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Philippe Marcelé : Violaine, je t’ai connue à l’université de
Rennes 2, débutant en première année un cursus d’arts plas-
tiques. Depuis, j’ai toujours essayé de suivre ton activité artis-
tique. Mon intention est d’aborder plus tard sur tes productions
récentes tournées assez nettement, vers la performance et le
son. Je voudrais t’interroger d’abord sur un aspect de ta person-
nalité qui m’a toujours frappé : l’extrême diversité de tes centres
d’intérêt et de tes pratiques. Dès le début tu as pratiqué le des-
sin, la peinture, le volume, la vidéo, la performance, et bien sûr, la
musique. Cependant, il a toujours été impossible de parler, dans
ton cas, de dispersion même à tes débuts, encore très jeune. Tu
t’es toujours arrangée pour que ces différents axes de recherche
convergent. Je me souviens d’une de tes performances, réalisée
dans le cadre d’un atelier que j’animais, qui avait intégrée dans
sa préparation, l’accumulation de nombreux dessins. Même si
aujourd’hui, tu sembles avoir resserré ton axe de réflexion, cette
diversité me semble une dimension importante de ta personna-
lité et de tes engagements artistiques. Pour commencer, j’aime-
rais savoir ce que tu en penses ; si tu es d’accord d’abord et si
elle reste une donnée qui compte pour toi.
Violaine Lochu
Interview par Philippe Marcelé
Lingua madre, vidéo sur moniteur, 3’20, 2013
Violaine Lochu : Ta première question est très intéressante mais
aussi difficile. Elle touche en effet à un nerf sensible et demande
développement. Il est vrai que je cultive une grande diversité de
pratique et de centre d’intérêt encore aujourd’hui. Je vais com-
mencer par me présenter à travers cette mosaïque : je participe
à des projets d’exposition, j’étudie le chant lyrique au conserva-
toire de Sevran, je suis chanteuse et accordéoniste pour diffé-
rentes formations telles Mashke et Traversées autour de chants
italiens, yiddish et français, je donne des cours de dessin dans
la prépa intégrée de l’école Studio Mode, je travaille à la maison
de la culture yiddish dans le cadre de la kindershul, je suis aussi
modèle vivant etc…
Ma pratique artistique se situe « entre » et « à travers » ces élé-
ments. Pour cette raison j’aimerais rebondir sur cette phrase « tu
t’es toujours arrangée pour que ces différents axes de recherche
convergent ». Je ne « m’arrange » pas, c’est justement dans le
creux qui semble séparer ces champs que j’agis. Je ne crois
pas à l’étanchéité des domaines. Peut être est-ce notre langue
qui pour bâtir un univers structuré a eu la nécessité de nom-
mer et donc de donner des limites à des éléments. Cependant
je crois que leurs frontières n’existent pas vraiment. Comme en
dessin, notre mode de représentation nous pousse à contourner
la forme, mais le contour n’existe pas en soi. En ce moment je
suis en train de rechercher une forme entre le chant et la perfor-
mance. Le domaine où j’agis n’a pas de nom. Il pourrait peut être
se définir par référence à des univers tels que celui de Ghéra-
sim Luca, Meredith Monk, Georges Aperghis… J’avance à tâtons
dans un monde incertain, sans limites arrêtées. Je me sens en
balancement entre musique et « art contemporain », je ne peux
me définir qu’en marge des deux, sans pouvoir en épouser un
complètement.
Si je cultive un grand champ d’intérêt c’est sans doute parce que
je suis « entre » mais aussi parce que j’ai besoin sans cesse de
me nourrir de l’extérieur. Paris est en ce sens un lieu idéal pour
les expositions, les concerts et autres manifestations culturelles.
La lecture est une de mes activités principales. Lire de la poésie
ou de la philosophie c’est comme prendre le grand vent. Rencon-
trer un « penseur » ça donne d’impression d’ouvrir des possibles,
d’éclater la tête. Je pense à Edouard Glissant, Giorgio Agamben,
Jacques Derrida, Jean Dubuffet, Saussure, Gilles Deleuze, Hen-
ri Michaux etc…Ma recherche se fait donc en diagonale, par
touche entre différents univers musicaux, artistiques, littéraires.
Je suis exigeante quant à l’aiguisement d’une optique. Les mo-
no-mondes m’inquiètent. Lorsqu’on ne fait qu’un seul mouve-
ment, qu’on ne va que dans un sens on finit par développer une «
bosse de spécialiste » (j’emprunte ce terme à un philosophe dont
je ne parviens pas à me souvenir du nom). On crée corporelle-
ment de la corne, on se durcit, on perd en souplesse. Je pense
notamment à certains musiciens d’un répertoire traditionnel qui
ne vont pas voir ailleurs, dont le but est de jouer parfaitement
dans le style mais dont la manière de jouer est comme scléro-
sée, figée. Je crois qu’on prend la mesure de son monde en en
fréquentant d’autres. C’est lorsqu’on apprend une langue étran-
gère qu’on prend conscience du fonctionnement de sa langue
maternelle. Néanmoins l’ouverture dont je parle ici n’est pas
synonyme d’oisiveté. La diversité ne doit pas se développer à
outrance et dans une frénésie inquiète du « faire ». L’engage-
ment et l’endurance dans un domaine sont primordiaux. Mais
je crois que ce dernier pour avancer artistiquement parlant a
besoin d’être en relation à « l’autre ». Diversité ne veut donc pas
dire éclatement mais plutôt une manière d’être au monde, de
l’approcher de manière mosaïque.
P. M : Ta réponse prépare, ou plutôt anticipe, ma seconde
question. Il semble en effet, que l’art actuel libère des tendances
ou des directions de recherche, qui ont du mal à se situer à
l’intérieur des grands boulevards artistiques balisés que sont les
arts plastiques, la musique, la littérature, etc.. Elles ont même du
mal à se situer dans les ruelles adjacentes. Aussi, lorsque tu dis
« Je ne crois pas à l’étanchéité des domaines », je pense que tu
énonces un jugement qui nous renseigne certes sur ta pratique,
mais qui la déborde pour concerner un, ou des, pans entiers de
l’art actuel (j’emploie délibérément les termes d’« art actuel »
et non ceux « d’art contemporain », précisément parce que ces
derniers me semblent recouvrir un concept idéologiquement
marqué et trop institutionnellement circonscrit pour aller dans
ton sens… et le mien). Pour moi ces questions ne sont pas tout
à fait nouvelles. Elles me font penser à l’embarras de Töpffer
lorsque dans la première partie du XIX° siècle, il ne savait
comment nommer la « bande dessinée » qu’il venait d’inventer
parce qu’il ne parvenait pas à la situer entre le texte et l’image.
Depuis les termes « bande dessinée » se sont imposés. Ailleurs ce
sont ceux de « comics » ou de « fumetti ». Mais aucun ne répond
véritablement au contenu de ce qu’il désigne. Aussi peut-on
se demander : est-il important de nommer ? Pourtant nommer
c’est, malgré tout, conceptualiser, donc prendre conscience…
Le XX° siècle, surtout sa second moitié, est riche de mouve-
ments qui ont essayer de dépasser « l’étanchéité » des fron-
tières. Je pense, par exemple à Fluxus, et plus particulièrement
au coréen, un peu en marge du mouvement, Nam June Paik dont
la formation initiale était la musique. Comment te situes-tu par
rapport à ces courants ? Pour ma part, j’aurais bien du mal à te
classer en tant que plasticienne ou en tant que musicienne et,
dans mon esprit, c’est précisément là l’intérêt de ton travail. Ou
du moins, une rande partie de son intérêt. Tu dis que les « fron-
tières n’existent pas vraiment ». Je n’en suis pas totalement sûr,
mais elles peuvent être transgressées. Ou bien, on peut trouver
des passages. N’est-ce pas ce que tu veux dire lorsque tu situes
ta pratique « entre » et « à travers » ? Ces mots me semblent
impliquer une idée dynamique de passage qui rejoint celle de
transgression, mais qui diffère un peu de celle de « creux » que
tu avances un peu plus loin (on se pelotonne dans un creux). Si
possible, peux-tu préciser ?
Sherele, installation vidéo, 3 moniteurs, 2’10, 2009
V.L : Tu as raison quand tu dis que l’art actuel se joue très sou-
vent dans un « entre » et il est très rapidement difficile de situer
des artistes qui agissent sur plusieurs champs, faisant appel à
différentes techniques dépassant le champ strict des arts plas-
tiques. Il est d’ailleurs, je crois, presque impossible de définir
ce « champ strict » qui n’existe plus vraiment. Ceci est d’autant
plus flagrant quant à l’enseignement des beaux arts en France.
