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MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES
ISCOM PARIS PROMOTION 2016
SOLER TANIA RP4C
ALCOOLIERS ET LOI ÉVIN
DE LA CONTRAINTE LÉGALE À LA CRÉATION
D’UNE CULTURE DE MARQUE
Comment les marques d’alcool parviennent-elles
aujourd’hui à développer une relation performative
avec leurs consommateurs pour créer de la
préférence de marque alors que la Loi Évin interdit
de communiquer sur les qualités et bénéfices de
leurs produits ?	
  
	
  
TUTEUR	
  
MORENO Clara
Enseignant référent
DIRECTEUR	
  
PATUREAU Marjolaine
Directrice UZIK Social
 	
  
	
   2
	
  
	
  
Je tiens à remercier Clara Moreno, ma bienveillante tutrice de mémoire, pour
son accompagnement tout au long de l’année. Merci de m’avoir encouragée dans les
moments de doute et soutenue dans mes choix professionnels audacieux.
_______________
Je tiens à remercier Marjolaine Patureau, mon inspirante directrice de
mémoire, pour avoir partagé avec moi son savoir et ses précieux conseils. Merci de
me faire confiance dans notre collaboration quotidienne qui m’ouvre de nouveaux
horizons professionnels.
_______________
Je tiens à remercier tous les professionnels et non-professionnels qui ont pris le
temps de répondre à mes questions, enquêtes et interviews. Merci d’avoir nourri ma
réflexion de votre éclairage nouveau.
_______________
Et surtout, un grand merci à toutes les belles personnes que j’ai rencontrées
pendant ces quatre années d’études à l’ISCOM Paris, au détour d’une salle de
classe ou de réunion, d’un bureau, parfois même d’un couloir et qui ont su me
transmettre la passion de notre métier. Ségolène Tardy-Lehmann, Haude Delic,
Violaine de Wulf, Julie Ganter, Berto Vaissière, Philippe-Olivier Guiraud, Laurent
Lafon, Elena Battisti, Quentin Guériot et tant d’autres…. Merci.
 	
  
	
   3
INTRODUCTION………………………………………………………………………….…6
PARTIE 1 : L’EXPOSÉ, APPROCHE THÉORIQUE ET CONTEXTUELLE
	
  
1 L’HOMME ET L’ALCOOL, UNE HISTOIRE VIEILLE DE 10 MILLIONS
D’ANNEES................................................................................................................ 12
1.1 Dimensions historiques et culturelles du « boire » ........................................... 12
1.2 Panorama des grands acteurs du secteur........................................................ 13
1.3 L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie française ................................. 15
2 LA LOI EVIN ET LA PUBLICITE, VERS UN RENOUVEAU CREATIF.............. 17
2.1 Des prémices de la loi Évin à sa promulgation................................................. 17
2.2 Le paradoxe de la contrainte féconde .............................................................. 18
2.3 Remise un question d’un texte de loi controversé ............................................ 21
3 CONTENUS ET MÉDIAS : L'ÉMERGENCE D'UN NOUVEL ÉCOSYSTÈME
Erreur ! Signet non défini.
3.1 Pression publicitaire et hypersollicitation mercantile ........................................ 23
3.2 De l’exposition médiatique à la préférence de marque..................................... 24
3.3 – Le turbo-consommateur et la bataille de l’attention....................................... 26
4 LA MARQUE ET LE CONSOMMATEUR : NOUVEAUX TERRAINS,
NOUVEAUX ENJEUX............................................................................................... 28
4.1 Être intéressant avant d’être intéressé ............................................................. 28
4.2 L’avènement de la brand Culture...................................................................... 29
4.3 Théorie et performation de la marque. ............................................................. 30
PARTIE 2 : L’EXPÉRIENCE, APPROCHE PRATIQUE ET ANALYTIQUE
1 L’EXPRESSION ÉDITORIALE DE LA BRAND CULUTRE ............................... 35
1.1 Marque alibi et transfert des valeurs vers la marque commerciale .................. 35
1.2 Le brand content au service de la culture de marque....................................... 36
1.3 Analyse comparée : Heineken et Kronenbourg ................................................ 37
1.3.1 Greenroom Session, la marque média accomplie......................................... 37
 	
  
	
   4
1.3.2 Pression Live, une approche tactique du contenu......................................... 39
1.4 Le contenu, objet de valeur en soi.................................................................... 42
2 L’EXPRESSION IMMERSIVE DE LA BRAND CULTURE ................................. 44
2.1 La brand expérience au service de la culture de marque................................. 44
2.2 Erfahrung et Erlebnis : donner à voir, donner à vivre ....................................... 45
2.3 Analyse comparée : Grant’s et Ballantine’s ...................................................... 47
2.3.1 Le Signature Bar............................................................................................ 47
2.3.2 The Bar Project.............................................................................................. 48
2.4 L’expérience, source de performation pour le consommateur.......................... 51
	
