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Le Crépuscule des Dieux
1) Introduction
A l’encontre de la luminosité éclatante de joie et d’amour, le
Crépuscule nous replonge dans le sombre pessimisme de
Schopenhauer. La course vers la fin inexorable se célèbre en quelque
sorte dans l’anéantissement de la volonté de vivre, thème
omniprésent chez Schopenhauer, ce qui fit dire à Romain Rolland que
«la vie abandonnée est la vie belle et radieuse des héros, des Dieux
et demi-dieux, en contact chaotique et perturbé avec la Nature » En
effet, les interventions nombreuses, néfastes et intempestives dans
la Nature ont fait que celle-ci se venge :
- par le dépérissement des forêts, symbolisé par le dessèchement du
Frêne du Monde, provoqué par l’arrachage d’une branche, commis
par Wotan pour tailler sa lance,
- par le tarissement de la source du Savoir, du fait du dépérissement
du Frêne,
- par le trouble des eaux du Rhin, qui ne sont plus éclairées par l’Or,
volé par Alberich et donc condamnées à la disparition de toute vie
aquatique.
Nous sentons ici l’actualité brûlante du message de Richard Wagner,
qui représente de véritables boîtes à idées à l’intention des metteurs
en scène à la recherche de concepts d’interprétation contemporaine
du Ring. Kirchner, dans son Ring des fleurs et des papillons des
années 1990, avait été de ceux-là …
Dans le Crépuscule, Wagner ne fait qu’évoquer les réminiscences
d’une Nature originelle, pure et vierge de toute intervention
humaine, d’abord au moyen du Prologue au Crépuscule, d’une force
1
dramatique sans pareil, au cours duquel les trois Nornes pleurent le
dessèchement du Frêne du Monde, le tarissement de la source du
savoir, et la course à sa perte du monde sous les agissements de
Wotan.
Dans la mythologie nordique, les trois principales Nornes, sous la
protection du grand arbre de la Création, le Yggdrasil, tissent les fils
du destin des hommes et des dieux, car ceux-ci sont mortels aussi. Le
nom de « Norne » signifie « tresser » en langage nordique
URD incarne la Norne du passé, de « ce qui est advenu », tandis que
VERDANDI s’occupe du présent, ou de « ce qui est entrain de se
dérouler » et finalement SKULD, la Norne du futur, ou de « ce qui
devrait arriver » Le futur ne représente pas un phénomène probable,
mais se trouve être préétabli.
Wagner ne reprend pas les attributs des Nornes de la mythologie,
raison pour laquelle il ne leur décerne pas de nom, mais juste un
numéro : 1e
, 2e
et 3e
Norne. Il est surprenant de constater que seules
les deux premières Nornes, terminent leur récit par le même refrain,
interrogeant leurs collègues, tout en alternant le présent et le passé :
« sais-tu ce qu’il en advient », ou bien, « sais-tu ce qu’il en advint ».
Elles ne semblent donc pas avoir de notion de temps, et surtout, et
très curieusement, ne parlent pas de l’avenir… La 3e
Norne ne
s’interroge ni sur le passé, ni sur le présent, mettant ainsi le passé
entre parenthèses. Le savoir des Nornes apparaît ainsi trop
fragmenté pour leur permettre de survivre, elles se sentent
condamnées et désirent se fondre de nouveau dans le giron de leur
Mère Erda, qui seule est détentrice du Savoir, mais qui dort de son
sommeil éternel, ainsi que nous l’avons appris au troisième acte de
Siegfried. Créatures de la Nature, elles vont disparaître, au même
titre que le matriarcat, du moins pour le moment…
2
Le Crépuscule des Dieux représente en somme une immense
lamentation sur le dépérissement de la Nature sous l’effet de son
exploitation, et de sa domestication par les activités agricoles et
culturelles des hommes et des dieux, surtout du premier d’entre eux:
- Les Nornes poussent des cris d’effroi quand leurs fils du destin se
rompent, du fait qu’ils ne sont plus attachés au Frêne du Monde,
l’Arbre originel de la Création, mais à un sapin, dont le bois s’avère
trop tranchant pour le précieux tissage, mettant ainsi fin à leur
savoir, fût-il morcelé.
- Les Filles du Rhin agacent Siegfried avec leurs pleurs sur leur or
disparu, parce que la disparition du reflet de la lumière du soleil, ne
parvenant plus jusqu’au fond de l’eau, a eu pour conséquence que le
Rhin est devenu un cloaque désolant, obscur et sans vie.
- Siegfried évoque ses souvenirs de jeunesse, quand il était encore
en étroite symbiose avec la Nature, à des faux compagnons-
chasseurs, qui, devenus de puissants industriels de la vallée du Rhin,
n’ont plus aucun rapport avec l’élément naturel, et ne pensent qu’à
assassiner ce dernier Homme de la Nature.
L’immense nostalgie que suscitent toutes ces évocations d’une
Nature morte, nous font ressentir encore plus douloureusement la
mort de ces personnages rayonnants et issus de la Lumière
qu’étaient Siegfried et Brünnhilde, la chute des Dieux et la fin de
toute chose.
La fin des Dieux, la restitution de l’or aux eaux du Rhin, la purification
du monde par l’eau du Rhin, et par le feu du bûcher de Brünnhilde,
sont certes annonciateurs d’un monde nouveau, avec le thème
grandiose dit de la rédemption par l’Amour. Il subsiste cependant un
arrière-goût amer par l’évidence à laquelle nous devons nous rendre,
qu’Alberich, un des personnages les plus importants du Ring, ne sera
3
pas emporté par l’Apocalypse finale. Alberich, l’archange de la Nuit et
personnification du Mal, recommencera son action maléfique dans le
Nouveau Monde, qui, dans l’innocence de sa naissance, portera déjà
en lui le péché originel et donc le germe de sa destruction. Le début
du Prologue avec ses tonalités sombres, illustre d’une manière
obsédante notre propos sur cette atmosphère de fin du monde.
Psychogramme de Brünnhilde
Amazone cruelle et insensible, sortie tout droit de la tourmente de
l’ouragan, Brünnhilde, lors de sa première apparition au début du
deuxième acte de la Walkyrie, nous apparaît en tant que créature
issue directement de la Nature. Elle éructe des hurlements violents
que l’on peut interpréter comme des cris de guerre.
Les Amazones sont des demi-déesses cruelles, dont le langage est
avant tout corporel ou physique. Dans la mythologie grecque, les
Amazones forment un peuple de femmes guerrières, habitant au
bord de la Mer Noire. Cette localisation, certes non assurée, permet
néanmoins de leur accorder une réalité historique, en les rattachant
aux femmes guerrières des peuples scythes et sarmates. Elles avaient
pour coutume de se couper le sein droit, afin d’augmenter leurs
facultés de tirer à l’arc, d’où leur nom d’A-mazone qui signifie en
grec : « a », sans et « mazos », ou « mastos » sein. Afin d’assurer leur
descendance, elles s’unissent une fois par an à des hommes issus de
tribus voisines. Les enfants mâles sont soit tués, soit volontairement
estropiés, afin de pouvoir les utiliser en tant qu’esclaves domestiques
et sexuels, les estropiés étant les meilleurs amants, selon le mot
prêté à Antianeira, l’une des reines amazones. D’après les récits de
Hérodote, les Amazones pourraient être les épouses des Scythes et
des Sarmates, qui, chose inconcevable pour les Grecs, avaient le droit
de faire la guerre, et de monter à cheval, chose normale pour ces
peuplades ayant excellé dans l’Antiquité dans l’élevage de chevaux.
4
Ceci induit que les peuplades caucasiennes étaient probablement
organisées en sociétés matriarcales. Des fouilles récentes effectuées
en Russie ont mis au jour des tombes de guerrières ensevelies avec
leurs chevaux et leurs flèches qui remontent jusqu’au VIIe siècle
avant notre ère.
Nous voilà bien en présence de tous les attributs de Brünnhilde,
déesse guerrière et cavalière, armée, casquée et cuirassée. Cette
femme altière et cruelle fond subitement comme neige au soleil, et
s’avère être animée de sentiments naturellement humains et
maternels au moment le plus crucial de sa carrière quand elle
intervient en faveur de Siegmund, touchée par la compassion devant
cet homme sans défense, jeté en pâture à des forces surnaturelles
insoupçonnées, dont il ignore qu’elles vont le broyer.
Elle brave ainsi l‘ordre de Wotan de sacrifier Siegmund, puis, une
seconde fois, en sauvant pardessus le marché Sieglinde, parce qu’elle
attend un enfant de Siegmund.
Jamais encore, un personnage féminin pareil à Brünnhilde n’avait été
imaginé dans le domaine du théâtre musical : Héroïne puissante, mi-
femme, mi-déesse, méprisant les hommes, collectant les héros
tombés au combat, pour en peupler le Walhall, la demeure de son
père Wotan, semant l’effroi avec ses chevauchées sauvages au milieu
de la tempête, cette Amazone insensible et cruelle se métamorphose
en un seul instant en femme incandescente, frappée par le coup de
foudre de l’amour maternel.
Son père Wotan aime sa fille, qui représente sa Walkyrie préférée à
cause de son intelligence étincelante et de l’admiration sans bornes
qu’elle lui porte.
Quand nous apparaît cette Amazone sauvageonne et sans cœur au
début du deuxième acte de la Walkyrie, le dialogue entre père et fille
trahit une camaraderie délicieusement espiègle, voire une complicité
5
profondément malicieuse entre les deux personnages, quand ils
tombent d’accord pour donner la victoire à Siegmund dans son duel
contre Hunding. Brünnhilde se moque éperdument auprès de Wotan
de sa belle-mère Fricka et de son éternel ergotage, qui accourt,
outrée de l’inceste des jumeaux. Elle se permet même de railler son
père, en lui lançant effrontément à la tête qu’elle l’abandonne
joyeusement à son sort, afin qu’il se débrouille seul pour résister à
l’assaut de sa divine épouse acariâtre.
Mais l’entretien tourne au vinaigre, et Fricka extorque à Wotan le
serment de sacrifier Siegmund, son fils et demi-frère de Brünnhilde, à
charge de la Walkyrie d’assurer la victoire de Hunding sur le champ
de bataille, ce qu’elle ne fera pas, comme nous l’avons vu, obligeant
ainsi Wotan à la punir pour lui avoir désobéi. Vaincu par l’amour pour
sa fille, Wotan adoucira la terrible punition en lui apportant sa
paternelle protection sous la forme d’un cercle de feu destiné à
éloigner le premier venu qui désirerait réveiller la Belle, enfouie par
son père dans un profond sommeil, déchue de ses attributs divins
afin de se réveiller en simple mortelle.
Nous aurons une dernière fois une preuve éclatante de cette
complicité symbiotique entre Brünnhilde et son père, à la fin des
Adieux de Wotan qui clôture la Walkyrie, quand, subjugué par la
peine que lui cause la séparation définitive avec sa fille bien-aimée, il
la prend dans ses bras et lui tient le plus beau propos d’amour
paternel qu’un père peut adresser à sa fille, en regrettant « ces yeux
si scintillants qu’en souriant j’ai souvent caressés, ces yeux si
lumineux qui souvent brillaient pour moi dans la tourmente »
Du sommeil régénérateur dans lequel se trouve enfermée cette
femme extraordinaire naîtra sa capacité d’amour dans toute sa
sensualité.
6
C’est incontestablement la composition de cette merveille que
constitue Tristan, poème immense exaltant l’amour total et absolu,
qui mit Wagner en mesure d’écrire le plus long duo d’amour de toute
l’Histoire de la Musique au troisième acte de Siegfried. Mais à
l’encontre de la fusion de Tristan et d’Isolde dans le néant, l’amour
entre Siegfried et Brünnhilde est célébré dans toute sa réalité
humaine et physique.
