cohérente d’un point de vue
terminologique. Tandis que pour la première, l’exclusion de l’emprisonnement
enlèverait automatiquement, ou dans la pratique, l’aspect « criminel » de la
conduite, cette position-ci représente la prise en compte de deux moments
différents dans le processus de criminalisation : le choix de la conduite à
incriminer et la décision ultérieure sur la peine adéquate pour la sanctionner.


Par ailleurs, le fait que ces derniers discours aient tous été prononcés aux
moments du vote du projet de loi en séance plénière de la Chambre semble
indiquer que la « négation » de la décriminalisation pouvait fonctionner comme
une stratégie de défense, par rapport aux éventuels attaques de la position
directement     opposée,     c’est-à-dire    les   discours    prohibitionnistes   « pro-
emprisonnement ». Il s’agissait peut-être de bien démarquer une position
intermédiaire entre la « légalisation des drogues » et le maintien d’un modèle
59
   Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR).
60
   Paulo Pimenta, PT-RS, 11/02/2004.
61
   Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004.
62
   Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 12/02/2004.
63
   Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004.
41



où le juge aurait la possibilité d’emprisonner l’usager de drogues.


De toute façon, ces différences terminologiques (ou stratégiques) n’arrivent pas
à défaire l’accord central existant dans ces discours : quelle que soit la façon
dont ces orateurs aient appelé la proposition, ce qu’ils voulaient en fait, c’était
l’exclusion légale de la possibilité attribuée au juge d’emprisonner quelqu’un du
fait de l’usage ou de la possession d’une drogue interdite.


Et pourtant, il est intéressant de remarquer que, lorsque l’on passe des
positions abstraites aux propositions concrètes, la possibilité d’emprisonnement
n’est pas tout à fait exclue, mais plutôt éloignée… Par une complexe
construction juridique, la prison pour l’usager de drogues reste encore possible,
quoique comme une sorte d’ultima ratio pénale. C’est ce qu’il est possible
d’inférer de l’exposé oral des avis « pro-décarcéralisation » :

« Qu’est-ce qui se passe pourtant, si l’usager ne rend pas les services à la
communauté ou ne comparaît pas au programme ou à la formation selon la
détermination du juge ? Les peines restrictives de droit énumérées à l’art. 43 du Code
Pénal peuvent lui être appliquées. S’il ne purge pas non plus la peine restrictive de
droits imposée, il sera coupable du crime de désobéissance, prévu à l’art. 330 du
Code Pénal. »64
« Ce qui nous faisons, c’est seulement de modifier les types de peines pouvant être
appliquées à l’usager, en excluant la privation de la liberté comme peine principale.
Cependant, pour que le condamné ne puisse pas se soustraire de purger les
peines restrictives de droits prévues dans le (Projet) Substitutif que nous
sommes en train de présenter, nous établissons la possibilité de la
condamnation de l’usager par les peines de l’art. 330 du Code Pénal en
vigueur. »65

Alors, même la « décarcéralisation » défendue oralement par les députés et
sénateurs n’arrive à échapper complètement à la peine de prison, en cherchant
plutôt à la constituer comme la dernière ressource offerte au juge pour
contraindre l’usager à se soigner ou à arrêter la consommation.


1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement »


S’opposant à la fois aux discours non-prohibitionnistes et aux discours pro-
décarcéralisation, il a été possible de constituer un groupe de 23
64
     Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS).
65
     Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR).
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  • 1. UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA (DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS, DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006) Promoteur : Mémoire présenté en Dan Kaminski vue de l’obtention du grade de Master en Criminologie par Marco Aurélio BASTOS DE MACEDO Louvain-la-Neuve, août 2011
  • 2. 2 UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN FACULTE DE DROIT ET DE CRIMINOLOGIE ÉCOLE DE CRIMINOLOGIE DES USAGES, DES DISCOURS ET DES REGARDS UNE ANALYSE DU DÉBAT PARLEMENTAIRE BRÉSILIEN SUR LA (DÉ)CRIMINALISATION DE LA CONSOMMATION DE STUPÉFIANTS, DANS LE CADRE DE LA RÉFORME DE LA LOI PÉNALE (2002 – 2006) Promoteur : Mémoire présenté en Dan Kaminski vue de l’obtention du grade de Master en Criminologie par Marco Aurélio BASTOS DE MACEDO Louvain-la-Neuve, août 2011
  • 3. 3 A Josi, cette femme « addictive » qui me conduit tous les jours à l’overdose de bonheur
  • 4. 4 Je tiens à remercier… … Riccardo, pour tout (il n’y a pas de place pour tout dire et je ne trouve pas de mots pour le remercier) … Dan, mon promoteur (et psychologue !), pour la liberté presque dangereuse avec laquelle il m’a laissé conduire cette recherche, tout en m’encourageant et en me soutenant pendant les crises et les angoisses avec des commentaires toujours très sages … mes parents, Inês et Eduardo, pour leur soutien ; sans eux, cette idée folle de venir étudier en Belgique resterait encore un rêve … ma sœur Mariana et mon frère Augusto, pour avoir compris mes absences et supporté ma mauvaise humeur pendant la période d’écriture de ce texte … Celso, Felipe, Lorena, João, Leonardo, Maria José, Pollyanna, Tatiana, Thaiane, Thays, Renato et les autres membres du Groupe de Recherche en Criminologie, où tout cela a commencé … Mme Jeanine Zaorsky-Bedynek, pour l’attention et la gentillesse qu’elle a toujours montrées à mon égard … Alvaro Pires, pour les contributions directes et surtout indirectes qu’il a apportées à ce travail … Joao et Celso, pour les discussions interminables et la compagnie chaleureuse pendant le (très) froid hiver canadien … tou(te)s les collègues du Master en Criminologie et de l’UCL … Mariana Raupp, Camille Dessurault, Louis-Philippe, Carmen Fullin, José Roberto Xavier, et tout(es) les ami(e)s du Canada … Sergio Giorgi, Nathalie Alessi, Mylène Schiltz, Jonathan Samyn, Karen Bähr, Virginie De Baeremaecker, Laurianne Dewale et tou(te)s les ami(e)s de Belgique … Maria Victoria, François Houtart, François Polet, Bernard Duterme, Laurent Delcourt et tou(te)s les ami(e)s du CETRI ... Jamile, Verena, Manu, Kiko, Jhon, Paulo, Cândido, Lilian, Rodrigo, Eder, Monique, Lívia, Núbia, Larissa, Mirna et tou(te)s les ami(e)s que j’ai au Brésil, pour m’avoir accompagné, chacun(e) à sa façon, dans cette aventure en terres étrangères ...les compagnons du PSOL, pour me faire (encore) croire que l’on peut (et l’on doit) changer les choses, et, enfin, …les drogues prises pour la réalisation de ce travail, notamment la caféine et la ritaline (heureusement, l’épreuve académique ne soumet pas au test contre le dopage)
  • 5. 5 « Nous sommes voués historiquement à l’histoire, à la patiente construction de discours sur les discours, à la tâche d’entendre ce qui a déjà été dit. » Michel Foucault - Naissance de la clinique.
  • 6. 6 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION 8 PREMIÈRE PARTIE Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la 13 construction d’une recherche 1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE 13 DES LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS 2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE... 18 3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE 22 4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES 26 4.1. La récolte des données 26 4.2. L’analyse des données 30 DEUXIÈME PARTIE Les débats parlementaires : positions politiques, regards 33 sur les drogues et discours justificatifs 1. LES POSITIONS PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE L’USAGE DE DROGUES 34 1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de la criminalisation » 34 1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes » 34 1.1.2. Les discours « prohibitionnistes » 36 1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de l’emprisonnement » 38 1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation » 38 1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement » 41
  • 7. 7 2. LES DIFFÉRENTES FAÇONS DE CONSTRUIRE L’USAGE DE DROGUES COMME UN PROBLÈME 45 2.1. Les représentations du problème 46 2.1.1. Les représentations des drogues 46 2.1.2. Les représentations de l’usage de drogues 48 2.2. Les perceptions de l’usager de drogues 54 2.2.1. Les mots utilisés pour désigner l’usager de drogues 54 2.2.2. Les affirmations positives : « l’usager de drogues est… » 55 2.2.3. Les affirmations négatives : « l’usager de drogues n’est pas… » 57 3. TROIS MANIÈRES DE TRAITER LA PROBLÉMATIQUE DE L’USAGE DE DROGUES 59 3.1. Le regard « manichéen » 61 3.2. Le regard « médical » 65 3.3. Le regard « garantiste-libéral » 67 3.4. Remarques conclusives 70 3.4.1. Un noyau : les représentations de la drogue 72 3.4.2. La subjectivation de la drogue 72 3.4.3. Une nuisance absolue 74 4. CHERCHER « L’INNOVATION » DANS LE « CONCUBINAGE » : UNE BRÈVE RÉFLEXION SUR LES RÉSULTATS DE CETTE RECHERCHE 76 4.1. Criminalisation, symptomatologisation, périllisation 77 4.2. Les « regards » brésiliens et le concubinage des logiques 79 CONCLUSION 83 BIBLIOGRAPHIE 86 ANNEXES 89
  • 8. 8 INTRODUCTION Ce travail porte, de façon très large, sur les « manières de penser » l’usage de drogues et d’y répondre. Il s’agit, plus spécifiquement, d’un effort de mieux comprendre des décisions politiques prises à l’égard de ce phénomène, à partir de l’analyse des représentations et des arguments présents dans les discours parlementaires qui les justifient. L’objet de cette recherche est donc constitué par le contenu des discours parlementaires, dans lesquels les représentants politiques prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de drogues, tout au long de la période de débats qui précédent la création d’une loi sur cette thématique. Depuis à peu près un siècle, l’usage de drogues est, sauf de très rares exceptions, légalement interdit partout au monde. Dans l’immense majorité des pays, l’on sanctionne même ce crime par la peine de prison, avec une durée plus ou moins élevée selon le cas. En réaction, des voix contestataires se lèvent pour critiquer une telle posture répressive de la part des États et exiger plus de tolérance à l’égard de cette conduite (Beauchesne, 1991). Les propositions de changement du modèle de réaction sociale à l’usage de drogues peuvent être très diverses : la prévision de peines moins lourdes ; l’application de mesures alternatives ; l’exclusion de l’emprisonnement ; la décriminalisation de l’usage de certaines ou de toutes les drogues ; la légalisation et la régulation étatique de la production, de la vente et de la consommation de certaines ou de toutes les drogues, entre autres. Normalement, ces propositions rencontrent une opposition très forte et le conflit s’instaure, sa solution pouvant aller tant dans le sens d’une répression accrue que d’un assouplissement de la prohibition. De temps en temps, des acteurs politiques engagés arrivent à faire passer l’idée que le cadre juridique de l’Etat concernant les drogues est obsolète ou inadéquat par rapport aux conflits et aux problèmes de l’époque. Alors, un processus de réforme des lois en matière de drogues voit le jour, afin de