  
PARTIE 3 : L’EXPERTISE, APPROCHE SYNTHÉTIQUE ET STRATÉGIQUE
1 LE CONTEXTE.................................................................................................... 53
1.1 La marque et son positionnement ................................................................. 53
1.2 Le marché et la concurrence ......................................................................... 54
1.3 L’activation sunsets ....................................................................................... 54
	
  
2 ENJEUX STRATEGIQUE ................................................................................... 56
2.1 La problématique .............................................................................................. 56
2.2 Les objectifs...................................................................................................... 56
2.2.1 Défendre et illustrer la marque. ..................................................................... 56
2.2.2 Enrichir et renforcer la relation commerciale. ................................................ 57
2.2.3 Accroître sa visibilité et sa notoriété. ............................................................. 57
2.3 La cible de communication ............................................................................... 58
	
  
3 MOYENS DÉVELOPPÉS.................................................................................... 59
3.1 Stratégie éditioriale ........................................................................................... 59
3.1.1 « Spots »........................................................................................................ 60
3.1.2 « Travel »....................................................................................................... 60
3.1.3 « Culture » ..................................................................................................... 60
3.1.4 « Tips » .......................................................................................................... 60
3.1.5 « Events »...................................................................................................... 61
 	
  
	
   5
3.2 Stratégie social media ...................................................................................... 61
3.2.1 Site web ......................................................................................................... 62
3.2.2 Réseaux sociaux ........................................................................................... 62
3.2.3 Marketing direct ............................................................................................. 64
3.3 Stratégie d’influence ......................................................................................... 64
3.3.1 Programme ambassadeurs ........................................................................... 64
3.3.2 Programme d’infiltration................................................................................. 65
3.3.3 Opération de lancement ................................................................................ 65
	
  
CONCLUSION...……………………………………………………………………………66
GLOSSAIRE...…………………………………………………………………………...…66
BIBLIOGRAPHIE...………………...………………………………………………………66
ANNEXES...………………………………...………………………………………………66
	
  
	
  
 	
  
	
   6
INTRODUCTION
 	
  
	
   7
« Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »1
écrivait Alfred de Musset
en 1831, dans son poème La Coupe et les Lèvres. Deux siècles plus tard, les
professionnels du marketing et de la communication rivalisent d’ingéniosité pour
vendre non plus l’ivresse mais le dit flacon - ou plutôt la bouteille. Heineken, Ricard,
Absolut, Jack Daniel’s … Chacune de ces marques a rendu son flacon célèbre et
reconnaissable entre tous, dans les rayons d’un supermarché ou derrière le comptoir
d’un bar de quartier.
Et pour cause : depuis la promulgation de la Loi Évin en 1991, les marques
d’alcool n’ont plus le droit de communiquer sur un quelconque bénéfice produit. La
publicité s’est donc progressivement recentrée sur le produit nu, ramené à son
essence pure – degré volumique d'alcool, origine géographique, dénomination,
composition du produit, mode d'élaboration, mode de consommation du produit,
couleur, caractéristiques olfactives et gustatives du produit.2
Aujourd’hui devenus
des symboles, ces flacons se substituent à l’ivresse pour matérialiser à eux-seuls
toute une culture de marque riche de sens.
En 2013, ces flacons ont rapporté près de 20 milliards d’euros de chiffre
d’affaires à la filière alcool française. Malgré le cadre de censure contraignant
imposé par la loi Évin depuis sa promulgation en 1991, les dépenses publicitaires
dédiées à l’alcool sont en croissance constante. En 2011, vingt ans plus tard, ces
dépenses atteignaient 460 millions d’euros, soit 130 fois plus que les celles
consacrées à la prévention sanitaire.
La limitation du discours publicitaire à un discours informatif sur le produit,
bien loin de réfréner les marques d’alcool, les a tout au contraire poussé à se mettre
« en quête de solutions créatives qui respectent la lettre de la loi ». La Loi Évin a
donc profondément remis en cause la posture des acteurs du secteur, forcés de
réinventer leurs stratégies de communication pour continuer à promouvoir une
culture de marque forte et différenciant auprès du grand public.
Ces cultures de marque singulières ont mobilisé tout mon intérêt et feront
l’objet de longues pages de réflexion dans ce mémoire. La notion de brand culture
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1
DE MUSSET, Alfred, La Coupe et les Lèvres, 1831.
2
Cf. annexe 1, page 2, extrait de la Loi Évin relatif à la publicité des boissons.
 	
