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Colonel (H) Hubert Tassel
La Grande Guerre
de Paul Tassel
Un temps fort dans
sa carrière militaire
(de 1898 à 1940)
Carnet de route
et courriers
— 1 —
Table des matières
 Introduction	 Page   3
 Notre grand-père	 Page   5
 Présentation des documents	 Page   8
 Première partie
De 1900 à la veille de la Grande Guerre	 Page  11
La situation familiale de Paul Tassel	 Page  12
La famille Hamel 	 Page  13
Quelques précisions sur la famille Martin de Gibergues 	 Page  14
À Saint-Cyr	 Page  15
Au 15e
 BCP (bataillon de chasseurs à pied)	 Page  16
À l’École de guerre	 Page  18
À Saint-Servan en Bretagne, à l’état-major
de la 40e
 brigade d’infanterie	 Page  19
Au 4e
 BCP 	 Page  20
 Deuxième partie
Durant la guerre de 1914 à 1918	 Page  25
1914	 Page  26
1915	 Page 110
À l’état-major du général Foch
1916	 Page 130
Pierre Tassel, le frère de Paul Tassel est tué sur le front
de Verdun en septembre 1916
1917	 Page 133
Au 201e
 RI
1918	 Page 136
L’armistice du 11 novembre 1918
 Troisième partie
Après la Grande Guerre	 Page 173
Après la Grande Guerre	 Page 174
Le 158e
 régiment d’infanterie ; le « régiment de Lorette »	 Page 178
Aux débuts de la seconde guerre mondiale	 Page 182
Épilogue	 Page 184
 Annexes	 Page 185
Annexe I	 Notation de Paul Tassel à l’état-major de la 40e
 brigade
	 à Saint-Servan	 Page 186
Annexe II	 Proclamation du Président de la République du 1er
 août 1914	 Page 187
Annexe III	Le 11 novembre 1918 à l’Assemblée nationale	 Page 188
— 3 —
Introduction
En France, les commémorations du centenaire de la Grande Guerre débutant à l’été 2014 ont
suscité un engouement indéniable. Partout, des expositions, des collectes de documents ou de
photos d’époque, des études sur les poilus « Morts pour la France » et de nombreuses cérémo-
nies ont été réalisées. Chaque famille française est concernée par ce terrible conflit. Il en est de
même pour la nôtre.
C’est ainsi que d’une part, Pierre Tassel, le frère de notre grand-père Paul Tassel et d’autre
part, Étienne et Jean Hamel, frères de notre grand-mère Marie-Thérèse Tassel, (née Hamel)
sont « Morts pour la France » en 1914-1918. Enfin, dans la famille Martin de Gibergues
(Amélie Martin de Gibergues étant la mère de Marie-Thérèse Hamel) trois frères sont égale-
ment « Morts pour la France ».
Pour ma part, je me suis plongé depuis 2009, dans l’histoire de la Grande Guerre, à travers des
recherches sur les Poilus de la vallée de l’Ubaye où j’habite. Ces travaux se sont concrétisés par
la réalisation d’un ouvrage intitulé « L’Ubaye et la guerre de 1914-1918 », sorti en août 2014.
En 2012, lors de l’enterrement de l’oncle Étienne, j’ai été sensible à l’hommage qu’Hervé
Tassel a rendu à son père et je lui ai demandé une copie de son allocution. De fil en aiguille,
nous avons évoqué le passé de Grand-père ainsi que le rappelle Hervé :
« Nous sommes rentrés en contact après un « mail » sympa que tu m’avais envoyé après l’en-
terrement de mon père à propos de mon petit discours au cimetière ; j’avais commencé à
t’envoyer des documents concernant la carrière de Grand-père et quand j’ai vu que ça te pas-
sionnait, j’ai fini par te proposer les lettres, mais comme elles étaient difficiles à photocopier, je
t’ai envoyé mon exemplaire, sachant que tu en ferais bon usage. Je n’ai pas été déçu, puisque tu
t’es lancé dans leur transcription, ce que je n’aurais pas eu la patience de faire, jusqu’à en faire
un livret permettant de les communiquer à toute la famille ; ça ne pouvait pas mieux tomber
en ce centenaire de la Grande Guerre. »
J’ai donc commencé à transcrire ces lettres sur mon ordinateur dès l’automne 2014. Hervé m’a
ensuite confié le carnet de route de Grand-père d’août 1914 à janvier 1915, carnet accompa-
gné d’un certain nombre de pièces administratives comme sa fiche d’état signalétique et des
services ainsi que sa notation tout au long de sa longue carrière militaire.
Tous ces documents, recueillis par Oncle Étienne aux Archives militaires de Vincennes, conser-
vés jusqu’à nos jours, permettent de cerner le parcours militaire de Paul Tassel de 1898 à 1940.
Dans un premier temps, je pensais m’intéresser aux seuls courriers. Comme je connaissais très
peu l’histoire des familles Tassel et surtout Hamel, mon cousin Bernard, fils de l’oncle Jean,
l’aîné de tous les Tassel d’aujourd’hui, m’a conseillé de prendre contact avec Guy Hamel, petit-
fils de Paul Hamel, notre arrière-grand-père maternel. Guy a eu d’emblée la gentillesse de me
fournir un bon nombre de précisions. En outre, Hervé Tassel, « l’archiviste-historien » de notre
famille m’a transmis le journal de guerre qu’avait écrit Paul Hamel, et qu’oncle Étienne déte-
nait, journal d’une vision de la guerre, loin du front, à l’arrière.
— 4 —
Ainsi, le projet initial s’est enrichi avec d’une part le carnet de route de Paul Tassel et d’autre
part avec des extraits du journal de guerre de Paul Hamel et je l’ai complété par tous les docu-
ments concernant le déroulement de la vie militaire et personnelle de Grand-père.
Ce travail n’aurait pu aboutir sans mes échanges avec Hervé Tassel, mémoire de la famille,
qui m’a constamment éclairé sur la généalogie des familles Tassel et Hamel, et qui m’a confié
d’autres nombreux documents conservés par son père Étienne et avec Guy Hamel, très sollicité
en ce qui concerne les branches Hamel et Martin de Gibergues.
Je leur adresse mes plus chaleureux remerciements !
Je remercie Bernard Tassel, mon cousin, l’aîné de la branche Tassel d’aujourd’hui, qui a puisé
dans ses souvenirs d’enfance, et Alain Lemaire (époux de Marie-Françoise, fille de Jean Tassel)
qui m’a livré de nombreuses photos provenant notamment de l’album photo que les Jean
Tassel détenaient. Merci également à Isabelle de Lattre, la sœur d’Hervé Tassel pour son aide.
Enfin, je remercie Ronan Chaussepied, arrière-petit-fils de Paul Hamilton dont j’ai fait la
connaissance fin 2014, grâce à Internet, pour sa collaboration et son aimable autorisation de
reproduire, dans cet ouvrage, des documents de sa famille.
Pour apporter un éclairage familial sur cette page d’histoire, Bernard, Hervé et Guy ont bien
voulu, à ma demande, exprimer leur sentiment personnel sur cette évocation du passé des
familles Tassel et Hamel.
Et je leur témoigne ma vive reconnaissance pour les textes qui suivent.
— 5 —
Notre grand-père
Un grand merci, adressé à notre cousin Hubert Tassel,
pour avoir voulu la réalisation de cet ouvrage. Il nous fait
revivre avec bonheur le parcours militaire et personnel
de notre grand-père, Paul Tassel, notamment pendant la
guerre de 1914-1918.
J’ai découvert avec beaucoup d’intérêt ses carnets de
route. Ils méritent l’attention de tous, et surtout celle des
plus jeunes, qui ont peu ou pas connu leur grand-père
ou arrière-grand-père.
Il est passionnant de découvrir à travers ses notes les ter-
ribles mois du début de la guerre, vécus par nos soldats
dans des conditions particulièrement difficiles. Ce fut
la période la plus violente de la guerre avec Verdun : la
ligne de front prise et reprise sous le feu de l’ennemi, la
canonnade incessante des lignes, la vie dans les tranchées
avec de la boue jusqu’aux genoux, les nuits sans sommeil,
la pluie et le froid, les tenues crasseuses gardées sur le dos pendant plusieurs jours, et surtout
les nombreux camarades tués ou blessés à leurs côtés. Impossible à imaginer aujourd’hui !...
Grand-père décrit la violence des combats comme l’a fait Maurice Genevoix dans son livre
« Ceux d’août 1914 ».
Son carnet de route décrit aussi les instants de détente vécus avec ses camarades. Grand-père
gardait un moral solide, restait confiant dans l’issue de la guerre sans se plaindre. Il offrait sa vie
à son pays sans aucune amertume, tout en confiant à Grand-mère « sa bien-aimée » son ferme
espoir d’en sortir vivant.
Sa famille restait au centre de ses préoccupations. Il la suivait dans sa vie quotidienne, lui
apportant conseils et encouragements. En bon militaire, il prenait des décisions claires et tran-
chées qui pouvaient surprendre certains. Mais sans déroger à ses convictions.
Sa famille, son devoir de soldat et sa foi chrétienne étaient les forces qui l’animaient. Des
valeurs plus très à la mode dans notre monde individualiste et libertaire.
En 1957, j’étais avec Grand-père pour retrouver la ligne de front, dernière offensive de l’armée
allemande près de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne. Le 2 juin 1918, après avoir résisté longtemps
pour freiner la percée allemande, son régiment, encerclé par l’ennemi, doit décrocher. Grand-
père reconnait le champ de deux kilomètres qu’il doit parcourir, visé « comme un lapin » par
les mitrailleuses allemandes, dont il voyait les impacts à droite et à gauche. « Grâce à Dieu et
à toi, mon ange gardien, grâce à ce qu’ils ont tiré comme des cochons » (page 168). La chance
était du côté de Paul Tassel.
Au cours de mes six années d’étudiant, passées à Paris avant son décès, en décembre 1958, je
retrouvais souvent nos grands-parents dans leur appartement au 82, rue de Sèvres. Leur porte
était toujours ouverte. Nous aimions y retrouver les uns et les autres, recueillir les conseils et
avis du général. Lecteur assidu du journal Le Monde, il tenait toujours des propos intéressants
sur l’actualité géopolitique. Il présidait le repas familial en vrai « Pater Familias », s’intéressant
à chacun de nous.
Bref ! Un vrai grand-père et un bon général, qui a marqué mon adolescence. Il était aussi mon
parrain.
Bernard Tassel
Bernard, Paul et Alain Tassel, dans l’Aisne
en 1957.
PhotopriseparMarie-HélèneTassel
— 6 —
Lorsque mon père, Étienne Tassel, m’avait donné un double des lettres écrites par Grand-père à
Grand-mère pendant la guerre de 1914-1918, ainsi que le carnet de route qu’il avait écrit au jour le
jour pendant la campagne de 1914, je les avais lus et trouvés intéressants d’un point de vue familial.
Comme mon père était alors à la retraite, je lui avais proposé de compléter ces documents par une
recherche au château de Vincennes, où se trouve le Service historique de la Défense (SHD), que
je connaissais bien pour y avoir photocopié souvent des dossiers d’officiers, dans le cadre de mes
recherches généalogiques. Car c’est dans ce service que sont archivés tous les dossiers des officiers
de l’armée française. Mais récupérer le dossier de Grand-père était compliqué à cause de la règle des
120 ans. Celle-ci interdisait en effet l’accès aux dossiers des officiers avant que soit écoulé un délai
de 120 ans depuis leur date de naissance, à moins d’autorisation spéciale, notamment en prouvant
sa filiation directe. C’est ainsi que mon père, ayant obtenu cette autorisation, passa plusieurs jours
à Vincennes et a pu recopier – les photocopies étant interdites pour ce type de dossier – toutes les
notes des supérieurs de Grand-père pendant sa carrière, et récupérer ses états de service, dans les-
quels figure notamment la rubrique « Actions d’éclats et citations ». Mon père en profita également
pour photocopier les extraits des Journaux de marche et des opérations (JMO), que sont obligées
de tenir toutes les unités en campagne, et dans lesquels Grand-père était cité. Grâce à ce travail qui
lui prit plusieurs jours, en complément des lettres de guerre et du carnet de route que Grand-mère
avait donnés à mon père, nous nous trouvions donc avec un dossier assez sérieux concernant la
carrière de Grand-père, mais qui, après lecture, dormait dans nos dossiers d’archives...
C’est Hubert, après la mort de mon père, qui m’a fait ressortir ce dossier. Ayant vite compris le
grand intérêt qu’il portait à la Grande Guerre lorsque nous sommes rentrés en contact par mail, je
lui ai envoyé mon dossier, enveloppe après enveloppe, jusqu’à ces fameuses lettres. Je les avais, de
mon côté, entièrement relues il y a quelques années et m’étais alors rendu compte que leur intérêt
n’était pas que familial : elles avaient aussi un intérêt historique certain, par les réflexions sur la
guerre, sur le commandement, sur le moral des troupes, par exemple. Les détails de la vie en cam-
pagne participent aussi de cet intérêt historique. Et ils sont nombreux, car Grand-mère demandait
à Grand-père de lui donner le plus de détails possibles sur sa vie lorsqu’il était sur le front. Par ail-
leurs, à la fin de 1914, au moment où se termine la course à la mer, dans la boue des Flandres, il y
a quelques lettres extrêmement critiques sur la conduite de la guerre par le haut commandement.
Heureusement elles sont arrivées jusqu’à nous, ayant échappé à la censure, et ont un intérêt his-
torique incontestable, à cette date qui fut un des tournants de la Grande Guerre, puisque le front
s’étendait de la Belgique à la Suisse, sur plus de 700 kilomètres, ce que l’on n’avait jamais vu dans
notre histoire.
Comme les lettres de réponse de Grand-mère ne nous sont pas parvenues, c’est vers le journal
tenu pendant la guerre par son père, Paul Hamel, qu’Hubert s’est tourné pour rendre compte
des angoisses de « l’arrière », qui recevait régulièrement des mauvaises nouvelles, surtout dans des
familles aussi nombreuses que la nôtre.
C’est le grand mérite d’Hubert d’avoir eu la patience de transcrire ces lettres, souvent difficiles à
lire car elles furent, pour certaines, écrites à l’intérieur d’abris, dans les tranchées, et d’avoir réussi
une synthèse passionnante de tous ces documents – officiels et familiaux –, où la grande Histoire
s’est tragiquement invitée dans celle de notre famille, comme dans la plupart des familles françaises.
Hervé Tassel
— 7 —
Solliciter sa mémoire devient un exercice périlleux lorsqu’elle défaille quelque peu.
Et pourtant, je me souviens très bien que Paul Hamel, mon père, affectionnait tout particuliè-
rement sa sœur Marie-Thérèse (alias Didine) et Paul Tassel, son cher époux.
Avec Paul Dallemagne (fils de Caroline, sœur de Paul Hamel, mon grand-père), ils formaient
un joli trio immortalisé sur une photo, fusils en bandoulière au départ de la chasse, dans la
cour de la ferme briarde de Bouisy que s’était offerte Charles Hamel, (alias Bon Papa) le grand-
père de Papa et de Tante Didine.
Bon Papa était pour mon père la référence suprême et à la moindre incartade nous avions droit
à cette observation certainement justifiée : « Bon Papa n’aurait pas fait (ou pas accepté) ça ! »
Maman et Didine étaient aussi de vraies sœurs que la proximité du 65, boulevard des Invalides
(où je suis né) et du 82, rue de Sèvres rapprochait encore.
Je sais, sans avoir eu la joie d’y participer parce que j’étais trop petit, que mes parents et mes
aînés sont partis plusieurs fois passer leurs vacances avec les Tassel à proximité des lieux de
garnison de mon oncle Paul.
Plus tard j’ai pris ma revanche en étant reçu très chaleureusement à Montpellier, à Strasbourg
ou à Dax chez Jean, François et Rilène.
C’est donc avec un grand intérêt que j’ai vu Hubert venir vers moi pour me poser quelques
questions sur nos ancêtres à l’occasion de l’ouvrage qu’il préparait sur son grand-père et qui est
remarquable.
De Paul Tassel, je conserve le souvenir d’un oncle très
aimable, très accueillant, et pas du tout « scrogneu-
gneu ». À mon adolescence j’allais souvent le voir et nous
eûmes de longs entretiens ; il s’est aussi attaché à me per-
fectionner en allemand et je lui dois pour partie le 18
que j’ai décroché au Bac en cette matière. Ce fut donc
très tristement que nous apprîmes que le Seigneur l’avait
rappelé à Lui alors qu’il récitait son chapelet agenouillé
dans la chapelle des Lazaristes où il allait souvent prier
devant Saint-Vincent-de-Paul, et que nous sommes allés
lui dire un dernier adieu à Brie-Comte-Robert.
De ce grand officier et de ce grand chrétien, vous tous ses
descendants pouvez être fiers et laissez-moi vous redire
ce que votre arrière-grand-père Paul Hamel écrivait le 15 août 1927 en achevant sa contribu-
tion au « Livre de Raison » de la famille Hamel initié par son père Charles Hamel :
« Nous sommes d’un lignage qui ne doit pas fausser » !
Guy Hamel
De gauche à droite, Paul Tassel, Paul Hamel
(le père de Guy) et Paul Dallemagne.
— 8 —
Présentation des documents
Les documents conservés concernant Paul Tassel
 Sa fiche d’état signalétique et des services
C’est une fiche militaire individuelle administrative qui précise le déroulement de carrière en
mentionnant tous les changements d’affectation ou de grade et toutes les fonctions exercées.
Elle est intéressante car elle apporte des renseignements précis, notamment au sujet des dates
de changement de position. Elle est distincte de la fiche matricule établie pour tout citoyen
ayant été recensé au cours du Conseil de révision, fiche résumant le service militaire actif ou
le service comme réserviste pour les besoins de la défense de la Nation. À l’occasion des com-
mémorations du centenaire, l’État a décidé de numériser toutes les fiches des poilus et de les
diffuser dans un site intitulé « Grand Mémorial ».
 Sa notation
En réalité, toute sa notation, depuis sa présence à Saint-Cyr en 1900, jusqu’à sa fonction de
chef d’état-major de la 8e
 région militaire en 1934, nous est connue. Toutefois, lorsqu’on est
promu général (c’est le cas de Paul Tassel en 1935), la notation correspondante est, à mon avis,
du domaine strictement confidentiel. On ne peut la consulter qu’au « Bureau des généraux »,
bureau qui existe toujours au ministère de la Défense.
 Son carnet de route des premiers mois de la guerre
Dès le déclenchement de la guerre, à partir du 31 juillet 1914 jusqu’en janvier 1915, Paul
Tassel rédige un carnet de route où il résume les faits principaux et les activités au sein de son
bataillon et de sa compagnie. Ce carnet, qu’il garde toujours sur lui, n’est donc pas soumis à la
censure et nous apporte des indications précieuses sur les lieux où il se trouve.
À noter qu’un autre document, archivé par le ministère de la Défense, le JMO (Journal de
marche et des opérations) des organismes militaires permet de connaître le déroulement exact
des opérations (JMO consultable sur Internet dans le site : SGA-Mémoire des hommes).
Chaque état-major d’unité ou de grande unité (bataillon faisant corps de troupe, régiment,
brigade, division, corps d’armée ou armée) devait obligatoirement tenir à jour ce cahier régle-
mentaire où étaient consignés ordres reçus, déplacements, comptes-rendus des opérations exé-
cutées ou activités de la journée, affectations, nominations, décorations, visites d’autorités et
recensement des pertes avec parfois la liste des noms des combattants tués, blessés ou disparus.
 Les courriers de Paul Tassel
Avant tout, précisons qu’à quelques exceptions près, toutes les lettres en notre possession,
écrites uniquement au front, sont adressées à son épouse Marie-Thérèse dite « Didine ». Il y a
une cinquantaine de lettres datées de 1914, puis une vingtaine au début de 1915 et enfin une
autre vingtaine de lettres écrites de fin février à juin 1918.
Notons la très émouvante lettre de juillet 1916 adressée à ses deux fils aînés Jean et François
leur annonçant le décès de Pierre, son frère, et celle du 12 novembre 1918.
— 9 —
Les courriers de Paul Hamilton
En décembre 2014, cherchant sur Internet l’emplacement exact de Zillebeke en Belgique où
combattait le 4e
 BCP, je tombe sur le blog : « http://paulhamilton.canalblog.com/archives ».
Or, deux jours plus tôt, je lisais un courrier de Paul Tassel qui racontait à son épouse le plaisir
qu’il a eu de rencontrer Hamilton. Ce nom m’a intrigué, aussi j’ai immédiatement consulté ce
blog et j’ai ainsi découvert que Paul Hamilton venait d’être affecté au 4e
 BCP. M’apercevant
que ces deux Paul se connaissaient, j’ai pris aussitôt contact avec son arrière-petit-fils Ronan
Chaussepied, auteur de ce blog, qui m’a rapidement répondu en m’expliquant les liens d’amitié
entre ces deux officiers.
Ensuite, il m’a aimablement communiqué tous les courriers échangés entre ces camarades.
Le général Emile-Pierre Zimmer, qui commandait la 20e
 DI du 13 octobre 1907 au 1er
 octobre
1910 dont l’état-major se trouvait à Saint-Servan avait deux filles : Anne-Marie et Louisa. Paul
et Marie-Thérèse Tassel ont donc fait leur connaissance avant de rencontrer Paul Hamilton,
qui n’avait épousé Louisa Zimmer que fin 1910.
Les deux Paul ont d’emblée sympathisé. Avant la guerre, Paul Hamilton était affecté au
15e
 BCP, l’ancien bataillon de Paul Tassel et en décembre 1914, Paul Hamilton est muté au
4e
 BCP, où il retrouve avec émotion son camarade Paul Tassel.
Le journal de Paul Hamel
Ce document confié par Guy Hamel est intitulé :
« Mon journal
31 juillet 1914 – 14 juillet 1919
Pour mes enfants
et mes petits-enfants ».
Il a été rédigé par Paul Hamel, père de Marie-Thérèse Tassel. Il commente en particulier la
situation politique, internationale et militaire de la France en guerre, Mais ce qui nous inté-
resse ici, ce sont toutes les informations concernant tous les membres de la famille, qu’ils soient
au front ou à l’arrière, notamment celles qui se rapportent à Paul Tassel, son gendre.
L’étude de tous ces documents accroît notre connaissance non seulement du temps fort vécu
par Paul Tassel durant les cinquante-deux mois de la Grande Guerre mais aussi celle de tout
son parcours militaire depuis Saint-Cyr, en 1898, jusqu’à sa retraite définitive en juillet 1940.
Première partie
De 1900 à la veille
de la Grande Guerre
— 12 —
La situation familiale de Paul Tassel
Paul Tassel est né le 8 novembre 1877 à Chaumont
(Haute-Marne). Il est le fils de Pierre-Justin Tassel et de
Pauline Poussard (1856-1941).
Son père, Pierre-Justin Tassel (1842-1884), fils de Victor-
Alexandre Tassel (1809-1856), était commis de fabrique
et avait épousé Léonie Lemaître à Caudebec-Elbeuf,
le 24 octobre 1840. Pierre-Justin Tassel, marchand de
nouveautés et négociant à Chaumont (Haute-Marne),
avait épousé Pauline Poussard dite PBM (Petite Bonne
Maman). À sa mort, en 1884 (Paul Tassel n’avait que sept
ans), Pauline Poussard a quitté Chaumont pour s’instal-
ler à Paris, rue du Montparnasse, juste en face du collège
Stanislas. Paul Tassel a donc passé toute sa jeunesse à Paris.
Coïncidence amusante : mon frère Jacques a vécu au
15, rue du Montparnasse, au 4e
 étage de 1985 à 2000.
À l’occasion d’une réunion familiale à la fin des années
1980, Jean Tassel, malgré sa vue déclinante, a reconnu
l’immeuble des Tassel...
Paul Tassel a un frère Pierre-Ernest Tassel, né le
11 novembre 1880, « Mort pour la France » à 35 ans,
le 8 septembre 1916 à Verdun (et non le 6 septembre, comme on peut le lire dans l’Histoire
généalogique et anecdotique de la famille Morane). Agent de change et capitaine de réserve au
315e
 RI, il avait épousé Anne-Marie Maillot, avec qui il a eu quatre enfants : Xavier, Odile,
Jacques et Michel.
Paul Tassel épouse Marie-Thérèse Hamel le 26 octobre 1903.
Pour permettre une meilleure compréhension des documents présentés, voici les
symboles que j’ai adoptés :
Les textes commençant pas ces symboles sont :
	: Le carnet de route de Paul Tassel entre août 1914 et janvier 1915 ;
	: Les lettres de Paul Tassel ;
	 : Les extraits de documents divers : journal de guerre de Paul Hamel, lettres
de Paul Hamilton, JMO (Journaux de marche et des opérations de diffé-
rentes unités militaires) ou historiques de corps de troupe (4e
 BCP, 201e
 RI).
Les mots en italique et entre crochets sont des commentaires de ma part.
Les mots, parfois illisibles, sont indiqués entre crochets et terminés par un point
d’interrogation.
Enfin, des mots écrits entre crochets et suivis d’un point d’interrogation sont des
mots dont la transcription est douteuse.