Certes on trouve encore des cours de dessin avec modèle vivant
ou encore des ateliers techniques tels la sculpture, la gravure
etc… Cependant ce qui en résulte est perçu comme un appui
à une pratique personnelle et non comme un but en soi. L’en-
seignement n’est pas tourné comme au début du siècle vers la
maîtrise d’un domaine dit des « beaux arts ». Pour ce qui est de
mon expérience, ce qu’on m’a transmis appartient davantage au
domaine de la pensée, correspond à une certaine approche du
monde, à un questionnement plutôt qu’à une technique. Cette
manière de faire est éloignée de celle que l’on trouve toujours
aujourd’hui dans les conservatoires de musique. Fréquentant
actuellement des cours de chant lyrique et des cours de piano
classique plus jeune, je perçois nettement la différence. Le
conservatoire comme son nom l’indique conserve une tradition
et a comme objectif de la transmettre. On cherche la perfection
technique de l’instrument, la virtuosité. On joue le plus souvent
des morceaux des siècles précédents (au même titre que les
étudiants des beaux arts copiaient des œuvres pour apprendre
à peindre par exemple). Bien évidemment une partie de l’en-
seignement musical est tourné vers des aspects plus contem-
porains et créatifs. Cependant l’objectif premier n’est pas
que l’étudiant du conservatoire crée au sens de produire une
forme nouvelle comme aux beaux arts. On cherche avant tout
à lui inculquer des règles issues d’une tradition afin qu’il puis-
seune l’interprètation juste d’une oeuvre. A partir de là, selon
son parcours, il pourra ou non transgresser, se dresser pour ou
contre mais au moins il aura une connaissance des fondements
vers qui se retourner. C’est une question plus complexe en art
puisque beaucoup d’entre nous ne maîtrisent plus au sens pré-
cis du terme. On nous « instruit » dans l’idée, très belle d’ailleurs,
d’une libération du poids de la tradition. On nous dit dès les pre-
miers jours de nous « lâcher », d’exprimer une originalité, une
subjectivité. Je crois pourtant que la construction d’un monde se
fait par l’incorporation rigoureuse d’un passé. L’apprentissage
d’une technique n’est pas à délaisser car elle ouvre des portes,
une manière de penser tout aussi intéressante.
Tout ça pour dire que je trouve géniale la porosité des domaines
en art, et d’ailleurs toute création ne se ferait elle pas par la
rencontre/fusion de deux éléments ? Mais la non-étanchéité des
champs n’exclue pas, bien au contraire, une connaissance des
domaines auquel on emprunte. Tu évoques Töpffer, sans doute
a-t-il pu inventer la bande dessinée parce qu’il était aux carre-
fours de différents domaines dont il maîtrisait les codes (sati-
riste, enseignant). Je suis récemment allée voire l’exposition sur
Hopper. Il est clair que sa pratique de l’illustration, c’est-à-dire
son métier, a beaucoup joué sur l’aspect nouveau qu’ouvrait sa
peinture. Cependant aujourd’hui je ressens parfois la menace
d’un flou, d’une « mollesse » qui peut se cacher derrière cette
porosité tant revendiquée. Tu parlais de transgression : le propre
de la transgression c’est de ne pas respecter une obligation, une
loi, un ordre. Cela signifie donc qu’on progresse au dépend de
quelque chose et qu’on en franchit les limites sciemment en
en remettant en question les règles. Qu’en est-il d’un art sans
repères? Derrière l’idée de porosité se cache parfois un nouvel
académisme qui s’ignore lui-même.
Pour ce qui est de Fluxus, ses membres étaient dans une réelle
transgression. Il y avait dans les années 60 une énergie collec-
tive, presqu’utopique contre un système établi, une tradition aca-
démique contre qui se soulever. Fluxus était dans une recherche
d’ouverture totale au point que la vie elle-même pouvait perçue
comme de l’art (comme le disait Beuys).
J’ai beaucoup regardé ce mouvement pour ce qui est de ses
expérimentations en lien avec la musique. Ce que j’aime c’est
la manière de reprendre le monde à zéro, de remettre en cause
Chaque chose est à sa place, performance vocale, 8’, projet One space after an other one, proposition#1 dans un loft, La Courneuve, 22.02.2013
LSMM (langue des signes moniale musicale), performance, 6’, site d’art contemporain abbaye de Maubuisson, Saint Ouen l’Aumône, 13.05.2011
tous protocoles établis. Certaines de leurs actions étaient très
transgressives et innovatrices pour l’époque, notamment les
performances faites par rapport à la musique classique et son
aspect conservateur. Cette manière d’approcher la musique en
tant que plasticien est au cœur de mon travail. C’est pourquoi je
me sens très proche de John Cage. Questionner la musique dans
ses procédés, dans sa manière d’exister, d’apparaître plutôt que
son contenu en soi. Je connais beaucoup moins l’œuvre de Nam
June Paik si ce n’est la performance qu’il a faite avec Charlotte
Moorman où il lui sert de violoncelle humain. J’ai beaucoup tra-
vaillé, et ai d’ailleurs écrit mon mémoire de master II sur le rap-
port du corps à la voix / instrument. Fluxus est donc pour moi
un univers auquel je me réfère toujours et qui a une influence
certaine sur ma pratique.
Tu me demandes pourquoi j’ai la sensation d’être « entre », cela
est sans doute dû au fait que j’ai encore du mal à me situer entre
plusieurs mondes. J’évolue conjointement dans trois univers
sous certains aspects opposés les uns aux autres. J’étais jusqu’à
présent étudiante aux beaux arts ; structure qui met l’accent
sur la « création », qui semble permissive mais qui a pourtant
des codes très précis (au niveau du langage, de la tenue, d’une
manière d’agir : bref ce que Bourdieu appelle l’habitus). Je ne
pense pas les maîtriser et je ne crois pas vouloir le faire. Malgré
quelques tentatives d’adhésion, je ne me suis toujours sentie
à distance, dans une posture inconfortable. De l’autre j’évolue
dans deux univers musicaux tous deux assez clos. L’un est celui
du conservatoire où je suis des cours de chant lyrique ; comme
je l’expliquais avant, la maîtrise est mise en avant par rapport
à une création (si ce n’est dans l’interprétation, mais ça serait
à développer). J’y vais dans une recherche d’apprentissage de
la voix, pour ne pas l’abîmer et étendre ses capacités, connaitre
mieux mon outil. Je chante et travaille aussi dans le monde de
la culture yiddish, de la musique traditionnelle juive ashkénaze.
Cet univers a lui aussi ses codes et peut paraître figé quant a ce
qu’il reconnait en terme de création, d’innovations (mais peut
être n’est-ce pas son but ?). Du moins, je ne me sens pas non
plus à ma place quant aux trop nombreux protocoles à respecter
(la langue, la connaissance d’une culture, le poids d’un passé)…
j’ai du mal à m’en dégager (par rapport à des musiciens tels
John Zorn ou Krakauer) peut être de par le fait que je suis moi-
même non juive et que je doive souvent avancer des gages de
légitimité pour justifier une place. J’évolue entre ces mondes,
en fait partie tout en étant à distance. C’est donc en effet
une dynamique, une recherche de saisir des expériences, des
éléments qui sont maintenant partie intégrante de mon univers.
Si je suis transgressive ce n’est donc pas par volonté consciente,
je ne cherche pas la rupture en soi. Je perçois dans chacun des
mondes que je traverse des choses à emprunter, à relier, à
pousser plus loin ou autrement.
Kpan gueu gueu gueu, performance, 15’, maison de quarier de Maurepas, Rennes, 26.01.2010
P.M : Une fois encore ta réponse ouvre autant de questions
qu’elle en clôt. Cette remarque par exemple : « Qu’en est-il d’un
art sans repères ? Derrière l’idée de porosité se cache parfois
un nouvel académisme qui s’ignore lui-même. » Elle porte impli-
citement un jugement extrêmement sévère sur le système insti-
tutionnel de l’art contemporain qu’il m’intéresserait de discuter
avec toi. On verra plus tard…
Avant de poursuivre je voudrais faire une remarque sur ton ana-
lyse de l’enseignement musical. Je ne suis pas un spécialiste,
mais il me semble qu’il y a une différence fondamentale entre
la musique et les arts plastiques en ce que la musique a impé-
rativement besoin d’être interprétée et qu’une bonne partie de
l’enseignement musical porte sur les techniques d’interpréta-
tions. Ainsi, une œuvre musicale ancienne, comme contempo-
raine d’ailleurs, ne peut exister pour les autres que par l’interpré-
tation qu’on en donne. L’interprétation est aussi, à son niveau,
une forme de création, mais elle ne l’est pas au même niveau
qu’une production nouvelle. Cette question ne se pose pas dans
les arts plastiques. On n’a besoin de personne, lorsqu’on visite
le Louvre, pour établir un contact avec les œuvres et on peut se
faire à soi-même sa propre interprétation.