Le héros légendaire, petit-fils de Wotan, et la déesse, fille de Wotan
sont transformés en êtres humains par l’Amour. En découvrant
Brünnhilde, Siegfried éprouve subitement une peur existentielle et le
besoin d’appeler sa mère à l’aide. La prise de conscience par
Brünnhilde de la perte de ses attributs divins, et de son état de
simple mortelle désormais, lui inspire d’abord de la honte. Elle se
défait des dieux, et reconnaît en Siegfried son nouveau dieu. Leur
amour dans toute sa dimension humaine est désormais déconnecté
de l’éternité, et deviendra ainsi entaché du caractère éphémère de la
temporalité.
L’exaltation émotionnelle suscitée par l’amour fou fait surgir une
prise de conscience aiguë de la temporalité et donc du caractère
fugitif de l’existence. Faust accorde à Méphisto le droit de s’emparer
de son âme, le jour où il dira : »arrête-toi, oh instant, tu es si beau ! ».
La réflexion de Faust, consiste à reconnaître sa propre finitude, dès
que naît le désir de ne vouloir vivre que dans l’instant, sans être
dorénavant animé de la moindre projection dans le futur. La
plénitude du moment signifie en même temps l’anéantissement de
soi-même.
Dans son livre sur Simone de Beauvoir, Irène Frain la cite avec cette
expression fabuleuse sur sa rencontre avec Jean-Paul Sartre :
« l’éternité dura trois jours ». La dilatation du temps ressentie à
l’occasion d’une émotion amoureuse suprême et partagée, constitue
7
un instant magique qui se grave en nous jusqu’à notre dernier
souffle.
Ainsi comprenons-nous mieux, pourquoi l’opéra se conclut par les
paroles énigmatiques des deux amoureux : « rayonnant amour, mort
riante ». L’amour le plus fou devient lui aussi périssable, ce que
démontrera Siegfried au début du Crépuscule quand il quittera
Brünnhilde pour courir l’aventure.
Cette femme rebelle qui, animée de sentiments passionnels d’une
force inouïe, transgresse allègrement les règles masculines,
connaîtra ainsi une évolution vers un idéal anticonformiste et avant-
gardiste. En osant prendre en main sa condition féminine, elle
devient une féministe moderne qui désire disposer de son corps,
comme elle l’entend, et qui combat les clichés masculins
dominateurs et patriarcaux du passé. Nous découvrons ici une autre
face du Wagner révolutionnaire quarante-huitard.
Pour Wagner, Brünnhilde devient son idéal féminin tout court. Elle
transcende toutes les héroïnes d’opéra y inclus les siennes :
- Senta quitte la réalité du monde, en s’adonnant à ses fantasmes
psychotiques et morbides.
- Elisabeth idéalise l’amour physique et charnel de Vénus en amour
mystique.
- Elsa se laisse dévorer intérieurement par les doutes sur la
provenance et le passé de son chevalier blanc issu de la lumière, et
détruit en fait son bonheur par une sorte de jalousie maladive.
- Isolde désire se fondre dans le néant avec Tristan, mort avant
elle.
- Or Brünnhilde, à l’encontre de ses consoeurs, transforme sa
passion très terrestre pour Siegfried en vengeance cataclysmique,
puis en mission salvatrice du monde, en se jetant dans les flammes
8
purificatrices du bûcher qui consume son bien-aimé, mort avant elle
également.
La mort d’Isolde résulte de la négation de la volonté, inspirée par la
pensée philosophique de Schopenhauer, alors que la mort de
Brünnhilde s’inspire de l’Amour absolu suscité par la Compassion, elle
aussi schopenhauérienne. Nous voilà dans le monde des idées de
Parsifal que Jürgen Flimm planta sur la scène finale du Crépuscule en
2000.
Brünnhilde possède tous les attributs d’une entière souveraineté, du
fait qu’elle sait s’élever au-dessus de sa condition de femme soumise,
et se dépasser elle-même, en créant l’état d’exception par la
transgression de la loi de Wotan. La maladie de la volonté et l’état
maniaco-dépressif de Wotan font qu’il ne se sent pas le courage de
transgresser les règles et obligations contractuelles qu’il a instaurées,
lui-même, ainsi que nous l’avons vu lors de l’étude du psychogramme
de Wotan.
Wagner confirme cette souveraineté de Brünnhilde, en confiant à
Cosima, qu’il se sent heureux d’avoir réservé le thème musical de
Sieglinde, au sacrifice de Brünnhilde, qui la transfigurera à la fin du
Crépuscule, seule occasion à laquelle réapparaîtra ce thème exposé
une première fois au début du troisième acte de la Walkyrie, que
Wagner qualifie de thème de la rédemption. Wagner écrit : « La
femme souffrante qui se sacrifie constitue la véritable rédemptrice
initiée. Car l’amour est en réalité l’Eternel-féminin lui-même. »
Ce thème ne constitue pas un leitmotiv ou motif conducteur mais
s’élève au contraire au-delà de la toile immense et complexe des
motifs-conducteurs, comme si Brünnhilde transgressait la Loi
Fondamentale de Wotan par ce thème extraordinairement lumineux,
développé et souverain, libérant ainsi Wotan de son impuissance à
mettre fin lui-même à son existence.
9
La fin du Crépuscule représente bien la fin de Wotan et de l’Ancien
Monde, mais elle ne signifie pas la naissance d’un monde meilleur.
A l’image de la création de l’Ancien Monde à partir de l’eau, le
Nouveau Monde surgira également de l’eau du Rhin qui déborde de
son lit pour éteindre les flammes du bûcher de Brünnhilde.
Brünnhilde, héritière du matriarcat d’Erda, représente à coup sûr la
clef de voûte du Monde Nouveau qui se régénérera à partir de
l’Eternel-Féminin.
Le motif final, qualifié de motif de la Rédemption par l’Amour,
représente en fait un immense hymne au monde matriarcal et à
l’Eternel-Féminin qui illumine l’apothéose de Brünnhilde, la femme la
plus moderne et la plus visionnaire de toute l’histoire de l’opéra.
Quatrième grand thème: Le Sommeil dans la Tétalogie
Les thèmes que nous avons déjà analysés précédemment, comme
l’anxiété, le matriarcat et le patriarcat, la parthénogénèse et l’inceste,
constituent des phénomènes qui ne se dévoilent pas en surface,
parce qu’ils ne sont pas tellement apparents. Il existe un autre
aspect, caché davantage encore, mais qui n’en demeure pas non
moins intéressant : le sommeil. On dort en effet tellement dans le
Ring, qu’il est important de consacrer un certain nombre de
réflexions au sommeil et à ses divers aspects connexes.
D’une manière générale, le sommeil se définit comme un état
naturel récurrent de perte de conscience du monde extérieur,
survenant à des intervalles réguliers. Il se distingue du coma par la
préservation des réflexes. Le sommeil favorise largement
l’apprentissage récent et la gestion des émotions. Ainsi, une donnée
associée à une émotion négative sera mémorisée, sans que pour
autant, la connotation négative le soit aussi. Il s’agit donc d’un état
maximal de détente et de relaxation, raison pour laquelle il est
10
régénérateur, alors que le coma représente une abolition de la
conscience, ou la disparition de la capacité d’éveil du sujet. Ce n’est
que dans sa forme profonde qu’il empêche toute réaction à des
stimuli extérieurs.
Nous pouvons ainsi affirmer que dans la Tétralogie les grandes
choses se font pendant le sommeil régénérateur, comme par
exemple, la construction du Walhall, ou le tissage du devenir et de
l’avenir du monde par Erda et ses Nornes.
Dès le début de l’Or du Rhin, quand soudain apparaît le Walhall dans
toute sa splendeur, Fricka réveille Wotan.
Wotan s’était donc permis de dormir tout au long de sa construction,
ce qui devait représenter un somme étendu sur plusieurs années au
moins !
Au troisième acte de Siegfried, Erda se plaint que Wotan la tire de
son sommeil empreint de sagesse et elle explique que « son sommeil
est songe, et ses songes de la méditation »:
A partir de la perte momentanée de la conscience que constitue le
sommeil, nous pouvons établir un lien avec l’inconscient, qui désigne
l’activité psychique se déroulant hors de la sphère consciente.
L’inconscient constitue un ensemble d’idées, de perceptions et
d’émotions qui influent sur notre conduite, sans pour autant
remonter vers la conscience.
L’inconscient est donc le siège de pulsions, de désirs et de souvenirs
refoulés ou censurés, qui ne connaissent pas les règles, ni de la
logique, ni de la temporalité.
L’inconscient est inné, et ne contient pas d’acquis, comme la
respiration par exemple, alors que le subconscient contient des
automatismes acquis, par exemple, la crainte du feu, du fait de s’être
déjà brûlé.
11
L’inconscient représente en quelque sorte la partie immergée de
l’iceberg de la conscience. Le refoulé remonte dans la conscience
sous forme de rêves.
L’hypnose représente un état modifié de la conscience, différente du
sommeil, car les sujets hypnotisés sont éveillés et conservent une
attention très focalisée sur des aspects qui leur sont suggérés, afin de
faire surgir chez eux une susceptibilité accrue vis-à-vis de ceux-ci,
faisant ainsi apparaître chez le sujet des idées et des réponses qui ne
lui sont pas familières dans son état d’esprit habituel. La vision sur le
monde peut ainsi être modifiée. L’hypnose permet de trouver un
accès aisé à l’esprit inconscient du sujet, et de s’occuper directement
des forces inconscientes et sous-jacentes aux perturbations, tant
internes, c’est-à-dire se rapportant à la personnalité, qu’externes
surgissant entre le sujet et son environnement.
La technique d’induction hypnotique la plus simple, consiste à
adopter une attitude très concise et directive vis-à-vis du sujet, du
genre : « Dormez, je le veux ! ».
C’est la technique utilisée par Wotan à l’encontre de Brünnhilde,
quand il la met dans une disposition telle, qu’elle accepte de
s’endormir bientôt: « je vais t’enfermer dans un sommeil profond. »
L’hypnose possède un pouvoir thérapeutique important, en ce sens
qu’elle permet de traiter les perturbations de la personnalité, et
surtout les perturbations psychiques entre le sujet et son
environnement. Une telle hypnose thérapeutique peut être qualifiée
d’hypnose positive.
Nous devons cependant également considérer qu’un sujet, mis en
état de somnambulisme hypnotique, permet aussi d’atteindre des
résultats inverses, consistant à faire accomplir à celui-ci des actes de
manière inconsciente, qui peuvent s’avérer graves et violents,
12
pouvant mener jusqu’à l’homicide. Ces applications néfastes de
l’hypnose peuvent être désignées par le terme d’hypnose négative.
Un des troubles du sommeil, qui nous intéresse le plus pour notre
propos, est la paralysie du sommeil, qui se caractérise par le fait que
le sujet, tout juste réveillé, se trouve dans l’incapacité d’effectuer un
mouvement volontaire quelconque, tout en étant conscient. Ce
phénomène clinique peut s’accompagner d’hallucinations auditives
ou visuelles, et d’impressions de suffocation, ce qui provoque des
sentiments d’anxiété, de frayeur, voire de panique, phénomènes
regroupés sous le terme de terreurs nocturnes. Le caractère étrange
et déconcertant de ces manifestations, a été de tout temps à l’origine
de nombreuses superstitions et de thèmes mythologiques. A
l’encontre des mauvais rêves ou cauchemars, qui sont suffisamment
effrayants pour réveiller le dormeur, et qui sont tout à fait normaux,
les sujets, sous l’emprise d’hallucinations, sont convaincus de la
réalité de ces phénomènes.-
En tant que fervent lecteur des contes des frères Grimm, les
pendants de ceux de Hans Andersen et de Charles Perrault, Wagner
connaissait le conte de la Belle au Bois dormant, qui, vouée à la mort
par un sortilège que lui jeta la fée maléfique, qui n’avait pas été
invitée au baptême de la petite princesse, ne mourut cependant pas
quand elle se piqua le doigt à un fuseau le jour de ses quinze ans.