Paul Tassel, enfant.
— 13 —
La famille Hamel
Marie-Thérèse Hamel, née le 3 novembre 1882 à Paris,
est la fille de Paul-Marie-Jean-Étienne Hamel, né le
5 avril 1852, décédé en 1941.
Paul Hamel est le fils de Charles Hamel (1823-1916)
et de Clotilde Picque, (1827-1919). Il était avocat à la
Cour d’appel de Paris, membre du Conseil de l’ordre,
chevalier de la Légion d’honneur et avait épousé Amélie
Martin de Gibergues.
Marie-Thérèse Hamel a dix frères et sœurs :
 Charles Hamel, (1880-1937), agréé au Tribunal de
commerce de Paris, a épousé Thérèse Terrat et a eu
six enfants : André, Georges, Élisabeth, Bernadette,
Michel, Monique. Emmanuel Hamel, né le 7 octobre
1881 à Paris, brillant élève de l’École normale supé-
rieure (Lettres), décédé prématurément le 14 juillet
1902 des suites d’une appendicite.
 André Hamel, né le 9 mai 1884, décédé le 2 décembre
1903.
 Jean-Pierre-Marie-Paul Hamel, né le 14 janvier 1886
à Paris 6e
, officier de l’infanterie coloniale, revenu
en France pour la Grande Guerre. Fiancé le 8 juil-
let 1914 à Madeleine Piot, il est blessé mortellement
dès le 22 août 1914 à Neufchâteau (Belgique). Son
corps, malgré de nombreuses recherches, n’a jamais
été retrouvé.
 Étienne-Anthelme-Marie-Paul Hamel, né le 13 août
1887 à Fontainebleau, a épousé Mathilde Nodet le
8 juillet 1914. Il était caporal au 67e
 régiment d’infanterie. Il est décédé des suites de ses
blessures de guerre à Mouilly, à côté de Saint-Rémy (Meuse) le 24 septembre 1914 et est
enterré à Woël, petit village en plaine de Woëvre, à l’est de Verdun.
 Élizabeth Hamel, née le 9 mai 1890, décédée le 5 février 1898.
 Paul-Marie-Georges Hamel (dit Doudoux) (1893-1971), très gravement blessé à Verdun en
avril 1916, reçut la Médaille militaire et la Croix de guerre. Nommé avoué près le Tribunal
civil de la Seine en 1924, il devint ensuite juge au Tribunal civil de Montargis en 1949 et
fut nommé à ce titre, chevalier de la Légion d’honneur. Il avait épousé, le 3 mars 1919,
Marguerite Piot avec qui il a eu sept enfants : Hélène, Emmanuel, Marie-Clotilde, Étienne,
Gérard, Geneviève, Guy. Emmanuel Hamel, décédé en 2003, a été référendaire à la Cour
des comptes, puis député et sénateur du Rhône. En 1944, il s’est engagé, comme son jeune
frère, Étienne (2e
 DB du général Leclerc), dans la première armée du général de Lattre à
la Libération de Paris et a été blessé en 1944, à Masevaux, en allant chercher un camarade
blessé, ce qui lui valut la Croix de guerre, et sa Légion d’honneur qu’il obtint ensuite à titre
Paul Hamel.
Marie-Thérèse Hamel.
— 14 —
civil avant d’être élu député. Gérard Hamel est moine bénédictin. Guy Hamel, avocat au
Barreau de Paris et élu membre du Conseil de l’ordre en 1976 (70 ans après son grand-
père), m’a donné de nombreux et précieux renseignements sur la famille Hamel.
 Pierre Hamel, né le 8 février 1898 (décédé en 19 ??), arbitre au Tribunal de commerce de
Paris, a eu trois enfants : Bernard, Yves, Dominique.
 Maurice Hamel, né le 30 juillet 1899 (décédé en 19 ??), agréé au Tribunal de commerce de
Rouen, a eu quatre enfants : François, Marie-Odile, Xavier, Christian.
 Louis Hamel, né le 18 janvier 1902 (décédé en 19 ??), a eu deux enfants : Jean, Jacques.
Quelques précisions
sur la famille Martin de Gibergues
Pierre Martin de Gibergues (1792-1848), propriétaire du domaine familial « la Recluse »
à Billom, a épousé Amélie Vignon, décédée en 1829 à la naissance d’Anthelme Martin de
Gibergues.
Anthelme Martin de Gibergues (1828-1904) épouse en 1849, sa petite cousine, Félicie
Lemoine, et donne naissance à quatre enfants :
 Pierre Martin de Gibergues, (1853-1928), épouse Geneviève Fortoul d’où sept enfants :
– Marie (1886-1972), religieuse au Sacré Cœur,
– Claire (1887-1909), épouse en 1908 René Lorne (né en 1883 à Sens). Claire décède en
1909 à la naissance de son fils Pierre. René Lorne, se remarie en 1912 avec Mlle Picard,
et a deux enfants. René Lorne, sous-lieutenant au 74e
 RI, est mort au « champ d’hon-
neur », le 23 juin 1915, à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais).
– Anthelme, (1889-1917), ancien élève à Polytechnique, licencié en droit, décède en com-
bat aérien, le 5 mai 1917, dans la région du ravin d’Ostel (Aisne).
– Amélie, (1890-1941), religieuse du Sacré-Cœur.
– Charles, (1892-1914), licencié en droit et en sciences politiques, tué au Chêne, près de
Montmirail, le 8 septembre 1914 (et non le 6 août à Gourgivaux comme l’indique sa
fiche individuelle officielle avec cependant cette précision « jugement déclaratif »).
– Paul, (1895-1953), religieux.
– Cécile, (1898-1957), a épousé Paul Cordonnier le 22 novembre 1919. Leur fils, Louis
Cordonnier de Gibergues, est l’auteur de toutes ces précisions sur la famille Martin de
Gibergues.
 Emmanuel (1855-1919), fondateur et ancien supérieur des Missions diocésaines à Paris,
évêque de Valence.
 Amélie Martin de Gibergues (1858) épouse en 1879 Paul Hamel et a eu onze enfants
(branche détaillée précédemment) :
– Charles, Emmanuel, Marie-Thérèse (épouse de Paul Tassel), André, Jean, Étienne,
Élizabeth, Paul, Pierre, Maurice, Louis.
 Marie (1865) épouse en 1889 Georges Callon, ingénieur puis inspecteur général des Ponts
et Chaussées. Ils ont eu quatre enfants :
– Emmanuel Callon, licencié en droit et en sciences politiques, sous-lieutenant au 48e
 RI,
porté disparu à Bailleul, (Pas-de-Calais) le 9 mai 1915.
– Louise (1891) épouse en 1910 René Delacommune, « mort au champ d’honneur » le
19 novembre 1914 à Hébuterne (Pas-de-Calais).
— 15 —
– André (1893), vicaire à Saint-Honoré d’Eylau (Paris 16e
) puis curé de la première église
bâtie par les Chantiers du cardinal, Saint-Stanislas des Blagis en banlieue parisienne.
– Georges (1894), lieutenant d’infanterie. Georges Callon, d’un premier mariage, est père
de Jeanne Callon, mariée au capitaine Canuel (six enfants) et de Pierre, prêtre à l’église
de Saint-Sulpice, professeur au Grand séminaire.
À Saint-Cyr
Paul Tassel fait ses études au Lycée Stanislas de Paris. Choisissant
la carrière militaire à l’issue de sa scolarité, il intègre l’École
spéciale militaire de Saint-Cyr, près de Versailles, en 1898.
Auparavant, en 1897, il passe avec succès des examens
d’équitation à la Société hippique française, pratique
sportive indispensable à Saint-Cyr.
Cette école s’y est installée en 1808 sur ordre de
Napoléon, en provenance de Fontainebleau où se tenait
l’École spéciale militaire créée en 1802. Paul Tassel en
sort en 1900 comme sous-lieutenant.
Sa promotion est la 83e
 promotion de l’école et prend le
nom de « promotion Marchand ». Le capitaine Marchand
dirigeait l’expédition française qui, arrivant à Fachoda, sur le
Nil le 10 juillet 1898, a provoqué un grave incident diploma-
tique entre la France et l’Angleterre.
La promotion Marchand comprend 583 élèves dont 165 vont
tomber durant la Grande Guerre.
Quelques précisions sur la formation prodiguée à Saint-Cyr. Les études durent deux ans et
comportent un enseignement général qui est axé sur l’histoire et la géographie et un ensei-
gnement militaire théorique et pratique : service en campagne, tactique, école du soldat, tir,
équitation, escrime, gymnastique et exercices tactiques sur le terrain jusqu’au niveau de la
compagnie. En outre, on apprend au futur officier à dessiner afin de réaliser soit un croquis
panoramique soit une carte géographique simplifiée.
L’élève dispose d’un équipement complet jusqu’au linge de rechange. Il est même doté de
couverts en argent y compris le rond de serviette. Enfin, il reçoit un manuel de savoir-vivre.
La médaille
d’examens d’équitation.
Paul Tassel
à Saint-Cyr en 1898.
— 16 —
Paul Tassel effectue des études bril-
lantes au sein de l’école et ses notes
finales en témoignent.
Seul bémol : le général Goujat,
commandant l’école, estime « qu’il
a malheureusement un organe
de commandement (manque de
puissance dans la voix) qu’il fait
corriger ».
Son capitaine le note ainsi :
« D’un caractère franc et froid, très
intelligent, parfaitement soigné,
parfaite conduite, tenue très bril-
lante, excellent esprit militaire, d’un
physique agréable, très bon instruc-
teur, d’attitude très militaire, zélé
et travailleur, fait preuve d’autorité,
très apte à la marche, d’une grande
énergie, et enfin très résistant à la
fatigue » : telles sont les notes attri-
buées par son capitaine. Paul Tassel
est très bien classé (48e
sur 552), ce
qui lui permet de choisir aisément
son affectation en optant pour l’in-
fanterie et notamment les chasseurs à pied, au 15e
 BCP (bataillon de chasseurs à pied) de
Remiremont, dans les Vosges. Il rejoint sa garnison, le 1er
 octobre 1902 comme sous-lieutenant.
Au 15e
 BCP (bataillon de chasseurs à pied)
Un rappel s’impose sur la composition des différentes unités de l’armée française.
 Un corps d’armée (CA) est composé de deux divisions avec un régiment de cavalerie, des
éléments du génie et d’un service de santé soit environ 40 000 hommes.
 Une division (DI) réunissant 15 500 hommes, élément tactique de base, est composée de
deux brigades soit quatre régiments (ou quatre à six bataillons de chasseurs).
 Une brigade comporte deux régiments ou deux à trois bataillons de chasseurs.
 Un régiment (RI), c’est 120 officiers et 3 250 hommes, articulé en trois bataillons.
 Un bataillon de chasseurs à pied, c’est environ 1 600 hommes répartis en six compagnies
et une section de mitrailleuses. Si les dix premiers bataillons de chasseurs ont été créés le
28 septembre 1840, les dix suivants le furent, après l’excellente tenue de ces unités d’infan-
terie légère en Algérie, par un décret du 22 novembre 1853.
À la veille de la guerre de 1914-1918, on compte 30 bataillons de chasseurs. Il existe des
bataillons de chasseurs à pied (BCP) et quelques bataillons alpins de chasseurs à pied (BACP),
à vocation alpine.
 Une compagnie est articulée en quatre sections, soit 256 hommes.
 Une section (64 combattants) est commandée par un lieutenant ou un sous-lieutenant. Elle
est articulée en deux demi-sections. Chaque demi-section est composée de deux escouades,
l’escouade étant commandée par un caporal, soit 16 hommes.
Notes finales de Paul Tassel à Saint-Cyr.
— 17 —
Le 15e
 BCP est en garni-
son à Saint-Étienne-lès-
Remiremont depuis le 21
novembre 1883. Auparavant
ce bataillon était en Afrique
du Nord et il a été désigné
pour prendre garnison à
Sedan à partir de son débar-
quement à Marseille le 22
octobre 1880. En 1888, il
n’est composé que de 22 offi-
ciers et de 771 hommes.
En 1900, ce bataillon fait partie de la 81e
 brigade d’infanterie dont l’état-major est implanté à
Remiremont. Cette brigade d’infanterie appartient à la 41e
 division (état-major à Remiremont)
et dépend du 7e
 corps d’armée (Besançon).
Au 15e
 BCP, le sous-lieutenant Tassel commande une section. Fin 1901, il « a fait avec entrain
les marches-manœuvres de 22 jours dans les Vosges ». Au premier semestre de 1902, il est
chargé de l’instruction des caporaux.
Le 1er
 octobre 1902, il est nommé lieutenant.
Au 2e
 semestre de 1903, il a demandé « l’autorisation de contrac-
ter mariage », autorisation aussitôt accordée. Et le 26 octobre
1903, il épouse Marie-Thérèse Hamel.
Le 7 août 1904, Jean Tassel naît à Remiremont. Il est sou-
vent appelé « le Minet » par ses parents.
Paul Tassel est apprécié de son chef de corps, le comman-
dant Bonnefoy. Fin 1904, il est noté comme étant un
« jeune officier très sérieux à tous points de vue. Cherche
à compléter son instruction tactique en prenant part,
avec d’autres officiers du bataillon, à des séances faculta-
tives de jeu de la guerre ».
Au premier semestre de 1906, « M. Tassel continue à servir
avec zèle, conscience et assiduité. A beaucoup de coup d’œil
sur le terrain ; très bonne instruction tactique. A demandé à
concourir pour l’École de guerre, aura des plus grandes chances
de réussir ».
Effectivement, tout en commandant sa section, il prépare sérieu-
sement le difficile concours d’entrée à l’École supérieure de
guerre (appelée communément École de guerre), passage obligé pour tout saint-cyrien, dési-
rant poursuivre une belle carrière.
Le 13 juin 1906, au domicile familial, faubourg du Val d’Ajol à Remiremont, est né François
Tassel appelé plus tard « le nègre ». Mon père avait le teint plutôt basané. On pouvait penser
que cela était dû à sa profession puisqu’il était ingénieur des Eaux et Forêts. L’était-il déjà
quand il était jeune d’où cette surprenante appellation ? C’est une hypothèse !
Les fiancés : Paul Tassel
et Marie-Thérèse Hamel.
— 18 —
À l’École de guerre
Paul Tassel, lieutenant au
15e
 BCP de Remiremont
jusqu’au 1er
 octobre 1906, est
reçu à l’École supérieure de
guerre, classé 90e
sur environ
100 élèves.
L’École de guerre est depuis
son origine installée à l’École
militaire à Paris et elle s’y
trouve toujours en 2014. Elle
a été créée en 1877, par le
général Jules Lewal, à la suite
du désastre de la guerre de
1870-1871.
Cet établissement parisien est un véritable tremplin pour les carrières des officiers. C’est éga-
lement un remarquable laboratoire d’élaboration des doctrines. Il faut avoir au moins cinq
années de service et posséder le grade de lieutenant ou celui de capitaine pour se présenter
au concours d’entrée. Chaque promotion compte moins d’une centaine d’élèves (70 à 80 en
moyenne). Toutes les disciplines intellectuelles et militaires abordées lors des précédentes scola-
rités sont approfondies. Des voyages d’étude sont organisés sur les frontières, sur les champs de
bataille, dans divers états-majors, dans des établissements militaires (hôpitaux, arsenaux, etc.).
Nanti de son expérience du métier acquise auparavant et désormais doté d’une solide culture
en histoire militaire et en travaux d’état-major, l’élève doit pouvoir être employé partout où
est nécessaire une connaissance complète et globale de l’armée. La scolarité dure deux ans. Les
lauréats de l’examen de sortie forment une caste à part : celle des « brevetés ». Ils sont affectés
dans des états-majors et bénéficient d’un avancement plus rapide que leurs anciens camarades
non brevetés.
Avant de suivre les cours à l’École militaire, Paul Tassel, commence sa formation par un stage de
trois mois dans l’artillerie puis il effectue un second stage de trois autres mois dans la cavalerie.
Il est breveté à la sortie de l’École de guerre en octobre 1908. Entré 90e
, il sort à la 62e
 place,
avec la mention « Bien », cette progression étant particulièrement remarquable. Il poursuit
son perfectionnement comme officier d’état-major dans le but d’être titularisé. Il est stagiaire
au 65e
 RI à Nantes, puis à l’état-major de la 20e
 division d’infanterie à Saint-Servan, jusqu’en
octobre 1910 ; ce stage lui permet d’approfondir ses connaissances quant au travail d’un offi-
cier au sein d’un état-major.
Geneviève-Marie-Thérèse-Clotilde Tassel naît le 2 juillet 1908 et décède le 24 juin 1909 à
Saint-Servan.
Paul Tassel continue son stage à l’état-major de la 20e
 division à Chambéry et dans l’artillerie,
au 10e
 régiment d’artillerie à Rennes, du 11 juin au 10 juillet 1909. Durant ce dernier stage,
Paul Tassel a même commandé une batterie lors d’une campagne de tirs.
En 1910, il est toujours à l’état-major de la 20e
 DI et ce jusqu’au mois d’octobre 1910. Afin
d’être déclaré titulaire, il effectue également un séjour dans la cavalerie au 24e
 régiment de dra-
gons, au quartier Duguesclin de Dinan où il commande un peloton de cavalerie.
— 19 —
À Saint-Servan en Bretagne,
à l’état-major de la 40e
 brigade d’infanterie
Le 28 septembre 1910, après ces nombreux stages, titularisé enfin officier d’état-major, il est
affecté à la 40e
 brigade d’infanterie dépendant de la 19e
 DI et du 10e
 corps d’armée (état-major
à Rennes). Cette brigade d’infanterie se compose du 2e
 RI de Granville et du 47e
 RI de Saint-
Malo et son état-major est implanté à Saint-Servan. Il y reste deux ans jusqu’en 1912. Les
Tassel résident à Saint-Servan, qui jouxte Saint-Malo où ils mènent une vie de garnison très
agréable. Au cercle de garnison, les officiers de l’état-major côtoient ceux des régiments. Ainsi
en 1911, Paul Tassel se lie d’amitié avec le jeune lieutenant Paul Hamilton affecté au 47e
 RI.
Paul Hamilton est aussi un ancien saint-cyrien (1903-1905) de la promotion « La Tour d’Au-
vergne ». Ils jouent ensemble au bridge et montent à cheval. Les épouses se connaissent...
En 1911, Paul Tassel est noté ainsi par le général commandant la 40e
 brigade :
« Excellent officier qui, depuis qu’il est à l’état-major de la 40e
 brigade, a déjà donné la preuve de
ses très belles et sérieuses qualités. Très intelligent, plein de zèle et d’entrain, très consciencieux,
ayant l’esprit ouvert, pondéré et clair, il voit vite et juste. Énergique, rigoureux, instruit et tra-
vailleur, il ne marchande pas sa peine. Il a le travail facile et sûr. Jugement très droit. Sentiment
élevé du devoir. Éducation parfaite. Caractère froid, agréable, sérieux, réservé et franc. Nature
modeste et très sympathique. Tenue soignée et correcte. Attitude militaire. Officier de réelle
valeur, servant avec un entier dévouement, et digne de la plus grande confiance. Monte
bien à cheval et vigoureuse-
ment. Très apte à rendre les
meilleurs services dans un
état-major.
Par son ancienneté de grade,
son excellente manière de
servir et l’ensemble de ses
belles qualités, mérite plei-
nement d’être porté au choix
pour capitaine au prochain
tableau d’avancement. Signé
Ravenez. »
Cette même année, à l’éche-
lon de la division, le général
Lanrezac, le classe premier
sur les trente-deux candidats qu’il veut promouvoir au grade de capitaine, ce qui témoigne de
l’excellence de ses notes. Le général Lyautey, son supérieur direct, l’inscrit aussi premier sur
soixante-douze officiers à noter.
Le 14 décembre 1912, Marie-Hélène Tassel (dite « Rilène ») naît à Saint-Malo.
— 20 —
Au 4e
 BCP
Le 23 décembre 1912, le
capitaine Paul Tassel est
affecté à Saint-Nicolas-de-
Port au 4e
 BCP, à l’est de
Nancy. La famille y loue un
appartement.
Le 4e
 BCP, qui fait partie des
30 bataillons de chasseurs de
l’infanterie française, est un
bataillon composé de 33 offi-
ciers, de 1 667 sous-officiers
et hommes de troupe et de
140 chevaux. Il est articulé en
cinq compagnies, plus une section hors-rang (SHR), section chargée de l’administration, de
l’intendance et de la logistique et d’une section de mitrailleuses. Paul Tassel commande la cin-
quième compagnie. Le bataillon est commandé par le chef de bataillon Lacapelle. Le 4e
 BCP
appartient à la 21e
 brigade d’infanterie et à la 11e
 DI du 20e
 corps d’armée. Ce corps d’armée
est réputé dans toute la France comme étant l’élite de l’armée française, composé essentielle-
ment de Lorrains, reconnus comme étant d’excellents soldats.
Le 3 avril 1913, un zeppelin (dirigeable allemand) atterrit sur le terrain de manœuvres de
Lunéville (à l’est de Saint-Nicolas-de-Port) alors que des troupes françaises y sont passées
en revue. La population
locale puis nationale est exci-
tée. L’idée d’une guerre de
revanche contre l’Allemagne
est cette fois-ci franchement
évoquée...
Le 8 juillet 1913, Paul Tassel
écrit une lettre à son cama-
rade Paul Hamilton du
47e
 RI, resté à Saint-Malo.
— 21 —
 Lettre du 8 juillet 1913 de Paul Tassel répondant à un courrier de Paul
Hamilton (Collection Ronan Chaussepied) :
« Mon cher Hamilton,
Votre aimable et intéressante lettre m’a fait le plus grand plaisir, je vous en remercie vivement,
et vous invite à récidiver quand vous aurez des loisirs ; j’en serai heureux, et nous conserverons
ainsi nos bonnes relations, en attendant de nous retrouver quelque jour.
Votre « incitation » Roob, contée de façon humoristique me fait un peu sourire, sans pose de
ma part ; puisque les camarades y ayant participé en étaient tout fiers, c’est que ces petits exer-
cices sont très sains pour le corps et l’esprit. Voulez-vous, en me rappelant au bon souvenir du
chic commandant Roob, lui adresser sans réserve mes compliments respectueux.
Si j’ai mis à vous répondre plus de temps que je n’aurai voulu, c’est que je suis fort occupé
par les détails quotidiens de la vie de ma belle compagnie ; assez privé de sommeil la nuit
pour la commencer de bonne heure ; enfin, nous venons
de passer une semaine au joli camp de Bois l’Evêque,
près de Toul, pour les tirs de guerre et, sans faire aucun
bridge, je n’y ai trouvé aucun instant pour mettre à jour
ma correspondance.
Vous me demandez l’état d’esprit de mes chasseurs : le
voici dans un fait vécu. J’ai mené ma compagnie (non de
77 hommes mais de 138 sur un effectif de 150 hommes
du service armé) au monument des Francs-tireurs de
Fontenoy [photo ci-contre]. Amphi. par moi sur l’his-
torique des événements et laïus épatant, au pied du
monument par le lieutenant commandant la section
de mitrailleuses qui nous accompagnait : honneurs au
monument (ça claquait), sonnerie au drapeau avec mes
sept clairons, défilé et repas dans le village avec interview
des habitants. Les chasseurs, absolument d’eux-mêmes,
avaient cueilli, pendant la route à travers les champs fleu-
ris, un nombre estimable de bouquets, qu’ils ont déposés
au pied du monument. Quant aux trois officiers pré-
sents, ils ont reçu chacun, des mêmes mains, un gros bouquet tricolore fait de bleuets, pâque-
rettes et coquelicots. Inutile de vous dire que nous avons été émus de cette bonne pensée : je
suis maintenant un peu moins jaloux de Verly, qui détient tous les records dans ce genre de
manifestations spontanées.
Quel est d’autre part, mon sentiment sur les chasseurs ? C’est que leurs officiers sont tous
[mot souligné deux fois] d’un allant admirable (je ne parle pas des capitaines, dont cinq com-
mandants de compagnie sur six sont actuellement brevetés, je serai le plus ancien des six en
octobre) grâce auquel le reste passe ; car les cadres du service de deux ans sont assez moches
(je n’ai comme homme de troupe que ceux de trois ans), et il faut se multiplier pour obtenir
un chic suffisant, avec une instruction très quelconque, mais un entraînement et un entrain
poussés jusqu’à la limite. L’esprit est très bon (pas meilleur certes que chez vos Bretons), malgré
un service très pénible : manœuvre au pas gymnastique avec le chargement toujours complet,
départs à 2 ou 3 h du matin plusieurs fois par semaine, etc. Bref ! Ce que vous avez connu à
Saint-Mihiel : je n’insiste pas.
Personne n’a bougé au 4e
. Bien entendu, nous vivons assez avec nos hommes, dans ce petit
trou, pour bien les connaître, et les quelques Parisiens douteux se tiennent cois.
