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MS Marketing et Management des Industries Culturelles et Créatives
Promotion PIC2013
Mémoire de Recherche Appliquée
Marketing des héros dans l’Entertainment :
Les héros de fiction en tant que marques
et leur exploitation sous forme de licences
Quentin BOUTHENET
Soutenu en février 2016
Sous la direction de Mme Anne Gombault
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Marketing des héros dans l’Entertainment :
Les héros de fiction en tant que marques
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Soutenu en février 2016
Sous la direction de Mme Anne Gombault
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Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en aucun
cas engager KEDGE et le Programme Grande École, ni la directrice de mémoire.
Remerciements
D’abord, merci à Mme Gombault et à la KEDGE de m’avoir laissé librement choisir mon
sujet.
Merci ensuite aux deux Justine et à Ugo pour le temps qu’ils m’ont consacré pour les
interviews ainsi que leurs précieux conseils.
Merci à toute l’équipe Marketing d’Univers Poche de m’avoir fait participer aux dossiers
Star Wars.
Un grand merci aux relecteurs acharnés : Célia, Carine et Pierre-Emmanuel.
Et pour finir, merci à mes parents et à Julia pour leur (super-)patience !
Sommaire
I. Introduction.......................................................................................................7
II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons.....................................10
a. Le héros et le mythe .................................................................................10
i. Définition du héros par ses caractéristiques..................................10
ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros................14
iii. Réinterprétation moderne : quels nouveaux mythes ?...................17
b. Le héros de fiction, une marque en puissance ?.......................................23
i. Personnification de marque et storytelling.....................................23
ii. Les valeurs....................................................................................25
iii. Identité visuelle .............................................................................29
iv. Identité sonore ..............................................................................42
c. De la marque à la franchise : succès de masse à l’écran, licence et
sérialisation...............................................................................................46
i. Le cinéma : vecteur privilégié pour (re)lancer la franchise.............47
ii. Produit d’origine – Produit d’appel – Produits dérivés ...................50
iii. Séries TV et jeux-vidéo, nouveaux produits d’appel ? ...................58
iv. Notoriété, ciblage et licensing........................................................63
III. Étude des cas Disney, Warner Bros. et Ubisoft ..............................................70
a. L’enjeu d’acquérir le contenu du produit d’origine .....................................71
b. Campagne du produit d’appel, premières licences et sérialisation............76
c. Produits dérivés classiques : textile, jeux/jouets et figurines .....................83
d. Produits dérivés culturels : livres, audiovisuel et jeu-vidéo........................89
e. Implications managériales et structurelles du licensing.............................97
i. Un Brand Management complexe .................................................97
ii. Restructuration et internalisation des activités de diversification ...98
iii. Politique extensive de Brand Content..........................................101
f. Réappropriation du contenu par les fans et influence culturelle (voire
mythique) des sagas héroïques..............................................................104
IV. Conclusion ...................................................................................................109
V. Bibliographie sélective..................................................................................111
VI. Index des figures ..........................................................................................114
VII. Annexes .......................................................................................................116
VIII. Table des matières.......................................................................................148
7
I. Introduction
Dans le contexte postmoderne, l’individu souffre d’un cruel manque de repères, de
modèles inspirants, de figures exemplaires au sein des structures l’environnant. Il n’existe
plus de leaders politiques qui fassent l’unanimité, c’est la méfiance qui guide l’électorat.
La religion, en Occident tout du moins, s’est largement érodée, elle a perdu sa fonction
fédératrice, elle est aujourd’hui plus facteur de tensions et de divisions que de
rassemblement. L’économie est loin d’être pérenne. Le jeune en construction fait de plus
en plus face à la dilution de la fonction d’autorité, à une famille éclatée ou devenue
presque contractuelle, et où les aînés ne cessent de brouiller les repères générationnels1
.
Vous êtes sûrs de vouloir aller au bout de ce mémoire ? Évidemment, je noircis quelque
peu le tableau en combinant tous ces problèmes sociétaux mais ils existent bels et biens,
et ils poussent aujourd’hui les individus à se chercher d’autres idéaux, d’autres valeurs,
d’autres modèles en vue de s’épanouir. Vers qui se tourner alors ?
L’individu postmoderne a besoin de nouveaux héros auxquels s’identifier. Les sportifs, les
chanteurs, les acteurs de cinéma voire même les YouTubeurs, les candidats ne
manquent pas pour endosser le rôle. Je vois deux limites aux héros réels. La première est
soulignée par l’historien Pierre Boudrot, alors qu’il distingue le héros de l’idole : « si l’un et
l’autre poussent à l’imitation, le héros seul incite au dépassement de soi, à l’oubli de sa
personne, en transformant son partisan en acteur, tandis que l’idole encourage son fidèle
à la stricte identification, au mimétisme, à l’atrophie de la personnalité. La ferveur que
l’idole cristallise de son vivant se déprécie en adoration, en culte de la personnalité.2
» Et
je crois que nombre de héros réels sont finalement plus proches des idoles, fugaces
plutôt que constructifs, qu’on adule un jour et qu’on descend en flammes le lendemain. Je
vois un second problème : le héros réel reste un homme ou une femme, qui doit, en plus
d’être performant dans son métier, faire figure d’exemple. Le héros réel doit donc être
capable de gérer la pression de ses admirateurs, relayée et amplifiée par des média
voyeuristes qui scruteront le moindre écart de comportement. Combien de carrières
brisées pour ces jeunes sportifs et chanteurs exposés trop vite à la vindicte populaire ?
Les héros de fiction quant à eux, présentent l’avantage d’avoir tout un business derrière
eux pour encaisser les critiques. De plus, ils ne vieillissent pas, leurs histoires peuvent
être renouvelées à volonté.
1
LE BRETON David, « La scène adolescente : les signes d’identité », Adolescence, 2005/3 (n
o
53), p. 587
2
BOUDROT Pierre, « Le héros fondateur », Hypothèses, 2002/1 (5), p. 178
8
On a déjà commencé à définir le héros, ce sera fait plus en détails dans les premières
lignes du développement en II)a)i). Le héros de fiction, homme ou femme, est un
personnage imaginaire issu d’une œuvre de fiction, et la notion d’Entertainment, de
divertissement populaire, nous indique qu’on s’intéressera à des héros qui sont passés
sur les écrans de cinéma, de télévision et/ou de consoles de jeux. Je compte en effet me
concentrer sur les héros du monde de Tolkien (Seigneur des Anneaux et Le Hobbit), de
Star Wars et sur plusieurs personnages super-héroïques et vidéo-ludiques. Vous allez
apprendre à les connaître petit à petit au cours de votre lecture, ils ont pour point commun
d’évoluer dans des univers fantastiques ou de science-fiction et d’avoir connu de
nombreuses adaptations les sortant de leur produit d’origine. Pour ce qui est des
concepts de marque et de licence, je vous en donne ici les définitions sommaires, nous
aurons l’occasion d’y revenir plus en profondeur au début de la partie II)b) puis au début
de la partie II)c). La marque est « un signe distinctif permettant de déterminer un produit
ou un service.1
» La licence « est un titre de propriété, une marque ayant une valeur
immatérielle monnayable.2
»
Au niveau des délimitations du sujet, géographiquement, la plupart de mes chiffres
concerneront les marchés européen et nord-américain, souvent même plus précisément
français et américain. Si je ne parlerai que peu du Japon, c’est parce qu’il possède ses
propres codes culturels en termes de héros (avec les mangas notamment, desquels je
suis loin d’être expert). Sur le plan sectoriel, nous serons amenés à parler principalement
de l’édition, du cinéma, de la télévision, du streaming/VOD (avec Netflix), du jeu-vidéo et
du marché du jouet. Concernant l’âge du public cible, les héros de fiction sont plutôt
destinés aux individus en construction, en développement de soi, donc visant
prioritairement les enfants, les adolescents et les jeunes adultes.
Dans ce mémoire, nous tenterons d’expliquer comment, au travers de la marque et de la
licence, le héros de fiction peut atteindre le statut de modèle pour l’individu contemporain,
de référence pour la masse, de héros mythique.
Concernant le cadre théorique, nous serons amenés à étudier le mythe de plus près, sa
structure, sa fonction auprès des individus et de la société, la fonction de ses
personnages, pour savoir le chemin qu’il reste à accomplir à nos héros de fiction
sélectionnés. Ensuite nous devrons envisager les problématiques de marque, d’identité,
1
WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation,
2003, p. 145
2
Ibid.
9
de valeurs, et trouver comment construire une marque à partir d’un héros. Enfin, une fois
cette marque établie, nous aurons besoin de comprendre en détails les mécanismes de la
licence, pour imaginer les déclinaisons du héros en tant que marque.
Pour le cadre méthodologique de la partie empirique, nous effectuerons l’étude de cas
comparés de trois entreprises Disney, Warner Bros. et Ubisoft, trois entreprises
extrêmement actives dans la licence et qui possèdent un large catalogue de héros. Nous
pourrons ainsi confirmer ou infirmer nos théories. Nous ajouterons aux interviews de
professionnels (entretiens semi-directifs) des données chiffrées ainsi que des études et
tendances de marché issues de revues professionnelles.
Concernant le plan, nous nous intéresserons d’abord au rapprochement entre héros de
fiction et mythe, puis nous regarderons comment le héros peut exister en tant que marque
et ensuite de quelle manière on peut décliner cette marque sous licence. Enfin, nous nous
pencherons sur l’étude de cas, en développant les différentes utilisations possibles de la
licence, leurs implications managériales et structurelles ainsi que leur influence sociale.
10
II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons
a. Le héros et le mythe
i. Définition du héros par ses caractéristiques
Qu’est ce qu’un héros, qu’est ce qui le définit ?
Avant de répondre à cette question, il convient de préciser le type de héros dont on va
discuter tout au long de ce mémoire. Comme explicité dans l’introduction, il ne s’agira pas
de héros réels, au sens de personnes ayant existé, mais bien de héros de fiction,
attachés à une histoire, à un récit. En outre, les héros dont nous parlerons ont en
commun d’avoir vu leur popularité exploser une fois portés à l’écran, au cinéma, en série
TV/streaming, ou encore en jeu-vidéo ; toutes ces formes de divertissement populaire,
que l’on regroupe sous le terme d’Entertainment.
Le héros est un personnage un peu particulier, un moteur de l’histoire, par ses
interactions avec les autres personnages il fait progresser ou non le récit. Et il n’est pas
forcément héros unique de la trame narrative, nombre de figures peuvent se partager la
tête d’affiche. Qui est le véritable héros du Seigneur des Anneaux ? Que l’on parle des
livres de Tolkien ou des films de Peter Jackson, la réponse pourrait être Frodon, après
tout c’est avec lui que l’on commence le récit et c’est lui qui détruit l’Anneau maléfique.
Mais alors que faire d’Aragorn, rôdeur a priori quelconque qui embrasse sa destinée
d’héritier du trône, et qui donne son titre au dernier volet de la trilogie Le Retour du Roi.
Et pourquoi ne pas raisonner en termes de popularité : alors ce serait Gandalf, figure
emblématique du monde de Tolkien, présent également dans Le Hobbit (films comme
livre) en véritable incarnation de son univers, qui éclipserait les deux premiers héros cités.
L’interrogation peut être la même pour Star Wars, entre Anakin, Obi-Wan, Luke ou Leia.
Le héros ne se limite donc pas au personnage principal du récit, il peut tout à fait être un
personnage secondaire qui prend de l’épaisseur au fur et à mesure de la narration. Mais
qu’est-ce qui place le héros au-dessus d’un simple personnage ? Et qu’est-ce qu’Anakin
et Gandalf ont en commun ?
Le héros possède cette capacité à inspirer autrui. En cela, on peut le rapprocher de la
vision du charisme chez le sociologue Max Weber : « nous appellerons charisme la
qualité extraordinaire […] d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de
11
caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie
quotidienne1
». Ce seraient donc des caractéristiques supérieures à la moyenne,
fondements du charisme des héros, qui les distingueraient des autres personnages, et les
placeraient dans une position d’influencer ce(ux) qui les entoure(nt). Mais alors quelles
sont ces caractéristiques ? La citation de Weber nous donne quelques indices : les
capacités extraordinaires peuvent être physiques, mentales, même aller jusqu’à des
pouvoirs magiques, surhumains. Des supers-pouvoirs ?
Les univers Marvel et DC Comics sont les principales sources de super-héros. Chez DC
Comics, vous connaissez sans doute Superman, Batman, Flash ou Wonder Woman.
Chez Marvel, on retrouve par exemple Spider-Man, les Avengers (des héros comme Iron
Man, Hulk, Thor), ou encore les X-Men (Magneto, Wolverine pour les plus célèbres). Pour
permettre de s’y retrouver dans toute sa galerie de super-héros, Marvel a pris l’habitude
de classer et noter ses personnages en fonction de leur degré de maîtrise dans 6
différentes catégories : Intelligence, Force, Vitesse, Endurance, Décharge d’énergie et
Combat au corps-à-corps. Les notes vont de 1, pour une faible maîtrise, à 7, où vous
détenez le pouvoir maximum en la matière. Pour vous donner une idée selon ce barème,
Einstein obtiendrait entre 5/7 et 6/7 en Intelligence, le judoka Teddy Riner une note de 5/7
en Combat, et un haltérophile entre 3/7 et 4/7 en Force. Voici le barème en détails :
1
WEBER Max, Économie et Société Tome 1, Éditions Pocket, 1995, p. 353
12
Figure 1 : Comparaison en infographies des capacités des personnages Marvel
(sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 184-191)
13
La Figure 1 nous permet de comparer les points forts et points faibles des principaux
héros de l’écurie Marvel. Le barème utilisé nous donne une vision plutôt complète de ce
qui peut définir un héros. J’ajouterai cependant à ces critères une capacité qui n’est pas
prise en compte : la force mentale. (Le critère d’Intelligence proposé correspond plus aux
capacités cognitives). Le courage et la détermination sont souvent ce qui distingue le
héros du personnage lambda : il est capable de faire ce qui est nécessaire, ce que
personne d’autre n’osera entreprendre. Et c’est aussi une raison pour laquelle il sera
respecté, admiré ou jalousé. Frodon dans Le Seigneur des Anneaux ne dispose pas de
qualités physiques ou cognitives extraordinaires, ni même de pouvoirs magiques. À
première vue il n’a pas l’étoffe d’un héros. Mais, au fur et à mesure du récit, il se découvre
des ressources insoupçonnées, une volonté d’aller au bout des choses et de se dépasser,
et il entraîne les autres héros de l’histoire dans son sillage.
Ce qui nous amène à une autre remarque, il ne faut pas oublier que la Figure 1 montre
des super-héros au zénith de leur performance dans les critères retenus. Qu’importe
l’adaptation, que ce soit dans les livres, les comics, ou au cinéma, le héros développe ses
capacités au fil de l’histoire. Même s’il vient d’une autre planète comme Superman, ou s’il
est un dieu comme Thor, le héros a besoin de temps et d’entraînement pour maîtriser
l’ensemble de ses pouvoirs. C’est aussi le cas pour les Jedi dans Star Wars. Et c’est
encore plus vrai pour des super-héros humains comme Batman ou Iron Man, qui seraient
démunis sans le développement de leurs gadgets et de leur technologie.
Pourquoi ne pas faire de distinction entre les super-héros et les héros a priori plus
normaux du monde de Tolkien ou de Star Wars ?
Les super-héros ont des capacités poussées à l’extrême, souvent pour faire face à
des menaces qui le sont. Sherlock Holmes, Zorro ou James Bond sont des héros
humains, mais surtout leurs actes s’inscrivent dans une réalité et une temporalité
vraisemblables. (Comparez la technologie de James Bond à celle d’Iron Man !)
Les univers fantastiques de Tolkien ou de Star Wars n’ont pas ces limites. En Terre
du Milieu (Tolkien), les héros doivent faire face à des créatures monstrueuses, à
des forces magiques, ce qui cautionne des capacités exceptionnelles et des actes
de bravoure hors du commun. Outre la dimension spatio-temporelle éloignée, chez
les Jedi et leurs antagonistes les Sith (Star Wars), il est intéressant de noter que la
maîtrise des pouvoirs de la Force s’apparente beaucoup aux superpouvoirs
(vitesse, saut, télépathie, télékinésie, décharge d’énergie).
14
ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros
Joseph Campbell (1904-1987) est un professeur et essayiste américain renommé pour
ses travaux dans le domaine de la mythologie comparée. S’il est peu connu en France
(notamment en raison de la traduction tardive de ses œuvres), il a véritablement
« renouvelé l’interprétation des mythes pour des millions d’Américains1
». Polyglotte et
grand voyageur, Campbell a analysé en profondeur les récits fondateurs de différentes
cultures voire civilisations, de différentes époques, de différentes régions du monde : la
mythologie gréco-romaine, égyptienne, nordique, les légendes arthuriennes, celles des
chamans de Sibérie, les contes perses, coréens et même les textes religieux chrétiens,
musulmans et hindous. Chez Campbell, le mythe est pris au sens large, c’est un récit
relaté par des hommes, pour des hommes. Dans son ouvrage The Hero with a Thousand
Faces (Le Héros aux mille et uns visages) publié en 1949, il expose sa théorie du Voyage
du Héros, connue également sous le nom de théorie du monomythe. Dans toutes les
histoires mythiques, Campbell décèle un scénario commun, une structure universelle qui
s’articule autour de la quête du héros. Analysant cette théorie, le philosophe Richard
Mèmeteau parle même du héros comme « seul lien entre des mythes qui peuvent être lus
séparément2
», même si selon moi ce n’est pas tant le personnage du héros, mais sa
progression au fil du récit qui est le vrai dénominateur commun dans l’esprit de Campbell.
1
AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph
Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 167
2
MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones,
2014, p. 92
15
Figure 2 : Le Voyage du Héros
La Figure 2 (le schéma comme le détail des étapes) est extraite du livre de Christopher
Vogler The Writer’s Journey (édition de 2007), qui a vulgarisé au sens mélioratif du terme
les travaux de Campbell. Il convient de préciser que « nombre de légendes isolent et
amplifient largement l'un ou l'autre des éléments typiques du cycle complet (thème de
l'épreuve, thème de la fuite […]) ; d'autres relient plusieurs cycles indépendants en un
seul (comme dans L'Odyssée). Des personnages et des épisodes appartenant à des
cycles différents peuvent fusionner ; ou bien un élément unique du cycle peut se
dédoubler pour réapparaître sous de multiples variantes.1
» Pour autant, malgré les
particularismes culturels et les siècles qui séparent la formulation des différents mythes,
une trame narrative universelle subsiste. Mais alors pourquoi les mythes, en conservant
leurs nuances, suivent-ils un schéma similaire ?
Le mythe est une histoire porteuse de messages, de croyances et qui a pour but d’être
transmise aux autres (générations). « Selon Campbell, le mythe répond à quatre
fonctions: la première fonction est métaphysique (nous réconcilier avec la vie, malgré sa
violence, sa brutalité […]), puis sa fonction est cosmique (représenter l’univers, […] le
mythe nous donne une expérience de ce mystère). De plus, sa fonction est sociologique
(nous donner des règles et des valeurs pour vivre ensemble en société en sachant que
ces valeurs évoluent avec les époques), et enfin le mythe possède une fonction
1
CAMPBELL Joseph, Le Héros aux mille et un visages, OXUS, 2010, p. 216
16
psychologique et pédagogique.1
» Et c’est sur cette dernière fonction que Campbell va
beaucoup insister, et c’est ce qui rend sa théorie très moderne. Le mythe a alors un rôle
de « formation des individus2
», fournissant des métaphores, des expériences de vie.
Joseph Campbell est un proche du psychanalyste C.G. Jung (il sera même son éditeur
aux États-Unis). Jung a conceptualisé les archétypes, ces images mentales,
représentations symboliques sous forme de situations, de figures que l’on retrouve dans
les rêves et les fantasmes de chacun, ainsi que dans les mythes. Les archétypes
proviennent en effet de l’inconscient, individuel ou collectif. Finalement le Voyage du
Héros se situe au niveau archétypal, il est le fruit de l’inconscient collectif, ce qui explique
les situations et les personnages qui reviennent dans des mythes a priori totalement
différents.
Suivant les étapes du Voyage du Héros, Campbell a aussi développé les archétypes de
personnages. L’Héraut appellera le héros à se lancer dans l’aventure (étape 2.) et à
quitter son monde ordinaire, venant rompre le quotidien tranquille. Le Mentor, le Guide
viendra conseiller le héros (étape 4.) jusqu’au premier seuil (étape 5.), où le Gardien lui
fera passer un test avant d’entrer dans le monde inconnu. Jusqu’à son retour dans le
monde ordinaire avec l’élixir (étape 12.), récompense récupérée après l’ordalie centrale
(étape 8, mi-chemin où le héros fait face à ses plus grandes peurs), le héros sera ralenti
par un ou plusieurs Antagoniste(s) (incarnations du Mal ou de la rivalité) et aura besoin
d’Allié(s). Interviendront aussi des Shapeshifters (des métamorphes) et des Tricksters
(soit des personnages comiques, soit des personnages rusés, malins, à la limite des
règles et de la morale comme Loki ou Rumpelstiltskin). Il n’est pas rare de voir un
personnage revêtir plusieurs archétypes.
Le héros a également son propre archétype, venant compléter notre définition donnée
précédemment en i). En progressant dans son Voyage, en surmontant les épreuves et en
affrontant le Mal, le personnage héroïque est un symbole positif autant que rassurant car
il sauve son monde, ramène l’équilibre. Vogler analysant les fonctions dramatiques du
héros3
, rappelle que le terme vient du grec et signifie à l’origine « protéger et servir » : le
héros est ainsi celui qui a le sens du sacrifice. Il précise que l’aspect universel ne doit pas
empêcher le héros de développer des particularismes et des faiblesses, d’autant plus que
cela aide à le rendre attachant. Vogler rappelle enfin que notre appréciation de l’histoire et
les fonctions du mythe chères à Campbell passent par notre identification au(x) héros.
1
AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph
Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 173
2
MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones,
2014, p. 93
3
VOGLER Christopher, The Writer’s Journey Third Edition, Michael Wiese Productions, 2007, pp. 29-32
17
iii. Réinterprétation moderne des travaux de Campbell : quels
nouveaux mythes ?
Les travaux de Campbell ne sont pas restés dans l’anonymat. Le Voyage du Héros, outil
à la fois souple et pouvant toucher un grand public, a été repris par nombre de
scénaristes, notamment dans le cinéma hollywoodien. On va s’attacher dans cette partie
à relier la structure des mythes et les archétypes de Campbell aux histoires de nos héros
de fiction modernes.
D’abord, j’ai envie de savoir si le Voyage du Héros peut s’appliquer, au moins les
premières étapes, au début de l’histoire du Hobbit de 1937, au début du premier film Star
Wars de 1977, et à la genèse de Batman dans la trilogie des films de Nolan (2005). J’ai
volontairement pris des époques très éloignées, pour voir si comme pour les mythes, le
squelette narratif survit à l’épreuve du temps.
Dans le livre Le Hobbit de J.R.R. Tolkien paru en 1937, Bilbon est un hobbit (un semi-
homme) qui vit paisiblement dans son monde ordinaire (étape 1.) jusqu’à ce que l’Héraut,
le magicien Gandalf lui propose de prendre part à une aventure (étape 2.). Bilbon refuse
(étape 3.) prétextant que sa routine lui va très bien. Gandalf en décide autrement et
donne rendez-vous à treize nains chez le hobbit. Les treize nains, aidés de Gandalf,
veulent reconquérir leur foyer, le Mont Erebor, gardé par le dragon Smaug (Antagoniste).