  • 9. 9 produire une nouvelle législation qui soit plus appropriée à la réalité du moment. Cette recherche s’intéresse pourtant moins à ce processus proprement dit qu’aux discours tenus pendant qu’il se développe. Il s’agit plutôt d’une occasion intéressante pour observer la façon dont les parlementaires font leur propre usage des drogues (Kaminski, 2003), en touchant à ce sujet et en prenant (ou non) une « position » à cet égard. Ce travail cherche ainsi à analyser comment les parlementaires, à l’occasion d’une réforme légale, construisent des discours justificatifs de leur prise de position par rapport à l’usage de drogues. D’après Foucault (1963, vii), un discours est toujours produit à partir d’un regard posé par un sujet sur un objet. Il représente l’association, au ras du langage, entre une « manière de voir » et une « manière de dire ». La façon de regarder cet objet est alors constitutive de la façon dont le sujet en parle. La situation de production discursive constitue donc un « rapport de situation et de posture » entre celui qui parle et ce dont on parle. Dans ce sens, il est possible de concevoir la production d’un discours comme le fait d’une médiation entre « un sujet qui parle » et « un objet dont il parle » au travers d’un « regard », c'est-à-dire, d’une manière particulière et contextuelle de voir cet objet pour en dire quelque chose. Pour ce travail, analyser les significations des discours parlementaires sur les drogues implique alors de comprendre le(s) « regard(s) » posé(s) sur l’objet « drogue » par les sujets «parlementaires» dans le but spécifique de répondre au problème de l’usage des drogues. Dans la perspective de la découverte et de la sélection d’un terrain d’observation de ces manifestations parlementaires, le travail de Pires et Cauchie (2007) sur la nouvelle loi brésilienne sur les drogues (la loi 11.343, du 23 août 2006) s’est révélé assez important pour faire naitre « l’étonnement » nécessaire à la formulation du problème (Javeau, 2003, 29). En effet, cette loi présente un caractère inédit et inusité par rapport au contrôle pénal de drogues établi au Brésil jusque-là: tout en maintenant la criminalisation de l’usage de drogues, l’emprisonnement a été légalement exclu des sanctions autorisées au
  • 10. 10 juge en réponse à ce crime. Pour les auteurs, la nouveauté représente l’occasion de réfléchir sur les réactions possibles des systèmes juridiques et politiques à l’égard de cette « innovation accidentelle » en matière de peines (Pires et Cauchie, 2007). Pour ce mémoire, il sera question de chercher dans les travaux préparatoires de cette loi et dans les discours parlementaires formulés à cette occasion, des éléments de compréhension des choix favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues et notamment favorables et contraires à la « décarcéralisation » de l’usager. Pour ce faire, la méthodologie adoptée fut celle de la « théorie fondée » à partir des données (« grounded theory »), proposé par Glaser et L. Strauss (1967). Je cherche ainsi à faire émerger des discours les représentations des parlementaires par rapport à deux catégories centrales de l’analyse, empruntées à Cappi (2011) : « les représentations du problème » et « les perceptions de l’usager de drogues ». Les discours sont donc travaillés à partir de la « manière de voir » qu’ils révèlent, mise en relation avec les positions prises, ou encore les « manières de répondre » au problème. Finalement, le travail aboutit à la construction de « discours-types » sur les « manières de traiter » la problématique de l’usage de drogues, les « regards parlementaires », englobant la « manière de voir » et la « manière de répondre ». Ce mémoire est composé de deux parties. La première consiste en une présentation des différentes décisions de nature épistémologique et méthodologique qui ont « donné forme » à la présente recherche. Au premier chapitre, la présentation d’une « préhistoire » permet de rendre claire l’importance de certaines décisions, prises antérieurement à la formulation de la question de recherche, pour la constitution de la présente problématique. Je propose ensuite une introduction à la thématique de la recherche, en consacrant le deuxième chapitre au dévoilement des significations que l’on donne au mot « drogue ». Le troisième chapitre présentera au lecteur la problématique de ma recherche, centrée sur les débats dans lesquels les parlementaires prennent une position par rapport au « problème » de l’usage de
  • 11. 11 drogues, au cours de la période pendant laquelle est discutée et formulée la loi brésilienne 11.343/2006. A la fin de cette première partie, un chapitre méthodologique clôture l’exposé de ces décisions préliminaires, prises avant (ou au moment même) de passer à l’acte de la recherche. La deuxième partie est, à son tour, consacrée aux résultats obtenus à partir de l’analyse des discours. Pour commencer, j’aborde les différentes « positions parlementaires », manifestées au sein des discours, à l’égard de la réponse politique à établir face à la problématique de l’usage de drogues ; ceci constitue la matière du premier chapitre de cette deuxième partie. Ensuite, au deuxième chapitre, je m’éloigne momentanément des positions rencontrées, afin de saisir les discours comme un ensemble de représentations mobilisées pour construire discursivement l’usage de drogues comme un « problème ». A ce moment, deux catégories sont analysées en particulier : « les représentations du problème » et « les perceptions de l’usager de drogues ». Après avoir exposé ces « manières de voir » l’usage et l’usager de drogues, je montrerai, au troisième chapitre, comment les différentes représentations trouvées dans les manifestations parlementaires peuvent être croisées et regroupées pour constituer des « discours-types » sur la façon de regarder le problème et d’y proposer de réponses : on y parlera de « regards parlementaires ». Enfin, ces regards parlementaires seront discutés à la lumière des approches théoriques formulées par Nicolas Carrier (Carrier et Quirion, 2003 ; Carrier, 2008) : le quatrième chapitre de cette deuxième partie sera ainsi consacré à une mise en perspective théorique des résultats de la recherche. Avant de clôturer cette introduction, il me semble encore important d’expliquer un choix particulier : l’écriture de cette recherche en première personne du singulier. Même conscient du personnalisme et du subjectivisme (parfois excessif) que l’usage du « je » peut entraîner, il s’agit d’une limitation que je n’ai pas su (ou voulu) dépasser, pour trois raisons au moins que j’exposerai tout de suite.
  • 12. 12 Tout d’abord, n’étant pas d’origine francophone, la langue française constitue un univers linguistique dans lequel je ne suis entré que très récemment. Ainsi, l’utilisation de la première personne du singulier s’avère plus proche de la langue orale, avec laquelle je me sens plus familiarisé, ce qui rend moins pénible la tâche d’écrire un mémoire dans une langue étrangère. En même temps, s’il est vrai que l’écriture au pluriel permet une sorte de modestie, renforce l’idée d’une « prise de distance » et rend le texte plus formel, l’usage du « je » me semble produire une plus grande vraisemblance de « ce que je suis en train de raconter » par rapport à « ce que j’ai fait ». D’ailleurs, même si certaines personnes ont eu une large influence sur les aspects épistémologiques et méthodologiques de la recherche, les décisions les plus importantes ont été basées sur des choix individuels, qui sont le fruit de mes inquiétudes à l’égard de ce sujet et de ma façon de le construire. Cette manière d’écrire démarque enfin la posture constructiviste que je soutiens dans l’élaboration du présent travail. Les résultats obtenus dans cette recherche ne sont donc pas une description objective de la réalité qui se donnerait à connaître par l’activité d’investigation, mais plutôt une construction du chercheur, c’est-à-dire la mienne, à partir de ce que je perçois dans cette réalité et des « grilles de lecture » (Debuyst, 1985) que j’utilise pour l’observer. Ceci dit, il est important d’éviter un « je » vaniteux et narcissique, raison pour laquelle j’essaierai d’utiliser également, dans les limites du possible, la voix passive ou des formulations à la troisième personne pour la rédaction de ce travail. Il me semble enfin important de souligner que cette recherche n’a aucunement la prétention de construire un « bâtiment » théorique, ni peut-être même un « étage » de savoir. Elle ne sert qu’à ajouter une petite pierre à la « construction » de la connaissance sur l’usage que l’on fait de drogues, en particulier son usage pénal (Kaminski, 2003).
  • 13. 13 PREMIÈRE PARTIE Les discours parlementaires sur l’usage de drogues et la construction d’une recherche Cette première partie du travail se destine à présenter au lecteur le processus de construction de ma recherche. Il sera question ici d’exposer un ensemble de décisions prises avant de passer à l’exercice de recherche proprement dit. Cette partie est divisée en quatre chapitres. D’abord, j’effectue une présentation de la recherche par une sorte de « préhistoire ». J’y expose le début d’un parcours de chercheur et son lien avec le présent mémoire, ainsi que l’importance de cette « préhistoire » pour la construction de la problématique de la recherche. Ensuite, le deuxième chapitre se destine à introduire le sujet de la recherche par une discussion terminologique sur les sens que l’on attribue socialement au mot « drogue ». Il s’agit d’expliciter de quoi l’on parle lorsque l’on utilise ce mot. Le troisième chapitre, à son tour, est consacré à la présentation de cette problématique, élaborée à partir des décisions prises dans la « préhistoire » et de la lecture d’un article intrigant de Pires et Cauchie (2007). Une fois construite la problématique, cette première partie sera enfin bouclée par un chapitre méthodologique, synthétisant les processus de récolte et d’analyse des données. 1. UNE « PRÉHISTOIRE » DE LA RECHERCHE : DU VOCABULAIRE DES LOIS AUX SIGNIFICATIONS DES DISCOURS Il me semble important de reconstituer un parcours préliminaire à ma recherche proprement dite, lequel représente une sorte de « préhistoire » de ce mémoire, pour que le lecteur puisse comprendre les premières décisions prises, que je considère essentielles à la formulation définitive du présent travail. En effet, cette recherche est le résultat (encore partiel et inachevé) d’un long
  • 14. 14 processus d’apprentissage méthodologique et épistémologique sur l’investigation scientifique en criminologie. Ses origines remontent à 2008, moment de la constitution du Groupe de Recherche en Criminologie à l’Universidade Estadual de Feira de Santana, au Brésil, sous la coordination du professeur Riccardo Cappi. A cette époque, après avoir terminé un travail de fin d’études en Droit sur les rapports entre la psychiatrie et le droit pénal dans la construction sociale des « délinquants malades mentaux »1 (Macedo, 2008), je me suis consacré, avec une certaine liberté méthodologique, à une étude exploratoire sur l’historique des lois brésiliennes criminalisant les conduites liées à l’usage, la production et la commercialisation de certaines substances désignées comme « drogue ». Au début, la recherche se penchait, de façon très large, sur ce que j’appelais à ce moment-là le « contrôle pénal des drogues au Brésil», c’est-à-dire les différentes manières formulées par l’Etat brésilien de répondre pénalement au « problème de la drogue ». Plus particulièrement, je considérais la distinction des réponses proposées par la loi, à l’égard des consommateurs et des commerçants des produits qu’elle interdisait, un enjeu très important pour l’observation. La méthode d’analyse était très simple et visait notamment à l’exploration des documents légaux. En suivant la proposition de Cappi (2011), les textes des différentes lois ont été codés et regroupés selon trois catégories centrales : 1) la représentation du problème ; 2) la perception de l’usager, et ; 3) la conception des réponses2. Ensuite, les « modalités » relevant de chacune de ces catégories ont été regroupées et une première observation a été réalisée. Ce faisant, j’ai remarqué des variations significatives en ce qui concerne les 1 Ce travail discute les processus de définition qui se produisent dans le cadre de l´élaboration des sentences et expertises, respectivement par des juges et des psychiatres du Tribunal de Justice pénale de l´Etat de Bahia au Brésil. 2 L’analyse des données, à partir de ces trois « catégories de second ordre », a été inductivement élaborée par Cappi (2011, 134) dans sa recherche de doctorat sur les discours parlementaires à l’égard de l’abaissement de l’âge de la majorité pénale au Brésil. Cette méthode accompagne d’ailleurs, avec quelques modifications, le développement méthodologique du présent travail.
