1. Le trimestriel du
Projets internationaux asbl
Le SCIlophone
N° 61
Décembre 2013
Belgique - België
P.P.
1050 Bruxelles
1//17111
P006706
?
Et si on créait des
Ed. Resp : Luc Henris
|
Rue Van Elewyck 35, 1050 BXL
|
Bureau de dépot : 1050 Bruxelles 5
Alternatives positives
ENJEUX INTERNATIONAUX
TÉMOIGNAGES
● Les sans-papiers afghans
se mobilisent
● Nos volontaires de retour du Togo,
du Sénégal, du Pérou et des USA
LE SCI EN ACTION
REGARDS DU SUD
● Des volontaires et des sanspapiers au musée de l’Holocauste
● Bénin: une gestion de l’eau genrée
Une autre façon de lire le monde
2. Sommaire
3
CONTES DE NOËL
Édito
4
Édito
Regard du Sud
● Contes de Noël
O
● Bénin, une avancée dans le secteur de l’eau
6
Enjeux internationaux
8
Le SCI en action
9
Dossier
12
● Un Afghan sans statut
● Des rencontres qui questionnent
● Alternatives positives. Un autre monde est possible.
Témoignages
● Co-coordination mixte d’une rencontre pédagogique
● Kwenda-Vutuka : Aller-Revenir
● Gringas perdues dans une réserve naturelle au Pérou
● Des livres et des loups
● Organisation de Jeunesse
par la Fédération Wallonie-Bruxelles
SCI - Projets internationaux
● Bruxelles: Rue Van Elewyck 35,
1050 Bruxelles. Tél: 02 649 07 38
● Liège: Rue du Beau-Mur 50,
4030 Liège. Tél: 04 223 39 80
Compte Triodos: BE09 5230 8029 4857
www.scibelgium.be
2 | Le SCIlophone - n°61
Mais, dans la foulée, on vous promettait de changer de registre pour
2013, de passer du pessimisme noir
à l’optimisme éclatant. « Promis »,
disions-nous il y a un an, « 2013, ce
sera l’année de l’optimisme et de
l’enthousiasme, et ça apparaîtra
dans les colonnes du SCIlophone ».
Promesse tenue ! Nous avons le plaisir d’inaugurer dans ce numéro 61
une nouvelle rubrique : Alternatives
positives. On vous parlera régulièrement, avec votre contribution active
espérons-le, d’initiatives citoyennes
et positives allant à contre-sens du
modèle dominant nos sociétés et
s’inscrivant dans un véritable changement social.
Il est sans doute judicieux de rappeler ici ce que le SCI met derrière ces
mots. Les types d’alternatives que le
SCI veut explorer, promouvoir s’inscrivent dans ces thématiques essentielles :
Le SCIlophone est le trimestriel du SCIProjets internationaux asbl, reconnu
comme:
● ONG d’éducation au développement
par la Direction générale de la coopération
au développement (DGD)
n vous l’avait promis il y a
juste un an ; on tient notre
promesse ! Faisant le bilan
de l’année 2012 et énonçant les éléments de l’actif et du passif, on ne
pouvait que faire état d’un déficit global important en matière d’égalités
sociales, de solidarité, de respect
de l’environnement, de cohabitation
pacifique des individus et de collectivité.
Ils ont participé à ce numéro
Thiana Maureen Bongongu, Alba Cuesta Ortigosa, Sara De Oliveira, Thibaut
De Ryck, Charlotte du Plessix, Florence Gangbé, Anaële Hermans, Mélanie
Joseph, Maud Peyretou.
Le SCIlophone est avant tout le magazine des volontaires du SCI. Vous désirez
partager une réflexion concernant l’éducation au développement, les relations
interculturelles,... ou encore témoigner de votre expérience sur un de nos
chantiers ? Nos colonnes vont sont ouvertes ! Faites-nous parvenir vos propositions de thèmes et vos articles via manu@scibelgium.be
Coordination de publication: Manu Toussaint / Mise en page: Romain Charlier / Comité
de rédaction: Nancy Darding, Marjorie Kupper, Anaële Hermans, Marie Marlaire, Manu
Toussaint, Pascal Duterme, Julie Chevolet, Romain Charlier / Illustrations originales:
Jean-François Vallée.