Après avoir expliqué leur quête à Bilbon et que lui pourrait faire partie de l’aventure,
Bilbon refuse à nouveau (étape 3. bis). Le lendemain matin, alors que les nains sont
partis, Bilbon se remémore les paroles de Gandalf et finit par céder à l’appel de
l’aventure. Il rattrape la compagnie de nains guidée par Gandalf (étape 4.) et la quête peut
commencer. À noter que dans ce récit, Gandalf joue le double rôle Héraut et Guide. Dans
Le Seigneur des Anneaux (1954), Gandalf est dans un rôle quasi-similaire auprès du
neveu de Bilbon, Frodon, mais le magicien revêt en plus l’archétype du héros, puisqu’il se
sacrifiera plus tard dans l’histoire pour ses compagnons (lorsqu’il affronte le Balrog de la
Moria, un démon des profondeurs).
Dans Star Wars : Épisode IV – Un nouvel espoir de George Lucas (1977), le jeune Luke
Skywalker vit tranquillement une vie de fermier avec son oncle et sa tante (étape 1.)
jusqu’à ce qu’il découvre dans son robot R2-D2 un message de détresse sous forme
d’hologramme (étape 2.), de la princesse Leia (Héraut) capturée par Dark Vador
(Antagoniste). Le message est adressé à Obi-Wan Kenobi (dit Ben Kenobi). Luke
retrouve Obi-Wan qui lui révèle qu’il est un Jedi et lui propose de rejoindre la quête, Luke
refuse de quitter son monde (étape 3.). Retournant à la ferme, Luke découvre les corps
de son oncle et de sa tante calcinés par les sbires de Dark Vador qui avaient retracé le
18
message de détresse jusqu’à la ferme. Alors Luke décide de rejoindre Obi-Wan pour
sauver Leia et combattre ceux qui ont tué sa famille. Le vieil Obi-Wan (Mentor) formera
Luke aux arts Jedi (étape 4.). Vous pouvez retrouver la suite de l’analyse des étapes dans
les premières pages de The Writer’s Journey de Christopher Vogler.
Dans le premier volet de la trilogie de Christopher Nolan, Batman Begins (2005), on
assiste dans la première heure du film à la genèse du super-héros. On a même un cycle
complet de Voyage du Héros. Bruce Wayne, orphelin, est un étudiant dissipé qui n’a pas
encore de sens à sa vie (étape 1.). Il est aveuglé par le désir de venger ses parents tués
par un criminel. Son amie Rachel (Héraut) l’emmène dans les bas-fonds de la ville de
Gotham pour lui faire prendre conscience que la ville gangrénée par la criminalité a
besoin de gens qui font le bien autour d’eux et défendent la justice, comme son père
avant lui (étape 2.). Bruce, préférant la vengeance à la justice, n’assume pas l’héritage de
son père (étape 3.). Après avoir confronté le parrain de la pègre locale, Falcone
(Antagoniste), qui lui assure qu’il aura toujours peur des criminels tant que ce monde lui
sera inconnu, Bruce s’exile loin de tout, où il n’aura plus à assumer le nom de Wayne, et
devient lui-même un voleur et un clandestin. On retrouve Bruce dans une prison asiatique
où un homme mystérieux Ducard (Mentor) lui propose de rejoindre la Ligue des Ombres
et combattre les criminels (étape 4.). Arrivé au temple de la Ligue (étape 5.), Bruce est
accueilli de manière musclée par Ducard (Gardien du seuil). Après une série de tests et
d’entraînements ninjas (étape 6.), Bruce, sous l’emprise de psychotropes (étape 7.), doit
affronter sa plus grande peur : les chauves-souris (étape 8.). Mais ce n’était pas le test
final, pour être définitivement membre de la Ligue des Ombres, Bruce doit tuer un criminel
de sang-froid (étape 8. bis). Ducard et le chef de la Ligue Ra’s al Ghul (Antagoniste) lui
expliquent alors leur projet : détruire Gotham pour éradiquer la criminalité. Bruce refuse,
tue Ra’s al Ghul et met le feu au temple. Il sauve Ducard des flammes et se souviendra
de ses enseignements (étape 9.) : inspirer la crainte à ses ennemis (d’où la chauve-souris
comme symbole). Sur le chemin du retour (étape 10.), dans l’avion le ramenant à
Gotham, Bruce discute avec son majordome Alfred qui lui apprend qu’il a été déclaré
mort. C’est l’occasion de ressusciter (métaphoriquement et civilement) Bruce Wayne qui
assumera désormais le rôle de son père (étape 11.) et une double identité avec la
naissance du justicier Batman dont il fera profiter son monde ordinaire (étape 12.).
Maintenant, essayons de comprendre pourquoi on retrouve chez Tolkien les archétypes
des mythes. Concernant ses sources d’inspiration, Tolkien s’est beaucoup intéressé à la
mythologie nordique, particulièrement aux mythes germaniques, mais aussi aux légendes
arthuriennes et au folklore celte. Ce n’est donc pas étonnant de retrouver une histoire
avec des elfes et des trolls, des anneaux magiques, et surtout des similitudes
19
archétypales : un Aragorn proche du Roi Arthur, et un Gandalf à la croisée entre Merlin et
Odin (le dieu nordique) sous sa forme humaine : « un vieil homme à la barbe grise qui
porte un bâton et porte un capuchon ou un manteau (généralement bleu) et un chapeau à
large bords1
». C’est exactement la représentation que l’on se fait de l’archétype du
Mentor/Guide. Tolkien compare lui-même Gandalf à cet Odin voyageur dans l’une de ses
lettres datant de 19462
. De plus, n’oublions pas qu’à l’origine, J.R.R. Tolkien est un
philologue, qui a créé plusieurs langues et leur alphabet (notamment deux de manière
très développée : le quenya et le sindarin). Mais il n’imagine pas une langue sans son
propre peuple, sans sa propre histoire, sans background. C’est ainsi que nait la Terre du
Milieu et les peuples qui la composent (elfes, nains, hommes, orques). Les écrits de
Tolkien sont l’œuvre de toute une vie : il dresse des cartes de la Terre du Milieu, invente
une chronologie propre avec l’évolution des peuples et de leurs langues, et une genèse à
son univers. En fait, il crée toute une mythologie à partir d’une œuvre de fiction (ce que
l’on nomme alors une œuvre mythopoïétique). Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux
sont finalement les récits les plus célèbres de cette mythologie, comme l’Odyssée,
l’épopée des Argonautes ou la légende d’Hercule dans la mythologie grecque. À l’image
de ce que Campbell disait de l’Odyssée dans la partie ii), les légendes de Bilbon, Frodon,
Aragorn ou encore Gandalf sont autant de cycles de héros qui s’entrecroisent dans Le
Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. Consciemment ou inconsciemment, en s’inspirant de
mythes existants et en érigeant son propre univers mythologique, Tolkien s’est rapproché
du Voyage du Héros.
Star Wars est également une œuvre mythopoïétique. George Lucas a élaboré une galaxie
toute entière, avec son histoire, ses planètes, ses langues et ses peuples. En 1977
cependant, l’univers n’est pas encore à ce point développé. Il s’avère que le jeune George
Lucas a été très influencé par Campbell, il a en effet étudié ses textes et cite
régulièrement Le Héros aux mille et un visages comme source d’inspiration majeure pour
Star Wars3
. Lucas était si reconnaissant envers Campbell qu’il l’a invité à voir en avant-
première, sur les lieux de tournage du premier film, l’intégralité de la trilogie. C’est ce que
l’on apprend sur le site officiel starwars.com4
: « And so Campbell, along with his wife
Jean, came to Marin County north of San Francisco. It was on a Sunday when Lucas took
the Campbells to the recently finished Skywalker Ranch. Lucas remembered, “I showed
them one in the morning [A New Hope], and we had lunch. I showed another one in the
1
BURNS Marjorie, « Gandalf and Odin », Tolkien's Legendarium: Essays on the History of Middle-earth,
Greenwood, 2000, p. 220
2
TOLKIEN J.R.R., Lettres, Christian Bourgeois Éditeur, 2005, p. 119
3
HIDALGO, WALLACE et WINDHAM, Générations Star Wars : La Chronique illustrée de 30 ans d’aventures -
Nouvelle édition, Hors Collection, 2012, p. 41
4
Dans la news intitulée « Mythic Discovery Within The Inner Reaches Of Outer Space: Joseph Campbell
Meets George Lucas – Part I » de Lucas O. SEASTROM publiée le 22 octobre 2015
20
afternoon [The Empire Strikes Back], then we had dinner. Then I showed another one in
the evening [Return of the Jedi]. It was actually the first time anybody, I think, had ever
seen all three of them together at one time!” » Ainsi, quand Christopher Vogler analyse
dans The Writer’s Journey le premier film Star Wars de 1977, on se doute qu’il trouvera
les traces du Voyage du Héros et des archétypes de Campbell. J’ai volontairement tu la
profession de Vogler jusque là. Christopher Vogler est un consultant et analyste de
scénarios à Hollywood. Il a travaillé pour les studios Disney, la Twentieth Century Fox,
Warner Bros., Paramount, Dreamworks et Universal. Alors qu’il est membre du
département d'écriture des studios d’animation Disney au début des années 1990, il
rédige comme outil de travail un mémo de sept pages, une version simplifiée et
modernisée des travaux de Campbell (version que je vous ai présentée avec la Figure 2).
Devant le succès de sa méthode qui se répand dans Hollywood, il la développe et en fait
un livre : The Writer’s Journey. Vogler a travaillé dans l’équipe de scénaristes ou a été
consultant pour de nombreux films, pour citer les plus connus : Aladdin (1992), Le Roi
lion (1994), Hercule (1997), Mulan (1998), La Ligne rouge (1999), Fight Club (1999),
Fantasia 2000 (1999), Je suis une légende (2007), Hancock (2008), The Wrestler (2009),
Fighter (2011), Black Swan (2011) et Men in Black 3 (2012)1
. À partir des écrits riches et
complexes de Campbell, Vogler a mis sur pied un puissant outil de storytelling qui a le
potentiel, grâce aux archétypes, de plaire à un public de masse. Tous les réalisateurs
n’ont pas eu la chance de rencontrer Joseph Campbell (comme George Lucas) ou de
l’avoir comme professeur (comme Brian De Palma2
), Vogler a permis aux idées de
Campbell de se diffuser dans le monde cinématographique américain.
Attaquons-nous désormais aux super-héros Marvel et DC Comics. Il est difficile d’établir
un lien direct entre Campbell et les comics, ou entre leurs adaptations sur grand écran et
Vogler. On a vu que le Voyage du Héros fonctionnait très bien pour le début de la trilogie
Batman de Nolan, mais on ne va pas s’amuser à faire cette analyse pour tous les films.
Les créateurs des personnages de comics se sont régulièrement inspirés de héros, de
fiction ou de mythe, déjà existants. On peut citer Bob Kane qui reconnaît s’être inspiré de
Zorro pour son Batman3
. On peut voir en Green Arrow un Robin des Bois contemporain.
La mythologie a aussi été une source de super-héros : les dieux nordiques Thor, Loki et
Odin sont présents dans les comics, ainsi que le royaume céleste d’Asgard, équivalent de
l’Olympe grec. En parlant de mythologie grecque, Wonder Woman est la fille de Zeus et
c’est l’une des guerrières amazones, elle a souvent comme ennemi un certain Arès.
1
http://www.actingstudio-masterclass.com/presentation.php
2
BLUMENFELD et VACHAUD, Brian de Palma : Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud,
Calmann-Lévy, 2001, p. 169
3
PEARSON et URICCHIO, The Many lives of the Batman, Routledge, 1991, p. 6
21
Flash, le héros à la vitesse supersonique, a
quant à lui beaucoup ressemblé au dieu
messager Hermès à ses débuts dans les années
1940 (voir ci-contre1
). Pour aller plus loin,
l’économiste et sociologue Jean-Philippe Zanco
voit même le super-héros comme « une forme
syncrétique du héros mythologique, du saint, du
prophète, revêtu de couleurs chamarrées.2
» En
d’autres termes, on se rapprocherait du héros de
récits fondateurs décrit par Campbell.
Umberto Eco s’est intéressé dès 1976 aux super-héros. Dans Le mythe de Superman3
,
Eco décrit ce même Superman p.24 comme « une image symbolique », comme « le
héros positif » par excellence, incarnation de « puissance », ce qui fait immédiatement
écho à l’archétype du héros chez Campbell, développé à la fin de la partie ii). Le
philosophe italien reconnait même p.25 « l’indéniable connotation mythologique du
personnage », thèse étendue aux super-héros en général à partir de la p.35. En d’autres
termes, le personnage du super-héros a toutes les caractéristiques du héros de mythes.
Par contre selon Eco, la saga Superman ne peut pas accéder au statut de mythe, car
l’histoire d’un héros de roman, de BD ou de comics est toujours en évolution. Eco oppose
p.26 l’imprévisibilité du « feuilleton pour les masses », c’est-à-dire du roman ou des
comics dont l’histoire ne peut être figée (elle doit en effet se développer pour satisfaire la
logique commerciale), à la prévisibilité du mythe. Il s’appuie sur l’exemple de la légende
d’Hercule, dont la narration et la fin sont universellement connues du public. Je ferai deux
objections à ce développement d’Umberto Eco. Premièrement, sans doute que du point
de vue d’un européen aux racines gréco-latines, l’histoire d’Hercule semble plus connue
que celle de Superman. (Et encore je vous mets au défi de me citer les douze travaux
d’Hercule.) Mais qu’en est-il d’un américain ? Deuxièmement, depuis 40 ans, la notoriété
de Superman, de son origine, de son histoire a fortement progressé, grâce aux
adaptations cinématographiques telles la tétralogie de 1978 à 1987, Superman Returns
en 2006 et Man of Steel en 2013, sans oublier la série TV Smallville et tous les animés
dans lesquels Superman intervient. Il faut garder à l’esprit que les comics ont continué et
continuent de proposer les aventures de Superman, avec un schéma narratif qui se
1
Source de l’image : http://www.ailleurs.ch/wp-content/uploads/2014/04/Dossier-p%C3%A9dagogique-
Superman-Batman-Co...-mics-Cycle-2-copie.pdf
2
ZANCO Jean-Philippe, La société des super-héros. Économie, sociologie, politique, Ellipses, coll. « Culture
pop », 2012, p. 175
3
ECO Umberto, "Le mythe de Superman", In: Communications, 24, 1976, La bande dessinée et son discours,
sous la direction de Michel COVIN, Pierre FRESNAULT-DERUELLE et Bernard TOUSSAINT, pp. 24-40
22
répète et en repartant régulièrement de zéro (ce que l’on appelle des reboot). On a donc
une histoire de Superman qui, particulièrement depuis la fin des années 1970, est
devenue prévisible pour le public, et a pu toucher différentes générations. Elle est
comparable à un mythe, à l’origine chez les Grecs une tradition orale1
, une histoire dont
on connaissait les grandes étapes mais à laquelle l’orateur pouvait ajouter des péripéties.
Et quand j’affirme que Superman est multi-générationnel, je ne suis pas le seul à le
penser. Je cite le professeur-chercheur en sciences de l’éducation Gilles Brougère : « la
richesse de Superman aujourd’hui, c’est de s’adresser toujours aux enfants et aux
adolescents grâce à un processus de renouvellement constant, mais aussi à ceux qui
l’ont rencontré avant, à travers des produits nostalgiques qui permettent de retrouver le
Superman de son enfance, mais aussi des produits comme les films capables de
s’adresser à l’ensemble des publics.2
» La « dimension générationnelle », comme la
nomme Brougère, de Superman s’applique également aux autres super-héros fortement
déclinés en produits dérivés (je pense particulièrement à Batman et Spider-Man), nous le
verrons dans la suite du mémoire.
Dans Le mythe de Superman, Umberto Eco apporte p.25 un dernier éclairage très
intéressant sur la fonction de la double identité chez les super-héros. Superman est un
archétype poussé à l’extrême : c’est un idéal, un modèle de perfection, il est le héros tout-
puissant. Comme beaucoup d’autres super-héros, ses pouvoirs sont hors normes. Mais
sous son identité civile, en tant que Clark Kent, il redevient un homme ordinaire, timide et
vulnérable, bref beaucoup plus accessible. La double identité permet l’identification au
super-héros, tout en faisant fantasmer le lecteur / spectateur : tout Clark Kent peut
devenir un Superman.
Dans l’introduction, on a vu que l’individu postmoderne avait besoin de nouveaux repères,
de nouveaux modèles, de nouveaux idéaux. Au cours de cette partie a), on a démontré
tout le potentiel mythologique des univers de Tolkien, de Star Wars, de Marvel et de DC
Comics. Si les évolutions des héros en question ne respectent pas toujours point par
point, étape par étape le Voyage du Héros, on a montré que les archétypes eux étaient
une constante. Cela confère à nos personnages une forme d’universalité ainsi que les
valeurs symboliques du héros positif, rassurant, une référence, une figure exemplaire à
laquelle l’individu postmoderne peut se rattacher. Reste à savoir si, et si oui comment, les
héros de la Terre du Milieu, de Star Wars, et les super-héros peuvent porter les mythes
d’aujourd’hui et même incarner les mythes de demain.
1
VERNANT Jean-Pierre, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Éditions du Seuil, 1990, p. 12
2
BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 144
23
b. Le héros de fiction, une marque en puissance ?
i. Personnification de marque et storytelling
Avant de faire le rapprochement entre héros et marques, il nous faut définir le terme de
« marque ». Selon l’American Marketing Association (AMA), la marque est « un nom,
terme, signe, dessin ou toute combinaison de ces éléments servant à identifier les biens
ou services d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et à le différencier des
concurrents ». Pour compléter, le Mercator1
ajoute que ces signes « influencent la
perception et le comportement des clients par un ensemble de représentations mentales,
et créent ainsi de la valeur pour l’entreprise. » Pour faire la synthèse, la marque est un
signe dans tous les sens du terme, elle est « à la fois un signifiant et un signifié2
». La
marque est un signifiant à travers les éléments tangibles qui la composent (nom, logo,
etc.), lui permettant d’être reconnue et de se distinguer des autres (définition de l’AMA).
La marque est aussi un signifié car elle évoque du sens, du contenu, elle renvoie à des
dimensions fonctionnelles et symboliques (définition du Mercator). La marque est donc un
ensemble d’éléments tangibles, un « véhicule sensoriel3
», qui alimente des éléments
intangibles.
Pour la suite du mémoire, j’utiliserai l’expression « identité de marque » pour évoquer la
marque telle qu’elle est construite par l’entreprise, et celle d’ « image de marque » pour la
marque telle qu’elle est perçue par les consommateurs.
Après ces précisions théoriques, concentrons-nous sur la dimension symbolique de la
marque, ce qu’elle représente. Pour sa dimension symbolique, la marque va s’appuyer
sur des valeurs, dont nous discuterons dans la partie ii), mais aussi « sur des
caractéristiques de personnalité, sur des bénéfices émotionnels.4
» Quoi de mieux qu’un
héros pour jouer sur le registre émotionnel et donner de la personnalité à sa marque ?
Les marques de la grande consommation l’ont vite compris, en s’associant régulièrement
avec des stars (des sportifs pour les équipementiers, des top-modèles pour les
cosmétiques), en créant des personnages (Mr. Propre, Géant Vert) ou encore des
animaux (Tony le tigre des Frosties) pour incarner leur marque. On peut très bien choisir
des animaux normaux, comme le hérisson de Spontex, qui vont augmenter la cote de
1
LENDREVIE et LÉVY, Mercator 11
ème
édition, Dunod, 2014, p. 800
2
LAI Chantal, La marque 2
ème
édition, Dunod, 2009, p. 9
3
Ibid.
4
Ibid., p. 19
24
sympathie envers la marque, mais pour passer au stade supérieur dans l’attachement et
l’identification à la marque, on favorisera des créatures anthropomorphisées. Et ce ne
sont pas toujours des animaux, on retrouve même des produits anthropomorphisés
(M&M’s) voire des ingrédients de produit (les supposés fruits dans l’Oasis). On peut
distinguer deux grands types de personnification de marque1
: celle où la marque et le
personnage ne font qu’un, ce qui se retranscrit alors dans le nom de marque (Mr. Propre,
Géant Vert, et pour nos héros on citera Batman, Superman et Spider-Man, on verra dans
la suite du mémoire que ce sont des marques à part entière) et celle où le personnage est
plus le ou l’un des représentant(s) de la marque, voire sa mascotte (Tony des Frosties, et
pour nos héros de fiction Gandalf pour la Terre du Milieu ou Dark Vador pour Star Wars
sont des représentants iconiques). Les héros de fiction sont des incarnations naturelles
de leur univers, donc de leur marque, ce qui présente un avantage considérable. Il n’y a
pas de risque en termes d’image de marque, alors qu’en créant sa mascotte ou en
s’associant avec une personnalité on peut vite perdre en crédibilité. Février 2014,
souvenez-vous : LCL a voulu faire de Gad Elmaleh son porte-parole pensant profiter de la
popularité de l’humoriste et de son accessibilité (aux yeux du public). On ne devait pas
nécessairement s’identifier à Gad Elmaleh, mais plutôt lui faire confiance dans un rôle de
prescripteur. Dans les faits, le résultat fut plutôt inverse, l’accueil de la publicité par le
public étant glacial, et force est de constater que les images de marque des deux parties
s’en sont vues largement dégradées.
Justine Villeneuve de chez Ubisoft (3ème
éditeur indépendant de jeux-vidéo au monde) voit
trois avantages à une marque incarnée par un héros2
. « Le premier point fort, c’est
l’identification, la possibilité de se projeter dans un personnage. » Comme on l’avait vu
avec Umberto Eco, la double fonction du héros à la fois accessible et exemplaire, va se
transférer à la marque qu’il représente. Deuxièmement, le héros va faire profiter la
marque de son identité visuelle impactante (on traitera l’identité visuelle en iii). Et en
dernier lieu, Justine insiste sur l’histoire derrière les personnages, en prenant l’exemple
des fruits Oasis devenus une licence à part entière. Orange Présslé, Mangue Debol &
Cie, n’apparaissent pas seulement dans les publicités de la marque de boisson, ou sur
ses packagings, ils bénéficient également de leur mini-série sur YouTube. On y raconte
leurs aventures, leur histoire. Cela leur donne un background, « de la richesse et de la
profondeur3
», et participe à la dimension symbolique de la marque Oasis.
1
COHEN R.J., “Brand Personification: Introduction and Overview”, Psychology & Marketing, Vol. 31(1), Wiley
Periodical Inc., January 2014, pp. 3-8
2
Cf. interview en annexe
3
LAI Chantal, La marque 2
ème
édition, Dunod, 2009, p. 19
25
En effet une fois attaché au personnage, le fait de le voir évoluer, se développer, renforce
le lien affectif. Les grandes enseignes aiment se servir de cet aspect narratif, notamment
en points de vente, et se rapprocher du mythe1
. Ce qui est intéressant avec les héros de
fiction, c’est que leur contenu narratif, leur Voyage du Héros existe déjà, il suffit juste de le
mettre en scène. Contrairement au storytelling de certaines célébrités ou de certains
hommes politiques, qui peut paraître monté de toutes pièces, le storytelling des héros de
l’Entertainment a de son côté une forme de légitimité, d’authenticité. Ainsi, le héros et le
contenu narratif facilitent une des trois fonctions principales de la marque2
, celle de
réduire le risque perçu. Le consommateur se retrouve en effet dans un univers rassurant,
en territoire connu, et non dans un storytelling factice.
