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Job zéro heure ou auto-entrepreneur
: les intégrer à une stratégie RH ?
PHILIPPE GOSSELIN / FONDATEUR/DIRIGEANT DE TIMEPLUS | LE 24/09 À 09:17
De la fonctionnarisation de l'emploi aux jobs zéro heure, établir une
relation contractuelle durable et efficace.
À l’occasion de chaque élection européenne, les mêmes opinions critiques fleurissent sur le mode de
gestion de l’activité salariale et ses conséquences sur les performances chiffrées des gouvernements
sortants. Pour la Grande­Bretagne particulièrement, ces critiques se sont portées notamment sur les
contrats type zéro heure jugés comme indécents par une presse "renseignée". Ces voix succèdent aux
aboiements sur les contrats Hartz (Shröder) des mini­jobs.
Pour le salarié en mini­contrat comme pour l’intérimaire­temporaire ou bien comme pour une partie des
contrats d’auto­entrepreneurs (Ich AG /Self Employed), ces contrats consistent à attendre l’ordre pour
se rendre sur un lieu de travail et y exécuter les tâches d’une mission, afin d’en retirer une
rémunération, subventionnée ou non, liée au temps d’exécution. L’attente derrière les téléphones ou
mobiles remplace l’attente à la grille des entreprises ou dans les rues du quartier pour l’embauche.
À l’usage, ces trois formes de contrats se situent dans le même ensemble flexibilité/sécurité pour le
missionner. Elles procurent aux entreprises une flexibilité dans le recours au marché du travail face à
une activité erratique ou en mouvement.
Dans tous les pays d’Europe y seront ajoutés les travaux "non contractés" et les travaux dans les
secteurs économiques dans l’ombre (souterrains), pour mesurer un ensemble de jobs "insécurisés".
Job zéro heure ou auto-entrepreneur : les intégrer à une stratégie RH ?
Alors, pourquoi critiquer les zéro heure ou Mini Jobs et encenser la forte croissance des contrats d’auto
entrepreneur (dont une proportion dissimule des contrats liés à une activité exercée sur un poste
d’entreprise à grande flexibilité) ?
Car, au­delà des cas où l’entreprise fixe unilatéralement les conditions de travail et place son prestataire
auto­entrepreneur sous un lien de subordination, c’est­à­dire lui impose des directives et en contrôle
l’exécution, donc l’emploie comme salarié de fait, il existe bien d’autres opportunités de pousser un
poste de travail vers un auto­entrepreneur plutôt que vers un salarié.
La France est à cet égard montrée du doigt par l’Europe (EEOR 2010) pour la forte proportion de
transfert du salarié à l’autoentrepreneur, et à l’opposé pour sa législation stricte de requalification.
Le questionnement doit porter sur l’enjeu de l’apport économique de tels contrats dans la compétitivité
des entreprises. L’intégration de ces contrats comme variable souple d’ajustement de l’activité ne peut
ni être considérée comme totalement déviante, ni même définir le seul contour du recours à ces
contrats "volants".
Les contrats d’auto­entrepreneur (4,6 M au Royaume­Uni [1], 480.000 actifs en France, 620.000 en
Allemagne et 32 % de la population active en Grèce) se trouvent majoritairement dans le segment des
travailleurs pouvant exercer une activité avec une réelle autonomie et notamment sur des secteurs de
production de services ou de biens intermédiaires, finis. Ils s’inscrivent dans le prolongement des
entreprises unipersonnelles.
Ce sont souvent des personnes expérimentées (739.000 cadres de haut niveau au Royaume­Uni, +47
% en 5 ans), rapides à exécuter dont une proportion importante cherche des revenus annexes légaux.
Compléter ses équipes par un tissu relationnel d’auto entrepreneurs est une stratégie RH plutôt
offensive.
Dans les phases de transition notamment dans le cadre d’organisations temporaires pour tester de
nouveaux business, les auto entrepreneurs seront très utiles aux entreprises qui sauront les utiliser dès
la programmation. Ils seront également utiles pour l’élaboration d’un produit ou bien d’un service fini,
dans laquelle les directives peuvent être remplacées par une définition contractuelle. En somme, le
recours à des auto entrepreneurs est un plus pour les entreprises. Le coût de la gestion correcte des
contrats reste très inférieur au différentiel de charge et de débours global (hors marché tendu).
