Un fonds d’archives en deux et
trois dimensions
Les dessins et modèles déposés au
Conseil de prud’hommes de la Seine
(1844-1979)
Une composante de la propriété
industrielle
• Composante de la propriété industrielle, avec les brevets qui protègent
des inventions ou des innovations techniques, et les marques permettant
de distinguer visuellement un produit, les dessins et modèles sont
destinés à protéger l’apparence des objets industriels : lignes, contours,
couleurs, forme, texture, matériaux utilisés, etc. Ils se présentent en deux
dimensions (dessins, photographies) ou en trois dimensions
(échantillons, modèles réduits ou en grandeur nature).
• Instaurée par la loi du 18 mars 1806, la procédure de dépôt des dessins et
modèles auprès des conseils de prud’hommes permet à tout créateur de
produit industriel ou artisanal de prouver ses droits et, le cas échéant,
d’engager une action en contrefaçon. Le premier conseil est créé à Lyon la
même année pour protéger la production des soyeux lyonnais.
• Profondément modifiée par la loi du 14 juillet 1909, cette compétence
des conseils de prud’hommes a été transférée à l’Institut National de la
Propriété Industrielle (INPI) par la loi du 18 janvier 1979.
Les dessins et modèles à Paris
• Une ordonnance de 1825 donne compétence aux tribunaux de
commerce ou aux tribunaux de première instance pour recevoir les
marques et dessins et modèles en l’absence de conseil de prud’hommes.
Le Tribunal de commerce de Paris exerce cette compétence jusqu’en 1844,
mais les archives en résultant n’ont pas été conservées.
• À Paris, quatre conseils de prud’hommes spécialisés sont créés en 1844
et 1847 pour différentes branches industrielles : métaux, tissus, produits
chimiques, industries diverses. En 1908, tous les conseils fusionnent au
sein du conseil de prud’hommes du département de la Seine, organisé en
cinq sections spécialisées : tissus, métaux et industries diverses, produits
chimiques, bâtiment, commerce (différends entre patrons et employés de
toutes les professions).
• Les premiers dépôts sont effectués en 1845. Les collections des Archives
de Paris commencent dès cette époque et s’arrêtent en 1979. Malgré
d’importantes lacunes, ce sont plusieurs centaines de milliers de dessins
et modèles qui sont parvenus jusqu’à nous, occupant plus d’1,5 kilomètre
linéaire de rayonnages. Les dépôts étaient décrits dans plusieurs séries de
registres (procès-verbaux, déclarations ou certificats de dépôts,
enregistrement, répertoires alphabétiques des déposants, etc.) qui
peuvent aujourd’hui servir de clés d’accès au fonds.
Un conservatoire de la création
industrielle
• Véritable conservatoire de la création industrielle parisienne des
XIXe et XXe siècle, ce fonds fait la part belle aux arts décoratifs et à
l’industrie du luxe, particulièrement bien représentés à Paris.
• Il comprend également une variété infinie d’objets du quotidien,
outils et machines, de tous usages, de toutes natures et de toutes
qualités.
• Ce grand bazar de l’innovation constitue ainsi un corpus de sources
d’une richesse inégalée sur l’histoire de la culture matérielle à
l’âge industriel.
• Les dépôts se répartissent entre les quatre des cinq sections
spécialisées établies en 1908 : tissus, métaux, industries diverses,
produits chimiques, bâtiment.
Greffe puis section des Tissus
• Les dépôts du greffe (jusqu’en 1908) puis de la section des tissus
incluent de nombreuses créations en nature ou en reproduction de
modèles de vêtements, d’accessoires et de textiles vestimentaires.
Les plus grands noms de la haute couture, tels Jeanne Lanvin,
Madeleine Vionnet, Jean Patou ou Christian Dior, côtoient de plus
modestes artisans : modistes, chausseurs, fabricants de corsets,
de tournures ou de châles, etc.
• Les textiles d’ameublement ou de décor sont également présents,
comme les très belles impressions sur coton des maisons Steinbach,
Koechlin et Cie, ou Wilhelm, Frey et Cie.