— 22 —
Quant aux incidents de Toul, vous les jugerez à distance comme il convient. [Paul Tassel fait
allusion aux incidents du 18 mai 1913 où 300 à 500 conscrits du 153e
 RI de Toul tentent de
manifester (jeunes gens difficilement maîtrisés par la gendarmerie) contre l’adoption de la loi devant
prolonger le service militaire d’un an, loi finalement adoptée en août. Cette loi mécontente la classe
ouvrière y compris la paysannerie dont les fils vont manquer aux champs, une année de plus]. Ils
ont été cependant plus graves qu’on ne le dit. Je sais de source sûre que trop d’officiers de cette
division n’étaient pas à la hauteur, se tenant éloignés de leurs hommes, manquant de fanatisme
ou de tenue, ignorant ce qui se préparait.
Or, il n’y a pas de fumée sans feu. Il est certain d’autre part que la propagande antimilitariste
n’est pas à négliger ; rien ne servirait de nier pour s’illusionner ; j’ai dans ma compagnie cinq ou
six cochons, que j’ai d’ailleurs avertis, et dont la place n’est pas dans une troupe de couverture
à 20 kilomètres de la frontière [la mission de couverture consiste à surveiller les zones autres que
celle de l’objectif principal]. Ces gens-là marcheraient-ils ? Qui vivra verra ! Moi, j’en suis per-
suadé. Faites attention, sapristi, à votre précieuse personne : vous êtes un bon père de famille,
que diable ! Offrez-vous de-ci de-là une adroite petite chute de cheval, mais risquer de se tuer
à Joinville [école où les moniteurs de sport sont formés] en faisant le clown, quelle imprudence.
Je vous souhaite une place d’instructeur à Saint-Cyr en septembre. Si le directeur de l’infanterie
est sorti 1er
de Saint-Cyr (sergent-major en tout cas), il n’a pas eu un aussi bon numéro de sor-
tie à l’École de guerre où il passa comme un météore à titre de professeur non breveté.
Nous pensons souvent, non sans mélancolie, à notre bon temps et à nos excellents amis de
Saint-Malo. S’il n’y avait pas ici le point de vue militaire, que d’amers regrets. Ma femme
ne s’amuse ni ne s’ennuie : elle se contente de vivre sa vie, sans penser à autre chose qu’à ses
mioches et à l’entretien des nippes de son époux qui use bougrement.
... Ne viendrez-vous pas à Paris du 20 juillet au 15 août ? Si oui, faites-moi signe, j’y serai en
permission.
Présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à madame Hamilton. Je vous serre cordia-
lement la main.
Paul Tassel »
« Mon meilleur souvenir à tous les camarades : je ne cite aucun nom (à part Verly, et ce pares-
seux de Toussaint) de crainte d’oublier quelqu’un. Que dites-vous du beau Martinet ? »
 Nouvelle lettre du 4 octobre 1913 de Paul Tassel adressée à Paul Hamilton
(Collection Ronan Chaussepied) :
« Mon cher Hamilton,
Excusez-moi de ne pas avoir répondu plus tôt, je rentre de permission, avec pas mal de travail
(car j’aurai le 10 octobre, en attendant la formation de la 6e
 compagnie, 270 hommes à l’ef-
fectif). J’ai employé Avril [entreprise Avril] pour mon déménagement : il ne m’a pas satisfait,
je vous autorise à le lui dire, après moi, mais les autres boivent, perdent du temps ; de sorte
que mon wagon a été terminé à la nuit, en hâte, et c’est miracle qu’il n’y ait que peu de dégâts
(j’ai évalué à 60 Francs : un ou deux bris, des éraflures, et de la vaisselle cassée par mauvais
emballage).
Ils étaient donc en partie responsables, et m’ont envoyé promener ; par bonheur, j’avais réservé
le pourboire, et j’ai pu ainsi me venger, en les traitant d’autre part de maison peu scrupuleuse.
Je ne sais si vous trouverez mieux à Saint-Malo ; après tout, ce ne fut pas un désastre. Mon
mobilier a tenu dans un grand wagon, plus quelques colis à part. Tâchez de n’avoir qu’un
wagon, mais archi-plein, et le transport ne vous coûtera rien ; car on le taxera sans le peser au
— 23 —
poids de 4 000 kilos, pour lequel vous aurez droit au transport gratuit. Avril m’avait demandé
60 Francs à forfait ; son correspondant de Nancy, qui est bien, le même prix.
En tout, j’ai dépensé 390 Francs, dont il faut défalquer 80 Francs d’indemnité et le rembour-
sement des 4 000 kilos, dont je ne me rappelle plus. Je vous engage donc à prendre un wagon,
et non un cadre : en gros, vous ne devrez dépenser que 120 à 150 Francs. Nous avions entouré
tous nos petits meubles de papier ou petites bandes d’étoffe cousues ou ficelées ; cartons sur le
dessus en cas de pluie et aux angles. Quelques petites meubles ou glaces dans des caisses (c’est
cher et plus ou moins utile). C’est assez long mais indispensable.
Vous savez d’autre part que le voyage ne coûte rien : l’Intendance vous paye une demi-place.
Vous demandez (modèle réglementaire) une demi-place en comprenant une nourrice, si vous
emmenez une bonne, qui ne fait ainsi qu’une demi-place.
Je ne connais personne à qui vous recommander. Le meilleur piston est celui d’un officier du
ministère, un brave capitaine qui y soit à un titre quelconque et puisse veiller au grain au der-
nier moment.
J’ajouterai cependant ceci : j’étais à l’École de guerre avec un capitaine, aujourd’hui com-
mandant, que je connais assez peu, et qui est officier d’ordonnance du ministre. Si vous me
le demandez, je suis prêt à lui écrire, sans savoir quel compte il tiendra de ma lettre : voyez, et
n’utilisez ce moyen que si vous n’avez pas trouvé mieux, je n’ai pas confiance.
Nos manœuvres à nous ont été très pénibles ; leur seul intérêt a été de constater la solidité,
l’entrain et le bon esprit de nos chasseurs. La manœuvre, idiote : le pas de course, des dogues
cherchant à qui mordrait le premier. On dit que le général Foch veut changer tout cela ; y
parviendra-t-il ?
J’ai lu votre programme d’épreuves physiques. J’emploie dans ma compagnie le barème de
Joinville [l’École normale de gymnastique et d’escrime de Joinville formant des moniteurs militaires
de sport a été créée en 1852 dans une redoute de la Faisanderie, un ouvrage des fortifications de
Saint-Maur], qui nous a été donné l’an dernier à Nancy par un conférencier de l’école. Très
partisan de pousser les exercices physiques, je trouve cependant que vous risquez par cette
série d’épreuves rendues éliminatoires de vous priver de quelques bons gradés ; et aussi que
la pratique des sports athlétiques (cross, etc.) prend bien du temps ; il est vrai qu’en ce qui
concerne cette dernière observation, la portée n’est pas la même dans l’Est ou à Saint-Malo où
il vaut mieux faire trop de sport que du terrain de Marville ou des placements répétés de petits
postes (je n’ai pas fait, cette année, un seul exercice d’avant-poste, autrement qu’en exercice de
cadres), la sentinelle étant instruite, bien entendu.
Bref, je vous approuve de vouloir secouer le 47e
avec vos exercices physiques. Ici, nous en
ferons beaucoup, mais rondement, et sans trop fignoler, faute de temps à perdre. Bravo pour
votre rapport. Il m’a énormément amusé.
Je suis très content de la perspective de vous revoir bientôt dans nos parages : ils sont très sains.
L’air des Vosges, comme celui de Nancy, réussira fort bien à vos charmantes filles. Remiremont
est épatant et Bussang aussi (sauf les chefs de bataillon !). Saint-Dié et Gérardmer, très bien.
L’une quelconque de ces garnisons vous irait très bien. Mais n’espérez pas de choix dans l’Est,
dans la troupe. La vie n’est pas sensiblement plus chère ici qu’à Saint-Malo ; vous toucherez
d’ailleurs un Franc de plus par jour.
Tous les miens vont bien. Saint-Nicolas toujours pas gai, mais je m’y plais beaucoup. Le 4e
 BCP
est un bon bataillon (je suis actuellement le plus ancien des cinq capitaines brevetés comman-
dants de compagnie). Il y a des places de lieutenant, c’est sûr !
Ma femme envoie son meilleur souvenir à madame Hamilton, à qui vous voudrez bien présen-
ter mes hommages respectueux. À vous, bien cordialement.
Signé Tassel »
— 24 —
 Lettre du lieutenant Schaefer adressé au lieutenant Hamilton lui donnant des
« tuyaux » sur le 15e
 BCP (Collection Ronan Chaussepied) :
« Bussang, le 14 novembre
1913
Mon cher camarade,
Comme vous le voyez, je suis
de ces heureux qui sont à
Bussang [annexe de la garni-
son du 15e
 BCP de Remiremont
avec deux compagnies, Bussang
se trouvant en pleine forêt des
Vosges, à 25 km au sud-est de
Remiremont] et bien que je
ne puisse par cela même vous
tuyauter beaucoup, je m’em-
presse de vous répondre. J’ai
en effet reçu un mot du capi-
taine Tassel à votre sujet ; j’ai conservé de lui un excellent souvenir et du moment qu’il vous
a recommandé à moi, c’est tout dire. Tout d’abord, admirant votre optimisme de néophyte
chasseur, je vous en félicite. Toutefois, je me fais un devoir de vous dire que le vieux 15e
n’existe
plus. Je suis un des rares survivants qui ont cherché à en conserver l’esprit. Je ne dis pas cela
pour me vanter mais pour vous mettre en garde car la camaraderie n’existe plus...
Signé Schaefer »
Les casernes du 15e
 BCP à Bussang (Vosges).
Paul et Marie-Thérèse Tassel et les deux aînés : Jean à droite et François.
Le lieutenant Tassel est en tenue de cavalier. Sur sa vareuse, on distingue nettement sur le col les insignes d’état-major.
(Photo prise à Saint-Servan dans les années 1910).
Deuxième partie
Durant la guerre
de 1914 à 1918
— 26 —
1914
Après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et son épouse le 28 juin 1914
à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine par un étudiant serbe, les nationalismes politiques ou éco-
nomiques, les conséquences de la poudrière des Balkans, le jeu des alliances (la « Triplice »
réunissant l’empire allemand, l’empire austro-hongrois et l’empire ottoman, contre la « Triple
Entente » rassemblant l’Angleterre, la Russie et la France) sont les causes essentielles du déclen-
chement de la première guerre mondiale. En outre, l’esprit de revanche envers l’Allemagne est
présent. La France tient à récupérer l’Alsace et la Lorraine.
Le 1er
 août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. La France décrète la mobilisation qui
commence le 2 août. C’est le branle-bas général.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et l’Angleterre soutient la France en décla-
rant la guerre à l’Allemagne le 4 août.
En juillet 1914, Paul Tassel a 37 ans. Son épouse Marie-Thérèse est âgée de 32 ans. Jean a dix
ans, François huit, Alain quatre, et Marie-Hélène deux. Bernard, le petit dernier vient juste de
naître le 2 juillet 1914 à Saint-Nicolas-de-Port.
Le front étant à peine à 20 km plus à l’est, Marie-Thèrèse Tassel et ses cinq enfants quittent
précipitamment Saint-Nicolas-de-Port dès le 31 juillet 1914.
Ce même jour, le capitaine Paul Tassel, commandant toujours la 5e
 compagnie du 4e
 BCP
commence à rédiger un carnet de route.
Entrele30 juilletetle6 août,le4e
 BCP
exécute sa première mission de cou-
verture au nord-est de Saint-Nicolas, à
Haraucourt [petit village situé à 4 km
au nord-est de Saint-Nicolas] puis
assure la même mission dans la région
de Chambrey, plus au nord [20 km au
nord-est de Saint-Nicolas-de-Port et au
sud-ouest de Vic-sur-Seille].
 Nuit du 31 juillet :
« Alerte de mobilisation. Départ des
miens. La 5e
 compagnie couvre à
Haraucourt les travaux de Rambétant
[fort situé au nord-est de Varangéville
à l’est de Nancy]. Émoi des habitants.
Patrouille de cavalerie. Réquisition des
chevaux à la mairie. Visite au curé. »
 Lettre de Paul Tassel à son
épouse, lettre datée du
31 juillet 1914 :
« 31 juillet. Haraucourt, vendredi
9 heures. Ma plus adorée que jamais,
Organigramme du 4e
 BCP au début de la guerre.
— 27 —
J’ai envoyé un cycliste à la gare pour te porter de bonnes nouvelles et te souhaiter bon voyage.
Il est arrivé 10 minutes trop tard, mais j’ai su par lui que vous étiez partis. Je suis donc tran-
quille sur votre compte. Je reçois une lettre de P.M. [Petite Maman, la mère de Paul Tassel] me
disant qu’elle est à Saunois et t’attendra demain. Désolé que tu ne l’aies pas vue. Je lui écris.
Nous sommes très bien ici. Beau temps. Curé qui nous offre ses services. Je vais aller me
confesser. Grande grâce, après ça, on peut marcher. Les habitants réclament tous qu’on en
finisse une bonne fois. Les vieux préparent leurs fusils. Les jeunes s’inquiètent, nous inter-
rogent. Un officier d’active réquisitionne tous les chevaux pour les batteries. Les chasseurs sont
gais et chantent. Vu ce matin Gustave de bonne humeur. Il ne croit plus à la guerre.
Devant l’attitude plus énergique de la France depuis le voyage de Poincaré [il rentre d’un voyage
en Russie]. Un peloton d’hussards [cavaliers] est devant nous. Les troupes de Toul nous relèvent
ce soir à 2 heures. Où irons-nous ensuite ? Nous avons commandé un bon petit-déjeuner.
Delètain [c’est son ordonnance, soldat faisant fonction de domestique auprès du capitaine – cette
fonction est rétribuée par l’officier et chaque année, les officiers du régiment ou du bataillon se réu-
nissent afin de déterminer le montant de cette indemnité due aux ordonnances] fait bonne figure.
Si tu n’as pas vu P.M. écris-lui ou envoie-lui quelqu’un.
Soigne-toi bien mon adorée et écris-moi si ton voyage ne t’a pas fatiguée. Remercie l’excellente
sœur de ma part. Prie pour nous tous et sois forte. Comme une bonne Française que tu es, je
te félicite de ton courage ces jours-ci et ce matin. Pardonne-moi quelques impatiences. Amitiés
à tous. Je vous embrasse comme je vous aime. Priez pour que, le cas échéant, je fasse plus que
mon devoir. Ton Paul qui ne pense qu’à toi. »
 1er
 août :
« Travaux au Rambétant. Cantonnement à la Saline de Dombasle [à 2 km légèrement au sud-est
de Saint-Nicolas-de-Port]. Nous apprenons à 5 h la mobilisation générale. Arrivée de réservistes
à 8 h du soir. »
 Lettre du 1er
 août 1914 envoyée à Villemoisson :
« 1er
 août. Samedi. 5 h du soir. Ma Didine adorée,
Ai reçu la lettre ce matin et j’en suis ravi et bien tranquillisé, mais aucune dépêche. Content de
vous savoir en sûreté. As-tu été bien accueillie ? Où loges-tu ? Mais tu ne me dis pas si le voyage
t’a bien fatiguée ou secouée !
Ici, rien de neuf. Moral excellent. Les réservistes sont mobilisés (ils rejoignent ce soir tout
équipés). La 20e
 compagnie est en bonne posture, notre Rambétant solide avec de gros canons.
Foch vient de venir [le général Foch commande le 20e
 corps d’armée, fer de lance de l’armée fran-
çaise]. Il semble calme et confiant. Beaucoup de troupes passent à Saint-Nicolas qui a l’air
morne : plus un homme. Certes, je ne préfère pas la guerre mais notre sentiment unanime,
hommes aussi, est que l’occasion est favorable, que les Allemands ont la frousse et si, comme je
continue à le croire, il n’y a rien, on le regrettera.
Temps ultra. Mal dormi quatre heures cette nuit, à la belle étoile, il faisait froid. Mais nous
sommes en confiance. Le 146e
 de Toul [146e
 régiment d’infanterie] occupe les Quatre Bouteilles.
J’ai vu le grand capitaine Colinet-Dâage. Longue lettre de Louise [il s’agit de Louise Callon. Les Callon
sont des cousins du côté de la famille d’Amélie Martin de Gibergues, mère de Marie-Thérèse Tassel] et
carte des Zimmer [beaux-parents de Paul Hamilton]. Marie se marie avec un veuf sans enfants : je
crois que son fiancé est le petit lieutenant d’artillerie qui habitait au fond de la cour des Daguerre.
Je pense à vous, je vous aime tous. Ton Paul. Tendres baisers. Pas de journaux ce soir. Ne
compte pas sur mes lettres régulières. Vive la France et ma Didine. »
— 28 —
 2 août :
« Relevés par un régiment de Toul (le 146e
 RI – Colmet-Dâage). Retour à Saint-Nicolas ? En
réserve du corps d’armée. Repas chez les Mengin, avec le commandant, Ihler et Girouy. Au
quartier, lecture de l’appel de Poincaré à la nation française [Proclamation de Poincaré en annexe
II] : grand enthousiasme. »
 Lettre du 2 août :
« 2 août. Saint-Nicolas, dimanche 6 h du soir. De mon bureau au quartier, bien tranquille.
Ma Didine éperdument aimée, croirais-tu que, étant relevé au Rambétant par le 146e
, nous
sommes rentrés ce matin, comme revenant d’une manœuvre au quartier à « St-Nicolmüch »
[Saint-Nicolas]. Nous y sommes en réserve du corps d’armée, c’est-à-dire pour une belle
contrattaque à la baïonnette, j’espère, et peut-être pour deux ou trois jours. Saint-Nicolas est
morne et tu y serais morte d’ennui. Mme
 Mengin [épouse du capitaine Mengin, commandant la
1re
 compagnie], qui nous a reçus aimablement à déjeuner avec Ihler [capitaine commandant la
2e
 compagnie] et Girouy [capitaine, commandant la 3e
 compagnie] (déjeuner succulent et des
plus gais, une heure de paradis depuis trois jours) a eu du mal à trouver un morceau de veau.
Elle prendra notre argenterie, nos légumes, confitures, etc, et ceux d’Ihler.
Ayant touché 850 Francs en billets (indemnité d’entrée en campagne) [2 846 € de 2014] dont
je n’ai que faire, je lui en ai donné 700 sur lesquels elle paiera notre loyer. Autrement, grande
animation sur toutes les routes et sur la place Jolain, chevaux réquisitionnés, brancardiers de la
Croix-Rouge, réservistes rejoignant à toute heure, tout dans le plus grand ordre. Nous sommes
parés en couverture, les Boches peuvent venir, l’attaque brusquée n’a plus de chance de succès.
Nous espérons tous prendre l’offensive avant eux. J’ai une belle compagnie de 250 hommes
exactement, bien encadrés, 50 réservistes dont 15 gradés – une quinzaine libérés l’an dernier et
que je connais bien. C’est certainement l’idéal de faire la guerre avec une belle compagnie de
chasseurs : honneur dont je ferai tout pour me rendre digne, ne pensant qu’à ça : la Providence
fera le reste. « Fiat ! » comme dit souvent Grand-mère !
Et puis, ce qui donne du cœur, c’est la quasi-certitude de vaincre, qui anime chacun, du 1er
au
dernier. Ce qui n’empêche pas de penser à vous tous, mes adorés, mais sans attendrissement
hors de raison. Les faux tuyaux sont rigolos : ultimatum de la France, réclamant l’Alsace-Lor-
raine et un milliard, révolution à Paris à la suite de l’assassinat de Jaurès, gare Saint-Lazare
sautée, arsenal de Metz sauté, l’Italie neutre, 500 000 Français et 200 000 Espagnols contre les
Allemands, etc. Le commandant vient de lire devant le bataillon le Manifeste de Poincaré à la
Nation française, accueilli par
les cris de « Vive la France ».
Tu as fait l’admiration, ma
Didine adorée, des Mengin
et de Girouy, par ta noble
attitude.
Tu es une chère petite femme,
parfaite, vaillante devant tous
tes devoirs, je te remercie de
m’avoir choisi il y a 11 ans.
Dis à Grand-père de bien
expliquer à Jean et François,
mon gros Alain, ma Rilène
et le petit dernier. Souvenir
— 29 —
reconnaissant à la bonne sœur Suzanne. Je suis tranquille de vous savoir à Vill. [Il s’agit de la
maison de Villemoisson achetée par « Bon Papa » Charles Hamel qui l’avait achetée pour son fils
Paul Hamel. Villemoisson-sur-Orge se trouve à 20 km à vol d’oiseau au sud de Paris entre Rungis et
Arpajon , photo carte postale de Villemoisson à la page précédente] chez les bons grands-parents.
Pas de nouvelles depuis ta lettre de jeudi, ce qui n’est pas étonnant. Je file dîner chez Mengin
avec les mêmes cousins que ce matin, plus le patron. Adieu, mon adorée chérie, je t’aime à la
folie.
Ton Paul »
« Nous n’avons qu’une crainte, c’est que Guillaume [l’empereur d’Allemagne Guillaume II] cale,
sans compensation pour nous.
J’ai fait un tour à la maison, sans intérêt. »
 3 août :
« L’Allemagne aurait envahi le Luxembourg et violé la frontière en trois points. Reconnaissances
de cavalerie allemande repoussées brillamment par la nôtre. »
 4 août :
« Alerte cette nuit à une heure pour rien : Déclaration de guerre à la France. »
 5 août :
« Marche en compagnie pour s’occuper (Ville-en-Vermois, Manoncourt) [au sud de Saint-
Nicolas à 5 km]. »
 Extrait du journal de guerre de Paul Hamel, père de Marie-Thérèse Tassel à la
date du mardi 4 août et du mercredi 5 août :
« Nous allons tous les jours à la gare. Les trains de réservistes et de mobilisables se succèdent ;
on échange des saluts et des vivats avec les partants. Pas de cris, aucun désordre. Depuis le
dimanche, la gare est gardée par une escouade de territoriaux armés (de Bicêtre, Gentilly) qui
surveillent les ponts et la voie.
... l’Angleterre a déclaré la guerre à l’Allemagne. Grand réconfort pour tous. Nous lisons avec
admiration le message du président Poincaré (en annexe II), et la déclaration de Viviani [pré-
sident du Conseil des ministres] ; les détails sur la séance du Parlement, sur la concorde unanime
des partis y compris des socialistes ; dont on aurait pu craindre que la mort de Jaurès assas-
siné le vendredi 31, au soir, les eût exaspérés, tout redouble de confiance. La mobilisation se
poursuit dans le plus grand ordre, et la proclamation de l’état de siège en France est approuvée
unanimement. »
 6 août :
« Départ à midi pour Moncel-Les Ersautes [20 km au nord-est de Saint-Nicolas et au sud-ouest de Vic-
sur-Seille]. La 5e
 forme l’avant-garde. Nuit en plein air aux avant-postes. Nous avons traversé Saint-
Nicolas en chantant. Les gens étaient émus. La 5e
en réserve vient à la ferme Cabart, à 1 km au-delà
de la frontière. La 1re
occupe Chambrey, au-delà de la Seille [3 km à l’ouest de Vic-sur-Seille], où je vais
— 30 —
faire un tour sur Filou [son cheval]. Les habitants ont l’air morose. Fusillade intermittente à droite vers
Berthécourt [juste au sud de Vic-sur-Seille]. Le sergent Grauvain (4e
) est tué : 1re
 victime de la guerre.
Trois chasseurs blessés ; la section Cuvellier contre les chasseurs cyclistes bavarois. Nuit à Cabart. Une
femme s’évanouit et hurle. Chasse à un civil qui a tué un hussard et blessé un autre. On l’abat à coups
de revolver dans une cave de la gare de Chambrey. La 1re
met le feu à la Saline (représailles). »
 8 août :
« Beau temps ; réquisition à Chambrey. Rien de nouveau. On attend. »
 Extrait du journal de guerre de Paul Hamel, du samedi 8 août :
« Il y a un mois, nous étions en fête,
au mariage d’Étienne et le soir, je
dînais à l’Élysée. Quelle extraordi-
naire avalanche d’événements !
Ma tête se perd en réflexions et pro-
nostics et ma grande confiance en
Notre-Dame de Lourdes ne peut
dissiper mes angoisses paternelles.
Reçu nouvelles de Paul Tassel, du
dimanche 2 août... Tous mes enfants
et gendres sont vaillants et confiants.
Paul Tassel n’a jamais été si enjoué ».
 9 août :
« Le lieutenant du 7e
 hussards de Goury, un brave, nous est ramené mortellement blessé : il a trois
enfants. À 3 h, pendant un bridge avec le patron, alerte. Un combat a lieu à Berthécourt entre les
2e
et 3e
 compagnies et des Bavarois s’avançant de Vic. La 5e
s’y porte et entend siffler les premières
balles et obus. Six tués et 19 blessés. Les Boches ont été étrillés. Ihler très épatant. Lioti tué. »
 Lettre du dimanche 9 août :
« 9 août. Ma petite femme adorée,
Je vais très bien sous tous rapports. Nous sommes aux avant-postes en pays annexé depuis trois
jours. Défense de te préciser davantage [conséquence de la censure – le courrier est contrôlé – toute
lettre analysée (une sur 200 lettres environ) se voit apposer un tampon « contrôlé par l’autorité mili-
taire »]. Le bataillon a eu quelques escarmouches insignifiantes (un tué, quatre blessés) et on le
disait à Saint-Nicolas, anéanti, ce qui est une vaste blague. Nous sommes gais et en forme. Défiez-
vous des fausses nouvelles. Ce que nous avons vu ici de la guerre n’est pas des plus intéressants.