● la transition écologique : l’urgence
d’envisager d’autres manières de
consommer, de produire, d’organiser la vie citoyenne et ses rapports à
l’environnement;
● la mixité culturelle et sociale : la
nécessité absolue de favoriser la
rencontre, d’organiser la vie collective de manière à promouvoir une cohabitation harmonieuse des groupes
sociaux divers;
Révolution écologique, société ouverte et tolérante, décision politique revendiquée et portée par le
citoyen : les plus pessimistes auront
beau jeu de souligner qu’on en est
loin et que ces derniers mois n’ont
guère apporté de signes positifs
dans ces directions.
La dernière conférence climatique,
à Varsovie a donné des résultats si
pauvres que la société civile a fini par
se retirer du jeu avant le terme de la
conférence. En dépit des coups de colère du climat qui se multiplient, aux
Philippines ou ailleurs.
Société ouverte et tolérante : parlons-en à ces centaines d’Afghans
qui risquent d’être impitoyablement
renvoyés dans leur pays si paisible
mais fortement déconseillé aux visiteurs européens.
Le pouvoir au citoyen ? Attendons de
voir à quelle sauce indigeste va être
mangé le citoyen lors du prochain
sommet européen et « transatlantique », une nouvelle réplique de ces
réunions regroupant quelques élites
« éclairées » au cours desquelles se
décident de manière pour le moins
opaque les politiques d’austérité et,
pire, au terme desquelles, de plus en
plus, les autorités politiques cèdent
leur pouvoir de décision à quelques
grands acteurs financiers n’ayant
pourtant aucune légitimité démocratique.
Mais, excusez-nous, on vous avait
promis de l’optimisme non ?
Bien sûr, si nous regardons d’un certain côté de la lorgnette ou du côté
de la pointe de la pyramide, là où
semble se détenir le pouvoir, il n’y a
pas de quoi grimper au ciel.
Mais de l’autre côté de la lorgnette, là
où les gens vivent au quotidien, loin
des grands centres de décision, il y a
un tas d’initiatives, de projets de solidarité, de comportements collectifs
soucieux de l’avenir de la planète, et
cela se multiplie, au Nord comme au
Sud.
Ce sont ces initiatives concrètes que
nous voulons décrire dans notre nouvelle rubrique. Et au-delà, à travers
nos diverses activités, les expérimenter et les promouvoir.
Car nous ne pouvons plus attendre
que les décisions viennent d’en-haut
pour espérer voir changer le monde.
Nous voulons croire, avec optimisme
et volontarisme, que si le monde doit
changer, c’est par les citoyens que ce
changement adviendra.
N’hésitez pas à nous faire partager
toute initiative d’alternative qui va
dans le sens des valeurs pour lesquelles nous combattons. Ce sera
avec enthousiasme que nous les partagerons dans nos colonnes.
Nous vous souhaitons à toutes et à
tous des joyeuses fêtes de fin d’année et une année 2014 pleine d’optimisme et de joyeuses alternatives.
Pascal Duterme,
coordinateur du SCI
● l’organisation politique, sociale
et économique basée sur la justice
sociale et la répartition équitable
des richesses et des ressources :
l’obligation de remettre le citoyen au
coeur de l’action politique.
Le SCIlophone - n°61 | 3
3. Regard du Sud
Regard du Sud
Bénin : une avancée dans le secteur de l’eau
L’eau, cette richesse essentielle à la vie, est nécessaire à toute activité humaine. Elle constitue un atout éconosociales, en l’occurrence les femmes rurales, reste un défi à relever dans beaucoup de pays. Et pourtant le rôle
Que ce soit en tant que leaders d’alternatives innovantes ou participantes à des projets, elles ne cessent de
L
a dimension du genre est particulièrement pertinente dans le secteur « eau et assainissementi», où
les femmes et les jeunes filles effectuent
la majorité des tâches liées à l’exhaure
(le fait de puiser de l’eau), au transport,
au stockage et à l’usage de l’eau, ainsi
qu’à l’entretien des ouvrages d’assainissement et à l’éducation à l’hygiène.
