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  1. 1. NATURE HUMAINE et LIBERTE PhilippeBénéton LE MYTHE DE L'AUTONOMIE 1 Nlotte temps, celui de la modernité tardive, a son catéchisme. Voici quels en sont les dix commandements : 1. Le seul Moi tu adoreras Et aimeras parfaitement 2.·Tout maître tu rejetteras Et refuseras absolument 3. Tes préférences tu prendras Pour règle de vie uniquement 4. L'Autre tu tiendras Pour ton semblable exactement 5. Tes droits cultiveras En tous domaines jalousement 6. La science considéreras Pour raison exclusivement 101 REVUE DES DEUX MONDES JANVIER 1997
  2. 2. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie 7. Les procédures respecteras Les formes nullement 8. Les techniques utiliseras A ton service abondamment 9. Le monde regarderas Comme ta chose entièrement 10. Moderne tu seras A tous égards superbement Ces commandements adressés à tout un chacun disent d'abord et avant tout une chose : « Tu est un maître, conduis-toi en conséquence. » Ou plus précisément : « Tu es un maître, tu dois te comporter comme tel en deux sens : sois le créateur de toi-même et sois assuré que, quels que soient tes choix, nul n'est plus grand que toi; prends le dessus sur le monde, appuie-toi sur la raison technoscientiste, sois un spécialiste et domine ton objet. Que rien ne te retienne; il n'y a rien qui ne soit donné, sinon ton autonomie radicale, tu ne dois rien à personne. » L'homme ad'abord besoin des autres hommes L'homme moderne se grise à ces paroles; seulement en se voulant son propre maître, il perd les moyens de régler sa vie, plus profondément, il perd la possibilité de devenir ce qu'il est. Quand il sacrifie au Moien vertu du devoir d'autonomie ou de la prétention technoscientiste, il se retrouve isolé et nu face à un monde démuni de sens. Alors que fait-il? Il s'éloigne de lui-même, il joue un rôle, il prend la pose. «Je ne dois rien à personne », dit l'homme moderne qui n'a pas trouvé cette idée tout seul, « je suis né libre, je suis indépendant et souverain par droit de nature. »Ilest difficilede s'égarer davantage, difficile aussi de pousser plus loin le péché d'ingratitude. La vérité est aux antipodes: l'homme est un être à qui beaucoup a été donné - sa vie, son humanité, ses aptitudes héritées, sa langue, son éducation, ce monde qui le reçoit et toutes ces choses disponibles qui sont le fruit du travail de ceux qui l'ont précédé... ; il ne doit 102
  3. 3. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie pas son existence à lui-même et appartient à un ordre biologique, à une lignée humaine sans lesquels il n'existerait pas (1). Il n'existerait pas davantage si ceux qui lui ont donné lavie, ou d'autres éventuellement, n'avaient pris soin de lui à la naissance et au-delà, quand sa dépendance était extrême. L'homme, d'autre part, ne se fait pas tout seul; il ne peut devenir ce qu'il est sans les soins et la présence éducatrice d'autrui. L'enfant isolé, et qui par miracle survit,devient un « enfant sauvage »; son humanité reste en jachère, faute de socialisation.Autrement dit, pour rappeler une vérité vieille comme Aristote, l'homme est un être socialpar nature, et entre toutes les choses dont il a besoin, la première, ce sont les autres hommes. L'être humain est un héritier également en un autre sens. Le monde n'est pas né avec lui: quand il y entre, il recueille dans son héritage ce qu'ont découvert et accumulé les générations passées. Aujourd'hui, il reçoit tant de choses qu'il faudrait des volumes pour en faire l'inventaire. Voici quelques exemples: l'homme moderne sait que laTerre est ronde, ilne l'a pas vérifié; ilse sert d'un alphabet, il ne l'a pas créé; il utilise l'électricité, il ne l'a pas inventée; il se soigne aux antibiotiques, il ne les a pas trouvés; il fait du vélo, il ne l'a pas dessiné; il jouit de la liberté politique, il ne l'a pas forgée... Le fait fondamental de la transmission fait de chacun d'entre nous le bénéficiaire de cadeaux sans nombre. Tout homme conscient se reconnaît débiteur, dit Bertrand de Jouvenel. L'apprenti-maître