Je voudrais en venir à tes rapports – les tiens - avec la musique.
Toutes les performances que j’ai vues et entendues de toi, créent
quelque chose comme une visualisation du son, le rendent phy-
sique par la médiation de ton corps. C’est une chose, je pense,
que la musique masque, même lorsqu’elle est en représentation
comme à l’opéra. Par contre, lors d’une retransmission télévi-
suelle on voit l’effort des chanteurs produisant parfois de véri-
tables grimaces, alors qu’on entend des notes filées qui sem-
bleraient produites, étant au théâtre, sans effort. Or cet effort,
toi, tu le mets en scène, ne serait-ce que par tes postures, mais
aussi par tes gestuelles, ou en inventant des situations, avec
ton accordéon par exemple extrêmement inconfortables.N’est-
ce pas aussi cette question que tu poses, sous une autre forme,
dans ta performance LSMM en donnant une traduction visuelle
(gestes, signes ?) à des chants cisterciens ? Je n’ai pas entendu
ta Conférence sur Stranieri ovunque. Mais outre les problèmes
d’identités culturelles qu’elle pose, les images données pour en
rendre compte, me paraissent aller aussi, dans ce sens. Qu’en
penses-tu ?
V.L : J’ai en effet beaucoup travaillé il y a quelques années sur
la corporalité de la voix et du geste musical. Tu fais référence
notamment à des pièces comme Kpan gueu gueu gueu, perfor-
mance où je récitais un chant traditionnel ivoirien en effectuant
toujours le même mouvement à différentes vitesses créant ainsi
un essoufflement dans l’énonciation ; ou encore Sherele ; trip-
tyque vidéo dans lequel je prenais des postures inhabituelles
pour jouer de l’accordéon ce qui venait parasiter l’émission du
son. Ces pièces voulaient reprendre la mesure de gestes incor-
porés. J’expérimentais l’évidence. Ces travaux sont un peu les
jalons, les débuts d’une pensée qui toujours évolue. Ces der-
niers temps ma pratique s’est orientée plus spécifiquement vers
la voix et ses nombreuses problématiques.
Le plus souvent on utilise la voix pour parler, pour communi-
quer avec un autre. Elle est le support courant et premier du
langage (l’écrit venant ensuite dans l’évolution de l’enfant, de
même que dans l’histoire de l’humanité). Elle est l’outil avec le-
quel on traduit un concept en une image acoustique. Elle est en
quelque sorte en quelque sorte le mode d’existence physique de
la langue. Langue qui nous définie comme être humain en tant
que support de nos pensées, en tant que contrat social, etc…
Ce qui m’intéresse dans la voix ce sont les moments où elle se
fait entendre en tant que telle. Elle n’est plus alors seulement
un outil, un support à un discours rationnel, normalisé par la
langue commune, par sa fonction de communication. Elle est
une forme en soi. Elle apparait dans sa matérialité physique et
psychique. Matérialité comme organe. La voix surgit d’un fonc-
tionnement complexe de différents organes qui ne constituent
pas seulement l’appareil phonatoire mais ont aussi d’autres
fonctions vitales. La voix c’est du souffle qui expiré vient mettre
en vibration les cordes vocales créant ainsi un son qui passe
ensuite par les systèmes résonateurs pour se faire entendre.
Elle met en action, entre autres, la bouche, la langue, la gorge,
les poumons… qui servent aussi à manger, respirer, embras-
ser, tousser... Henri Chopin travaille sur cette infra-voix, cette
voix viscérale en mettant des micros à l’intérieur de son corps
pour capter ces sons. Je suis fascinée par cette voix qui en
étant si physique transmet quelque chose d’intime, secret et
primitif. Dans une pièce comme Vestiges de Roncevaux je me
sers de sons organiques, issus d’un fonctionnement particulier
de l’appareil vocal, comme le chuchotement, le claquement de
langue, le cri.
Au-delà de convoquer le corps dans son intériorité, l’émission
vocale fait appel à tout le corps qui est un résonateur immense.
J’aimerais en parlant de corps vocal, revenir sur le fait que c’est
en tant que modèle que j’ai déclenché les prémices de cette re-
lation particulière à la voix. Poser m’a amenée à des postures
qui ont entrainé chez moi l’envie de chanter. Je me rappelle,
il y a quatre ans, dans un cours de dessin à l’université, cette
envie irrépressible. C’est comme si mon corps guidait ma voix,
déclenchait une « chose » vocale très instinctive. Récemment
j’ai eu de nouveau ce type d’expérience inattendue. Cela s’est
produit dans l’atelier de dessin de Marilyne Genest, artiste et
enseignante aux beaux arts de Paris, qui me faisait poser avec
mon accordéon. A un moment donné j’ai délaissé l’instrument
et j’ai chanté des choses imprévisibles. C’était une expérience
extrêmement forte, d’autant plus que je n’avais pas de mots
pour nommer ce qui était arrivé. Par la suite, j’ai fait un stage
d’improvisation vocale et j’ai compris que c’était de l’improvisa-
tion. Je n’étais donc pas la seule à sentir cela et même ; cela
se travaillait! L’intervenante était Valérie Phillipin, une chanteuse
extraordinaire, qui nous a beaucoup fait travailler la voix par le
corps. J’ai cru alors mieux comprendre pourquoi mes premières
improvisations spontanées avaient eu lieu alors que j’étais
modèle. Lorsque je pose, je suis dans une hyper concentration
(maintenir une expression, contracter les muscles) mêlée d’une
sorte d’attention périphérique, d’ouverture, d’écoute (contact
très fort avec les dessinateurs, le contexte). Cet état est proche
de l’improvisation vocale. Improviser est une prise de risque. A
la fois on est dans quelque chose de permissif et jouissif, mais
en même temps on a toujours peur de tomber. Mais l’attention
des autres oblige à être hyper présent et ne pas partir dans une
non-forme, dans un « trop chez soi ». C’est d’ailleurs, je crois, le
rapport à l’autre qui nous maintient et nous stimule à la fois. J’ai
été un jour, témoin d’une scène limite ; le groupe avait arrêté
d’improviser mais une fille était au sol, en position fœtale, morte
de rire. Elle est restée ainsi « débranchée » pendant une longue
minute. Ici on sort de l’improvisation, on est trop à l’intérieur.
Lorsqu’on parvient à atteindre « l’état », on touche alors au pré-
sent même, à une sorte d’hyper vie. En cela j’adore le travail de
la contrebassiste Joëlle Lèandre. Je prends le temps de dévelop-
per ces expériences parce qu’elles sont fondatrices de ma pra-
tique. Elles ont déclenchées, nourrissent, font partie intégrante
de mon travail, de son avenir. Il est vrai que mes performances
sont écrites de manière très prècise, fixées minutieusement.
Cependant je les crée en passant par une phase de recherche
d’improvisation et bascule lors de leur représentation dans un
état proche de celui que je viens de décrire. Je suis comme tra-
versée par une intuition très forte qui ne m’appartient pas com-
plètement.
Pour revenir à la voix et ses limites, je m’intéresse aussi beau-
coup à la voix comme porteuse, révélatrice d’un symptôme. Le
travail de la psychanalyste Claire Gillie sur l’aggravement des
voix féminines aujourd’hui dans certaine profession est en cela
très intéressant. De même le bégaiement, le cri hystérique, le
récit mythomane, le lapsus, sont autant d’état de voix et de lan-
gage qui m’intéressent de très près. Dans Chaque chose est à
sa place, je joue sur la cohabitation de deux états vocaux, l’un
rationnel, l’autre hystérique. Par conséquent, pour répondre à
ta question, le lien corps-voix qui est au cœur de ma pratique,
dépasse la visualisation du son par le corps.
P.M : Que ce soit par la médiation du son, de la voix, ou des pos-
tures, de la gestuelle, le corps a une grande importance centrale
dans ton travail. Ton corps, plus précisément. Tu évoques ta pra-
tique en tant que modèle et tu laisses entendre qu’elle pourrait
avoir un lien, plus ou moins direct, avec tes performances. Pour-
rais-tu aller jusqu’à dire qu’une séance de pose est une sorte de
performance ? Ou du moins, qu’elle contribue à préparer ou à
nourrir des performances à venir ?