Elles consacrent plusieurs heures par jour
à cette fonction sociale et familiale. Il
est donc nécessaire qu’elles soient suffisamment associées aux décisions et à la
gestion des ouvrages.
Par exemple, il n’est pas rare d’entendre
des femmes dire qu’elles préfèrent
parcourir une plus longue distance pour
s’approvisionner en eau parce que la
source d’eau la plus proche est implantée non loin d’un cimetière. Certaines
s’abstiennent d’aller chercher de l’eau
dans le puits situé dans la cour du chef de
village car elles ne peuvent pas y papoter
4 | Le SCIlophone - n°61
entre elles. Dans ce contexte, le Bénin,
conscient que les problèmes liés à l’eau
sont préjudiciables à son développement
économique et social, a mis en place
(avec le soutien financier des Pays-Bas)
un Programme Pluriannuel d’appui au
secteur de l’Eau et de l’Assainissement
(PPEA), qui comprend l’appui au processus de Gestion Intégrée des Ressources en
Eau (GIRE), en y appliquant le genre.
Pour éviter les conflits sociaux (par
exemple, si les femmes ne se sentent
pas associées, elles pourraient rejeter
le projet a priori) et la non-utilisation
d’ouvrages réalisés à grand frais, l’aspect
genre est pris en compte dans la démarche de construction des ouvrages au
niveau communautaire. Des réunions sont
organisées avec les différentes catégories
d’usagers et avec les femmes en particulier afin de tenir compte de leurs besoins
et contraintes spécifiques, et de les informer sur le mode de gestion et le planning
des bornes fontaines. Une visite de terrain est organisée après les réunions, en
compagnie des femmes, pour identifier
le site où seront implantées les nouvelles
bornes fontaines. Ensuite suivra une rencontre sectorielle regroupant toutes les
personnes-ressources pour faire la restitution de l’étude de faisabilité technique
et du choix du site d’implantation. Ce
n’est qu’après cette restitution que les
choix seront considérés comme définitifs.
Grâce à l’installation de bornes fontaines, les longues distances à parcourir
par les femmes pour s’approvisionner
en eau sont réduites, ce qui leur permet
d’utiliser le temps gagné pour vaquer à
d’autres occupations, comme participer
à des réunions, des formations et des actions de sensibilisation des groupements
de femmes, mener des activités génératrices de revenus, ou être membres des
comités de gestion d’eau.
mique majeur pour un développement durable. Cependant, l’accès équitable à l’eau pour certaines catégories
des femmes au sein de la famille, des communautés et du développement d’un pays n’est plus à démontrer.
démontrer leur force, leur bon sens et leur courage dès qu’il s’agit de lutter contre l’injustice ou la pauvreté.
Quant à la gestion des bornes fontaines,
elle est confiée aux personnes vulnérables dont les femmes et les personnes
handicapées. Grâce à des mesures
incitatives (des quotas, des formations
et des actions de sensibilisation), les
jeunes et les femmes sont encouragés à
occuper des postes à responsabilité dans
les associations des usagers et à y jouer
pleinement leur rôle.
Néanmoins, il est à noter que l’implication des femmes dans cette démarche de
construction des ouvrages ne signifie pas
automatiquement que les questions de
genre sont résolues. En effet, travailler
dans une perspective de genre implique
d’aborder la question des inégalités
entre les hommes et les femmes, de les
reconnaître et de chercher à les réduire.
C’est pourquoi les hommes ne sont pas
écartés de ce processus. Ils sont associés
en amont par des sensibilisations et/ou
des plaidoyers et sont tous unanimes sur
la participation des femmes et leur présence dans les bureaux exécutifs.
Pour une gestion économe de l’eau,
celle-ci est rendue payante aux bornes
fontaines. Cependant, la question du
prix et de la tarification économique
et sociale de l’eau sont soigneusement
étudiées : qui dans une famille finance
l’eau ? Quelle est la part du mari et celle
de la femme ? Y a-t-il risque de transfert
de charges en défaveur des femmes ?