Une autre fée bienveillante avait réussi à en dévier la portée
mortelle, de sorte qu’elle fut enfouie dans un sommeil d’une durée
de cent ans, jusqu’à ce qu’un prince charmant vienne la délivrer de
son sommeil par un baiser d’amour.
L’histoire de Siegfried réveillant Brünnhilde, endormie sur son rocher
entouré de flammes, avec un baiser est tricotée du même matériau
que celui de la Belle au Bois dormant.
Dans les deux cas, ou contes, nous sommes en présence d’un
sommeil salutaire d’après l’expression populaire que « la nuit porte
13
conseil », en ce sens que le sommeil régénérateur déclenche la
gestation des grandes choses, et représente une sorte de panacée
pour le développement harmonieux du psychisme d’un sujet qui
quitte l’inconscient de l’adolescence pour accéder à l’âge adulte des
responsabilités. Forts de tous ces enseignements, nous sommes à
présent en mesure d’aborder les divers épisodes de sommeil tout au
long de la Tétralogie.
- Dès le début de l’Or du Rhin, Flosshilde, la Fille du Rhin la plus
intelligente des trois ondines, admoneste ses deux compagnes à
mieux faire attention à l’or qui dort au fond du fleuve : « Vous
surveillez mal le sommeil de l’or, soyez vigilantes à l’or qui dort, sinon
vous regretterez vos petits jeux. »
Signalons au passage que l’expression de l’or qui dort désigne la
matière inerte, à l’état d’atomes.
- Nous avons déjà assisté au „grand réveil“ de Wotan, au moment où
la construction de son château-fort Walhall est achevée. Mais
Wagner insiste sur cette somnolence du chef suprême des Dieux.
Fricka doit carrément le secouer : « Assez de rêves trompeurs,
réveille-toi, et examine la situation »
Cela n’est pas tellement reluisant pour un Dieu suprême de se faire
tancer de la sorte par son épouse. Le Dieu de l’Ancien Testament
avait au moins eu le bon goût de ne se reposer qu’après avoir
procédé à la Création du monde, au septième jour…
- Et ça continue: Quand Wotan, à peine tiré de son sommeil par
Fricka, essaye d’échapper au paiement de la construction, qui
consiste à placer Freia, la déesse de la jeunesse, ni plus, ni moins, en
tant qu’esclave auprès des deux géants, Fasolt, un des deux géants et
ouvriers- constructeurs de Walhall, se fâche et a le culot de reprocher
14
à Wotan «qu’un doux sommeil fermait tes yeux, tandis que nous
passions des nuits blanches à construire le château-fort : »
- Erda s’extrait de son profond sommeil, avant de surgir des
profondeurs de la Terre, pour avertir Wotan que la fin des Dieux est
proche. Le sommeil d’Erda dans l’Or du Rhin est de nature
hypnotique. Wotan, après avoir entendu sa prophétie qu’il ne goûte
évidemment pas, aimerait en savoir plus. Erda refuse et se laisse de
nouveau gagner par son sommeil, en utilisant la technique de l’auto-
hypnose, qui représente un procédé simple d’autosuggestion aidant
le passage au sommeil, comme compter les moutons, ou répéter
inlassablement, « je me relaxe, je me relaxe… »
- Au moment de se mettre à la tête de la procession des dieux, afin
de prendre possession du Walhall, Wotan, dans un sombre élan,
étonnamment prémonitoire, lâche ces mots mystérieux, empreints
de résignation tragique : »La forteresse ne se construisit pas dans la
joie, mais dans la peine et l’angoisse, du matin au soir. Voilà que
tombe la nuit : que la forteresse fasse rempart contre la
malveillance ! »
A peine réveillé d’un long sommeil, certes régénérateur, Wotan se
sent déjà gagné par la fatigue, sorte de paralysie du sommeil. Malgré
son état conscient, il se sent incapable de bouger, tenaillé par
l’anxiété et la frayeur. Wotan s’interroge sur la Nuit éternelle dans
laquelle il sombrera bientôt, et sur sa face obscure de Janus qui le
terrasse, parce qu’elle représente son autre Soi qui n’est autre qu’
Alberich. Conscient de son impuissance, Wotan se sent déjà traqué et
entrevoit sa fin dès le début.
L’Or du Rhin contient ainsi cinq évocations du sommeil, si nous
interprétons la terreur de Wotan devant la nuit tombante, comme
une sorte de paralysie du sommeil.
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- Dans la Walkyrie, Hunding, l’époux légitime de Sieglinde, vaincu
par le puissant narcotique, dort d’un sommeil de plomb, pendant que
Siegmnd et Sieglnde sont vaincus par leur amour.
Le sommeil narcotique est provoqué par une substance chimique qui
conduit à un état de torpeur (narkè en grec), proche du sommeil qui
engourdit la sensibilité. Il ne s’agit pas d’un sommeil naturel et
normal, mais d’un état provoqué,dont le sujet se remet rapidement,
dès que l’effet du stupéfiant se sera estompé, ce qui explique la hâte
du couple incestueux à vouloir déguerpir des lieux le plus rapidement
que possible.
- Siegmund avoue à sa sœur qu’il l’a déjà entrevue en songe : »Un
rêve d’amour me revient. Dans mes désirs les plus ardents, je t’ai
déjà aperçue.»
L’inconscient des désirs et des souvenirs, refoulés durant toutes ses
années d’errance, remonte à la surface et s’exprime sous la forme
consciente du rêve.
- Dans le fameux dialogue avec sa fille Brünnhilde, Wotan condamne
Alberich, son négatif, en le qualifiant de fils de la Nuit : »le Nibelung
inquiet que la nuit engendra, Alberich maudit l’amour ! »
Dans la mythologie grecque, le dieu du Sommeil s’appelle Hypnos,
qui est fils de la Nuit, et qui possède le pouvoir exorbitant d’endormir
non seulement les hommes mais également les dieux. Wagner, qui
était fin connaisseur des mythologies antiques, fait appeller Alberich,
fils de la Nuit par Wotan. Cela signifie que Alberich, tout comme
Hypnos, apparaît en tant phénomène majeur du monde, qui ne
disparaît pas au moment de la fin des Dieux au Crépuscule, ce qui
constitue une bonne raison pour laquelle Alberich demeure le seul
survivant à la fin. Le dictionnaire des symboles explique que « entrer
dans la nuit, c’est entrer dans le domaine de l’indéterminé, où se
16
mêlent les cauchemars et les monstres. La nuit représente l’image de
l’inconscient qui se libère durant le sommeil nocturne. La nuit
présente deux aspects différents : celui des Ténèbres où fermente le
devenir de la vie, et celui de la préparation du jour, d’où jaillira la
lumière de la vie. Churchill a dit : »It is never so dark than just before
morning grey.”
- Au deuxième acte, Sieglinde, exténuée, se trouve manifestement
dans un état comateux léger, proche d’un sommeil normal, quand
Brünnhilde annonce bruyamment à Siegmund qu’il sera vaincu et tué
par Hunding au cours du duel qui l‘attend. Sieglinde fait des
expériences oniriques similaires à celles de Siegmund. Les
réminiscences des évènements dramatiques vécus durant son
enfance, quand les hordes sauvages qui ont pillé la demeure
commune et tué sa mère, et fortement refoulées depuis, lui
remontent de son inconscient vers sa conscience sous la forme d’un
cauchemar, tout empreint d’angoisse.
- Le troisième acte enfin, sera consacré à la plus grande dormeuse du
Ring: Brünnhilde. Wotan s’occupe à la préparer à un long
sommeil : »je vais t’enfermer dans un sommeil sans défense. » lui
annonce-t-il. Il est obsédé par ce phénomène d’un sommeil sans
défense, parce qu’il ne doit pas durer éternellement, comme dans le
cas de la Belle au Bois dormant. Il a donc le sentiment d’agir comme
la fée bienveillante, qui convertit le sortilège de la mort jeté sur la
princesse en sommeil devant durer pendant cent ans. Wotan, comme
la bonne fée, est un adepte de la magie blanche et non de la magie
noire, jeteuse de mauvais sorts. Il se répétera un peu plus loin, dans
les mêmes termes obsédants: »je te plongerai dans un sommeil
profond », ce qui fait que Brünnhilde implore son père, qu’il lui
accorde la protection d’un cercle de feu. Or elle démarre son propos
par une description du sommeil dans lequel Wotan désire
17
l’enfermer: »qu’un sommeil me ligotant de ses chaînes, ne me livre
pas à l’homme le plus lâche qui soit ! »
Un sommeil sans défense et profond, qui possède la qualité
d‘enchaîner le sujet, équivaut à un sommeil de hypnose
régénérateur, càd une hypnose positive, pendant laquelle Brünnhilde
va se purifier petit-à-petit de ses attributs de déesse, et apprendre
lentement sa condition d’humaine mortelle, afin d’être prête pour
Siegfried, quand il la réveillera. Sinon, il apparaîtrait
incompréhensible, conmment Brünnhilde, après s’être réveillée au
monde, réussirait le tour de force de s’adapter si rapidement à sa
nouvelle condition, s’il n’y avait pas eu cette lente évolution
psychique, tout au long de son sommeil qui a dû durer une vingtaine
d’années, le temps que Siegfried devienne adulte…
La Walkyrie contient cinq évocations du sommeil.
- Dans Siegfried, la deuxième journée de la Tétralogie, Fafner, le
dragon dort le sommeil du paresseux. Il ne s’intéresse nullement à ce
qui se passe dans le monde. Or beaucoup de choses se sont passées,
depuis qu’il a tué son frère Fasolt, afin de se rendre seul maître du
Trésor du Nibelung et de son Anneau. Il n’a que bâillements
désabusés pour les avertissements de Wotan et d’Alberich
l’exhortant à la vigilance à l’encontre de Siegfried: « je suis couché, et
je possède, laissez-moi dormir » ! D’aucuns ont interprété ce passage
en tant que caricature du comportement du spéculateur en Bourse
paresseux et stérile…Soit !
Mais il y a plus important : Richard Wagner avait, comme tous les
intellectuels du 19e
siècle, une profonde connaissance de la Bible,
surtout de l’Ancien Testament. Citons dans ce contexte le psaume
127 qui traite des paresseux en ces termes : « l’Eternel donne du pain
à ses bien-aimés pendant leur sommeil » La formule allemande,
traduction libre et poétique « Seinen Freunden gibt Gott es im
Schlafe » est souvent utilisée pour désigner une personne qui a
18
beaucoup de talent et beaucoup de chance. La locution possède
également une signification psychanalytique, en ce sens que le
subconscient ne dort jamais et veille toujours, comme Fafner qui
garde son Trésor. Pour cela, il n’a pas besoin de se maintenir en état
de veille. Son subconscient lui dicte ce qu’il a à faire en cas de danger,
comme il le démontre quand Wotan et Alberich le réveillent.
Pour le reste, Fafner représente un paresseux pathologique empli de
manque d’envie de faire quoi que ce soit, et pour lequel agir
représente un effort gigantesque. Il est conscient de son état et se
sent coupable de ne pas accomplir ce qu’il s’était promis de faire.
Cette mauvaise conscience fait que le sommeil du paresseux ne peut
être régénérateur. Dans ses moments de lucidité, il tente même
d’expliquer son état. Car Siegfried se montre étonné de la sagesse de
Fafner après qu’il l’eût blessé à mort. Ses regrets de la fin confirment
le diagnostic des pathologues modernes. Fafner finit en beauté, c’est
à dire en sagesse : « Celui qui t’a poussé aveuglément à l’action,
complote à présent ta mort…Vois comment tout s’achève et
souviens-toi de moi ! »
- On peut affirmer que l’Oiseau de la forêt que Siegfried interpelle et
qu’il comprend, après avoir porté ses doigts brûlant du sang du
dragon qu’il vient de tuer, a, lui aussi été tiré d’un sommeil séculaire
régénérateur, comparable à celui de la Belle au Bois dormant, car si
Siegfried a acquis la capacité de comprendre les oiseaux, l’Oiseau de
la Forêt s’est rendu capable, lui aussi, de comprendre le langage des
hommes au cours d’un long processus d’hypnose positive. La fin du
deuxième acte est éloquent à ce sujet, quand s’installe un véritable
dialogue entre l’Oiseau et Siegfried qui l’interroge: « Serai-je capable
de franchir le mur de feu », ce à quoi l’Oiseau répond: « seul celui qui
ne connaît pas la peur » Siegfried : « cher petit oiseau, ce serait donc
moi, car je ne connais pas la peur ! » Convenez avec nous, que la
prouesse de l’Oiseau est proprement renversante.