Le héros incarnation de marque est capable de générer la personnalité, le caractère, et le
potentiel affectif (à travers le storytelling) de la dimension symbolique. Qu’en est-il du
dernier pilier de la dimension symbolique, les valeurs de marque ?
ii. Les valeurs
Dès qu’un héros est utilisé pour représenter une marque, les valeurs associées au
personnage l’accompagnent. On peut les diviser en quatre catégories : valeurs
archétypales, valeurs individuelles, valeur collective, valeurs morales et politiques.
 valeurs archétypales :
C’est ce que nous avons démontré tout au long de la partie a), ce que nombre de héros
dans l’Entertainment ont en commun par leur affiliation au récit mythique et à l’archétype
du héros chez Campbell. On retrouve un héros à portée universelle, positif, rassurant,
triomphant du Mal et n’hésitant pas à se sacrifier pour sauver son monde et/ou ceux qui
lui sont chers.
Mais rappelez-vous, il existe d’autres archétypes dans le Voyage du Héros, le Mentor (ou
le Guide), l’Héraut, l’Allié ou encore le Trickster. Il n’est pas rare de voir un héros revêtir
des archétypes supplémentaires, cumulant ainsi ce qu’ils représentent. Par exemple,
Gandalf est principalement un Guide, mais on a vu en partie a)iii) que c’était aussi un
héros et un Héraut. J’ajouterai que c’est également un Allié (car un Guide/Mentor exclusif
1
DEBOS Franck, « L’intégration de la sémiotique et des figures de style dans la stratégie Marketing des
distributeurs et des fabricants : des marques « mythiques » aux points de vente, espaces de narration et de
langage », Market Management, ESKA, 2007/1 (Vol. 7), pp. 28-38
2
Les deux autres fonctions sont la simplification (du processus d’achat) et la personnalisation (ou sentiment
d’appartenance) : LAI Chantal, La marque 2
ème
édition, Dunod, 2009, pp. 22-23
26
n’accompagne pas le héros dans le monde inconnu, il s’arrête à l’étape du seuil). En tant
que héros, Gandalf est associé aux valeurs d’exemplarité et de sauveur universel, mais
en sa qualité de Guide/Mentor, il est aussi le sage, le prophète, en étant Héraut, il est le
porteur de changement, et en tant qu’Allié, il est un personnage fiable en qui on peut avoir
confiance. Gandalf représente la somme de toutes ces valeurs. Et ce n’est pas un cas
isolé, au début du Seigneur des Anneaux, Merry et Pippin sont des Alliés-Trickster
(Trickster au sens de comiques), au fur et à mesure de l’histoire ils deviennent eux-
mêmes des héros. Au même titre que Gandalf, ils véhiculent les valeurs liées aux
archétypes les concernant, aux rôles qu’ils jouent dans le récit.
 valeurs individuelles :
Ce sont les valeurs qui sont propres à chaque héros car reposant sur la combinaison
unique de leurs capacités, de leurs pouvoirs (voir la Figure 1 pour les super-héros
Marvel). Hulk est associé à la puissance débridée, La Chose à la solidité, l’endurance, Le
Professeur X (rien à voir avec l’industrie pornographique) au génie, Flash à la vitesse
supersonique, et Frodon à la bravoure sans limite.
 valeur collective :
Même les héros les plus solitaires comme Wolverine ou Batman sont affiliés à un groupe,
à une équipe. Face à une menace extrême, quand les qualités individuelles ne suffisent
plus, les héros s’allient autour d’une cause commune et génèrent une force collective
pour faire front. C’est ainsi que se forment les Avengers, la Justice League ou la
Communauté de l’Anneau (Seigneur des Anneaux). On retrouve souvent des liens de
sang ou d’amitié profonde pour créer le noyau dur de l’équipe. Typiquement chez Les
Quatres Fantastiques : La Chose est le meilleur ami de Mr Fantastique, qui est le mari de
La Femme Invisible, qui elle-même est la sœur de La Torche. Certaines sont moins des
équipes mais plus des institutions : le Conseil des Jedi (Star Wars), l’école du Professeur
X (qui forme les X-Men) ou puisqu’on a commencé à parler jeux-vidéo, la confrérie des
Assassins pour Assassin’s Creed. Les héros sont alors aussi représentants des valeurs,
du crédo de leur institution.
 valeurs morales et politiques :
On ne juge pas uniquement un héros sur ses pouvoirs, sur la cause de son équipe, ou sur
le rôle qu’il joue dans l’histoire, on le juge aussi sur son comportement, comment il passe
les épreuves, comment il résout les conflits. La manière dont il fait est tout aussi
importante que ce qu’il fait. On a tendance à penser que le héros est foncièrement moral,
il incarnerait le respect, l’humilité, la liberté, la tolérance. Umberto Eco décrit ainsi
27
Superman comme « beau, humble, bon et serviable1
». Mais je trouve cette description
caricaturale, les héros ont souvent trop confiance en eux, et ne se soucient pas forcément
des nombreux dommages collatéraux, humains et matériels (des bâtiments voire des
villes entières) qu’ils occasionnent. Regardons de plus près comment agissent les héros
de comics si, aux idéaux moraux, on adjoint des idéaux politiques :
Figure 3 : Mapping des super-héros et de leurs ennemis selon leurs valeurs politico-morales
(LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, p. 50)
Sur cette Figure 3, l’axe vertical représente la relation du héros à l’ordre, au contrôle et à
la liberté d’autrui, en haut les plus fermes, les autoritaires, les égocentrés, au milieu les
plus démocratiques, en bas les plus libertaires, anarchistes voire chaotiques. L’axe
horizontal représente quant à lui le rapport du personnage à la société, au risque et au
changement : les conservateurs, les plus prudents et les moins tolérants à droite, les
moins intégrés à la société, les réformistes voire révolutionnaires à gauche.
1
ECO Umberto, « Le mythe de Superman », In: Communications, 24, 1976, p. 24
28
Il n’est donc pas étonnant de voir Green Arrow, le Robin des Bois des comics, incarner en
bas à gauche la liberté et la tolérance. Iron Man, génie et marchand d’armes milliardaire,
est logiquement dans le carré en haut à droite, se montrant régulièrement individualiste et
cynique. Batman est aussi dans ce même carré, il est obsédé par le fait de ramener
l’ordre et est considéré comme conservateur car il est très prudent, très réfléchi dans ses
actions. Les mutants Magneto (l’Antagoniste principal des X-Men) et Hulk sont sur un
même plan vertical, plutôt à gauche, car peu intégrés à la société, mais Magneto veut
imposer sa vision au monde d’où son placement chez les autoritaires, tandis que Hulk
amène le désordre partout où il passe. Pour terminer, le Joker, le super-vilain ennemi juré
de Batman, se trouve au coin du carré inférieur gauche, il aime en effet bouleverser la
société en semant le chaos.
Les univers de super-héros, de Tolkien ou de Star Wars sont-ils manichéens ?
Certes on retrouve systématiquement dans ces univers deux camps opposés, le
Bien affrontant le Mal : les super-héros contre les super-vilains, les Gens Libres
contre les partisans de Sauron, et les Jedi contre les Sith. Certains personnages
sont profondément bons (Yoda, Gandalf) et d’autres viscéralement mauvais
(L’Empereur Dark Sidious, Sauron). On a donc une structure narrative à base
manichéenne, dans la droite lignée des mythes.
Cependant, ces histoires sont bien plus complexes quand on s’y intéresse de plus
près et la frontière entre Bien et Mal pas si infranchissable que cela. Magneto est
d’abord un collaborateur du Professeur Xavier avant de se retourner contre les X-
Men, Jean Grey est d’abord une super-héroïne avant de devenir une Antagoniste.
Saruman est avant tout le chef des Istari (les magiciens envoyés en Terre du
Milieu), il est le Mentor de Gandalf, mais choisit le camp de Sauron. À l’image de
Catwoman, tantôt alliée, tantôt amante, tantôt ennemie de Batman, il y a aussi
beaucoup de personnages neutres ou mercenaires qui ne prennent parti pour
aucun camp (Sylverbarbe du Seigneur des Anneaux) ou alternent entre deux
suivant leur propre intérêt (Gollum). Enfin pour Star Wars, c’est dans l’ADN-même
de la saga que les héros les plus puissants soient tentés par le côté obscur. Le
comte Dooku est un ancien apprenti de Maître Yoda avant de devenir l’un des
leaders Sith. Mais l’exemple le plus célèbre est bien sûr Anakin / Dark Vador.
Anakin est l’élu de la prophétie, le Jedi censé ramener l’équilibre dans la galaxie.
Sombrant peu à peu dans la passion et la colère, il devient Dark Vador le bras armé
de l’Empereur. Héros déchu, il finira par obtenir la rédemption de son fils Luke…
29
iii. Identité visuelle
Le héros est capable de donner beaucoup de valeurs et de personnalité à sa marque.
Mais le consommateur n’est pas toujours conscient de cette dimension symbolique et ce
n’est pas ce qu’il va percevoir en premier de l’image de marque. C’est en fait l’identité
sensorielle qui constitue son premier contact avec la marque, et si elle retient son
attention, si elle est impactante, alors la dimension symbolique suivra. C’est l’adhésion
aux éléments tangibles de la marque, au signifiant, (au « véhicule sensoriel » de Chantal
Lai,) qui amène le consommateur vers les éléments intangibles, le signifié.
Des cinq sens, la vue est ce qui va être le plus sollicité dans la reconnaissance d’une
marque et sa différenciation par rapport aux autres. L’identité visuelle est ainsi primordiale
dans la construction des marques-héros.
Quelles sont les valeurs des personnages maléfiques ? Pourquoi les aimons-nous
tant ?
Sauron, Saruman, Dark Vador, Magneto, Lex Luthor, ou encore Le Joker ne
véhiculent certainement pas les mêmes valeurs que les héros. On ne peut pas dire
qu’ils brillent par leurs valeurs morales. Ils peuvent faire preuve de valeur collective,
ils sont en effet suffisamment machiavéliques pour s’allier à leurs homologues
(exemples : Suicide Squad, l’Ordre Sith), mais c’est souvent par pur intérêt, pour
une durée limitée et les trahisons sont nombreuses. Et il ne faut pas oublier que ce
sont des Antagonistes, leurs valeurs archétypales sont donc à l’opposée de celles
des héros, ils sont ainsi rarement positifs et rarement rassurants. Alors pourquoi au
lieu de les rejeter les trouve-t-on fascinants ?
D’abord, sur le plan des valeurs individuelles, des capacités intrinsèques, ils n’ont
souvent rien à envier aux héros du Bien, ils les surpassent même régulièrement, ce
qui leur confère un charisme certain. Ensuite, comme on a pu le constater, ils sont
nombreux, à l’image de Dark Vador, à avoir été ou à revenir du bon côté, une
complexité qui les rend plus humains. Enfin, ils jouent sur notre registre émotionnel
profond, par la passion, par la colère, par la violence dont ils font preuve, ils sont
l’expression des frustrations enfouies dans notre inconscient. En bref, ils ont une
fonction cathartique, comme la tragédie grecque chez Aristote. Les personnages
maléfiques sont l’incarnation de nos pulsions extrêmes et cela explique que l’on
puisse s’identifier à eux de temps en temps, ils sont complémentaires des héros.
30
 le nom :
Élément essentiel de toute marque, comment le choisir ? Pour nos marques héroïques, il
y a quatre choix possibles. Première solution, utiliser tout simplement le nom du héros
principal : Batman, Superman, Spider-Man. Dans ce cas-là, il faut comprendre que sous
la marque Batman sont racontées ses aventures, la marque ne désigne donc pas que le
héros principal mais bien tout son univers (incluant les autres personnages de l’histoire
comme Robin, Catwoman, Le Joker, ainsi que leur environnement, la ville fictive de
Gotham). Deuxième possibilité, faire référence au héros mais sans le nommer, à l’aide
d’une métaphore ou d’une périphrase : Le Hobbit (désignant Bilbon), ou pour les jeux-
vidéo Prince of Persia ou encore Tomb Raider (Lara Croft). Troisième configuration, le
héros partage la tête d’affiche, on utilise le nom de l’équipe, de l’organisation, à laquelle il
est affilié : les Avengers, les X-Men, Assassin’s Creed. Quatrième et dernier choix
possible, on désigne un élément constant de l’univers (comme l’Antagoniste principal
Sauron pour Le Seigneur des Anneaux), voire même l’univers tout entier (Star Wars). Ici,
la référence directe ou indirecte au(x) héros disparaît. Cependant, on la retrouve dans les
sous-titres des différents volets : par exemples les Star Wars : Épisode IV – Un nouvel
espoir et Star Wars : Épisode VI – Le retour du Jedi font référence à Luke, Le Seigneur
des Anneaux : La Communauté de l’Anneau désigne le groupe des neuf héros principaux
(dont Gandalf, Aragorn et Frodon) tandis que Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du
Roi indique la destinée d’Aragorn.
Pour sortir du lot et se différencier, le nom de marque a aussi besoin d’une typographie,
d’une charte graphique qui lui est propre, on appelle cela un « logo-titre ». Typiquement,
le logo-titre Star Wars va être répété sur tous les supports utilisant la marque. Mais cela
n’est pas systématiquement respecté pour d’autres marques, comme Spider-Man, où le
logo-titre dépend des adaptations et des nombreux reboot (pour rappel, un reboot
correspond à un redémarrage à zéro de l’histoire).
Figure 4 : Continuité du logo-titre Star Wars
31
De gauche à droite sur la Figure 4, on retrouve le DVD du dernier volet de la trilogie des
années 1980, l’excellent jeu-vidéo Star Wars : Knights of the Old Republic (2003),
l’intégrale (en livre) de la trilogie des années 2000 (Pocket Jeunesse, 2015), et l’affiche du
film à venir : l’épisode VII de la saga (2015). Malgré les années les séparant et la diversité
des supports, on remarque la typographie identique du logo-titre Star Wars, seule la
couleur varie. Je précise que le DVD de l’épisode VI est évidemment sorti en 2006, mais
l’affiche de 1983 (cf. annexes) présente déjà le logo-titre Star Wars (cependant il est bien
plus visible sur le DVD, d’où ce choix en miniature plutôt que l’affiche).
Figure 5 : Discontinuité du logo-titre Spider-Man
Sur la Figure 5 au contraire, on est frappé par les logos-titres Spider-Man très distincts les
uns des autres. En partant de la gauche, celui du jeu-vidéo de 2000 (repris des comics
d’origine) n’a rien à voir avec celui plus moderne du film de Sam Raimi (2002, le premier
opus d’une trilogie). En 2012, le reboot de l’homme-araignée au cinéma s’offre
logiquement un nouveau logo-titre (troisième image en partant de la gauche), cependant
différent de celui de la série TV animée sortie la même année sur la chaîne Disney XD
(dernière image à droite). Notons avec amusement la plongée similaire sur New-York
entre le jeu-vidéo de 2000 et l’affiche du film de 2002, ou encore la position dynamique
très ressemblante de l’affiche cinéma de 2012 et de la jaquette DVD du film de 2002 (cf.
annexes).
Pour les marques incarnées par des héros, le nom de marque est donc une donnée
relativement stable, mais pas le logo-titre. Continuons de chercher ce qui fait la constante
et la force de l’identité visuelle de ces marques.
 le logo / emblème / symbole :
Les marques qui ne possèdent pas de logo-titre fort, emploient souvent un logo-emblème,
un écusson, un symbole design pour mieux les représenter. J’en ai déjà fait mention, il
32
existe trois types de super-héros : les humains (tirant leurs pouvoirs de leur entraînement,
de leur technologie, de leurs accessoires), les mutants (victimes de mutations génétiques,
des humains à l’origine) et les extraterrestres (des non-humains venus soit d’une autre
planète, soit d’un monde céleste imaginaire).
Superman est dans le dernier cas cité, il est originaire de la planète Krypton. L’Homme
d’acier comme il est communément surnommé, est un pionnier. Créé en 1938, doyen des
super-héros, il est aussi le premier à arborer sur son torse un emblème. Oui c’est bien
cela, le fameux « S » rouge sur fond jaune. Dans les comics d’origine, le S signifie tout
simplement Superman, mais au fil des adaptations, il a revêtu d’autres significations, il
serait le blason de la famille de Superman, représenterait un serpent guérisseur ou
encore signifierait « espoir » en langage kryptonien. Il est intéressant de noter qu’en 1938,
la silhouette de l’emblème ressemble beaucoup à un insigne de police, avant d’adopter
progressivement la forme diamantaire qu’on lui connaît (cf. annexes pour l’évolution).
Selon Gilles Brougère1
, « c’est sans doute l’une des forces de Superman de se décliner
sous une forme qui ressemble étrangement à un logo, mais un logo qui n’est pas
simplement une étiquette […], mais le signe même du personnage. » Ce logo, cet
emblème, ce fameux S signature du super-héros de Krypton permet aujourd’hui de
« penser Superman à la fois comme un héros et une marque ». À la suite de l’Homme
d’acier, de nombreux personnages ont orné leur poitrine d’un emblème caractéristique, on
peut déjà citer Flash et Green Lantern, mais ils ne sont pas les seuls.
Chez les humains et les mutants, volontairement pour les uns, accidentellement pour les
autres, il n’est pas rare que le nom et les pouvoirs du héros soient liés à un animal :
Batman, Le Faucon, La Veuve noire, Spider-Man, Wolverine. (Si vous désirez une liste
plus exhaustive, avec les héros classés selon les animaux auxquels ils se rapportent,
allez jeter un coup d’œil aux annexes). On retrouve ainsi Batman, le Chevalier noir, qui
choisit comme symbole la chauve-souris pour inspirer la peur à ses ennemis et Spider-
Man, qui mordu par une araignée mutante, développe des capacités arachnéennes. À
l’image de Superman, Batman et Spider-Man vont porter sur le torse leur symbole fétiche,
(de fait leur animal,) qui deviendra leur emblème en tant que personnage et en tant que
marque.
On a vu cependant que certaines marques ne se définissaient pas par le nom de leur
héros, mais par le nom de l’équipe ou de l’organisation à laquelle le héros est affilié. Et il
se peut que le groupe ou l’institution en question ait déjà son propre logo. Alors cela
donne par exemple la marque-équipe Avengers, avec pour logo un A cerclé et muni d’une
flèche dynamique, tandis que la marque Assassin’s Creed va naturellement utiliser
1
BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement
« Mutations », 2008, p. 146
33
comme emblème le symbole de la confrérie des Assassins. Observez-le bien sur la droite
de la Figure 6, c’est en fait une version stylisée de l’Équerre et du Compas franc-
maçonnique (si vous avez déjà joué à Assassin’s Creed, cela ne vous étonnera pas).
Figure 6 : Quelques logos héroïques
(les marques Batman, Superman, Spider-Man, Avengers et Assassin’s Creed)
Malgré tout, nous n’avons pas encore trouvé la véritable constante visuelle des marques
incarnées par des héros. En effet, tous les héros ne disposent pas de logos-emblèmes. Si
vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que les logos de la Figure 6 sont volontairement
dénués de couleurs. Les couleurs, est-ce un début de réponse à notre interrogation ?
 le costume, design et couleurs :
La tenue du héros, son costume, c’est la première image qui me vient à l’esprit lorsqu’on
m’évoque les marques dont il est question depuis le début de ce mémoire. Quand le
produit d’origine de la marque est un roman, le héros
acquiert son identité visuelle lors de son passage sur les
écrans, de cinéma ou de télévision. C’est à ce moment
précis que son style particulier, design comme couleurs,
est déterminé aux yeux de tous. Gandalf existe en tant que
héros de fiction depuis 1937 (première parution du Hobbit)
mais ne voit son identité visuelle fixée qu’au tout début du
XXIème
siècle avec les films de Peter Jackson1
. C’est bien
le Gandalf ci-contre, image tirée du film, que je retrouverai
sur les produits dérivés de la marque.
Quand le produit d’origine est un jeu-vidéo, le design du héros est d’abord confronté aux
limites des premiers moteurs graphiques. L’industrie vidéo-ludique est très jeune
comparée au cinéma ou à la télévision, et le passage de la 2D vers la 3D ne s’effectue
qu’à la fin des années 1990 (en suivant la progression des consoles de jeu). En l’espace
1
La première vraie apparition de Gandalf et des autres héros de la Terre du Milieu sur grand écran est en
réalité en 1978, dans le film d’animation Le Seigneur des Anneaux réalisé par Ralph Bakshi. Il n’a cependant
pas eu le même retentissement et la même postérité que la trilogie de Peter Jackson débutée en 2001.
34
de dix ans, le design du Prince of Persia a passé cette épreuve avec brio, conservant la
coiffe bleue, la lame courbe et le bas blanc caractéristiques du personnage.
Figure 7 : Passage de la 2D à la 3D réussi pour le Prince of Persia (1993-1999-2003)
(Si vous trouvez le Prince of Persia de 2003 trop en armure par rapport à ses
prédécesseurs, sachez qu’il finit torse nu à la fin du jeu !) On peut aussi remarquer
l’évolution graphique avec de plus en plus de détails sur la tenue. L’amélioration des
détails graphiques est également continue chez la plus célèbre des héroïnes de jeux-
vidéo : Lara Croft (voir Figure 8). Depuis près de vingt ans, l’aventurière de Tomb Raider
a conservé les mêmes atouts visuels (tout en multipliant les pixels) : la coiffure, le top
moulant un corps sculptural, les mitaines, les deux pistolets, les boots et le mini-short1
.
Figure 8 : Évolution graphique de Lara Croft (1996-2015)
1
Dans certains opus, Lara Croft opte (à mon grand regret) pour le pantalon. C’est notamment le cas depuis le
reboot de la série de jeux (c’est-à-dire depuis 2013). On peut y voir la volonté de se démarquer de l’ancienne
série (comme dans tout reboot, souvenez-vous entre les films Spider-Man de 2002 et 2012) et aussi l’envie de
moderniser l’image de Lara, moins femme-objet et plus héroïne de son temps.
©2014-2015Pedro-Croft
35
L’une des forces de la marque Tomb Raider, c’est d’avoir gardé
constante l’identité visuelle de Lara Croft, même lors de son
passage au cinéma en 2001 et 2003, sous les traits d’Angelina
Jolie (voir ci-contre). Cela fait d’elle une héroïne extrêmement
reconnaissable et rend sa marque unique. Chez les Assassin’s
Creed, le héros avec lequel vous jouez n’est jamais le même
suivant l’opus, le principe du jeu étant de se réincarner en ses
ancêtres à différentes périodes marquantes de l’Histoire (comme
les Croisades, la Renaissance italienne, la Révolution française). Cependant, même dans
ce cas, on va aussi observer la volonté d’un design cohérent des costumes, véritables
marques de fabrique des Assassins, avec des éléments constants quelle que soit
l’époque concernée (voir ci-dessous la Figure 9). Les héros aux deux extrémités sont
même issus de produits dérivés (en l’occurrence les BD) mais maintiennent la cohérence.