Ainsi, le prix de l’eau diffère d’un village
à un autre.
Toutes ces questions ont permis d’anticiper les impacts sociaux qu’une simple
décision peut avoir sur les familles, les
communautés et même le pays. Par
exemple, des équipements très faciles
d’utilisation pourraient encourager les
femmes à confier la corvée de l’eau à
leurs filles et entrainer leur déscolarisation. Or ce n’est pas le but recherché.
Donc le genre est également pris en
compte dans les termes de référence des
appels d’offre et les cahiers des charges
des ingénieurs.
La prise en compte du genre dans le
secteur eau et assainissement a permis
non seulement de faciliter l’accès à l’eau
aux populations mais aussi et surtout de
réduire la charge de travail des femmes
et des enfants relative au transport de
l’eau ; de renforcer, dans la mesure du
possible, la participation des femmes aux
activités du secteur et de les encourager
à y jouer un rôle important. Au regard de
tout ceci, ne peut-on pas affirmer, sans
hésitation, que le genre est une condition
de développement durable ?
Florence Gangbé,
stagiaire au Monde selon les femmes,
point focal de la cellule Genre,
Ministère de l’énergie et de l’eau, Bénin
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4. Enjeux internationaux
Enjeux internationaux
Un Afghan sans statut
Moheb a 22 ans. Il a quitté
l’Afghanistan alors qu’il avait
17 ans. Après trois ans et huit
mois en Belgique, il a reçu une
réponse négative à sa demande
d’asile. Il a donc rejoint le mouvement des 450 Afghans sans
statut. Pour nous, il revient sur la
naissance du mouvement et son
évolution… les économies dans
la récession et les populations
dans la précarité.
Depuis quelques mois, vous occupez
des bâtiments vides et vous faites
des actions d’interpellations dans la
rue. Pourquoi ?
L
’occupation a commencé parce
que beaucoup d’Afghans qui ont
demandé l’asile en Belgique ont
reçu des réponses négatives récemment.
Or, l’Afghanistan est un pays dangereux
et nous ne pouvons pas y retourner. La
plupart d’entre nous vivons ici depuis
longtemps. Et maintenant, on nous refuse
le droit de rester. Nous avons donc décidé
de nous rassembler pour avoir plus de
chances d’être entendus.
Comment l’occupation a-t-elle commencé ?
On parlait de nos problèmes entre nous
depuis quelque temps. Et on s’échangeait
nos numéros de téléphone pour rester
en contact. Puis, en juillet, j’ai reçu un
coup de téléphone et on m’a dit de venir
dans l’église du Béguinage, à Bruxelles.
J’y suis allé. On était très nombreux.
On est restés là cinq jours, et on a fait
une série d’actions dans la rue. Ensuite,
on est retournés chez nous, mais on a
décidé de revenir deux mois plus tard.
Au début du mois de septembre, on s’est
donc retrouvés à Bruxelles pour faire
d’autres actions. Nous étions décidés
à ne pas arrêter l’occupation tant que
nous ne serions pas entendus. Cela fait
maintenant presque trois mois que nous
sommes là, même si nous avons changé
de bâtiment plusieurs fois.
6 | Le SCIlophone - n°61
Nous avons fait beaucoup de manifestations. Pendant l’une d’elles, j’ai été
arrêté, avec beaucoup d’autres Afghans.
On m’a amené dans un centre fermé, et
j’y suis resté pendant trois semaines.
Finalement, on m’a libéré. Mais un ami
à moi a été déporté en Afghanistan à ce
moment-là. Ils lui ont donné quelque
chose à boire, une sorte de médicament.
Ensuite, il s’est senti mal, et il s’est
endormi. Il a téléphoné de Delhi pour
dire qu’il avait été déporté. C’était une
très mauvaise nouvelle. J’étais soulagé
d’avoir été libéré, mais aussi effrayé pour
lui.