19
- Nous avons vu précédemment qu’Erda est de nouveau réveillée par
Wotan, ce qui l’agace parce qu’elle tisse le destin du monde au cours
de ses rêves qui représentent des méditations, qui font que son
sommeil devienne maîtrise du savoir. L’avenir du Monde se
construirait-il donc dans l’inconscient des songes ? Non, car la
destinée future du monde demeure impénétrable. N’est connu que
ce qui est intervenu dans le passé, ou ce qui se passe présentement.
La finitude de notre entendement vis-à-vis du devenir des choses,
nous fait sans cesse ressasser, décortiquer, disséquer ou détricoter le
passé, afin d’en tirer un enseignement sur l’avenir…Erda échouera
dans sa mission de faire tisser l’avenir par les Nornes, ses filles, selon
ses directives. Les dieux païens ne sont pas omniscients, ce qui
explique leur incapacité de prédire l’avenir. Wotan se retrouve donc
à la même enseigne qu’Erda : ses consultations de voyance auprès
d’Erda démontrent qu’il a un manque cruel en matière de
connaissance de l’avenir, qu’Erda ne sait malheureusement pas
combler, n’en sachant pas plus que lui. Afin de cacher son ignorance,
elle se laisse aller à des déclarations sur des généralités du
genre : »toute chose a une fin », constat déjà fait dans l’Or du Rhin,
et qui est partagé par tout le monde. Elle n’a donc pas évolué
spirituellement et n’a plus qu’une seule ambition : dormir le someil
éternel.
Wotan s’étant enfin rendu compte qu’Erda, par son ignorance de
l’avenir, ne lui est plus d’aucune utilité n’a que du mépris pour sa
mère, et lui enjoint de s’enfoncer désormais dans un sommeil
éternel : « Tu n’es pas ce que tu crois être, lui souffle-t-il…dors à
présent, contemple ma fin dans tes rêves, et sombre dans un
sommeil éternel ! »
Le sommeil dans lequel le Voyageur-Vagabond Wotan plonge Erda
représente en fait un coma profond dont elle ne sortira plus. Si dans
20
l’Or du Rhin, Erda s’est encore auto-hypnotisée pour rejoindre les
entrailles de la Terre, faisant ainsi un joli pied-de-nez à Wotan, celui-
ci, ne lui accordera plus la faculté de devenir active pour s’abîmer de
ses propres forces dans son dernier sommeil. Wotan prend ainsi
l’initiative de couper le cordon ombilical avec la génitrice de l’Ancien
Monde, scellant ainsi sa propre perte.
Mais depuis l’étude du thème sur le matriarcat et le patriarcat, nous
savons que Erda a accompli une mission beaucoup plus importante
que celle qui consistait à tricoter la destinée du monde, en
transmettant tous ses attributs matriarcaux à Brünnhilde, sa fille et
héritière. Elle parvient ainsi à faire un deuxième pied-de-nez à
Wotan, qui, en envoyant Erda à son sommeil éternel croyait s’être
définitivement débarrassé des derniers vestiges du matriarcat de
l’Ancien Monde. Cela ne lui aura pas réussi. Dorénavant ce sera
Brünnhilde qui mènera la danse, en mettant fin au monde patriarcal
de Wotan, et en rétablissant un nouveau règne matriarcal dans un
Nouveau Monde.
Siegfried, la deuxième journée contient ainsi trois évocations du
sommeil.
- Dans le Prologue du Crépuscule, Erda s’étant enfoncé dans le
Néant, les Nornes, ses filles, ne tissant la destinée des dieux et des
hommes, que sur les instructions de leur mère, n’ont plus de raison
d’être et disparaissent dans les profondeurs de la Terre afin de la
rejoindre à leur tour dans un coma collectif : »le savoir éternel
touche à sa fin. Les sages n’ont plus rien à annoncer au monde…
descendons rejoindre notre mère ! »
- Quand Waltraute rend visite à Brünnhilde, afin de la convaincre de
lui remettre l’Anneau, elle la questionne : »dors-tu, ou veilles-tu ? ».
Cette question est assez significative en ce sens qu’elle montre que la
renommée de la grande dormeuse qu’est Brünnhilde est fortement
établie dans l’Ancien Monde.
21
- Elle lui raconte qu’elle est venue trouver sa sœur, suite à des
paroles que Wotan, figé dans sa prostration dépressive, que nous
avons étudiée dans le psychogramme consacré à Wotan, a
prononcées sous l’emprise de ses rêves. « Si Brünnhilde se décidait à
rendre l’Anneau aux Filles du Rhin, Dieu et le Monde seraient
sauvés ! »
Nous revoilà dans le domaine onirique. Devenu apathique par
l’accablement dû à ses fautes, l’inconscient refoulé de Wotan
remonte à la surface de sa conscience. S’écroulant sous le poids de sa
culpabilité des crimes qu’il a commis contre la Nature, la certitude
que la neutralisation de l’Anneau dans les Eaux du Rhin le laverait de
la malédiction, constitue ainsi son dernier rêve puissant et sans
altération aucune.
- L’apparition en songe d’Alberich dans le sommeil de son fils Hagen,
constitue une des scènes les plus lugubres de la Tétralogie. Alberich,
le Prince de la Nuit prend une emprise hypnotique sur son fils. Il lui
susurre qu’il doit sauver l’honneur des Mauvais par l’assassinat de
Siegfried, le pur héros, petit-fils et dernière chance de Wotan dans le
possible retournement des choses en sa faveur. Avec son insistant
appel au meurtre sur la personne de Siegfried, Alberich pratique
l’hypnose négative sur Hagen qui deviendra l’assassin du héros : »ma
malédiction s’avère inefficace contre le héros sans peur…sa perte
seule nous convient à présent ! M’entends-tu, Hagen, mon fils ? »
- En mourant, Siegfried interpelle une dernière fois Brünnhilde, la
dormeuse : »qui donc t’as de nouveau enfermée dans le sommeil ? »
- Gutrune fait de mauvais rêves, avant que le cortège funèbre lui
amène le catafalque avec le cadavre de Siegfried. Il s’agit d’un rêve
prémonitoire, censé représenter un évènement extérieur futur, dont
le rêveur n’avait pas conscience au moment de s’endormir.
22
Plutarque raconte que Calpurnia, la femme de César rêva de la
conjuration de Brutus et de Cassius contre César, et de l’assassinat en
plein sénat de celui-ci.
- La dernière pensée que Brünnhilde consacre à Wotan, consiste à lui
souhaiter un sommeil éternel : »Dors à présent, oh Dieu ! »
Wotan entrera ainsi dans le sommeil éternel, les yeux grands ouverts
sur le cataclysme entraînant son monde dans sa chute, délivré de son
impuissance, et enfin conscient de sa Faute première et de la Vérité
dernière.-
Nous avons ainsi relevé pas moins de sept évocations du sommeil
dans le seul Crépuscule, soit vingt au total durant toute la Tétralogie.
Le sommeil, occupation qui occupe environ un tiers de notre
existence, ne pouvait échapper à l’esprit perspicace de Richard
Wagner. En le transcendant, et en le décrivant sous ses aspects les
plus multiples, il exploite ainsi un des phénomènes humains les plus
mystérieux dans la communication d’un certain nombre de
messages, destinés à une connaissance plus profonde de sa
cosmogonie.
Wagner a clairement pressenti le vaste domaine de la psychanalyse,
encore inconnue à son époque, et qui sera exploré scientifiquement
par Siegmund Freud une vingtaine d’années après la mort de
Wagner.
Réflexions autour de la fin du Crépuscule et conclusions
L’épilogue à notre analyse de la Tétralogie, doit nécessairement être
consacré à la fin que Richard Wagner a voulu donner à son œuvre
gigantesque. Nous essayerons brièvement de donner un certain
nombre d’éléments de réponse.
Dans sa fameuse lettre du 25 janvier 1854 à August Röckel, que nous
avons citée si souvent parce qu’elle contient de véritables trésors
23
d’explications et de commentaires sur la Tétralogie et ses
personnages, Wagner écrit ceci : »Wotan représente la somme de
l’intelligence des temps présents. Par conséquent, c’est NOUS qu’il
incarne. Siegfried, par contre, représente l’homme de l’avenir, dont
nous désirons la venue, mais qui ne peut s’accomplir par notre
intervention. Il doit se créer lui-même en nous anéantissant ». Voilà
qui est clair, en ce qui concerne l’esprit de démission qui habite
Wotan depuis l’Or du Rhin, et qui va croissant jusqu’à la plus
complète passivité dans la prostration dépressive de la fin que nous
raconte Waltraute dans le Crépuscule.
Mais, avant d’en arriver là, il aura entrepris toutes les actions
possibles et impossibles pour sauver son pouvoir, pour finalement
devenir de plud en plus inactif, au fur et à mesure que les échecs de
ses interventions dans le monde s’accumulent.
Par contre, la malédiction fulminée par Alberich contre l’Anneau,
semble lui réussir personnellement, parce qu’il ne disparaît pas dans
le cataclysme final. Il ne restera certainement pas les mains croisées
dans le Nouveau Monde, qui aura succédé à l’Ancien, mais au moins
ne restera-t-il, une nouvelle fois pas seul, en ce sens qu’il y aura un
nouveau bipolarisme entre le Mal et le Bien, celui-ci étant représenté
par un nouveau règne du matriarcat qu’aura inauguré Brünnhilde par
son sacrifice. Alberich n’aura pas pris en compte le profond
humanisme de Brünnhilde, ni Wotan non plus d’ailleurs…
Wagner, en tant qu’admirateur de la Grèce antique, a-t-il voulu nous
suggérer une évolution cyclique de l’Histoire, chère aux Grecs. Nous
pouvons le supposer, sans pour autant en avoir la certitude.
A l’origine, Wagner avait imaginé une fin révolutionnaire, ensuite un
point d’orgue paisible, voire nihiliste. Mais il se décida enfin pour une
fin cataclysmique comportant la disparition de l’Ancien Monde dans
un incendie de fin des temps, plus efficace d’un pont de vue théâtral
et dramatique, il faut en convenir.
24
Mais c’est précisément dans cette version finale de la fin du Monde,
que le fait, de ne plus trouver mention d’Alberich, nous dérange et
nous déroute tellement !
Nous disposons cependant d’une piste capable de nous éclairer sur le
dilemme de cette fin du Crépuscule.
Dans son autobiographie « Ma Vie », Richard Wagner relate la forte
impression que lui a faite le livre, la « Mythologie germanique » de
Jacob Grimm.
Ce livre parle de la fin du monde et de sa destruction par le feu, le
Ragna-Rök à peu près dans ces termes : »L’incendie universel …n’aura
pas pour effet de tout détruire à jamais, mais d’introduire un Ordre
Nouveau et meilleur dans le monde. »
Wagner a certainement dû lire ce passage, sans, malheureusement
pour nous, l’avoir jamais commenté en rapport avec la fin du
Crépuscule.
Nous pouvons en conclure, ainsi que nous l’avons exposé dans notre
thème sur le matriarcat et le patriarcat, que cet ordre nouveau, dont
parle Grimm, pourrait bien être le début d’un nouveau règne du
matriarcat instauré par Brünnhilde, mais, cependant entaché dès le
départ par le péché originel du Mal, personnifié par Alberich, qui fait
donc aussi partie de ce nouvel ordre d’après Wagner.