• À partir des années 1930, les dépôts de haute couture se
raréfient, en raison d’une jurisprudence qui reconnaît de plus en
plus le droit d’auteur des couturiers créateurs. Un arrêt de la Cour
de cassation du 8 décembre 1934 en faveur des maisons Vionnet et
Chanel consacre cette possibilité de cumuler les propriétés
industrielle et intellectuelle.
Coussin de senteur orné d’une photographie de toréador imprimée sur
étoffe, déposé par le photographe Adolphe Disdéri le 17 mars 1866
Modèle de corset, déposé en nature et en photographies par Auguste Soustre
le 15 mai 1900
Greffes puis section des métaux et
industries diverses
• Les conseils des métaux et des industries diverses fusionnent en
1890 au sein d’un seul conseil, devenu section en 1908.
• Cette section était dépositaire de productions très variées :
l’orfèvrerie et la joaillerie, illustrées par des maisons comme
Christofle ou Cartier, mais aussi l’automobile, l’aéronautique, les
appareils mécaniques, électriques, photographiques,
radiophoniques, cinématographiques, médicaux, etc.
• Jusqu’en 1890, date de la création du conseil du bâtiment, les
artisans du bois peuvent également y déposer leurs créations, tels
les dessins de marqueterie de la maison Volkert déposés en 1850.
Greffe puis section des produits
chimiques
• Comme son nom ne l’indique pas, la section des produits chimiques
couvre aussi des domaines très divers, tels que la céramique, le
verre, le conditionnement des produits alimentaires, les jouets,
l’impression et la publicité.
• Là encore, les objets de luxe, comme les cristaux de Baccarat et de
Saint-Louis ou les flacons de parfum Guerlain, voisinent avec des
produits de grande consommation : bouteilles de verre blanc,
vaisselle de céramique commune, carrelages, boîtes et emballages
de carton, jouets, jeux de société, etc.
Greffe puis section du bâtiment
• Le conseil du bâtiment est créé en 1890. Il devient une section du
conseil de prud’hommes de la seine en 1908.
• C’est l’une des sections les moins bien couvertes par les
instruments de recherche existants.
• La grande majorité des dépôts est composée de modèles de
meubles déposés par des ébénistes, menuisiers, architectes,
décorateurs, ingénieurs, etc.
• On peut également y trouver toutes sortes de luminaires, appareils
électriques, poêles, chaudières, accessoires et outillages, etc.
Les grandes étapes de l’entrée du
fonds aux Archives de Paris
• Les premiers versements ont lieu en 1939-1940 et concernent les
sections des métaux, produits chimiques et tissus, pour la période 1917-
1934 principalement.
• Les doubles de la section des tissus sont transmis à la photothèque du
musée des Arts décoratifs.
• Le reste du fonds est versé au début des années 1990, à la faveur du
regain d’intérêt pour l’histoire et les archives relatives au monde du travail
et à l’industrie. L’impulsion de Brigitte Lainé, conservatrice en charge des
archives judiciaires, fortement encouragée par Jean-Marie Jenn, directeur
des Archives de Paris a été déterminante.
• Des lacunes importantes sont alors constatées tant dans les dessins et
modèles proprement dits que dans les registres qui servent de clés
d’accès. Le fonds de l’INPI est également incomplet.