Quand on fait les actions, on sait que c’est
un risque, qu’ils peuvent nous arrêter à
tout moment. Mais il faut qu’on essaye
quelque chose. On ne peut rien faire sans
papiers. Je n’ai pas de maison ici, je ne
peux plus travailler, ni aller à l’école. J’ai
plein d’amis à Courtrai, mais c’est devenu
difficile de les voir. Je n’avais donc plus
le choix… Aujourd’hui, je commence à
être fatigué. Cela fait presque trois mois
qu’on est là. Il fait de plus en plus froid.
Et c’est parfois fatigant d’être avec 450
personnes tout le temps.
Est-ce que le nombre de personnes
présentes dans l’occupation a changé
au fil des semaines ?
Non, tout le monde est resté. Même si
certaines familles vont parfois chez elles
ou chez des amis pendant un jour ou
deux, pour que les enfants se reposent un
peu. Ensuite, ils reviennent parmi nous.
Quel est ton sentiment par rapport
à la population belge ? Ressens-tu
plutôt de l’indifférence ou du soutien ?
Il y a de tout… Certaines personnes nous
aident. Les gens du comité de soutien,
par exemple, viennent nous voir tous
les jours à l’église. Il y en a même qui
dorment avec nous dans le froid. Ils
prennent soin de nous, comme si on était
leurs enfants. Ça nous touche beaucoup
qu’ils fassent autant. Et puis, d’autres
personnes nous insultent, ou nous disent
qu’on doit rentrer chez nous…
Que voudrais-tu dire aux Belges ?
Qu’ils peuvent nous aider… Notre situation est vraiment difficile. A 22 ans, je ne
peux plus travailler, plus aller à l’école.
J’ai l’impression que je n’ai plus d’avenir. J’aurais aimé être ingénieur, et je
pense que j’aurais pu y arriver… Mais
maintenant, il est déjà trop tard.
Comment est-ce que les Belges
peuvent vous aider ?
Ils peuvent venir à nos actions, manifester avec nous dans la rue, écrire aux politiques. Ils peuvent aussi venir à l’église,
nous rencontrer. Tout cela, c’est déjà
énorme. Quand les gens viennent nous
parler, ça nous change les idées, ça nous
remonte le moral, et ça nous fait voir les
choses différemment. Mais vraiment, le
plus important, selon moi, c’est qu’ils
viennent aux manifestations, pour que
les politiques voient qu’on a beaucoup de
soutien de la population belge.
ont voulu me mettre en sécurité, alors ils
m’ont fait sortir du pays, par la Russie.
Je suis ensuite allé en Ukraine, et là,
on m’a arrêté et on m’a mis en prison
pendant 6 mois. Lorsque j’ai été libéré,
j’ai passé la frontière avec la Hongrie, et
j’ai encore fait 15 jours de prison là-bas.
Ensuite, je suis passé par l’Autriche, la
Suisse, où j’ai encore été emprisonné
quelque temps, puis la France. Enfin, je
suis arrivé en Belgique et j’ai introduit
une demande d’asile
A mon arrivée ici, j’étais encore mineur,
mais ma procédure a duré très longtemps.
Trois ans et huit mois, pendant lesquels
j’attendais, j’attendais... J’étais à
Courtrai, alors j’ai appris le néerlandais.
Je me suis inscrit dans une école professionnelle. Et j’ai commencé à travailler
dans un restaurant. J’ai rencontré beaucoup de gens. Maintenant, j’ai des amis
à Courtrai : des Belges, des étrangers,
des gens de partout. On joue au football
ensemble, et je suis aussi dans un club de
taekwondo.
J’attendais donc que ma procédure
avance, et je ne comprenais pas pourquoi
on ne me convoquait pas pour une interview, alors que les gens autour de moi
en avaient. Petit à petit, je suis devenu
très fatigué et las. Je me demandais ce
qu’allait devenir ma vie… J’avais beaucoup d’occupations, mais je ne pouvais
pas être tranquille parce que j’attendais
une réponse du Commissariat et elle ne
venait pas. Je ne savais donc pas si je
pourrais rester en Belgique ou pas. J’ai
fini par demander à mon avocat ce qui
se passait. Il a envoyé plusieurs mails, et
finalement, j’ai eu une interview. Là, la
dame m’a annoncé qu’elle ne retrouvait
pas mon dossier. Elle s’est excusée en
disant qu’il y avait beaucoup de monde,
que le dossier avait peut-être été perdu,
et que c’était sans doute pour cette
raison que je n’avais pas été appelé
pendant longtemps… Alors j’ai fait mon
interview, et après six mois, j’en ai eu
une deuxième.