  • 15. 15 mots utilisés pour expliciter quelle situation-problème liée à la drogue motivait l’élaboration d’une loi : par exemple, la « toxicomanie », la « consommation », l’« usage abusif », la « dépendance », la « production », la « contrebande », le « trafic illicite », etc. Pareillement, la façon de nommer les sujets changeait significativement d’une législation à l’autre : « toxicomane », « drogué »3, « dépendant », « usager », « infracteur », telles ont été des expressions rencontrées dans les lois pour faire référence à celui qui fait un usage, abusif ou non, d’une substance interdite. Et, finalement, nous avons pu constater qu’au Brésil le modèle de réponse légalement proposée pour faire face au « problème de la drogue » s’est fortement modifié au cours du XXe siècle. En effet, il était possible d’observer, en termes généraux, la transition d’une régulation initiale plutôt administrative et encore faiblement pénale (décret-loi 891/1938) vers des choix législatifs allant dans le sens de la légitimation de la « guerre à la drogue » (lois 5.726/1971 et 6.368/1976), jusqu’à une certaine « mitigation » du caractère pénal en la matière (initié par la loi 10.409/2002 et renforcé dans la loi 11.343/2006). Essentiellement exploratoire, cette recherche a eu l’importance de permettre un premier contact avec la problématique de la criminalisation des drogues au Brésil, ainsi qu’une familiarisation du chercheur avec des techniques de recherche qualitative. Néanmoins, pendant la réalisation d’un Séjour d’études en Belgique (avril 2009), les commentaires critiques formulés par le professeur Dan Kaminski à l’égard des projets présentés par ledit Groupe de recherche en criminologie m’ont fait apercevoir les limitations d’un travail d’investigation centré uniquement sur le contenu des textes de loi4. 3 Je traduis ici par « drogué » le terme « viciado » dont la traduction en langue française s’avère difficile. En effet, le substantif portugais « vício », duquel l’adjectif « viciado » dérive, transmet en même temps l’idée de « dépendance » et celle de « vice », à connotation clairement plus moralisante, dont je ne trouve pas l’équivalent en français. Pour la traduction de cette même expression dans les discours parlementaires, j’ai préféré utiliser le terme « accro », dont l’usage oral et informel me semble plus proche du sens de l’idée de « viciado ». Je n’y utilise donc le terme « drogué » que pour traduire l’adjectif « drogado ». 4 Le texte présenté ici est une version librement adaptée des commentaires proférés oralement, de façon informelle et non structurée, par le professeur Kaminski. Son discours à l’égard de la recherche qualitative ayant pour objet les textes de loi a été enregistré en format vidéo par les membres du Groupe de recherche en Criminologie et transcrit par moi-même. Il reste à dire que
  • 16. 16 Tout d’abord, une loi est un texte qui « n’a pas de sens » à lui seul. Afin de constituer des normes générales et abstraites, l’écriture juridique cherche l’objectivation la plus parfaite – autant que possible – des énoncés d’une loi, laquelle est codée en telle façon que tous les sens s’en soient disparus. L’enjeu de l’élaboration de la loi est donc celui de faire disparaitre toute signification qui, en quelque sorte, pourrait attacher directement le texte à une réalité sociale spécifique ou concrète. Par contre, il y a lieu de nuancer ce qui vient d’être dit. En effet, les lois ont nécessairement un vocabulaire, ce qui permet d’ailleurs la réalisation d’une analyse comparative. En 1938, par exemple, celui qui fait un usage abusif de certaines substances est appelé « toxicomane » ; par contre, dans le texte de la loi 11.343/2006, on l’appellera « dépendant ». Un chercheur peut donc faire une analyse par comparaison de la signification de ces vocabulaires qui, à des époques différentes, sont présentés comme objectifs. Ainsi, il est possible d’analyser des textes légaux qui ont peut-être des manières différentes d’objectiver une réalité, mais ce travail se limite à l’analyse du vocabulaire employé. Les résultats de la recherche sont, à priori, plus adéquatement valides en termes de description que de compréhension du phénomène étudié. Alors, si l’on veut approcher le sens, la signification d’un dispositif légal, il faut aller voir ailleurs que dans son texte. En reprenant la métaphore évoquée par Kaminski (enregistrement, 2009), à moins que ce soit leur mise en œuvre ce qui nous intéresse, les lois sont des textes déjà morts, « ce sont des cadavres, rigidifiés. Même si elles sont encore en application. (…) Une loi, en tant que texte, n’est paradoxalement vivante que tant qu’elle n’est pas adoptée. C’est la vie intra-utérine de la loi qui est intéressante (…) »5. Pour lui, « la loi est le résultat codé (et le plus souvent un compromis) d’une discussion conflictuelle, ce texte n’a aucune prétention de reproduire tout le contenu de ce discours et vise uniquement à en reprendre quelques idées centrales. 5 Bien sûr, il peut également être important d’étudier l’application d’une loi, laquelle constitue sa « vie extra-utérine ». Dans ce cas, il s’agit d’aller toujours voir ailleurs que dans son texte, puisque l’application de la loi englobe, en plus du texte (voire même contre lui), des ressources institutionnelles, organisationnelles, professionnelles et celles produites au moment même de l’interaction entre les acteurs qui se trouvent devant une situation inédite ou particulière. (Lascoumes, 1990a ; Kaminski, enregistrement, 2009).
  • 17. 17 interne à la société ou à ses représentants politiques. Donc la signification de la loi ne peut se trouver que par l’examen des conflits et de leurs résolutions progressives ». Ces constats ont fait basculer le projet initial. Même si je n’avais pas encore une « question de recherche » précisément formulée, il m’a semblé très limitant de restreindre l’analyse au vocabulaire des textes de loi sur les drogues. C’était plutôt leurs significations qui m’intéressaient. Ainsi, si je cherchais des significations, des éléments de réflexion qui pourraient éventuellement m’apporter une compréhension du phénomène du « contrôle pénal des drogues » dans la réalité brésilienne, les lois – ces cadavres rigides – n’étaient pas la source adéquate pour les fournir. Il fallait donc aller à la rencontre d’une « scène » où des choses « significatives » pourraient se passer. Dans ce cas, les travaux préparatoires d’une loi sont apparus comme un matériau intéressant à observer. J’ai alors choisi une nouvelle source pour la (nouvelle) recherche : les débats parlementaires concernant l’élaboration des lois sur les drogues. En effet, ceux qui ont parlé et participé à la production de la loi ont en même temps mobilisé des catégories, des représentations et des arguments dans leurs discours pour justifier une idée ou une position prise à l’égard des questions en jeu. Il y a donc là, à l’intérieur de ces discours, des significations dont l’analyse peut aboutir à des résultats plus expressifs pour la compréhension du phénomène « contrôle pénal des drogues » que la simple comparaison des vocabulaires utilisés dans les lois. J’ai donc pris la décision d’abandonner les discours légaux comme objet d’étude, en me tournant vers l’analyse des discours parlementaires formulés autour du sujet de la drogue, à l’occasion de discussions sur une réforme légale. Par contre, si je savais déjà vers quelle « scène » diriger le regard, il fallait encore préciser « quoi » observer dans les travaux parlementaires, ainsi que décider « où » et « comment » le faire. Autrement dit, il était avant tout nécessaire de formuler une question de recherche. Mais celle-ci n’était que le point de départ d’une série de décisions sur les contours de l’objet et la
  • 18. 18 méthodologie pour l’observer : je devais encore délimiter le champ d’observation, échantillonner les discours, les récolter et finalement en définir une méthode d’analyse6. Les défis d’une recherche venaient à peine de commencer. 2. LES DROGUES, CES « CHOSES » DONT ON PARLE... Avant de passer à la construction du problème de recherche, il me semble important d’interroger les mots utilisés pour désigner l’objet de la recherche et les significations qui peuvent lui être attribuées. En effet, de quoi parlons-nous lorsque nous évoquons l’idée d’un « problème de la drogue » ? Qu’est-ce que cette expression peut vouloir dire ? Et, même avant cela, qu’est-ce que c’est qu’une « drogue » ? Évidemment, le mot « drogue » n’est pas univoque, pouvant se référer à des produits ou des groupes de produits assez différents, récréatifs ou médicinaux, interdits ou non… D’après le Dictionnaire de la langue française Le Robert (2006, p. 416), les acceptions contemporaines du terme « drogue » sont : « 1. Médicament dont on conteste l’utilité, l’efficacité ou dont on condamne l’usage. Toutes les drogues que lui ordonne son médecin lui font plus de mal que de bien. 2. LA DROGUE : toxiques, stupéfiants (cocaïne, morphine, L.S.D., etc.). Trafic de drogue. ». Sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales7, il est possible de retrouver des définitions plus complexes : « 1. Matière première d'origine animale, végétale ou minérale, employée pour la préparation des médicaments magistraux et officinaux ; substance utilisée en teinture et employée à divers usages ménagers. 2. Anciennt. Se disait spécialement d'un remède préparé de façon artisanale. Auj., parfois péj. Remède, médicament. Administrer, prendre des drogues. Avez-vous pris votre drogue ? 3. Généralement au singulier. La drogue, nom donné à l'ensemble des substances naturelles ou synthétiques, comme la cocaïne, la morphine, l'héroïne, les dérivés du chanvre indien, les amphétamines, dont certaines sont utilisées en thérapeutique, mais dont l'usage illégal et répété, à la recherche d'une évasion du réel, crée la dépendance et conduit à la toxicomanie. Les drogues peuvent avoir des effets hallucinogènes ou 6 Il est important de souligner que ces étapes sont des processus intellectuels différents qui apparaissent au début de la recherche, mais pas nécessairement dans cet ordre temporel. Dans ce travail, elles se sont plus ou moins imbriquées temporellement, ce qui pose parfois des difficultés pour les expliquer séparément et à postériori. 7 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/drogue.