Ce serait donc à se stade que nous trouverions la raison pour laquelle
le thème si sublime, dit de la rédemption par l’amour explose dans
une véritable apothéose musicale à la fin du Crépuscule. Vous
disposez à présent, également de l’explication, pourquoi nous avons,
tout au long de ces introductions, parlé du thème, dit de la
rédemption et de l’amour, terme consacré par la musicologie, mais
qui pourrait tout aussi bien s’appeler le thème du triomphe du
matriarcat.
Jean-Paul Bettendorff
25
29.4.2013
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  • 1. Le Crépuscule des Dieux 1) Introduction A l’encontre de la luminosité éclatante de joie et d’amour, le Crépuscule nous replonge dans le sombre pessimisme de Schopenhauer. La course vers la fin inexorable se célèbre en quelque sorte dans l’anéantissement de la volonté de vivre, thème omniprésent chez Schopenhauer, ce qui fit dire à Romain Rolland que «la vie abandonnée est la vie belle et radieuse des héros, des Dieux et demi-dieux, en contact chaotique et perturbé avec la Nature » En effet, les interventions nombreuses, néfastes et intempestives dans la Nature ont fait que celle-ci se venge : - par le dépérissement des forêts, symbolisé par le dessèchement du Frêne du Monde, provoqué par l’arrachage d’une branche, commis par Wotan pour tailler sa lance, - par le tarissement de la source du Savoir, du fait du dépérissement du Frêne, - par le trouble des eaux du Rhin, qui ne sont plus éclairées par l’Or, volé par Alberich et donc condamnées à la disparition de toute vie aquatique. Nous sentons ici l’actualité brûlante du message de Richard Wagner, qui représente de véritables boîtes à idées à l’intention des metteurs en scène à la recherche de concepts d’interprétation contemporaine du Ring. Kirchner, dans son Ring des fleurs et des papillons des années 1990, avait été de ceux-là … Dans le Crépuscule, Wagner ne fait qu’évoquer les réminiscences d’une Nature originelle, pure et vierge de toute intervention humaine, d’abord au moyen du Prologue au Crépuscule, d’une force 1
  • 2. dramatique sans pareil, au cours duquel les trois Nornes pleurent le dessèchement du Frêne du Monde, le tarissement de la source du savoir, et la course à sa perte du monde sous les agissements de Wotan. Dans la mythologie nordique, les trois principales Nornes, sous la protection du grand arbre de la Création, le Yggdrasil, tissent les fils du destin des hommes et des dieux, car ceux-ci sont mortels aussi. Le nom de « Norne » signifie « tresser » en langage nordique URD incarne la Norne du passé, de « ce qui est advenu », tandis que VERDANDI s’occupe du présent, ou de « ce qui est entrain de se dérouler » et finalement SKULD, la Norne du futur, ou de « ce qui devrait arriver » Le futur ne représente pas un phénomène probable, mais se trouve être préétabli. Wagner ne reprend pas les attributs des Nornes de la mythologie, raison pour laquelle il ne leur décerne pas de nom, mais juste un numéro : 1e , 2e et 3e Norne. Il est surprenant de constater que seules les deux premières Nornes, terminent leur récit par le même refrain, interrogeant leurs collègues, tout en alternant le présent et le passé : « sais-tu ce qu’il en advient », ou bien, « sais-tu ce qu’il en advint ». Elles ne semblent donc pas avoir de notion de temps, et surtout, et très curieusement, ne parlent pas de l’avenir… La 3e Norne ne s’interroge ni sur le passé, ni sur le présent, mettant ainsi le passé entre parenthèses. Le savoir des Nornes apparaît ainsi trop fragmenté pour leur permettre de survivre, elles se sentent condamnées et désirent se fondre de nouveau dans le giron de leur Mère Erda, qui seule est détentrice du Savoir, mais qui dort de son sommeil éternel, ainsi que nous l’avons appris au troisième acte de Siegfried. Créatures de la Nature, elles vont disparaître, au même titre que le matriarcat, du moins pour le moment… 2
  • 3. Le Crépuscule des Dieux représente en somme une immense lamentation sur le dépérissement de la Nature sous l’effet de son exploitation, et de sa domestication par les activités agricoles et culturelles des hommes et des dieux, surtout du premier d’entre eux: - Les Nornes poussent des cris d’effroi quand leurs fils du destin se rompent, du fait qu’ils ne sont plus attachés au Frêne du Monde, l’Arbre originel de la Création, mais à un sapin, dont le bois s’avère trop tranchant pour le précieux tissage, mettant ainsi fin à leur savoir, fût-il morcelé. - Les Filles du Rhin agacent Siegfried avec leurs pleurs sur leur or disparu, parce que la disparition du reflet de la lumière du soleil, ne parvenant plus jusqu’au fond de l’eau, a eu pour conséquence que le Rhin est devenu un cloaque désolant, obscur et sans vie. - Siegfried évoque ses souvenirs de jeunesse, quand il était encore en étroite symbiose avec la Nature, à des faux compagnons- chasseurs, qui, devenus de puissants industriels de la vallée du Rhin, n’ont plus aucun rapport avec l’élément naturel, et ne pensent qu’à assassiner ce dernier Homme de la Nature. L’immense nostalgie que suscitent toutes ces évocations d’une Nature morte, nous font ressentir encore plus douloureusement la mort de ces personnages rayonnants et issus de la Lumière qu’étaient Siegfried et Brünnhilde, la chute des Dieux et la fin de toute chose. La fin des Dieux, la restitution de l’or aux eaux du Rhin, la purification du monde par l’eau du Rhin, et par le feu du bûcher de Brünnhilde, sont certes annonciateurs d’un monde nouveau, avec le thème grandiose dit de la rédemption par l’Amour. Il subsiste cependant un arrière-goût amer par l’évidence à laquelle nous devons nous rendre, qu’Alberich, un des personnages les plus importants du Ring, ne sera 3
  • 4. pas emporté par l’Apocalypse finale. Alberich, l’archange de la Nuit et personnification du Mal, recommencera son action maléfique dans le Nouveau Monde, qui, dans l’innocence de sa naissance, portera déjà en lui le péché originel et donc le germe de sa destruction. Le début du Prologue avec ses tonalités sombres, illustre d’une manière obsédante notre propos sur cette atmosphère de fin du monde. Psychogramme de Brünnhilde Amazone cruelle et insensible, sortie tout droit de la tourmente de l’ouragan, Brünnhilde, lors de sa première apparition au début du deuxième acte de la Walkyrie, nous apparaît en tant que créature issue directement de la Nature. Elle éructe des hurlements violents que l’on peut interpréter comme des cris de guerre. Les Amazones sont des demi-déesses cruelles, dont le langage est avant tout corporel ou physique. Dans la mythologie grecque, les Amazones forment un peuple de femmes guerrières, habitant au bord de la Mer Noire. Cette localisation, certes non assurée, permet néanmoins de leur accorder une réalité historique, en les rattachant aux femmes guerrières des peuples scythes et sarmates. Elles avaient pour coutume de se couper le sein droit, afin d’augmenter leurs facultés de tirer à l’arc, d’où leur nom d’A-mazone qui signifie en grec : « a », sans et « mazos », ou « mastos » sein. Afin d’assurer leur descendance, elles s’unissent une fois par an à des hommes issus de tribus voisines. Les enfants mâles sont soit tués, soit volontairement estropiés, afin de pouvoir les utiliser en tant qu’esclaves domestiques et sexuels, les estropiés étant les meilleurs amants, selon le mot prêté à Antianeira, l’une des reines amazones. D’après les récits de Hérodote, les Amazones pourraient être les épouses des Scythes et des Sarmates, qui, chose inconcevable pour les Grecs, avaient le droit de faire la guerre, et de monter à cheval, chose normale pour ces peuplades ayant excellé dans l’Antiquité dans l’élevage de chevaux. 4
  • 5. Ceci induit que les peuplades caucasiennes étaient probablement organisées en sociétés matriarcales. Des fouilles récentes effectuées en Russie ont mis au jour des tombes de guerrières ensevelies avec leurs chevaux et leurs flèches qui remontent jusqu’au VIIe siècle avant notre ère. Nous voilà bien en présence de tous les attributs de Brünnhilde, déesse guerrière et cavalière, armée, casquée et cuirassée. Cette femme altière et cruelle fond subitement comme neige au soleil, et s’avère être animée de sentiments naturellement humains et maternels au moment le plus crucial de sa carrière quand elle intervient en faveur de Siegmund, touchée par la compassion devant cet homme sans défense, jeté en pâture à des forces surnaturelles insoupçonnées, dont il ignore qu’elles vont le broyer. Elle brave ainsi l‘ordre de Wotan de sacrifier Siegmund, puis, une seconde fois, en sauvant pardessus le marché Sieglinde, parce qu’elle attend un enfant de Siegmund. Jamais encore, un personnage féminin pareil à Brünnhilde n’avait été imaginé dans le domaine du théâtre musical : Héroïne puissante, mi- femme, mi-déesse, méprisant les hommes, collectant les héros tombés au combat, pour en peupler le Walhall, la demeure de son père Wotan, semant l’effroi avec ses chevauchées sauvages au milieu de la tempête, cette Amazone insensible et cruelle se métamorphose en un seul instant en femme incandescente, frappée par le coup de foudre de l’amour maternel. Son père Wotan aime sa fille, qui représente sa Walkyrie préférée à cause de son intelligence étincelante et de l’admiration sans bornes qu’elle lui porte. Quand nous apparaît cette Amazone sauvageonne et sans cœur au début du deuxième acte de la Walkyrie, le dialogue entre père et fille trahit une camaraderie délicieusement espiègle, voire une complicité 5
  • 6. profondément malicieuse entre les deux personnages, quand ils tombent d’accord pour donner la victoire à Siegmund dans son duel contre Hunding. Brünnhilde se moque éperdument auprès de Wotan de sa belle-mère Fricka et de son éternel ergotage, qui accourt, outrée de l’inceste des jumeaux. Elle se permet même de railler son père, en lui lançant effrontément à la tête qu’elle l’abandonne joyeusement à son sort, afin qu’il se débrouille seul pour résister à l’assaut de sa divine épouse acariâtre. Mais l’entretien tourne au vinaigre, et Fricka extorque à Wotan le serment de sacrifier Siegmund, son fils et demi-frère de Brünnhilde, à charge de la Walkyrie d’assurer la victoire de Hunding sur le champ de bataille, ce qu’elle ne fera pas, comme nous l’avons vu, obligeant ainsi Wotan à la punir pour lui avoir désobéi. Vaincu par l’amour pour sa fille, Wotan adoucira la terrible punition en lui apportant sa paternelle protection sous la forme d’un cercle de feu destiné à éloigner le premier venu qui désirerait réveiller la Belle, enfouie par son père dans un profond sommeil, déchue de ses attributs divins afin de se réveiller en simple mortelle. Nous aurons une dernière fois une preuve éclatante de cette complicité symbiotique entre Brünnhilde et son père, à la fin des Adieux de Wotan qui clôture la Walkyrie, quand, subjugué par la peine que lui cause la séparation définitive avec sa fille bien-aimée, il la prend dans ses bras et lui tient le plus beau propos d’amour paternel qu’un père peut adresser à sa fille, en regrettant « ces yeux si scintillants qu’en souriant j’ai souvent caressés, ces yeux si lumineux qui souvent brillaient pour moi dans la tourmente » Du sommeil régénérateur dans lequel se trouve enfermée cette femme extraordinaire naîtra sa capacité d’amour dans toute sa sensualité. 6
