Les rencontres mensuelles de la Chaire E.Leclerc et ESCP Europe dédiées à l’avenir du commerce dans la société 4.0 sont un lieu de débat et de réflexion approfondie entre les professionnels et les étudiants sur le commerce et la distribution du futur et sur l’impact des nouvelles technologies sur le secteur.
Le sixième Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 a eu lieu le 3 mai autour du thème : "Droit et régulation de l'ubérisation".
Maître Philippe Portier, avocat Associé du Cabinet Jeantet, est revenu sur les différents types de modèles "d’ubérisation" et d’économie collaborative, leurs logiques économiques sous-jacentes, les nouvelles concurrences et problématiques juridiques ainsi que sur les nouvelles règles associées.
Droit et régulation de "l'ubérisation" - Maître portier (Jeantet Associés)
1. PARIS
CASABLANCA
LUXEMBOURG
GENÈVE
KIEV
BUDAPEST
MOSCOU
PETIT DEJEUNER DU COMMERCE 4.0 – 4 MAI 2017
CHAIRE E. LECLERC / ESCP EUROPE
DROIT ET RÉGULATION DE
L’"UBÉRISATION"
Philippe Portier, Avocat associé – Jeantet AARPI
Président de l'Association des avocats lobbyistes & coanimateur du
blog DigitLegal
2. ECONOMIE COLLABORATIVE : DEUX MODÈLES DISTINCTS
04/05/2 0 1 7 n° 2
1. "PRO"
Modèle professionnel =
économie ubérisée
2. "POP"
Modèle non professionnel
= économie de partage
3. ECONOMIE COLLABORATIVE (DE PARTAGE) VS ÉCONOMIE “UBERISÉE”
04/05/2 0 1 7 n° 3
Un point commun qui génère des confusions : le recours à des
“plateformes numériques” et aux objets connectés : une mise en
relations désintermédiée
Mais deux logiques distinctes :
Collaboratif : logique non professionnelle ou marchande et non
lucrative : on amortit un bien non professionnel (appartement,
voiture, canapé, livre) en le louant ou en le partageant, contre une
participation aux frais (BlablaCar, You2You, AirbnB) : covoiturage,
coavionnage, autopartage (promu par le Ministère de l’écologie),
Couchsurfing, crowdfunding...
Professionnel (Uberisation) : l’émergence de nouveaux
« particuliers-professionnels », indépendants et non salariés,
échappant aux règles et usages traditionnels de leurs secteurs
(transport, hébergement, location...), voire aux monopoles
(UberPop)
4. NOTRE EXPÉRIENCE
04/05/2 0 1 7 n° 4
1. Modèle professionnel = économie numérisée
Emergence de professionnels d’un nouveau genre
concurrençant les modèles traditionnels
grâce à la combinaison d’outils technologiques,
communs à l’économie collaborative (les
plateformes, les outils numériques et les objets
connectés) et de l’auto-entreprenariat
nouveau modèle d’entreprise horizontalisée,
dématérialisée, idéalement sans salariés ni
bureaux, capable de concurrencer les acteurs
traditionnels via la mobilisation (par les
technologies numériques) d’un grand nombre de
prestataires, sans en assumer la charge
flux financiers : prestataire rémunéré en tant
qu’auto-entrepreneur (et non pas en tant que
salarié)
exemples :
uber
deliveroo
stuart
2. Modèle non professionnel = économie de partage
Mutualisation des biens, des espaces et des outils,
l’organisation des citoyens en « réseau » ou en
communauté et l’intermédiation des plateformes internet.
Particuliers se rendant service au sens non marchand du
terme.
Cette économie collaborative inclut :
La consommation collaborative (couchsurfing,
covoiturage)
Les modes de vie collaboratifs (coworking, colocation,
habitat collectif)
La finance collaborative (crowfunding désintéressé)
Ce modèle s’inscrit dans une dynamique non
professionnelle, non concurrentielle et
fondamentalement non lucrative, qui l’inscrit dans le
périmètre non marchand de « l’économie domestique ».
Flux financiers : don (approche volontaire) ou
amortissement de frais (covoiturage). Rémunération des
services de la plateforme de mise en relation de
particuliers mutualisant leurs biens, leurs savoirs, leur
temps
Exemples :
Airbnb
Blablacar
You2you
Heetch…
5. 04/05/2 0 1 7 n° 5
TROIS SUJETS JURIDIQUES À ENJEUX STRATÉGIQUES
Social : comment le droit du travail peut-il
appréhender l’organisation « horizontale » de
l’économie de plateforme ?
Fiscal : comment les finances publiques
peuvent-elles appréhender les flux financiers
générés par l’économie de partage ?