  • 19. 19 stupéfiants. Drogue dure, drogue douce, dont les effets immédiats sont plus ou moins graves. L'accoutumance aux drogues douces peut conduire à l'usage de drogues dures. La vente de la drogue est strictement règlementée dans la plupart des pays. Les fabricants, les trafiquants de drogue. La lutte contre la drogue. La douane a saisi une cargaison de drogue. Par ext. Fam. Le café est sa drogue quotidienne. Fig. et péj. Ce qui intoxique l'esprit, ce dont on ne peut se passer. Le jeu peut devenir une drogue. » (Nous soulignons). Malgré son étymologie obscure, l’origine du mot « drogue » semble venir du néerlandais « droog » qui veut dire « plante sèche réservée à la pharmacie ou à la cuisine ». Nous retrouvons également une influence douteuse du celtique « drwg » : « chose mauvaise »8. A partir de ces définitions, il y a lieu de postuler deux significations différentes du mot « drogue ». La première, plus générale et « neutre », fait référence à « drogue » comme une substance utilisée en teinture, à la cuisine ou notamment en médicine. Il est question de voir la « drogue » ici plutôt comme la source d’un médicament, « substance spécialement préparée pour servir de remède » (Le Robert, 2006, p. 819), pouvant faire du bien mais aussi produire un mal selon l’usage que l’on en fait. La deuxième signification, plus spécifique à certains produits, conçoit « la drogue » comme un « stupéfiant » : « Substance euphorisante (opium, morphine, cocaïne…) entraînant généralement une accoutumance et un état de stupeur. => drogue. Trafic de stupéfiants » (Le Robert, 2006, p. 1270). « (Substance toxique) qui agit sur le système nerveux en provoquant un effet analgésique, narcotique ou euphorisant dont l'usage répété entraîne une accoutumance et une dépendance. (…) Produit naturel ou synthétique dont l'usage est sévèrement réglementé tant dans sa prescription médicale que dans son emploi, afin de contrôler et d'interdire le trafic de ces produits et leur usage conduisant à la toxicomanie » (CNRTL9). Dans ce deuxième sens, l’usage que l’on fait du mot « drogue » est déjà chargé de certaines connotations morales. Plusieurs éléments semblent donc lier « la drogue » à l’idée d’une « chose mauvaise » : d’un côté, son usage 8 Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario Etimologico Online: http://etimo.it/?term=droga&find=Cerca, et confirmé par les analyses de Bertolotti (1958). 9 Référence trouvée à l’adresse virtuelle : http://www.cnrtl.fr/definition/stupefiant.
  • 20. 20 « généralement entraîne » l’état de stupeur10, l’accoutumance11, la dépendance12, voire la toxicomanie13 ; de l’autre côté, la référence fréquente au « trafic », « commerce plus ou moins clandestin, honteux et illicite » (Le Robert, 2006, p. 1347), indique une production et une commercialisation marginales, échappant à la régulation et au contrôle étatiques. Il est dès lors possible de remarquer une distinction, au niveau terminologique, entre « drogue », produit ou substance que l’on prend comme une sorte de « remède », et « la drogue », stupéfiant qui entraîne la dépendance et dont l’usage, le commerce et la production sont souvent interdits. Au plan concret, cette distinction s’avère moins évidente. D’abord, les « remèdes » peuvent aussi entraîner une dépendance et leurs usages peuvent bien être motivés par « la recherche d’une évasion du réel ». De façon identique, certains produits comme l’alcool et le tabac14 conduisent également (et même davantage) à la toxicomanie sans que leur usage soit pour autant interdit. Par ailleurs, un stupéfiant (« la drogue ») peut tout de même « servir de remède », « en provoquant un effet analgésique, narcotique ou euphorisant » (CNRTL). Selon Bucher (1989, p. 18), « la drogue » a encore une fonction rassurante et anxiolytique très ancienne, en permettant à son usager 10 « 1. Incapacité totale d’agir et de penser (due à un trouble, à un choc moral, psychologique, à des substances chimiques). 2. Etonnement profond. => stupéfaction. Je suis resté muet de stupeur. » (Le Robert, 2006, p. 1271). Du latim stupor: l’état de l’âme de celui qui, en voyant des choses merveilleuses, reste muet (Référence trouvée à l’adresse virtuelle du Dizionario Etimologico Online: http://etimo.it/?term=stupore&find=Cerca). 11 « 1. Le fait de s’habituer, de se familiariser. (…) 2. Processus par lequel un organisme tolère de mieux en mieux un agent extérieur (…). – Etat dû à l’usage prolongé d’une drogue (désir de continuer, etc.). => dépendance. » (Le Robert, 2006, p. 11). 12 « 1. Rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre => corrélation. Dépendance entre des faits. 2. Le fait pour une personne de dépendre de qqn ou de qqch. => assujettissement, servitude, sujétion. Être dans, sous la dépendance de qqn. (…) – Asservissement à une drogue. 3. Etat d’une personne qui n’est pas ou n’est plus autonome dans la vie quotidienne. » (Le Robert, 2006, p. 360). 13 « Habitude de consommer régulièrement des substances ou des médicaments toxiques (opium, cocaïne, haschisch, hypnotiques), créant un état de dépendance psychique et physique. => intoxication. » (Le Robert, 2006, p. 1345). 14 Plusieurs produits se trouvent dans la même situation, comme la Salvia Divinorum dont l’usage, la production et la commercialisation ne sont pas interdits dans certains pays, comme le Brésil.
  • 21. 21 d’échapper à la conscience de la fugacité de l’existence et à l’angoisse que cela entraîne. Pour Nowlis (1975, p. 53), « on cherche dans l’usage de stupéfiants cinq effets pharmacologiques principaux : 1) soulager la douleur (…) ; 2) essayer de réduire une activité ou une sensation qui atteint un niveau désagréable ou indésirable, comme l’anxiété, la frousse, l’insomnie, l’hyperstimulation… (…) ; 3) essayer d’augmenter le niveau d’activité et la sensation de puissance, ou de réduire la sensation de fatigue, de dépression, de somnolence. (…) ; 4) essayer d’avoir des modifications dans la façon habituel de perception de l’individu face à son propre moyen physique et social, c’est-à-dire, explorer, sortir de soi-même, avoir des nouvelles intuitions, augmenter sa créativité, augmenter l’intensité des expériences sensorielles et esthétiques et le plaisir que l’individu en tire ; 5) essayer d’atteindre plusieurs degrés d’ivresse, d’hallucination, d’euphorie, des sensations d’être en train te flotter ou de vertige… » Alors, il nous semble qu’une caractéristique fondamentale pour distinguer « la drogue » des autres « drogues »15 est le fait de son interdiction légale. Il y a même lieu de soutenir que « la drogue » porte ce nom en raison de la normativité pénale à laquelle elle est indexée (Kaminski, 2003, 15). Autrement dit, ce qui différencie les « stupéfiants » des produits comme les médicaments, l’alcool ou le tabac est essentiellement le processus de criminalisation16 que les premiers ont subi. Bien que la criminalisation de certaines drogues et de leur usage soit le résultat d’un processus historique très récent (Guillain, 2009, 458-459), il est possible d’observer l’existence aujourd’hui d’un quasi-« amalgame » entre « la drogue » 15 Cette distinction terminologique sera partiellement soutenue dans l’écriture du présent travail. Ainsi, lorsque j’écris « les drogues » (au pluriel), je veux faire référence à l’ensemble des substances qui, introduites dans l’organisme, affectent le système nerveux et en modifient le fonctionnement habituel, jusqu’à entrainer (ou non) la dépendance. Par ailleurs, l’utilisation d’expressions comme « stupéfiant » (ou « stupéfiants ») ou « la drogue » (au singulier) désigne spécifiquement les produits pénalement interdits. Finalement, pour indiquer le groupe des produits dont l’usage, le commerce et/ou la production sont autorisés et régulés par l’Etat, je ferai l’usage de l’expression « drogues licites ». 16 La criminalisation consiste en un processus d’interdiction légale d’un comportement par l’attribution (ou la menace) d’une peine à son auteur (Robert, 2005). Ce processus se réalise en deux moments distincts : le premier, que l’on appelle la « criminalisation primaire », consiste essentiellement dans les étapes de la production de la loi pénale, et le deuxième, nommé « criminalisation secondaire », consiste dans le travail effectif des agences (la police, le parquet, la magistrature, le service pénitentiaire…) qui opèrent la mise en œuvre de cette loi. Il est important de dire que la criminalisation secondaire est relativement autonome par rapport à l’incrimination légale : un comportement peut être criminalisé par le législateur sans que pour autant des gens soient arrêtés, poursuivis, jugés, condamnés et emprisonnés. Tout dépend du fonctionnement et des objectifs de certaines agences du système pénal : la police, le parquet et la magistrature opèrent un « filtrage » des conduites (et/ou des personnes) qui sont les cibles prioritaires de leur travail, parmi l’ensemble des comportements criminalisés (et de toutes les personnes qui passent à l’acte – à la limite même sans le faire), en soumettant effectivement à une peine ceux qui ne disposent pas des moyens d’y échapper.
  • 22. 22 et le droit pénal. Si depuis longtemps les sociétés inscrivent l’usage de drogues dans leurs contextes les plus divers – économique, médical, religieux, rituel, culturel, psychologique, esthétique, voire militaire (Bucher, 1989, p. 18) – sans que cela fasse l’objet d’aucune forme de sanction punitive, au tournant du XXe siècle17, la drogue commence à être publiquement problématisée et sa construction pénale apparaît comme « la » réponse. Depuis ce moment, la réaction sociale prépondérante à l’usage d’un produit stupéfiant est devenue, jusqu’à aujourd’hui, la menace d’une peine. 3. LA PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE Dans un papier publié dans la revue électronique Champ Pénal18, Pires et Cauchie (2007) analysent « une modification hyper improbable concernant les peines », présente dans une nouvelle loi en matière de drogues : la loi brésilienne nº 11.343, du 23 août 2006, actuellement en application. Il s’agit de l’article 28 qui se trouve dans le chapitre III de cette loi (« Des crimes et des peines »). Voici le texte de cet article : « Art. 28 : Quiconque achète, garde, a en dépôt, transporte ou amène sur soi, pour la consommation personnelle, des drogues sans autorisation ou à l’encontre d’un dispositif légal ou règlementaire sera soumis aux peines suivantes : I. Avertissement sur les effets des drogues ; II. Prestations de services à la communauté ; III. Mesure éducative de participation à un programme ou cours éducatif. § 1° Les mêmes mesures s’appliquent à quiconque, po ur sa consommation personnelle, sème, cultive ou cueille des plantes destinées à la préparation d’une petite quantité de substance ou de produit susceptible de causer une dépendance physique ou psychique. § 2° Pour déterminer si la drogue est destinée à la consommation personnelle, le juge tiendra compte de la nature et de la quantité de substance appréhendée, du lieu et des conditions où l’action s’est passée, des circonstances sociales et personnelles, aussi bien que de la conduite et des antécédents judiciaires de l’individu. § 3° Les peines prévues dans les points II et III d e l’en-tête de cet article seront appliquées pour une durée maximale de 5 (cinq) mois ». 17 C’est en effet à cette époque qu’émerge, notamment aux États-Unis, un discours de diabolisation des drogues (l’alcool y compris) et de stigmatisation de leurs usagers, porté d’une part, par les ligues de tempérance, et d’autre part, par les milieux médicaux. Pour les premiers, il s’agit de représenter la drogue comme « le symptôme d’une dégénérescence sociale », tandis que ces derniers veulent opérer un contrôle monopolisé de sa circulation (Guillain, 2009, 490). Le racisme à l’égard des Chinois, des Noirs et des Mexicains, auxquels on associait l’usage de l’opium, de la cocaïne et de la marijuana respectivement, a aussi joué un rôle dans la promulgation des premières lois prohibant l’usage de stupéfiants (Beauchesne, 1991, 107-119). 18 Disponible à l’adresse électronique suivante : http://champpenal.revues.org/1541.