Ton activité en tant que modèle m’amène à une autre question,
celle de la nudité. Être modèle et être nue pose des questions
différentes, mais elles sont liées puisque tu es généralement nue
lorsque tu poses. Or, la nudité - ta nudité - est, ou a été, très pré-
sente dans tes performances, même si elle semble l’être moins
dans tes productions récentes. Dans son livre Le Nu Kenneth
Clark établit une distinction devenue classique entre « nudité » et
« Nu » ; le Nu est une genre artistique, tandis que la nudité n’est
qu’un état. Mais il me semble que cette distinction ne fonctionne
pas pour toi. Es-tu d’accord ? D’une façon générale, la nudité
est loin d’être neutre. Dans l’art notamment, elle a des fonc-
tions symboliques contradictoires suivant le contexte et suivant
les époques. Elle peut être aussi bien symbole de luxure que
de pureté ou d’idéalité. Dans L’amour sacré et l’amour profane
du Titien par exemple, c’est la figure nue qui incarne l’amour
sacré. En ce qui te concerne, il me semble évident que la nudité
fait sens. Les performances où tu apparais nue seraient toutes
autres si tu ne l’étais pas. Bien sûr, je suppose que chaque
spectateur se fait son idée. Mais j’aimerais savoir le sens que tu
donnes, toi, à la nudité lorsque tu y as recours.
V.L : Je reviens sur ta question ; si une séance de pose pourrait
être considérée comme une performance. Ce que tu appelles
séance de pose est en fait un cours de dessin de modèle vi-
vant, un cours de nu, d’anatomie. En utilisant ce terme tu mets
l’accent sur l’action du modèle. Or, je ne dirais pas que je fais
une séance de pose, parce que c’est le dessin qui est au pre-
mier plan. Je suis modèle pour des cours de dessin, ou parfois
pour des artistes. En cela je fais partie d’un tout. Le modèle est
l’un des éléments d’un mécanisme plus vaste sans lequel il ne
pourrait pas exister. Pas de modèle sans dessinateur, peintre,
sculpteur, bref sans regard, sans retranscription, représentation.
Je parlais de mécanisme, parce que le plus souvent je travaille
pour des écoles, dont les élèves ont besoin un moment donné
de passer par des cours de dessin. Ces institutions mettent en
place un protocole particulier qui fait que le modèle apparait
comme un nu, non pas comme quelqu’un de nu, mais comme
un corps non intime, un corps détaché du soi. Des protocoles
comme le passage par le paravent où le modèle se déshabille,
le fait d’enlever son peignoir une fois sur la sellette avant de
se montrer nu, etc… sont autant d’éléments qui font que la nu-
dité est supportable et analysable. Elle se voudrait coupée de
l’individu qu’elle incarne afin que le modèle soit avant tout un
OUTIL. Les cours de dessin sont à la recherche d’une compré-
hension du corps humain, une représentation graphique d’une
forme réelle et vivant. A ce stade, le modèle ne transparaitrait
pas en tant qu’être intime. D’ailleurs beaucoup d’étudiants ne
se soucient pas de connaitre le prénom du modèle qu’ils sont
en train de dessiner. J’ai déjà entendu dire un professeur de
ne pas dessiner le visage car ce serait trop intime. En rester à
une telle approche du sujet me semble limité. Je crois que l’on
commence à bien dessiner lorsqu’on perçoit ce que j’appelle le
« monde » du modèle. Les bons modèles transportent avec eux
un univers. Dans leur posture mais évidemment dans leur corps,
leur visage, ils racontent une histoire. Un dessin est ressemblant
lorsqu’il touche à cela, lorsque le dessinateur a été si sensible
Chinese whispers, vidéo, 3’04, 2013
Conférence sur Stranieri Ovunque, performance, 20’, fondation Kadist, Paris, 26.01.2011
qu’il s’est induit de cette « pâte », qu’il a dessiné le dehors par le
dedans. Matisse travaillait toujours avec le même modèle parce
qu’il l’inspirait, parce que sans doute il « adhérait » au monde du
modèle. Pour autant la pose n’est pas une performance ici, elle
est une forme offerte à la représentation. Un modèle généreux
cherche avec l’artiste, mais ce qui est perçu et recherché c’est le
résultat plastique. Le modèle n’est pas artiste.
Il existe je crois, un troisième stade que l’on pourrait rapprocher
de la performance. Le modèle prend le pas ou égale le dessi-
nateur. Ce qu’il exécute et dégage est si puissant que ça en
devient le sujet parfois au détriment du dessin. Ce qui importe
alors c’est moins la recherche d’un résultat plastique, que l’ex-
périence vécue. Récemment je travaillais à l’école l’ISAA avec
un enseignant que je connais depuis longtemps, Michel Bank.
Il cherchait à ce que ses élèves associent des mots au modèle.
Je lui ai proposé d’improviser en posant habillée. Puis c’est ad-
venu, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Il y avait une
concentration maximale dans la salle. La plupart dessinaient de
manière plus ou moins automatique, d’autres étaient submer-
gés. Leur écoute me stimulait très fortement. Ca a été un très
bel échange, un moment fulgurant. Je me pose tout de même
la question de la limite de telles expériences. Suis-je encore
modèle dans ces moments là ? Plus vraiment ; je bouge, je ne
fais plus l’effort de l’immobilité pour être représenté ; ce qui est
peut être l’un des éléments les plus importants pour définir ce
qu’est un modèle de cours de dessin. Je ne me situe plus dans
une fonction, au service du dessin. J’agis comme improvisatrice-
performeuse. La preuve en est que le public des cours de dessin
est souvent décontenancé devant un tel moment. Les dessins
paraissent souvent décevants face à ce qui s’est produit. Et en
effet on n’est plus dans une représentation du réel (vocation pre-
mière et «officielle» des cours avec modèle vivant), mais dans
son interprétation. Comment représenter le mouvement, le son
etc… C’est une manière de se situer face au sujet différente, on
touche à d’autres problématiques. Je pense en disant cela aux
dessins de Rodin des danseurs cambodgiens.
Une séance de pose n’est donc pas une performance, mais je
peux agir comme performeuse à l’intérieur d’un cours de dessin.
Je demeure modèle par la présence du regard de l’autre, de sa
volonté de me représenter, mais je ne SUIS plus modèle au sens
classique du terme. Je ne dirais pas pour autant que ce que je
réalise est une pièce qui pourrait être « exposable », montrable
en dehors de ce moment particulier. En tous les cas, le fait de
ne pas être dans un contexte institutionnel, dans un cadre où je
devrais me montrer en tant qu’ « artiste » me laisse une grande
liberté. Mais surtout c’est le statu du public qui accueille la pièce
qui me permet de prendre des risques. En effet les dessinateurs
sont eux mêmes en danger, ils sont dans un même état de re-
cherche, se posent mille questions sur comment représenter
ce qui est en train d’advenir. Le cours de dessin apparait alors
un laboratoire expérimental partagé. Tout cela est très poreux,
pour sûr la manière dont je pose est influencée par mes perfor-
mances. Vice versa mon travail est nourri de la pose à beaucoup
de niveaux, aussi parce que c’est un moment de réflexion, pen-
dant lequel je réfléchis, je construis, j’avance sur mes pièces.
Je suis désolée, j’ai du beaucoup développer mon propos pour
répondre à ta question de manière peut être un peu floue... Pour
Vestiges de Roncevaux, performance vocale, 16’, galerie Oberkampf, Paris, 08.02.2013
ce qui est de la nudité dans mon travail, elle y a été présente à
un moment donné, mais ce n’est plus le cas depuis longtemps.
Je crois que la nudité a eu un rôle de déclencheur. Dans mon
mémoire, il y a tout un chapitre où j’explique que je considérais
mon corps nu comme un « corps-laboratoire », un corps neutre
qui permettrait d’expérimenter depuis zéro (c’est nourri de ce
que je développe avant sur le modèle comme « corps-outil »). Ce-
pendant je crois que cette pensée a été une transition. Un travail
comme Malachianta dans lequel je chante nue dans différentes
poses, ouvre beaucoup de portes qui ne me concernent plus.
Prendre en charge la nudité, qui est un sujet en soi, me semble
aujourd’hui trop lourd, loin de mes préoccupations artistiques
prioritaires. Cet état a pu déclencher des choses, a pu être né-
cessaire à un moment, mais aujourd’hui je me suis rhabillée.