État des collections
Périodes Modalités de dépôt Tribunal de commerce
(Archives de Paris)
-
1825-1858
Conseil des prud’hommes
de la Seine (Archives de
Paris)
-
1844-1979
ONPI/INPI
-
1901-1979
1825-1858 1, 3, 5 ans et perpétuité Tout est détruit / /
1845-1910 1, 3, 5 ans et perpétuité
/ dépôts publiés
transmis à l’ONPI à
partir de 1910
/ Ne sont conservés que les
dépôts à perpétuité (hors
dépôts transmis à
l’ONPI/INPI à partir de 1910)
Tout est détruit sauf les
modèles publiés à partir du
20/01/1910
1910-1917 5 ans au secret / dépôts
au secret prorogés et
dépôts publiés transmis
à l’ONPI
/ Tout est détruit (hors
modèles publiés transmis à
l’ONPI/INPI à partir de 1910)
Tout est détruit sauf les
modèles publiés à partir du
20/01/1910
1917-1930 5 ans au secret / dépôts
au secret prorogés et
dépôts publiés transmis
à l’ONPI/INPI
/ Tout est conservé (hors
modèles publiés transmis à
l’ONPI/INPI à partir de 1910)
Tout est détruit sauf les
modèles publiés
1930-1979 5 ans au secret / dépôts
au secret prorogés et
dépôts publiés transmis
à l’ONPI/INPI
/ Tout est conservé (hors
dépôts transmis à
l’ONPI/INPI)
Tout est conservé (sous réserve
pour les années 1930-1940)
Un « monstre » archivistique ?
• Depuis les premiers versements, ce fonds a posé et continue de poser
une infinité de questions d’ordre juridique, archivistique, matériel et
culturel. S’agit-t-il vraiment d’archives ? Ne faudrait-il pas plutôt les
conserver dans un musée ? Comment les conserver dans un dépôt
d’archives conçu pour le stockage de documents en deux dimensions ?
Peut-on renoncer à les prendre en charge ? Comment les classer et les
décrire ? Comment les communiquer, les diffuser, les valoriser ? Toutes
ces questions ont un malheureux point commun : la doctrine, la
culture et la pratique archivistiques françaises, très centrées sur les
documents textuels sur papier, n’y apportent que des réponses
insuffisantes, incomplètes ou inadaptées.
• C’est donc nécessairement de façon empirique et évolutive que les
Archives de Paris ont tenté d’appréhender ce fonds tout à la fois
passionnant, rebutant et extrêmement attachant.
Premières réponses
• Il ne fait aucun doute que ces matériaux répondent pleinement à la
définition des archives du code du patrimoine, au même titre que les
maquettes d’architecture, les enregistrements sonores des assemblées
des collectivités, les photographies des services techniques, etc.
• Les musées sont certainement encore moins bien armés que les services
d’archives pour conserver une collection d’un tel volume.
• Quoiqu’il en soit, la grande valeur patrimoniale de ce fonds justifie sa
conservation définitive . À Paris, ce sont les Archives qui l’ont pris en
charge. Dont acte !
• Grâce à l’engagement sans faille de Brigitte Lainé, il a été sauvé et en
grande partie traité et mis en valeur. Depuis 2015, il représente une des
toutes premières priorités scientifiques et culturelles du service.
• Malgré des difficultés nombreuses et de tous ordres, nous tentons de
nous donner les moyens de le conserver, de le rendre accessible et de le
valoriser dans les meilleures conditions possibles, avec persévérance et
humilité !
• Je profite de l’occasion pour féliciter et remercier la petite équipe des
dessins et modèles (moins de 2 ETP), aujourd'hui représentée par Jean-
Charles Virmaux et Marie-Pierre Lambelin.
Quelles solutions en matière de
conservation préventive ?
• L’état initial du fonds était déplorable, mais les boîtes scellées ont
relativement bien protégé leurs contenus.
• Le fonds a été déménagé plusieurs fois. Il a subi des inondations et
des infestations de moisissures à la fin .
• Dans les années 1990, un travail considérable a été mis en œuvre
pour conditionner une grande partie du greffe des tissus :
photographies, dessins, notices et échantillons placés dans des
pochettes en polyester rangées dans des classeurs de conservation.
Parallèlement, une campagne de mise à plat et de restauration de
nettoyage des photographies a été entreprise en interne.
• En 2016, un protocole de traitement matériel a été élaboré. Des
choix ont été té faits en matière de conditionnement et de
rangement matériel.
Vers un traitement normalisé
• Jusqu’aux années 2010, le fonds a été traité selon des méthodes qui
ont beaucoup varié dans le temps : fichiers manuels et manuscrits,
répertoires numériques détaillés couvrant des parties de fonds,
documents bureautiques ne facilitant pas les recherches. Le ir finalisés
sont en ligne.