  • 23. 23 Pour les auteurs, ce dispositif légal constitue un évènement « improbable » et « accidentel », présentant cinq dimensions qui lui donnent, plus ou moins selon le cas, un caractère « surprenant » : 1) la peine de prison est exclue comme sanction autorisée au juge à l’égard des crimes qui y sont prévus; 2) il est rare de voir un article de loi qui constitue des crimes prévoir en même temps des peines autres que la mort, le châtiment corporel, l’emprisonnement ou l’amende ; 3) les peines prévues dans cet article n’ont pas usuellement le statut juridique de peines dans les lois criminelles, d’habitude elles ne sont pas usuellement des peines indépendantes des peines de prison, et ne sont pas des peines valorisées par les théories modernes de la peine19 ; 4) les peines sélectionnées ne correspondent pas de façon optimale au concept de peine qui exige de la part de l’autorité l’intention visible de vouloir infliger une souffrance ou une blessure au coupable; 5) les peines prévues dans cet article ne correspondent pas non plus de façon optimale aux peines auxquelles la doctrine criminelle pense lorsqu’elle soutient que « le crime se définit par la peine »20 (Pires et Cauchie, 2007, s.p.). Les auteurs mentionnent que, suite à l’approbation de la loi, cet article sui generis a engendré plusieurs débats entre les pénalistes brésiliens sur les conséquences juridico-pénales d’une telle réglementation. Ces discussions se centraient autour de la question de savoir si l’article analysé avait ou non effectué une « décriminalisation » ou une « dépénalisation » de l’usage de drogues au Brésil. Toutefois, en s’attachant à une discussion conceptuelle sur le caractère potentiellement innovateur de « cet élément perturbateur » pour les 19 D’après Pires (2009), les théories modernes de la peine (rétribution, dissuasion, neutralisation et le premier paradigme de la théorie de la réhabilitation) sont souvent articulées les unes aux autres, en constituant un système d’idées fermé qu’il appelle la « rationalité pénale moderne ». Cette « manière de penser » la justice pénale et le rapport crime-peine défend essentiellement la (sur)valorisation des sanctions afflictives ou carcérales, la valorisation de la sévérité ou de la durée de la peine, l’obligation de punir et la « dévalorisation des sanctions pénales non afflictives ». Autrement dit, la « rationalité pénale moderne » considère « l’inflicction intentionnelle d’une douleur » au coupable (Christie, 2005) comme la réponse nécessaire au « mal » qu’il a causé au travers de son crime. 20 Dans ce sens, l’article premier du Décret-loi 3.914, du 09 décembre, 1941 – Loi d’introduction er au Code Pénal brésilien, prévoit : « Art. 1 . L’on considère crime l’infraction pénale à laquelle la loi commine la peine de réclusion ou de détention soit isolément, soit alternativement ou cumulativement à la peine d’amende ; l’on considère contravention, l’infraction pénale à laquelle la loi commine, isolément, la peine de prison simple ou d’amende, ou les deux, alternativement ou cumulativement ».
  • 24. 24 systèmes politique et de droit criminel, Pires et Cauchie ne s’intéressent pas aux aspects qu’il comporte au regard du thème spécifique des drogues21. A partir de la lecture de cet article, j’ai décidé de suivre la piste implicitement laissé par ses auteurs et de réaliser ce qu’ils n’ont pas fait. Ainsi, au lieu de me pencher sur les conséquences de cet « évènement accidentel » sur les « manières de penser » le rapport crime-peine, il m’a semblé pertinent d’étudier les « manières de voir » cet « élément perturbateur » par ceux qui l’ont formulé. Autrement dit, il pourrait être intéressant d’observer comment cette idée – l’incrimination de l’usage de drogues n’ayant pas la prison comme peine – a été discutée par les parlementaires brésiliens, dans le cadre spécifique de la réforme de la loi sur les drogues. J’ai donc décidé d’analyser le débat sur la « décriminalisation », la « dépénalisation » et la « décarcéralisation », non pas après l’approbation de la loi 11.343/2006, mais pendant le processus de son élaboration et tel qu’il se présente dans l’enceinte parlementaire. Ce faisant, il serait possible d’identifier les différentes positions prises par ces parlementaires en ce qui concerne la réponse juridico-pénale à attribuer au phénomène de l’usage de drogues, ainsi que la façon dont on construit et justifie ces positions. En conséquence, j’ai formulé une question de recherche pouvant être énoncée de la manière qui suit : « A l’occasion de l’élaboration de la loi brésilienne nº 11.343/2006, quelles ont été les différentes positions parlementaires à l’égard des réponses étatiques face à l’usage de drogues ? » L’objectif de cette recherche est donc de comprendre certains enjeux spécifiques au processus de réforme de ladite loi de drogues brésilienne, ainsi que des « manières de penser » le problème de l’usage de drogues en général et, par conséquent, d’y répondre. Je cherche ainsi « à réfléchir sur les implications d’une décision politique, (…) à comprendre plus nettement comment certaines personnes appréhendent un phénomène et à rendre visibles certains fondements de leurs représentations » (Quivy et Van 21 D’après eux, « le statut ‘improbable’ de ce changement aurait en effet été le même si cette modification avait porté sur un autre crime » (Pires et Cauchie, 2007).
  • 25. 25 Campenhoudt, 2006, 19). Ceci dit, il est important de rappeler au lecteur que le processus d’élaboration d’une norme pénale n’est pas que le résultat de débats parlementaires. En effet, selon Lascoumes (1990b), l’analyse de la prise de décision politique conduisant à la création de la loi pénale doit se faire de façon séquentielle, en intégrant une pluralité d’acteurs interreliés et impliqués dans des formes d’action diversifiées. Ainsi, cet auteur propose de distinguer quatre groupes de « définisseurs », c’est-à-dire des acteurs qui luttent pour ou contre la définition de problèmes et pour ou contre la nécessité de leur traduire pénalement : 1. les acteurs qui représentent une revendication collective ou la défense d’intérêts de certains groupes (mouvements féministes, anti- homophobie, pour la légalisation des drogues, par exemple) ; 2. des groupes corporatistes ou lobbies professionnels qui interviennent directement auprès des groupes parlementaires ou de l’exécutif gouvernemental : 3. les acteurs technocratiques, très proches des centres de décision mais faiblement visibles (les fonctionnaires du parlement, des ministères, etc.) ; 4. enfin, les acteurs politiques, agissant en fonction de ce qu’ils perçoivent de leur électorat passé ou futur. Dans le processus d’élaboration ou de réforme d’une loi, il est possible de retrouver des conflits, des ajustements, des compromis et des rapports de force entre ces différents groupes. Comprendre ce processus implique donc de prendre en compte l’action de tous ces acteurs sur la scène politique et même dans ses coulisses. Dans cette recherche, je ne centre mon analyse que sur l’action discursive de membres du dernier de ces groupes : les acteurs parlementaires. Ainsi, le point névralgique de mon problème n’est pas en soi le processus d’élaboration de la loi 11.343/2006, mais plutôt comment les parlementaires (députés et sénateurs) construisent et justifient, au moment de la réforme légale, les réponses politiques et juridico-pénales à donner au problème de l’usage de drogue.
  • 26. 26 Le moment de la réforme n’est donc pas étudié pour lui-même, mais il est considéré dans mon travail comme le contexte d’émergence des discours que je désire analyser. La sélection de ce contexte particulier se justifie dès lors ici par le fait qu’il est plus probable d’y trouver des discours qui proposent des réponses concrètes pour le problème diagnostiqué et non seulement des options normatives abstraites. 4. LES OPTIONS MÉTHODOLOGIQUES 4.1. La récolte des données La constitution du corpus empirique de cette recherche est le résultat de deux étapes distinctes : 1) la création d’une base de données reprenant tous les documents et discours produits au sujet de la drogue pendant le processus d’élaboration de la loi 11.343/2006 et 2) la réalisation d’un échantillonnage qualitatif pour sélectionner les discours qui seraient effectivement retenus pour l’analyse. En ce sens, la spécificité de l’objet choisi inscrit le présent travail dans la technique de recherche que Quivy et Campenhoudt (2006, p. 201-205) appellent la « récolte des données préexistantes », étant donné que les discours proférés par les parlementaires existent préalablement et indépendamment de l’analyse. La récolte des discours utilisés dans la présente recherche a été réalisée au moyen des sites internet de la Chambre des Députés22 et du Sénat Fédéral23 du Brésil. À travers ces sites, il a été possible de retrouver des documents divers liés au processus de réforme de la loi sur les drogues, parmi lesquels : - les lois 10.409, du 11 janvier 2002, et 11.343, du 23 août 2006 ; - différents projets de loi : 22 Adresse électronique : http://www.camara.gov.br. 23 Adresse électronique : http://www.senado.gov.br
  • 27. 27 o le projet 6108/2002, élaboré par le Président de la République, à l’époque M. Fernando Henrique Cardoso, suite au véto partiel opposé à la loi 10.409/2002 ; o le projet 115/2002, élaboré par un groupe de travail du Sénat, intitulé « Crime organisé, narcotrafic et blanchiment d’argent », et ; o le projet substitutif 7134-B, élaboré par la Chambre des Députés, sur base de l’analyse simultanée des deux autres projets ; - les « avis » prononcés par les rapporteurs des projets mentionnés ci- dessus dans les commissions où ils ont transité : o l’avis sur le Projet 6108/2002, émis par Vicente Arruda (PSDB- CE), à la Commission de Sécurité Publique et Combat au Crime Organisé (CSPCCO) de la Chambre des Députés ; o l’avis sur les Projets 6108/2002 et 115/2002 et sur l’élaboration du Projet Substitutif 7134-B, de Paulo Pimenta (PT-RS), à la Commission de Constitution, Justice et Rédaction (CCJR) de la Chambre des Députés ; o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, établi par Sérgio Cabral (PMDB-RJ), à la Commission des Affaires Sociales (CAS) du Sénat Fédéral, et ; o l’avis du Projet Substitutif 7134-B, formulé par Romeu Tuma (PFL- SP), à la Commission de Constitution, Justice et Citoyenneté (CCJC) du Sénat Fédéral ; - et, enfin, tous les amendements proposés par différents députés et sénateurs. Par la suite, sur les sites de chacune des Commissions parlementaires mentionnés au-dessus, j’ai pu retrouver les discussions qui y ont eu lieu, en rapport direct avec les dispositifs de la nouvelle loi sur les drogues. Une fois ces documents téléchargés, une première lecture en a été faite, dans le but de mieux approcher le processus d’élaboration de la loi et les enjeux qui s’y présentaient à première vue. Ce faisant, j’ai pu constater que ces documents étaient assez riches en détails sur les débats liés à la pertinence et à la rédaction adéquate de plusieurs dispositifs légaux réglementant la thématique des drogues dans le pays. Cependant, dans leur grande majorité, ces textes ne présentaient que des points de vue très ciblés à l’égard de la matière sous examen (par exemple, la durée de la peine pour le crime de blanchiment d’argent en rapport avec le
  • 28. 28 trafic de drogues ; les types de sanctions à appliquer à l’usager de drogues ; la responsabilité étatique pour l’organisation des communautés thérapeutiques, etc.). Il y manquait donc l’expression plus fouillée des représentations des parlementaires à l’égard du problème, susceptibles de m’aider à comprendre les choix opérés ou les propositions défendues. En conséquence, j’ai décidé de réaliser une nouvelle recherche sur les mêmes sites, afin d’y trouver les discours prononcés à la tribune de l’assemblée plénière, tant de la Chambre que du Sénat, pendant toute la période de la réforme légale24. L’intérêt de ces discours réside dans le fait que les députés et les sénateurs peuvent s’y exprimer librement, sur les thématiques qui leur conviennent le plus et qui sont portées normalement à l’agenda politique du moment. En introduisant dans le moteur de recherche des sites officiels le terme « droga » (en français, « drogue »), il a été possible de retrouver les transcriptions de toutes les manifestations parlementaires émises, sur le sujet, à la tribune de la Chambre et du Sénat. Après la lecture de ces textes, j’ai téléchargé les documents jugés pertinents pour ce travail25. Ensuite, j’ai construit une base de données à l’aide du logiciel Microsoft Access, contenant tous ces textes téléchargés : j’ai classé par orateur, date, chambre et lieu de Production (assemblée plénière ou commissions). Cette base de données contient 609 entrées, soit une quantité suffisamment importante pour « l’épuisement » du problème mais en même temps trop importante, étant donné le temps et les ressources dont je disposais, pour effectuer l’analyse subséquente. Ce paradoxe a rendu impératif et nécessaire la réalisation d’un échantillonnage pour constituer le groupe des discours sur lequel mon analyse 24 Cette période s’étend du 22 février 2002, date du renvoi du Projet 6108/2002 à la Chambre par le Président Fernando Henrique Cardoso, jusqu’au 23 août 2006, date à laquelle la loi 11.343 a été signée par le Président Luís Inácio da Silva (Lula). 25 En effet, des discours dans lesquels le mot « drogue » était utilisé ne parlaient pas du tout du « problème de la drogue ». Le moteur de recherche a donc sélectionné des discours sur des thématiques diverses, comme par exemple la situation économique du Brésil, à propos de laquelle un député se prononçait en disant : « Notre pays est une drogue ». Ces discours n’avaient donc aucune pertinence pour cette recherche. De façon identifique, d’autres discours dans lesquels la place de la question « drogue » dans l’ensemble du discours était trop réduite ont été directement exclus.