Réglementaire : faut-il plus réglementer ou
« rendre nos réglementations plus
dynamiques et accueillantes, en offrant un
droit à l’expérimentation de nouveaux
modèles d’affaires » (conseil d’analyse
économique, oct. 2015)
critères traditionnels de distinction contrat de
travail/prestation de services (subordination, liberté
de refus, absence d’exclusivité) ou
évoluer vers la notion de dépendance économique
(exemple californien)
rester dans le flou ou
créer une zone de liberté (p. ex. le seuil de 5.000
euros proposé par le Sénat, utilisé en Belgique)
assouplir pour favoriser l’économie collaborative (p.
ex. distinguer “économie collaborative”
et “économie uberisée”) ou
durcir pour protéger les acteurs traditionnels ou
assouplir pour tous les acteurs
6. 04/05/2 0 1 7 n° 6
PROBLÉMATIQUES JURIDIQUES
MODELE PROFESSIONNEL MODELE NON
PROFESSIONNEL
Droit du travail Salariat déguisé :
Collaborateurs souvent placés dans une situation
de précarité, très forte dépendance économique à
l'égard des plateformes pour lesquelles ils travaillent ;
Collaborateurs ne sont ainsi souvent pas en mesure
de négocier le prix de leurs prestations et ne peuvent
pas davantage librement décider des conditions dans
lesquelles ils entendent exercer leur travail. Aucun
des avantages censés être attachés à la qualité de
collaborateur indépendant ;
Aucun avantage accordé aux salariés (convention
collective, salaire minimum, temps de travail...).
Rémunérations souvent bien inférieures au smic, et
seuls environ 10 % d'entre eux parviennent à dégager
une rémunération supérieure au smic après trois ans
d'activité en tant qu'auto entrepreneur.
Pas de salariés.
Utilisateurs sont des
particuliers.
7. 04/05/2 0 1 7 n° 7
PROBLÉMATIQUES JURIDIQUES
MODELE PROFESIONNEL MODELE NON PROFESSIONEL
Droit fiscal Imposition classique des collaborateurs
(p. ex. en tant qu’auto-entrepreneurs )
Imposition des particuliers qui perçoivent
des revenus collaboratifs ;
Exonération pour les frais liés aux activités
de « co-consommation » rémunérées par le
partage des frais
Concurrence Ensemble des procédés concurrentiels
contraires à la loi ou aux usages,
constitutifs d'une faute intentionnelle ou
non et de nature à causer un préjudice
aux concurrents.
UberPop, concurrent des transporteurs
publics de personnes légitimes, a été
condamnée au pénal (pratiques
commerciales trompeuses, complicité
d’exercice illégal de la profession de taxi,
traitement de données informatiques
illégal...).
Ensemble des procédés concurrentiels
contraires à la loi ou aux usages, constitutifs
d'une faute intentionnelle ou non et de nature
à causer un préjudice aux concurrents.
Cour de cassation : n’est pas constitutive
de concurrence déloyale la pratique de
covoiturage effectuée « à titre bénévole qui
se limite à indemniser le conducteur des frais
d'essence du trajet et de ceux induits par
l'utilisation du véhicule »
le caractère non lucratif de l’activité
disqualifie sa dimension professionnelle, ce
qui l’exclut du champ concurrentiel
8. L’EXEMPLE DU COVOITURAGE DE PERSONNES
04/05/2 0 1 7 n° 8
Le code des transports assujettit tous les transporteurs de personnes au statut des transporteurs
publics (taxis ou vtc) : rien n’exclut le covoiturage
2013, la cour de cassation considère que le covoiturage effectué « qui se limite à indemniser le
conducteur des frais » n’est pas constitutive de concurrence déloyale
Pour la DGCCRF (2014) : le covoiturage est légal s’il est pratiqué dans un but non lucratif (partage
des coûts)
Août 2015 : la loi de transition énergétique légalise le covoiturage de personnes à deux
conditions:
activité non professionnelle : le conducteur doit réaliser un trajet qu’il aurait réalisé seul
activité non lucrative : “à titre non onéreux, excepté le partage des frais”
la plateforme de mise en relation du conducteur et des passagers peut en revanche être
effectuée à titre onéreux et n'entre pas dans le champ des professions réglementées du
transport (commissionnaire ou courtier)
Septembre 2015 :
Blablacar lève 200m$ pour asseoir sa croissance internationale dans près de 20 pays
le début des manœuvres judiciaires : Uberpop interdit (≠covoiturage)
2016 : loi Grandguillaume
2017 :
heetch (version "pop"), interdit (≠covoiturage)
les VTC attaquent Uber…
9. EXEMPLE : L’AVENIR DU COVOITURAGE DE COLIS
04/05/2 0 1 7 n° 9
Définition standard (you2you, drivoo, etc.) : transport de petits colis non
réglementés sur des distances a priori courtes (le « dernier kilomètre »), lors d’un
« trajet propre », rémunéré par des sommes ne dépassant pas le coût annuel du
véhicule
Situation juridique actuelle : le vide juridique de Blablacar d’avant 2013/2015
Perspectives :
négatives : émergence d’une concurrence de fait vis-à-vis des transporteurs
publics (pas de concurrence pour blablacar à part la sncf et, depuis la loi macron,
les transports en car)
positives :
la réglementation des transporteurs publics légers (<3.5 tonnes) est une
particularité française
les finalités vertueuses de la loi de 2015 relatives au covoiturage de personnes
(préoccupations énergétiques et écologiques) justifient l’évolution vers une
covoiturage de colis à but non lucratif légalisé
les coûts de livraison sur le dernier kilomètre freinent le développement du
commerce (400 millions de colis non distribués selon la fevad) au détriment
probable du marché de la livraison de l’amont.