P.M : Je ne te trouve pas « floue». Bien au contraire, tes ré-
ponses nuancées vont souvent bien au-delà des questions et
anticipent souvent celles que je pourrais poser. Je n’en ai donc
plus d’autres. Mais toi, peut-être, penses-tu à une question que
tu aurais souhaité que je pose ? Si oui, veux-tu te la poser à toi-
même et y répondre ?
V.L : Je n’ai pas d’autres questions, c’est bien de ne pas tout dire
Merci pour cette belle «discussion». L’écrire a fixé un moment, un
instant de pensée. Laissons le maintenant évoluer, se transfor-
mer, se contrarier, s’oublier, s’interpréter...

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Interview philippe marcelé

  • 1. Philippe Marcelé : Violaine, je t’ai connue à l’université de Rennes 2, débutant en première année un cursus d’arts plas- tiques. Depuis, j’ai toujours essayé de suivre ton activité artis- tique. Mon intention est d’aborder plus tard sur tes productions récentes tournées assez nettement, vers la performance et le son. Je voudrais t’interroger d’abord sur un aspect de ta person- nalité qui m’a toujours frappé : l’extrême diversité de tes centres d’intérêt et de tes pratiques. Dès le début tu as pratiqué le des- sin, la peinture, le volume, la vidéo, la performance, et bien sûr, la musique. Cependant, il a toujours été impossible de parler, dans ton cas, de dispersion même à tes débuts, encore très jeune. Tu t’es toujours arrangée pour que ces différents axes de recherche convergent. Je me souviens d’une de tes performances, réalisée dans le cadre d’un atelier que j’animais, qui avait intégrée dans sa préparation, l’accumulation de nombreux dessins. Même si aujourd’hui, tu sembles avoir resserré ton axe de réflexion, cette diversité me semble une dimension importante de ta personna- lité et de tes engagements artistiques. Pour commencer, j’aime- rais savoir ce que tu en penses ; si tu es d’accord d’abord et si elle reste une donnée qui compte pour toi. Violaine Lochu Interview par Philippe Marcelé Lingua madre, vidéo sur moniteur, 3’20, 2013
  • 2. Violaine Lochu : Ta première question est très intéressante mais aussi difficile. Elle touche en effet à un nerf sensible et demande développement. Il est vrai que je cultive une grande diversité de pratique et de centre d’intérêt encore aujourd’hui. Je vais com- mencer par me présenter à travers cette mosaïque : je participe à des projets d’exposition, j’étudie le chant lyrique au conserva- toire de Sevran, je suis chanteuse et accordéoniste pour diffé- rentes formations telles Mashke et Traversées autour de chants italiens, yiddish et français, je donne des cours de dessin dans la prépa intégrée de l’école Studio Mode, je travaille à la maison de la culture yiddish dans le cadre de la kindershul, je suis aussi modèle vivant etc… Ma pratique artistique se situe « entre » et « à travers » ces élé- ments. Pour cette raison j’aimerais rebondir sur cette phrase « tu t’es toujours arrangée pour que ces différents axes de recherche convergent ». Je ne « m’arrange » pas, c’est justement dans le creux qui semble séparer ces champs que j’agis. Je ne crois pas à l’étanchéité des domaines. Peut être est-ce notre langue qui pour bâtir un univers structuré a eu la nécessité de nom- mer et donc de donner des limites à des éléments. Cependant je crois que leurs frontières n’existent pas vraiment. Comme en dessin, notre mode de représentation nous pousse à contourner la forme, mais le contour n’existe pas en soi. En ce moment je suis en train de rechercher une forme entre le chant et la perfor- mance. Le domaine où j’agis n’a pas de nom. Il pourrait peut être se définir par référence à des univers tels que celui de Ghéra- sim Luca, Meredith Monk, Georges Aperghis… J’avance à tâtons dans un monde incertain, sans limites arrêtées. Je me sens en balancement entre musique et « art contemporain », je ne peux me définir qu’en marge des deux, sans pouvoir en épouser un complètement. Si je cultive un grand champ d’intérêt c’est sans doute parce que je suis « entre » mais aussi parce que j’ai besoin sans cesse de me nourrir de l’extérieur. Paris est en ce sens un lieu idéal pour les expositions, les concerts et autres manifestations culturelles. La lecture est une de mes activités principales. Lire de la poésie ou de la philosophie c’est comme prendre le grand vent. Rencon- trer un « penseur » ça donne d’impression d’ouvrir des possibles, d’éclater la tête. Je pense à Edouard Glissant, Giorgio Agamben, Jacques Derrida, Jean Dubuffet, Saussure, Gilles Deleuze, Hen- ri Michaux etc…Ma recherche se fait donc en diagonale, par touche entre différents univers musicaux, artistiques, littéraires. Je suis exigeante quant à l’aiguisement d’une optique. Les mo- no-mondes m’inquiètent. Lorsqu’on ne fait qu’un seul mouve- ment, qu’on ne va que dans un sens on finit par développer une « bosse de spécialiste » (j’emprunte ce terme à un philosophe dont je ne parviens pas à me souvenir du nom). On crée corporelle- ment de la corne, on se durcit, on perd en souplesse. Je pense notamment à certains musiciens d’un répertoire traditionnel qui ne vont pas voir ailleurs, dont le but est de jouer parfaitement dans le style mais dont la manière de jouer est comme scléro- sée, figée. Je crois qu’on prend la mesure de son monde en en fréquentant d’autres. C’est lorsqu’on apprend une langue étran- gère qu’on prend conscience du fonctionnement de sa langue maternelle. Néanmoins l’ouverture dont je parle ici n’est pas synonyme d’oisiveté. La diversité ne doit pas se développer à outrance et dans une frénésie inquiète du « faire ». L’engage- ment et l’endurance dans un domaine sont primordiaux. Mais je crois que ce dernier pour avancer artistiquement parlant a besoin d’être en relation à « l’autre ». Diversité ne veut donc pas dire éclatement mais plutôt une manière d’être au monde, de l’approcher de manière mosaïque. P. M : Ta réponse prépare, ou plutôt anticipe, ma seconde question. Il semble en effet, que l’art actuel libère des tendances ou des directions de recherche, qui ont du mal à se situer à l’intérieur des grands boulevards artistiques balisés que sont les arts plastiques, la musique, la littérature, etc.. Elles ont même du mal à se situer dans les ruelles adjacentes. Aussi, lorsque tu dis « Je ne crois pas à l’étanchéité des domaines », je pense que tu énonces un jugement qui nous renseigne certes sur ta pratique, mais qui la déborde pour concerner un, ou des, pans entiers de l’art actuel (j’emploie délibérément les termes d’« art actuel » et non ceux « d’art contemporain », précisément parce que ces derniers me semblent recouvrir un concept idéologiquement marqué et trop institutionnellement circonscrit pour aller dans ton sens… et le mien). Pour moi ces questions ne sont pas tout à fait nouvelles. Elles me font penser à l’embarras de Töpffer lorsque dans la première partie du XIX° siècle, il ne savait comment nommer la « bande dessinée » qu’il venait d’inventer parce qu’il ne parvenait pas à la situer entre le texte et l’image. Depuis les termes « bande dessinée » se sont imposés. Ailleurs ce sont ceux de « comics » ou de « fumetti ». Mais aucun ne répond véritablement au contenu de ce qu’il désigne. Aussi peut-on se demander : est-il important de nommer ? Pourtant nommer c’est, malgré tout, conceptualiser, donc prendre conscience… Le XX° siècle, surtout sa second moitié, est riche de mouve- ments qui ont essayer de dépasser « l’étanchéité » des fron- tières. Je pense, par exemple à Fluxus, et plus particulièrement au coréen, un peu en marge du mouvement, Nam June Paik dont la formation initiale était la musique. Comment te situes-tu par rapport à ces courants ? Pour ma part, j’aurais bien du mal à te classer en tant que plasticienne ou en tant que musicienne et, dans mon esprit, c’est précisément là l’intérêt de ton travail. Ou du moins, une rande partie de son intérêt. Tu dis que les « fron- tières n’existent pas vraiment ». Je n’en suis pas totalement sûr, mais elles peuvent être transgressées. Ou bien, on peut trouver des passages. N’est-ce pas ce que tu veux dire lorsque tu situes ta pratique « entre » et « à travers » ? Ces mots me semblent impliquer une idée dynamique de passage qui rejoint celle de transgression, mais qui diffère un peu de celle de « creux » que tu avances un peu plus loin (on se pelotonne dans un creux). Si possible, peux-tu préciser ? Sherele, installation vidéo, 3 moniteurs, 2’10, 2009