  • 29. 29 porterait effectivement. A partir de cette base de données reprenant tous les discours prononcés sur le sujet de la drogue pendant la période d’élaboration de la loi 11.343/2006, j’ai décidé de centrer l’analyse sur les discours au sein desquels les parlementaires discutaient spécifiquement la question de la (dé)criminalisation de la drogue ou de la (dé)pénalisation de l’usager. En utilisant le moteur de recherche du logiciel Microsoft Access, j’y ai introduit les mots-clés suivants : « *criminaliz* » ou « *legaliz* » ou « *penaliz* » (en français, « *criminalis* » ou « *légalis* » ou « *pénalis* »26). Ce critère de sélection a retenu 67 discours, groupe dont j’ai encore exclu cinq discours qui ne touchaient pas directement aux questions visées27. Mon échantillon (corpus empirique analysé dans la présente recherche) est, donc, composé de 62 discours28. De cet ensemble, 31 discours ont été prononcés à l’occasion des travaux préparatoires de la loi, dont quatre sont les présentations des avis par les rapporteurs ; 17 discours ont été tenus oralement dans des événements organisés par des commissions parlementaires pour discuter sur les problèmes liés à l’usage de drogues ; 14 discours constituent des manifestations « libres » des parlementaires tenues oralement à la tribune. 34 discours ont été prononcés à la Chambre et 28 au Sénat. La structure de ces discours est enfin très diversifiée : ils peuvent varier d’une à cinq pages ; traiter du sujet de la drogue en général ou cibler une question spécifique (la durée de la peine, par exemple), fournir des informations de 26 Pour le lecteur moins familiarisé avec les techniques de « recherche » dans une base de données, il est peut-être important de souligner que cette façon de réaliser des recherches à l’aide de l’astérisque (« * ») vise à trouver des mots ou des passages qui contiennent l’information souhaitée, quelle que soit l’inflexion initiale et/ou finale du signifiant recherché. Dans ce travail, cette méthode a permis de retrouver tous les discours dans lesquels les parlementaires se sont exprimés en termes de « criminalisation », « décriminalisation », « criminaliser », « légalisation », « dépénalisé », etc. 27 Ces discours contenaient les expressions recherchées, mais ils ne portaient pas sur le sujet espéré, parlant de la « légalisation des armes » ou d’une conférence sur l’abus de drogues, entre autres. Les cinq discours suivants sont concernés : Alice Portugal, PC do B-BA, 10/09/2003 ; Edna Macedo, PTB-SP, 22/10/2003 ; João Campos, PSDB-GO, 15/05/2003 ; Magno Malta, PL-ES, 21/06/2006, et ; Marçal Filho, PMDB-MS, 24/04/2002. 28 Le lecteur trouvera en annexe deux listes complètes des discours répertoriés à la Chambre des Députés et au Sénat Fédéral, présentés par date de dépôt, par parti et État du parlementaire qui en est l’auteur.
  • 30. 30 degrés très divers (n’exposer qu’un argument pour soutenir une position, en exposer plusieurs, exposer des représentations sur la drogue ou seulement sur l’usager, etc.). 4.2. L’analyse des données Une fois délimité le corpus empirique de la recherche, il se révèle important de fournir des informations à l’égard des méthodes utilisées pour effectuer l’analyse des discours parlementaires. Initialement, pour ce qui est du tracé de la recherche, la problématique formulée m’a conduit à privilégier une démarche inductive, puisque l’objectif du présent travail est notamment de générer des hypothèses, à partir de l’observation des discours parlementaires. Ainsi, au départ, je ne cherche pas à vérifier dans ces discours la pertinence d’une théorie spécifique, mais plutôt à générer, au travers du processus de recherche, une ébauche de théorisation qui puisse rendre compte de ce que je peux y observer. Par contre, à la fin du travail, des éléments de déduction sont utilisés pour comparer les résultats de cette recherche avec ceux d’autres auteurs. La méthode d’analyse sur laquelle ce travail s’appuie est essentiellement la « théorie fondée » (« grounded theory »), telle que proposée par Glaser et Strauss (1967). Cette approche prévoit la génération d’une théorie à partir de la codification, de la catégorisation et de la mise en relation des « unités de sens » retrouvées dans les discours qui font l’objet de l’analyse29. Comme aucune recherche ne peut être strictement inductive, le stéréoptype d’ancrage de ma recherche (son présupposé en quelque sorte) se tient dans le postulat de la cohérence interne des discours entre une position soutenue par l’orateur et les « catégories » qu’il mobilise pour construire son propos. Ainsi, dans un premier temps, j’ai lu attentivement les discours qui composent 29 Etant donné les limites du présent travail, il ne sera pas question d’expliquer chacune des étapes à suivre dans la démarche proposée par la « théorie fondée ». Je ne ferai donc référence qu’aux procédures qui sont directement utiles à rendre raison des opérations que j’ai réellement réalisées dans l’analyse des discours.
  • 31. 31 le corpus empirique, en y cherchant des manifestations sur les différentes réponses juridico-pénales soutenues par les parlementaires à l’égard de l’usage de drogues. Ce premier moment d’imprégnation a permis un contact initial avec les discours, ainsi que la prise en compte des positions parlementaires, ayant émergé pendant l’élaboration de la loi 11.343/2006. Ensuite, pour réaliser la codification de ce matériel, j’ai observé – ligne par ligne – ces mêmes discours, dans le but de faire ressortir des mots, des expressions ou de courtes phrases représentant des idées, des significations, des sens attribués par les parlementaires aux éléments évoqués pour discuter la problématique de l’usage de drogues. Comme je n’avais à ce moment aucune théorie pour guider la codification, j’ai fait émerger toutes les « unités de sens » qui me paraissaient significatives et qui pourraient avoir une importance pour l’élaboration des catégories de l’étape suivante. En effet, le travail de catégorisation a consisté en l’attribution, aux « unités de sens », d’« étiquettes » qui classifiaient les caractéristiques du phénomène par des codes qui les représentent. Les catégories sont donc plus larges, plus englobantes, que les codes initiaux (Glaser et Straus, 1967). A ce stade, puisque j’avais obtenu un nombre très large et diversifié de catégories, il a été nécessaire de restreindre la recherche, en analysant seulement certaines catégories. Je me suis donc inspiré du travail de Cappi (2011) en lui empruntant (pour l’adapter à mon sujet) l’idée de me centrer sur des classes de catégories plus larges, telles que les « représentations de l’usage de drogues » et les « perceptions de l’usager de drogues ». Cette « grille de lecture » des discours a permis d’éviter la multiplication de « va-et-vient » requis par une induction absolue ; elle fournit un « raccourci » pour calibrer la recherche dans des proportions « réalistes ». Ensuite, la mise en relation des diverses « modalités » pertinentes de chacune de ces catégories a été réalisée, dans le but de trouver des « affinités » et des « oppositions » dans le contenu des discours. A partir de ces deux grandes catégories, englobant des sous-catégories, et des positions dégagées au début de l’analyse, j’ai pu élaborer une schématisation des discours par
  • 32. 32 l’interprétation des sens attribués au phénomène analysé. Ce faisant, il a été possible de construire des « discours-types », qui représentent les différentes manières parlementaires de regarder et de traiter la problématique de l’usage de drogues. Il improte enfin de préciser que l’analyse des discours a été matériellement facilitée par l’utilisation du logiciel libre WEFT-QDA, développé pour permettre l’analyse de textes dans l’esprit de la théorie fondée. Ce programme permet de créer et de modifier des catégories attribuées à des séquences textuelles ; il rend également possible le comptage, le tri et la visualisation de l’ensemble des séquences répertoriées sous une même catégorie et la recherche de mots dans les textes.