Quelques civils tirent nos isolés comme des lapins – nous en avons chassé un hier et abattu comme
un chien dans une cave. On a fusillé deux espions, brûlé une grande saline et quelques mobiliers,
emmenés une vingtaine d’otages. Bref ! Nous tâchons de ne pas être plus « poires » que les Boches.
Mais c’est assez pénible. On s’y habituera. Je pense à vous, mes adorés, et plein de confiance en
Dieu. Je vous embrasse ; comme...
Ton Paul
[En travers et en bas] je vous aime ! Reçu ta 2e
 lettre.
[En travers et en haut] Ce sera la guerre au couteau. Un des deux doit rester. »
— 31 —
 11 août :
« Nous avons remplacé la 2e
aux avant-postes à Berthécourt. Nuit froide au milieu d’un champ.
Rosée. Moustiques insupportables. »
 12 août :
« Relevés à 9 heures du soir la veille par le 146e
. Marche de nuit pénible sur Velaine [5 km au
nord de Saint-Nicolas] jusqu’à 3 h du matin. Girouy et moi, nous dormons debout. En réserve
du corps d’armée à Velaine. Causeries avec le 60e
 d’artillerie, plein d’ardeur. »
 Lettre du 12 août :
« 12 août. Ma petite femme adorée,
J’ai reçu ta 3e
 lettre datée du 3 août.
Elle m’a fait un bien énorme, avec une petite larme d’émotion, car vous m’êtes tous si chers,
je vous aime tous si ardemment, que, lorsque ma pensée s’arrête sur vous, je ne puis ne pas
m’attendrir, malgré mes résolutions de courage. Merci de vos prières à tous, nous en avons bien
besoin. Heureux ceux qui croient en Dieu, dans ces jours sombres : c’est une grâce inappré-
ciable dont je mesure tout le prix. Demandez pour nos chers combattants qu’ils fassent tout
leur devoir, comme ils sont prêts à tous les sacrifices, et mettons notre confiance en Dieu qui
règle les destinées. Ce qu’il décidera de nous sera bien fait.
Ma chère petite Didine, c‘est à moi de te demander pardon de toutes les petites peines que
j’aie pu te causer, pendant ces onze années de parfait bonheur que tu m’as données. Vivons ces
chers souvenirs, grave-les dans le cœur de nos deux grands qui comprennent et qui doivent dès
maintenant servir d’appui, de soutien à leur excellente mère, qui est la meilleure de toutes. Dis-
leur de ma part, et qu’ils prennent l’engagement d’honneur (ils comprendront) d’être pour toi,
quoiqu’il arrive, les meilleurs des fils. Demande à Grand-père de t’aider dans cette tâche... sans
oublier le latin et l’allemand. Dis à Jean et à mon petit nègre qu’ils pensent à leur papa en se
mettant au travail, cela leur donnera du cœur à l’ouvrage. Je pense à la bonne petite-belle-sœur
Mathilde [il s’agit de Mathilde, épouse d’Étienne Hamel] qui, elle aussi a besoin de courage ;
entoure-la comme tu sais le faire, et embrasse-la de ma part. Je voudrais aussi que tu voies ma
petite Bonne Maman qui se trouve si seule, en ce moment.
[En travers, à gauche de cette feuille] Très beau temps, très chaud. Tous rasés à la tondeuse.
Bonnes tables. Nous avons été, dans un bois, dévorés par des moustiques. Le gros Delètain
semble avoir engraissé de 50 kilos. Reçois-tu mes lettres ? Je me suis confessé le 1er
 jour. Je
pense que les communications avec Paris vont devenir suffisantes.
Réponse à tes questions : j’ai sur moi en permanence ma ceinture de flanelle, au cou, une petite
médaille de Notre-Dame de Lourdes, également au cou, attachée avec ma plaque d’identité,
la médaille de Saint-Christophe. Dans mon portefeuille, ta chère photographie et tes chères
lettres. Sur mon cheval, élixir et teinture d’iode.
Je vais admirablement bien. Mon bouc pousse. Nous sommes en réserve, après six nuits passées
aux avant-postes, sans se déchausser, et dormant plus ou moins à la belle étoile. Aussi, sommes-
nous un peu vannés par ce manque de sommeil, mais le moral est costaud. Les chasseurs sont
plein d’entrain. Ma compagnie n’a pas encore tiré un seul coup de fusil, et n’a entendu qu’une
légère musique de balles et d’obus, avec le sourire. Quelques compagnies ont été engagées dans
des tirailleries d’avant-postes. La 2e
a un peu écopé. Ihler a été admirable. Son pauvre lieute-
nant Lioti tué d’une balle dans la tête, comme Baudouin, un brave. Les blessés sont souriants,
— 32 —
et demandent à repartir. Bref ! Ça va, et il faut que nous inscrivions de notre sang, une belle
page de plus dans notre belle histoire de France.
Mon gros Alain gentil joue-t-il toujours au soldat ? C’est de circonstance. Et notre Rilène !
Comme je l’aime. Enchanté des bonnes nouvelles du petit dernier, que nous aimerons double-
ment, en souvenir de notre petite guerre ici.
Lina est-elle calme ? Parle-t-elle de la guerre ? Il ne faudrait pas qu’elle se venge sur vous, si
nous battons les Boches, comme je l’espère ? Je regrette que la bonne sœur soit partie. Soigne-
toi bien, mon adorée petite. Bien des choses aux chers parents et grands-parents. Je t’écrirai
sans doute très irrégulièrement.
Sois donc tranquille sur mon compte, quoiqu’il arrive. Au combat, je penserai à toi, à nos ché-
ris et à petite Bonne maman, à Dieu, à la France : ainsi, je serai fort.
Je t’embrasse comme je t’aime. Sois gaie et passe de bonnes vacances, bien entourée comme tu
l’es. Je te répète mon adresse : Correspondance : mon nom, bataillon, compagnie, corps d’ar-
mée. Par Brienne-le-Château (Aube).
Ton Paul
[Rajout à gauche en travers] Les lettres sont envoyées décachetées par ordre. »
 13 août :
« Repos à Velaine. Le chef armurier a tué accidentellement un chasseur. On s’attend à l’offen-
sive générale. Contents que l’énervante couverture soit terminée. Visite en auto de M. Franois
et de Jandin. Chaleur torride. »
 14 août :
« Départ à 4 h 45 pour l’offensive générale. Rencontré Bertrand, démissionnaire, au 43e
 colo-
nial (tué depuis). On est calme et résolu. On se serre maintenant les coudes. Long arrêt près
d’Hoéville [15 km au nord-est de Saint-Nicolas] (grande-halte). On entend une violente canon-
nade lointaine. On se croirait aux manœuvres.
Nous pensons que les Allemands sont démoralisés, que notre artillerie est supérieure, et qu’une
grande victoire peut terminer la guerre ! Long « poirottage » jusqu’à 4 h. Nous arrivons à 8 h
en pleine nuit bivouaquer au Bois de Ménamont : une canonnade intense termine la soirée.
Beau coucher de soleil. Soirée poétique, dans les blés, avec Du Guet, Courteau, Mengin. Pas
de distributions. On se serre le ventre. Nuit de bivouac animée : feux ou blagues. »
 15 août :
« Réveil à 3 h. Le patron, pessimiste, très. On le remonte. Serait démoralisant, si nous n’étions
tous unis et calmes. À 8 h 30, 1er
 coups de canon vers Juvrecourt [20 km au sud-ouest de
Morhange]. On entend les cloches de l’église de Bathelémont [15 km au nord de Lunéville et
au sud-ouest de Morhange]. Ma compagnie améliore des tranchées. Je pense avec mélancolie et
amour aux joyeux 15 août de Vill. en famille, et aux nombreuses communions que nos femmes
chéries, ainsi que Minet et Sonnet, vont faire pour leurs combattants. Je repense aussi au beau
15 juin à la Malgrange.
Mes petits communiants et ma petite Geneviève [Geneviève née en 1908 et morte à trois mois],
les prières de ma chère femme me protégeront, quoiqu’il arrive. Aux chers hôtes de Vill, le
15 août aussi doit être morose. 8 h : très violente canonnade, en même temps que le son
des cloches. 9 h : je reçois en plein champ la 5e
 lettre, datée du 9 août, de ma chère Didine.
— 33 —
Violentes canonnades de temps en temps, puis accalmies complètes. On n’y pige rien. Pluie,
temps lourd. Les distributions arrivent enfin à 3 h.
Le 69e
nous avait nourris ce matin avec ses restes (une cuisse de lapin pour trois). Dîner au
Bois de Ménamont et cantonnement à Bathelémont en pleine nuit, sous une pluie battante. »
 16 août :
« Lever à 3 h. Marche en avant vers l’Est. Rencontré le 111e
(Toulon). Des tuyaux courent,
nous les accueillons sous toutes réserves. Il est certain que plusieurs régiments du 15e
 corps, à
notre droite, ont bien trinqué. Grande halte à Moncourt [15 km au sud de Dieuze] enlevé hier
par le 111e
et saccagé : plus rien. Les Allemands se seraient retirés au-delà de Donnelay [6 km
plus au nord-est de Moncourt]. 5 h, pas encore de distributions. On arrache pommes de terre et
légumes : c’est la guerre. Les capitaines Adam du 26e
et Hurel sont tués. Cantonnement à Ley
[2 km au nord de Moncourt] avec le 69e
 arrivé à 8 h du soir par pluie torrentielle. Dîner à 10 h,
trouvé un lit. Pluie toute la nuit. Ce n’est pas rose. »
 17 août :
« Sous les armes à 5 h (pourquoi ?). Départ à 9 h seulement. (On ne va pas si vite à la guerre
qu’aux manœuvres). Vu passer une partie du 15e
 corps. Tenue moyenne. Toujours les tuyaux !
Nous allons nous entasser, contre la pluie à Bezanges-la-Petite [à l’ouest de Ley]. Boue ignoble. J’ai
un peu de cliche [diarrhée]. Départ à 3 h. Cantonnement à Xanrey [sud-est de Vic-sur-Seille], bien.
Nous voyons les premiers énormes trous d’obus boches et des chasseurs tués. On tue un cochon
pour la compagnie (payé). Dans notre popote, la femme seule, avec une fille de quinze mois qui
me rappelle ma Rilène, et en attend un autre. Ce n’est pas le cas de le dire : ce brave Guillaume ! »
 Lettre du 17 août :
« Ma chérie. Tout va bien. Moral et santé excellents. Nous sommes carrément de l’autre côté.
Assez mauvais temps, mais grande gaîté. Reçu le 15 ta 6e
 lettre du 9 (pas les 4e
et 5e
). Je suis
tranquille sur votre compte et je vous embrasse tous sincèrement. Nous sommes aussi sans
journaux et sans nouvelles des événements. Il m’est interdit de te parler de ce que nous faisons.
Je ne pense qu’à vous tous. Donne de mes nouvelles à P.M.
Ton Paul
Capitaine Tassel 4e
 Bon chasseurs »
 18 août :
« Repos à Xanrey. Bonnes nouvelles. Les Boches s’enfuient, nous occupons Dieuze et Château-
Salins. Le 10e
 bataillon a pris le drapeau du 132e
 prussien. Lanrezac [le général] commande l’ar-
mée de Verdun. J’ai la cliche. Thé-bridge chez le douanier allemand avec Noël, Viard, Schmitt,
Cuvellier. Chœurs très gais. Schmitt nous fait une superbe tarte pour dîner. »
 Lettre du 18 août :
« Toujours excellentes nouvelles, ma chérie. Je regrette de ne pouvoir t’en dire long. Jusqu’à
présent, il ne m’est rien arrivé, à moi, rien d’intéressant. Mais le grand jour arrivera.
Et alors Vive la France, et Fiat ! Gaîté complète. C’est chic d’être entre bons camarades.
Mme
 Cusellier (48, boulevard de Vaugirard) peut t’avoir de chez Damory toute l’épicerie que
vous voulez avoir. As-tu reçu une lettre relative à ma délégation de solde (sinon, aller voir à
— 34 —
l’Intendance à Paris, avenue des [Henry ou Heury ?] [Avenue non trouvée dans le plan actuel de
Paris] au coin de l’esplanade) ? Reçois-tu mes lettres ? Rien de toi depuis celle du 15 (trois
lettres en tout). Communique à P.M. je vous aime.
Ton Paul »
 Extrait de la lettre de Paul Hamilton à son épouse Louisa (son bataillon, le
15e
 BCP est sur le front, en Alsace et au sud de Mulhouse) (collection Ronan
Chaussepied) :
« Ma chérie,
Nous ne faisons pas grand-chose pour le moment. Les Allemands ont paraît-il évacué Mulhouse
devant notre marche en avant et nous voici revenus où nous étions il y a dix jours. Les habi-
tants ont peur du retour des Prussiens qui ont tout saccagé après notre départ.
Ils ont mis le feu ici par plaisir et canonné les maisons pour avoir la joie de les voir tomber
puisqu’il n’y a plus de troupes françaises ni d’habitants. Quelle bande de sauvages...
... En ce moment, j’avoue que je suis anxieux. Je ne puis penser sans émotion que la grande
partie est en train de se jouer du côté de Nancy ; que les quantités de mes camarades : Tassel,
Durosoy, probablement le 47e
 RI sont en pleine mêlée et que leur lutte va durer et dure et sera
probablement décisive... »
 19 août :
« Nous sommes en avant-garde de la division à Moyenvic [12 km au sud-ouest de Dieuze] sur
la forêt d’Haboudange [5 km au sud-ouest de Morhange]. Sommes canonnés par de la grosse
artillerie, vers midi. Dans une ancienne tranchée boche. Les coups très ajustés, sont un peu
courts ou un peu longs ; on rigole, en fumant des pipes. Aucune casse. À 4 h, le bataillon entre
à Haboudange. Marche sur Pévange [2 km au sud de Morhange], fuite en avant sous le feu de
la grosse artillerie. Entrée à Pévange en pleine nuit, éreintés, nuit en éveil. Nous nous sentons
très en flèche. On dort dans la rue. Pas de feux. Soupe dans une seule maison, pour toute la
compagnie. Je fais coucher mon premier blessé dans un lit. »
 20 août :
« Attaqués dès 5 h du matin. Aucun ordre. Le bataillon fait bien son devoir. 1re
, 2e
et 3e
 com-
pagnies écharpées. 5 officiers et 600 hommes de pertes. J’ai été très calme. Retraite, sous le feu
de l’artillerie, jusqu’à la ferme Salival, où nous sommes de 10 h à minuit. »
Du 12 au 20 août, c’est la première grande bataille du 4e
 BCP, connue plus tard sous le nom
de « bataille de Morhange ». C’est une défaite qui a eu un retentissement national. La déso-
béissance de Foch en est une des raisons principales. Face à la puissante attaque allemande, le
célèbre 20e
 corps a entamé une retraite, accompagné à sa droite par le 15e
 corps d’armée, le
corps des « gars du Midi ». Le 24 août, le sénateur Gervais, ami du ministre de la Guerre écrit
dans le journal Le Matin un article injurieux accusant ouvertement ces troupes du Midi de
s’être lâchement conduites. Même Joffre écrit ceci à son ministre :
« L’offensive en Lorraine avait très bien démarré. Mais il y a eu soudain des défaillances indi-
viduelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et un grand nombre de morts. J’ai
fait reculer le 15e
 corps qui n’a pas tenu sous le feu de l’ennemi. Il est responsable de l’échec de
notre offensive. Je fais fonctionner sérieusement les Conseils de guerre ».
L’affaire devient évidemment politique et les Provençaux vont subir des harcèlements publics
et de nombreuses injures. Or, cette accusation est fausse. En fait, la pression allemande était
— 35 —
trop forte et nos troupes
n’ont pu bénéficier de l’ap-
pui d’une artillerie puissante.
Mais surtout, il ne fallait
pas démoraliser l’arrière en
constatant que notre meil-
leur corps d’armée (le 20e
,
composé de Lorrains) avait
faibli. Il a fallu attendre la fin
de la guerre pour que justice
soit rendue à ces soldats pro-
vençaux. Même Paul Tassel
a pensé que l’on ne pouvait
rien attendre du 15e
 corps
(carnet de route du 22 août et
allusions en décembre 1914
lorsque le 4e
 BCP est mis à la
disposition du 15e
 corps).
 21 août :
« Départ à minuit. Retraite
pénible par Arracourt [au sud
de Moyenvic], Hoéville, sur
Saint-Nicolas. Arrivés à 8 h
du soir. Éreintés. Dîner chez
les François. Coucher chez
Courteau. »
 Lettre du 21 août :
[Rajout en début de lettre]
« Communique à P.M. la
vois-tu ? Je le désire !
Ma chérie. Toujours sain
et sauf et un excellent état
physique et moral, mais on
ne dort pas beaucoup et on
mange quand on a le temps,
quoique nous soyons très
bien ravitaillés. Hier, ça a
chauffé ferme : le bataillon
a été épatant. Beaucoup de
casse. Je n’ai rien ni Mengin
[1re
 compagnie] ni Courteau [4e
 compagnie] ni le commandant. Les trois autres légèrement
blessés. Très beau temps. Je pense à vous bougrement. Priez pour la France d’abord, pour nos
combattants ensuite et Fiat ! Pas de lettres depuis le 15 août. Reçois-tu mes cartes ? Ne m’écris
pas de nouvelles de la guerre. C’est interdit. Mille tendres baisers à partager avec mes cinq ché-
ris. Et toujours Fiat ! Amitiés aux trois de Vill.
Ton Paul »
— 36 —
 22 août :
« Départ à 10 h pour la saline de Varangéville où la journée se passe à attendre. Exode des pay-
sans. J’hérite d’Alice, jument d’Ihler, en remplacement de Filou disparu avec Trilland [Trilland
est son ordonnance chargé de son cheval, Filou]. Je me fais raser, vais voir Girouy et Ilher blessés
chez Mengin, déjeune au Faisan à 3 h 15. Les Allemands attaquent Maixe, Flainval. Aucun
ordre, ni renseignement. Cela ne va pas. Le 15e
 corps n’est plus bon à rien. On se sacrifiera s’il
le faut. Nuit à Varangéville (école). J’ai écrit à Didine, et télégraphié à P.M. »
Schéma géographique de la région de Morhange.
— 37 —
 Lettre du 22 août. Lettre écrite sur du papier à en-tête de l’Hôtel et Café du
Faisan :
« Ma petite Didine passion-
nément adorée,
Nous revoici à Saint-Nicolas
mais toujours en parfait état
pour nous refaire de nos fati-
gues et de pertes très sérieuses.
Il est 3 h 30, je déjeune au
Faisan. Je viens de télégra-
phier à P.M. « Excellente
santé – Pense à vous tous ».
On me dit à la Poste que les
lettres civiles ne sont plus
ouvertes mais qu’on les garde
quatre jours à Toul pour que
les indiscrétions n’aient plus
d’intérêt d’actualité. Je com-
mence donc, en hâte et au
hasard des impressions, une
longue lettre de détails, crai-
gnant qu’on ne vienne me
chercher à chaque instant.
La guerre est une affaire.
Tu ne penses plus aux belles
idées de patriotisme, de poé-
sie de notre métier des armes.
On vit machinalement, on se
cuirasse, on est fataliste, prêt
simplement à faire son devoir
sans autre idée enthousiaste, vu le côté pénible de l’existence matérielle. Mais trêve de philo-
sophie, je te conterai cela plus tard, si c’est la volonté de Dieu. (J’ai fait vœu, si je te revois, de
communier le 1er
 dimanche de chaque mois, quoiqu’il arrive).
Donc, nous nous sommes avancés avant-hier, trop vite, le bataillon tout à fait en pointe, sur
Morhange... Je réfléchis qu’il vaut mieux ne pas trop donner de tuyaux précis, et je suis inquiet :
on entend le canon, de l’artillerie passe au trot, et je tremble que le bataillon parte. J’affole. Le
bataillon avant-hier s’est bien conduit.
[Foch qui commande le 20e
 corps (carte page suivante) empêche les Allemands de traverser la
Meurthe et, contrevenant aux ordres du général de Castelnau commandant la 2e
 armée, qui exige
le retrait général, contre-attaque le 20 août. Il se heurte à de violents feux d’artillerie lourde, puis à
une violente poussée allemande qui l’oblige à battre en retraite, ce qui coûte la vie à 5 000 hommes.
À la suite de ce fiasco, le général de Castelnau ne pardonnera jamais à Foch qui, selon lui, a désobéi].
Il a perdu environ 600 hommes sur 1 500 : tués, blessés ou disparus. À ma compagnie qui a
peu trinqué : 11 tués, 40 blessés, 30 disparus. Trois capitaines très légèrement blessés (Girouy,
Ihler, de Guet : conduite épatante). Les deux autres, complètement indemnes : 12 lieutenants
tués ou blessés. Le commandant indemne, ses deux ordonnances tuées. Mon pauvre Filou et
Trilland disparus : plus de selle, ni de rasoir, ni de manteau, ni mon sabre, ni rechange – et on
ne voit pas souvent sa cantine [en 1914, les officiers avaient droit à une cantine, les sous-officiers,
Début de la lettre du 22 août 1914.
— 38 —
une cantine pour deux tandis que la troupe portait le sac à dos dit « azor » ou « as de carreau » (car
carré) et une sacoche et la gourde sur le côté : ce « barda » pesait plus de 20 kilos]. Heureusement,
Ihler vient de m’offrir le fidèle Touran et sa jument.
Arrivés hier à Saint-Nicolas – en plein désordre – blessés, traînards et on a reculé, je ne m’ex-
plique pas pourquoi. À notre droite, les gens du midi auraient été écrasés ou auraient lâché
prise. Mais nous avons fait notre devoir sous les balles et la grosse artillerie allemande, nous le
ferons encore. J’ai été calme au feu, fumant la pipe, dormant même car éreinté, vu la fatigue,
mais je n’ai pas été un héros, sois en certaine. Les hommes, très bien, s’ils étaient tous comme
les nôtres !
J’ai dîné hier chez les François, couché chez Courteau (Madame épatante m’a rapporté ce matin
linge propre, bien choyé). Ecris-lui pour lui exprimer ta reconnaissance et aussi à Mme
 Mengin
qui a rangé admirablement notre appartement.
Reçu ce matin un mot de Pierre Tassel du 13 août. Pas encore parti. Le canon tonne. Je file ; Je
t’aime. J’ai été à l’église ce matin. Priez pour la France et les chers absents.
Ton Paul »
 23 août :
« Canonnade vers l’est. Karcher (69e
  RI) vient me relever à la sortie de Varangéville vers
Dombasle. Le Rambétant tonne.
On attend... Retour à Saint-Nicolas. Canonnade rapprochée. Les Mengin partent. Déjeuner
dans un verger au haut de l’avenue Jolaine. Mise en état de défense de la route de Padoue (tra-
vailleurs et civils). On abat tous les arbres fruitiers. Dîner au passage avec Mengin, dans une
maison de la rue Gambetta au retour d’une promenade à cheval. Coucher avec ma compagnie
au quartier, abandonné, sans lumière. »
La position des grandes unités françaises et allemandes au début de la bataille. de Morhange.
— 39 —
 24 août :
« On attend. Je vais à l’église. Je donne 100 Francs pour un vœu à Saint-Nicolas à M. Jung
chez qui je casse la croûte. Départ à 3 h pour la saline puis Dombasle. Croisement de colonnes.
Dîner et coucher en réserve des avant-postes au stand de tir de Dombasle (originale installa-
tion). Notre soupe est perdue. »
 Lettre du 24 août, lettre toujours envoyée à Villemoisson :
« Ma petite bien-aimée,
Toujours excellentes nouvelles ; Santé parfaite un peu maigri, mon bouc pousse, moral exquis
sous cet admirable temps. Pas de nouvelles de toi depuis ta fameuse lettre reçue le 15 août,
mais je suis bien tranquille sur votre compte à tous. Nous nous refaisons encore une fois nos
pénates... On ne sait rien de ce qui se passe exactement, même devant nous. Les Mengin partis
hier sur Nancy, affolés, il n’y avait pas de quoi. Collation ce matin chez Jung à qui j’ai laissé
100 Francs.
Pour un don fait par les habitants à Saint-Nicolas, protecteur de ceux qui voyagent... Je lui ai
mis un cierge. Je suis toujours prêt à tout, avec le calme des vieilles troupes. Reçu un mot de
Pierre Tassel du 13 août : ayant été affecté à une compagnie de dépôt, a demandé et obtenu de
marcher de l’avant, ce qui est bien. Sais-tu où sont tes frères ? Pensez à nous, mais gaiement,
passez de bonnes vacances, et que mes deux grands soient gentils pour leur petite mère, et tra-
vaillent avec ardeur pour faire plaisir à leur papa.
Je vous embrasse comme je vous aime.