  • 3. V.L : Tu as raison quand tu dis que l’art actuel se joue très sou- vent dans un « entre » et il est très rapidement difficile de situer des artistes qui agissent sur plusieurs champs, faisant appel à différentes techniques dépassant le champ strict des arts plas- tiques. Il est d’ailleurs, je crois, presque impossible de définir ce « champ strict » qui n’existe plus vraiment. Ceci est d’autant plus flagrant quant à l’enseignement des beaux arts en France. Certes on trouve encore des cours de dessin avec modèle vivant ou encore des ateliers techniques tels la sculpture, la gravure etc… Cependant ce qui en résulte est perçu comme un appui à une pratique personnelle et non comme un but en soi. L’en- seignement n’est pas tourné comme au début du siècle vers la maîtrise d’un domaine dit des « beaux arts ». Pour ce qui est de mon expérience, ce qu’on m’a transmis appartient davantage au domaine de la pensée, correspond à une certaine approche du monde, à un questionnement plutôt qu’à une technique. Cette manière de faire est éloignée de celle que l’on trouve toujours aujourd’hui dans les conservatoires de musique. Fréquentant actuellement des cours de chant lyrique et des cours de piano classique plus jeune, je perçois nettement la différence. Le conservatoire comme son nom l’indique conserve une tradition et a comme objectif de la transmettre. On cherche la perfection technique de l’instrument, la virtuosité. On joue le plus souvent des morceaux des siècles précédents (au même titre que les étudiants des beaux arts copiaient des œuvres pour apprendre à peindre par exemple). Bien évidemment une partie de l’en- seignement musical est tourné vers des aspects plus contem- porains et créatifs. Cependant l’objectif premier n’est pas que l’étudiant du conservatoire crée au sens de produire une forme nouvelle comme aux beaux arts. On cherche avant tout à lui inculquer des règles issues d’une tradition afin qu’il puis- seune l’interprètation juste d’une oeuvre. A partir de là, selon son parcours, il pourra ou non transgresser, se dresser pour ou contre mais au moins il aura une connaissance des fondements vers qui se retourner. C’est une question plus complexe en art puisque beaucoup d’entre nous ne maîtrisent plus au sens pré- cis du terme. On nous « instruit » dans l’idée, très belle d’ailleurs, d’une libération du poids de la tradition. On nous dit dès les pre- miers jours de nous « lâcher », d’exprimer une originalité, une subjectivité. Je crois pourtant que la construction d’un monde se fait par l’incorporation rigoureuse d’un passé. L’apprentissage d’une technique n’est pas à délaisser car elle ouvre des portes, une manière de penser tout aussi intéressante. Tout ça pour dire que je trouve géniale la porosité des domaines en art, et d’ailleurs toute création ne se ferait elle pas par la rencontre/fusion de deux éléments ? Mais la non-étanchéité des champs n’exclue pas, bien au contraire, une connaissance des domaines auquel on emprunte. Tu évoques Töpffer, sans doute a-t-il pu inventer la bande dessinée parce qu’il était aux carre- fours de différents domaines dont il maîtrisait les codes (sati- riste, enseignant). Je suis récemment allée voire l’exposition sur Hopper. Il est clair que sa pratique de l’illustration, c’est-à-dire son métier, a beaucoup joué sur l’aspect nouveau qu’ouvrait sa peinture. Cependant aujourd’hui je ressens parfois la menace d’un flou, d’une « mollesse » qui peut se cacher derrière cette porosité tant revendiquée. Tu parlais de transgression : le propre de la transgression c’est de ne pas respecter une obligation, une loi, un ordre. Cela signifie donc qu’on progresse au dépend de quelque chose et qu’on en franchit les limites sciemment en en remettant en question les règles. Qu’en est-il d’un art sans repères? Derrière l’idée de porosité se cache parfois un nouvel académisme qui s’ignore lui-même. Pour ce qui est de Fluxus, ses membres étaient dans une réelle transgression. Il y avait dans les années 60 une énergie collec- tive, presqu’utopique contre un système établi, une tradition aca- démique contre qui se soulever. Fluxus était dans une recherche d’ouverture totale au point que la vie elle-même pouvait perçue comme de l’art (comme le disait Beuys). J’ai beaucoup regardé ce mouvement pour ce qui est de ses expérimentations en lien avec la musique. Ce que j’aime c’est la manière de reprendre le monde à zéro, de remettre en cause Chaque chose est à sa place, performance vocale, 8’, projet One space after an other one, proposition#1 dans un loft, La Courneuve, 22.02.2013
  • 4. LSMM (langue des signes moniale musicale), performance, 6’, site d’art contemporain abbaye de Maubuisson, Saint Ouen l’Aumône, 13.05.2011 tous protocoles établis. Certaines de leurs actions étaient très transgressives et innovatrices pour l’époque, notamment les performances faites par rapport à la musique classique et son aspect conservateur. Cette manière d’approcher la musique en tant que plasticien est au cœur de mon travail. C’est pourquoi je me sens très proche de John Cage. Questionner la musique dans ses procédés, dans sa manière d’exister, d’apparaître plutôt que son contenu en soi. Je connais beaucoup moins l’œuvre de Nam June Paik si ce n’est la performance qu’il a faite avec Charlotte Moorman où il lui sert de violoncelle humain. J’ai beaucoup tra- vaillé, et ai d’ailleurs écrit mon mémoire de master II sur le rap- port du corps à la voix / instrument. Fluxus est donc pour moi un univers auquel je me réfère toujours et qui a une influence certaine sur ma pratique. Tu me demandes pourquoi j’ai la sensation d’être « entre », cela est sans doute dû au fait que j’ai encore du mal à me situer entre plusieurs mondes. J’évolue conjointement dans trois univers sous certains aspects opposés les uns aux autres. J’étais jusqu’à présent étudiante aux beaux arts ; structure qui met l’accent sur la « création », qui semble permissive mais qui a pourtant des codes très précis (au niveau du langage, de la tenue, d’une manière d’agir : bref ce que Bourdieu appelle l’habitus). Je ne pense pas les maîtriser et je ne crois pas vouloir le faire. Malgré quelques tentatives d’adhésion, je ne me suis toujours sentie à distance, dans une posture inconfortable. De l’autre j’évolue dans deux univers musicaux tous deux assez clos. L’un est celui du conservatoire où je suis des cours de chant lyrique ; comme je l’expliquais avant, la maîtrise est mise en avant par rapport à une création (si ce n’est dans l’interprétation, mais ça serait à développer). J’y vais dans une recherche d’apprentissage de la voix, pour ne pas l’abîmer et étendre ses capacités, connaitre mieux mon outil. Je chante et travaille aussi dans le monde de la culture yiddish, de la musique traditionnelle juive ashkénaze. Cet univers a lui aussi ses codes et peut paraître figé quant a ce qu’il reconnait en terme de création, d’innovations (mais peut être n’est-ce pas son but ?). Du moins, je ne me sens pas non plus à ma place quant aux trop nombreux protocoles à respecter (la langue, la connaissance d’une culture, le poids d’un passé)… j’ai du mal à m’en dégager (par rapport à des musiciens tels John Zorn ou Krakauer) peut être de par le fait que je suis moi- même non juive et que je doive souvent avancer des gages de légitimité pour justifier une place. J’évolue entre ces mondes, en fait partie tout en étant à distance. C’est donc en effet une dynamique, une recherche de saisir des expériences, des éléments qui sont maintenant partie intégrante de mon univers. Si je suis transgressive ce n’est donc pas par volonté consciente, je ne cherche pas la rupture en soi. Je perçois dans chacun des mondes que je traverse des choses à emprunter, à relier, à pousser plus loin ou autrement.