  • 33. 33 DEUXIÈME PARTIE Les débats parlementaires : positions politiques, regards sur les drogues et discours justificatifs Dans cette deuxième partie, il sera question de présenter les résultats de l’analyse empirique des discours parlementaires. Tout d’abord, j’exposerai au premier chapitre les différents choix politiques des parlementaires indicatifs de la réaction au « problème de l’usage de drogues » qu’ils préconisent. Il s’agira, dans une premier temps, de dévoiler les postures politiques des parlementaires sur la question de l’espace normatif où placer la question de l’usage de drogues, c’est-à-dire à l’intérieur ou à l’extérieur du droit pénal. Dans un second temps, la tâche sera de faire émerger les propositions de réponse au problème, en ce qui concerne une option pénale spécifique : la peine d’emprisonnement. Au deuxième chapitre, je laisse temporairement de côté les différentes positions retrouvées dans les discours et je les rassemble, pour en extraire certaines représentations à l’égard du problème auquel ils s’attachent. Ainsi, pour montrer la façon dont les parlementaires construisent l’usage de drogues comme un problème, je présenterai successivement leurs « représentations du problème », ainsi que leurs « perceptions de l’usager de drogues ». Le troisième chapitre se destine à la construction de « discours-types » sur les manières de traiter la problématique débattue. J’y exposerai les différents regards parlementaires sur l’usage de drogues, englobant les représentations, les positions et les propositions de réponse. J’y présenterai également certaines conclusions étonnantes que la construction de ces regards a fait émerger. Finalement, un effort de théorisation des résultats de cette recherche est réalisé dans le quatrième chapitre, par l’intégration de ces conclusions à des propositions théoriques préexistantes concernant les logiques de contrôle de l’usage de drogues.
  • 34. 34 1. LES POSITIONS DES PARLEMENTAIRES EN MATIÈRE DE RÉPONSE À L’USAGE DE DROGUES Dans ce premier chapitre de la deuxième partie, je cherche à élucider deux sortes d’opposition présentes dans les discours : le choix entre la décriminalisation et le maintien de la criminalisation des drogues, ainsi que la décision portant sur la décarcéralisation ou le maintien de l’emprisonnement de l’usager de drogues. 1.1. Une première opposition : « décriminalisation » vs « maintien de la criminalisation » En ce qui concerne les positions des parlementaires, le premier point d’observation des discours a été le choix qu’ils portaient sur le lieu où situer l’intervention étatique en matière d’usage de drogues : dans ou hors du droit pénal. J’ai donc analysé la nature (pénale ou non) de la réponse que les parlementaires envisageaient d’attribuer à la conduite de la consommation de stupéfiants. Ceci dit, déjà à partir de l’échantillonnage réalisé, je cherchais à vérifier l’existence d’une première opposition entre les discours parlementaires favorables et défavorables à la criminalisation de l’usage de drogues. Pour ce faire, j’ai lu attentivement les 62 discours sélectionnés, en les séparant en deux modalités : « décriminalisation » et « maintien de la criminalisation ». 1.1.1. Les discours « non prohibitionnistes » Je me suis penché initialement sur les discours qui prenaient une position pour la décriminalisation de l’usage de drogues et que j’ai par conséquent appelés les discours «non prohibitionnistes ». Leur trait d’affinité consistait en la proposition, directe ou indirecte, de la « décriminalisation », de la « légalisation » ou de la « libération » de l’usage de stupéfiants. Autrement dit, ils proposaient que cette conduite ne doive pas être sanctionnée par le droit pénal. Le plus souvent, ces discours défendaient également la régularisation de
  • 35. 35 la vente et le contrôle étatique du marché de la drogue comme la voie qui devrait découler de sa décriminalisation. Cela a été le cas pour 16 discours, prononcés par 7 parlementaires30. De cet ensemble, seulement 4 discours ont été formulés aux occasions spécifiques des votations du projet de loi et ce, à l’intérieur des Commissions de Constitution et Justice où il a transité. Tous les autres ont eu lieu dans des circonstances diverses, à l’intérieur d’évènements organisés par les Commissions parlementaires (8 discours), et à l’occasion des discours libres à la tribune de l’Assemblée plénière, tant de la Chambre (1 discours) que du Sénat (3 discours). Aucun de ces discours ne constituait une Présentation d’Avis concernant le projet de loi. Cela m’a permis d’inférer un caractère « timide » de la prise de position publique pour la décriminalisation de l’usage des drogues31. Il s’agissait en fait, pour ces orateurs, de « commencer à discuter (…) s’il n’est pas l’heure de décriminaliser la drogue »32, de chercher au moins « la meilleure stratégie pour aborder la question des drogues et de leur décriminalisation »33, de « créer un grand débat national sur la libéralisation et la décriminalisation de la drogue »34, et ce, afin de penser et de défendre « la légalisation des drogues, avec des procédures diverses »35 , « la décriminalisation des drogues »36 ou « la décriminalisation de l’usage de drogues »37. Il pouvait être également question de vouloir « légaliser le cannabis »38, « libéraliser la drogue et en maintenir 30 Les députés : Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP; Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ ; Guilherme Menezes, PT-BA ; et Vicente Arruda, PSDB-CE. Les sénateurs : Eduardo Suplicy, PT-SP ; Jefferson Péres, PDT-AM ; et João Batista Motta, PSDB-ES. 31 A titre d’information, il est intéressant de remarquer que, pendant la période analysée (2002- 2006), au moins 596 parlementaires ont siégé au Congrès National brésilien, seulement 4 députés et 3 sénateurs ayant pris la parole pour soutenir ouvertement une proposition de décriminalisation à l’égard des drogues. De façon identique, d’un total de 609 discours constituant notre champ d’analyse, seulement 16 ont été centrés sur l’abandon de la répression pénale comme modèle de gestion de la drogue. 32 Jefferson Péres, PDT-AM, 18/05/2006. 33 Guilherme Menezes, PT-BA, 17/03/2003. 34 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003. 35 Eduardo Suplicy, PT-SP, 26/04/2004 36 Eduardo Suplicy, PT-SP, 19/04/2004. 37 Aloysio Nunes Ferreira, PSDB-SP, 11/02/2004. 38 Fernando Gabeira, Sans Parti-RJ, 26/03/2003.
  • 36. 36 sous contrôle la vente et l’accès au pays »39, pour ensuite « commencer à créer des restrictions (...): on ne peut pas conduire drogué, on ne peut pas travailler drogué à l’hôpital (…) »40. 1.1.2. Les discours « prohibitionnistes » En ce qui concerne la deuxième modalité, les discours « prohibitionnistes » qui prenaient une position pour le maintien de la criminalisation de l’usage de drogues, ce groupe était composé par 44 discours, prononcés par 25 orateurs. Cette quantité expressive a permis une analyse plus en profondeur afin de mieux comprendre une opposition secondaire présente à l’intérieur de ce groupe. En effet, parmi ceux qui ont pris la parole pour s’opposer à la « décriminalisation », à la « légalisation » ou à la « libéralisation » de l’usage de stupéfiants, il a été possible de distinguer trois sous-groupes : 1) l’ensemble des discours qui, tout en étant favorables au maintien de la criminalisation de l’usage, étaient contraires à l’emprisonnement de l’usager de drogues (14 discours) ; 2) les discours qui voulaient garder la peine d’emprisonnement comme une possibilité de réponse dont disposerait le juge, parmi d’autres, pour punir l’usager (23 discours), et ; 3) un petit sous-groupe de discours opposés à la décriminalisation et qui ne touchaient pas à cette deuxième opposition (7 discours). Je reviendrai plus en détails, dans le point suivant, sur cette opposition présente à l’intérieur des discours « prohibitionnistes », raison pour laquelle je ne me concentre maintenant que sur le troisième sous-groupe. Ces 7 derniers discours, prononcés par 7 parlementaires différents41, ne se positionnaient pas à l’égard de la peine d’emprisonnement pour le crime de l’usage de stupéfiants. Ils constituaient en fait un groupe hétérogène de manifestations contraires à la décriminalisation de l’usage de drogues en général, ou spécifiquement de la marijuana, ainsi que de propositions 39 Vicente Arruda, PSDB-CE, 19/03/2003. 40 João Batista Motta, PSDB-ES, 31/05/2006. 41 Les députés : Denise Frossard, PPS-RJ; Gonzaga Patriota, PSB-PE ; Laura Carneiro, PFL- RJ; Marçal Filho, PMDB-MS; Neucimar Fraga, PL-ES; Valdenor Guedes, PP-AP. La sénatrice : Heloísa Helena, PSOL-AL.
  • 37. 37 concernant des changements dans la politique de répression à la drogue. Ces discours présentaient une position opposée tant à la décriminalisation de l’usage qu’à la légalisation des drogues : « Je pense que nous pourrions même penser à la décriminalisation des drogues si la mesure était mondiale. Si tous les pays l’adoptaient en même temps, le problème serait résolu. »42 « Je demande à votre Excellence d’éclaircir votre position à l’égard de la Convention de Vienne, de laquelle le Brésil est signataire, en se compromettant à criminaliser l’usage, en se réservant seulement au droit de déterminer la peine de l’usager de la drogue. Nous n’avons pas fait de réserve. »43 « Je pense que légaliser les drogues dans un seul pays conduirait au chaos (...). J’ai des doutes à l’égard de la libéralisation des drogues (…). »44 « Il s’agit de montrer notre faiblesse de réaction devant un problème si sérieux auquel le pays fait face. Si à chaque fois que nous rencontrons un problème aussi grave que la question des drogues, nous agissons de cette manière, d’ici peu de temps nous devrons légaliser le crime organisé du pays (...). »45 « Nous ne sommes pas du tout d’accord, car nous savons que la marijuana, en plus d’être hautement préjudiciable à la santé, est le tremplin pour l’usage de d’autres stupéfiants, d’autres substances toxiques. »46 « C’est logique (...) que la marijuana ait un aspect médicinal. Mais si nous regardons l’autre aspect, les problèmes de santé découlant de son usage sont astronomiques. (…) Dans ce pays [Pays-Bas], M. le Président, Ms. les Députés, à cause de la légalisation de l’usage des drogues, les problèmes sociaux ont augmenté, les problèmes juridiques ont augmenté astronomiquement, les problèmes familiaux et ceux pour la santé aussi. »47 « Il ne s’agit donc pas d’investir plus d’argent dans la même politique, mais de changer la politique de répression aux drogues. (…) Il ne s’agit pas d’abolir la répression aux drogues, mais d’éviter qu’une telle répression serve à leur donner un glamour, spécialement aux yeux des jeunes. (…) Je répète : il ne s’agit pas de décriminaliser les drogues, mais de savoir que sa criminalisation n’aide pas à les combattre. »48 Finalement, 2 autres discours49 ne se prononçaient pas à l’égard de cette première opposition observée dans toutes les autres manifestations parlementaires. Bien qu’ils aient utilisé l’expression « décriminalisation », ils faisaient référence seulement à la « décriminalisation (sic) de l’usager », 42 Laura Carneiro, PFL-RJ, 19/03/2003. Même si cet extrait ne parait pas en première vue favorable à la décriminalisation des drogues, il s’avère en fait contraire, puis que son auteure propose le maintien de la criminalisation dans le pays jusqu’au moment où tous les autres pays au monde décident ensemble que les drogues peuvent être légalisées. C’est une position faussement « progressiste », puisqu’elle remet la possibilité de tenter une « innovation » à l’égard de la question à l’existence d’une décision consensuelle et accordé pour toutes les nations au monde. Cela représente encore une façon de reporter le problème à une future distante… 43 Denise Frossard, PPS-RJ, 11/02/2004. 44 Heloísa Helena, PSOL-AL, 18/05/2006. 45 Neucimar Fraga, PL-ES, 19/03/2003. 46 Marçal Filho, PMDB-MS, 11/04/2002. 47 Valdenor Guedes, PP-AP, 04/09/2003. 48 Gonzaga Patriota, PSB-PE, 25/06/2002. 49 Fátima Cleide, PT-RO, 03/06/2004, et Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003.