Ton Paul »
 25 août :
« Terrible journée, sous une violente canonnade sans bouger, de 6 h du matin à 8 h du soir
sur la côte 316 (hauteur de Flainval) [Flainval est à 2 km à l’est de Dombasle-sur-Meurthe], en
soutien de l’artillerie (75 et 120 long).
On attaque peu vigoureusement le Léomont [colline à 2 km à l’est de Flainval où se déroulèrent
de violents combats entre le 20 août et le 10 septembre par la 11e
 DI et des sapeurs du génie du
20e
 CA. Un monument rappelle ces douloureux et essentiels combats qui évitèrent en partie la prise
de Nancy]. Coucher à Hudiviller [au sud-est de Dombasle] sur la grande route. Toute la journée,
je suis resté avec la 2e
 section qui a eu cinq blessés. Plus de bruit que de mal, mais il faut du
calme. Dîner à 11 h du soir. 800 réservistes arrivent pour le bataillon, encadrés par trois offi-
ciers de réserve. [À noter que le JMO du 27 août précise que le commandement peut reconstituer le
bataillon à six compagnies]. Quel encombrement ! Quatre heures de sommeil. »
 26 août :
« Rassemblement dans un verger. Somme sur des bottes de paille. On est empoisonné par les
réservistes. « Poirottage » sur la crête de Flainval. Vers 3 h, on se porte sur les Oeufs-Durs [lieu-
dit juste au sud d’Anthelupt]. Cantonnement à Anthelupt [1 km au sud-est de Flainval et à 6 km
plein est de Saint-Nicolas-de-Port]. »
Livre sur Paul Tassel
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Livre sur Paul Tassel

  • 1.
  • 2.
  • 3. Colonel (H) Hubert Tassel La Grande Guerre de Paul Tassel Un temps fort dans sa carrière militaire (de 1898 à 1940) Carnet de route et courriers
  • 4.
  • 5. — 1 — Table des matières  Introduction Page   3  Notre grand-père Page   5  Présentation des documents Page   8  Première partie De 1900 à la veille de la Grande Guerre Page  11 La situation familiale de Paul Tassel Page  12 La famille Hamel Page  13 Quelques précisions sur la famille Martin de Gibergues Page  14 À Saint-Cyr Page  15 Au 15e  BCP (bataillon de chasseurs à pied) Page  16 À l’École de guerre Page  18 À Saint-Servan en Bretagne, à l’état-major de la 40e  brigade d’infanterie Page  19 Au 4e  BCP Page  20  Deuxième partie Durant la guerre de 1914 à 1918 Page  25 1914 Page  26 1915 Page 110 À l’état-major du général Foch 1916 Page 130 Pierre Tassel, le frère de Paul Tassel est tué sur le front de Verdun en septembre 1916 1917 Page 133 Au 201e  RI 1918 Page 136 L’armistice du 11 novembre 1918  Troisième partie Après la Grande Guerre Page 173 Après la Grande Guerre Page 174 Le 158e  régiment d’infanterie ; le « régiment de Lorette » Page 178 Aux débuts de la seconde guerre mondiale Page 182 Épilogue Page 184  Annexes Page 185 Annexe I Notation de Paul Tassel à l’état-major de la 40e  brigade à Saint-Servan Page 186 Annexe II Proclamation du Président de la République du 1er  août 1914 Page 187 Annexe III Le 11 novembre 1918 à l’Assemblée nationale Page 188
  • 6.
  • 7. — 3 — Introduction En France, les commémorations du centenaire de la Grande Guerre débutant à l’été 2014 ont suscité un engouement indéniable. Partout, des expositions, des collectes de documents ou de photos d’époque, des études sur les poilus « Morts pour la France » et de nombreuses cérémo- nies ont été réalisées. Chaque famille française est concernée par ce terrible conflit. Il en est de même pour la nôtre. C’est ainsi que d’une part, Pierre Tassel, le frère de notre grand-père Paul Tassel et d’autre part, Étienne et Jean Hamel, frères de notre grand-mère Marie-Thérèse Tassel, (née Hamel) sont « Morts pour la France » en 1914-1918. Enfin, dans la famille Martin de Gibergues (Amélie Martin de Gibergues étant la mère de Marie-Thérèse Hamel) trois frères sont égale- ment « Morts pour la France ». Pour ma part, je me suis plongé depuis 2009, dans l’histoire de la Grande Guerre, à travers des recherches sur les Poilus de la vallée de l’Ubaye où j’habite. Ces travaux se sont concrétisés par la réalisation d’un ouvrage intitulé « L’Ubaye et la guerre de 1914-1918 », sorti en août 2014. En 2012, lors de l’enterrement de l’oncle Étienne, j’ai été sensible à l’hommage qu’Hervé Tassel a rendu à son père et je lui ai demandé une copie de son allocution. De fil en aiguille, nous avons évoqué le passé de Grand-père ainsi que le rappelle Hervé : « Nous sommes rentrés en contact après un « mail » sympa que tu m’avais envoyé après l’en- terrement de mon père à propos de mon petit discours au cimetière ; j’avais commencé à t’envoyer des documents concernant la carrière de Grand-père et quand j’ai vu que ça te pas- sionnait, j’ai fini par te proposer les lettres, mais comme elles étaient difficiles à photocopier, je t’ai envoyé mon exemplaire, sachant que tu en ferais bon usage. Je n’ai pas été déçu, puisque tu t’es lancé dans leur transcription, ce que je n’aurais pas eu la patience de faire, jusqu’à en faire un livret permettant de les communiquer à toute la famille ; ça ne pouvait pas mieux tomber en ce centenaire de la Grande Guerre. » J’ai donc commencé à transcrire ces lettres sur mon ordinateur dès l’automne 2014. Hervé m’a ensuite confié le carnet de route de Grand-père d’août 1914 à janvier 1915, carnet accompa- gné d’un certain nombre de pièces administratives comme sa fiche d’état signalétique et des services ainsi que sa notation tout au long de sa longue carrière militaire. Tous ces documents, recueillis par Oncle Étienne aux Archives militaires de Vincennes, conser- vés jusqu’à nos jours, permettent de cerner le parcours militaire de Paul Tassel de 1898 à 1940. Dans un premier temps, je pensais m’intéresser aux seuls courriers. Comme je connaissais très peu l’histoire des familles Tassel et surtout Hamel, mon cousin Bernard, fils de l’oncle Jean, l’aîné de tous les Tassel d’aujourd’hui, m’a conseillé de prendre contact avec Guy Hamel, petit- fils de Paul Hamel, notre arrière-grand-père maternel. Guy a eu d’emblée la gentillesse de me fournir un bon nombre de précisions. En outre, Hervé Tassel, « l’archiviste-historien » de notre famille m’a transmis le journal de guerre qu’avait écrit Paul Hamel, et qu’oncle Étienne déte- nait, journal d’une vision de la guerre, loin du front, à l’arrière.
  • 8. — 4 — Ainsi, le projet initial s’est enrichi avec d’une part le carnet de route de Paul Tassel et d’autre part avec des extraits du journal de guerre de Paul Hamel et je l’ai complété par tous les docu- ments concernant le déroulement de la vie militaire et personnelle de Grand-père. Ce travail n’aurait pu aboutir sans mes échanges avec Hervé Tassel, mémoire de la famille, qui m’a constamment éclairé sur la généalogie des familles Tassel et Hamel, et qui m’a confié d’autres nombreux documents conservés par son père Étienne et avec Guy Hamel, très sollicité en ce qui concerne les branches Hamel et Martin de Gibergues. Je leur adresse mes plus chaleureux remerciements ! Je remercie Bernard Tassel, mon cousin, l’aîné de la branche Tassel d’aujourd’hui, qui a puisé dans ses souvenirs d’enfance, et Alain Lemaire (époux de Marie-Françoise, fille de Jean Tassel) qui m’a livré de nombreuses photos provenant notamment de l’album photo que les Jean Tassel détenaient. Merci également à Isabelle de Lattre, la sœur d’Hervé Tassel pour son aide. Enfin, je remercie Ronan Chaussepied, arrière-petit-fils de Paul Hamilton dont j’ai fait la connaissance fin 2014, grâce à Internet, pour sa collaboration et son aimable autorisation de reproduire, dans cet ouvrage, des documents de sa famille. Pour apporter un éclairage familial sur cette page d’histoire, Bernard, Hervé et Guy ont bien voulu, à ma demande, exprimer leur sentiment personnel sur cette évocation du passé des familles Tassel et Hamel. Et je leur témoigne ma vive reconnaissance pour les textes qui suivent.
  • 9. — 5 — Notre grand-père Un grand merci, adressé à notre cousin Hubert Tassel, pour avoir voulu la réalisation de cet ouvrage. Il nous fait revivre avec bonheur le parcours militaire et personnel de notre grand-père, Paul Tassel, notamment pendant la guerre de 1914-1918. J’ai découvert avec beaucoup d’intérêt ses carnets de route. Ils méritent l’attention de tous, et surtout celle des plus jeunes, qui ont peu ou pas connu leur grand-père ou arrière-grand-père. Il est passionnant de découvrir à travers ses notes les ter- ribles mois du début de la guerre, vécus par nos soldats dans des conditions particulièrement difficiles. Ce fut la période la plus violente de la guerre avec Verdun : la ligne de front prise et reprise sous le feu de l’ennemi, la canonnade incessante des lignes, la vie dans les tranchées avec de la boue jusqu’aux genoux, les nuits sans sommeil, la pluie et le froid, les tenues crasseuses gardées sur le dos pendant plusieurs jours, et surtout les nombreux camarades tués ou blessés à leurs côtés. Impossible à imaginer aujourd’hui !... Grand-père décrit la violence des combats comme l’a fait Maurice Genevoix dans son livre « Ceux d’août 1914 ». Son carnet de route décrit aussi les instants de détente vécus avec ses camarades. Grand-père gardait un moral solide, restait confiant dans l’issue de la guerre sans se plaindre. Il offrait sa vie à son pays sans aucune amertume, tout en confiant à Grand-mère « sa bien-aimée » son ferme espoir d’en sortir vivant. Sa famille restait au centre de ses préoccupations. Il la suivait dans sa vie quotidienne, lui apportant conseils et encouragements. En bon militaire, il prenait des décisions claires et tran- chées qui pouvaient surprendre certains. Mais sans déroger à ses convictions. Sa famille, son devoir de soldat et sa foi chrétienne étaient les forces qui l’animaient. Des valeurs plus très à la mode dans notre monde individualiste et libertaire. En 1957, j’étais avec Grand-père pour retrouver la ligne de front, dernière offensive de l’armée allemande près de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne. Le 2 juin 1918, après avoir résisté longtemps pour freiner la percée allemande, son régiment, encerclé par l’ennemi, doit décrocher. Grand- père reconnait le champ de deux kilomètres qu’il doit parcourir, visé « comme un lapin » par les mitrailleuses allemandes, dont il voyait les impacts à droite et à gauche. « Grâce à Dieu et à toi, mon ange gardien, grâce à ce qu’ils ont tiré comme des cochons » (page 168). La chance était du côté de Paul Tassel. Au cours de mes six années d’étudiant, passées à Paris avant son décès, en décembre 1958, je retrouvais souvent nos grands-parents dans leur appartement au 82, rue de Sèvres. Leur porte était toujours ouverte. Nous aimions y retrouver les uns et les autres, recueillir les conseils et avis du général. Lecteur assidu du journal Le Monde, il tenait toujours des propos intéressants sur l’actualité géopolitique. Il présidait le repas familial en vrai « Pater Familias », s’intéressant à chacun de nous. Bref ! Un vrai grand-père et un bon général, qui a marqué mon adolescence. Il était aussi mon parrain. Bernard Tassel Bernard, Paul et Alain Tassel, dans l’Aisne en 1957. PhotopriseparMarie-HélèneTassel
  • 10. — 6 — Lorsque mon père, Étienne Tassel, m’avait donné un double des lettres écrites par Grand-père à Grand-mère pendant la guerre de 1914-1918, ainsi que le carnet de route qu’il avait écrit au jour le jour pendant la campagne de 1914, je les avais lus et trouvés intéressants d’un point de vue familial. Comme mon père était alors à la retraite, je lui avais proposé de compléter ces documents par une recherche au château de Vincennes, où se trouve le Service historique de la Défense (SHD), que je connaissais bien pour y avoir photocopié souvent des dossiers d’officiers, dans le cadre de mes recherches généalogiques. Car c’est dans ce service que sont archivés tous les dossiers des officiers de l’armée française. Mais récupérer le dossier de Grand-père était compliqué à cause de la règle des 120 ans. Celle-ci interdisait en effet l’accès aux dossiers des officiers avant que soit écoulé un délai de 120 ans depuis leur date de naissance, à moins d’autorisation spéciale, notamment en prouvant sa filiation directe. C’est ainsi que mon père, ayant obtenu cette autorisation, passa plusieurs jours à Vincennes et a pu recopier – les photocopies étant interdites pour ce type de dossier – toutes les notes des supérieurs de Grand-père pendant sa carrière, et récupérer ses états de service, dans les- quels figure notamment la rubrique « Actions d’éclats et citations ». Mon père en profita également pour photocopier les extraits des Journaux de marche et des opérations (JMO), que sont obligées de tenir toutes les unités en campagne, et dans lesquels Grand-père était cité. Grâce à ce travail qui lui prit plusieurs jours, en complément des lettres de guerre et du carnet de route que Grand-mère avait donnés à mon père, nous nous trouvions donc avec un dossier assez sérieux concernant la carrière de Grand-père, mais qui, après lecture, dormait dans nos dossiers d’archives... C’est Hubert, après la mort de mon père, qui m’a fait ressortir ce dossier. Ayant vite compris le grand intérêt qu’il portait à la Grande Guerre lorsque nous sommes rentrés en contact par mail, je lui ai envoyé mon dossier, enveloppe après enveloppe, jusqu’à ces fameuses lettres. Je les avais, de mon côté, entièrement relues il y a quelques années et m’étais alors rendu compte que leur intérêt n’était pas que familial : elles avaient aussi un intérêt historique certain, par les réflexions sur la guerre, sur le commandement, sur le moral des troupes, par exemple. Les détails de la vie en cam- pagne participent aussi de cet intérêt historique. Et ils sont nombreux, car Grand-mère demandait à Grand-père de lui donner le plus de détails possibles sur sa vie lorsqu’il était sur le front. Par ail- leurs, à la fin de 1914, au moment où se termine la course à la mer, dans la boue des Flandres, il y a quelques lettres extrêmement critiques sur la conduite de la guerre par le haut commandement. Heureusement elles sont arrivées jusqu’à nous, ayant échappé à la censure, et ont un intérêt his- torique incontestable, à cette date qui fut un des tournants de la Grande Guerre, puisque le front s’étendait de la Belgique à la Suisse, sur plus de 700 kilomètres, ce que l’on n’avait jamais vu dans notre histoire. Comme les lettres de réponse de Grand-mère ne nous sont pas parvenues, c’est vers le journal tenu pendant la guerre par son père, Paul Hamel, qu’Hubert s’est tourné pour rendre compte des angoisses de « l’arrière », qui recevait régulièrement des mauvaises nouvelles, surtout dans des familles aussi nombreuses que la nôtre. C’est le grand mérite d’Hubert d’avoir eu la patience de transcrire ces lettres, souvent difficiles à lire car elles furent, pour certaines, écrites à l’intérieur d’abris, dans les tranchées, et d’avoir réussi une synthèse passionnante de tous ces documents – officiels et familiaux –, où la grande Histoire s’est tragiquement invitée dans celle de notre famille, comme dans la plupart des familles françaises. Hervé Tassel
  • 11. — 7 — Solliciter sa mémoire devient un exercice périlleux lorsqu’elle défaille quelque peu. Et pourtant, je me souviens très bien que Paul Hamel, mon père, affectionnait tout particuliè- rement sa sœur Marie-Thérèse (alias Didine) et Paul Tassel, son cher époux. Avec Paul Dallemagne (fils de Caroline, sœur de Paul Hamel, mon grand-père), ils formaient un joli trio immortalisé sur une photo, fusils en bandoulière au départ de la chasse, dans la cour de la ferme briarde de Bouisy que s’était offerte Charles Hamel, (alias Bon Papa) le grand- père de Papa et de Tante Didine. Bon Papa était pour mon père la référence suprême et à la moindre incartade nous avions droit à cette observation certainement justifiée : « Bon Papa n’aurait pas fait (ou pas accepté) ça ! » Maman et Didine étaient aussi de vraies sœurs que la proximité du 65, boulevard des Invalides (où je suis né) et du 82, rue de Sèvres rapprochait encore. Je sais, sans avoir eu la joie d’y participer parce que j’étais trop petit, que mes parents et mes aînés sont partis plusieurs fois passer leurs vacances avec les Tassel à proximité des lieux de garnison de mon oncle Paul. Plus tard j’ai pris ma revanche en étant reçu très chaleureusement à Montpellier, à Strasbourg ou à Dax chez Jean, François et Rilène. C’est donc avec un grand intérêt que j’ai vu Hubert venir vers moi pour me poser quelques questions sur nos ancêtres à l’occasion de l’ouvrage qu’il préparait sur son grand-père et qui est remarquable. De Paul Tassel, je conserve le souvenir d’un oncle très aimable, très accueillant, et pas du tout « scrogneu- gneu ». À mon adolescence j’allais souvent le voir et nous eûmes de longs entretiens ; il s’est aussi attaché à me per- fectionner en allemand et je lui dois pour partie le 18 que j’ai décroché au Bac en cette matière. Ce fut donc très tristement que nous apprîmes que le Seigneur l’avait rappelé à Lui alors qu’il récitait son chapelet agenouillé dans la chapelle des Lazaristes où il allait souvent prier devant Saint-Vincent-de-Paul, et que nous sommes allés lui dire un dernier adieu à Brie-Comte-Robert. De ce grand officier et de ce grand chrétien, vous tous ses descendants pouvez être fiers et laissez-moi vous redire ce que votre arrière-grand-père Paul Hamel écrivait le 15 août 1927 en achevant sa contribu- tion au « Livre de Raison » de la famille Hamel initié par son père Charles Hamel : « Nous sommes d’un lignage qui ne doit pas fausser » ! Guy Hamel De gauche à droite, Paul Tassel, Paul Hamel (le père de Guy) et Paul Dallemagne.
  • 12. — 8 — Présentation des documents Les documents conservés concernant Paul Tassel  Sa fiche d’état signalétique et des services C’est une fiche militaire individuelle administrative qui précise le déroulement de carrière en mentionnant tous les changements d’affectation ou de grade et toutes les fonctions exercées. Elle est intéressante car elle apporte des renseignements précis, notamment au sujet des dates de changement de position. Elle est distincte de la fiche matricule établie pour tout citoyen ayant été recensé au cours du Conseil de révision, fiche résumant le service militaire actif ou le service comme réserviste pour les besoins de la défense de la Nation. À l’occasion des com- mémorations du centenaire, l’État a décidé de numériser toutes les fiches des poilus et de les diffuser dans un site intitulé « Grand Mémorial ».  Sa notation En réalité, toute sa notation, depuis sa présence à Saint-Cyr en 1900, jusqu’à sa fonction de chef d’état-major de la 8e  région militaire en 1934, nous est connue. Toutefois, lorsqu’on est promu général (c’est le cas de Paul Tassel en 1935), la notation correspondante est, à mon avis, du domaine strictement confidentiel. On ne peut la consulter qu’au « Bureau des généraux », bureau qui existe toujours au ministère de la Défense.  Son carnet de route des premiers mois de la guerre Dès le déclenchement de la guerre, à partir du 31 juillet 1914 jusqu’en janvier 1915, Paul Tassel rédige un carnet de route où il résume les faits principaux et les activités au sein de son bataillon et de sa compagnie. Ce carnet, qu’il garde toujours sur lui, n’est donc pas soumis à la censure et nous apporte des indications précieuses sur les lieux où il se trouve. À noter qu’un autre document, archivé par le ministère de la Défense, le JMO (Journal de marche et des opérations) des organismes militaires permet de connaître le déroulement exact des opérations (JMO consultable sur Internet dans le site : SGA-Mémoire des hommes). Chaque état-major d’unité ou de grande unité (bataillon faisant corps de troupe, régiment, brigade, division, corps d’armée ou armée) devait obligatoirement tenir à jour ce cahier régle- mentaire où étaient consignés ordres reçus, déplacements, comptes-rendus des opérations exé- cutées ou activités de la journée, affectations, nominations, décorations, visites d’autorités et recensement des pertes avec parfois la liste des noms des combattants tués, blessés ou disparus.  Les courriers de Paul Tassel Avant tout, précisons qu’à quelques exceptions près, toutes les lettres en notre possession, écrites uniquement au front, sont adressées à son épouse Marie-Thérèse dite « Didine ». Il y a une cinquantaine de lettres datées de 1914, puis une vingtaine au début de 1915 et enfin une autre vingtaine de lettres écrites de fin février à juin 1918. Notons la très émouvante lettre de juillet 1916 adressée à ses deux fils aînés Jean et François leur annonçant le décès de Pierre, son frère, et celle du 12 novembre 1918.
  • 13. — 9 — Les courriers de Paul Hamilton En décembre 2014, cherchant sur Internet l’emplacement exact de Zillebeke en Belgique où combattait le 4e  BCP, je tombe sur le blog : « http://paulhamilton.canalblog.com/archives ». Or, deux jours plus tôt, je lisais un courrier de Paul Tassel qui racontait à son épouse le plaisir qu’il a eu de rencontrer Hamilton. Ce nom m’a intrigué, aussi j’ai immédiatement consulté ce blog et j’ai ainsi découvert que Paul Hamilton venait d’être affecté au 4e  BCP. M’apercevant que ces deux Paul se connaissaient, j’ai pris aussitôt contact avec son arrière-petit-fils Ronan Chaussepied, auteur de ce blog, qui m’a rapidement répondu en m’expliquant les liens d’amitié entre ces deux officiers. Ensuite, il m’a aimablement communiqué tous les courriers échangés entre ces camarades. Le général Emile-Pierre Zimmer, qui commandait la 20e  DI du 13 octobre 1907 au 1er  octobre 1910 dont l’état-major se trouvait à Saint-Servan avait deux filles : Anne-Marie et Louisa. Paul et Marie-Thérèse Tassel ont donc fait leur connaissance avant de rencontrer Paul Hamilton, qui n’avait épousé Louisa Zimmer que fin 1910. Les deux Paul ont d’emblée sympathisé. Avant la guerre, Paul Hamilton était affecté au 15e  BCP, l’ancien bataillon de Paul Tassel et en décembre 1914, Paul Hamilton est muté au 4e  BCP, où il retrouve avec émotion son camarade Paul Tassel. Le journal de Paul Hamel Ce document confié par Guy Hamel est intitulé : « Mon journal 31 juillet 1914 – 14 juillet 1919 Pour mes enfants et mes petits-enfants ». Il a été rédigé par Paul Hamel, père de Marie-Thérèse Tassel. Il commente en particulier la situation politique, internationale et militaire de la France en guerre, Mais ce qui nous inté- resse ici, ce sont toutes les informations concernant tous les membres de la famille, qu’ils soient au front ou à l’arrière, notamment celles qui se rapportent à Paul Tassel, son gendre. L’étude de tous ces documents accroît notre connaissance non seulement du temps fort vécu par Paul Tassel durant les cinquante-deux mois de la Grande Guerre mais aussi celle de tout son parcours militaire depuis Saint-Cyr, en 1898, jusqu’à sa retraite définitive en juillet 1940.
  • 14.
  • 15. Première partie De 1900 à la veille de la Grande Guerre
  • 16. — 12 — La situation familiale de Paul Tassel Paul Tassel est né le 8 novembre 1877 à Chaumont (Haute-Marne). Il est le fils de Pierre-Justin Tassel et de Pauline Poussard (1856-1941). Son père, Pierre-Justin Tassel (1842-1884), fils de Victor- Alexandre Tassel (1809-1856), était commis de fabrique et avait épousé Léonie Lemaître à Caudebec-Elbeuf, le 24 octobre 1840. Pierre-Justin Tassel, marchand de nouveautés et négociant à Chaumont (Haute-Marne), avait épousé Pauline Poussard dite PBM (Petite Bonne Maman). À sa mort, en 1884 (Paul Tassel n’avait que sept ans), Pauline Poussard a quitté Chaumont pour s’instal- ler à Paris, rue du Montparnasse, juste en face du collège Stanislas. Paul Tassel a donc passé toute sa jeunesse à Paris. Coïncidence amusante : mon frère Jacques a vécu au 15, rue du Montparnasse, au 4e  étage de 1985 à 2000. À l’occasion d’une réunion familiale à la fin des années 1980, Jean Tassel, malgré sa vue déclinante, a reconnu l’immeuble des Tassel... Paul Tassel a un frère Pierre-Ernest Tassel, né le 11 novembre 1880, « Mort pour la France » à 35 ans, le 8 septembre 1916 à Verdun (et non le 6 septembre, comme on peut le lire dans l’Histoire généalogique et anecdotique de la famille Morane). Agent de change et capitaine de réserve au 315e  RI, il avait épousé Anne-Marie Maillot, avec qui il a eu quatre enfants : Xavier, Odile, Jacques et Michel. Paul Tassel épouse Marie-Thérèse Hamel le 26 octobre 1903. Pour permettre une meilleure compréhension des documents présentés, voici les symboles que j’ai adoptés : Les textes commençant pas ces symboles sont : : Le carnet de route de Paul Tassel entre août 1914 et janvier 1915 ; : Les lettres de Paul Tassel ; : Les extraits de documents divers : journal de guerre de Paul Hamel, lettres de Paul Hamilton, JMO (Journaux de marche et des opérations de diffé- rentes unités militaires) ou historiques de corps de troupe (4e  BCP, 201e  RI). Les mots en italique et entre crochets sont des commentaires de ma part. Les mots, parfois illisibles, sont indiqués entre crochets et terminés par un point d’interrogation. Enfin, des mots écrits entre crochets et suivis d’un point d’interrogation sont des mots dont la transcription est douteuse. Paul Tassel, enfant.