  • 7. C’est incontestablement la composition de cette merveille que constitue Tristan, poème immense exaltant l’amour total et absolu, qui mit Wagner en mesure d’écrire le plus long duo d’amour de toute l’Histoire de la Musique au troisième acte de Siegfried. Mais à l’encontre de la fusion de Tristan et d’Isolde dans le néant, l’amour entre Siegfried et Brünnhilde est célébré dans toute sa réalité humaine et physique. Le héros légendaire, petit-fils de Wotan, et la déesse, fille de Wotan sont transformés en êtres humains par l’Amour. En découvrant Brünnhilde, Siegfried éprouve subitement une peur existentielle et le besoin d’appeler sa mère à l’aide. La prise de conscience par Brünnhilde de la perte de ses attributs divins, et de son état de simple mortelle désormais, lui inspire d’abord de la honte. Elle se défait des dieux, et reconnaît en Siegfried son nouveau dieu. Leur amour dans toute sa dimension humaine est désormais déconnecté de l’éternité, et deviendra ainsi entaché du caractère éphémère de la temporalité. L’exaltation émotionnelle suscitée par l’amour fou fait surgir une prise de conscience aiguë de la temporalité et donc du caractère fugitif de l’existence. Faust accorde à Méphisto le droit de s’emparer de son âme, le jour où il dira : »arrête-toi, oh instant, tu es si beau ! ». La réflexion de Faust, consiste à reconnaître sa propre finitude, dès que naît le désir de ne vouloir vivre que dans l’instant, sans être dorénavant animé de la moindre projection dans le futur. La plénitude du moment signifie en même temps l’anéantissement de soi-même. Dans son livre sur Simone de Beauvoir, Irène Frain la cite avec cette expression fabuleuse sur sa rencontre avec Jean-Paul Sartre : « l’éternité dura trois jours ». La dilatation du temps ressentie à l’occasion d’une émotion amoureuse suprême et partagée, constitue 7
  • 8. un instant magique qui se grave en nous jusqu’à notre dernier souffle. Ainsi comprenons-nous mieux, pourquoi l’opéra se conclut par les paroles énigmatiques des deux amoureux : « rayonnant amour, mort riante ». L’amour le plus fou devient lui aussi périssable, ce que démontrera Siegfried au début du Crépuscule quand il quittera Brünnhilde pour courir l’aventure. Cette femme rebelle qui, animée de sentiments passionnels d’une force inouïe, transgresse allègrement les règles masculines, connaîtra ainsi une évolution vers un idéal anticonformiste et avant- gardiste. En osant prendre en main sa condition féminine, elle devient une féministe moderne qui désire disposer de son corps, comme elle l’entend, et qui combat les clichés masculins dominateurs et patriarcaux du passé. Nous découvrons ici une autre face du Wagner révolutionnaire quarante-huitard. Pour Wagner, Brünnhilde devient son idéal féminin tout court. Elle transcende toutes les héroïnes d’opéra y inclus les siennes : - Senta quitte la réalité du monde, en s’adonnant à ses fantasmes psychotiques et morbides. - Elisabeth idéalise l’amour physique et charnel de Vénus en amour mystique. - Elsa se laisse dévorer intérieurement par les doutes sur la provenance et le passé de son chevalier blanc issu de la lumière, et détruit en fait son bonheur par une sorte de jalousie maladive. - Isolde désire se fondre dans le néant avec Tristan, mort avant elle. - Or Brünnhilde, à l’encontre de ses consoeurs, transforme sa passion très terrestre pour Siegfried en vengeance cataclysmique, puis en mission salvatrice du monde, en se jetant dans les flammes 8
  • 9. purificatrices du bûcher qui consume son bien-aimé, mort avant elle également. La mort d’Isolde résulte de la négation de la volonté, inspirée par la pensée philosophique de Schopenhauer, alors que la mort de Brünnhilde s’inspire de l’Amour absolu suscité par la Compassion, elle aussi schopenhauérienne. Nous voilà dans le monde des idées de Parsifal que Jürgen Flimm planta sur la scène finale du Crépuscule en 2000. Brünnhilde possède tous les attributs d’une entière souveraineté, du fait qu’elle sait s’élever au-dessus de sa condition de femme soumise, et se dépasser elle-même, en créant l’état d’exception par la transgression de la loi de Wotan. La maladie de la volonté et l’état maniaco-dépressif de Wotan font qu’il ne se sent pas le courage de transgresser les règles et obligations contractuelles qu’il a instaurées, lui-même, ainsi que nous l’avons vu lors de l’étude du psychogramme de Wotan. Wagner confirme cette souveraineté de Brünnhilde, en confiant à Cosima, qu’il se sent heureux d’avoir réservé le thème musical de Sieglinde, au sacrifice de Brünnhilde, qui la transfigurera à la fin du Crépuscule, seule occasion à laquelle réapparaîtra ce thème exposé une première fois au début du troisième acte de la Walkyrie, que Wagner qualifie de thème de la rédemption. Wagner écrit : « La femme souffrante qui se sacrifie constitue la véritable rédemptrice initiée. Car l’amour est en réalité l’Eternel-féminin lui-même. » Ce thème ne constitue pas un leitmotiv ou motif conducteur mais s’élève au contraire au-delà de la toile immense et complexe des motifs-conducteurs, comme si Brünnhilde transgressait la Loi Fondamentale de Wotan par ce thème extraordinairement lumineux, développé et souverain, libérant ainsi Wotan de son impuissance à mettre fin lui-même à son existence. 9
  • 10. La fin du Crépuscule représente bien la fin de Wotan et de l’Ancien Monde, mais elle ne signifie pas la naissance d’un monde meilleur. A l’image de la création de l’Ancien Monde à partir de l’eau, le Nouveau Monde surgira également de l’eau du Rhin qui déborde de son lit pour éteindre les flammes du bûcher de Brünnhilde. Brünnhilde, héritière du matriarcat d’Erda, représente à coup sûr la clef de voûte du Monde Nouveau qui se régénérera à partir de l’Eternel-Féminin. Le motif final, qualifié de motif de la Rédemption par l’Amour, représente en fait un immense hymne au monde matriarcal et à l’Eternel-Féminin qui illumine l’apothéose de Brünnhilde, la femme la plus moderne et la plus visionnaire de toute l’histoire de l’opéra. Quatrième grand thème: Le Sommeil dans la Tétalogie Les thèmes que nous avons déjà analysés précédemment, comme l’anxiété, le matriarcat et le patriarcat, la parthénogénèse et l’inceste, constituent des phénomènes qui ne se dévoilent pas en surface, parce qu’ils ne sont pas tellement apparents. Il existe un autre aspect, caché davantage encore, mais qui n’en demeure pas non moins intéressant : le sommeil. On dort en effet tellement dans le Ring, qu’il est important de consacrer un certain nombre de réflexions au sommeil et à ses divers aspects connexes. D’une manière générale, le sommeil se définit comme un état naturel récurrent de perte de conscience du monde extérieur, survenant à des intervalles réguliers. Il se distingue du coma par la préservation des réflexes. Le sommeil favorise largement l’apprentissage récent et la gestion des émotions. Ainsi, une donnée associée à une émotion négative sera mémorisée, sans que pour autant, la connotation négative le soit aussi. Il s’agit donc d’un état maximal de détente et de relaxation, raison pour laquelle il est 10
  • 11. régénérateur, alors que le coma représente une abolition de la conscience, ou la disparition de la capacité d’éveil du sujet. Ce n’est que dans sa forme profonde qu’il empêche toute réaction à des stimuli extérieurs. Nous pouvons ainsi affirmer que dans la Tétralogie les grandes choses se font pendant le sommeil régénérateur, comme par exemple, la construction du Walhall, ou le tissage du devenir et de l’avenir du monde par Erda et ses Nornes. Dès le début de l’Or du Rhin, quand soudain apparaît le Walhall dans toute sa splendeur, Fricka réveille Wotan. Wotan s’était donc permis de dormir tout au long de sa construction, ce qui devait représenter un somme étendu sur plusieurs années au moins ! Au troisième acte de Siegfried, Erda se plaint que Wotan la tire de son sommeil empreint de sagesse et elle explique que « son sommeil est songe, et ses songes de la méditation »: A partir de la perte momentanée de la conscience que constitue le sommeil, nous pouvons établir un lien avec l’inconscient, qui désigne l’activité psychique se déroulant hors de la sphère consciente. L’inconscient constitue un ensemble d’idées, de perceptions et d’émotions qui influent sur notre conduite, sans pour autant remonter vers la conscience. L’inconscient est donc le siège de pulsions, de désirs et de souvenirs refoulés ou censurés, qui ne connaissent pas les règles, ni de la logique, ni de la temporalité. L’inconscient est inné, et ne contient pas d’acquis, comme la respiration par exemple, alors que le subconscient contient des automatismes acquis, par exemple, la crainte du feu, du fait de s’être déjà brûlé. 11
  • 12. L’inconscient représente en quelque sorte la partie immergée de l’iceberg de la conscience. Le refoulé remonte dans la conscience sous forme de rêves. L’hypnose représente un état modifié de la conscience, différente du sommeil, car les sujets hypnotisés sont éveillés et conservent une attention très focalisée sur des aspects qui leur sont suggérés, afin de faire surgir chez eux une susceptibilité accrue vis-à-vis de ceux-ci, faisant ainsi apparaître chez le sujet des idées et des réponses qui ne lui sont pas familières dans son état d’esprit habituel. La vision sur le monde peut ainsi être modifiée. L’hypnose permet de trouver un accès aisé à l’esprit inconscient du sujet, et de s’occuper directement des forces inconscientes et sous-jacentes aux perturbations, tant internes, c’est-à-dire se rapportant à la personnalité, qu’externes surgissant entre le sujet et son environnement. La technique d’induction hypnotique la plus simple, consiste à adopter une attitude très concise et directive vis-à-vis du sujet, du genre : « Dormez, je le veux ! ». C’est la technique utilisée par Wotan à l’encontre de Brünnhilde, quand il la met dans une disposition telle, qu’elle accepte de s’endormir bientôt: « je vais t’enfermer dans un sommeil profond. » L’hypnose possède un pouvoir thérapeutique important, en ce sens qu’elle permet de traiter les perturbations de la personnalité, et surtout les perturbations psychiques entre le sujet et son environnement. Une telle hypnose thérapeutique peut être qualifiée d’hypnose positive. Nous devons cependant également considérer qu’un sujet, mis en état de somnambulisme hypnotique, permet aussi d’atteindre des résultats inverses, consistant à faire accomplir à celui-ci des actes de manière inconsciente, qui peuvent s’avérer graves et violents, 12
  • 13. pouvant mener jusqu’à l’homicide. Ces applications néfastes de l’hypnose peuvent être désignées par le terme d’hypnose négative. Un des troubles du sommeil, qui nous intéresse le plus pour notre propos, est la paralysie du sommeil, qui se caractérise par le fait que le sujet, tout juste réveillé, se trouve dans l’incapacité d’effectuer un mouvement volontaire quelconque, tout en étant conscient. Ce phénomène clinique peut s’accompagner d’hallucinations auditives ou visuelles, et d’impressions de suffocation, ce qui provoque des sentiments d’anxiété, de frayeur, voire de panique, phénomènes regroupés sous le terme de terreurs nocturnes. Le caractère étrange et déconcertant de ces manifestations, a été de tout temps à l’origine de nombreuses superstitions et de thèmes mythologiques. A l’encontre des mauvais rêves ou cauchemars, qui sont suffisamment effrayants pour réveiller le dormeur, et qui sont tout à fait normaux, les sujets, sous l’emprise d’hallucinations, sont convaincus de la réalité de ces phénomènes.- En tant que fervent lecteur des contes des frères Grimm, les pendants de ceux de Hans Andersen et de Charles Perrault, Wagner connaissait le conte de la Belle au Bois dormant, qui, vouée à la mort par un sortilège que lui jeta la fée maléfique, qui n’avait pas été invitée au baptême de la petite princesse, ne mourut cependant pas quand elle se piqua le doigt à un fuseau le jour de ses quinze ans. Une autre fée bienveillante avait réussi à en dévier la portée mortelle, de sorte qu’elle fut enfouie dans un sommeil d’une durée de cent ans, jusqu’à ce qu’un prince charmant vienne la délivrer de son sommeil par un baiser d’amour. L’histoire de Siegfried réveillant Brünnhilde, endormie sur son rocher entouré de flammes, avec un baiser est tricotée du même matériau que celui de la Belle au Bois dormant. Dans les deux cas, ou contes, nous sommes en présence d’un sommeil salutaire d’après l’expression populaire que « la nuit porte 13