Figure 9 : Filiation costumière des Assassins à travers l’Histoire
1
Quand le produit d’origine est un comics, tout l’enjeu est de savoir si un dessin de plus de
50 ans est capable de survivre à l’épreuve du temps et aux déclinaisons des super-héros
sur les écrans. On a déjà eu une première réponse en observant la Figure 5, le design
général du costume de Spider-Man est toujours le même, ainsi que ses couleurs rouge et
bleu caractéristiques. Évidemment, il subit quelques modifications ça et là selon les
adaptations, mais elles sont minimes (plus de détails en annexes). Pour Flash, le héros
1
La Figure comprend les principaux héros des jeux-vidéo et BD Assassin’s Creed sortis avant 2014 ; source :
http://www.wallpapermade.com
36
courant à la vitesse de l’éclair, le costume a connu plus de changements entre les
décennies 1940 et 1950 qu’entre les décennies 1950 et 2000 ! La longévité du costume
super-héroïque dans les comics se transmet aussi sur petit ou grand écran, en témoigne,
pour Flash, la série TV éponyme débutée en 2014.
Figure 10 : Flash et son costume à travers des décennies de comics
1
et la série TV de 2014
Spider-Man et Flash ne sont pas des cas isolés, les costumes définissent l’identité
visuelle des super-héros. Dernièrement cependant, lors des adaptations audiovisuelles de
leurs aventures, on constate un assombrissement des couleurs de leur tenue. C’est
particulièrement le cas chez les héros DC Comics, où l’on tente de camper des univers
plus sombres et plus adultes depuis une dizaine d’années (comparés aux comics). Le
Batman de la trilogie cinématographique de Christopher Nolan (2005-2012) ou dans la
série de jeux-vidéo Batman Arkham (2009-2015) est tout de noir vêtu, alors qu’il
mélangeait le noir, le gris clair et le jaune (sur son torse et au niveau de la ceinture) dans
les comics et les films jusqu’en 1995. Les costumes de Superman et de Wonder Woman
perdent également un peu de leurs couleurs vives ces derniers temps :
1
Source : giirlgonegeek.wordpress.com/2014/12/11/the-evolution-of-the-flash
©2015TheCWNetwork
37
Figure 11 : Assombrissement des costumes de Superman (1938-2013) et Wonder Woman (1942-2016)
1
La Figure 11 permet d’observer que la version 2013 de Superman sur grand écran
possède les couleurs les plus foncées. On remarque la même dynamique pour Wonder
Woman. En effet, si la série TV de 1975 respectait au détail près le dessin du comic book,
l’apparition de l’héroïne amazone au cinéma dans le Batman vs. Superman prévu en
2016 devrait être moins colorée. (Notez que j’ai mis deux images pour illustrer la Wonder
Woman 2016 : à gauche la tenue présentée au Comic-Con 2015 à San Diego et à droite
l’un des posters officiels du film).
Concernant les couleurs, n’avez-vous jamais remarqué celles qui reviennent le plus
souvent sur les costumes de super-héros ? Ce sont en fait les trois couleurs primaires : le
rouge, le bleu et le jaune. Sur la Figure 12, nous retrouvons la proportion de couleurs sur
le costume de neuf héros, six de Marvel (Wolverine des X-Men, Spider-Man, Ant Man, et
les trois Avengers : Iron Man, Thor et Captain America) et trois de DC Comics (tous
membres de la Justice League : Wonder Woman, Flash et Superman). Résultats sur les
neuf super-héros : rouge 9/9, bleu 7/9 et jaune 6/9. Que représentent ces colorations ?
D’après le peintre Kandinsky2
, le rouge symbolise la vitalité, la force, la puissance, la
couleur idéale des super-héros ! Le jaune est une couleur plus chaude, elle est l’énergie
pure, la lumière, la proximité, tandis que le bleu est une couleur plus froide, distanciée,
représentant le calme et l’ordre. Par opposition, les super-vilains optent quant à eux pour
les couleurs secondaires (cf. annexes), des mélanges, plus difficiles à obtenir et plus
instables. Le orange est un rouge qui a gagné en chaleur, une puissance non-maîtrisée,
irradiante. Le vert est associé aux superstitions, à la jalousie et à l’immaturité. Le violet est
un rouge refroidi, déshumanisé, magique, qui symbolise la crainte et la mélancolie.
1
Sources multiples : briff.me/2014/11/01 ; www.cinemablend.com ; moviepilot.com/posts/3359223
2
KANDINSKY Vassily, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 142-163
38
Figure 12 : Super-héros, costumes et couleurs primaires
(sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 8-9)
Pour l’anecdote, Iron Man n’a pas toujours porté son armure aux couleurs jaune et rouge
bordeaux. Il étrennait à ses débuts une armure grise métallisée plus conforme à son nom.
Ses créateurs ont-ils fini par lire Kandinsky ?
Quand le produit d’origine est un film, comme pour la saga Star Wars débutée en 1977, le
design des personnages est fixé depuis leur première apparition. Le look de Dark Vador
n’a ainsi pas beaucoup changé entre les deux trilogies. Celui de Maître Yoda non plus,
même s’il a profité des progrès techniques en matière d’effets spéciaux, pour passer de la
marionnette en latex à l’image de synthèse (dès l’épisode II de 2002). Les Jedi et les Sith
(les Jedi obscurs) ont un dress code particulier. Ils revêtent traditionnellement une robe de
bure, ce qui leur confère une allure monastique, et bien sûr ne se déplacent jamais sans
leur sabre laser. C’est en fait le code couleurs qui va différencier les Jedi des Sith. Les
représentants du côté obscur associent le noir de leur tenue au rouge de leur sabre laser.
D’après Kandinsky (et Stendhal), le rouge et le noir combinent puissance, passion, colère,
néant et mort. Observez sur la Figure 13 tout à droite le Seigneur Noir des Sith (alias Dark
Sidious alias l’Empereur) et ses trois apprentis : le Comte Dooku (alias Dark Tyranus),
Dark Maul avec son sabre laser double, et Dark Vador. Contrairement à ce que l’on
39
pourrait penser, le titre « Dark » ne fait pas référence à la couleur sombre de leur tenue,
mais est simplement la traduction française du « Darth » de la version originale. De leur
côté, les Jedi choisissent le brun et/ou le blanc cassé pour leur bure, et le vert ou le bleu
pour les sabres lasers. Le vert associé au blanc retrouve de la stabilité, leur association
symbolise la concentration, la sagesse, tandis que le brun apporte de la fermeté. Le sabre
laser vert est celui des Jedi Consulaires, qui se focalisent sur la maîtrise des pouvoirs de
la Force. Le sabre laser bleu est l’arme des Jedi Gardiens, les plus talentueux dans le
maniement du sabre. Sur la Figure 13 à gauche, vous retrouvez les Jedi les plus influents
des deux trilogies cinématographiques : de gauche à droite Maître Yoda, puis son
apprenti Qui-Gon Jinn, lui-même maître d’Obi-Wan Kenobi, qui initiera Luke Skywalker
aux arts Jedi. (Luke est ici représenté avec le sabre laser bleu de son père Anakin/Vador).
Figure 13 : Les principaux Jedi et Sith des deux trilogies de George Lucas (1977-2005)
 le costume, armes et équipement :
À l’image des sabres lasers et des Jedi, les héros se caractérisent par leur(s) arme(s) de
prédilection. On l’a vu, pas de Lara Croft sans ses deux pistolets, et pas de Prince of
Persia sans sa lame courbe (et sa Dague du Temps à partir de la version Ubisoft de
2003). Les Assassins ont naturellement un équipement qui évolue en fonction des
époques (voir Figure 9) mais disposent toujours de lames secrètes (actionnées par un
mécanisme au niveau du poignet).
En Terre du Milieu, les armes ou objets magiques à qui l’on donne un nom sont légions.
En plus de son bâton de magicien, Gandalf ne porte pas Excalibur et l’Anneau des
Nibelungen mais l’épée Glamdring et l’anneau elfique Narya. Thorin, le héros nain du
© wallhaven.cc 2015.
40
Hobbit, combat avec l’épée Orcrist, Aragorn avec Anduril et
Bilbon avec l’épée nommée Dard, qu’il lèguera ensuite à son
neveu Frodon. L’Anneau Unique est l’objet phare de la
mythologie de Tolkien, il est devenu l’un de ses symboles (voir
ci-contre). Cet anneau empreint de maléfices a pour porteurs
successifs des héros comme des personnages néfastes : Sauron (créateur de l’Anneau),
Isildur (ancêtre d’Aragorn), Gollum, Bilbon, Frodon et Sam. C’est un outil à la disposition
de Bilbon dans Le Hobbit, il a une influence positive, alors qu’on découvre ensuite dans
Le Seigneur des Anneaux son potentiel envoûtant, objet de tentation et de corruption,
véritable prolongement de la volonté de Sauron.
Chez les super-héros, l’équipement fait partie intégrante du
design général et il arrive qu’une arme fétiche concentre les
pouvoirs du personnage : Green Lantern et son anneau (tiens
tiens), Green Arrow et son arc, et à moindre mesure Wonder
Woman et son lasso magique, ou Batman et tous ses
gadgets auxquels on ajoute le préfixe Bat- (comme la
Batmobile de la Figure 14). Pour les Avengers, que seraient
Thor sans son marteau, Iron Man sans son armure et Captain
America sans son bouclier étoilé (ci-contre) ?
Figure 14 : La Batmobile dans le jeu-vidéo Batman : Arkham Knight (2015)
 le costume, cape et masque :
Qu’est ce que les super-héros ont en commun ? À cette question, les équipes de
Supergraphic ont trouvé trois éléments récurrents (cf. annexes pour l’infographie).
41
Déjà, beaucoup de super-héros sont orphelins. D’un point de vue narratif, c’est
doublement pratique. Le lecteur ou spectateur prendra en effet plus facilement fait et
cause pour un jeune enfant délaissé. De plus, avoir peu de proches permet au héros de
vivre sa double identité sans qu’on lui pose trop de questions. Ensuite, de nombreux
super-héros portent leur sous-vêtement par-dessus leur costume. Un détail qui, j’en
conviens, peut paraître ridicule. Je pense que c’est à l’origine pour mettre en valeur leurs
attributs, comme les combinaisons et les collants moulants (au-delà du fait que ce soit
recommandé pour faire des pirouettes de gymnaste) mettent en avant les muscles
saillants et les formes avantageuses des personnages. (D’ailleurs pour en revenir aux
sous-vêtements, il semblerait que cette mode n’ait pas résisté aux derniers passages sur
grand écran, en témoigne l’affiche de Batman vs. Superman de la Figure 11, où les trois
héros en sont dispensés). Enfin, une majorité de héros de comics possède des capes.
Les capes ont une fonction esthétique, elles donnent une prestance certaine. Dans mon
esprit, la cape est rattachée à la noblesse, à la chevalerie, ce qui est en adéquation avec
la définition du héros de Max Weber que l’on énonçait au tout début de ce mémoire : le
héros est un personnage placé au-dessus des autres, avec un statut particulier. Peut-être
est-ce visuellement ce que la cape représente dans l’élaboration du costume d’un héros.
Pour aller dans ce sens, les Assassins (Assassin’s Creed) ont des capes, les Jedi et les
Sith (Star Wars) ont des capes, et chacun des héros membres de la Communauté de
l’Anneau (Seigneur des Anneaux) arrivant devant la Reine Galadriel se voit offrir ... une
cape elfique.
Le masque est le dernier élément venant compléter le costume du héros. Il peut être un
simple masque sur les yeux (Green Lantern, Green Arrow, Robin), recouvrir toute la tête
comme une cagoule (Spider-Man, Flash) ou un casque (Dark Vador, Batman, Captain
America), et même prendre la forme d’autres couvre-chefs tels le chapeau de Gandalf ou
encore les capuches d’Aragorn, des Assassins et des Jedi. Le masque (pris au sens
large) a un rôle esthétique, il peut simplement prolonger le costume (Spider-Man) ou lui
donner un style unique (Dark Vador, Batman). Mais avant tout, le masque cache le visage
de son porteur, il entretient le mystère, il préserve la double identité du héros. Mettre ou
retirer son masque implique la transformation d’une identité à une autre. La plupart des
héros mettent leur masque pour passer de leur identité civile à leur identité héroïque, c’est
ainsi que Bruce Wayne et Peter Parker par exemples se changent en Batman et en
Spider-Man. La mécanique est similaire dans Assassin’s Creed, vous incarnez un civil
contemporain, un citoyen a priori lambda (Desmond Miles jusqu’à Assassin’s Creed III)
qui peut revivre les aventures de ses ancêtres grâce à une machine lisant son ADN. Ce
n’est qu’une fois encapuchonné dans la peau de ses ancêtres Assassins que Desmond
évolue en héros. Mais il existe aussi des personnages qui au contraire en ôtant leur
42
masque basculent vers une identité (encore plus) héroïque. Clark Kent enlevant ses
lunettes n’est plus le journaliste du Daily Planet, mais bien le super-héros de Krypton.
Anakin Skywalker se transforme définitivement en Dark Vador une fois le masque
caractéristique enfilé, son humanité s’effaçant derrière la machine. Mais lorsqu’il enlève
son masque à la fin de l’Épisode VI, il est pardonné par son fils et redevient le héros
Anakin. Dernier exemple : Gandalf (dit le Gris), après s’être sacrifié pour la Communauté1
,
est ramené à la vie et est renommé Gandalf le Blanc. Gandalf abandonne alors son
chapeau et troque cheveux et barbe hirsutes contre une pilosité parfaitement entretenue.
Il change d’identité, visuelle et nominale, pour devenir le leader des Gens Libres2
.
iv. Identité sonore
« L’identité sonore est devenue ces dernières années un pan assez incontournable de
l’identité sensorielle de marque.3
» On vient de voir que les héros avaient de nombreux
atouts visuels, mais ce n’est pas tout. Il semble difficile de reconnaître un personnage par
son goût, son odeur ou au toucher. Par contre, comme une marque a son jingle, le héros
peut disposer d’une identité sonore qui lui est propre. Que seraient les princesses Disney
sans leurs chansons ?
 thème musical :
Pour la bande originale de leurs films, les studios hollywoodiens font confiance aux
compositeurs les plus réputés. Dans ce cercle restreint, on trouve John Williams (Les
Dents de la mer, le Superman de 1978, E.T. l’extra-terrestre, les trois premiers Harry
Potter, tous les films Star Wars et Indiana Jones), Howard Shore (trilogies Le Seigneur
des Anneaux et Le Hobbit), James Horner (Braveheart, Titanic, Avatar, The Amazing
Spider-Man), Hans Zimmer (Le Roi lion, Gladiator, Inception, la trilogie Batman de Nolan,
The Amazing Spider-Man 2, Man of Steel et Batman vs. Superman) ou encore Danny
Elfman (les deux Batman de Burton, Mission Impossible, les deux premiers Spider-Man
de Raimi, le Hulk de 2003, Avengers : L’ère d’Ultron, ainsi que les génériques de la série
TV Flash de 1990 et de la série animée Batman de 1992). Après ces longues listes, il faut
retenir que la musique des films (voire des séries) concernant les héros de ce mémoire
est tout simplement composée par les meilleurs.
1
Gandalf combat seul la créature démoniaque nommée Balrog pour laisser le temps aux autres héros de
s’enfuir, et meurt dans le duel.
2
Et des magiciens, double rôle que devait assumer le Mentor de Gandalf, Saruman, autrefois appelé
Saruman le Blanc avant qu’il ne choisisse le camp du Seigneur des Ténèbres.
3
LAI Chantal, La marque 2
ème
édition, Dunod, 2009, p. 16
43
L’identité musicale du monde de Tolkien est entièrement créée par Howard Shore. Et on
entend ses thèmes musicaux dans tous les produits dérivés du Seigneur des Annneaux et
du Hobbit (pour peu que ces produits puissent avoir du son) ainsi que dans les jeux-
vidéos élargissant l’univers, jeux alors estampillés Terre du Milieu. Pour moi, la bande
originale du Seigneur des Anneaux est la plus complète jamais composée, elle
accompagne parfaitement les images et il existe des thèmes marquants pour chaque lieu
et chaque moment de l’histoire. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs subtilement réutilisés
dans la trilogie du Hobbit, cependant, je ne vois pas réellement de thème attaché
directement à un héros1
.
La bande-son de Star Wars est également incarnée par un seul homme, John Williams.
Au même titre que Le Seigneur des Annneaux, les morceaux de Williams apparaissent
dans tous les produits possibles de la marque, dans leur version originale ou bien en
version remasterisée. Vous connaissez sans doute la musique du générique baptisée
« Main Title » ou la fameuse « Cantina Band » de l’Épisode IV. Mais encore plus
intéressant, il existe des thèmes récurrents pour de nombreux personnages de la saga :
« Princess Leia’s Theme », « Yoda’s Theme », « General Grievous », « Emperor’s Throne
Room », « Rey’s Theme ». Si ces derniers morceaux ne vous disent rien, celui qui
accompagne chacun des pas de Dark Vador vous est forcément familier, « The Imperial
March » est encore plus célèbre que le générique. Comme l’indique son nom, il
représente à la base l’Empire et ses troupes implacables, mais a fini par devenir l’hymne
de Dark Vador.
Pour le trio des super-héros les plus adaptés à l’écran, les compositeurs sont multiples.
Côté Spider-Man, nous avons le choix entre les musiques de Danny Elfman (2002 et
2004), de James Horner (2012) et de Hans Zimmer (2014). Je vote Elfman pour la
longévité et la récurrence du thème principal (utilisé de 2002 à 2007 dans les trois films
de Sam Raimi). Pour Batman, il y a duel entre Elfman (1989 et 1992) et Zimmer (2005-
2012). Je pense que la bande originale toute entière de Zimmer l’emporte cette fois-ci,
plus rythmée, sombre et puissante, à l’image des films de Nolan. Notons que le duo
Zimmer pour la musique et Nolan pour le scénario revient pour proposer Man of Steel en
2013, (énième) reboot de l’histoire de Superman. Malgré tous ses efforts, Zimmer est ici
battu par le thème le plus connu pour un super-héros, celui composé par … John Williams
pour le Superman de 1978. Ce thème de générique a une longévité exceptionnelle
puisqu’il sera repris dans les trois films des années 1980 (les suites de celui de 1978),
1
À part celui associé à Sam : « Samwise The Brave ». Pourtant, les Nazgûl, les neuf Antagonistes s’opposant
aux neuf héros de la Communauté, ont leur propre thème dans Le Seigneur des Anneaux : « A Knife in The
Dark ». Ajoutons que dans Le Hobbit, Azog l’ennemi juré de Thorin a de même un thème dédié : « The
Defiler », et ce dernier est associé dans le film à un remix du thème des Nazgûl, comme pour montrer la
filiation maléfique entre les deux trilogies (écoutez donc : www.youtube.com/watch?v=HKwmFPUeB_Y).
44
dans le reboot de 2006 Superman Returns et même à la fin de la dernière saison de la
série TV Smallville quand Clark Kent devient enfin Superman1
(2011).
 identité vocale :
Un thème musical est caractéristique de son héros à partir du moment où il dure sur le
long terme. C’est également le cas pour l’identité vocale. Au cinéma, la voix est liée à
l’acteur qui incarne le personnage. Or, on s’en est aperçu, les reboot sont si fréquents,
avec des réalisateurs ou des acteurs arrivant en fin de cycle ou simplement car le film ne
plaît pas au public, que garder une seule et même voix pour un héros est compliqué. La
preuve que cette continuité est essentielle cependant, pour les jeux-vidéo et les séries
animées dérivés directement de films, on tente de conserver les mêmes acteurs (ou les
mêmes doubleurs si c’est en français) pour doubler les mêmes personnages. Puisqu’on
en parle, l’avantage des séries/films d’animation et des jeux-vidéo c’est qu’on ne voit pas
les acteurs/doubleurs vieillir à l’écran, ils peuvent donc assurer une vraie longévité vocale
à leur personnage. C’est notamment le cas de Kevin Conroy et Mark Hamill (oui oui
l’acteur jouant Luke Skywalker) qui prêtent leur voix à Batman et au Joker dans presque
tous les animés (séries TV et films) et jeux-vidéo, depuis 1992 et la première série animée
de l’homme chauve-souris, jusqu’en 2015 et le dernier volet du jeu Batman Arkham. Les
doubleurs français tiennent aussi la distance, avec pour Batman Richard Darbois de 1992
à 2004, Adrien Antoine depuis, et Pierre Hatet pour le Joker de 1992 à 2015.
L’identité vocale ne se cantonne pas à la voix-même. La façon de s’exprimer du
personnage est tout aussi importante, et elle peut se transmettre entre différents
acteurs/doubleurs. Batman parle ainsi avec un ton grave, déterminé et rassurant, alors
que les interventions du Joker sont beaucoup plus irrégulières et ponctuées de son
célèbre rire. Jack Nicholson, Mark Hamill et Heath Ledger ont du travailler ce rire
spécifique pour le rôle, en suivant l’évolution du personnage (passant du clown au
psychopathe). Il est vrai que les rires à pleines dents font souvent leur effet chez les
Antagonistes. Je vais aller plus loin, je pense même que certains personnages, bons ou
mauvais, n’auraient pas eu le succès qu’on leur connait sans leur façon très spéciale de
s’exprimer. Gollum (du Seigneur des Anneaux et du Hobbit) est reconnaissable à sa voix
gutturale et à ses phrases ponctuées de « Mon Précieuuux » (qu’il utilise tantôt pour
désigner l’Anneau, tantôt pour se parler à lui-même). De plus en version originale, Gollum
parle un anglais rudimentaire et ajoute de nombreux « s » à la fin des mots (qui font
échos au « My Preciousss »). Ces allitérations en « s » ne sont pas sans rappelées les
sifflements des serpents Disney (Kaa du Livre de la Jungle et Triste Sire alias Persifleur
1
www.dailymotion.com/video/xjl5zi
45
de Robin des Bois), des personnages en qui on ne peut avoir confiance. Dans Star Wars,
le général Grievous (commandant cyborg des armées droïdes) a une respiration difficile,
parle de manière étouffée et tousse régulièrement, ce qui lui donne de la personnalité.
Autre cyborg à la respiration tellement caractéristique : Dark Vador, dont les inspirations
et expirations s’apparentent à celles en plongée sous-marine, et s’ajoutent à sa voix
métallique spécifique. Pour finir, comment ne pas se pencher sur Maître Yoda ? Le petit
humanoïde vert a une manière de parler bien à lui. Il bouleverse en effet la syntaxe de
ses phrases en plaçant quasi systématiquement le sujet et le verbe en dernières
positions. Cette originalité syntaxique fait partie de son identité, et est assurément l’une
des composantes principales de sa popularité.
On a vu dans cette partie b) que les héros de fiction ont un indéniable potentiel en tant
que marques. Ils disposent en effet d’une identité sensorielle forte car constante sur la
durée. Celle-ci repose en grande partie sur l’atout visuel numéro un du héros : le costume
(propre à chaque héros de par son design, sa combinaison de couleurs et ses
accessoires). À cela peuvent s’ajouter, en fonction des personnages, un logo-titre, un
logo-emblème, un thème musical et/ou une identité vocale caractéristique. L’identité
sensorielle du héros de fiction lui permet de transmettre facilement au public les valeurs
qui lui sont associées, piliers de la dimension symbolique de marque. De plus, le héros de
fiction personnifie naturellement sa marque et lui apporte à travers ses aventures un
solide background en termes de storytelling.
Si les héros de fiction, particulièrement grâce à leurs passages sur les écrans, ont toutes
les qualités requises pour être des marques, cela ne signifie pas forcément qu’une
marque à leur nom va être développée. Gandalf et Iron Man par exemples ne sont pas
des marques en tant que telles. Le magicien au chapeau est soit englobé dans une
marque relatant ses aventures (Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux), soit dans une
marque représentant son univers (Terre du Milieu). Le milliardaire en armure quant à lui
est inclus dans la marque de son équipe de super-héros (Les Avengers). Gandalf et Iron
Man n’en restent pas moins les figures de proue, les incarnations de leur marque, bien
qu’ils partagent la tête d’affiche avec d’autres héros. Ils font en quelque sorte partie d’une
marque à héros multiples, contrairement à Superman ou Spider-Man, qui sont des
marques à héros unique. Mais qui décide alors que Superman et Spider-Man auront leur
propre marque, tandis que Gandalf et Iron Man resteront associés à des marques plus
larges ? Quelles sont les logiques marketing et business derrière ces choix stratégiques ?