  • 17. — 13 — La famille Hamel Marie-Thérèse Hamel, née le 3 novembre 1882 à Paris, est la fille de Paul-Marie-Jean-Étienne Hamel, né le 5 avril 1852, décédé en 1941. Paul Hamel est le fils de Charles Hamel (1823-1916) et de Clotilde Picque, (1827-1919). Il était avocat à la Cour d’appel de Paris, membre du Conseil de l’ordre, chevalier de la Légion d’honneur et avait épousé Amélie Martin de Gibergues. Marie-Thérèse Hamel a dix frères et sœurs :  Charles Hamel, (1880-1937), agréé au Tribunal de commerce de Paris, a épousé Thérèse Terrat et a eu six enfants : André, Georges, Élisabeth, Bernadette, Michel, Monique. Emmanuel Hamel, né le 7 octobre 1881 à Paris, brillant élève de l’École normale supé- rieure (Lettres), décédé prématurément le 14 juillet 1902 des suites d’une appendicite.  André Hamel, né le 9 mai 1884, décédé le 2 décembre 1903.  Jean-Pierre-Marie-Paul Hamel, né le 14 janvier 1886 à Paris 6e , officier de l’infanterie coloniale, revenu en France pour la Grande Guerre. Fiancé le 8 juil- let 1914 à Madeleine Piot, il est blessé mortellement dès le 22 août 1914 à Neufchâteau (Belgique). Son corps, malgré de nombreuses recherches, n’a jamais été retrouvé.  Étienne-Anthelme-Marie-Paul Hamel, né le 13 août 1887 à Fontainebleau, a épousé Mathilde Nodet le 8 juillet 1914. Il était caporal au 67e  régiment d’infanterie. Il est décédé des suites de ses blessures de guerre à Mouilly, à côté de Saint-Rémy (Meuse) le 24 septembre 1914 et est enterré à Woël, petit village en plaine de Woëvre, à l’est de Verdun.  Élizabeth Hamel, née le 9 mai 1890, décédée le 5 février 1898.  Paul-Marie-Georges Hamel (dit Doudoux) (1893-1971), très gravement blessé à Verdun en avril 1916, reçut la Médaille militaire et la Croix de guerre. Nommé avoué près le Tribunal civil de la Seine en 1924, il devint ensuite juge au Tribunal civil de Montargis en 1949 et fut nommé à ce titre, chevalier de la Légion d’honneur. Il avait épousé, le 3 mars 1919, Marguerite Piot avec qui il a eu sept enfants : Hélène, Emmanuel, Marie-Clotilde, Étienne, Gérard, Geneviève, Guy. Emmanuel Hamel, décédé en 2003, a été référendaire à la Cour des comptes, puis député et sénateur du Rhône. En 1944, il s’est engagé, comme son jeune frère, Étienne (2e  DB du général Leclerc), dans la première armée du général de Lattre à la Libération de Paris et a été blessé en 1944, à Masevaux, en allant chercher un camarade blessé, ce qui lui valut la Croix de guerre, et sa Légion d’honneur qu’il obtint ensuite à titre Paul Hamel. Marie-Thérèse Hamel.
  • 18. — 14 — civil avant d’être élu député. Gérard Hamel est moine bénédictin. Guy Hamel, avocat au Barreau de Paris et élu membre du Conseil de l’ordre en 1976 (70 ans après son grand- père), m’a donné de nombreux et précieux renseignements sur la famille Hamel.  Pierre Hamel, né le 8 février 1898 (décédé en 19 ??), arbitre au Tribunal de commerce de Paris, a eu trois enfants : Bernard, Yves, Dominique.  Maurice Hamel, né le 30 juillet 1899 (décédé en 19 ??), agréé au Tribunal de commerce de Rouen, a eu quatre enfants : François, Marie-Odile, Xavier, Christian.  Louis Hamel, né le 18 janvier 1902 (décédé en 19 ??), a eu deux enfants : Jean, Jacques. Quelques précisions sur la famille Martin de Gibergues Pierre Martin de Gibergues (1792-1848), propriétaire du domaine familial « la Recluse » à Billom, a épousé Amélie Vignon, décédée en 1829 à la naissance d’Anthelme Martin de Gibergues. Anthelme Martin de Gibergues (1828-1904) épouse en 1849, sa petite cousine, Félicie Lemoine, et donne naissance à quatre enfants :  Pierre Martin de Gibergues, (1853-1928), épouse Geneviève Fortoul d’où sept enfants : – Marie (1886-1972), religieuse au Sacré Cœur, – Claire (1887-1909), épouse en 1908 René Lorne (né en 1883 à Sens). Claire décède en 1909 à la naissance de son fils Pierre. René Lorne, se remarie en 1912 avec Mlle Picard, et a deux enfants. René Lorne, sous-lieutenant au 74e  RI, est mort au « champ d’hon- neur », le 23 juin 1915, à Neuville-Saint-Vaast (Pas-de-Calais). – Anthelme, (1889-1917), ancien élève à Polytechnique, licencié en droit, décède en com- bat aérien, le 5 mai 1917, dans la région du ravin d’Ostel (Aisne). – Amélie, (1890-1941), religieuse du Sacré-Cœur. – Charles, (1892-1914), licencié en droit et en sciences politiques, tué au Chêne, près de Montmirail, le 8 septembre 1914 (et non le 6 août à Gourgivaux comme l’indique sa fiche individuelle officielle avec cependant cette précision « jugement déclaratif »). – Paul, (1895-1953), religieux. – Cécile, (1898-1957), a épousé Paul Cordonnier le 22 novembre 1919. Leur fils, Louis Cordonnier de Gibergues, est l’auteur de toutes ces précisions sur la famille Martin de Gibergues.  Emmanuel (1855-1919), fondateur et ancien supérieur des Missions diocésaines à Paris, évêque de Valence.  Amélie Martin de Gibergues (1858) épouse en 1879 Paul Hamel et a eu onze enfants (branche détaillée précédemment) : – Charles, Emmanuel, Marie-Thérèse (épouse de Paul Tassel), André, Jean, Étienne, Élizabeth, Paul, Pierre, Maurice, Louis.  Marie (1865) épouse en 1889 Georges Callon, ingénieur puis inspecteur général des Ponts et Chaussées. Ils ont eu quatre enfants : – Emmanuel Callon, licencié en droit et en sciences politiques, sous-lieutenant au 48e  RI, porté disparu à Bailleul, (Pas-de-Calais) le 9 mai 1915. – Louise (1891) épouse en 1910 René Delacommune, « mort au champ d’honneur » le 19 novembre 1914 à Hébuterne (Pas-de-Calais).
  • 19. — 15 — – André (1893), vicaire à Saint-Honoré d’Eylau (Paris 16e ) puis curé de la première église bâtie par les Chantiers du cardinal, Saint-Stanislas des Blagis en banlieue parisienne. – Georges (1894), lieutenant d’infanterie. Georges Callon, d’un premier mariage, est père de Jeanne Callon, mariée au capitaine Canuel (six enfants) et de Pierre, prêtre à l’église de Saint-Sulpice, professeur au Grand séminaire. À Saint-Cyr Paul Tassel fait ses études au Lycée Stanislas de Paris. Choisissant la carrière militaire à l’issue de sa scolarité, il intègre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, près de Versailles, en 1898. Auparavant, en 1897, il passe avec succès des examens d’équitation à la Société hippique française, pratique sportive indispensable à Saint-Cyr. Cette école s’y est installée en 1808 sur ordre de Napoléon, en provenance de Fontainebleau où se tenait l’École spéciale militaire créée en 1802. Paul Tassel en sort en 1900 comme sous-lieutenant. Sa promotion est la 83e  promotion de l’école et prend le nom de « promotion Marchand ». Le capitaine Marchand dirigeait l’expédition française qui, arrivant à Fachoda, sur le Nil le 10 juillet 1898, a provoqué un grave incident diploma- tique entre la France et l’Angleterre. La promotion Marchand comprend 583 élèves dont 165 vont tomber durant la Grande Guerre. Quelques précisions sur la formation prodiguée à Saint-Cyr. Les études durent deux ans et comportent un enseignement général qui est axé sur l’histoire et la géographie et un ensei- gnement militaire théorique et pratique : service en campagne, tactique, école du soldat, tir, équitation, escrime, gymnastique et exercices tactiques sur le terrain jusqu’au niveau de la compagnie. En outre, on apprend au futur officier à dessiner afin de réaliser soit un croquis panoramique soit une carte géographique simplifiée. L’élève dispose d’un équipement complet jusqu’au linge de rechange. Il est même doté de couverts en argent y compris le rond de serviette. Enfin, il reçoit un manuel de savoir-vivre. La médaille d’examens d’équitation. Paul Tassel à Saint-Cyr en 1898.
  • 20. — 16 — Paul Tassel effectue des études bril- lantes au sein de l’école et ses notes finales en témoignent. Seul bémol : le général Goujat, commandant l’école, estime « qu’il a malheureusement un organe de commandement (manque de puissance dans la voix) qu’il fait corriger ». Son capitaine le note ainsi : « D’un caractère franc et froid, très intelligent, parfaitement soigné, parfaite conduite, tenue très bril- lante, excellent esprit militaire, d’un physique agréable, très bon instruc- teur, d’attitude très militaire, zélé et travailleur, fait preuve d’autorité, très apte à la marche, d’une grande énergie, et enfin très résistant à la fatigue » : telles sont les notes attri- buées par son capitaine. Paul Tassel est très bien classé (48e sur 552), ce qui lui permet de choisir aisément son affectation en optant pour l’in- fanterie et notamment les chasseurs à pied, au 15e  BCP (bataillon de chasseurs à pied) de Remiremont, dans les Vosges. Il rejoint sa garnison, le 1er  octobre 1902 comme sous-lieutenant. Au 15e  BCP (bataillon de chasseurs à pied) Un rappel s’impose sur la composition des différentes unités de l’armée française.  Un corps d’armée (CA) est composé de deux divisions avec un régiment de cavalerie, des éléments du génie et d’un service de santé soit environ 40 000 hommes.  Une division (DI) réunissant 15 500 hommes, élément tactique de base, est composée de deux brigades soit quatre régiments (ou quatre à six bataillons de chasseurs).  Une brigade comporte deux régiments ou deux à trois bataillons de chasseurs.  Un régiment (RI), c’est 120 officiers et 3 250 hommes, articulé en trois bataillons.  Un bataillon de chasseurs à pied, c’est environ 1 600 hommes répartis en six compagnies et une section de mitrailleuses. Si les dix premiers bataillons de chasseurs ont été créés le 28 septembre 1840, les dix suivants le furent, après l’excellente tenue de ces unités d’infan- terie légère en Algérie, par un décret du 22 novembre 1853. À la veille de la guerre de 1914-1918, on compte 30 bataillons de chasseurs. Il existe des bataillons de chasseurs à pied (BCP) et quelques bataillons alpins de chasseurs à pied (BACP), à vocation alpine.  Une compagnie est articulée en quatre sections, soit 256 hommes.  Une section (64 combattants) est commandée par un lieutenant ou un sous-lieutenant. Elle est articulée en deux demi-sections. Chaque demi-section est composée de deux escouades, l’escouade étant commandée par un caporal, soit 16 hommes. Notes finales de Paul Tassel à Saint-Cyr.
  • 21. — 17 — Le 15e  BCP est en garni- son à Saint-Étienne-lès- Remiremont depuis le 21 novembre 1883. Auparavant ce bataillon était en Afrique du Nord et il a été désigné pour prendre garnison à Sedan à partir de son débar- quement à Marseille le 22 octobre 1880. En 1888, il n’est composé que de 22 offi- ciers et de 771 hommes. En 1900, ce bataillon fait partie de la 81e  brigade d’infanterie dont l’état-major est implanté à Remiremont. Cette brigade d’infanterie appartient à la 41e  division (état-major à Remiremont) et dépend du 7e  corps d’armée (Besançon). Au 15e  BCP, le sous-lieutenant Tassel commande une section. Fin 1901, il « a fait avec entrain les marches-manœuvres de 22 jours dans les Vosges ». Au premier semestre de 1902, il est chargé de l’instruction des caporaux. Le 1er  octobre 1902, il est nommé lieutenant. Au 2e  semestre de 1903, il a demandé « l’autorisation de contrac- ter mariage », autorisation aussitôt accordée. Et le 26 octobre 1903, il épouse Marie-Thérèse Hamel. Le 7 août 1904, Jean Tassel naît à Remiremont. Il est sou- vent appelé « le Minet » par ses parents. Paul Tassel est apprécié de son chef de corps, le comman- dant Bonnefoy. Fin 1904, il est noté comme étant un « jeune officier très sérieux à tous points de vue. Cherche à compléter son instruction tactique en prenant part, avec d’autres officiers du bataillon, à des séances faculta- tives de jeu de la guerre ». Au premier semestre de 1906, « M. Tassel continue à servir avec zèle, conscience et assiduité. A beaucoup de coup d’œil sur le terrain ; très bonne instruction tactique. A demandé à concourir pour l’École de guerre, aura des plus grandes chances de réussir ». Effectivement, tout en commandant sa section, il prépare sérieu- sement le difficile concours d’entrée à l’École supérieure de guerre (appelée communément École de guerre), passage obligé pour tout saint-cyrien, dési- rant poursuivre une belle carrière. Le 13 juin 1906, au domicile familial, faubourg du Val d’Ajol à Remiremont, est né François Tassel appelé plus tard « le nègre ». Mon père avait le teint plutôt basané. On pouvait penser que cela était dû à sa profession puisqu’il était ingénieur des Eaux et Forêts. L’était-il déjà quand il était jeune d’où cette surprenante appellation ? C’est une hypothèse ! Les fiancés : Paul Tassel et Marie-Thérèse Hamel.
  • 22. — 18 — À l’École de guerre Paul Tassel, lieutenant au 15e  BCP de Remiremont jusqu’au 1er  octobre 1906, est reçu à l’École supérieure de guerre, classé 90e sur environ 100 élèves. L’École de guerre est depuis son origine installée à l’École militaire à Paris et elle s’y trouve toujours en 2014. Elle a été créée en 1877, par le général Jules Lewal, à la suite du désastre de la guerre de 1870-1871. Cet établissement parisien est un véritable tremplin pour les carrières des officiers. C’est éga- lement un remarquable laboratoire d’élaboration des doctrines. Il faut avoir au moins cinq années de service et posséder le grade de lieutenant ou celui de capitaine pour se présenter au concours d’entrée. Chaque promotion compte moins d’une centaine d’élèves (70 à 80 en moyenne). Toutes les disciplines intellectuelles et militaires abordées lors des précédentes scola- rités sont approfondies. Des voyages d’étude sont organisés sur les frontières, sur les champs de bataille, dans divers états-majors, dans des établissements militaires (hôpitaux, arsenaux, etc.). Nanti de son expérience du métier acquise auparavant et désormais doté d’une solide culture en histoire militaire et en travaux d’état-major, l’élève doit pouvoir être employé partout où est nécessaire une connaissance complète et globale de l’armée. La scolarité dure deux ans. Les lauréats de l’examen de sortie forment une caste à part : celle des « brevetés ». Ils sont affectés dans des états-majors et bénéficient d’un avancement plus rapide que leurs anciens camarades non brevetés. Avant de suivre les cours à l’École militaire, Paul Tassel, commence sa formation par un stage de trois mois dans l’artillerie puis il effectue un second stage de trois autres mois dans la cavalerie. Il est breveté à la sortie de l’École de guerre en octobre 1908. Entré 90e , il sort à la 62e  place, avec la mention « Bien », cette progression étant particulièrement remarquable. Il poursuit son perfectionnement comme officier d’état-major dans le but d’être titularisé. Il est stagiaire au 65e  RI à Nantes, puis à l’état-major de la 20e  division d’infanterie à Saint-Servan, jusqu’en octobre 1910 ; ce stage lui permet d’approfondir ses connaissances quant au travail d’un offi- cier au sein d’un état-major. Geneviève-Marie-Thérèse-Clotilde Tassel naît le 2 juillet 1908 et décède le 24 juin 1909 à Saint-Servan. Paul Tassel continue son stage à l’état-major de la 20e  division à Chambéry et dans l’artillerie, au 10e  régiment d’artillerie à Rennes, du 11 juin au 10 juillet 1909. Durant ce dernier stage, Paul Tassel a même commandé une batterie lors d’une campagne de tirs. En 1910, il est toujours à l’état-major de la 20e  DI et ce jusqu’au mois d’octobre 1910. Afin d’être déclaré titulaire, il effectue également un séjour dans la cavalerie au 24e  régiment de dra- gons, au quartier Duguesclin de Dinan où il commande un peloton de cavalerie.
  • 23. — 19 — À Saint-Servan en Bretagne, à l’état-major de la 40e  brigade d’infanterie Le 28 septembre 1910, après ces nombreux stages, titularisé enfin officier d’état-major, il est affecté à la 40e  brigade d’infanterie dépendant de la 19e  DI et du 10e  corps d’armée (état-major à Rennes). Cette brigade d’infanterie se compose du 2e  RI de Granville et du 47e  RI de Saint- Malo et son état-major est implanté à Saint-Servan. Il y reste deux ans jusqu’en 1912. Les Tassel résident à Saint-Servan, qui jouxte Saint-Malo où ils mènent une vie de garnison très agréable. Au cercle de garnison, les officiers de l’état-major côtoient ceux des régiments. Ainsi en 1911, Paul Tassel se lie d’amitié avec le jeune lieutenant Paul Hamilton affecté au 47e  RI. Paul Hamilton est aussi un ancien saint-cyrien (1903-1905) de la promotion « La Tour d’Au- vergne ». Ils jouent ensemble au bridge et montent à cheval. Les épouses se connaissent... En 1911, Paul Tassel est noté ainsi par le général commandant la 40e  brigade : « Excellent officier qui, depuis qu’il est à l’état-major de la 40e  brigade, a déjà donné la preuve de ses très belles et sérieuses qualités. Très intelligent, plein de zèle et d’entrain, très consciencieux, ayant l’esprit ouvert, pondéré et clair, il voit vite et juste. Énergique, rigoureux, instruit et tra- vailleur, il ne marchande pas sa peine. Il a le travail facile et sûr. Jugement très droit. Sentiment élevé du devoir. Éducation parfaite. Caractère froid, agréable, sérieux, réservé et franc. Nature modeste et très sympathique. Tenue soignée et correcte. Attitude militaire. Officier de réelle valeur, servant avec un entier dévouement, et digne de la plus grande confiance. Monte bien à cheval et vigoureuse- ment. Très apte à rendre les meilleurs services dans un état-major. Par son ancienneté de grade, son excellente manière de servir et l’ensemble de ses belles qualités, mérite plei- nement d’être porté au choix pour capitaine au prochain tableau d’avancement. Signé Ravenez. » Cette même année, à l’éche- lon de la division, le général Lanrezac, le classe premier sur les trente-deux candidats qu’il veut promouvoir au grade de capitaine, ce qui témoigne de l’excellence de ses notes. Le général Lyautey, son supérieur direct, l’inscrit aussi premier sur soixante-douze officiers à noter. Le 14 décembre 1912, Marie-Hélène Tassel (dite « Rilène ») naît à Saint-Malo.
  • 24. — 20 — Au 4e  BCP Le 23 décembre 1912, le capitaine Paul Tassel est affecté à Saint-Nicolas-de- Port au 4e  BCP, à l’est de Nancy. La famille y loue un appartement. Le 4e  BCP, qui fait partie des 30 bataillons de chasseurs de l’infanterie française, est un bataillon composé de 33 offi- ciers, de 1 667 sous-officiers et hommes de troupe et de 140 chevaux. Il est articulé en cinq compagnies, plus une section hors-rang (SHR), section chargée de l’administration, de l’intendance et de la logistique et d’une section de mitrailleuses. Paul Tassel commande la cin- quième compagnie. Le bataillon est commandé par le chef de bataillon Lacapelle. Le 4e  BCP appartient à la 21e  brigade d’infanterie et à la 11e  DI du 20e  corps d’armée. Ce corps d’armée est réputé dans toute la France comme étant l’élite de l’armée française, composé essentielle- ment de Lorrains, reconnus comme étant d’excellents soldats. Le 3 avril 1913, un zeppelin (dirigeable allemand) atterrit sur le terrain de manœuvres de Lunéville (à l’est de Saint-Nicolas-de-Port) alors que des troupes françaises y sont passées en revue. La population locale puis nationale est exci- tée. L’idée d’une guerre de revanche contre l’Allemagne est cette fois-ci franchement évoquée... Le 8 juillet 1913, Paul Tassel écrit une lettre à son cama- rade Paul Hamilton du 47e  RI, resté à Saint-Malo.
  • 25. — 21 —  Lettre du 8 juillet 1913 de Paul Tassel répondant à un courrier de Paul Hamilton (Collection Ronan Chaussepied) : « Mon cher Hamilton, Votre aimable et intéressante lettre m’a fait le plus grand plaisir, je vous en remercie vivement, et vous invite à récidiver quand vous aurez des loisirs ; j’en serai heureux, et nous conserverons ainsi nos bonnes relations, en attendant de nous retrouver quelque jour. Votre « incitation » Roob, contée de façon humoristique me fait un peu sourire, sans pose de ma part ; puisque les camarades y ayant participé en étaient tout fiers, c’est que ces petits exer- cices sont très sains pour le corps et l’esprit. Voulez-vous, en me rappelant au bon souvenir du chic commandant Roob, lui adresser sans réserve mes compliments respectueux. Si j’ai mis à vous répondre plus de temps que je n’aurai voulu, c’est que je suis fort occupé par les détails quotidiens de la vie de ma belle compagnie ; assez privé de sommeil la nuit pour la commencer de bonne heure ; enfin, nous venons de passer une semaine au joli camp de Bois l’Evêque, près de Toul, pour les tirs de guerre et, sans faire aucun bridge, je n’y ai trouvé aucun instant pour mettre à jour ma correspondance. Vous me demandez l’état d’esprit de mes chasseurs : le voici dans un fait vécu. J’ai mené ma compagnie (non de 77 hommes mais de 138 sur un effectif de 150 hommes du service armé) au monument des Francs-tireurs de Fontenoy [photo ci-contre]. Amphi. par moi sur l’his- torique des événements et laïus épatant, au pied du monument par le lieutenant commandant la section de mitrailleuses qui nous accompagnait : honneurs au monument (ça claquait), sonnerie au drapeau avec mes sept clairons, défilé et repas dans le village avec interview des habitants. Les chasseurs, absolument d’eux-mêmes, avaient cueilli, pendant la route à travers les champs fleu- ris, un nombre estimable de bouquets, qu’ils ont déposés au pied du monument. Quant aux trois officiers pré- sents, ils ont reçu chacun, des mêmes mains, un gros bouquet tricolore fait de bleuets, pâque- rettes et coquelicots. Inutile de vous dire que nous avons été émus de cette bonne pensée : je suis maintenant un peu moins jaloux de Verly, qui détient tous les records dans ce genre de manifestations spontanées. Quel est d’autre part, mon sentiment sur les chasseurs ? C’est que leurs officiers sont tous [mot souligné deux fois] d’un allant admirable (je ne parle pas des capitaines, dont cinq com- mandants de compagnie sur six sont actuellement brevetés, je serai le plus ancien des six en octobre) grâce auquel le reste passe ; car les cadres du service de deux ans sont assez moches (je n’ai comme homme de troupe que ceux de trois ans), et il faut se multiplier pour obtenir un chic suffisant, avec une instruction très quelconque, mais un entraînement et un entrain poussés jusqu’à la limite. L’esprit est très bon (pas meilleur certes que chez vos Bretons), malgré un service très pénible : manœuvre au pas gymnastique avec le chargement toujours complet, départs à 2 ou 3 h du matin plusieurs fois par semaine, etc. Bref ! Ce que vous avez connu à Saint-Mihiel : je n’insiste pas. Personne n’a bougé au 4e . Bien entendu, nous vivons assez avec nos hommes, dans ce petit trou, pour bien les connaître, et les quelques Parisiens douteux se tiennent cois.