Durant ces interviews, j’ai parlé de
mes problèmes avec les Talibans dans
ma région d’origine et de mon arrivée
à Kaboul. Finalement, trois mois après
la deuxième interview, j’ai reçu une
réponse négative. Dans la lettre, ils
disaient qu’ils savaient que je venais de
Loman, mais que maintenant, je pouvais
aller vivre à Kaboul. Que si je pouvais
vivre en Belgique seul, je pouvais aussi
vivre à Kaboul… Mais Kaboul, ce n’est pas
la même chose que la Belgique, ce n’est
pas du tout sûr ! Il y a des explosions
régulièrement. Ici, si j’ai un problème,
je peux dormir dans la rue. A Kaboul,
c’est beaucoup trop dangereux…
Aujourd’hui, j’espère beaucoup, parce
que des gens de l’Office des Etrangers
ont dit qu’ils viendraient pour nous
rencontrer demain matin. J’espère qu’ils
nous apportent de bonnes nouvelles…
Propos recueillis par Anaële Hermans,
permanente au SCI
Qu’as-tu pensé de l’action de samedi
dans le musée de l’Holocauste et des
Droits de l’Homme ?
Ce qu’on a appris au musée était très
intéressant. Mais je regrette qu’il n’y ait
pas eu de journalistes pour médiatiser
l’événement, et diffuser ce que l’on
faisait… Par contre, c’était bien de rencontrer les jeunes Belges. Et je pense que
ça a permis de changer le regard qu’ils
portent sur nous. Nous avons pu leur
parler des problèmes qu’on rencontre en
Belgique, des difficultés de la vie sans
papiers, et également des problèmes
qu’on a eus en Afghanistan, avec les Talibans. C’était important qu’ils le sachent.
Le jour où il n’y aura plus de problème en
Afghanistan, j’y retournerai. C’est là que
je veux vivre. Chez moi. Avec ma famille.
Il n’y a pas un seul jour qui passe sans que
je pense à eux… Si je suis venu ici, c’est
parce que je n’avais pas le choix.
Souhaites-tu parler de ton parcours
personnel ?
J’ai quitté l’Afghanistan quand j’avais
17 ans parce que j’avais des problèmes
avec les Talibans. Mon oncle et mon père
Le SCIlophone - n°61 | 7
6. Alternatives positives
Alternatives positives
L’initiative GASAP 2
Habiter en ville n’implique pas
nécessairement de manger des
légumes en boîte et de détourner
le regard lorsqu’on rencontre ses
voisins. La preuve ? Le GASAP !
L
e GASAP (Groupe d’Achat Solidaire
de l’Agriculture Paysanne) est un
concept qui regroupe des citoyens
d’une même commune à la recherche de
produits locaux de saison et de contacts
humains. Le tout en soutenant sur le long
terme un producteur paysan qui travaille
selon des méthodes traditionnelles et
respectueuses de l’environnement. Adieu
les supermarchés, bonjour le circuit court
et la convivialité !
Les GASAP respectent une charte et une
philosophie communes. Mais chaque
GASAP est unique, en fonction des envies
de ses membres. Vous êtes plutôt tenté
par des légumes et du fromage ? Des
fruits et des œufs ? Des produits laitiers
et de la viande ? C’est vous qui modulez
votre propre GASAP. Dès le lancement du
GASAP, le producteur et les consom’acteurs du GASAP rédigent ensemble un
4
contrat d’engagement solidaire d’une
durée d’un an. Ils y spécifient les particularités de leur GASAP. Le producteur peut
ainsi compter sur des revenus stables
qu’il reçoit avant le début de la saison de
production. Ce contrat lie les consom’acteurs et le paysan pour le meilleur et
pour le pire. En cas de mauvaise récolte,
les risques sont partagés car les membres
du GASAP ont déjà acheté une partie de
la production. Si les récoltes sont plus
nombreuses, elles sont distribuées selon
le même principe. Le tout se base sur une
relation de confiance. Une vraie aventure
humaine au service de l’agriculture paysanne.