n'est pas autonome comme il prétend l'être et, à le vouloir, il se dépossède lui-même. La volonté d'autonomie radicale impose des contraintes. Celui qui se veut souverainement libre ne l'est plus de se choisir un maître ou un modèle, il est la mesure de son bien, il entend le trouver tout seul. « Le grand problème pour les hommes, écrivait Jacques Maritain, est de se trouver un maître. » Comment l'homme par défaut pourrait-il acquiescer quand il se veut son propre maître ? Il oppose un non possumus fait d'indignation - cette idée est une offense à l'égalité - ou d'indifférence - cette idée est trop saugrenue pour être prise au sérieux. Chacun n'a d'autre règle que son opinion autonome et souveraine ; en conséquence, toute autorité est récusée d'autorité, qu'il s'agisse des grands esprits dont le dialogue forme la culture ou des institutions (l'Eglise, l'Université, etc.). Plus ou moins consciemment, l'homme moderne met son amour-propre à refuser 103
  4. 4. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de J'autonomie appuis et indications, il se replie sur lui-même et « prétend de là juger le monde », comme l'écrit Tocqueville. Cet enfermement va plus loin encore. La volonté d'autonomie élève une barrière qui interdit d'entrée non seulement toute autorité, mais plus généralement toute forme de savoir vital. Au royaume de l'opinion, il n'y a nulle place pour une connaissance qui engage l'être. Qu'est-ce que l'opinion? Elle est de l'ordre de l'avoir, elle est quelque chose que je possède, qui dépend de ma liberté souveraine, elle n'est pas consubstantielle à ce que je suis. « Vous remarquerez, écrit Gabriel Marcel, que sur les êtres dont nous avons une connaissance intime, nous n'avons pas à proprement parler d'opinion ; ceci s'applique aux œuvres des artistes, etc. Si on me demande mon opinion sur Mozart ou sur Wagner, je ne saurai que répondre; c'est comme si mon expérience avait trop d'épais- seur, ma cohabitation spirituelleavec Mozart ou Wagner était trop étroite (2). » Les exemples pourraient être multipliés: Andromaque n'a pas d'opinion sur Hector et sur Astyanax pas plus que Titus n'en a sur Rome ou Polyeucte sur Dieu. Ils n'expriment pas une opinion, ils portent témoignage, ils sont partie prenante. Sije me mets à dire: «Voicimon opinion sur mon fils », je prends mes distances, je coupe un lien substantiel, j'exclus mon fils du cercle de mon être. Plus généralement, toute expérience profonde est rebelle à l'opinion - un rescapé des camps nazis dirait-il: voici mon opinion sur ce que j'ai vécu? Mais le témoignage engage. Ce que je gagne en être, je le perds en avoir. Quand l'être est impliqué, ce qui est ne dépend pas de ma liberté souveraine, je participe, j'atteste quelque chose qui ne dépend pas de moi, je ne suis plus le maître. Le règne du Moi impose de rester à la surface et à l'extérieur. L'opinion est à la fois affirmation de soi et désengagement de l'être. La raison scientiste joue dans le même sens, elle ôte bien plus qu'elle ne donne. La science pure et dure s'accorde avec la volonté radicale d'autonomie pour nier toute connaissance vitale.Puisqu'elle incarne la raison tout entière, elle la retient entre ses murs et, par là, consacre la souveraineté de l'opinion pour toutes les questions extérieures, celles qui touchent à l'art de vivre. L'homme qui sait est celui qui porte la livrée de la Méthode, l'humanité n'a rien su avant ce commencement absolu, l'homme ne sait rien sans cette rupture avec l'attitude commune. Les sciences scientistes et en 104