Peuvent­ils remplir un horaire fixé dans le cadre de l’activité contractuelle ? L’horaire fixé ne constitue
qu’un indice et non un élément de requalification en contrat de travail salarié. C’est le lien subordination
qui constitue un mobile de requalification. Mais si l’auto­entrepreneur français travaille en moyenne 55 h
par semaine (EWCS), il n’est guère possible de le planifier durablement dans l’activité de l’entreprise
au­delà d’un horaire qui ne lui permette pas d’exercer ailleurs une partie de sa forte mobilisation.
Dans une activité fortement créatrice, novatrice et transformatrice, l’auto­entrepreneur peut représenter
5 % des horaires (5 % autres couverts par des opérationnels externalisés). Le tissu relationnel doit être
évidemment plus large que les 5 % nécessaires (indisponibilités et surtout limite de revenu autorisé).
Signalons également les structures de portage et de management de transition qui dans les postes de
cadres sont d’excellents contacts pour disposer d’équivalents autoentrepreneurs.
Les contrats zéro heure (1 400 000 UK) concernent surtout des travailleurs moyennement qualifiés
(OHQ, employés) dont le travail s’intègre comme partie d’un processus de production global. Leur
bonne qualification (ou du moins leur surqualification pour le poste qu’ils vont occuper) leur permet de
s’intégrer sans besoin de formation à une place et un emploi estimés de court terme (défaillance d’une
présence, surcroît d’activité, etc.).
Leur intégration dans les options de fonctionnement de l’entreprise permet souvent d’éviter les
sureffectifs de sécurité : le bore­out ou la sous­productivité qui sont liés à ces sureffectifs. Disposer de
contrats de ce type mini horaires pour une entreprise permet de couvrir l’absentéisme (12 %) dans des
postes à bonne exigence technique, avec une garantie de dynamique externe plutôt que de recourir à
de la sur­présence.
L’optimum est pour les postes adaptés à des mini­contrats de disposer d’une capacité horaire d’environ
le 1/3 de l’absentéisme accidentel, les 2 autres tiers étant couverts par les échanges et les adaptations
horaires. Leur absence en France conduit à une surpondération de contrats de type auto­entrepreneur,
sur des gens qui n’ont pas forcément les compétences de gestion et de discernement qui leur
permettent de choisir en toute indépendance ce statut (seuls 56 % des autoentrepreneurs ont choisi
délibérément leur statut).
Le mini­job allemand (HARTZ IV) par sa limitation à 450 €/Mo, et ses compléments chômage rassemble
des populations plus hétérogènes à qualification moyenne plus faible. Ses 450 € ramenés donnent un
revenu moyen identique, mais chapeauté, aux intérimaires Français avec leur 27 % de taux
d’occupation.
L’intérim en France représente un peu moins de 510 000 équivalents emplois temps plein en 2013 pour
1,9 million de salariés intérimaires (concerne 1,25 million UK en 2006, 1,15 M en 2011 [2]). C’est en
France que proportionnellement à la population active hors fonctionnaires le taux est le plus élevé de
l’Europe avec 20 % du CA du travail temporaire européen. L’intérim concerne surtout des populations
moins qualifiées (38 % de sans qualification en France) et des secteurs à forte saisonnalité en plus du
BTP.
L’intérim n’est pas assez réactif pour répondre à des fluctuations de disponibilité ou d’activité
instantanées. Il ne peut être stratégiquement intégré dans la planification du disponible, le recours à
l’intérim, sauf pour couvrir des absences longues (4 % des absences) ou pour des postes non qualifiés
– (44 % n’ont pas de formation équivalente au Brevet des collèges).
L’absence en France de mini contrats a permis la subsistance du recours à l’intérim, plus facile à gérer.
Le tripartisme qui masque la précarité a évolué pour intégrer les droits à la formation et se lancer sur le
marché du pré­recrutement. L’intégration progressive des cursus de formation en interne dans les
entreprises pour disposer d’une pépinière de recrutement formée rend progressivement inopérant le
recours à l’Interim pour participer à son recrutement.
Qu’il soit bipartite ou tripartite, qu’il s’inscrive dans le droit commercial ou social, le contrat précaire met
à égalité de marché, la demande des entreprises et l’offre des actifs, mais aussi la demande d’une
entreprise avec l’offre d’un actif. Comparativement la France avec son 1,9 M d’intérimaires pour 21,4 M
de salariés fait plus "précaire" que ses voisins britanniques et allemands (8,9 % FR contre 8,6 % UK).
Traduire en stratégie offensive notamment de recours à des équipes mixtes salariés/non­salariés, les
opportunités offertes par la modification de l’environnement de la relation entreprise/actif ouvre une voie
à l’évolution des RH vers plus de décisionnels. 

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