Marketing des héros dans l'Entertainment
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  • 1. KEDGE Business School MS Marketing et Management des Industries Culturelles et Créatives Promotion PIC2013 Mémoire de Recherche Appliquée Marketing des héros dans l’Entertainment : Les héros de fiction en tant que marques et leur exploitation sous forme de licences Quentin BOUTHENET Soutenu en février 2016 Sous la direction de Mme Anne Gombault
  • 2. KEDGE Business School MS Marketing et Management des Industries Culturelles et Créatives Promotion PIC2013 Mémoire de Recherche Appliquée Marketing des héros dans l’Entertainment : Les héros de fiction en tant que marques et leur exploitation sous forme de licences Quentin BOUTHENET Soutenu en février 2016 Sous la direction de Mme Anne Gombault ©2015ImageminiaturedelavidéoYouTubeBATMANvs DARTHVADER-ALTERNATEENDING-SuperPowerBeatDown
  • 3. Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en aucun cas engager KEDGE et le Programme Grande École, ni la directrice de mémoire.
  • 4. Remerciements D’abord, merci à Mme Gombault et à la KEDGE de m’avoir laissé librement choisir mon sujet. Merci ensuite aux deux Justine et à Ugo pour le temps qu’ils m’ont consacré pour les interviews ainsi que leurs précieux conseils. Merci à toute l’équipe Marketing d’Univers Poche de m’avoir fait participer aux dossiers Star Wars. Un grand merci aux relecteurs acharnés : Célia, Carine et Pierre-Emmanuel. Et pour finir, merci à mes parents et à Julia pour leur (super-)patience !
  • 5. Sommaire I. Introduction.......................................................................................................7 II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons.....................................10 a. Le héros et le mythe .................................................................................10 i. Définition du héros par ses caractéristiques..................................10 ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros................14 iii. Réinterprétation moderne : quels nouveaux mythes ?...................17 b. Le héros de fiction, une marque en puissance ?.......................................23 i. Personnification de marque et storytelling.....................................23 ii. Les valeurs....................................................................................25 iii. Identité visuelle .............................................................................29 iv. Identité sonore ..............................................................................42 c. De la marque à la franchise : succès de masse à l’écran, licence et sérialisation...............................................................................................46 i. Le cinéma : vecteur privilégié pour (re)lancer la franchise.............47 ii. Produit d’origine – Produit d’appel – Produits dérivés ...................50 iii. Séries TV et jeux-vidéo, nouveaux produits d’appel ? ...................58 iv. Notoriété, ciblage et licensing........................................................63 III. Étude des cas Disney, Warner Bros. et Ubisoft ..............................................70 a. L’enjeu d’acquérir le contenu du produit d’origine .....................................71 b. Campagne du produit d’appel, premières licences et sérialisation............76 c. Produits dérivés classiques : textile, jeux/jouets et figurines .....................83 d. Produits dérivés culturels : livres, audiovisuel et jeu-vidéo........................89 e. Implications managériales et structurelles du licensing.............................97 i. Un Brand Management complexe .................................................97 ii. Restructuration et internalisation des activités de diversification ...98 iii. Politique extensive de Brand Content..........................................101 f. Réappropriation du contenu par les fans et influence culturelle (voire mythique) des sagas héroïques..............................................................104
  • 6. IV. Conclusion ...................................................................................................109 V. Bibliographie sélective..................................................................................111 VI. Index des figures ..........................................................................................114 VII. Annexes .......................................................................................................116 VIII. Table des matières.......................................................................................148
  • 7. 7 I. Introduction Dans le contexte postmoderne, l’individu souffre d’un cruel manque de repères, de modèles inspirants, de figures exemplaires au sein des structures l’environnant. Il n’existe plus de leaders politiques qui fassent l’unanimité, c’est la méfiance qui guide l’électorat. La religion, en Occident tout du moins, s’est largement érodée, elle a perdu sa fonction fédératrice, elle est aujourd’hui plus facteur de tensions et de divisions que de rassemblement. L’économie est loin d’être pérenne. Le jeune en construction fait de plus en plus face à la dilution de la fonction d’autorité, à une famille éclatée ou devenue presque contractuelle, et où les aînés ne cessent de brouiller les repères générationnels1 . Vous êtes sûrs de vouloir aller au bout de ce mémoire ? Évidemment, je noircis quelque peu le tableau en combinant tous ces problèmes sociétaux mais ils existent bels et biens, et ils poussent aujourd’hui les individus à se chercher d’autres idéaux, d’autres valeurs, d’autres modèles en vue de s’épanouir. Vers qui se tourner alors ? L’individu postmoderne a besoin de nouveaux héros auxquels s’identifier. Les sportifs, les chanteurs, les acteurs de cinéma voire même les YouTubeurs, les candidats ne manquent pas pour endosser le rôle. Je vois deux limites aux héros réels. La première est soulignée par l’historien Pierre Boudrot, alors qu’il distingue le héros de l’idole : « si l’un et l’autre poussent à l’imitation, le héros seul incite au dépassement de soi, à l’oubli de sa personne, en transformant son partisan en acteur, tandis que l’idole encourage son fidèle à la stricte identification, au mimétisme, à l’atrophie de la personnalité. La ferveur que l’idole cristallise de son vivant se déprécie en adoration, en culte de la personnalité.2 » Et je crois que nombre de héros réels sont finalement plus proches des idoles, fugaces plutôt que constructifs, qu’on adule un jour et qu’on descend en flammes le lendemain. Je vois un second problème : le héros réel reste un homme ou une femme, qui doit, en plus d’être performant dans son métier, faire figure d’exemple. Le héros réel doit donc être capable de gérer la pression de ses admirateurs, relayée et amplifiée par des média voyeuristes qui scruteront le moindre écart de comportement. Combien de carrières brisées pour ces jeunes sportifs et chanteurs exposés trop vite à la vindicte populaire ? Les héros de fiction quant à eux, présentent l’avantage d’avoir tout un business derrière eux pour encaisser les critiques. De plus, ils ne vieillissent pas, leurs histoires peuvent être renouvelées à volonté. 1 LE BRETON David, « La scène adolescente : les signes d’identité », Adolescence, 2005/3 (n o 53), p. 587 2 BOUDROT Pierre, « Le héros fondateur », Hypothèses, 2002/1 (5), p. 178
  • 8. 8 On a déjà commencé à définir le héros, ce sera fait plus en détails dans les premières lignes du développement en II)a)i). Le héros de fiction, homme ou femme, est un personnage imaginaire issu d’une œuvre de fiction, et la notion d’Entertainment, de divertissement populaire, nous indique qu’on s’intéressera à des héros qui sont passés sur les écrans de cinéma, de télévision et/ou de consoles de jeux. Je compte en effet me concentrer sur les héros du monde de Tolkien (Seigneur des Anneaux et Le Hobbit), de Star Wars et sur plusieurs personnages super-héroïques et vidéo-ludiques. Vous allez apprendre à les connaître petit à petit au cours de votre lecture, ils ont pour point commun d’évoluer dans des univers fantastiques ou de science-fiction et d’avoir connu de nombreuses adaptations les sortant de leur produit d’origine. Pour ce qui est des concepts de marque et de licence, je vous en donne ici les définitions sommaires, nous aurons l’occasion d’y revenir plus en profondeur au début de la partie II)b) puis au début de la partie II)c). La marque est « un signe distinctif permettant de déterminer un produit ou un service.1 » La licence « est un titre de propriété, une marque ayant une valeur immatérielle monnayable.2 » Au niveau des délimitations du sujet, géographiquement, la plupart de mes chiffres concerneront les marchés européen et nord-américain, souvent même plus précisément français et américain. Si je ne parlerai que peu du Japon, c’est parce qu’il possède ses propres codes culturels en termes de héros (avec les mangas notamment, desquels je suis loin d’être expert). Sur le plan sectoriel, nous serons amenés à parler principalement de l’édition, du cinéma, de la télévision, du streaming/VOD (avec Netflix), du jeu-vidéo et du marché du jouet. Concernant l’âge du public cible, les héros de fiction sont plutôt destinés aux individus en construction, en développement de soi, donc visant prioritairement les enfants, les adolescents et les jeunes adultes. Dans ce mémoire, nous tenterons d’expliquer comment, au travers de la marque et de la licence, le héros de fiction peut atteindre le statut de modèle pour l’individu contemporain, de référence pour la masse, de héros mythique. Concernant le cadre théorique, nous serons amenés à étudier le mythe de plus près, sa structure, sa fonction auprès des individus et de la société, la fonction de ses personnages, pour savoir le chemin qu’il reste à accomplir à nos héros de fiction sélectionnés. Ensuite nous devrons envisager les problématiques de marque, d’identité, 1 WARIN et TUBIANA, Marques sous licence : Les acheter – Les vendre – Les gérer, Éditions d’Organisation, 2003, p. 145 2 Ibid.
  • 9. 9 de valeurs, et trouver comment construire une marque à partir d’un héros. Enfin, une fois cette marque établie, nous aurons besoin de comprendre en détails les mécanismes de la licence, pour imaginer les déclinaisons du héros en tant que marque. Pour le cadre méthodologique de la partie empirique, nous effectuerons l’étude de cas comparés de trois entreprises Disney, Warner Bros. et Ubisoft, trois entreprises extrêmement actives dans la licence et qui possèdent un large catalogue de héros. Nous pourrons ainsi confirmer ou infirmer nos théories. Nous ajouterons aux interviews de professionnels (entretiens semi-directifs) des données chiffrées ainsi que des études et tendances de marché issues de revues professionnelles. Concernant le plan, nous nous intéresserons d’abord au rapprochement entre héros de fiction et mythe, puis nous regarderons comment le héros peut exister en tant que marque et ensuite de quelle manière on peut décliner cette marque sous licence. Enfin, nous nous pencherons sur l’étude de cas, en développant les différentes utilisations possibles de la licence, leurs implications managériales et structurelles ainsi que leur influence sociale.
  • 10. 10 II. Le héros : son mythe, sa marque et ses déclinaisons a. Le héros et le mythe i. Définition du héros par ses caractéristiques Qu’est ce qu’un héros, qu’est ce qui le définit ? Avant de répondre à cette question, il convient de préciser le type de héros dont on va discuter tout au long de ce mémoire. Comme explicité dans l’introduction, il ne s’agira pas de héros réels, au sens de personnes ayant existé, mais bien de héros de fiction, attachés à une histoire, à un récit. En outre, les héros dont nous parlerons ont en commun d’avoir vu leur popularité exploser une fois portés à l’écran, au cinéma, en série TV/streaming, ou encore en jeu-vidéo ; toutes ces formes de divertissement populaire, que l’on regroupe sous le terme d’Entertainment. Le héros est un personnage un peu particulier, un moteur de l’histoire, par ses interactions avec les autres personnages il fait progresser ou non le récit. Et il n’est pas forcément héros unique de la trame narrative, nombre de figures peuvent se partager la tête d’affiche. Qui est le véritable héros du Seigneur des Anneaux ? Que l’on parle des livres de Tolkien ou des films de Peter Jackson, la réponse pourrait être Frodon, après tout c’est avec lui que l’on commence le récit et c’est lui qui détruit l’Anneau maléfique. Mais alors que faire d’Aragorn, rôdeur a priori quelconque qui embrasse sa destinée d’héritier du trône, et qui donne son titre au dernier volet de la trilogie Le Retour du Roi. Et pourquoi ne pas raisonner en termes de popularité : alors ce serait Gandalf, figure emblématique du monde de Tolkien, présent également dans Le Hobbit (films comme livre) en véritable incarnation de son univers, qui éclipserait les deux premiers héros cités. L’interrogation peut être la même pour Star Wars, entre Anakin, Obi-Wan, Luke ou Leia. Le héros ne se limite donc pas au personnage principal du récit, il peut tout à fait être un personnage secondaire qui prend de l’épaisseur au fur et à mesure de la narration. Mais qu’est-ce qui place le héros au-dessus d’un simple personnage ? Et qu’est-ce qu’Anakin et Gandalf ont en commun ? Le héros possède cette capacité à inspirer autrui. En cela, on peut le rapprocher de la vision du charisme chez le sociologue Max Weber : « nous appellerons charisme la qualité extraordinaire […] d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de
  • 11. 11 caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne1 ». Ce seraient donc des caractéristiques supérieures à la moyenne, fondements du charisme des héros, qui les distingueraient des autres personnages, et les placeraient dans une position d’influencer ce(ux) qui les entoure(nt). Mais alors quelles sont ces caractéristiques ? La citation de Weber nous donne quelques indices : les capacités extraordinaires peuvent être physiques, mentales, même aller jusqu’à des pouvoirs magiques, surhumains. Des supers-pouvoirs ? Les univers Marvel et DC Comics sont les principales sources de super-héros. Chez DC Comics, vous connaissez sans doute Superman, Batman, Flash ou Wonder Woman. Chez Marvel, on retrouve par exemple Spider-Man, les Avengers (des héros comme Iron Man, Hulk, Thor), ou encore les X-Men (Magneto, Wolverine pour les plus célèbres). Pour permettre de s’y retrouver dans toute sa galerie de super-héros, Marvel a pris l’habitude de classer et noter ses personnages en fonction de leur degré de maîtrise dans 6 différentes catégories : Intelligence, Force, Vitesse, Endurance, Décharge d’énergie et Combat au corps-à-corps. Les notes vont de 1, pour une faible maîtrise, à 7, où vous détenez le pouvoir maximum en la matière. Pour vous donner une idée selon ce barème, Einstein obtiendrait entre 5/7 et 6/7 en Intelligence, le judoka Teddy Riner une note de 5/7 en Combat, et un haltérophile entre 3/7 et 4/7 en Force. Voici le barème en détails : 1 WEBER Max, Économie et Société Tome 1, Éditions Pocket, 1995, p. 353
  • 12. 12 Figure 1 : Comparaison en infographies des capacités des personnages Marvel (sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 184-191)
  • 13. 13 La Figure 1 nous permet de comparer les points forts et points faibles des principaux héros de l’écurie Marvel. Le barème utilisé nous donne une vision plutôt complète de ce qui peut définir un héros. J’ajouterai cependant à ces critères une capacité qui n’est pas prise en compte : la force mentale. (Le critère d’Intelligence proposé correspond plus aux capacités cognitives). Le courage et la détermination sont souvent ce qui distingue le héros du personnage lambda : il est capable de faire ce qui est nécessaire, ce que personne d’autre n’osera entreprendre. Et c’est aussi une raison pour laquelle il sera respecté, admiré ou jalousé. Frodon dans Le Seigneur des Anneaux ne dispose pas de qualités physiques ou cognitives extraordinaires, ni même de pouvoirs magiques. À première vue il n’a pas l’étoffe d’un héros. Mais, au fur et à mesure du récit, il se découvre des ressources insoupçonnées, une volonté d’aller au bout des choses et de se dépasser, et il entraîne les autres héros de l’histoire dans son sillage. Ce qui nous amène à une autre remarque, il ne faut pas oublier que la Figure 1 montre des super-héros au zénith de leur performance dans les critères retenus. Qu’importe l’adaptation, que ce soit dans les livres, les comics, ou au cinéma, le héros développe ses capacités au fil de l’histoire. Même s’il vient d’une autre planète comme Superman, ou s’il est un dieu comme Thor, le héros a besoin de temps et d’entraînement pour maîtriser l’ensemble de ses pouvoirs. C’est aussi le cas pour les Jedi dans Star Wars. Et c’est encore plus vrai pour des super-héros humains comme Batman ou Iron Man, qui seraient démunis sans le développement de leurs gadgets et de leur technologie. Pourquoi ne pas faire de distinction entre les super-héros et les héros a priori plus normaux du monde de Tolkien ou de Star Wars ? Les super-héros ont des capacités poussées à l’extrême, souvent pour faire face à des menaces qui le sont. Sherlock Holmes, Zorro ou James Bond sont des héros humains, mais surtout leurs actes s’inscrivent dans une réalité et une temporalité vraisemblables. (Comparez la technologie de James Bond à celle d’Iron Man !) Les univers fantastiques de Tolkien ou de Star Wars n’ont pas ces limites. En Terre du Milieu (Tolkien), les héros doivent faire face à des créatures monstrueuses, à des forces magiques, ce qui cautionne des capacités exceptionnelles et des actes de bravoure hors du commun. Outre la dimension spatio-temporelle éloignée, chez les Jedi et leurs antagonistes les Sith (Star Wars), il est intéressant de noter que la maîtrise des pouvoirs de la Force s’apparente beaucoup aux superpouvoirs (vitesse, saut, télépathie, télékinésie, décharge d’énergie).