Notre GASAP « ça gazouille » a vu le jour
il y a un an et demi. Un jeudi sur deux,
trois ménages du GASAP se donnent rendez-vous à la maison de jeunes De Schakel, à Woluwe, pour préparer les paniers
à partir des caisses de fruits et légumes
en vrac apportées par notre agriculteur,
Jérémy. Ce dernier ne manque pas de nous
laisser une petite note avec le contenu
des trois types de paniers qu’il propose
(petit, moyen, grand). Chaque ménage
du GASAP passe alors à sa meilleure
convenance durant la tranche horaire
fixée pour la permanence. C’est l’occasion de se retrouver : rien de tel que de
se poser dans les fauteuils de la maison
de jeunes pour discuter autour d’un
verre. Nous avons également organisé un
repas chez Jérémy afin de découvrir son
potager géant et ses outils de travail non
motorisés : deux ânes ! Après quelques
mois, notre nouveau GASAP affichait déjà
complet. Nous comptons aujourd’hui
une vingtaine de ménages. Lorsqu’un
membre décide de quitter le GASAP, il
convient de lui trouver un remplaçant
afin de garantir le même nombre de
commandes à notre agriculteur.
Jusqu’ici, cela ne nous a pas
posé problème, il semble y avoir
un réel engouement pour ce
mode de consommation.
10 | Le SCIlophone - n°61
R
aina Luff, après avoir enseigné
durant quelques années à l’Université de Butare, se demande si
elle ne devrait pas penser à une manière
différente et nouvelle de pratiquer
l’enseignement au Rwanda : « Les cours
dans les écoles primaires du Rwanda sont
donnés la plupart du temps de manière ex
cathedra, l’enseignant parle et les élèves
assimilent ce qu’il dit ». Elle crée donc
une école1 à pédagogie active, qui se
situe en marge du système traditionnel.
Avec une pédagogie active, ou interactive, « l’enseignant introduit la matière
et ce sont les élèves qui tentent de la
remplir et de trouver des réponses.
Avec ce type d’enseignement, les élèves
de deuxième primaire d’Ahazaza ont
découvert eux-mêmes la règle de la
Nous avons tous des objets utiles
et en bon état que nous n’utilisons
plus… Pourquoi ne pas
en faire profiter d’autres ?
3
Emilie Rao,
volontaire au SCI
conjugaison plurielle avec la terminaison
en « ent ». Une autre classe de primaire,
par ailleurs, a découvert la formule
de calcul pour la surface du carré.
L’intention de cette pédagogie, en plus
d’apprendre aux élèves à mieux et plus
réfléchir, à être curieux et à vouloir faire
des recherches seuls, est de préparer les
citoyens responsables de demain ». D’où
le nom « Ahazaza », qui signifie « futur »
en Kinyarwanda.
Dès la maternelle, les élèves peuvent
intégrer l’école. Les classes sont limitées
à 25 élèves contre 45 à 50 dans les autres
écoles. Les cours sont donnés exclusivement en français et en anglais. Le
Kinyarwanda est proscrit jusqu’au deuxième trimestre de la première primaire.
De cette façon, les enfants maitrisent
L
e système de la donnerie a été
créé pour éviter le gaspillage et
donner une deuxième vie aux
objets. L’idée est simple : il s’agit de
mettre en contact les personnes qui ont
des objets à donner et les personnes qui
recherchent des objets. Généralement,
les dons et les demandes se font par mail.
Une
fois qu’une offre
et une demande se
rencontrent,
le
donneur n’a plus
qu’à accueillir le
demandeur,
qui
vient chercher son
bien.
