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POURQUOI LE MARATHON DE PARIS A-T-IL TOUJOURS AUTANT DE SUCCES ?
Olivier Bessy
Sociologue du sport et du tourisme
Professeur Emérite à l’UPPA
Chercheur au laboratoire TREE UMR/CNRS/6031
L’édition du MDP 2023 affiche complet avec plus de 50000 inscrits et a dû même refusé de
nombreuses inscriptions. Cette information peut paraître surprenante eu égard à la baisse des
partants (37000) enregistrée en 2022 et non désirée par les organisateurs par rapport à la
dernière édition de référence en 2019 qui en comptait 49155.
Je me demandais à la suite de l’édition 2022 si cette baisse était due à un triple effet conjoncturel
(épidémie du COVID, crise économique et début de la guerre en Ukraine), ou si elle était
significative d’une évolution structurelle de la demande tentée par des marathons moins
positionnés dans l’excès et plus pensés dans une démarche de éco-responsable.
Le retour à la hausse des inscriptions pour l’édition 2023 semble plaider pour un effet
conjoncturel. Cependant si le contexte est moins anxiogène aujourd’hui sur le plan sanitaire, il
reste assez défavorable si l’on croise les tensions économiques, énergétiques et
environnementales toujours très présentes dans notre société. Alors que s’est-il passé ?
Pourquoi un tel regain d’intérêt ? La réponse n’est pas simple car elle nécessite de croiser des
facteurs macro et micro sociologiques. De plus, ce sursaut est-il forcément durable ?
La première hypothèse est que le contexte sociétal actuel en tension car il rime avec une grande
vulnérabilité, une forte incertitude et une fragmentation des repères identitaires, est au bout du
compte plutôt favorable à un surinvestissement des coureurs dans ce type d’épreuve, En effet
participer au MDP et a fortiori le finir, permet à tout chacun de se sentir vivant, de prendre en
main son destin et de graver en soi un souvenir inoubliable, tel un tatouage intérieur. Meilleur
remède à la mélancolie du moment, ne constitue-t-il pas une des façons les plus remarquables
de tracer son chemin d’existence ? Ce qui expliquerait en partie, et en partie seulement, son
engouement renouvelé, car de nombreuses épreuves (autres marathons, 100 Km, ultra-trails…)
remplissent aujourd’hui ce rôle.
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La seconde hypothèse réside selon nous dans le concept proposé par les organisateurs du MDP.
En effet, d’après une enquête1
réalisée en 2018 qui cherchait à éclairer les représentations des
participants, Le Marathon de Paris véhicule un imaginaire métissé à la fois culturel et sportif
car il propose de réaliser un rêve éveillé au regard de la splendeur de l’écrin patrimonial qui le
supporte, de l’ambiance qu’il propose et des conditions de course favorables à toutes les formes
d’engagement (de la plus performative à la plus hédoniste).
La représentation culturelle est importante car elle totalise 34 mots et 110 citations si l’on
regroupe le registre patrimonial (8 mots, 41 citations), hédonique et festif (12 mots, 35 citations)
et humain en lien avec les notions de partage et de convivialité (14 mots, 34 citations) comme
le montre le tableau ci-dessous. Le marathon s’inscrit dans ce cadre en cohérence avec le Paris
global et interculturel car il porte un récit culturel marqué par la construction d’une urbanité
événementielle principalement structurée autour des dimensions patrimoniales, hédonistes et
conviviales. La dimension cosmopolite et symbolique du marathon lié au caractère
multiculturel des participants convoque le Monde dans la ville et contribue à son rayonnement
touristique planétaire.
Mais la représentation sportive est aussi très significative avec 15 mots et 55 citations faisant
apparaître la performance (9 fois), le défi personnel (8 fois), la difficulté (6 fois), le sport (5
fois), la compétition et un parcours roulant (4 fois), l’effort et la volonté (3 fois)…Tout se passe
comme si les marathons quelle que soit leur géographie culturelle, et c’est le cas de Paris, étaient
aussi pensés pour favoriser la confrontation à soi ou aux autres, en réponse à une demande de
chrono chez les participants, soucieux de leurs performances même en courant dans la plus
belle ville du monde. En effet, le culte de la performance est aujourd’hui très présent dans les
pelotons (Bessy &Lapeyronie, 2009), ce qui n’est pas sans influencer aussi le tracé du parcours
(grandes avenues, pas ou peu de dénivelé, kilométrage important en dehors de la zone historique
a cœur de la capitale cœur, …). Il correspond au processus d’homogénéisation et de
standardisation des marathons lié à la diffusion de culture performative de masse dans notre
société.