  • 26. — 22 — Quant aux incidents de Toul, vous les jugerez à distance comme il convient. [Paul Tassel fait allusion aux incidents du 18 mai 1913 où 300 à 500 conscrits du 153e  RI de Toul tentent de manifester (jeunes gens difficilement maîtrisés par la gendarmerie) contre l’adoption de la loi devant prolonger le service militaire d’un an, loi finalement adoptée en août. Cette loi mécontente la classe ouvrière y compris la paysannerie dont les fils vont manquer aux champs, une année de plus]. Ils ont été cependant plus graves qu’on ne le dit. Je sais de source sûre que trop d’officiers de cette division n’étaient pas à la hauteur, se tenant éloignés de leurs hommes, manquant de fanatisme ou de tenue, ignorant ce qui se préparait. Or, il n’y a pas de fumée sans feu. Il est certain d’autre part que la propagande antimilitariste n’est pas à négliger ; rien ne servirait de nier pour s’illusionner ; j’ai dans ma compagnie cinq ou six cochons, que j’ai d’ailleurs avertis, et dont la place n’est pas dans une troupe de couverture à 20 kilomètres de la frontière [la mission de couverture consiste à surveiller les zones autres que celle de l’objectif principal]. Ces gens-là marcheraient-ils ? Qui vivra verra ! Moi, j’en suis per- suadé. Faites attention, sapristi, à votre précieuse personne : vous êtes un bon père de famille, que diable ! Offrez-vous de-ci de-là une adroite petite chute de cheval, mais risquer de se tuer à Joinville [école où les moniteurs de sport sont formés] en faisant le clown, quelle imprudence. Je vous souhaite une place d’instructeur à Saint-Cyr en septembre. Si le directeur de l’infanterie est sorti 1er de Saint-Cyr (sergent-major en tout cas), il n’a pas eu un aussi bon numéro de sor- tie à l’École de guerre où il passa comme un météore à titre de professeur non breveté. Nous pensons souvent, non sans mélancolie, à notre bon temps et à nos excellents amis de Saint-Malo. S’il n’y avait pas ici le point de vue militaire, que d’amers regrets. Ma femme ne s’amuse ni ne s’ennuie : elle se contente de vivre sa vie, sans penser à autre chose qu’à ses mioches et à l’entretien des nippes de son époux qui use bougrement. ... Ne viendrez-vous pas à Paris du 20 juillet au 15 août ? Si oui, faites-moi signe, j’y serai en permission. Présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à madame Hamilton. Je vous serre cordia- lement la main. Paul Tassel » « Mon meilleur souvenir à tous les camarades : je ne cite aucun nom (à part Verly, et ce pares- seux de Toussaint) de crainte d’oublier quelqu’un. Que dites-vous du beau Martinet ? »  Nouvelle lettre du 4 octobre 1913 de Paul Tassel adressée à Paul Hamilton (Collection Ronan Chaussepied) : « Mon cher Hamilton, Excusez-moi de ne pas avoir répondu plus tôt, je rentre de permission, avec pas mal de travail (car j’aurai le 10 octobre, en attendant la formation de la 6e  compagnie, 270 hommes à l’ef- fectif). J’ai employé Avril [entreprise Avril] pour mon déménagement : il ne m’a pas satisfait, je vous autorise à le lui dire, après moi, mais les autres boivent, perdent du temps ; de sorte que mon wagon a été terminé à la nuit, en hâte, et c’est miracle qu’il n’y ait que peu de dégâts (j’ai évalué à 60 Francs : un ou deux bris, des éraflures, et de la vaisselle cassée par mauvais emballage). Ils étaient donc en partie responsables, et m’ont envoyé promener ; par bonheur, j’avais réservé le pourboire, et j’ai pu ainsi me venger, en les traitant d’autre part de maison peu scrupuleuse. Je ne sais si vous trouverez mieux à Saint-Malo ; après tout, ce ne fut pas un désastre. Mon mobilier a tenu dans un grand wagon, plus quelques colis à part. Tâchez de n’avoir qu’un wagon, mais archi-plein, et le transport ne vous coûtera rien ; car on le taxera sans le peser au
  • 27. — 23 — poids de 4 000 kilos, pour lequel vous aurez droit au transport gratuit. Avril m’avait demandé 60 Francs à forfait ; son correspondant de Nancy, qui est bien, le même prix. En tout, j’ai dépensé 390 Francs, dont il faut défalquer 80 Francs d’indemnité et le rembour- sement des 4 000 kilos, dont je ne me rappelle plus. Je vous engage donc à prendre un wagon, et non un cadre : en gros, vous ne devrez dépenser que 120 à 150 Francs. Nous avions entouré tous nos petits meubles de papier ou petites bandes d’étoffe cousues ou ficelées ; cartons sur le dessus en cas de pluie et aux angles. Quelques petites meubles ou glaces dans des caisses (c’est cher et plus ou moins utile). C’est assez long mais indispensable. Vous savez d’autre part que le voyage ne coûte rien : l’Intendance vous paye une demi-place. Vous demandez (modèle réglementaire) une demi-place en comprenant une nourrice, si vous emmenez une bonne, qui ne fait ainsi qu’une demi-place. Je ne connais personne à qui vous recommander. Le meilleur piston est celui d’un officier du ministère, un brave capitaine qui y soit à un titre quelconque et puisse veiller au grain au der- nier moment. J’ajouterai cependant ceci : j’étais à l’École de guerre avec un capitaine, aujourd’hui com- mandant, que je connais assez peu, et qui est officier d’ordonnance du ministre. Si vous me le demandez, je suis prêt à lui écrire, sans savoir quel compte il tiendra de ma lettre : voyez, et n’utilisez ce moyen que si vous n’avez pas trouvé mieux, je n’ai pas confiance. Nos manœuvres à nous ont été très pénibles ; leur seul intérêt a été de constater la solidité, l’entrain et le bon esprit de nos chasseurs. La manœuvre, idiote : le pas de course, des dogues cherchant à qui mordrait le premier. On dit que le général Foch veut changer tout cela ; y parviendra-t-il ? J’ai lu votre programme d’épreuves physiques. J’emploie dans ma compagnie le barème de Joinville [l’École normale de gymnastique et d’escrime de Joinville formant des moniteurs militaires de sport a été créée en 1852 dans une redoute de la Faisanderie, un ouvrage des fortifications de Saint-Maur], qui nous a été donné l’an dernier à Nancy par un conférencier de l’école. Très partisan de pousser les exercices physiques, je trouve cependant que vous risquez par cette série d’épreuves rendues éliminatoires de vous priver de quelques bons gradés ; et aussi que la pratique des sports athlétiques (cross, etc.) prend bien du temps ; il est vrai qu’en ce qui concerne cette dernière observation, la portée n’est pas la même dans l’Est ou à Saint-Malo où il vaut mieux faire trop de sport que du terrain de Marville ou des placements répétés de petits postes (je n’ai pas fait, cette année, un seul exercice d’avant-poste, autrement qu’en exercice de cadres), la sentinelle étant instruite, bien entendu. Bref, je vous approuve de vouloir secouer le 47e avec vos exercices physiques. Ici, nous en ferons beaucoup, mais rondement, et sans trop fignoler, faute de temps à perdre. Bravo pour votre rapport. Il m’a énormément amusé. Je suis très content de la perspective de vous revoir bientôt dans nos parages : ils sont très sains. L’air des Vosges, comme celui de Nancy, réussira fort bien à vos charmantes filles. Remiremont est épatant et Bussang aussi (sauf les chefs de bataillon !). Saint-Dié et Gérardmer, très bien. L’une quelconque de ces garnisons vous irait très bien. Mais n’espérez pas de choix dans l’Est, dans la troupe. La vie n’est pas sensiblement plus chère ici qu’à Saint-Malo ; vous toucherez d’ailleurs un Franc de plus par jour. Tous les miens vont bien. Saint-Nicolas toujours pas gai, mais je m’y plais beaucoup. Le 4e  BCP est un bon bataillon (je suis actuellement le plus ancien des cinq capitaines brevetés comman- dants de compagnie). Il y a des places de lieutenant, c’est sûr ! Ma femme envoie son meilleur souvenir à madame Hamilton, à qui vous voudrez bien présen- ter mes hommages respectueux. À vous, bien cordialement. Signé Tassel »
  • 28. — 24 —  Lettre du lieutenant Schaefer adressé au lieutenant Hamilton lui donnant des « tuyaux » sur le 15e  BCP (Collection Ronan Chaussepied) : « Bussang, le 14 novembre 1913 Mon cher camarade, Comme vous le voyez, je suis de ces heureux qui sont à Bussang [annexe de la garni- son du 15e  BCP de Remiremont avec deux compagnies, Bussang se trouvant en pleine forêt des Vosges, à 25 km au sud-est de Remiremont] et bien que je ne puisse par cela même vous tuyauter beaucoup, je m’em- presse de vous répondre. J’ai en effet reçu un mot du capi- taine Tassel à votre sujet ; j’ai conservé de lui un excellent souvenir et du moment qu’il vous a recommandé à moi, c’est tout dire. Tout d’abord, admirant votre optimisme de néophyte chasseur, je vous en félicite. Toutefois, je me fais un devoir de vous dire que le vieux 15e n’existe plus. Je suis un des rares survivants qui ont cherché à en conserver l’esprit. Je ne dis pas cela pour me vanter mais pour vous mettre en garde car la camaraderie n’existe plus... Signé Schaefer » Les casernes du 15e  BCP à Bussang (Vosges). Paul et Marie-Thérèse Tassel et les deux aînés : Jean à droite et François. Le lieutenant Tassel est en tenue de cavalier. Sur sa vareuse, on distingue nettement sur le col les insignes d’état-major. (Photo prise à Saint-Servan dans les années 1910).
  • 29. Deuxième partie Durant la guerre de 1914 à 1918
  • 30. — 26 — 1914 Après l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et son épouse le 28 juin 1914 à Sarajevo en Bosnie-Herzégovine par un étudiant serbe, les nationalismes politiques ou éco- nomiques, les conséquences de la poudrière des Balkans, le jeu des alliances (la « Triplice » réunissant l’empire allemand, l’empire austro-hongrois et l’empire ottoman, contre la « Triple Entente » rassemblant l’Angleterre, la Russie et la France) sont les causes essentielles du déclen- chement de la première guerre mondiale. En outre, l’esprit de revanche envers l’Allemagne est présent. La France tient à récupérer l’Alsace et la Lorraine. Le 1er  août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. La France décrète la mobilisation qui commence le 2 août. C’est le branle-bas général. Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et l’Angleterre soutient la France en décla- rant la guerre à l’Allemagne le 4 août. En juillet 1914, Paul Tassel a 37 ans. Son épouse Marie-Thérèse est âgée de 32 ans. Jean a dix ans, François huit, Alain quatre, et Marie-Hélène deux. Bernard, le petit dernier vient juste de naître le 2 juillet 1914 à Saint-Nicolas-de-Port. Le front étant à peine à 20 km plus à l’est, Marie-Thèrèse Tassel et ses cinq enfants quittent précipitamment Saint-Nicolas-de-Port dès le 31 juillet 1914. Ce même jour, le capitaine Paul Tassel, commandant toujours la 5e  compagnie du 4e  BCP commence à rédiger un carnet de route. Entrele30 juilletetle6 août,le4e  BCP exécute sa première mission de cou- verture au nord-est de Saint-Nicolas, à Haraucourt [petit village situé à 4 km au nord-est de Saint-Nicolas] puis assure la même mission dans la région de Chambrey, plus au nord [20 km au nord-est de Saint-Nicolas-de-Port et au sud-ouest de Vic-sur-Seille].  Nuit du 31 juillet : « Alerte de mobilisation. Départ des miens. La 5e  compagnie couvre à Haraucourt les travaux de Rambétant [fort situé au nord-est de Varangéville à l’est de Nancy]. Émoi des habitants. Patrouille de cavalerie. Réquisition des chevaux à la mairie. Visite au curé. »  Lettre de Paul Tassel à son épouse, lettre datée du 31 juillet 1914 : « 31 juillet. Haraucourt, vendredi 9 heures. Ma plus adorée que jamais, Organigramme du 4e  BCP au début de la guerre.
  • 31. — 27 — J’ai envoyé un cycliste à la gare pour te porter de bonnes nouvelles et te souhaiter bon voyage. Il est arrivé 10 minutes trop tard, mais j’ai su par lui que vous étiez partis. Je suis donc tran- quille sur votre compte. Je reçois une lettre de P.M. [Petite Maman, la mère de Paul Tassel] me disant qu’elle est à Saunois et t’attendra demain. Désolé que tu ne l’aies pas vue. Je lui écris. Nous sommes très bien ici. Beau temps. Curé qui nous offre ses services. Je vais aller me confesser. Grande grâce, après ça, on peut marcher. Les habitants réclament tous qu’on en finisse une bonne fois. Les vieux préparent leurs fusils. Les jeunes s’inquiètent, nous inter- rogent. Un officier d’active réquisitionne tous les chevaux pour les batteries. Les chasseurs sont gais et chantent. Vu ce matin Gustave de bonne humeur. Il ne croit plus à la guerre. Devant l’attitude plus énergique de la France depuis le voyage de Poincaré [il rentre d’un voyage en Russie]. Un peloton d’hussards [cavaliers] est devant nous. Les troupes de Toul nous relèvent ce soir à 2 heures. Où irons-nous ensuite ? Nous avons commandé un bon petit-déjeuner. Delètain [c’est son ordonnance, soldat faisant fonction de domestique auprès du capitaine – cette fonction est rétribuée par l’officier et chaque année, les officiers du régiment ou du bataillon se réu- nissent afin de déterminer le montant de cette indemnité due aux ordonnances] fait bonne figure. Si tu n’as pas vu P.M. écris-lui ou envoie-lui quelqu’un. Soigne-toi bien mon adorée et écris-moi si ton voyage ne t’a pas fatiguée. Remercie l’excellente sœur de ma part. Prie pour nous tous et sois forte. Comme une bonne Française que tu es, je te félicite de ton courage ces jours-ci et ce matin. Pardonne-moi quelques impatiences. Amitiés à tous. Je vous embrasse comme je vous aime. Priez pour que, le cas échéant, je fasse plus que mon devoir. Ton Paul qui ne pense qu’à toi. »  1er  août : « Travaux au Rambétant. Cantonnement à la Saline de Dombasle [à 2 km légèrement au sud-est de Saint-Nicolas-de-Port]. Nous apprenons à 5 h la mobilisation générale. Arrivée de réservistes à 8 h du soir. »  Lettre du 1er  août 1914 envoyée à Villemoisson : « 1er  août. Samedi. 5 h du soir. Ma Didine adorée, Ai reçu la lettre ce matin et j’en suis ravi et bien tranquillisé, mais aucune dépêche. Content de vous savoir en sûreté. As-tu été bien accueillie ? Où loges-tu ? Mais tu ne me dis pas si le voyage t’a bien fatiguée ou secouée ! Ici, rien de neuf. Moral excellent. Les réservistes sont mobilisés (ils rejoignent ce soir tout équipés). La 20e  compagnie est en bonne posture, notre Rambétant solide avec de gros canons. Foch vient de venir [le général Foch commande le 20e  corps d’armée, fer de lance de l’armée fran- çaise]. Il semble calme et confiant. Beaucoup de troupes passent à Saint-Nicolas qui a l’air morne : plus un homme. Certes, je ne préfère pas la guerre mais notre sentiment unanime, hommes aussi, est que l’occasion est favorable, que les Allemands ont la frousse et si, comme je continue à le croire, il n’y a rien, on le regrettera. Temps ultra. Mal dormi quatre heures cette nuit, à la belle étoile, il faisait froid. Mais nous sommes en confiance. Le 146e  de Toul [146e  régiment d’infanterie] occupe les Quatre Bouteilles. J’ai vu le grand capitaine Colinet-Dâage. Longue lettre de Louise [il s’agit de Louise Callon. Les Callon sont des cousins du côté de la famille d’Amélie Martin de Gibergues, mère de Marie-Thérèse Tassel] et carte des Zimmer [beaux-parents de Paul Hamilton]. Marie se marie avec un veuf sans enfants : je crois que son fiancé est le petit lieutenant d’artillerie qui habitait au fond de la cour des Daguerre. Je pense à vous, je vous aime tous. Ton Paul. Tendres baisers. Pas de journaux ce soir. Ne compte pas sur mes lettres régulières. Vive la France et ma Didine. »
  • 32. — 28 —  2 août : « Relevés par un régiment de Toul (le 146e  RI – Colmet-Dâage). Retour à Saint-Nicolas ? En réserve du corps d’armée. Repas chez les Mengin, avec le commandant, Ihler et Girouy. Au quartier, lecture de l’appel de Poincaré à la nation française [Proclamation de Poincaré en annexe II] : grand enthousiasme. »  Lettre du 2 août : « 2 août. Saint-Nicolas, dimanche 6 h du soir. De mon bureau au quartier, bien tranquille. Ma Didine éperdument aimée, croirais-tu que, étant relevé au Rambétant par le 146e , nous sommes rentrés ce matin, comme revenant d’une manœuvre au quartier à « St-Nicolmüch » [Saint-Nicolas]. Nous y sommes en réserve du corps d’armée, c’est-à-dire pour une belle contrattaque à la baïonnette, j’espère, et peut-être pour deux ou trois jours. Saint-Nicolas est morne et tu y serais morte d’ennui. Mme  Mengin [épouse du capitaine Mengin, commandant la 1re  compagnie], qui nous a reçus aimablement à déjeuner avec Ihler [capitaine commandant la 2e  compagnie] et Girouy [capitaine, commandant la 3e  compagnie] (déjeuner succulent et des plus gais, une heure de paradis depuis trois jours) a eu du mal à trouver un morceau de veau. Elle prendra notre argenterie, nos légumes, confitures, etc, et ceux d’Ihler. Ayant touché 850 Francs en billets (indemnité d’entrée en campagne) [2 846 € de 2014] dont je n’ai que faire, je lui en ai donné 700 sur lesquels elle paiera notre loyer. Autrement, grande animation sur toutes les routes et sur la place Jolain, chevaux réquisitionnés, brancardiers de la Croix-Rouge, réservistes rejoignant à toute heure, tout dans le plus grand ordre. Nous sommes parés en couverture, les Boches peuvent venir, l’attaque brusquée n’a plus de chance de succès. Nous espérons tous prendre l’offensive avant eux. J’ai une belle compagnie de 250 hommes exactement, bien encadrés, 50 réservistes dont 15 gradés – une quinzaine libérés l’an dernier et que je connais bien. C’est certainement l’idéal de faire la guerre avec une belle compagnie de chasseurs : honneur dont je ferai tout pour me rendre digne, ne pensant qu’à ça : la Providence fera le reste. « Fiat ! » comme dit souvent Grand-mère ! Et puis, ce qui donne du cœur, c’est la quasi-certitude de vaincre, qui anime chacun, du 1er au dernier. Ce qui n’empêche pas de penser à vous tous, mes adorés, mais sans attendrissement hors de raison. Les faux tuyaux sont rigolos : ultimatum de la France, réclamant l’Alsace-Lor- raine et un milliard, révolution à Paris à la suite de l’assassinat de Jaurès, gare Saint-Lazare sautée, arsenal de Metz sauté, l’Italie neutre, 500 000 Français et 200 000 Espagnols contre les Allemands, etc. Le commandant vient de lire devant le bataillon le Manifeste de Poincaré à la Nation française, accueilli par les cris de « Vive la France ». Tu as fait l’admiration, ma Didine adorée, des Mengin et de Girouy, par ta noble attitude. Tu es une chère petite femme, parfaite, vaillante devant tous tes devoirs, je te remercie de m’avoir choisi il y a 11 ans. Dis à Grand-père de bien expliquer à Jean et François, mon gros Alain, ma Rilène et le petit dernier. Souvenir
  • 33. — 29 — reconnaissant à la bonne sœur Suzanne. Je suis tranquille de vous savoir à Vill. [Il s’agit de la maison de Villemoisson achetée par « Bon Papa » Charles Hamel qui l’avait achetée pour son fils Paul Hamel. Villemoisson-sur-Orge se trouve à 20 km à vol d’oiseau au sud de Paris entre Rungis et Arpajon , photo carte postale de Villemoisson à la page précédente] chez les bons grands-parents. Pas de nouvelles depuis ta lettre de jeudi, ce qui n’est pas étonnant. Je file dîner chez Mengin avec les mêmes cousins que ce matin, plus le patron. Adieu, mon adorée chérie, je t’aime à la folie. Ton Paul » « Nous n’avons qu’une crainte, c’est que Guillaume [l’empereur d’Allemagne Guillaume II] cale, sans compensation pour nous. J’ai fait un tour à la maison, sans intérêt. »  3 août : « L’Allemagne aurait envahi le Luxembourg et violé la frontière en trois points. Reconnaissances de cavalerie allemande repoussées brillamment par la nôtre. »  4 août : « Alerte cette nuit à une heure pour rien : Déclaration de guerre à la France. »  5 août : « Marche en compagnie pour s’occuper (Ville-en-Vermois, Manoncourt) [au sud de Saint- Nicolas à 5 km]. »  Extrait du journal de guerre de Paul Hamel, père de Marie-Thérèse Tassel à la date du mardi 4 août et du mercredi 5 août : « Nous allons tous les jours à la gare. Les trains de réservistes et de mobilisables se succèdent ; on échange des saluts et des vivats avec les partants. Pas de cris, aucun désordre. Depuis le dimanche, la gare est gardée par une escouade de territoriaux armés (de Bicêtre, Gentilly) qui surveillent les ponts et la voie. ... l’Angleterre a déclaré la guerre à l’Allemagne. Grand réconfort pour tous. Nous lisons avec admiration le message du président Poincaré (en annexe II), et la déclaration de Viviani [pré- sident du Conseil des ministres] ; les détails sur la séance du Parlement, sur la concorde unanime des partis y compris des socialistes ; dont on aurait pu craindre que la mort de Jaurès assas- siné le vendredi 31, au soir, les eût exaspérés, tout redouble de confiance. La mobilisation se poursuit dans le plus grand ordre, et la proclamation de l’état de siège en France est approuvée unanimement. »  6 août : « Départ à midi pour Moncel-Les Ersautes [20 km au nord-est de Saint-Nicolas et au sud-ouest de Vic- sur-Seille]. La 5e  forme l’avant-garde. Nuit en plein air aux avant-postes. Nous avons traversé Saint- Nicolas en chantant. Les gens étaient émus. La 5e en réserve vient à la ferme Cabart, à 1 km au-delà de la frontière. La 1re occupe Chambrey, au-delà de la Seille [3 km à l’ouest de Vic-sur-Seille], où je vais
  • 34. — 30 — faire un tour sur Filou [son cheval]. Les habitants ont l’air morose. Fusillade intermittente à droite vers Berthécourt [juste au sud de Vic-sur-Seille]. Le sergent Grauvain (4e ) est tué : 1re  victime de la guerre. Trois chasseurs blessés ; la section Cuvellier contre les chasseurs cyclistes bavarois. Nuit à Cabart. Une femme s’évanouit et hurle. Chasse à un civil qui a tué un hussard et blessé un autre. On l’abat à coups de revolver dans une cave de la gare de Chambrey. La 1re met le feu à la Saline (représailles). »  8 août : « Beau temps ; réquisition à Chambrey. Rien de nouveau. On attend. »  Extrait du journal de guerre de Paul Hamel, du samedi 8 août : « Il y a un mois, nous étions en fête, au mariage d’Étienne et le soir, je dînais à l’Élysée. Quelle extraordi- naire avalanche d’événements ! Ma tête se perd en réflexions et pro- nostics et ma grande confiance en Notre-Dame de Lourdes ne peut dissiper mes angoisses paternelles. Reçu nouvelles de Paul Tassel, du dimanche 2 août... Tous mes enfants et gendres sont vaillants et confiants. Paul Tassel n’a jamais été si enjoué ».  9 août : « Le lieutenant du 7e  hussards de Goury, un brave, nous est ramené mortellement blessé : il a trois enfants. À 3 h, pendant un bridge avec le patron, alerte. Un combat a lieu à Berthécourt entre les 2e et 3e  compagnies et des Bavarois s’avançant de Vic. La 5e s’y porte et entend siffler les premières balles et obus. Six tués et 19 blessés. Les Boches ont été étrillés. Ihler très épatant. Lioti tué. »  Lettre du dimanche 9 août : « 9 août. Ma petite femme adorée, Je vais très bien sous tous rapports. Nous sommes aux avant-postes en pays annexé depuis trois jours. Défense de te préciser davantage [conséquence de la censure – le courrier est contrôlé – toute lettre analysée (une sur 200 lettres environ) se voit apposer un tampon « contrôlé par l’autorité mili- taire »]. Le bataillon a eu quelques escarmouches insignifiantes (un tué, quatre blessés) et on le disait à Saint-Nicolas, anéanti, ce qui est une vaste blague. Nous sommes gais et en forme. Défiez- vous des fausses nouvelles. Ce que nous avons vu ici de la guerre n’est pas des plus intéressants. Quelques civils tirent nos isolés comme des lapins – nous en avons chassé un hier et abattu comme un chien dans une cave. On a fusillé deux espions, brûlé une grande saline et quelques mobiliers, emmenés une vingtaine d’otages. Bref ! Nous tâchons de ne pas être plus « poires » que les Boches. Mais c’est assez pénible. On s’y habituera. Je pense à vous, mes adorés, et plein de confiance en Dieu. Je vous embrasse ; comme... Ton Paul [En travers et en bas] je vous aime ! Reçu ta 2e  lettre. [En travers et en haut] Ce sera la guerre au couteau. Un des deux doit rester. »
  • 35. — 31 —  11 août : « Nous avons remplacé la 2e aux avant-postes à Berthécourt. Nuit froide au milieu d’un champ. Rosée. Moustiques insupportables. »  12 août : « Relevés à 9 heures du soir la veille par le 146e . Marche de nuit pénible sur Velaine [5 km au nord de Saint-Nicolas] jusqu’à 3 h du matin. Girouy et moi, nous dormons debout. En réserve du corps d’armée à Velaine. Causeries avec le 60e  d’artillerie, plein d’ardeur. »  Lettre du 12 août : « 12 août. Ma petite femme adorée, J’ai reçu ta 3e  lettre datée du 3 août. Elle m’a fait un bien énorme, avec une petite larme d’émotion, car vous m’êtes tous si chers, je vous aime tous si ardemment, que, lorsque ma pensée s’arrête sur vous, je ne puis ne pas m’attendrir, malgré mes résolutions de courage. Merci de vos prières à tous, nous en avons bien besoin. Heureux ceux qui croient en Dieu, dans ces jours sombres : c’est une grâce inappré- ciable dont je mesure tout le prix. Demandez pour nos chers combattants qu’ils fassent tout leur devoir, comme ils sont prêts à tous les sacrifices, et mettons notre confiance en Dieu qui règle les destinées. Ce qu’il décidera de nous sera bien fait. Ma chère petite Didine, c‘est à moi de te demander pardon de toutes les petites peines que j’aie pu te causer, pendant ces onze années de parfait bonheur que tu m’as données. Vivons ces chers souvenirs, grave-les dans le cœur de nos deux grands qui comprennent et qui doivent dès maintenant servir d’appui, de soutien à leur excellente mère, qui est la meilleure de toutes. Dis- leur de ma part, et qu’ils prennent l’engagement d’honneur (ils comprendront) d’être pour toi, quoiqu’il arrive, les meilleurs des fils. Demande à Grand-père de t’aider dans cette tâche... sans oublier le latin et l’allemand. Dis à Jean et à mon petit nègre qu’ils pensent à leur papa en se mettant au travail, cela leur donnera du cœur à l’ouvrage. Je pense à la bonne petite-belle-sœur Mathilde [il s’agit de Mathilde, épouse d’Étienne Hamel] qui, elle aussi a besoin de courage ; entoure-la comme tu sais le faire, et embrasse-la de ma part. Je voudrais aussi que tu voies ma petite Bonne Maman qui se trouve si seule, en ce moment. [En travers, à gauche de cette feuille] Très beau temps, très chaud. Tous rasés à la tondeuse. Bonnes tables. Nous avons été, dans un bois, dévorés par des moustiques. Le gros Delètain semble avoir engraissé de 50 kilos. Reçois-tu mes lettres ? Je me suis confessé le 1er  jour. Je pense que les communications avec Paris vont devenir suffisantes. Réponse à tes questions : j’ai sur moi en permanence ma ceinture de flanelle, au cou, une petite médaille de Notre-Dame de Lourdes, également au cou, attachée avec ma plaque d’identité, la médaille de Saint-Christophe. Dans mon portefeuille, ta chère photographie et tes chères lettres. Sur mon cheval, élixir et teinture d’iode. Je vais admirablement bien. Mon bouc pousse. Nous sommes en réserve, après six nuits passées aux avant-postes, sans se déchausser, et dormant plus ou moins à la belle étoile. Aussi, sommes- nous un peu vannés par ce manque de sommeil, mais le moral est costaud. Les chasseurs sont plein d’entrain. Ma compagnie n’a pas encore tiré un seul coup de fusil, et n’a entendu qu’une légère musique de balles et d’obus, avec le sourire. Quelques compagnies ont été engagées dans des tirailleries d’avant-postes. La 2e a un peu écopé. Ihler a été admirable. Son pauvre lieute- nant Lioti tué d’une balle dans la tête, comme Baudouin, un brave. Les blessés sont souriants,
  • 36. — 32 — et demandent à repartir. Bref ! Ça va, et il faut que nous inscrivions de notre sang, une belle page de plus dans notre belle histoire de France. Mon gros Alain gentil joue-t-il toujours au soldat ? C’est de circonstance. Et notre Rilène ! Comme je l’aime. Enchanté des bonnes nouvelles du petit dernier, que nous aimerons double- ment, en souvenir de notre petite guerre ici. Lina est-elle calme ? Parle-t-elle de la guerre ? Il ne faudrait pas qu’elle se venge sur vous, si nous battons les Boches, comme je l’espère ? Je regrette que la bonne sœur soit partie. Soigne- toi bien, mon adorée petite. Bien des choses aux chers parents et grands-parents. Je t’écrirai sans doute très irrégulièrement. Sois donc tranquille sur mon compte, quoiqu’il arrive. Au combat, je penserai à toi, à nos ché- ris et à petite Bonne maman, à Dieu, à la France : ainsi, je serai fort. Je t’embrasse comme je t’aime. Sois gaie et passe de bonnes vacances, bien entourée comme tu l’es. Je te répète mon adresse : Correspondance : mon nom, bataillon, compagnie, corps d’ar- mée. Par Brienne-le-Château (Aube). Ton Paul [Rajout à gauche en travers] Les lettres sont envoyées décachetées par ordre. »  13 août : « Repos à Velaine. Le chef armurier a tué accidentellement un chasseur. On s’attend à l’offen- sive générale. Contents que l’énervante couverture soit terminée. Visite en auto de M. Franois et de Jandin. Chaleur torride. »  14 août : « Départ à 4 h 45 pour l’offensive générale. Rencontré Bertrand, démissionnaire, au 43e  colo- nial (tué depuis). On est calme et résolu. On se serre maintenant les coudes. Long arrêt près d’Hoéville [15 km au nord-est de Saint-Nicolas] (grande-halte). On entend une violente canon- nade lointaine. On se croirait aux manœuvres. Nous pensons que les Allemands sont démoralisés, que notre artillerie est supérieure, et qu’une grande victoire peut terminer la guerre ! Long « poirottage » jusqu’à 4 h. Nous arrivons à 8 h en pleine nuit bivouaquer au Bois de Ménamont : une canonnade intense termine la soirée. Beau coucher de soleil. Soirée poétique, dans les blés, avec Du Guet, Courteau, Mengin. Pas de distributions. On se serre le ventre. Nuit de bivouac animée : feux ou blagues. »  15 août : « Réveil à 3 h. Le patron, pessimiste, très. On le remonte. Serait démoralisant, si nous n’étions tous unis et calmes. À 8 h 30, 1er  coups de canon vers Juvrecourt [20 km au sud-ouest de Morhange]. On entend les cloches de l’église de Bathelémont [15 km au nord de Lunéville et au sud-ouest de Morhange]. Ma compagnie améliore des tranchées. Je pense avec mélancolie et amour aux joyeux 15 août de Vill. en famille, et aux nombreuses communions que nos femmes chéries, ainsi que Minet et Sonnet, vont faire pour leurs combattants. Je repense aussi au beau 15 juin à la Malgrange. Mes petits communiants et ma petite Geneviève [Geneviève née en 1908 et morte à trois mois], les prières de ma chère femme me protégeront, quoiqu’il arrive. Aux chers hôtes de Vill, le 15 août aussi doit être morose. 8 h : très violente canonnade, en même temps que le son des cloches. 9 h : je reçois en plein champ la 5e  lettre, datée du 9 août, de ma chère Didine.