  • 14. 14 ii. Les (douze) travaux de Campbell : le Voyage du Héros Joseph Campbell (1904-1987) est un professeur et essayiste américain renommé pour ses travaux dans le domaine de la mythologie comparée. S’il est peu connu en France (notamment en raison de la traduction tardive de ses œuvres), il a véritablement « renouvelé l’interprétation des mythes pour des millions d’Américains1 ». Polyglotte et grand voyageur, Campbell a analysé en profondeur les récits fondateurs de différentes cultures voire civilisations, de différentes époques, de différentes régions du monde : la mythologie gréco-romaine, égyptienne, nordique, les légendes arthuriennes, celles des chamans de Sibérie, les contes perses, coréens et même les textes religieux chrétiens, musulmans et hindous. Chez Campbell, le mythe est pris au sens large, c’est un récit relaté par des hommes, pour des hommes. Dans son ouvrage The Hero with a Thousand Faces (Le Héros aux mille et uns visages) publié en 1949, il expose sa théorie du Voyage du Héros, connue également sous le nom de théorie du monomythe. Dans toutes les histoires mythiques, Campbell décèle un scénario commun, une structure universelle qui s’articule autour de la quête du héros. Analysant cette théorie, le philosophe Richard Mèmeteau parle même du héros comme « seul lien entre des mythes qui peuvent être lus séparément2 », même si selon moi ce n’est pas tant le personnage du héros, mais sa progression au fil du récit qui est le vrai dénominateur commun dans l’esprit de Campbell. 1 AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 167 2 MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones, 2014, p. 92
  • 15. 15 Figure 2 : Le Voyage du Héros La Figure 2 (le schéma comme le détail des étapes) est extraite du livre de Christopher Vogler The Writer’s Journey (édition de 2007), qui a vulgarisé au sens mélioratif du terme les travaux de Campbell. Il convient de préciser que « nombre de légendes isolent et amplifient largement l'un ou l'autre des éléments typiques du cycle complet (thème de l'épreuve, thème de la fuite […]) ; d'autres relient plusieurs cycles indépendants en un seul (comme dans L'Odyssée). Des personnages et des épisodes appartenant à des cycles différents peuvent fusionner ; ou bien un élément unique du cycle peut se dédoubler pour réapparaître sous de multiples variantes.1 » Pour autant, malgré les particularismes culturels et les siècles qui séparent la formulation des différents mythes, une trame narrative universelle subsiste. Mais alors pourquoi les mythes, en conservant leurs nuances, suivent-ils un schéma similaire ? Le mythe est une histoire porteuse de messages, de croyances et qui a pour but d’être transmise aux autres (générations). « Selon Campbell, le mythe répond à quatre fonctions: la première fonction est métaphysique (nous réconcilier avec la vie, malgré sa violence, sa brutalité […]), puis sa fonction est cosmique (représenter l’univers, […] le mythe nous donne une expérience de ce mystère). De plus, sa fonction est sociologique (nous donner des règles et des valeurs pour vivre ensemble en société en sachant que ces valeurs évoluent avec les époques), et enfin le mythe possède une fonction 1 CAMPBELL Joseph, Le Héros aux mille et un visages, OXUS, 2010, p. 216
  • 16. 16 psychologique et pédagogique.1 » Et c’est sur cette dernière fonction que Campbell va beaucoup insister, et c’est ce qui rend sa théorie très moderne. Le mythe a alors un rôle de « formation des individus2 », fournissant des métaphores, des expériences de vie. Joseph Campbell est un proche du psychanalyste C.G. Jung (il sera même son éditeur aux États-Unis). Jung a conceptualisé les archétypes, ces images mentales, représentations symboliques sous forme de situations, de figures que l’on retrouve dans les rêves et les fantasmes de chacun, ainsi que dans les mythes. Les archétypes proviennent en effet de l’inconscient, individuel ou collectif. Finalement le Voyage du Héros se situe au niveau archétypal, il est le fruit de l’inconscient collectif, ce qui explique les situations et les personnages qui reviennent dans des mythes a priori totalement différents. Suivant les étapes du Voyage du Héros, Campbell a aussi développé les archétypes de personnages. L’Héraut appellera le héros à se lancer dans l’aventure (étape 2.) et à quitter son monde ordinaire, venant rompre le quotidien tranquille. Le Mentor, le Guide viendra conseiller le héros (étape 4.) jusqu’au premier seuil (étape 5.), où le Gardien lui fera passer un test avant d’entrer dans le monde inconnu. Jusqu’à son retour dans le monde ordinaire avec l’élixir (étape 12.), récompense récupérée après l’ordalie centrale (étape 8, mi-chemin où le héros fait face à ses plus grandes peurs), le héros sera ralenti par un ou plusieurs Antagoniste(s) (incarnations du Mal ou de la rivalité) et aura besoin d’Allié(s). Interviendront aussi des Shapeshifters (des métamorphes) et des Tricksters (soit des personnages comiques, soit des personnages rusés, malins, à la limite des règles et de la morale comme Loki ou Rumpelstiltskin). Il n’est pas rare de voir un personnage revêtir plusieurs archétypes. Le héros a également son propre archétype, venant compléter notre définition donnée précédemment en i). En progressant dans son Voyage, en surmontant les épreuves et en affrontant le Mal, le personnage héroïque est un symbole positif autant que rassurant car il sauve son monde, ramène l’équilibre. Vogler analysant les fonctions dramatiques du héros3 , rappelle que le terme vient du grec et signifie à l’origine « protéger et servir » : le héros est ainsi celui qui a le sens du sacrifice. Il précise que l’aspect universel ne doit pas empêcher le héros de développer des particularismes et des faiblesses, d’autant plus que cela aide à le rendre attachant. Vogler rappelle enfin que notre appréciation de l’histoire et les fonctions du mythe chères à Campbell passent par notre identification au(x) héros. 1 AMANIEUX Laureline, « La puissance des mythes : les travaux du mythologue américain Joseph Campbell (1904-1987) », Revue de littérature comparée 2013/2 (n° 346), p. 173 2 MÈMETEAU Richard, Pop-culture. Réflexions sur les industries du rêve et l'invention des identités, Zones, 2014, p. 93 3 VOGLER Christopher, The Writer’s Journey Third Edition, Michael Wiese Productions, 2007, pp. 29-32
  • 17. 17 iii. Réinterprétation moderne des travaux de Campbell : quels nouveaux mythes ? Les travaux de Campbell ne sont pas restés dans l’anonymat. Le Voyage du Héros, outil à la fois souple et pouvant toucher un grand public, a été repris par nombre de scénaristes, notamment dans le cinéma hollywoodien. On va s’attacher dans cette partie à relier la structure des mythes et les archétypes de Campbell aux histoires de nos héros de fiction modernes. D’abord, j’ai envie de savoir si le Voyage du Héros peut s’appliquer, au moins les premières étapes, au début de l’histoire du Hobbit de 1937, au début du premier film Star Wars de 1977, et à la genèse de Batman dans la trilogie des films de Nolan (2005). J’ai volontairement pris des époques très éloignées, pour voir si comme pour les mythes, le squelette narratif survit à l’épreuve du temps. Dans le livre Le Hobbit de J.R.R. Tolkien paru en 1937, Bilbon est un hobbit (un semi- homme) qui vit paisiblement dans son monde ordinaire (étape 1.) jusqu’à ce que l’Héraut, le magicien Gandalf lui propose de prendre part à une aventure (étape 2.). Bilbon refuse (étape 3.) prétextant que sa routine lui va très bien. Gandalf en décide autrement et donne rendez-vous à treize nains chez le hobbit. Les treize nains, aidés de Gandalf, veulent reconquérir leur foyer, le Mont Erebor, gardé par le dragon Smaug (Antagoniste). Après avoir expliqué leur quête à Bilbon et que lui pourrait faire partie de l’aventure, Bilbon refuse à nouveau (étape 3. bis). Le lendemain matin, alors que les nains sont partis, Bilbon se remémore les paroles de Gandalf et finit par céder à l’appel de l’aventure. Il rattrape la compagnie de nains guidée par Gandalf (étape 4.) et la quête peut commencer. À noter que dans ce récit, Gandalf joue le double rôle Héraut et Guide. Dans Le Seigneur des Anneaux (1954), Gandalf est dans un rôle quasi-similaire auprès du neveu de Bilbon, Frodon, mais le magicien revêt en plus l’archétype du héros, puisqu’il se sacrifiera plus tard dans l’histoire pour ses compagnons (lorsqu’il affronte le Balrog de la Moria, un démon des profondeurs). Dans Star Wars : Épisode IV – Un nouvel espoir de George Lucas (1977), le jeune Luke Skywalker vit tranquillement une vie de fermier avec son oncle et sa tante (étape 1.) jusqu’à ce qu’il découvre dans son robot R2-D2 un message de détresse sous forme d’hologramme (étape 2.), de la princesse Leia (Héraut) capturée par Dark Vador (Antagoniste). Le message est adressé à Obi-Wan Kenobi (dit Ben Kenobi). Luke retrouve Obi-Wan qui lui révèle qu’il est un Jedi et lui propose de rejoindre la quête, Luke refuse de quitter son monde (étape 3.). Retournant à la ferme, Luke découvre les corps de son oncle et de sa tante calcinés par les sbires de Dark Vador qui avaient retracé le
  • 18. 18 message de détresse jusqu’à la ferme. Alors Luke décide de rejoindre Obi-Wan pour sauver Leia et combattre ceux qui ont tué sa famille. Le vieil Obi-Wan (Mentor) formera Luke aux arts Jedi (étape 4.). Vous pouvez retrouver la suite de l’analyse des étapes dans les premières pages de The Writer’s Journey de Christopher Vogler. Dans le premier volet de la trilogie de Christopher Nolan, Batman Begins (2005), on assiste dans la première heure du film à la genèse du super-héros. On a même un cycle complet de Voyage du Héros. Bruce Wayne, orphelin, est un étudiant dissipé qui n’a pas encore de sens à sa vie (étape 1.). Il est aveuglé par le désir de venger ses parents tués par un criminel. Son amie Rachel (Héraut) l’emmène dans les bas-fonds de la ville de Gotham pour lui faire prendre conscience que la ville gangrénée par la criminalité a besoin de gens qui font le bien autour d’eux et défendent la justice, comme son père avant lui (étape 2.). Bruce, préférant la vengeance à la justice, n’assume pas l’héritage de son père (étape 3.). Après avoir confronté le parrain de la pègre locale, Falcone (Antagoniste), qui lui assure qu’il aura toujours peur des criminels tant que ce monde lui sera inconnu, Bruce s’exile loin de tout, où il n’aura plus à assumer le nom de Wayne, et devient lui-même un voleur et un clandestin. On retrouve Bruce dans une prison asiatique où un homme mystérieux Ducard (Mentor) lui propose de rejoindre la Ligue des Ombres et combattre les criminels (étape 4.). Arrivé au temple de la Ligue (étape 5.), Bruce est accueilli de manière musclée par Ducard (Gardien du seuil). Après une série de tests et d’entraînements ninjas (étape 6.), Bruce, sous l’emprise de psychotropes (étape 7.), doit affronter sa plus grande peur : les chauves-souris (étape 8.). Mais ce n’était pas le test final, pour être définitivement membre de la Ligue des Ombres, Bruce doit tuer un criminel de sang-froid (étape 8. bis). Ducard et le chef de la Ligue Ra’s al Ghul (Antagoniste) lui expliquent alors leur projet : détruire Gotham pour éradiquer la criminalité. Bruce refuse, tue Ra’s al Ghul et met le feu au temple. Il sauve Ducard des flammes et se souviendra de ses enseignements (étape 9.) : inspirer la crainte à ses ennemis (d’où la chauve-souris comme symbole). Sur le chemin du retour (étape 10.), dans l’avion le ramenant à Gotham, Bruce discute avec son majordome Alfred qui lui apprend qu’il a été déclaré mort. C’est l’occasion de ressusciter (métaphoriquement et civilement) Bruce Wayne qui assumera désormais le rôle de son père (étape 11.) et une double identité avec la naissance du justicier Batman dont il fera profiter son monde ordinaire (étape 12.). Maintenant, essayons de comprendre pourquoi on retrouve chez Tolkien les archétypes des mythes. Concernant ses sources d’inspiration, Tolkien s’est beaucoup intéressé à la mythologie nordique, particulièrement aux mythes germaniques, mais aussi aux légendes arthuriennes et au folklore celte. Ce n’est donc pas étonnant de retrouver une histoire avec des elfes et des trolls, des anneaux magiques, et surtout des similitudes
  • 19. 19 archétypales : un Aragorn proche du Roi Arthur, et un Gandalf à la croisée entre Merlin et Odin (le dieu nordique) sous sa forme humaine : « un vieil homme à la barbe grise qui porte un bâton et porte un capuchon ou un manteau (généralement bleu) et un chapeau à large bords1 ». C’est exactement la représentation que l’on se fait de l’archétype du Mentor/Guide. Tolkien compare lui-même Gandalf à cet Odin voyageur dans l’une de ses lettres datant de 19462 . De plus, n’oublions pas qu’à l’origine, J.R.R. Tolkien est un philologue, qui a créé plusieurs langues et leur alphabet (notamment deux de manière très développée : le quenya et le sindarin). Mais il n’imagine pas une langue sans son propre peuple, sans sa propre histoire, sans background. C’est ainsi que nait la Terre du Milieu et les peuples qui la composent (elfes, nains, hommes, orques). Les écrits de Tolkien sont l’œuvre de toute une vie : il dresse des cartes de la Terre du Milieu, invente une chronologie propre avec l’évolution des peuples et de leurs langues, et une genèse à son univers. En fait, il crée toute une mythologie à partir d’une œuvre de fiction (ce que l’on nomme alors une œuvre mythopoïétique). Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux sont finalement les récits les plus célèbres de cette mythologie, comme l’Odyssée, l’épopée des Argonautes ou la légende d’Hercule dans la mythologie grecque. À l’image de ce que Campbell disait de l’Odyssée dans la partie ii), les légendes de Bilbon, Frodon, Aragorn ou encore Gandalf sont autant de cycles de héros qui s’entrecroisent dans Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux. Consciemment ou inconsciemment, en s’inspirant de mythes existants et en érigeant son propre univers mythologique, Tolkien s’est rapproché du Voyage du Héros. Star Wars est également une œuvre mythopoïétique. George Lucas a élaboré une galaxie toute entière, avec son histoire, ses planètes, ses langues et ses peuples. En 1977 cependant, l’univers n’est pas encore à ce point développé. Il s’avère que le jeune George Lucas a été très influencé par Campbell, il a en effet étudié ses textes et cite régulièrement Le Héros aux mille et un visages comme source d’inspiration majeure pour Star Wars3 . Lucas était si reconnaissant envers Campbell qu’il l’a invité à voir en avant- première, sur les lieux de tournage du premier film, l’intégralité de la trilogie. C’est ce que l’on apprend sur le site officiel starwars.com4 : « And so Campbell, along with his wife Jean, came to Marin County north of San Francisco. It was on a Sunday when Lucas took the Campbells to the recently finished Skywalker Ranch. Lucas remembered, “I showed them one in the morning [A New Hope], and we had lunch. I showed another one in the 1 BURNS Marjorie, « Gandalf and Odin », Tolkien's Legendarium: Essays on the History of Middle-earth, Greenwood, 2000, p. 220 2 TOLKIEN J.R.R., Lettres, Christian Bourgeois Éditeur, 2005, p. 119 3 HIDALGO, WALLACE et WINDHAM, Générations Star Wars : La Chronique illustrée de 30 ans d’aventures - Nouvelle édition, Hors Collection, 2012, p. 41 4 Dans la news intitulée « Mythic Discovery Within The Inner Reaches Of Outer Space: Joseph Campbell Meets George Lucas – Part I » de Lucas O. SEASTROM publiée le 22 octobre 2015
  • 20. 20 afternoon [The Empire Strikes Back], then we had dinner. Then I showed another one in the evening [Return of the Jedi]. It was actually the first time anybody, I think, had ever seen all three of them together at one time!” » Ainsi, quand Christopher Vogler analyse dans The Writer’s Journey le premier film Star Wars de 1977, on se doute qu’il trouvera les traces du Voyage du Héros et des archétypes de Campbell. J’ai volontairement tu la profession de Vogler jusque là. Christopher Vogler est un consultant et analyste de scénarios à Hollywood. Il a travaillé pour les studios Disney, la Twentieth Century Fox, Warner Bros., Paramount, Dreamworks et Universal. Alors qu’il est membre du département d'écriture des studios d’animation Disney au début des années 1990, il rédige comme outil de travail un mémo de sept pages, une version simplifiée et modernisée des travaux de Campbell (version que je vous ai présentée avec la Figure 2). Devant le succès de sa méthode qui se répand dans Hollywood, il la développe et en fait un livre : The Writer’s Journey. Vogler a travaillé dans l’équipe de scénaristes ou a été consultant pour de nombreux films, pour citer les plus connus : Aladdin (1992), Le Roi lion (1994), Hercule (1997), Mulan (1998), La Ligne rouge (1999), Fight Club (1999), Fantasia 2000 (1999), Je suis une légende (2007), Hancock (2008), The Wrestler (2009), Fighter (2011), Black Swan (2011) et Men in Black 3 (2012)1 . À partir des écrits riches et complexes de Campbell, Vogler a mis sur pied un puissant outil de storytelling qui a le potentiel, grâce aux archétypes, de plaire à un public de masse. Tous les réalisateurs n’ont pas eu la chance de rencontrer Joseph Campbell (comme George Lucas) ou de l’avoir comme professeur (comme Brian De Palma2 ), Vogler a permis aux idées de Campbell de se diffuser dans le monde cinématographique américain. Attaquons-nous désormais aux super-héros Marvel et DC Comics. Il est difficile d’établir un lien direct entre Campbell et les comics, ou entre leurs adaptations sur grand écran et Vogler. On a vu que le Voyage du Héros fonctionnait très bien pour le début de la trilogie Batman de Nolan, mais on ne va pas s’amuser à faire cette analyse pour tous les films. Les créateurs des personnages de comics se sont régulièrement inspirés de héros, de fiction ou de mythe, déjà existants. On peut citer Bob Kane qui reconnaît s’être inspiré de Zorro pour son Batman3 . On peut voir en Green Arrow un Robin des Bois contemporain. La mythologie a aussi été une source de super-héros : les dieux nordiques Thor, Loki et Odin sont présents dans les comics, ainsi que le royaume céleste d’Asgard, équivalent de l’Olympe grec. En parlant de mythologie grecque, Wonder Woman est la fille de Zeus et c’est l’une des guerrières amazones, elle a souvent comme ennemi un certain Arès. 1 http://www.actingstudio-masterclass.com/presentation.php 2 BLUMENFELD et VACHAUD, Brian de Palma : Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud, Calmann-Lévy, 2001, p. 169 3 PEARSON et URICCHIO, The Many lives of the Batman, Routledge, 1991, p. 6
  • 21. 21 Flash, le héros à la vitesse supersonique, a quant à lui beaucoup ressemblé au dieu messager Hermès à ses débuts dans les années 1940 (voir ci-contre1 ). Pour aller plus loin, l’économiste et sociologue Jean-Philippe Zanco voit même le super-héros comme « une forme syncrétique du héros mythologique, du saint, du prophète, revêtu de couleurs chamarrées.2 » En d’autres termes, on se rapprocherait du héros de récits fondateurs décrit par Campbell. Umberto Eco s’est intéressé dès 1976 aux super-héros. Dans Le mythe de Superman3 , Eco décrit ce même Superman p.24 comme « une image symbolique », comme « le héros positif » par excellence, incarnation de « puissance », ce qui fait immédiatement écho à l’archétype du héros chez Campbell, développé à la fin de la partie ii). Le philosophe italien reconnait même p.25 « l’indéniable connotation mythologique du personnage », thèse étendue aux super-héros en général à partir de la p.35. En d’autres termes, le personnage du super-héros a toutes les caractéristiques du héros de mythes. Par contre selon Eco, la saga Superman ne peut pas accéder au statut de mythe, car l’histoire d’un héros de roman, de BD ou de comics est toujours en évolution. Eco oppose p.26 l’imprévisibilité du « feuilleton pour les masses », c’est-à-dire du roman ou des comics dont l’histoire ne peut être figée (elle doit en effet se développer pour satisfaire la logique commerciale), à la prévisibilité du mythe. Il s’appuie sur l’exemple de la légende d’Hercule, dont la narration et la fin sont universellement connues du public. Je ferai deux objections à ce développement d’Umberto Eco. Premièrement, sans doute que du point de vue d’un européen aux racines gréco-latines, l’histoire d’Hercule semble plus connue que celle de Superman. (Et encore je vous mets au défi de me citer les douze travaux d’Hercule.) Mais qu’en est-il d’un américain ? Deuxièmement, depuis 40 ans, la notoriété de Superman, de son origine, de son histoire a fortement progressé, grâce aux adaptations cinématographiques telles la tétralogie de 1978 à 1987, Superman Returns en 2006 et Man of Steel en 2013, sans oublier la série TV Smallville et tous les animés dans lesquels Superman intervient. Il faut garder à l’esprit que les comics ont continué et continuent de proposer les aventures de Superman, avec un schéma narratif qui se 1 Source de l’image : http://www.ailleurs.ch/wp-content/uploads/2014/04/Dossier-p%C3%A9dagogique- Superman-Batman-Co...-mics-Cycle-2-copie.pdf 2 ZANCO Jean-Philippe, La société des super-héros. Économie, sociologie, politique, Ellipses, coll. « Culture pop », 2012, p. 175 3 ECO Umberto, "Le mythe de Superman", In: Communications, 24, 1976, La bande dessinée et son discours, sous la direction de Michel COVIN, Pierre FRESNAULT-DERUELLE et Bernard TOUSSAINT, pp. 24-40
  • 22. 22 répète et en repartant régulièrement de zéro (ce que l’on appelle des reboot). On a donc une histoire de Superman qui, particulièrement depuis la fin des années 1970, est devenue prévisible pour le public, et a pu toucher différentes générations. Elle est comparable à un mythe, à l’origine chez les Grecs une tradition orale1 , une histoire dont on connaissait les grandes étapes mais à laquelle l’orateur pouvait ajouter des péripéties. Et quand j’affirme que Superman est multi-générationnel, je ne suis pas le seul à le penser. Je cite le professeur-chercheur en sciences de l’éducation Gilles Brougère : « la richesse de Superman aujourd’hui, c’est de s’adresser toujours aux enfants et aux adolescents grâce à un processus de renouvellement constant, mais aussi à ceux qui l’ont rencontré avant, à travers des produits nostalgiques qui permettent de retrouver le Superman de son enfance, mais aussi des produits comme les films capables de s’adresser à l’ensemble des publics.2 » La « dimension générationnelle », comme la nomme Brougère, de Superman s’applique également aux autres super-héros fortement déclinés en produits dérivés (je pense particulièrement à Batman et Spider-Man), nous le verrons dans la suite du mémoire. Dans Le mythe de Superman, Umberto Eco apporte p.25 un dernier éclairage très intéressant sur la fonction de la double identité chez les super-héros. Superman est un archétype poussé à l’extrême : c’est un idéal, un modèle de perfection, il est le héros tout- puissant. Comme beaucoup d’autres super-héros, ses pouvoirs sont hors normes. Mais sous son identité civile, en tant que Clark Kent, il redevient un homme ordinaire, timide et vulnérable, bref beaucoup plus accessible. La double identité permet l’identification au super-héros, tout en faisant fantasmer le lecteur / spectateur : tout Clark Kent peut devenir un Superman. Dans l’introduction, on a vu que l’individu postmoderne avait besoin de nouveaux repères, de nouveaux modèles, de nouveaux idéaux. Au cours de cette partie a), on a démontré tout le potentiel mythologique des univers de Tolkien, de Star Wars, de Marvel et de DC Comics. Si les évolutions des héros en question ne respectent pas toujours point par point, étape par étape le Voyage du Héros, on a montré que les archétypes eux étaient une constante. Cela confère à nos personnages une forme d’universalité ainsi que les valeurs symboliques du héros positif, rassurant, une référence, une figure exemplaire à laquelle l’individu postmoderne peut se rattacher. Reste à savoir si, et si oui comment, les héros de la Terre du Milieu, de Star Wars, et les super-héros peuvent porter les mythes d’aujourd’hui et même incarner les mythes de demain. 1 VERNANT Jean-Pierre, L’Univers, les Dieux, les Hommes, Éditions du Seuil, 1990, p. 12 2 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 144