Comme les membres d’une donnerie se
réunissent sur base géographique, les
distances à parcourir ne sont jamais très
longues. Dans d’autres cas, les donneries
sont physiques. Il s’agit alors de sortes de
brocantes gratuites. Enfin, il existe également des prêteries (pour le prêt d’objet)
et des serviceries (pour les services).
La donnerie est une initiative qui
contribue à sortir de la logique de surconsommation et à tisser les bases d’une
société plus durable et plus conviviale.
Non seulement elle est l’occasion de
faire circuler les objets plutôt que de les
jeter, mais elle permet aussi de faire des
rencontres agréables.
Sur le site du Réseau des Consommateurs
Responsables (http://www.asblrcr.be),
vous pouvez obtenir des informations sur les donneries proches
La donnerie est une
de chez vous, mais également
initiative qui contribue
sur les GAC, SEL, RES, fripeà sortir de la logique
ries, potagers collectifs… Un
de surconsommation et
étrange jargon à découvrir
à tisser les bases d’une
sans modération.
“
Emballé aussi par cette initiative ? Rendez-vous sur www.
gasap.be et inscrivez-vous à un
GASAP dans votre coin. Il n’existe
pas encore ? Créez-le !
Ahazaza, première école laïque
Ahazaza est une école à pédagogie active indépendante,
fondée en 2006 et dirigée par
Raina Luff. Située en pleine
campagne dans la Province du
Sud du Rwanda, à environ une
cinquantaine de kilomètres de
Kigali, Ahazaza est un modèle
d’école complètement innovant
au Rwanda. La preuve, elle est
unique. Suite à un bon timing
et à pas mal de chance, j’ai pu
rencontrer madame Luff, alors
qu’elle était en Belgique pour
chercher des donateurs, afin
d’en apprendre davantage sur
cette école.
La donnerie, consommer autrement
société plus durable et
plus conviviale.
”
et à pédagogie active au Rwanda
bien les deux langues de l’enseignement
du Rwanda. À chaque professeur sa
langue et chaque matière est maitrisée
dans les deux langues. Les professeurs
suivent le même parcours que les autres
professeurs, mais une fois arrivés à Ahazaza, ils reçoivent d’autres formations
pour maitriser la pédagogie active. Pour
ce faire, ils vont en Belgique pour suivre
une formation dans l’école Decroly, à
Bruxelles, réputée pour pratiquer ce type
d’enseignement.
Depuis sa création, Ahazaza vit et grandit
grâce aux dons et aux minervaux payés
par les parents d’élèves qui ont quelques
moyens. Un quart des enfants est scolarisé entièrement gratuitement grâce
à un système de bourse. En effet, pour
couvrir les frais d’une année entière d’un
seul enfant à Ahazaza, il faut compter
240€. Jusqu’à présent Ahazaza a vécu
grâce à des dons, mais l’aide se tarissant,
l’équipe organisatrice a réfléchi à de
nouvelles sources de revenus et a créé un
système d’autofinancement de l’école :
« Une ferme agricole attachée à l’école
permet de nourrir l’école et les agriculteurs travaillant sur ses terres. Cette
ferme est aussi un lieu d’apprentissage
de l’agriculture biologique et organique
pour les enfants et les fermiers. Il y a aussi
une salle polyvalente attachée à l’école,
elle permet d’organiser des conférences,
des projections, etc. L’utilisation de ces
lieux va permettre de générer quelques
revenus. »
Anaële Hermans,
permanente au SCI
Assurer un enseignement de qualité au
Rwanda tout en respectant le programme
officiel, fondé sur l’humanisme, en préservant la mixité sociale, ethnique et
religieuse et malgré la pénurie de professeurs, est ce que cette école s’est donné
pour mission de réaliser.
Les résultats sont très positifs, la qualité
de la formation est reconnue, au point
que le ministre de l’éducation (Mathias
Harebamungu), a autorisé l’ouverture
d’une école secondaire.
Charlotte Jochaud du Plessix,
stagiaire au SCI
(1) http://www.ahazaza.org/
Le SCIlophone - n°61 | 11