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50 entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès des organisateurs, partenaires et coureurs Une des questions
visait à faire émerger chez chacun les 5 mots les plus représentatifs associés au marathon. Ce travail qui a été
développé dans une article scientifique paru dans la revue Marketing ( juin 2002), dévoile 65 mots utilisés pour
signifier le marathon de Paris. Soit une grande variété du vocabulaire mobilisé en lien avec la diversité des profils
sociaux et sportifs des participants (cf tableau ci-dessous). Au total, 250 citations1
, qui montrent pour 220 d’entre-
elles, un riche imaginaire lié au marathon constitué par des représentations culturelles (110 citations), sportives
(55 citations), ou hybridant le sportif et le culturel (25 citations) et économiques (30 citations).
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A cela s’ajoute les représentations sportivo-culturelles (5 mots et 25 citations ) présentent
spontanément chez les coureurs et qui montrent bien la double motivation de la majorité des
coureurs.
Tableau des représentations à partir des mots clés
Représentation
sportive
15 mots et 55
citations
Représentation
culturelle (3 registres)
Total : 34 mots et 110
citations
Représentation
sportivo-culturelle
5 mots
25 citations
Représentation
économique
9 mots
30 citations
Registre de la
Performance
Registre hédoniste Registre
patrimonial
Registre humain Hybridation des
registres
Registre business
12 mots 8 mots 14 mots
35 citations 41 citations 34 citations
Performance 9 Ambiance 7 Patrimoine 10 Le monde 6 Image de soi 8 Le prix élevé du dossard 6
Challenge/Défi perso 8 Emotion 5 La ville/La capitale
8
Convivialité 5 Prestigieux 5 Trop d’argent 5
Difficile 6 Rêve 4 Beauté du parcours
7
Solidarité 4 Un grand événement 5 Trop business 4
Sport 5 Expérience 3 Monumental 6 Spectateurs 3 Magique 4 Marathon Expo 4
Compétition 4 Fête 3 Grandiose 4 Partage 3 Aventure humaine 3 Tourisme sportif 3
Parcours roulant 4 Joie 3 Musée à ciel ouvert
3
Accueillant 2 On y perd son âme 3
Effort 3 Plaisir 3 Les Champs-Elysées
2
Union 2 Sponsors hors sport 2
Volonté 3 Top we 2 Exceptionnel 1 En famille 2 Mercantile 2
Chacun pour soi 3 Le refaire 2 Populaire 2 Marketing 1
Sacrifices /Contraintes
2
Sexy 1 Accessible 1
Plateau
d’internationaux 2
Inconnu 1 Sympathique 1
Entraînement 2 Musique 1 Rituel 1
Motivation 2 Eclectique 1
Temps de référence 1 Cosmopolite 1
Energie 1
La troisième hypothèse vise à considérer que ce marathon occupe une place à part dans
l’imaginaire des coureurs attirés par la notoriété de cette épreuve. C’est l’effet capitale qui joue
à plein. Pour beaucoup de marathoniens et même de simples coureurs ordinaires, faire « Paris »
est un rêve qu’il faut transformer en réalité. Car il s’agit d’une épreuve incontournable à faire
au moins une fois dans sa vie afin d’y trouver un sublime graal : courir 42k 795m dans la plus
belle ville du monde. Dire je l’ai fait et pouvoir poster un selfie sur les réseaux sociaux avec la
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médaille autour du cou devant l’arc de Triomphe ! En offrant une des plus belles scènes
urbaines au monde et en profitant d’une forte notoriété, le MDP motive des milliers de coureurs
car il garantit des profits symboliques supérieurs aux autres marathons.
Dans cette triple logique, il est fort à parier que le pourcentage de néo-participants est important
car ils sont plus enclins à rechercher ces profits dans un souci de reconnaissance sociale et ils
en capitalisent davantage en courant Paris. Ils sont prêts pour cela à oblitérer de leur conscience
les dérives économique, environnementale et sociales d’un événement qui se pare encore des
habits de l’hypermodernité en décalage avec les nouvelles valeurs de simplicité, de sobriété et
d’humanité en émergence aujourd’hui dans notre société transmoderne.