  • 23. 23 b. Le héros de fiction, une marque en puissance ? i. Personnification de marque et storytelling Avant de faire le rapprochement entre héros et marques, il nous faut définir le terme de « marque ». Selon l’American Marketing Association (AMA), la marque est « un nom, terme, signe, dessin ou toute combinaison de ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de vendeurs et à le différencier des concurrents ». Pour compléter, le Mercator1 ajoute que ces signes « influencent la perception et le comportement des clients par un ensemble de représentations mentales, et créent ainsi de la valeur pour l’entreprise. » Pour faire la synthèse, la marque est un signe dans tous les sens du terme, elle est « à la fois un signifiant et un signifié2 ». La marque est un signifiant à travers les éléments tangibles qui la composent (nom, logo, etc.), lui permettant d’être reconnue et de se distinguer des autres (définition de l’AMA). La marque est aussi un signifié car elle évoque du sens, du contenu, elle renvoie à des dimensions fonctionnelles et symboliques (définition du Mercator). La marque est donc un ensemble d’éléments tangibles, un « véhicule sensoriel3 », qui alimente des éléments intangibles. Pour la suite du mémoire, j’utiliserai l’expression « identité de marque » pour évoquer la marque telle qu’elle est construite par l’entreprise, et celle d’ « image de marque » pour la marque telle qu’elle est perçue par les consommateurs. Après ces précisions théoriques, concentrons-nous sur la dimension symbolique de la marque, ce qu’elle représente. Pour sa dimension symbolique, la marque va s’appuyer sur des valeurs, dont nous discuterons dans la partie ii), mais aussi « sur des caractéristiques de personnalité, sur des bénéfices émotionnels.4 » Quoi de mieux qu’un héros pour jouer sur le registre émotionnel et donner de la personnalité à sa marque ? Les marques de la grande consommation l’ont vite compris, en s’associant régulièrement avec des stars (des sportifs pour les équipementiers, des top-modèles pour les cosmétiques), en créant des personnages (Mr. Propre, Géant Vert) ou encore des animaux (Tony le tigre des Frosties) pour incarner leur marque. On peut très bien choisir des animaux normaux, comme le hérisson de Spontex, qui vont augmenter la cote de 1 LENDREVIE et LÉVY, Mercator 11 ème édition, Dunod, 2014, p. 800 2 LAI Chantal, La marque 2 ème édition, Dunod, 2009, p. 9 3 Ibid. 4 Ibid., p. 19
  • 24. 24 sympathie envers la marque, mais pour passer au stade supérieur dans l’attachement et l’identification à la marque, on favorisera des créatures anthropomorphisées. Et ce ne sont pas toujours des animaux, on retrouve même des produits anthropomorphisés (M&M’s) voire des ingrédients de produit (les supposés fruits dans l’Oasis). On peut distinguer deux grands types de personnification de marque1 : celle où la marque et le personnage ne font qu’un, ce qui se retranscrit alors dans le nom de marque (Mr. Propre, Géant Vert, et pour nos héros on citera Batman, Superman et Spider-Man, on verra dans la suite du mémoire que ce sont des marques à part entière) et celle où le personnage est plus le ou l’un des représentant(s) de la marque, voire sa mascotte (Tony des Frosties, et pour nos héros de fiction Gandalf pour la Terre du Milieu ou Dark Vador pour Star Wars sont des représentants iconiques). Les héros de fiction sont des incarnations naturelles de leur univers, donc de leur marque, ce qui présente un avantage considérable. Il n’y a pas de risque en termes d’image de marque, alors qu’en créant sa mascotte ou en s’associant avec une personnalité on peut vite perdre en crédibilité. Février 2014, souvenez-vous : LCL a voulu faire de Gad Elmaleh son porte-parole pensant profiter de la popularité de l’humoriste et de son accessibilité (aux yeux du public). On ne devait pas nécessairement s’identifier à Gad Elmaleh, mais plutôt lui faire confiance dans un rôle de prescripteur. Dans les faits, le résultat fut plutôt inverse, l’accueil de la publicité par le public étant glacial, et force est de constater que les images de marque des deux parties s’en sont vues largement dégradées. Justine Villeneuve de chez Ubisoft (3ème éditeur indépendant de jeux-vidéo au monde) voit trois avantages à une marque incarnée par un héros2 . « Le premier point fort, c’est l’identification, la possibilité de se projeter dans un personnage. » Comme on l’avait vu avec Umberto Eco, la double fonction du héros à la fois accessible et exemplaire, va se transférer à la marque qu’il représente. Deuxièmement, le héros va faire profiter la marque de son identité visuelle impactante (on traitera l’identité visuelle en iii). Et en dernier lieu, Justine insiste sur l’histoire derrière les personnages, en prenant l’exemple des fruits Oasis devenus une licence à part entière. Orange Présslé, Mangue Debol & Cie, n’apparaissent pas seulement dans les publicités de la marque de boisson, ou sur ses packagings, ils bénéficient également de leur mini-série sur YouTube. On y raconte leurs aventures, leur histoire. Cela leur donne un background, « de la richesse et de la profondeur3 », et participe à la dimension symbolique de la marque Oasis. 1 COHEN R.J., “Brand Personification: Introduction and Overview”, Psychology & Marketing, Vol. 31(1), Wiley Periodical Inc., January 2014, pp. 3-8 2 Cf. interview en annexe 3 LAI Chantal, La marque 2 ème édition, Dunod, 2009, p. 19
  • 25. 25 En effet une fois attaché au personnage, le fait de le voir évoluer, se développer, renforce le lien affectif. Les grandes enseignes aiment se servir de cet aspect narratif, notamment en points de vente, et se rapprocher du mythe1 . Ce qui est intéressant avec les héros de fiction, c’est que leur contenu narratif, leur Voyage du Héros existe déjà, il suffit juste de le mettre en scène. Contrairement au storytelling de certaines célébrités ou de certains hommes politiques, qui peut paraître monté de toutes pièces, le storytelling des héros de l’Entertainment a de son côté une forme de légitimité, d’authenticité. Ainsi, le héros et le contenu narratif facilitent une des trois fonctions principales de la marque2 , celle de réduire le risque perçu. Le consommateur se retrouve en effet dans un univers rassurant, en territoire connu, et non dans un storytelling factice. Le héros incarnation de marque est capable de générer la personnalité, le caractère, et le potentiel affectif (à travers le storytelling) de la dimension symbolique. Qu’en est-il du dernier pilier de la dimension symbolique, les valeurs de marque ? ii. Les valeurs Dès qu’un héros est utilisé pour représenter une marque, les valeurs associées au personnage l’accompagnent. On peut les diviser en quatre catégories : valeurs archétypales, valeurs individuelles, valeur collective, valeurs morales et politiques.  valeurs archétypales : C’est ce que nous avons démontré tout au long de la partie a), ce que nombre de héros dans l’Entertainment ont en commun par leur affiliation au récit mythique et à l’archétype du héros chez Campbell. On retrouve un héros à portée universelle, positif, rassurant, triomphant du Mal et n’hésitant pas à se sacrifier pour sauver son monde et/ou ceux qui lui sont chers. Mais rappelez-vous, il existe d’autres archétypes dans le Voyage du Héros, le Mentor (ou le Guide), l’Héraut, l’Allié ou encore le Trickster. Il n’est pas rare de voir un héros revêtir des archétypes supplémentaires, cumulant ainsi ce qu’ils représentent. Par exemple, Gandalf est principalement un Guide, mais on a vu en partie a)iii) que c’était aussi un héros et un Héraut. J’ajouterai que c’est également un Allié (car un Guide/Mentor exclusif 1 DEBOS Franck, « L’intégration de la sémiotique et des figures de style dans la stratégie Marketing des distributeurs et des fabricants : des marques « mythiques » aux points de vente, espaces de narration et de langage », Market Management, ESKA, 2007/1 (Vol. 7), pp. 28-38 2 Les deux autres fonctions sont la simplification (du processus d’achat) et la personnalisation (ou sentiment d’appartenance) : LAI Chantal, La marque 2 ème édition, Dunod, 2009, pp. 22-23
  • 26. 26 n’accompagne pas le héros dans le monde inconnu, il s’arrête à l’étape du seuil). En tant que héros, Gandalf est associé aux valeurs d’exemplarité et de sauveur universel, mais en sa qualité de Guide/Mentor, il est aussi le sage, le prophète, en étant Héraut, il est le porteur de changement, et en tant qu’Allié, il est un personnage fiable en qui on peut avoir confiance. Gandalf représente la somme de toutes ces valeurs. Et ce n’est pas un cas isolé, au début du Seigneur des Anneaux, Merry et Pippin sont des Alliés-Trickster (Trickster au sens de comiques), au fur et à mesure de l’histoire ils deviennent eux- mêmes des héros. Au même titre que Gandalf, ils véhiculent les valeurs liées aux archétypes les concernant, aux rôles qu’ils jouent dans le récit.  valeurs individuelles : Ce sont les valeurs qui sont propres à chaque héros car reposant sur la combinaison unique de leurs capacités, de leurs pouvoirs (voir la Figure 1 pour les super-héros Marvel). Hulk est associé à la puissance débridée, La Chose à la solidité, l’endurance, Le Professeur X (rien à voir avec l’industrie pornographique) au génie, Flash à la vitesse supersonique, et Frodon à la bravoure sans limite.  valeur collective : Même les héros les plus solitaires comme Wolverine ou Batman sont affiliés à un groupe, à une équipe. Face à une menace extrême, quand les qualités individuelles ne suffisent plus, les héros s’allient autour d’une cause commune et génèrent une force collective pour faire front. C’est ainsi que se forment les Avengers, la Justice League ou la Communauté de l’Anneau (Seigneur des Anneaux). On retrouve souvent des liens de sang ou d’amitié profonde pour créer le noyau dur de l’équipe. Typiquement chez Les Quatres Fantastiques : La Chose est le meilleur ami de Mr Fantastique, qui est le mari de La Femme Invisible, qui elle-même est la sœur de La Torche. Certaines sont moins des équipes mais plus des institutions : le Conseil des Jedi (Star Wars), l’école du Professeur X (qui forme les X-Men) ou puisqu’on a commencé à parler jeux-vidéo, la confrérie des Assassins pour Assassin’s Creed. Les héros sont alors aussi représentants des valeurs, du crédo de leur institution.  valeurs morales et politiques : On ne juge pas uniquement un héros sur ses pouvoirs, sur la cause de son équipe, ou sur le rôle qu’il joue dans l’histoire, on le juge aussi sur son comportement, comment il passe les épreuves, comment il résout les conflits. La manière dont il fait est tout aussi importante que ce qu’il fait. On a tendance à penser que le héros est foncièrement moral, il incarnerait le respect, l’humilité, la liberté, la tolérance. Umberto Eco décrit ainsi
  • 27. 27 Superman comme « beau, humble, bon et serviable1 ». Mais je trouve cette description caricaturale, les héros ont souvent trop confiance en eux, et ne se soucient pas forcément des nombreux dommages collatéraux, humains et matériels (des bâtiments voire des villes entières) qu’ils occasionnent. Regardons de plus près comment agissent les héros de comics si, aux idéaux moraux, on adjoint des idéaux politiques : Figure 3 : Mapping des super-héros et de leurs ennemis selon leurs valeurs politico-morales (LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, p. 50) Sur cette Figure 3, l’axe vertical représente la relation du héros à l’ordre, au contrôle et à la liberté d’autrui, en haut les plus fermes, les autoritaires, les égocentrés, au milieu les plus démocratiques, en bas les plus libertaires, anarchistes voire chaotiques. L’axe horizontal représente quant à lui le rapport du personnage à la société, au risque et au changement : les conservateurs, les plus prudents et les moins tolérants à droite, les moins intégrés à la société, les réformistes voire révolutionnaires à gauche. 1 ECO Umberto, « Le mythe de Superman », In: Communications, 24, 1976, p. 24
  • 28. 28 Il n’est donc pas étonnant de voir Green Arrow, le Robin des Bois des comics, incarner en bas à gauche la liberté et la tolérance. Iron Man, génie et marchand d’armes milliardaire, est logiquement dans le carré en haut à droite, se montrant régulièrement individualiste et cynique. Batman est aussi dans ce même carré, il est obsédé par le fait de ramener l’ordre et est considéré comme conservateur car il est très prudent, très réfléchi dans ses actions. Les mutants Magneto (l’Antagoniste principal des X-Men) et Hulk sont sur un même plan vertical, plutôt à gauche, car peu intégrés à la société, mais Magneto veut imposer sa vision au monde d’où son placement chez les autoritaires, tandis que Hulk amène le désordre partout où il passe. Pour terminer, le Joker, le super-vilain ennemi juré de Batman, se trouve au coin du carré inférieur gauche, il aime en effet bouleverser la société en semant le chaos. Les univers de super-héros, de Tolkien ou de Star Wars sont-ils manichéens ? Certes on retrouve systématiquement dans ces univers deux camps opposés, le Bien affrontant le Mal : les super-héros contre les super-vilains, les Gens Libres contre les partisans de Sauron, et les Jedi contre les Sith. Certains personnages sont profondément bons (Yoda, Gandalf) et d’autres viscéralement mauvais (L’Empereur Dark Sidious, Sauron). On a donc une structure narrative à base manichéenne, dans la droite lignée des mythes. Cependant, ces histoires sont bien plus complexes quand on s’y intéresse de plus près et la frontière entre Bien et Mal pas si infranchissable que cela. Magneto est d’abord un collaborateur du Professeur Xavier avant de se retourner contre les X- Men, Jean Grey est d’abord une super-héroïne avant de devenir une Antagoniste. Saruman est avant tout le chef des Istari (les magiciens envoyés en Terre du Milieu), il est le Mentor de Gandalf, mais choisit le camp de Sauron. À l’image de Catwoman, tantôt alliée, tantôt amante, tantôt ennemie de Batman, il y a aussi beaucoup de personnages neutres ou mercenaires qui ne prennent parti pour aucun camp (Sylverbarbe du Seigneur des Anneaux) ou alternent entre deux suivant leur propre intérêt (Gollum). Enfin pour Star Wars, c’est dans l’ADN-même de la saga que les héros les plus puissants soient tentés par le côté obscur. Le comte Dooku est un ancien apprenti de Maître Yoda avant de devenir l’un des leaders Sith. Mais l’exemple le plus célèbre est bien sûr Anakin / Dark Vador. Anakin est l’élu de la prophétie, le Jedi censé ramener l’équilibre dans la galaxie. Sombrant peu à peu dans la passion et la colère, il devient Dark Vador le bras armé de l’Empereur. Héros déchu, il finira par obtenir la rédemption de son fils Luke…
  • 29. 29 iii. Identité visuelle Le héros est capable de donner beaucoup de valeurs et de personnalité à sa marque. Mais le consommateur n’est pas toujours conscient de cette dimension symbolique et ce n’est pas ce qu’il va percevoir en premier de l’image de marque. C’est en fait l’identité sensorielle qui constitue son premier contact avec la marque, et si elle retient son attention, si elle est impactante, alors la dimension symbolique suivra. C’est l’adhésion aux éléments tangibles de la marque, au signifiant, (au « véhicule sensoriel » de Chantal Lai,) qui amène le consommateur vers les éléments intangibles, le signifié. Des cinq sens, la vue est ce qui va être le plus sollicité dans la reconnaissance d’une marque et sa différenciation par rapport aux autres. L’identité visuelle est ainsi primordiale dans la construction des marques-héros. Quelles sont les valeurs des personnages maléfiques ? Pourquoi les aimons-nous tant ? Sauron, Saruman, Dark Vador, Magneto, Lex Luthor, ou encore Le Joker ne véhiculent certainement pas les mêmes valeurs que les héros. On ne peut pas dire qu’ils brillent par leurs valeurs morales. Ils peuvent faire preuve de valeur collective, ils sont en effet suffisamment machiavéliques pour s’allier à leurs homologues (exemples : Suicide Squad, l’Ordre Sith), mais c’est souvent par pur intérêt, pour une durée limitée et les trahisons sont nombreuses. Et il ne faut pas oublier que ce sont des Antagonistes, leurs valeurs archétypales sont donc à l’opposée de celles des héros, ils sont ainsi rarement positifs et rarement rassurants. Alors pourquoi au lieu de les rejeter les trouve-t-on fascinants ? D’abord, sur le plan des valeurs individuelles, des capacités intrinsèques, ils n’ont souvent rien à envier aux héros du Bien, ils les surpassent même régulièrement, ce qui leur confère un charisme certain. Ensuite, comme on a pu le constater, ils sont nombreux, à l’image de Dark Vador, à avoir été ou à revenir du bon côté, une complexité qui les rend plus humains. Enfin, ils jouent sur notre registre émotionnel profond, par la passion, par la colère, par la violence dont ils font preuve, ils sont l’expression des frustrations enfouies dans notre inconscient. En bref, ils ont une fonction cathartique, comme la tragédie grecque chez Aristote. Les personnages maléfiques sont l’incarnation de nos pulsions extrêmes et cela explique que l’on puisse s’identifier à eux de temps en temps, ils sont complémentaires des héros.
  • 30. 30  le nom : Élément essentiel de toute marque, comment le choisir ? Pour nos marques héroïques, il y a quatre choix possibles. Première solution, utiliser tout simplement le nom du héros principal : Batman, Superman, Spider-Man. Dans ce cas-là, il faut comprendre que sous la marque Batman sont racontées ses aventures, la marque ne désigne donc pas que le héros principal mais bien tout son univers (incluant les autres personnages de l’histoire comme Robin, Catwoman, Le Joker, ainsi que leur environnement, la ville fictive de Gotham). Deuxième possibilité, faire référence au héros mais sans le nommer, à l’aide d’une métaphore ou d’une périphrase : Le Hobbit (désignant Bilbon), ou pour les jeux- vidéo Prince of Persia ou encore Tomb Raider (Lara Croft). Troisième configuration, le héros partage la tête d’affiche, on utilise le nom de l’équipe, de l’organisation, à laquelle il est affilié : les Avengers, les X-Men, Assassin’s Creed. Quatrième et dernier choix possible, on désigne un élément constant de l’univers (comme l’Antagoniste principal Sauron pour Le Seigneur des Anneaux), voire même l’univers tout entier (Star Wars). Ici, la référence directe ou indirecte au(x) héros disparaît. Cependant, on la retrouve dans les sous-titres des différents volets : par exemples les Star Wars : Épisode IV – Un nouvel espoir et Star Wars : Épisode VI – Le retour du Jedi font référence à Luke, Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau désigne le groupe des neuf héros principaux (dont Gandalf, Aragorn et Frodon) tandis que Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi indique la destinée d’Aragorn. Pour sortir du lot et se différencier, le nom de marque a aussi besoin d’une typographie, d’une charte graphique qui lui est propre, on appelle cela un « logo-titre ». Typiquement, le logo-titre Star Wars va être répété sur tous les supports utilisant la marque. Mais cela n’est pas systématiquement respecté pour d’autres marques, comme Spider-Man, où le logo-titre dépend des adaptations et des nombreux reboot (pour rappel, un reboot correspond à un redémarrage à zéro de l’histoire). Figure 4 : Continuité du logo-titre Star Wars
  • 31. 31 De gauche à droite sur la Figure 4, on retrouve le DVD du dernier volet de la trilogie des années 1980, l’excellent jeu-vidéo Star Wars : Knights of the Old Republic (2003), l’intégrale (en livre) de la trilogie des années 2000 (Pocket Jeunesse, 2015), et l’affiche du film à venir : l’épisode VII de la saga (2015). Malgré les années les séparant et la diversité des supports, on remarque la typographie identique du logo-titre Star Wars, seule la couleur varie. Je précise que le DVD de l’épisode VI est évidemment sorti en 2006, mais l’affiche de 1983 (cf. annexes) présente déjà le logo-titre Star Wars (cependant il est bien plus visible sur le DVD, d’où ce choix en miniature plutôt que l’affiche). Figure 5 : Discontinuité du logo-titre Spider-Man Sur la Figure 5 au contraire, on est frappé par les logos-titres Spider-Man très distincts les uns des autres. En partant de la gauche, celui du jeu-vidéo de 2000 (repris des comics d’origine) n’a rien à voir avec celui plus moderne du film de Sam Raimi (2002, le premier opus d’une trilogie). En 2012, le reboot de l’homme-araignée au cinéma s’offre logiquement un nouveau logo-titre (troisième image en partant de la gauche), cependant différent de celui de la série TV animée sortie la même année sur la chaîne Disney XD (dernière image à droite). Notons avec amusement la plongée similaire sur New-York entre le jeu-vidéo de 2000 et l’affiche du film de 2002, ou encore la position dynamique très ressemblante de l’affiche cinéma de 2012 et de la jaquette DVD du film de 2002 (cf. annexes). Pour les marques incarnées par des héros, le nom de marque est donc une donnée relativement stable, mais pas le logo-titre. Continuons de chercher ce qui fait la constante et la force de l’identité visuelle de ces marques.  le logo / emblème / symbole : Les marques qui ne possèdent pas de logo-titre fort, emploient souvent un logo-emblème, un écusson, un symbole design pour mieux les représenter. J’en ai déjà fait mention, il
  • 32. 32 existe trois types de super-héros : les humains (tirant leurs pouvoirs de leur entraînement, de leur technologie, de leurs accessoires), les mutants (victimes de mutations génétiques, des humains à l’origine) et les extraterrestres (des non-humains venus soit d’une autre planète, soit d’un monde céleste imaginaire). Superman est dans le dernier cas cité, il est originaire de la planète Krypton. L’Homme d’acier comme il est communément surnommé, est un pionnier. Créé en 1938, doyen des super-héros, il est aussi le premier à arborer sur son torse un emblème. Oui c’est bien cela, le fameux « S » rouge sur fond jaune. Dans les comics d’origine, le S signifie tout simplement Superman, mais au fil des adaptations, il a revêtu d’autres significations, il serait le blason de la famille de Superman, représenterait un serpent guérisseur ou encore signifierait « espoir » en langage kryptonien. Il est intéressant de noter qu’en 1938, la silhouette de l’emblème ressemble beaucoup à un insigne de police, avant d’adopter progressivement la forme diamantaire qu’on lui connaît (cf. annexes pour l’évolution). Selon Gilles Brougère1 , « c’est sans doute l’une des forces de Superman de se décliner sous une forme qui ressemble étrangement à un logo, mais un logo qui n’est pas simplement une étiquette […], mais le signe même du personnage. » Ce logo, cet emblème, ce fameux S signature du super-héros de Krypton permet aujourd’hui de « penser Superman à la fois comme un héros et une marque ». À la suite de l’Homme d’acier, de nombreux personnages ont orné leur poitrine d’un emblème caractéristique, on peut déjà citer Flash et Green Lantern, mais ils ne sont pas les seuls. Chez les humains et les mutants, volontairement pour les uns, accidentellement pour les autres, il n’est pas rare que le nom et les pouvoirs du héros soient liés à un animal : Batman, Le Faucon, La Veuve noire, Spider-Man, Wolverine. (Si vous désirez une liste plus exhaustive, avec les héros classés selon les animaux auxquels ils se rapportent, allez jeter un coup d’œil aux annexes). On retrouve ainsi Batman, le Chevalier noir, qui choisit comme symbole la chauve-souris pour inspirer la peur à ses ennemis et Spider- Man, qui mordu par une araignée mutante, développe des capacités arachnéennes. À l’image de Superman, Batman et Spider-Man vont porter sur le torse leur symbole fétiche, (de fait leur animal,) qui deviendra leur emblème en tant que personnage et en tant que marque. On a vu cependant que certaines marques ne se définissaient pas par le nom de leur héros, mais par le nom de l’équipe ou de l’organisation à laquelle le héros est affilié. Et il se peut que le groupe ou l’institution en question ait déjà son propre logo. Alors cela donne par exemple la marque-équipe Avengers, avec pour logo un A cerclé et muni d’une flèche dynamique, tandis que la marque Assassin’s Creed va naturellement utiliser 1 BROUGERE Gilles, « Et si Superman n’était qu’un jeu ? », La ronde des jeux et des jouets, Autrement « Mutations », 2008, p. 146
  • 33. 33 comme emblème le symbole de la confrérie des Assassins. Observez-le bien sur la droite de la Figure 6, c’est en fait une version stylisée de l’Équerre et du Compas franc- maçonnique (si vous avez déjà joué à Assassin’s Creed, cela ne vous étonnera pas). Figure 6 : Quelques logos héroïques (les marques Batman, Superman, Spider-Man, Avengers et Assassin’s Creed) Malgré tout, nous n’avons pas encore trouvé la véritable constante visuelle des marques incarnées par des héros. En effet, tous les héros ne disposent pas de logos-emblèmes. Si vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que les logos de la Figure 6 sont volontairement dénués de couleurs. Les couleurs, est-ce un début de réponse à notre interrogation ?  le costume, design et couleurs : La tenue du héros, son costume, c’est la première image qui me vient à l’esprit lorsqu’on m’évoque les marques dont il est question depuis le début de ce mémoire. Quand le produit d’origine de la marque est un roman, le héros acquiert son identité visuelle lors de son passage sur les écrans, de cinéma ou de télévision. C’est à ce moment précis que son style particulier, design comme couleurs, est déterminé aux yeux de tous. Gandalf existe en tant que héros de fiction depuis 1937 (première parution du Hobbit) mais ne voit son identité visuelle fixée qu’au tout début du XXIème siècle avec les films de Peter Jackson1 . C’est bien le Gandalf ci-contre, image tirée du film, que je retrouverai sur les produits dérivés de la marque. Quand le produit d’origine est un jeu-vidéo, le design du héros est d’abord confronté aux limites des premiers moteurs graphiques. L’industrie vidéo-ludique est très jeune comparée au cinéma ou à la télévision, et le passage de la 2D vers la 3D ne s’effectue qu’à la fin des années 1990 (en suivant la progression des consoles de jeu). En l’espace 1 La première vraie apparition de Gandalf et des autres héros de la Terre du Milieu sur grand écran est en réalité en 1978, dans le film d’animation Le Seigneur des Anneaux réalisé par Ralph Bakshi. Il n’a cependant pas eu le même retentissement et la même postérité que la trilogie de Peter Jackson débutée en 2001.