  • 5. Kpan gueu gueu gueu, performance, 15’, maison de quarier de Maurepas, Rennes, 26.01.2010 P.M : Une fois encore ta réponse ouvre autant de questions qu’elle en clôt. Cette remarque par exemple : « Qu’en est-il d’un art sans repères ? Derrière l’idée de porosité se cache parfois un nouvel académisme qui s’ignore lui-même. » Elle porte impli- citement un jugement extrêmement sévère sur le système insti- tutionnel de l’art contemporain qu’il m’intéresserait de discuter avec toi. On verra plus tard… Avant de poursuivre je voudrais faire une remarque sur ton ana- lyse de l’enseignement musical. Je ne suis pas un spécialiste, mais il me semble qu’il y a une différence fondamentale entre la musique et les arts plastiques en ce que la musique a impé- rativement besoin d’être interprétée et qu’une bonne partie de l’enseignement musical porte sur les techniques d’interpréta- tions. Ainsi, une œuvre musicale ancienne, comme contempo- raine d’ailleurs, ne peut exister pour les autres que par l’interpré- tation qu’on en donne. L’interprétation est aussi, à son niveau, une forme de création, mais elle ne l’est pas au même niveau qu’une production nouvelle. Cette question ne se pose pas dans les arts plastiques. On n’a besoin de personne, lorsqu’on visite le Louvre, pour établir un contact avec les œuvres et on peut se faire à soi-même sa propre interprétation. Je voudrais en venir à tes rapports – les tiens - avec la musique. Toutes les performances que j’ai vues et entendues de toi, créent quelque chose comme une visualisation du son, le rendent phy- sique par la médiation de ton corps. C’est une chose, je pense, que la musique masque, même lorsqu’elle est en représentation comme à l’opéra. Par contre, lors d’une retransmission télévi- suelle on voit l’effort des chanteurs produisant parfois de véri- tables grimaces, alors qu’on entend des notes filées qui sem- bleraient produites, étant au théâtre, sans effort. Or cet effort, toi, tu le mets en scène, ne serait-ce que par tes postures, mais aussi par tes gestuelles, ou en inventant des situations, avec ton accordéon par exemple extrêmement inconfortables.N’est- ce pas aussi cette question que tu poses, sous une autre forme, dans ta performance LSMM en donnant une traduction visuelle (gestes, signes ?) à des chants cisterciens ? Je n’ai pas entendu ta Conférence sur Stranieri ovunque. Mais outre les problèmes d’identités culturelles qu’elle pose, les images données pour en rendre compte, me paraissent aller aussi, dans ce sens. Qu’en penses-tu ? V.L : J’ai en effet beaucoup travaillé il y a quelques années sur la corporalité de la voix et du geste musical. Tu fais référence notamment à des pièces comme Kpan gueu gueu gueu, perfor- mance où je récitais un chant traditionnel ivoirien en effectuant toujours le même mouvement à différentes vitesses créant ainsi un essoufflement dans l’énonciation ; ou encore Sherele ; trip- tyque vidéo dans lequel je prenais des postures inhabituelles pour jouer de l’accordéon ce qui venait parasiter l’émission du son. Ces pièces voulaient reprendre la mesure de gestes incor- porés. J’expérimentais l’évidence. Ces travaux sont un peu les jalons, les débuts d’une pensée qui toujours évolue. Ces der- niers temps ma pratique s’est orientée plus spécifiquement vers la voix et ses nombreuses problématiques. Le plus souvent on utilise la voix pour parler, pour communi- quer avec un autre. Elle est le support courant et premier du langage (l’écrit venant ensuite dans l’évolution de l’enfant, de même que dans l’histoire de l’humanité). Elle est l’outil avec le- quel on traduit un concept en une image acoustique. Elle est en quelque sorte en quelque sorte le mode d’existence physique de la langue. Langue qui nous définie comme être humain en tant que support de nos pensées, en tant que contrat social, etc… Ce qui m’intéresse dans la voix ce sont les moments où elle se fait entendre en tant que telle. Elle n’est plus alors seulement un outil, un support à un discours rationnel, normalisé par la langue commune, par sa fonction de communication. Elle est une forme en soi. Elle apparait dans sa matérialité physique et psychique. Matérialité comme organe. La voix surgit d’un fonc- tionnement complexe de différents organes qui ne constituent pas seulement l’appareil phonatoire mais ont aussi d’autres fonctions vitales. La voix c’est du souffle qui expiré vient mettre en vibration les cordes vocales créant ainsi un son qui passe ensuite par les systèmes résonateurs pour se faire entendre. Elle met en action, entre autres, la bouche, la langue, la gorge, les poumons… qui servent aussi à manger, respirer, embras- ser, tousser... Henri Chopin travaille sur cette infra-voix, cette voix viscérale en mettant des micros à l’intérieur de son corps pour capter ces sons. Je suis fascinée par cette voix qui en étant si physique transmet quelque chose d’intime, secret et primitif. Dans une pièce comme Vestiges de Roncevaux je me sers de sons organiques, issus d’un fonctionnement particulier de l’appareil vocal, comme le chuchotement, le claquement de langue, le cri. Au-delà de convoquer le corps dans son intériorité, l’émission vocale fait appel à tout le corps qui est un résonateur immense. J’aimerais en parlant de corps vocal, revenir sur le fait que c’est en tant que modèle que j’ai déclenché les prémices de cette re- lation particulière à la voix. Poser m’a amenée à des postures qui ont entrainé chez moi l’envie de chanter. Je me rappelle, il y a quatre ans, dans un cours de dessin à l’université, cette envie irrépressible. C’est comme si mon corps guidait ma voix, déclenchait une « chose » vocale très instinctive. Récemment j’ai eu de nouveau ce type d’expérience inattendue. Cela s’est produit dans l’atelier de dessin de Marilyne Genest, artiste et enseignante aux beaux arts de Paris, qui me faisait poser avec mon accordéon. A un moment donné j’ai délaissé l’instrument et j’ai chanté des choses imprévisibles. C’était une expérience extrêmement forte, d’autant plus que je n’avais pas de mots pour nommer ce qui était arrivé. Par la suite, j’ai fait un stage
  • 6. d’improvisation vocale et j’ai compris que c’était de l’improvisa- tion. Je n’étais donc pas la seule à sentir cela et même ; cela se travaillait! L’intervenante était Valérie Phillipin, une chanteuse extraordinaire, qui nous a beaucoup fait travailler la voix par le corps. J’ai cru alors mieux comprendre pourquoi mes premières improvisations spontanées avaient eu lieu alors que j’étais modèle. Lorsque je pose, je suis dans une hyper concentration (maintenir une expression, contracter les muscles) mêlée d’une sorte d’attention périphérique, d’ouverture, d’écoute (contact très fort avec les dessinateurs, le contexte). Cet état est proche de l’improvisation vocale. Improviser est une prise de risque. A la fois on est dans quelque chose de permissif et jouissif, mais en même temps on a toujours peur de tomber. Mais l’attention des autres oblige à être hyper présent et ne pas partir dans une non-forme, dans un « trop chez soi ». C’est d’ailleurs, je crois, le rapport à l’autre qui nous maintient et nous stimule à la fois. J’ai été un jour, témoin d’une scène limite ; le groupe avait arrêté d’improviser mais une fille était au sol, en position fœtale, morte de rire. Elle est restée ainsi « débranchée » pendant une longue minute. Ici on sort de l’improvisation, on est trop à l’intérieur. Lorsqu’on parvient à atteindre « l’état », on touche alors au pré- sent même, à une sorte d’hyper vie. En cela j’adore le travail de la contrebassiste Joëlle Lèandre. Je prends le temps de dévelop- per ces expériences parce qu’elles sont fondatrices de ma pra- tique. Elles ont déclenchées, nourrissent, font partie intégrante de mon travail, de son avenir. Il est vrai que mes performances sont écrites de manière très prècise, fixées minutieusement. Cependant je les crée en passant par une phase de recherche d’improvisation et bascule lors de leur représentation dans un état proche de celui que je viens de décrire. Je suis comme tra- versée par une intuition très forte qui ne m’appartient pas com- plètement. Pour revenir à la voix et ses limites, je m’intéresse aussi beau- coup à la voix comme porteuse, révélatrice d’un symptôme. Le travail de la psychanalyste Claire Gillie sur l’aggravement des voix féminines aujourd’hui dans certaine profession est en cela très intéressant. De même le bégaiement, le cri hystérique, le récit mythomane, le lapsus, sont autant d’état de voix et de lan- gage qui m’intéressent de très près. Dans Chaque chose est à sa place, je joue sur la cohabitation de deux états vocaux, l’un rationnel, l’autre hystérique. Par conséquent, pour répondre à ta question, le lien corps-voix qui est au cœur de ma pratique, dépasse la visualisation du son par le corps. P.M : Que ce soit par la médiation du son, de la voix, ou des pos- tures, de la gestuelle, le corps a une grande importance centrale dans ton travail. Ton corps, plus précisément. Tu évoques ta pra- tique en