  • 37. — 33 — Violentes canonnades de temps en temps, puis accalmies complètes. On n’y pige rien. Pluie, temps lourd. Les distributions arrivent enfin à 3 h. Le 69e nous avait nourris ce matin avec ses restes (une cuisse de lapin pour trois). Dîner au Bois de Ménamont et cantonnement à Bathelémont en pleine nuit, sous une pluie battante. »  16 août : « Lever à 3 h. Marche en avant vers l’Est. Rencontré le 111e (Toulon). Des tuyaux courent, nous les accueillons sous toutes réserves. Il est certain que plusieurs régiments du 15e  corps, à notre droite, ont bien trinqué. Grande halte à Moncourt [15 km au sud de Dieuze] enlevé hier par le 111e et saccagé : plus rien. Les Allemands se seraient retirés au-delà de Donnelay [6 km plus au nord-est de Moncourt]. 5 h, pas encore de distributions. On arrache pommes de terre et légumes : c’est la guerre. Les capitaines Adam du 26e et Hurel sont tués. Cantonnement à Ley [2 km au nord de Moncourt] avec le 69e  arrivé à 8 h du soir par pluie torrentielle. Dîner à 10 h, trouvé un lit. Pluie toute la nuit. Ce n’est pas rose. »  17 août : « Sous les armes à 5 h (pourquoi ?). Départ à 9 h seulement. (On ne va pas si vite à la guerre qu’aux manœuvres). Vu passer une partie du 15e  corps. Tenue moyenne. Toujours les tuyaux ! Nous allons nous entasser, contre la pluie à Bezanges-la-Petite [à l’ouest de Ley]. Boue ignoble. J’ai un peu de cliche [diarrhée]. Départ à 3 h. Cantonnement à Xanrey [sud-est de Vic-sur-Seille], bien. Nous voyons les premiers énormes trous d’obus boches et des chasseurs tués. On tue un cochon pour la compagnie (payé). Dans notre popote, la femme seule, avec une fille de quinze mois qui me rappelle ma Rilène, et en attend un autre. Ce n’est pas le cas de le dire : ce brave Guillaume ! »  Lettre du 17 août : « Ma chérie. Tout va bien. Moral et santé excellents. Nous sommes carrément de l’autre côté. Assez mauvais temps, mais grande gaîté. Reçu le 15 ta 6e  lettre du 9 (pas les 4e et 5e ). Je suis tranquille sur votre compte et je vous embrasse tous sincèrement. Nous sommes aussi sans journaux et sans nouvelles des événements. Il m’est interdit de te parler de ce que nous faisons. Je ne pense qu’à vous tous. Donne de mes nouvelles à P.M. Ton Paul Capitaine Tassel 4e  Bon chasseurs »  18 août : « Repos à Xanrey. Bonnes nouvelles. Les Boches s’enfuient, nous occupons Dieuze et Château- Salins. Le 10e  bataillon a pris le drapeau du 132e  prussien. Lanrezac [le général] commande l’ar- mée de Verdun. J’ai la cliche. Thé-bridge chez le douanier allemand avec Noël, Viard, Schmitt, Cuvellier. Chœurs très gais. Schmitt nous fait une superbe tarte pour dîner. »  Lettre du 18 août : « Toujours excellentes nouvelles, ma chérie. Je regrette de ne pouvoir t’en dire long. Jusqu’à présent, il ne m’est rien arrivé, à moi, rien d’intéressant. Mais le grand jour arrivera. Et alors Vive la France, et Fiat ! Gaîté complète. C’est chic d’être entre bons camarades. Mme  Cusellier (48, boulevard de Vaugirard) peut t’avoir de chez Damory toute l’épicerie que vous voulez avoir. As-tu reçu une lettre relative à ma délégation de solde (sinon, aller voir à
  • 38. — 34 — l’Intendance à Paris, avenue des [Henry ou Heury ?] [Avenue non trouvée dans le plan actuel de Paris] au coin de l’esplanade) ? Reçois-tu mes lettres ? Rien de toi depuis celle du 15 (trois lettres en tout). Communique à P.M. je vous aime. Ton Paul »  Extrait de la lettre de Paul Hamilton à son épouse Louisa (son bataillon, le 15e  BCP est sur le front, en Alsace et au sud de Mulhouse) (collection Ronan Chaussepied) : « Ma chérie, Nous ne faisons pas grand-chose pour le moment. Les Allemands ont paraît-il évacué Mulhouse devant notre marche en avant et nous voici revenus où nous étions il y a dix jours. Les habi- tants ont peur du retour des Prussiens qui ont tout saccagé après notre départ. Ils ont mis le feu ici par plaisir et canonné les maisons pour avoir la joie de les voir tomber puisqu’il n’y a plus de troupes françaises ni d’habitants. Quelle bande de sauvages... ... En ce moment, j’avoue que je suis anxieux. Je ne puis penser sans émotion que la grande partie est en train de se jouer du côté de Nancy ; que les quantités de mes camarades : Tassel, Durosoy, probablement le 47e  RI sont en pleine mêlée et que leur lutte va durer et dure et sera probablement décisive... »  19 août : « Nous sommes en avant-garde de la division à Moyenvic [12 km au sud-ouest de Dieuze] sur la forêt d’Haboudange [5 km au sud-ouest de Morhange]. Sommes canonnés par de la grosse artillerie, vers midi. Dans une ancienne tranchée boche. Les coups très ajustés, sont un peu courts ou un peu longs ; on rigole, en fumant des pipes. Aucune casse. À 4 h, le bataillon entre à Haboudange. Marche sur Pévange [2 km au sud de Morhange], fuite en avant sous le feu de la grosse artillerie. Entrée à Pévange en pleine nuit, éreintés, nuit en éveil. Nous nous sentons très en flèche. On dort dans la rue. Pas de feux. Soupe dans une seule maison, pour toute la compagnie. Je fais coucher mon premier blessé dans un lit. »  20 août : « Attaqués dès 5 h du matin. Aucun ordre. Le bataillon fait bien son devoir. 1re , 2e et 3e  com- pagnies écharpées. 5 officiers et 600 hommes de pertes. J’ai été très calme. Retraite, sous le feu de l’artillerie, jusqu’à la ferme Salival, où nous sommes de 10 h à minuit. » Du 12 au 20 août, c’est la première grande bataille du 4e  BCP, connue plus tard sous le nom de « bataille de Morhange ». C’est une défaite qui a eu un retentissement national. La déso- béissance de Foch en est une des raisons principales. Face à la puissante attaque allemande, le célèbre 20e  corps a entamé une retraite, accompagné à sa droite par le 15e  corps d’armée, le corps des « gars du Midi ». Le 24 août, le sénateur Gervais, ami du ministre de la Guerre écrit dans le journal Le Matin un article injurieux accusant ouvertement ces troupes du Midi de s’être lâchement conduites. Même Joffre écrit ceci à son ministre : « L’offensive en Lorraine avait très bien démarré. Mais il y a eu soudain des défaillances indi- viduelles ou collectives qui ont entraîné la retraite générale et un grand nombre de morts. J’ai fait reculer le 15e  corps qui n’a pas tenu sous le feu de l’ennemi. Il est responsable de l’échec de notre offensive. Je fais fonctionner sérieusement les Conseils de guerre ». L’affaire devient évidemment politique et les Provençaux vont subir des harcèlements publics et de nombreuses injures. Or, cette accusation est fausse. En fait, la pression allemande était
  • 39. — 35 — trop forte et nos troupes n’ont pu bénéficier de l’ap- pui d’une artillerie puissante. Mais surtout, il ne fallait pas démoraliser l’arrière en constatant que notre meil- leur corps d’armée (le 20e , composé de Lorrains) avait faibli. Il a fallu attendre la fin de la guerre pour que justice soit rendue à ces soldats pro- vençaux. Même Paul Tassel a pensé que l’on ne pouvait rien attendre du 15e  corps (carnet de route du 22 août et allusions en décembre 1914 lorsque le 4e  BCP est mis à la disposition du 15e  corps).  21 août : « Départ à minuit. Retraite pénible par Arracourt [au sud de Moyenvic], Hoéville, sur Saint-Nicolas. Arrivés à 8 h du soir. Éreintés. Dîner chez les François. Coucher chez Courteau. »  Lettre du 21 août : [Rajout en début de lettre] « Communique à P.M. la vois-tu ? Je le désire ! Ma chérie. Toujours sain et sauf et un excellent état physique et moral, mais on ne dort pas beaucoup et on mange quand on a le temps, quoique nous soyons très bien ravitaillés. Hier, ça a chauffé ferme : le bataillon a été épatant. Beaucoup de casse. Je n’ai rien ni Mengin [1re  compagnie] ni Courteau [4e  compagnie] ni le commandant. Les trois autres légèrement blessés. Très beau temps. Je pense à vous bougrement. Priez pour la France d’abord, pour nos combattants ensuite et Fiat ! Pas de lettres depuis le 15 août. Reçois-tu mes cartes ? Ne m’écris pas de nouvelles de la guerre. C’est interdit. Mille tendres baisers à partager avec mes cinq ché- ris. Et toujours Fiat ! Amitiés aux trois de Vill. Ton Paul »
  • 40. — 36 —  22 août : « Départ à 10 h pour la saline de Varangéville où la journée se passe à attendre. Exode des pay- sans. J’hérite d’Alice, jument d’Ihler, en remplacement de Filou disparu avec Trilland [Trilland est son ordonnance chargé de son cheval, Filou]. Je me fais raser, vais voir Girouy et Ilher blessés chez Mengin, déjeune au Faisan à 3 h 15. Les Allemands attaquent Maixe, Flainval. Aucun ordre, ni renseignement. Cela ne va pas. Le 15e  corps n’est plus bon à rien. On se sacrifiera s’il le faut. Nuit à Varangéville (école). J’ai écrit à Didine, et télégraphié à P.M. » Schéma géographique de la région de Morhange.
  • 41. — 37 —  Lettre du 22 août. Lettre écrite sur du papier à en-tête de l’Hôtel et Café du Faisan : « Ma petite Didine passion- nément adorée, Nous revoici à Saint-Nicolas mais toujours en parfait état pour nous refaire de nos fati- gues et de pertes très sérieuses. Il est 3 h 30, je déjeune au Faisan. Je viens de télégra- phier à P.M. « Excellente santé – Pense à vous tous ». On me dit à la Poste que les lettres civiles ne sont plus ouvertes mais qu’on les garde quatre jours à Toul pour que les indiscrétions n’aient plus d’intérêt d’actualité. Je com- mence donc, en hâte et au hasard des impressions, une longue lettre de détails, crai- gnant qu’on ne vienne me chercher à chaque instant. La guerre est une affaire. Tu ne penses plus aux belles idées de patriotisme, de poé- sie de notre métier des armes. On vit machinalement, on se cuirasse, on est fataliste, prêt simplement à faire son devoir sans autre idée enthousiaste, vu le côté pénible de l’existence matérielle. Mais trêve de philo- sophie, je te conterai cela plus tard, si c’est la volonté de Dieu. (J’ai fait vœu, si je te revois, de communier le 1er  dimanche de chaque mois, quoiqu’il arrive). Donc, nous nous sommes avancés avant-hier, trop vite, le bataillon tout à fait en pointe, sur Morhange... Je réfléchis qu’il vaut mieux ne pas trop donner de tuyaux précis, et je suis inquiet : on entend le canon, de l’artillerie passe au trot, et je tremble que le bataillon parte. J’affole. Le bataillon avant-hier s’est bien conduit. [Foch qui commande le 20e  corps (carte page suivante) empêche les Allemands de traverser la Meurthe et, contrevenant aux ordres du général de Castelnau commandant la 2e  armée, qui exige le retrait général, contre-attaque le 20 août. Il se heurte à de violents feux d’artillerie lourde, puis à une violente poussée allemande qui l’oblige à battre en retraite, ce qui coûte la vie à 5 000 hommes. À la suite de ce fiasco, le général de Castelnau ne pardonnera jamais à Foch qui, selon lui, a désobéi]. Il a perdu environ 600 hommes sur 1 500 : tués, blessés ou disparus. À ma compagnie qui a peu trinqué : 11 tués, 40 blessés, 30 disparus. Trois capitaines très légèrement blessés (Girouy, Ihler, de Guet : conduite épatante). Les deux autres, complètement indemnes : 12 lieutenants tués ou blessés. Le commandant indemne, ses deux ordonnances tuées. Mon pauvre Filou et Trilland disparus : plus de selle, ni de rasoir, ni de manteau, ni mon sabre, ni rechange – et on ne voit pas souvent sa cantine [en 1914, les officiers avaient droit à une cantine, les sous-officiers, Début de la lettre du 22 août 1914.
  • 42. — 38 — une cantine pour deux tandis que la troupe portait le sac à dos dit « azor » ou « as de carreau » (car carré) et une sacoche et la gourde sur le côté : ce « barda » pesait plus de 20 kilos]. Heureusement, Ihler vient de m’offrir le fidèle Touran et sa jument. Arrivés hier à Saint-Nicolas – en plein désordre – blessés, traînards et on a reculé, je ne m’ex- plique pas pourquoi. À notre droite, les gens du midi auraient été écrasés ou auraient lâché prise. Mais nous avons fait notre devoir sous les balles et la grosse artillerie allemande, nous le ferons encore. J’ai été calme au feu, fumant la pipe, dormant même car éreinté, vu la fatigue, mais je n’ai pas été un héros, sois en certaine. Les hommes, très bien, s’ils étaient tous comme les nôtres ! J’ai dîné hier chez les François, couché chez Courteau (Madame épatante m’a rapporté ce matin linge propre, bien choyé). Ecris-lui pour lui exprimer ta reconnaissance et aussi à Mme  Mengin qui a rangé admirablement notre appartement. Reçu ce matin un mot de Pierre Tassel du 13 août. Pas encore parti. Le canon tonne. Je file ; Je t’aime. J’ai été à l’église ce matin. Priez pour la France et les chers absents. Ton Paul »  23 août : « Canonnade vers l’est. Karcher (69e   RI) vient me relever à la sortie de Varangéville vers Dombasle. Le Rambétant tonne. On attend... Retour à Saint-Nicolas. Canonnade rapprochée. Les Mengin partent. Déjeuner dans un verger au haut de l’avenue Jolaine. Mise en état de défense de la route de Padoue (tra- vailleurs et civils). On abat tous les arbres fruitiers. Dîner au passage avec Mengin, dans une maison de la rue Gambetta au retour d’une promenade à cheval. Coucher avec ma compagnie au quartier, abandonné, sans lumière. » La position des grandes unités françaises et allemandes au début de la bataille. de Morhange.
  • 43. — 39 —  24 août : « On attend. Je vais à l’église. Je donne 100 Francs pour un vœu à Saint-Nicolas à M. Jung chez qui je casse la croûte. Départ à 3 h pour la saline puis Dombasle. Croisement de colonnes. Dîner et coucher en réserve des avant-postes au stand de tir de Dombasle (originale installa- tion). Notre soupe est perdue. »  Lettre du 24 août, lettre toujours envoyée à Villemoisson : « Ma petite bien-aimée, Toujours excellentes nouvelles ; Santé parfaite un peu maigri, mon bouc pousse, moral exquis sous cet admirable temps. Pas de nouvelles de toi depuis ta fameuse lettre reçue le 15 août, mais je suis bien tranquille sur votre compte à tous. Nous nous refaisons encore une fois nos pénates... On ne sait rien de ce qui se passe exactement, même devant nous. Les Mengin partis hier sur Nancy, affolés, il n’y avait pas de quoi. Collation ce matin chez Jung à qui j’ai laissé 100 Francs. Pour un don fait par les habitants à Saint-Nicolas, protecteur de ceux qui voyagent... Je lui ai mis un cierge. Je suis toujours prêt à tout, avec le calme des vieilles troupes. Reçu un mot de Pierre Tassel du 13 août : ayant été affecté à une compagnie de dépôt, a demandé et obtenu de marcher de l’avant, ce qui est bien. Sais-tu où sont tes frères ? Pensez à nous, mais gaiement, passez de bonnes vacances, et que mes deux grands soient gentils pour leur petite mère, et tra- vaillent avec ardeur pour faire plaisir à leur papa. Je vous embrasse comme je vous aime. Ton Paul »  25 août : « Terrible journée, sous une violente canonnade sans bouger, de 6 h du matin à 8 h du soir sur la côte 316 (hauteur de Flainval) [Flainval est à 2 km à l’est de Dombasle-sur-Meurthe], en soutien de l’artillerie (75 et 120 long). On attaque peu vigoureusement le Léomont [colline à 2 km à l’est de Flainval où se déroulèrent de violents combats entre le 20 août et le 10 septembre par la 11e  DI et des sapeurs du génie du 20e  CA. Un monument rappelle ces douloureux et essentiels combats qui évitèrent en partie la prise de Nancy]. Coucher à Hudiviller [au sud-est de Dombasle] sur la grande route. Toute la journée, je suis resté avec la 2e  section qui a eu cinq blessés. Plus de bruit que de mal, mais il faut du calme. Dîner à 11 h du soir. 800 réservistes arrivent pour le bataillon, encadrés par trois offi- ciers de réserve. [À noter que le JMO du 27 août précise que le commandement peut reconstituer le bataillon à six compagnies]. Quel encombrement ! Quatre heures de sommeil. »  26 août : « Rassemblement dans un verger. Somme sur des bottes de paille. On est empoisonné par les réservistes. « Poirottage » sur la crête de Flainval. Vers 3 h, on se porte sur les Oeufs-Durs [lieu- dit juste au sud d’Anthelupt]. Cantonnement à Anthelupt [1 km au sud-est de Flainval et à 6 km plein est de Saint-Nicolas-de-Port]. »