  • 34. 34 de dix ans, le design du Prince of Persia a passé cette épreuve avec brio, conservant la coiffe bleue, la lame courbe et le bas blanc caractéristiques du personnage. Figure 7 : Passage de la 2D à la 3D réussi pour le Prince of Persia (1993-1999-2003) (Si vous trouvez le Prince of Persia de 2003 trop en armure par rapport à ses prédécesseurs, sachez qu’il finit torse nu à la fin du jeu !) On peut aussi remarquer l’évolution graphique avec de plus en plus de détails sur la tenue. L’amélioration des détails graphiques est également continue chez la plus célèbre des héroïnes de jeux- vidéo : Lara Croft (voir Figure 8). Depuis près de vingt ans, l’aventurière de Tomb Raider a conservé les mêmes atouts visuels (tout en multipliant les pixels) : la coiffure, le top moulant un corps sculptural, les mitaines, les deux pistolets, les boots et le mini-short1 . Figure 8 : Évolution graphique de Lara Croft (1996-2015) 1 Dans certains opus, Lara Croft opte (à mon grand regret) pour le pantalon. C’est notamment le cas depuis le reboot de la série de jeux (c’est-à-dire depuis 2013). On peut y voir la volonté de se démarquer de l’ancienne série (comme dans tout reboot, souvenez-vous entre les films Spider-Man de 2002 et 2012) et aussi l’envie de moderniser l’image de Lara, moins femme-objet et plus héroïne de son temps. ©2014-2015Pedro-Croft
  • 35. 35 L’une des forces de la marque Tomb Raider, c’est d’avoir gardé constante l’identité visuelle de Lara Croft, même lors de son passage au cinéma en 2001 et 2003, sous les traits d’Angelina Jolie (voir ci-contre). Cela fait d’elle une héroïne extrêmement reconnaissable et rend sa marque unique. Chez les Assassin’s Creed, le héros avec lequel vous jouez n’est jamais le même suivant l’opus, le principe du jeu étant de se réincarner en ses ancêtres à différentes périodes marquantes de l’Histoire (comme les Croisades, la Renaissance italienne, la Révolution française). Cependant, même dans ce cas, on va aussi observer la volonté d’un design cohérent des costumes, véritables marques de fabrique des Assassins, avec des éléments constants quelle que soit l’époque concernée (voir ci-dessous la Figure 9). Les héros aux deux extrémités sont même issus de produits dérivés (en l’occurrence les BD) mais maintiennent la cohérence. Figure 9 : Filiation costumière des Assassins à travers l’Histoire 1 Quand le produit d’origine est un comics, tout l’enjeu est de savoir si un dessin de plus de 50 ans est capable de survivre à l’épreuve du temps et aux déclinaisons des super-héros sur les écrans. On a déjà eu une première réponse en observant la Figure 5, le design général du costume de Spider-Man est toujours le même, ainsi que ses couleurs rouge et bleu caractéristiques. Évidemment, il subit quelques modifications ça et là selon les adaptations, mais elles sont minimes (plus de détails en annexes). Pour Flash, le héros 1 La Figure comprend les principaux héros des jeux-vidéo et BD Assassin’s Creed sortis avant 2014 ; source : http://www.wallpapermade.com
  • 36. 36 courant à la vitesse de l’éclair, le costume a connu plus de changements entre les décennies 1940 et 1950 qu’entre les décennies 1950 et 2000 ! La longévité du costume super-héroïque dans les comics se transmet aussi sur petit ou grand écran, en témoigne, pour Flash, la série TV éponyme débutée en 2014. Figure 10 : Flash et son costume à travers des décennies de comics 1 et la série TV de 2014 Spider-Man et Flash ne sont pas des cas isolés, les costumes définissent l’identité visuelle des super-héros. Dernièrement cependant, lors des adaptations audiovisuelles de leurs aventures, on constate un assombrissement des couleurs de leur tenue. C’est particulièrement le cas chez les héros DC Comics, où l’on tente de camper des univers plus sombres et plus adultes depuis une dizaine d’années (comparés aux comics). Le Batman de la trilogie cinématographique de Christopher Nolan (2005-2012) ou dans la série de jeux-vidéo Batman Arkham (2009-2015) est tout de noir vêtu, alors qu’il mélangeait le noir, le gris clair et le jaune (sur son torse et au niveau de la ceinture) dans les comics et les films jusqu’en 1995. Les costumes de Superman et de Wonder Woman perdent également un peu de leurs couleurs vives ces derniers temps : 1 Source : giirlgonegeek.wordpress.com/2014/12/11/the-evolution-of-the-flash ©2015TheCWNetwork
  • 37. 37 Figure 11 : Assombrissement des costumes de Superman (1938-2013) et Wonder Woman (1942-2016) 1 La Figure 11 permet d’observer que la version 2013 de Superman sur grand écran possède les couleurs les plus foncées. On remarque la même dynamique pour Wonder Woman. En effet, si la série TV de 1975 respectait au détail près le dessin du comic book, l’apparition de l’héroïne amazone au cinéma dans le Batman vs. Superman prévu en 2016 devrait être moins colorée. (Notez que j’ai mis deux images pour illustrer la Wonder Woman 2016 : à gauche la tenue présentée au Comic-Con 2015 à San Diego et à droite l’un des posters officiels du film). Concernant les couleurs, n’avez-vous jamais remarqué celles qui reviennent le plus souvent sur les costumes de super-héros ? Ce sont en fait les trois couleurs primaires : le rouge, le bleu et le jaune. Sur la Figure 12, nous retrouvons la proportion de couleurs sur le costume de neuf héros, six de Marvel (Wolverine des X-Men, Spider-Man, Ant Man, et les trois Avengers : Iron Man, Thor et Captain America) et trois de DC Comics (tous membres de la Justice League : Wonder Woman, Flash et Superman). Résultats sur les neuf super-héros : rouge 9/9, bleu 7/9 et jaune 6/9. Que représentent ces colorations ? D’après le peintre Kandinsky2 , le rouge symbolise la vitalité, la force, la puissance, la couleur idéale des super-héros ! Le jaune est une couleur plus chaude, elle est l’énergie pure, la lumière, la proximité, tandis que le bleu est une couleur plus froide, distanciée, représentant le calme et l’ordre. Par opposition, les super-vilains optent quant à eux pour les couleurs secondaires (cf. annexes), des mélanges, plus difficiles à obtenir et plus instables. Le orange est un rouge qui a gagné en chaleur, une puissance non-maîtrisée, irradiante. Le vert est associé aux superstitions, à la jalousie et à l’immaturité. Le violet est un rouge refroidi, déshumanisé, magique, qui symbolise la crainte et la mélancolie. 1 Sources multiples : briff.me/2014/11/01 ; www.cinemablend.com ; moviepilot.com/posts/3359223 2 KANDINSKY Vassily, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 142-163
  • 38. 38 Figure 12 : Super-héros, costumes et couleurs primaires (sélection extraite de LEONG Tim, Super Graphic, Chronicle Books, 2013, pp. 8-9) Pour l’anecdote, Iron Man n’a pas toujours porté son armure aux couleurs jaune et rouge bordeaux. Il étrennait à ses débuts une armure grise métallisée plus conforme à son nom. Ses créateurs ont-ils fini par lire Kandinsky ? Quand le produit d’origine est un film, comme pour la saga Star Wars débutée en 1977, le design des personnages est fixé depuis leur première apparition. Le look de Dark Vador n’a ainsi pas beaucoup changé entre les deux trilogies. Celui de Maître Yoda non plus, même s’il a profité des progrès techniques en matière d’effets spéciaux, pour passer de la marionnette en latex à l’image de synthèse (dès l’épisode II de 2002). Les Jedi et les Sith (les Jedi obscurs) ont un dress code particulier. Ils revêtent traditionnellement une robe de bure, ce qui leur confère une allure monastique, et bien sûr ne se déplacent jamais sans leur sabre laser. C’est en fait le code couleurs qui va différencier les Jedi des Sith. Les représentants du côté obscur associent le noir de leur tenue au rouge de leur sabre laser. D’après Kandinsky (et Stendhal), le rouge et le noir combinent puissance, passion, colère, néant et mort. Observez sur la Figure 13 tout à droite le Seigneur Noir des Sith (alias Dark Sidious alias l’Empereur) et ses trois apprentis : le Comte Dooku (alias Dark Tyranus), Dark Maul avec son sabre laser double, et Dark Vador. Contrairement à ce que l’on
  • 39. 39 pourrait penser, le titre « Dark » ne fait pas référence à la couleur sombre de leur tenue, mais est simplement la traduction française du « Darth » de la version originale. De leur côté, les Jedi choisissent le brun et/ou le blanc cassé pour leur bure, et le vert ou le bleu pour les sabres lasers. Le vert associé au blanc retrouve de la stabilité, leur association symbolise la concentration, la sagesse, tandis que le brun apporte de la fermeté. Le sabre laser vert est celui des Jedi Consulaires, qui se focalisent sur la maîtrise des pouvoirs de la Force. Le sabre laser bleu est l’arme des Jedi Gardiens, les plus talentueux dans le maniement du sabre. Sur la Figure 13 à gauche, vous retrouvez les Jedi les plus influents des deux trilogies cinématographiques : de gauche à droite Maître Yoda, puis son apprenti Qui-Gon Jinn, lui-même maître d’Obi-Wan Kenobi, qui initiera Luke Skywalker aux arts Jedi. (Luke est ici représenté avec le sabre laser bleu de son père Anakin/Vador). Figure 13 : Les principaux Jedi et Sith des deux trilogies de George Lucas (1977-2005)  le costume, armes et équipement : À l’image des sabres lasers et des Jedi, les héros se caractérisent par leur(s) arme(s) de prédilection. On l’a vu, pas de Lara Croft sans ses deux pistolets, et pas de Prince of Persia sans sa lame courbe (et sa Dague du Temps à partir de la version Ubisoft de 2003). Les Assassins ont naturellement un équipement qui évolue en fonction des époques (voir Figure 9) mais disposent toujours de lames secrètes (actionnées par un mécanisme au niveau du poignet). En Terre du Milieu, les armes ou objets magiques à qui l’on donne un nom sont légions. En plus de son bâton de magicien, Gandalf ne porte pas Excalibur et l’Anneau des Nibelungen mais l’épée Glamdring et l’anneau elfique Narya. Thorin, le héros nain du © wallhaven.cc 2015.
  • 40. 40 Hobbit, combat avec l’épée Orcrist, Aragorn avec Anduril et Bilbon avec l’épée nommée Dard, qu’il lèguera ensuite à son neveu Frodon. L’Anneau Unique est l’objet phare de la mythologie de Tolkien, il est devenu l’un de ses symboles (voir ci-contre). Cet anneau empreint de maléfices a pour porteurs successifs des héros comme des personnages néfastes : Sauron (créateur de l’Anneau), Isildur (ancêtre d’Aragorn), Gollum, Bilbon, Frodon et Sam. C’est un outil à la disposition de Bilbon dans Le Hobbit, il a une influence positive, alors qu’on découvre ensuite dans Le Seigneur des Anneaux son potentiel envoûtant, objet de tentation et de corruption, véritable prolongement de la volonté de Sauron. Chez les super-héros, l’équipement fait partie intégrante du design général et il arrive qu’une arme fétiche concentre les pouvoirs du personnage : Green Lantern et son anneau (tiens tiens), Green Arrow et son arc, et à moindre mesure Wonder Woman et son lasso magique, ou Batman et tous ses gadgets auxquels on ajoute le préfixe Bat- (comme la Batmobile de la Figure 14). Pour les Avengers, que seraient Thor sans son marteau, Iron Man sans son armure et Captain America sans son bouclier étoilé (ci-contre) ? Figure 14 : La Batmobile dans le jeu-vidéo Batman : Arkham Knight (2015)  le costume, cape et masque : Qu’est ce que les super-héros ont en commun ? À cette question, les équipes de Supergraphic ont trouvé trois éléments récurrents (cf. annexes pour l’infographie).
  • 41. 41 Déjà, beaucoup de super-héros sont orphelins. D’un point de vue narratif, c’est doublement pratique. Le lecteur ou spectateur prendra en effet plus facilement fait et cause pour un jeune enfant délaissé. De plus, avoir peu de proches permet au héros de vivre sa double identité sans qu’on lui pose trop de questions. Ensuite, de nombreux super-héros portent leur sous-vêtement par-dessus leur costume. Un détail qui, j’en conviens, peut paraître ridicule. Je pense que c’est à l’origine pour mettre en valeur leurs attributs, comme les combinaisons et les collants moulants (au-delà du fait que ce soit recommandé pour faire des pirouettes de gymnaste) mettent en avant les muscles saillants et les formes avantageuses des personnages. (D’ailleurs pour en revenir aux sous-vêtements, il semblerait que cette mode n’ait pas résisté aux derniers passages sur grand écran, en témoigne l’affiche de Batman vs. Superman de la Figure 11, où les trois héros en sont dispensés). Enfin, une majorité de héros de comics possède des capes. Les capes ont une fonction esthétique, elles donnent une prestance certaine. Dans mon esprit, la cape est rattachée à la noblesse, à la chevalerie, ce qui est en adéquation avec la définition du héros de Max Weber que l’on énonçait au tout début de ce mémoire : le héros est un personnage placé au-dessus des autres, avec un statut particulier. Peut-être est-ce visuellement ce que la cape représente dans l’élaboration du costume d’un héros. Pour aller dans ce sens, les Assassins (Assassin’s Creed) ont des capes, les Jedi et les Sith (Star Wars) ont des capes, et chacun des héros membres de la Communauté de l’Anneau (Seigneur des Anneaux) arrivant devant la Reine Galadriel se voit offrir ... une cape elfique. Le masque est le dernier élément venant compléter le costume du héros. Il peut être un simple masque sur les yeux (Green Lantern, Green Arrow, Robin), recouvrir toute la tête comme une cagoule (Spider-Man, Flash) ou un casque (Dark Vador, Batman, Captain America), et même prendre la forme d’autres couvre-chefs tels le chapeau de Gandalf ou encore les capuches d’Aragorn, des Assassins et des Jedi. Le masque (pris au sens large) a un rôle esthétique, il peut simplement prolonger le costume (Spider-Man) ou lui donner un style unique (Dark Vador, Batman). Mais avant tout, le masque cache le visage de son porteur, il entretient le mystère, il préserve la double identité du héros. Mettre ou retirer son masque implique la transformation d’une identité à une autre. La plupart des héros mettent leur masque pour passer de leur identité civile à leur identité héroïque, c’est ainsi que Bruce Wayne et Peter Parker par exemples se changent en Batman et en Spider-Man. La mécanique est similaire dans Assassin’s Creed, vous incarnez un civil contemporain, un citoyen a priori lambda (Desmond Miles jusqu’à Assassin’s Creed III) qui peut revivre les aventures de ses ancêtres grâce à une machine lisant son ADN. Ce n’est qu’une fois encapuchonné dans la peau de ses ancêtres Assassins que Desmond évolue en héros. Mais il existe aussi des personnages qui au contraire en ôtant leur
  • 42. 42 masque basculent vers une identité (encore plus) héroïque. Clark Kent enlevant ses lunettes n’est plus le journaliste du Daily Planet, mais bien le super-héros de Krypton. Anakin Skywalker se transforme définitivement en Dark Vador une fois le masque caractéristique enfilé, son humanité s’effaçant derrière la machine. Mais lorsqu’il enlève son masque à la fin de l’Épisode VI, il est pardonné par son fils et redevient le héros Anakin. Dernier exemple : Gandalf (dit le Gris), après s’être sacrifié pour la Communauté1 , est ramené à la vie et est renommé Gandalf le Blanc. Gandalf abandonne alors son chapeau et troque cheveux et barbe hirsutes contre une pilosité parfaitement entretenue. Il change d’identité, visuelle et nominale, pour devenir le leader des Gens Libres2 . iv. Identité sonore « L’identité sonore est devenue ces dernières années un pan assez incontournable de l’identité sensorielle de marque.3 » On vient de voir que les héros avaient de nombreux atouts visuels, mais ce n’est pas tout. Il semble difficile de reconnaître un personnage par son goût, son odeur ou au toucher. Par contre, comme une marque a son jingle, le héros peut disposer d’une identité sonore qui lui est propre. Que seraient les princesses Disney sans leurs chansons ?  thème musical : Pour la bande originale de leurs films, les studios hollywoodiens font confiance aux compositeurs les plus réputés. Dans ce cercle restreint, on trouve John Williams (Les Dents de la mer, le Superman de 1978, E.T. l’extra-terrestre, les trois premiers Harry Potter, tous les films Star Wars et Indiana Jones), Howard Shore (trilogies Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit), James Horner (Braveheart, Titanic, Avatar, The Amazing Spider-Man), Hans Zimmer (Le Roi lion, Gladiator, Inception, la trilogie Batman de Nolan, The Amazing Spider-Man 2, Man of Steel et Batman vs. Superman) ou encore Danny Elfman (les deux Batman de Burton, Mission Impossible, les deux premiers Spider-Man de Raimi, le Hulk de 2003, Avengers : L’ère d’Ultron, ainsi que les génériques de la série TV Flash de 1990 et de la série animée Batman de 1992). Après ces longues listes, il faut retenir que la musique des films (voire des séries) concernant les héros de ce mémoire est tout simplement composée par les meilleurs. 1 Gandalf combat seul la créature démoniaque nommée Balrog pour laisser le temps aux autres héros de s’enfuir, et meurt dans le duel. 2 Et des magiciens, double rôle que devait assumer le Mentor de Gandalf, Saruman, autrefois appelé Saruman le Blanc avant qu’il ne choisisse le camp du Seigneur des Ténèbres. 3 LAI Chantal, La marque 2 ème édition, Dunod, 2009, p. 16
  • 43. 43 L’identité musicale du monde de Tolkien est entièrement créée par Howard Shore. Et on entend ses thèmes musicaux dans tous les produits dérivés du Seigneur des Annneaux et du Hobbit (pour peu que ces produits puissent avoir du son) ainsi que dans les jeux- vidéos élargissant l’univers, jeux alors estampillés Terre du Milieu. Pour moi, la bande originale du Seigneur des Anneaux est la plus complète jamais composée, elle accompagne parfaitement les images et il existe des thèmes marquants pour chaque lieu et chaque moment de l’histoire. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs subtilement réutilisés dans la trilogie du Hobbit, cependant, je ne vois pas réellement de thème attaché directement à un héros1 . La bande-son de Star Wars est également incarnée par un seul homme, John Williams. Au même titre que Le Seigneur des Annneaux, les morceaux de Williams apparaissent dans tous les produits possibles de la marque, dans leur version originale ou bien en version remasterisée. Vous connaissez sans doute la musique du générique baptisée « Main Title » ou la fameuse « Cantina Band » de l’Épisode IV. Mais encore plus intéressant, il existe des thèmes récurrents pour de nombreux personnages de la saga : « Princess Leia’s Theme », « Yoda’s Theme », « General Grievous », « Emperor’s Throne Room », « Rey’s Theme ». Si ces derniers morceaux ne vous disent rien, celui qui accompagne chacun des pas de Dark Vador vous est forcément familier, « The Imperial March » est encore plus célèbre que le générique. Comme l’indique son nom, il représente à la base l’Empire et ses troupes implacables, mais a fini par devenir l’hymne de Dark Vador. Pour le trio des super-héros les plus adaptés à l’écran, les compositeurs sont multiples. Côté Spider-Man, nous avons le choix entre les musiques de Danny Elfman (2002 et 2004), de James Horner (2012) et de Hans Zimmer (2014). Je vote Elfman pour la longévité et la récurrence du thème principal (utilisé de 2002 à 2007 dans les trois films de Sam Raimi). Pour Batman, il y a duel entre Elfman (1989 et 1992) et Zimmer (2005- 2012). Je pense que la bande originale toute entière de Zimmer l’emporte cette fois-ci, plus rythmée, sombre et puissante, à l’image des films de Nolan. Notons que le duo Zimmer pour la musique et Nolan pour le scénario revient pour proposer Man of Steel en 2013, (énième) reboot de l’histoire de Superman. Malgré tous ses efforts, Zimmer est ici battu par le thème le plus connu pour un super-héros, celui composé par … John Williams pour le Superman de 1978. Ce thème de générique a une longévité exceptionnelle puisqu’il sera repris dans les trois films des années 1980 (les suites de celui de 1978), 1 À part celui associé à Sam : « Samwise The Brave ». Pourtant, les Nazgûl, les neuf Antagonistes s’opposant aux neuf héros de la Communauté, ont leur propre thème dans Le Seigneur des Anneaux : « A Knife in The Dark ». Ajoutons que dans Le Hobbit, Azog l’ennemi juré de Thorin a de même un thème dédié : « The Defiler », et ce dernier est associé dans le film à un remix du thème des Nazgûl, comme pour montrer la filiation maléfique entre les deux trilogies (écoutez donc : www.youtube.com/watch?v=HKwmFPUeB_Y).
  • 44. 44 dans le reboot de 2006 Superman Returns et même à la fin de la dernière saison de la série TV Smallville quand Clark Kent devient enfin Superman1 (2011).  identité vocale : Un thème musical est caractéristique de son héros à partir du moment où il dure sur le long terme. C’est également le cas pour l’identité vocale. Au cinéma, la voix est liée à l’acteur qui incarne le personnage. Or, on s’en est aperçu, les reboot sont si fréquents, avec des réalisateurs ou des acteurs arrivant en fin de cycle ou simplement car le film ne plaît pas au public, que garder une seule et même voix pour un héros est compliqué. La preuve que cette continuité est essentielle cependant, pour les jeux-vidéo et les séries animées dérivés directement de films, on tente de conserver les mêmes acteurs (ou les mêmes doubleurs si c’est en français) pour doubler les mêmes personnages. Puisqu’on en parle, l’avantage des séries/films d’animation et des jeux-vidéo c’est qu’on ne voit pas les acteurs/doubleurs vieillir à l’écran, ils peuvent donc assurer une vraie longévité vocale à leur personnage. C’est notamment le cas de Kevin Conroy et Mark Hamill (oui oui l’acteur jouant Luke Skywalker) qui prêtent leur voix à Batman et au Joker dans presque tous les animés (séries TV et films) et jeux-vidéo, depuis 1992 et la première série animée de l’homme chauve-souris, jusqu’en 2015 et le dernier volet du jeu Batman Arkham. Les doubleurs français tiennent aussi la distance, avec pour Batman Richard Darbois de 1992 à 2004, Adrien Antoine depuis, et Pierre Hatet pour le Joker de 1992 à 2015. L’identité vocale ne se cantonne pas à la voix-même. La façon de s’exprimer du personnage est tout aussi importante, et elle peut se transmettre entre différents acteurs/doubleurs. Batman parle ainsi avec un ton grave, déterminé et rassurant, alors que les interventions du Joker sont beaucoup plus irrégulières et ponctuées de son célèbre rire. Jack Nicholson, Mark Hamill et Heath Ledger ont du travailler ce rire spécifique pour le rôle, en suivant l’évolution du personnage (passant du clown au psychopathe). Il est vrai que les rires à pleines dents font souvent leur effet chez les Antagonistes. Je vais aller plus loin, je pense même que certains personnages, bons ou mauvais, n’auraient pas eu le succès qu’on leur connait sans leur façon très spéciale de s’exprimer. Gollum (du Seigneur des Anneaux et du Hobbit) est reconnaissable à sa voix gutturale et à ses phrases ponctuées de « Mon Précieuuux » (qu’il utilise tantôt pour désigner l’Anneau, tantôt pour se parler à lui-même). De plus en version originale, Gollum parle un anglais rudimentaire et ajoute de nombreux « s » à la fin des mots (qui font échos au « My Preciousss »). Ces allitérations en « s » ne sont pas sans rappelées les sifflements des serpents Disney (Kaa du Livre de la Jungle et Triste Sire alias Persifleur 1 www.dailymotion.com/video/xjl5zi
  • 45. 45 de Robin des Bois), des personnages en qui on ne peut avoir confiance. Dans Star Wars, le général Grievous (commandant cyborg des armées droïdes) a une respiration difficile, parle de manière étouffée et tousse régulièrement, ce qui lui donne de la personnalité. Autre cyborg à la respiration tellement caractéristique : Dark Vador, dont les inspirations et expirations s’apparentent à celles en plongée sous-marine, et s’ajoutent à sa voix métallique spécifique. Pour finir, comment ne pas se pencher sur Maître Yoda ? Le petit humanoïde vert a une manière de parler bien à lui. Il bouleverse en effet la syntaxe de ses phrases en plaçant quasi systématiquement le sujet et le verbe en dernières positions. Cette originalité syntaxique fait partie de son identité, et est assurément l’une des composantes principales de sa popularité. On a vu dans cette partie b) que les héros de fiction ont un indéniable potentiel en tant que marques. Ils disposent en effet d’une identité sensorielle forte car constante sur la durée. Celle-ci repose en grande partie sur l’atout visuel numéro un du héros : le costume (propre à chaque héros de par son design, sa combinaison de couleurs et ses accessoires). À cela peuvent s’ajouter, en fonction des personnages, un logo-titre, un logo-emblème, un thème musical et/ou une identité vocale caractéristique. L’identité sensorielle du héros de fiction lui permet de transmettre facilement au public les valeurs qui lui sont associées, piliers de la dimension symbolique de marque. De plus, le héros de fiction personnifie naturellement sa marque et lui apporte à travers ses aventures un solide background en termes de storytelling. Si les héros de fiction, particulièrement grâce à leurs passages sur les écrans, ont toutes les qualités requises pour être des marques, cela ne signifie pas forcément qu’une marque à leur nom va être développée. Gandalf et Iron Man par exemples ne sont pas des marques en tant que telles. Le magicien au chapeau est soit englobé dans une marque relatant ses aventures (Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux), soit dans une marque représentant son univers (Terre du Milieu). Le milliardaire en armure quant à lui est inclus dans la marque de son équipe de super-héros (Les Avengers). Gandalf et Iron Man n’en restent pas moins les figures de proue, les incarnations de leur marque, bien qu’ils partagent la tête d’affiche avec d’autres héros. Ils font en quelque sorte partie d’une marque à héros multiples, contrairement à Superman ou Spider-Man, qui sont des marques à héros unique. Mais qui décide alors que Superman et Spider-Man auront leur propre marque, tandis que Gandalf et Iron Man resteront associés à des marques plus larges ? Quelles sont les logiques marketing et business derrière ces choix stratégiques ?