tant que modèle et tu laisses entendre qu’elle pourrait avoir un lien, plus ou moins direct, avec tes performances. Pour- rais-tu aller jusqu’à dire qu’une séance de pose est une sorte de performance ? Ou du moins, qu’elle contribue à préparer ou à nourrir des performances à venir ? Ton activité en tant que modèle m’amène à une autre question, celle de la nudité. Être modèle et être nue pose des questions différentes, mais elles sont liées puisque tu es généralement nue lorsque tu poses. Or, la nudité - ta nudité - est, ou a été, très pré- sente dans tes performances, même si elle semble l’être moins dans tes productions récentes. Dans son livre Le Nu Kenneth Clark établit une distinction devenue classique entre « nudité » et « Nu » ; le Nu est une genre artistique, tandis que la nudité n’est qu’un état. Mais il me semble que cette distinction ne fonctionne pas pour toi. Es-tu d’accord ? D’une façon générale, la nudité est loin d’être neutre. Dans l’art notamment, elle a des fonc- tions symboliques contradictoires suivant le contexte et suivant les époques. Elle peut être aussi bien symbole de luxure que de pureté ou d’idéalité. Dans L’amour sacré et l’amour profane du Titien par exemple, c’est la figure nue qui incarne l’amour sacré. En ce qui te concerne, il me semble évident que la nudité fait sens. Les performances où tu apparais nue seraient toutes autres si tu ne l’étais pas. Bien sûr, je suppose que chaque spectateur se fait son idée. Mais j’aimerais savoir le sens que tu donnes, toi, à la nudité lorsque tu y as recours. V.L : Je reviens sur ta question ; si une séance de pose pourrait être considérée comme une performance. Ce que tu appelles séance de pose est en fait un cours de dessin de modèle vi- vant, un cours de nu, d’anatomie. En utilisant ce terme tu mets l’accent sur l’action du modèle. Or, je ne dirais pas que je fais une séance de pose, parce que c’est le dessin qui est au pre- mier plan. Je suis modèle pour des cours de dessin, ou parfois pour des artistes. En cela je fais partie d’un tout. Le modèle est l’un des éléments d’un mécanisme plus vaste sans lequel il ne pourrait pas exister. Pas de modèle sans dessinateur, peintre, sculpteur, bref sans regard, sans retranscription, représentation. Je parlais de mécanisme, parce que le plus souvent je travaille pour des écoles, dont les élèves ont besoin un moment donné de passer par des cours de dessin. Ces institutions mettent en place un protocole particulier qui fait que le modèle apparait comme un nu, non pas comme quelqu’un de nu, mais comme un corps non intime, un corps détaché du soi. Des protocoles comme le passage par le paravent où le modèle se déshabille, le fait d’enlever son peignoir une fois sur la sellette avant de se montrer nu, etc… sont autant d’éléments qui font que la nu- dité est supportable et analysable. Elle se voudrait coupée de l’individu qu’elle incarne afin que le modèle soit avant tout un OUTIL. Les cours de dessin sont à la recherche d’une compré- hension du corps humain, une représentation graphique d’une forme réelle et vivant. A ce stade, le modèle ne transparaitrait pas en tant qu’être intime. D’ailleurs beaucoup d’étudiants ne se soucient pas de connaitre le prénom du modèle qu’ils sont en train de dessiner. J’ai déjà entendu dire un professeur de ne pas dessiner le visage car ce serait trop intime. En rester à une telle approche du sujet me semble limité. Je crois que l’on commence à bien dessiner lorsqu’on perçoit ce que j’appelle le « monde » du modèle. Les bons modèles transportent avec eux un univers. Dans leur posture mais évidemment dans leur corps, leur visage, ils racontent une histoire. Un dessin est ressemblant lorsqu’il touche à cela, lorsque le dessinateur a été si sensible Chinese whispers, vidéo, 3’04, 2013
  • 7. Conférence sur Stranieri Ovunque, performance, 20’, fondation Kadist, Paris, 26.01.2011 qu’il s’est induit de cette « pâte », qu’il a dessiné le dehors par le dedans. Matisse travaillait toujours avec le même modèle parce qu’il l’inspirait, parce que sans doute il « adhérait » au monde du modèle. Pour autant la pose n’est pas une performance ici, elle est une forme offerte à la représentation. Un modèle généreux cherche avec l’artiste, mais ce qui est perçu et recherché c’est le résultat plastique. Le modèle n’est pas artiste. Il existe je crois, un troisième stade que l’on pourrait rapprocher de la performance. Le modèle prend le pas ou égale le dessi- nateur. Ce qu’il exécute et dégage est si puissant que ça en devient le sujet parfois au détriment du dessin. Ce qui importe alors c’est moins la recherche d’un résultat plastique, que l’ex- périence vécue. Récemment je travaillais à l’école l’ISAA avec un enseignant que je connais depuis longtemps, Michel Bank. Il cherchait à ce que ses élèves associent des mots au modèle. Je lui ai proposé d’improviser en posant habillée. Puis c’est ad- venu, je ne sais pas combien de temps ça a duré. Il y avait une concentration maximale dans la salle. La plupart dessinaient de manière plus ou moins automatique, d’autres étaient submer- gés. Leur écoute me stimulait très fortement. Ca a été un très bel échange, un moment fulgurant. Je me pose tout de même la question de la limite de telles expériences. Suis-je encore modèle dans ces moments là ? Plus vraiment ; je bouge, je ne fais plus l’effort de l’immobilité pour être représenté ; ce qui est peut être l’un des éléments les plus importants pour définir ce qu’est un modèle de cours de dessin. Je ne me situe plus dans une fonction, au service du dessin. J’agis comme improvisatrice- performeuse. La preuve en est que le public des cours de dessin est souvent décontenancé devant un tel moment. Les dessins paraissent souvent décevants face à ce qui s’est produit. Et en effet on n’est plus dans une représentation du réel (vocation pre- mière et «officielle» des cours avec modèle vivant), mais dans son interprétation. Comment représenter le mouvement, le son etc… C’est une manière de se situer face au sujet différente, on touche à d’autres problématiques. Je pense en disant cela aux dessins de Rodin des danseurs cambodgiens. Une séance de pose n’est donc pas une performance, mais je peux agir comme performeuse à l’intérieur d’un cours de dessin. Je demeure modèle par la présence du regard de l’autre, de sa volonté de me représenter, mais je ne SUIS plus modèle au sens classique du terme. Je ne dirais pas pour autant que ce que je réalise est une pièce qui pourrait être « exposable », montrable en dehors de ce moment particulier. En tous les cas, le fait de ne pas être dans un contexte institutionnel, dans un cadre où je devrais me montrer en tant qu’ « artiste » me laisse une grande liberté. Mais surtout c’est le statu du public qui accueille la pièce qui me permet de prendre des risques. En effet les dessinateurs sont eux mêmes en danger, ils sont dans un même état de re- cherche, se posent mille questions sur comment représenter ce qui est en train d’advenir. Le cours de dessin apparait alors un laboratoire expérimental partagé. Tout cela est très poreux, pour sûr la manière dont je pose est influencée par mes perfor- mances. Vice versa mon travail est nourri de la pose à beaucoup de niveaux, aussi parce que c’est un moment de réflexion, pen- dant lequel je réfléchis, je construis, j’avance sur mes pièces. Je suis désolée, j’ai du beaucoup développer mon propos pour répondre à ta question de manière peut être un peu floue... Pour
  • 8. Vestiges de Roncevaux, performance vocale, 16’, galerie Oberkampf, Paris, 08.02.2013 ce qui est de la nudité dans mon travail, elle y a été présente à un moment donné, mais ce n’est plus le cas depuis longtemps. Je crois que la nudité a eu un rôle de déclencheur. Dans mon mémoire, il y a tout un chapitre où j’explique que je considérais mon corps nu comme un « corps-laboratoire », un corps neutre qui permettrait d’expérimenter depuis zéro (c’est nourri de ce que je développe avant sur le modèle comme « corps-outil »). Ce- pendant je crois que cette pensée a été une transition. Un travail comme Malachianta dans lequel je chante nue dans différentes poses, ouvre beaucoup de portes qui ne me concernent plus. Prendre en charge la nudité, qui est un sujet en soi, me semble aujourd’hui trop lourd, loin de mes préoccupations artistiques prioritaires. Cet état a pu déclencher des choses, a pu être né- cessaire à un moment, mais aujourd’hui je me suis rhabillée. P.M : Je ne te trouve pas « floue». Bien au contraire, tes ré- ponses nuancées vont souvent bien au-delà des questions et anticipent souvent celles que je pourrais poser. Je n’en ai donc plus d’autres. Mais toi, peut-être, penses-tu à une question que tu aurais souhaité que je pose ? Si oui, veux-tu te la poser à toi- même et y répondre ? V.L : Je n’ai pas d’autres questions, c’est bien de ne pas tout dire Merci pour cette belle «discussion». L’écrire a fixé un moment, un instant de pensée. Laissons le maintenant évoluer, se transfor- mer, se contrarier, s’oublier, s’interpréter...