  5. 5. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie particulier les sciences humaines ne font pas que disqualifier le savoir incarné dans la culture ou les institutions, elles dépouillent l'homme ordinaire de tout savoir. Le Moi gagne etl'être perd Ils'ensuit que plus les hommes jouent aux experts ou se mettent à leur écoute, plus ils se dépossèdent et abdiquent en tant qu'hom- mes. « Rejoignez tous le camp du vrai savoir, dit la raison scientiste ou technoscientiste. Mais pour ce faire, quittez le vieil homme et défaites-vous de tout ce que vous avez cru savoir par vos propres moyens. Que me parlez-vous de bon sens, de sagesse pratique? L'homme ordinaire est dépourvu de lumières naturelles - il n'y a pas de vérités premières, il n'y a ni évidences intellectuelles, ni évidences sensibles, ni évidences morales. Quant à la pratique, elle n'enseigne rien sans le secours de la science. Ce que certains appellent l'expérience des réalités profondes de l'existence est sans valeur. L'homme n'apprend rien de ses malheurs ordinaires (vieillir, perdre ses parents, pencher vers le terme), les pères et mères de famille n'apprennent rien à élever leurs enfants, les paysans n'ont jamaisrien appris à se battre avec la nature... Bref, vivre n'enseigne rien quelle qu'en soit la manière. Pour savoir, consultez les manuels techniques. » Experts et apprentis-experts sont des hommes tronqués qui font songer au mot de Montesquieu : «j'aime bien lespaysans, ils ne sont pas assez instruits pour être bêtes. » Dans le monde de l'égalité par défaut, cette instruction ou plutôt cette demi-instruction qui a pour effet de « dévitaliser », de dessécher l'esprit devient la règle. Leshommes s'éloignent de leurs lumières naturelles et de tout ce qu'enseignent les expériences organiques, et ils se détournent de la culture; en conséquence, ils restent dans l'entre-deux avec pour tout savoir une connaissance froide, extérieure, impersonnelle, qui ignore et masque les réalités vitales. Mais, d'un autre côté, ce savoir est un pouvoir et sa Méthode est propre à satisfaire l'ego. Au royaume de la science pure comme au royaume de l'opinion, le Moi gagne et l'être perd. La raison des scientistes est également affirmation de soi et désengagement de l'être. 105
  6. 6. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie L'homme moderne n'est pas seulement désarmé par cette volonté d'autonomie et par cette emprise de l'attitude scientiste ou technoscientiste, il est aussi porté àse détourner de la pensée. Quand règne le subjectivisme, il n'y a plus de bonnes raisons pour penser sa vie. A quoi bon user de sa raison quand le choix fondé en raison vaut le choix le plus futile, quand un sentiment raisonnable a la même valeur qu'un sentiment déraisonnable, quand les règles de vie sont purement arbitraires? Les choix perdent toute signification; ils n'engagent rien qui compte; ils ne sont pas chose sérieuse. «Etre ou ne pas être? » La question que se pose Ham1et est du même ordre que celle-ci: « Du vin blanc ou du vin rouge? », et elle appelle la même réponse: n'importe, chacun fait ce qu'il veut, le choix est dans tous les sens du terme insignifiant. Si tout choix est justiciable par lui-même, s'il n'a d'autre fondement que la subjectivité pure, l'absurde règne. Liberté de choisir etliberté de déterminer la valeur de son choix Il faut distinguer la liberté de choisir et la liberté de déterminer la valeur de son choix. La liberté pure implique les deux : je suis libre de choisir entre la noblesse et la bassesse ou entre le courage et la lâcheté, et je suis également libre de considérer que la bassesse vaut la noblesse ou la lâcheté, le courage. Je suis libre de décider que ce qui donne à ma vie sa signification consiste à sauter à l'élastique, ou à faire le tour du monde sur une main, ou à me forger des biceps d'acier. Ce qui est significatif dépend de ma volonté. Je suis pour moi-même le maître des questions qui comptent, des choses qui valent. Dans ces conditions, comme l'a souligné avec force Charles Taylor (3), rien n'est significatif en soi et la liberté est privée de sens. Pour que l'exercice de ma liberté prenne une signification, il faut que ma liberté s'insère dans un monde ordonné et hiérarchisé, que mon choix puisse être rapporté à des règles qui sont indépendantes de ma volonté : je puis choisir entre la lâcheté et le courage, mais la valeur de mon choix ne dépend pas de moi. Autrement dit, le libre choix n'a un sens que 106