  • 14. conseil », en ce sens que le sommeil régénérateur déclenche la gestation des grandes choses, et représente une sorte de panacée pour le développement harmonieux du psychisme d’un sujet qui quitte l’inconscient de l’adolescence pour accéder à l’âge adulte des responsabilités. Forts de tous ces enseignements, nous sommes à présent en mesure d’aborder les divers épisodes de sommeil tout au long de la Tétralogie. - Dès le début de l’Or du Rhin, Flosshilde, la Fille du Rhin la plus intelligente des trois ondines, admoneste ses deux compagnes à mieux faire attention à l’or qui dort au fond du fleuve : « Vous surveillez mal le sommeil de l’or, soyez vigilantes à l’or qui dort, sinon vous regretterez vos petits jeux. » Signalons au passage que l’expression de l’or qui dort désigne la matière inerte, à l’état d’atomes. - Nous avons déjà assisté au „grand réveil“ de Wotan, au moment où la construction de son château-fort Walhall est achevée. Mais Wagner insiste sur cette somnolence du chef suprême des Dieux. Fricka doit carrément le secouer : « Assez de rêves trompeurs, réveille-toi, et examine la situation » Cela n’est pas tellement reluisant pour un Dieu suprême de se faire tancer de la sorte par son épouse. Le Dieu de l’Ancien Testament avait au moins eu le bon goût de ne se reposer qu’après avoir procédé à la Création du monde, au septième jour… - Et ça continue: Quand Wotan, à peine tiré de son sommeil par Fricka, essaye d’échapper au paiement de la construction, qui consiste à placer Freia, la déesse de la jeunesse, ni plus, ni moins, en tant qu’esclave auprès des deux géants, Fasolt, un des deux géants et ouvriers- constructeurs de Walhall, se fâche et a le culot de reprocher 14
  • 15. à Wotan «qu’un doux sommeil fermait tes yeux, tandis que nous passions des nuits blanches à construire le château-fort : » - Erda s’extrait de son profond sommeil, avant de surgir des profondeurs de la Terre, pour avertir Wotan que la fin des Dieux est proche. Le sommeil d’Erda dans l’Or du Rhin est de nature hypnotique. Wotan, après avoir entendu sa prophétie qu’il ne goûte évidemment pas, aimerait en savoir plus. Erda refuse et se laisse de nouveau gagner par son sommeil, en utilisant la technique de l’auto- hypnose, qui représente un procédé simple d’autosuggestion aidant le passage au sommeil, comme compter les moutons, ou répéter inlassablement, « je me relaxe, je me relaxe… » - Au moment de se mettre à la tête de la procession des dieux, afin de prendre possession du Walhall, Wotan, dans un sombre élan, étonnamment prémonitoire, lâche ces mots mystérieux, empreints de résignation tragique : »La forteresse ne se construisit pas dans la joie, mais dans la peine et l’angoisse, du matin au soir. Voilà que tombe la nuit : que la forteresse fasse rempart contre la malveillance ! » A peine réveillé d’un long sommeil, certes régénérateur, Wotan se sent déjà gagné par la fatigue, sorte de paralysie du sommeil. Malgré son état conscient, il se sent incapable de bouger, tenaillé par l’anxiété et la frayeur. Wotan s’interroge sur la Nuit éternelle dans laquelle il sombrera bientôt, et sur sa face obscure de Janus qui le terrasse, parce qu’elle représente son autre Soi qui n’est autre qu’ Alberich. Conscient de son impuissance, Wotan se sent déjà traqué et entrevoit sa fin dès le début. L’Or du Rhin contient ainsi cinq évocations du sommeil, si nous interprétons la terreur de Wotan devant la nuit tombante, comme une sorte de paralysie du sommeil. 15
  • 16. - Dans la Walkyrie, Hunding, l’époux légitime de Sieglinde, vaincu par le puissant narcotique, dort d’un sommeil de plomb, pendant que Siegmnd et Sieglnde sont vaincus par leur amour. Le sommeil narcotique est provoqué par une substance chimique qui conduit à un état de torpeur (narkè en grec), proche du sommeil qui engourdit la sensibilité. Il ne s’agit pas d’un sommeil naturel et normal, mais d’un état provoqué,dont le sujet se remet rapidement, dès que l’effet du stupéfiant se sera estompé, ce qui explique la hâte du couple incestueux à vouloir déguerpir des lieux le plus rapidement que possible. - Siegmund avoue à sa sœur qu’il l’a déjà entrevue en songe : »Un rêve d’amour me revient. Dans mes désirs les plus ardents, je t’ai déjà aperçue.» L’inconscient des désirs et des souvenirs, refoulés durant toutes ses années d’errance, remonte à la surface et s’exprime sous la forme consciente du rêve. - Dans le fameux dialogue avec sa fille Brünnhilde, Wotan condamne Alberich, son négatif, en le qualifiant de fils de la Nuit : »le Nibelung inquiet que la nuit engendra, Alberich maudit l’amour ! » Dans la mythologie grecque, le dieu du Sommeil s’appelle Hypnos, qui est fils de la Nuit, et qui possède le pouvoir exorbitant d’endormir non seulement les hommes mais également les dieux. Wagner, qui était fin connaisseur des mythologies antiques, fait appeller Alberich, fils de la Nuit par Wotan. Cela signifie que Alberich, tout comme Hypnos, apparaît en tant phénomène majeur du monde, qui ne disparaît pas au moment de la fin des Dieux au Crépuscule, ce qui constitue une bonne raison pour laquelle Alberich demeure le seul survivant à la fin. Le dictionnaire des symboles explique que « entrer dans la nuit, c’est entrer dans le domaine de l’indéterminé, où se 16
  • 17. mêlent les cauchemars et les monstres. La nuit représente l’image de l’inconscient qui se libère durant le sommeil nocturne. La nuit présente deux aspects différents : celui des Ténèbres où fermente le devenir de la vie, et celui de la préparation du jour, d’où jaillira la lumière de la vie. Churchill a dit : »It is never so dark than just before morning grey.” - Au deuxième acte, Sieglinde, exténuée, se trouve manifestement dans un état comateux léger, proche d’un sommeil normal, quand Brünnhilde annonce bruyamment à Siegmund qu’il sera vaincu et tué par Hunding au cours du duel qui l‘attend. Sieglinde fait des expériences oniriques similaires à celles de Siegmund. Les réminiscences des évènements dramatiques vécus durant son enfance, quand les hordes sauvages qui ont pillé la demeure commune et tué sa mère, et fortement refoulées depuis, lui remontent de son inconscient vers sa conscience sous la forme d’un cauchemar, tout empreint d’angoisse. - Le troisième acte enfin, sera consacré à la plus grande dormeuse du Ring: Brünnhilde. Wotan s’occupe à la préparer à un long sommeil : »je vais t’enfermer dans un sommeil sans défense. » lui annonce-t-il. Il est obsédé par ce phénomène d’un sommeil sans défense, parce qu’il ne doit pas durer éternellement, comme dans le cas de la Belle au Bois dormant. Il a donc le sentiment d’agir comme la fée bienveillante, qui convertit le sortilège de la mort jeté sur la princesse en sommeil devant durer pendant cent ans. Wotan, comme la bonne fée, est un adepte de la magie blanche et non de la magie noire, jeteuse de mauvais sorts. Il se répétera un peu plus loin, dans les mêmes termes obsédants: »je te plongerai dans un sommeil profond », ce qui fait que Brünnhilde implore son père, qu’il lui accorde la protection d’un cercle de feu. Or elle démarre son propos par une description du sommeil dans lequel Wotan désire 17
  • 18. l’enfermer: »qu’un sommeil me ligotant de ses chaînes, ne me livre pas à l’homme le plus lâche qui soit ! » Un sommeil sans défense et profond, qui possède la qualité d‘enchaîner le sujet, équivaut à un sommeil de hypnose régénérateur, càd une hypnose positive, pendant laquelle Brünnhilde va se purifier petit-à-petit de ses attributs de déesse, et apprendre lentement sa condition d’humaine mortelle, afin d’être prête pour Siegfried, quand il la réveillera. Sinon, il apparaîtrait incompréhensible, conmment Brünnhilde, après s’être réveillée au monde, réussirait le tour de force de s’adapter si rapidement à sa nouvelle condition, s’il n’y avait pas eu cette lente évolution psychique, tout au long de son sommeil qui a dû durer une vingtaine d’années, le temps que Siegfried devienne adulte… La Walkyrie contient cinq évocations du sommeil. - Dans Siegfried, la deuxième journée de la Tétralogie, Fafner, le dragon dort le sommeil du paresseux. Il ne s’intéresse nullement à ce qui se passe dans le monde. Or beaucoup de choses se sont passées, depuis qu’il a tué son frère Fasolt, afin de se rendre seul maître du Trésor du Nibelung et de son Anneau. Il n’a que bâillements désabusés pour les avertissements de Wotan et d’Alberich l’exhortant à la vigilance à l’encontre de Siegfried: « je suis couché, et je possède, laissez-moi dormir » ! D’aucuns ont interprété ce passage en tant que caricature du comportement du spéculateur en Bourse paresseux et stérile…Soit ! Mais il y a plus important : Richard Wagner avait, comme tous les intellectuels du 19e siècle, une profonde connaissance de la Bible, surtout de l’Ancien Testament. Citons dans ce contexte le psaume 127 qui traite des paresseux en ces termes : « l’Eternel donne du pain à ses bien-aimés pendant leur sommeil » La formule allemande, traduction libre et poétique « Seinen Freunden gibt Gott es im Schlafe » est souvent utilisée pour désigner une personne qui a 18
  • 19. beaucoup de talent et beaucoup de chance. La locution possède également une signification psychanalytique, en ce sens que le subconscient ne dort jamais et veille toujours, comme Fafner qui garde son Trésor. Pour cela, il n’a pas besoin de se maintenir en état de veille. Son subconscient lui dicte ce qu’il a à faire en cas de danger, comme il le démontre quand Wotan et Alberich le réveillent. Pour le reste, Fafner représente un paresseux pathologique empli de manque d’envie de faire quoi que ce soit, et pour lequel agir représente un effort gigantesque. Il est conscient de son état et se sent coupable de ne pas accomplir ce qu’il s’était promis de faire. Cette mauvaise conscience fait que le sommeil du paresseux ne peut être régénérateur. Dans ses moments de lucidité, il tente même d’expliquer son état. Car Siegfried se montre étonné de la sagesse de Fafner après qu’il l’eût blessé à mort. Ses regrets de la fin confirment le diagnostic des pathologues modernes. Fafner finit en beauté, c’est à dire en sagesse : « Celui qui t’a poussé aveuglément à l’action, complote à présent ta mort…Vois comment tout s’achève et souviens-toi de moi ! » - On peut affirmer que l’Oiseau de la forêt que Siegfried interpelle et qu’il comprend, après avoir porté ses doigts brûlant du sang du dragon qu’il vient de tuer, a, lui aussi été tiré d’un sommeil séculaire régénérateur, comparable à celui de la Belle au Bois dormant, car si Siegfried a acquis la capacité de comprendre les oiseaux, l’Oiseau de la Forêt s’est rendu capable, lui aussi, de comprendre le langage des hommes au cours d’un long processus d’hypnose positive. La fin du deuxième acte est éloquent à ce sujet, quand s’installe un véritable dialogue entre l’Oiseau et Siegfried qui l’interroge: « Serai-je capable de franchir le mur de feu », ce à quoi l’Oiseau répond: « seul celui qui ne connaît pas la peur » Siegfried : « cher petit oiseau, ce serait donc moi, car je ne connais pas la peur ! » Convenez avec nous, que la prouesse de l’Oiseau est proprement renversante. 19