On peut observer également que l’enjeu économique devient de plus en plus important au fil
des années. Il répond au Paris créatif et libéral car le marathon innove chaque année dans les
services offerts aux coureurs en lien avec ses partenaires. Le gigantisme du Marathon de Paris
et sa gestion privée (ASO) génère des effets négatifs auprès des coureurs qui risque à moyen
terme de dissuader certaines personnes de s’inscrire. Elle est pensée comme une dérive par un
nombre important de participants (9 mots et 25 citations) à travers les critiques suivantes :
« prix trop cher du dossard », « un marathon qui respire trop l’argent », qui est « trop
business », « trop mercantile », qui est en train « de perdre son âme » avec « des sponsors hors
sport » à l’image de Schneider Electric et un « Marathon Expo trop centré sur le fric ».
Pour Quentin de Bordeaux : « Le Business est trop présent dans ce marathon et plus
particulièrement au Marathon Expo. J’ai ressenti une sensation de dégoût presque lorsque j’ai
découvert, il y a 5 ans, pour la première fois ce salon du running. J’ai eu une impression lourde
et repoussante de me trouver là que pour consommer, être obligé presque d’acheter, avec la
multiplicité des gros stands de marque, des vendeurs tous habillés pareils ».
L’organisation du salon « Run Expérience » qui s’est déroulé du 31 mars au 2 avril 2022,
confirme ces propos. Jamais, de mon point de vue, le caractère marchand n’a été aussi visible
dans l’architecture même du salon pensé avant tout pour les équipementiers qui sont les grands
argentiers du marathon. Le nombre de m2 occupés, comme la place privilégiée à l’entrée ou
encore la signalétique affichée et le cheminement rendu obligatoire par l‘organisation, ainsi que
les animations proposées, tout était pensé pour ces derniers. A tel point que je me suis perdu
comme beaucoup de coureurs pour me rendre à l’espace dédié aux organisateurs d’autres
marathons parqués au fin fond du salon. Ces derniers n’ont d’ailleurs cessé de se plaindre
pendant ces trois jours, du sort qui leur était réservé. Une preuve s’il en fallait de l’excès
mercantile observé.
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Pour finir, le Paris participatif et citoyen est quasiment absent dans les représentations et les
discours des participants en décalage avec les annonces faites depuis cinq ans sur la prise en
compte de l’environnement par les organisateurs et notamment le partenaire titre Schneider
Electrique. Le Marathon de Paris n’est pas aujourd’hui considéré comme une épreuve éco-
responsable par les coureurs et si des actions sont en train d’être initiées, elles sont peu évoquées
par les marathoniens. Vaste chantier à accomplir pour inverser la tendance plutôt business. La
synergie avec Paris comme ville civique est loin d’être atteinte. En avril 2018, ASO déclarait :
« Avec 55000 inscrits, 43537 au départ et 42000 à l’arrivée, la gestion des flux devient le point
le plus complexe. Accueillir 5000 coureurs de plus mais au détriment de la sécurité et du confort
des participants notamment au niveau des zones de départ et d’arrivée, n’est pas dans notre
projet ». Et pourtant dès l’année suivante en 2019, le nombre d’inscrit passait à 60000, jamais
autant de monde était présent sur la ligne de départ (49155) et le record des arrivants était
pulvérisé avec 47687 personnes.
Alors quel avenir pour le marathon de Paris ? Jusqu’où ira la « dysnélandisation « de cet
événement ? La question reste posée car les enjeux environnementaux vont être de plus
en plus prégnants en lien avec la généralisation d’événements éco-responsables en
transition qui ne se contenteront pas de faire du « greenwashing ». Paris : « un marathon
vert » en harmonie avec la couleur affichée par son partenaire titre, on est loin du
compte !
Olivier Bessy
Auteur d’un livre récent intitulé : « Courir de 1968 à nos jours » : tome 1 « Courir sans
entraves » (février, 2022) aux éditions CAIRN. La sortie du tome 2 : « La quête de l’ultra
et de l’ailleurs est prévue en juillet 2023.