  7. 7. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie si je ne suis pas le maître du sens. L'esprit du temps n'est pas de cet avis: l'opinion est reine, elle règle la valeur des choses, chacun est pour soi-même le maître du sens, le maître d'un sens insignifiant. Peu importe le contenu, s'il y aprocédure Les commandements de la modernité tardive fonctionnent donc comme un marché de dupes : ils offrent un sentiment de puissance au prix d'une abdication. L'apprenti-maître se condamne à vivre et mourir dans l'incapacité de distinguer ce qui compte et ce qui ne compte pas, ce qui a un sens et ce qui n'en a pas. Il se condamne à vivre sans penser à sa vie. L'homme par défaut se veut un maître; il est désarmé. Alors que fait-il? Il joue à l'apprenti-maître, (( fait le malin », comme dirait Péguy, se coule sans en avoir conscience dans un rôle de composition. Ce qui l'anime, ce n'est pas une pensée dotée d'un contenu, ce n'est pas une volonté tendue vers une fin, c'est la volonté de trancher par soi-même pour trancher par soi-même, c'est la volonté pure de mettre en œuvre sa volonté. L'homme moderne ne veut rien ardemment sinon ceci : il veut vouloir, ilveut exercer sa subjectivité souveraine, il se veut autonome pour être autonome. Il est un homme sans cause qui se grise ou se contente de ce pouvoir arbitraire qu'il croit conférer à sa volonté. Peu importe l'objet ou le contenu, ce qui compte, c'est la procédure. Ce que le génie de Tocqueville avait discerné il y a longtemps n'a jamais été aussi vrai que sous la modernité tardive : l'homme acquis à l'esprit du temps ne tient guère à son opinion, mais il tient beaucoup au fait d'avoir une opinion; il tient peu à ce qu'il dit, il tient ferme à avoir « quelque chose à dire », D'un autre côté, quand il adopte l'attitude de l'expert, que fait-il sinon également jouer un rôle. Il fait taire une partie de lui-même, prend une posture qui lui permet de dominer son objet. Le pur expert est une volonté pure, il est indifférent aux fins qu'il poursuit et qu'il ne questionne pas. Tous ceux qui le suivent ou l'imitent embrassent le même point de vue, endossent la même tenue. Ici comme précédemment, les hommes sensibles aux sirènes de l'esprit 107
  8. 8. NATURE HUMAINE et LIBERTE Le mythe de l'autonomie du temps satisfontleur ego, mais ils s'éloignent d'eux-mêmes: leurs opinions, leurs attitudes sont des artifices. L'homme contemporain joue un rôle et ce rôle est dicté de l'extérieur. L'apprenti-maître récuse toute autorité, répugne à s'engager tout entier: il est alors sans défense contre les influences. Or, quelle influence est plus puissante que celle qui porte le sceau de l'opinion générale et donc ne fait nulle injure à l'égalité? L'esprit du temps lui dit et lui répète : « Sois un maître, sois comme tout le monde », « sois un maître, sois de ton temps », et il opine sans voir la contradiction. L'homme de la modernité tardive s'enferme dans la modernité tardive. Comment pourrait-il y échapper quand il ne connaît qu'une seule façon de voir et de penser - et qui le prive de toute connaissance vitale -, quand il coupe le fil d'Ariane de la culture et ignore par là les grands choix de la vie humaine? Il est sans moyens pour prendre ses distances face à l'opinion régnante ou dominante. Il se croit autonome, il est conforme. En se voulant un maître, il se met sous la coupe de l'esprit du temps et de ce que l'esprit du temps présente comme allant de soi. Parmi les vertus les plus étrangères à l'homme moderne, il y a la vertu d'étonnement: le monde moderne et la vision moderne du monde vont de soi. Mais qui ne s'étonne pas se livre pieds et poings liés. Philippe Bénéton 1. « L'homme, souligne Jean Hamburger, est totalement dépendant du monde complexe d'êtres vivants et non vivants qui l'entoure. [...]Biologiquement, l'homme isolé ne signifie rien », « Le miel et la ciguë », Commentaire, no 60, hiver 1992-1993. 2. Du refus à l'invocation, Paris, Gallimard, 1940. 3. The Ethics of Authenticity, Harvard University Press, 1991. Voir également du même auteur : le Malaise de la modernité, chapitre IV. 108

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