  • 20. - Nous avons vu précédemment qu’Erda est de nouveau réveillée par Wotan, ce qui l’agace parce qu’elle tisse le destin du monde au cours de ses rêves qui représentent des méditations, qui font que son sommeil devienne maîtrise du savoir. L’avenir du Monde se construirait-il donc dans l’inconscient des songes ? Non, car la destinée future du monde demeure impénétrable. N’est connu que ce qui est intervenu dans le passé, ou ce qui se passe présentement. La finitude de notre entendement vis-à-vis du devenir des choses, nous fait sans cesse ressasser, décortiquer, disséquer ou détricoter le passé, afin d’en tirer un enseignement sur l’avenir…Erda échouera dans sa mission de faire tisser l’avenir par les Nornes, ses filles, selon ses directives. Les dieux païens ne sont pas omniscients, ce qui explique leur incapacité de prédire l’avenir. Wotan se retrouve donc à la même enseigne qu’Erda : ses consultations de voyance auprès d’Erda démontrent qu’il a un manque cruel en matière de connaissance de l’avenir, qu’Erda ne sait malheureusement pas combler, n’en sachant pas plus que lui. Afin de cacher son ignorance, elle se laisse aller à des déclarations sur des généralités du genre : »toute chose a une fin », constat déjà fait dans l’Or du Rhin, et qui est partagé par tout le monde. Elle n’a donc pas évolué spirituellement et n’a plus qu’une seule ambition : dormir le someil éternel. Wotan s’étant enfin rendu compte qu’Erda, par son ignorance de l’avenir, ne lui est plus d’aucune utilité n’a que du mépris pour sa mère, et lui enjoint de s’enfoncer désormais dans un sommeil éternel : « Tu n’es pas ce que tu crois être, lui souffle-t-il…dors à présent, contemple ma fin dans tes rêves, et sombre dans un sommeil éternel ! » Le sommeil dans lequel le Voyageur-Vagabond Wotan plonge Erda représente en fait un coma profond dont elle ne sortira plus. Si dans 20
  • 21. l’Or du Rhin, Erda s’est encore auto-hypnotisée pour rejoindre les entrailles de la Terre, faisant ainsi un joli pied-de-nez à Wotan, celui- ci, ne lui accordera plus la faculté de devenir active pour s’abîmer de ses propres forces dans son dernier sommeil. Wotan prend ainsi l’initiative de couper le cordon ombilical avec la génitrice de l’Ancien Monde, scellant ainsi sa propre perte. Mais depuis l’étude du thème sur le matriarcat et le patriarcat, nous savons que Erda a accompli une mission beaucoup plus importante que celle qui consistait à tricoter la destinée du monde, en transmettant tous ses attributs matriarcaux à Brünnhilde, sa fille et héritière. Elle parvient ainsi à faire un deuxième pied-de-nez à Wotan, qui, en envoyant Erda à son sommeil éternel croyait s’être définitivement débarrassé des derniers vestiges du matriarcat de l’Ancien Monde. Cela ne lui aura pas réussi. Dorénavant ce sera Brünnhilde qui mènera la danse, en mettant fin au monde patriarcal de Wotan, et en rétablissant un nouveau règne matriarcal dans un Nouveau Monde. Siegfried, la deuxième journée contient ainsi trois évocations du sommeil. - Dans le Prologue du Crépuscule, Erda s’étant enfoncé dans le Néant, les Nornes, ses filles, ne tissant la destinée des dieux et des hommes, que sur les instructions de leur mère, n’ont plus de raison d’être et disparaissent dans les profondeurs de la Terre afin de la rejoindre à leur tour dans un coma collectif : »le savoir éternel touche à sa fin. Les sages n’ont plus rien à annoncer au monde… descendons rejoindre notre mère ! » - Quand Waltraute rend visite à Brünnhilde, afin de la convaincre de lui remettre l’Anneau, elle la questionne : »dors-tu, ou veilles-tu ? ». Cette question est assez significative en ce sens qu’elle montre que la renommée de la grande dormeuse qu’est Brünnhilde est fortement établie dans l’Ancien Monde. 21
  • 22. - Elle lui raconte qu’elle est venue trouver sa sœur, suite à des paroles que Wotan, figé dans sa prostration dépressive, que nous avons étudiée dans le psychogramme consacré à Wotan, a prononcées sous l’emprise de ses rêves. « Si Brünnhilde se décidait à rendre l’Anneau aux Filles du Rhin, Dieu et le Monde seraient sauvés ! » Nous revoilà dans le domaine onirique. Devenu apathique par l’accablement dû à ses fautes, l’inconscient refoulé de Wotan remonte à la surface de sa conscience. S’écroulant sous le poids de sa culpabilité des crimes qu’il a commis contre la Nature, la certitude que la neutralisation de l’Anneau dans les Eaux du Rhin le laverait de la malédiction, constitue ainsi son dernier rêve puissant et sans altération aucune. - L’apparition en songe d’Alberich dans le sommeil de son fils Hagen, constitue une des scènes les plus lugubres de la Tétralogie. Alberich, le Prince de la Nuit prend une emprise hypnotique sur son fils. Il lui susurre qu’il doit sauver l’honneur des Mauvais par l’assassinat de Siegfried, le pur héros, petit-fils et dernière chance de Wotan dans le possible retournement des choses en sa faveur. Avec son insistant appel au meurtre sur la personne de Siegfried, Alberich pratique l’hypnose négative sur Hagen qui deviendra l’assassin du héros : »ma malédiction s’avère inefficace contre le héros sans peur…sa perte seule nous convient à présent ! M’entends-tu, Hagen, mon fils ? » - En mourant, Siegfried interpelle une dernière fois Brünnhilde, la dormeuse : »qui donc t’as de nouveau enfermée dans le sommeil ? » - Gutrune fait de mauvais rêves, avant que le cortège funèbre lui amène le catafalque avec le cadavre de Siegfried. Il s’agit d’un rêve prémonitoire, censé représenter un évènement extérieur futur, dont le rêveur n’avait pas conscience au moment de s’endormir. 22
  • 23. Plutarque raconte que Calpurnia, la femme de César rêva de la conjuration de Brutus et de Cassius contre César, et de l’assassinat en plein sénat de celui-ci. - La dernière pensée que Brünnhilde consacre à Wotan, consiste à lui souhaiter un sommeil éternel : »Dors à présent, oh Dieu ! » Wotan entrera ainsi dans le sommeil éternel, les yeux grands ouverts sur le cataclysme entraînant son monde dans sa chute, délivré de son impuissance, et enfin conscient de sa Faute première et de la Vérité dernière.- Nous avons ainsi relevé pas moins de sept évocations du sommeil dans le seul Crépuscule, soit vingt au total durant toute la Tétralogie. Le sommeil, occupation qui occupe environ un tiers de notre existence, ne pouvait échapper à l’esprit perspicace de Richard Wagner. En le transcendant, et en le décrivant sous ses aspects les plus multiples, il exploite ainsi un des phénomènes humains les plus mystérieux dans la communication d’un certain nombre de messages, destinés à une connaissance plus profonde de sa cosmogonie. Wagner a clairement pressenti le vaste domaine de la psychanalyse, encore inconnue à son époque, et qui sera exploré scientifiquement par Siegmund Freud une vingtaine d’années après la mort de Wagner. Réflexions autour de la fin du Crépuscule et conclusions L’épilogue à notre analyse de la Tétralogie, doit nécessairement être consacré à la fin que Richard Wagner a voulu donner à son œuvre gigantesque. Nous essayerons brièvement de donner un certain nombre d’éléments de réponse. Dans sa fameuse lettre du 25 janvier 1854 à August Röckel, que nous avons citée si souvent parce qu’elle contient de véritables trésors 23
  • 24. d’explications et de commentaires sur la Tétralogie et ses personnages, Wagner écrit ceci : »Wotan représente la somme de l’intelligence des temps présents. Par conséquent, c’est NOUS qu’il incarne. Siegfried, par contre, représente l’homme de l’avenir, dont nous désirons la venue, mais qui ne peut s’accomplir par notre intervention. Il doit se créer lui-même en nous anéantissant ». Voilà qui est clair, en ce qui concerne l’esprit de démission qui habite Wotan depuis l’Or du Rhin, et qui va croissant jusqu’à la plus complète passivité dans la prostration dépressive de la fin que nous raconte Waltraute dans le Crépuscule. Mais, avant d’en arriver là, il aura entrepris toutes les actions possibles et impossibles pour sauver son pouvoir, pour finalement devenir de plud en plus inactif, au fur et à mesure que les échecs de ses interventions dans le monde s’accumulent. Par contre, la malédiction fulminée par Alberich contre l’Anneau, semble lui réussir personnellement, parce qu’il ne disparaît pas dans le cataclysme final. Il ne restera certainement pas les mains croisées dans le Nouveau Monde, qui aura succédé à l’Ancien, mais au moins ne restera-t-il, une nouvelle fois pas seul, en ce sens qu’il y aura un nouveau bipolarisme entre le Mal et le Bien, celui-ci étant représenté par un nouveau règne du matriarcat qu’aura inauguré Brünnhilde par son sacrifice. Alberich n’aura pas pris en compte le profond humanisme de Brünnhilde, ni Wotan non plus d’ailleurs… Wagner, en tant qu’admirateur de la Grèce antique, a-t-il voulu nous suggérer une évolution cyclique de l’Histoire, chère aux Grecs. Nous pouvons le supposer, sans pour autant en avoir la certitude. A l’origine, Wagner avait imaginé une fin révolutionnaire, ensuite un point d’orgue paisible, voire nihiliste. Mais il se décida enfin pour une fin cataclysmique comportant la disparition de l’Ancien Monde dans un incendie de fin des temps, plus efficace d’un pont de vue théâtral et dramatique, il faut en convenir. 24
  • 25. Mais c’est précisément dans cette version finale de la fin du Monde, que le fait, de ne plus trouver mention d’Alberich, nous dérange et nous déroute tellement ! Nous disposons cependant d’une piste capable de nous éclairer sur le dilemme de cette fin du Crépuscule. Dans son autobiographie « Ma Vie », Richard Wagner relate la forte impression que lui a faite le livre, la « Mythologie germanique » de Jacob Grimm. Ce livre parle de la fin du monde et de sa destruction par le feu, le Ragna-Rök à peu près dans ces termes : »L’incendie universel …n’aura pas pour effet de tout détruire à jamais, mais d’introduire un Ordre Nouveau et meilleur dans le monde. » Wagner a certainement dû lire ce passage, sans, malheureusement pour nous, l’avoir jamais commenté en rapport avec la fin du Crépuscule. Nous pouvons en conclure, ainsi que nous l’avons exposé dans notre thème sur le matriarcat et le patriarcat, que cet ordre nouveau, dont parle Grimm, pourrait bien être le début d’un nouveau règne du matriarcat instauré par Brünnhilde, mais, cependant entaché dès le départ par le péché originel du Mal, personnifié par Alberich, qui fait donc aussi partie de ce nouvel ordre d’après Wagner. Ce serait donc à se stade que nous trouverions la raison pour laquelle le thème si sublime, dit de la rédemption par l’amour explose dans une véritable apothéose musicale à la fin du Crépuscule. Vous disposez à présent, également de l’explication, pourquoi nous avons, tout au long de ces introductions, parlé du thème, dit de la rédemption et de l’amour, terme consacré par la musicologie, mais qui pourrait tout aussi bien s’appeler le thème du triomphe du matriarcat. Jean-Paul Bettendorff 25