• Une grande partie du fonds était dans un vrac complet. Les
déménagements successifs avaient accentué le désordre constaté dans
les caves du Conseil de prud’hommes.
• A partir de 2016, une grille unique de description des dépôts a été
mise en place, afin d’homogénéiser les métadonnées et de les
importer dans notre système d’information (THOT).
• Un récolement du vrac a été réalisé par une prestation externalisée
(23162 dépôts ont été récolés, soit 590 ml, 24 mois de sept. 2018 à
sept. 2020). Le principe était de ne pas ouvrir les boîtes et de se limiter
au relevé des mentions qui y figuraient. C’était la seule façon
d’acquérir rapidement une connaissance synthétique du fonds, afin de
programmer des chantiers de traitement et de description
d’ensembles cohérents (en cours : inventaire exhaustif des dem
antérieurs à 1870).
Grille de description unifiée
INTITULE
Cote
Numéro de dépôt
Vérification
Tranche
Date du dépôt
Nom / Raison sociale
Nom / Raison sociale normalisés
Profession
Adresse
Lieu
Voie parisienne 1
Voie parisienne 2
N°
Rue hors Paris
Pays
Cachet
Titre (et description)
Description complémentaire
Nb d’ex. (anciennement type de représentation)
Nom et adresse du Photographe-Dessinateur
État de conservation
Durée de conservation
Nature de dépôt
En nature
Matériau
Préconisations de traitement
Dessin
Matériau
Préconisations de traitement
Photographie
Matériau
Préconisations de traitement
Légende
Nb de légendes individualisées
Reproduction
Références biblio.
Intérêt pour la prochaine campagne photo
Ligne principale ou détail
Greffe
Crédits
Image début
Image fin
Droits de diffusion
Images Parisienne
Numérisation et diffusion
• Des campagnes photographiques sélectives ont débuté dans les
années 1990, notamment pour le catalogue de l’exposition Objets.
Dessins et modèles de fabrique déposés à Paris. 1860-1910 (Archives
de Paris, 1993). Les ektachromes provenant de ces campagnes ont été
numérisés en 2019.
• Un programme de numérisation systématique d’ensembles cohérents
du greffe des tissus a démarré en 2017 (maisons Paquin, Vionnet et
Callot sœurs). Les dem libres de droit sont privilégiés.
• Des opérations de mécénat ont permis de numériser d’autres séries
prestigieuses : Christian Dior (2017), Jean Patou (2019).
• Toutes les images issues de ces différentes campagnes de
numérisation vont être mises en ligne très prochainement. Les
images non libres de droits seront consultables sur les postes de la
salle de lecture (Christian Dior, notamment).
• Base de test : http://t73.arkotheque.rec.apps.paris.mdp/s/19/dessins-et-
modeles/
Valorisation
• En 1993, sous l’impulsion de Brigitte Lainé, l’exposition Objets. Dessins et
modèles de fabrique déposés à Paris. 1860-1910 a permis de mettre en
valeur la partie la plus ancienne du fonds.
• Depuis, des prêts sont consentis très régulièrement pour des expositions
telles que Jeanne Lanvin au Palais Galliera en 2015, Splendeurs et misères.
Images de la prostitution. 1850-1910 au Musée d’Orsay en 2015, Mode &
Femmes 14/18, à la Bibliothèque Forney en 2017, etc.
• Certaines publications puisent leurs sources et leurs illustrations dans le
fonds : Une histoire des parfumeurs. France, 1850-1910, par Rosine
Lheureux, 2016 ; La Maison Worth, 1858-1954. Naissance de la Haute-
Couture, 1858-1954, ouvrage collectif, 2017.
• Un cycle de conférences organisé aux Archives de Paris en 2016 en
partenariat avec le Comité d’histoire de la Ville de Paris a encore été
l’occasion de mettre en valeur le fonds : Les arts du superflu : un luxe
indispensable ? Paris, les arts décoratifs et la mode.
• Le fonds est encore représenté dans la 3e collection nationale des Micro-
folies et voisine avec des documents des Archives nationales et des
Archives municipales d’Angers.