  • 38. 38 signifiant en réalité sa « décarcéralisation » et ne fournissaient pas d’autres éléments qui pourraient expliciter une position favorable ou contraire à l’incrimination de l’usage de drogues. Ces discours seront analysés dans le point suivant, avec les discours prohibitionnistes favorables à la décarcéralisation. 1.2. Une deuxième opposition: « décarcéralisation » vs « maintien de l’emprisonnement » Comme je l’ai mentionné dans le point précédent, à l’intérieur des discours prohibitionnistes, j’ai constaté l’existence d’une deuxième opposition. Même si ces parlementaires étaient d’accord en ce qui concerne le maintien de la criminalisation de l’usage de stupéfiants, il y avait une confrontation au plan discursif entre une position contraire à l’emprisonnement de l’usager de drogues et une autre posture qui défendait le maintien de la possibilité légale de son emprisonnement. 1.2.1. Les discours « pro-décarcéralisation » Les discours « pro-décarcéralisation » sont en nombre de 16, prononcés par 11 parlementaires différents50. Dans cette position, il était question d’éviter au maximum la peine de prison pour l’usager de drogues, même si sa conduite devrait rester criminalisée. Pour une partie de ces orateurs, puisque le consommateur de stupéfiants ne serait plus emprisonné, il s’agissait en fait de soutenir l’option de la « décriminalisation » de l’usager, voire même de la décriminalisation de l’usage de drogues. « (…) nous savons que le domaine de la santé lutte pour la décriminalisation de l’usager. L’usager mérite, c’est du traitement, il mérite des ressources pour qu’il soit vraiment traité comme une personne qui, pendant un certain temps, est atteinte d’une maladie ». 51 50 Les députés : Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ; Dr. Hélio, PDT-SP; Elcione Barbalho, PMDB- PA ; Fernando Ferro, PT-PE; Luiz Alberto, PT-BA; Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ; Paulo Pimenta, PT-RS (Rapporteur-CCJR); Zelinda Novaes, PFL-BA. Les sénateurs : Augusto Botelho, PDT-RR; Fátima Cleide, PT-RO; Sérgio Cabral, PMDB-RJ (Rapporteur-CAS). 51 Fátima Cleide, PT/RO, 03/06/2004.
  • 39. 39 « Ce que l’on a vu à la télésérie [Le Clone]52 a constitué un plaidoyer pour la décriminalisation et aussi pour la dépénalisation de l’usager. Je vous demande de faire une réflexion sur cette phrase : un pays qui pénalise le malade est un pays de barbares (…). »53 « Nous ne voyons pas une politique adéquate, correcte, mais la criminalisation des dépendants de drogues et de stupéfiants en général. Alors, je crois qu’il faut changer cette conception. »54 « Ce que nous voyons avec satisfaction dans les question débattues sur les drogues, c’est la volonté politique de regarder le consommateur de drogues, non pas comme un criminel, mais comme quelqu’un qui a besoin de soin, d’attention et de temps. Mais nous réaffirmons que nous devons continuer à regarder le trafiquant, le vendeur de marijuana, de cocaïne, d’ecstasy comme un criminel. »55 « Nous sommes toujours, je ne dirais pas généreux, mais peut-être réalistes, par rapport à la décriminalisation de l’usager. Je suis même d’accord et je fais écho dans le sens où la décriminalisation doit être pénale et non pas morale. »56 « La loi antérieure agissait comme si l’on prenait une personne parce qu’elle avait tuberculose ou avait le Sida et l’arrêtait. (…) Alors, c’est un pas très grand qui nous sommes en train de faire en arrêtant de criminaliser la détention de drogues. »57 « Il ne s’agit pas d’une critique de la qualité ou de la pertinence intrinsèque au programme qui doit être adopté par le Ministère de la Santé ; ce que l’on questionne est ce qui soutient en fait l’initiative de décriminaliser l’usage de drogues et principalement les effets pratiques d’une telle mesure. »58 La distinction entre la position de ces orateurs et celle que j’ai retrouvée dans les discours non prohibitionnistes se tient dans les propositions à l’égard de la vente et de la production de la drogue. Autrement dit, s’ils étaient d’accord sur l’idée de ne pas punir l’usager de drogues, voire même de ne pas criminaliser la conduite de l’usage de stupéfiants, les orateurs non prohibitionnistes voulaient également ôter tout caractère pénal des conduites liés à la commercialisation et à la production, ce qui n’est pas du tout le cas pour ces parlementaires-ci. Cette posture reste donc prohibitionniste à l’égard de l’usage de drogues, puisqu’elle vise quand même à empêcher la consommation de stupéfiants par la répression, toutefois concentrée uniquement sur l’offre de ces produits (seule la demande bénéficie d’un changement de perspective). Par contre, tout en soutenant la même proposition – ne pas envoyer l’usager de 52 La télésérie (en portugais, « novela ») Le clone (2001/2002) à laquelle fait référence la sénatrice Elcione Barbalho, a été largement suivie au Brésil : elle aborde le phénomène de la toxicomanie, à partir de l’histoire de Mel, une jeune fille riche qui souffre de sa dépendance à la cocaïne. 53 Elcione Barbalho, PMDB-PA, 25/06/2002. 54 Fernando Ferro, PT-PE, 26/03/2003. 55 Zelinda Novaes, PFL-BA, 24/06/2003. 56 Ronaldo Cezar Coelho, PSDB-RJ, 19/04/2004. 57 Augusto Botelho, PDT-RR, 03/06/2004. 58 Luiz Alberto, PT-BA, 15/04/2003
  • 40. 40 drogues en prison – d’autres parlementaires se refusaient expressément de définir leur position en termes de « décriminalisation ». « (…) la grande vertu de la proposition est l’élimination de la possibilité de la prison pour l’usager et le dépendant. (…) Nous soulignons que nous ne sommes d’aucune façon en train de décriminaliser la conduite de l’usager – le Brésil est même signataire de conventions internationales qui prohibent l’élimination de ce délit ». 59 « (…) dans la mesure où nous avons ‘décarcéralisé’ l’usager, c’est-à-dire, nous avons éliminé la possibilité de la peine privative de liberté, la peine de prison, la peine de taule. Nous avons avancé. Nous n’avons pas décriminalisé l’usage, nous avons ‘décarcéralisé’, je répète, l’usager et nous avons établi une politique de santé publique à l’égard de l’usager ou du dépendant ».60 « Il a été trouvé une formule par laquelle la conduite qui inclut l’usage et la possession de la drogue n’a pas été décriminalisée. Je pense que les conventions internationales desquelles le Pays est signataire empêchent la libéralisation de l’usage ou de la possession de drogues au Brésil. (…) Au Brésil, si la loi est approuvée, l’usager, qui est une victime des drogues, n’ira en prison même pas au cours de la phase initiale [de la procédure criminelle]. Toutefois, cela ne signifie pas la libéralisation (…). »61 « Nous n’avons pas adopté la décriminalisation de l’usage, encore moins la libéralisation de la drogue au Brésil. »62 « (…) oui, il existe un changement de paradigme. Il n’y a pas de décriminalisation, mais la distinction entre l’usager de drogues et le trafiquant, celui qui utilise ce moyen illicite pour s’enrichir. Ce sont deux situations bien différentes. »63 Cette deuxième posture s’est révélée plus cohérente d’un point de vue terminologique. Tandis que pour la première, l’exclusion de l’emprisonnement enlèverait automatiquement, ou dans la pratique, l’aspect « criminel » de la conduite, cette position-ci représente la prise en compte de deux moments différents dans le processus de criminalisation : le choix de la conduite à incriminer et la décision ultérieure sur la peine adéquate pour la sanctionner. Par ailleurs, le fait que ces derniers discours aient tous été prononcés aux moments du vote du projet de loi en séance plénière de la Chambre semble indiquer que la « négation » de la décriminalisation pouvait fonctionner comme une stratégie de défense, par rapport aux éventuels attaques de la position directement opposée, c’est-à-dire les discours prohibitionnistes « pro- emprisonnement ». Il s’agissait peut-être de bien démarquer une position intermédiaire entre la « légalisation des drogues » et le maintien d’un modèle 59 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR). 60 Paulo Pimenta, PT-RS, 11/02/2004. 61 Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 11/02/2004. 62 Antônio Carlos Biscaia, PT-RJ, 12/02/2004. 63 Dr. Hélio, PDT-SP, 12/02/2004.
  • 41. 41 où le juge aurait la possibilité d’emprisonner l’usager de drogues. De toute façon, ces différences terminologiques (ou stratégiques) n’arrivent pas à défaire l’accord central existant dans ces discours : quelle que soit la façon dont ces orateurs aient appelé la proposition, ce qu’ils voulaient en fait, c’était l’exclusion légale de la possibilité attribuée au juge d’emprisonner quelqu’un du fait de l’usage ou de la possession d’une drogue interdite. Et pourtant, il est intéressant de remarquer que, lorsque l’on passe des positions abstraites aux propositions concrètes, la possibilité d’emprisonnement n’est pas tout à fait exclue, mais plutôt éloignée… Par une complexe construction juridique, la prison pour l’usager de drogues reste encore possible, quoique comme une sorte d’ultima ratio pénale. C’est ce qu’il est possible d’inférer de l’exposé oral des avis « pro-décarcéralisation » : « Qu’est-ce qui se passe pourtant, si l’usager ne rend pas les services à la communauté ou ne comparaît pas au programme ou à la formation selon la détermination du juge ? Les peines restrictives de droit énumérées à l’art. 43 du Code Pénal peuvent lui être appliquées. S’il ne purge pas non plus la peine restrictive de droits imposée, il sera coupable du crime de désobéissance, prévu à l’art. 330 du Code Pénal. »64 « Ce qui nous faisons, c’est seulement de modifier les types de peines pouvant être appliquées à l’usager, en excluant la privation de la liberté comme peine principale. Cependant, pour que le condamné ne puisse pas se soustraire de purger les peines restrictives de droits prévues dans le (Projet) Substitutif que nous sommes en train de présenter, nous établissons la possibilité de la condamnation de l’usager par les peines de l’art. 330 du Code Pénal en vigueur. »65 Alors, même la « décarcéralisation » défendue oralement par les députés et sénateurs n’arrive à échapper complètement à la peine de prison, en cherchant plutôt à la constituer comme la dernière ressource offerte au juge pour contraindre l’usager à se soigner ou à arrêter la consommation. 1.2.2. Les discours « pro-emprisonnement » S’opposant à la fois aux discours non-prohibitionnistes et aux discours pro- décarcéralisation, il a été possible de constituer un groupe de 23 64 Sérgio Cabral, PMDB-RJ, 03/06/2004 (Présentation de l’Avis-CAS). 65 Paulo Pimenta, PT-RS, 10/02/2004 (Présentation de l’Avis-CCJR).