  
	
   8
est aujourd’hui au centre de toutes les stratégies marketing mais sa définition diffère
selon le contexte et les enjeux. En préambule, il conviendra donc de s’accorder sur
une définition du terme. Pour Daniel Bô, la brand culture c’est « la façon qu’a la
marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens : elle
puise dans son environnement culturel et elle produit elle-même des effets culturels,
fait évoluer les modes de vie et crée les tendances de demain ».3
J’ai d’abord cherché à comprendre comment les marques d’alcools, malgré la
législation en place et les multiples offensives des politiques publiques, continuent
d’avoir une telle aura auprès des consommateurs ? Au-delà du pouvoir attractif que
leurs produits exercent sur certains d’entre nous, j’ai constaté chez les
consommateurs un attachement profond et presque affectif aux marques auxquelles
ils sont fidèles. Contrairement à l’allégation que revendiquait jadis de Musset,
aujourd’hui le flacon importe plus que jamais.
La loi Evin a eu comme effet premier d’homogénéiser les messages et les
territoires de marques. Avec l’interdiction de communiquer sur un quelconque
bénéfice produit, les marques d’alcool ont dû conquérir de nouveaux terrains
d’expression pour recréer des univers de marques cohérents et différenciants. Elles
sont ainsi parvenues à dépasser le produit et son usage prédéfini pour le restituer
dans un écosystème de marque.
Pour trouver l’écho d'une parole qui leur est prohibée, les marques d'alcool
doivent compter sur l’implication de leurs consommateurs. Leur défi est de parvenir à
faire dire ce que la loi leur interdit de dire eux-mêmes. Tout l’enjeu est donc de
proposer un modèle culturel propre, attractif et engageant pour les consommateurs :
la marque doit développer une approche culturelle de sa communication et de son
marketing pour renforcer sa dimension aspirationnelle.
Quelle est aujourd’hui la relation qui unit la marque, entité culturelle chargée
de sens, au consommateur. Pour Daniel Bô, « C’est en voyant le spectacle d’une
culture forte, dynamique et créatrice d’expériences riches de sens, que des
consommateurs et des publics variés peuvent avoir l’envie de s’y intéresser, de s’en
approcher et finalement d’y investir »
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
3
HEURTEBISE, Catherine, « La Brand Culture, la stratégie de gestion des marques », in e-
marketing.fr, 2 avril 2013
 	
  
	
   9
Les identités individuelles sont le fruit d’une constellation d’éléments divers et
les marques ont de plus en plus de poids dans la construction des individus. Dès
lors, la marque a un rôle stratégique à jouer : elle ne peut exister de manière forte
que si elle est capable de proposer des modèles de performation à l’individu. Les
marques doivent véhiculer une expérience, une culture, à laquelle l’individu pourra
adhérer et qu’il pourra s’approprier pour la faire vivre : la performer.
À travers cette étude, il s’agira donc de comprendre comment les marques
d’alcool parviennent aujourd’hui à développer une relation performative avec leurs
consommateurs pour créer de la préférence de marque alors que la Loi Évin interdit
de communiquer sur les qualités et bénéfices de leurs produits.
La première partie présentera une approche théorique du sujet pour cerner
ses enjeux contextuels, la deuxième partie s’appuiera sur l’analyse de différents cas
pour proposer une approche plus pratique et la troisième partie exposera une
recommandation stratégique en réponse à la problématique définie.
Pour répondre à cette problématique, j’ai décidé de concentrer mon étude sur
les spiritueux et les brasseurs en excluant tous les autres acteurs de secteur
alcoolier. Les brasseurs et les spiritueux ont en commun de cibler prioritairement les
jeunes et de redoubler de créativité pour conquérir cette cible changeante dont les
cycles d’adhésion sont courts. On constate un renouvellement constant des
opérations de marketing qui leur sont destinées et une multiplication des canaux
investis. Mon étude portera principalement sur les stratégies d’influences, les
activations événementielles et leurs amplifications digitales, car il s’agit des
domaines d’expertise auxquels je me destine.
Ma méthodologie repose sur deux volets principaux : une analyse
documentaire qui constitue le fond théorique de mon travail et une enquête menée
auprès des professionnels et des consommateurs qui a nourri et enrichi ma réflexion.
Je me suis d’abord appuyée sur des ouvrages spécialisés, des études, des
sondages, des livres blancs et de nombreux articles. J’ai ensuite mené une première
 	
  
	
   10
phase d’enquête auprès d’un pannel de 147 consommateurs4
, peu représentatif
puisque composé à 75% de 18-24 ans, mais en phase avec la cible marketing du
secteur étudié. Les résultats de cette enquête, très intéressants, viendront appuyer
ma réflexion tout au long de ce mémoire. Lors de la deuxième phase d’enquête, je
me suis heurtée aux politiques de confidentialité très strictes auxquelles tous les
employés des grands groupes sont soumis. Même les agences, pour la plupart, n’ont
pas le droit d’évoquer les projets de leurs clients. La grande majorité des entretiens
que j’ai menés se sont donc tenus dans le plus grand secret et éloignés de tout
micro, mais ils auront tout de même servi ma réflexion.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
4
Cf. annexes 2 et 2, Enquête terrain
 	
  
	
   11
PARTIE 1
L’EXPÉRIENCE, APPROCHE THÉORIQUE
ET ANALYTIQUE
 	
  
	
   12
L’HOMME ET L’ALCOOL, UNE HISTOIRE VIEILLE DE 101
MILLIONS D’ANNEES
Dimensions historiques et culturelles du « boire »1.1
La découverte de l’alcool semble remonter à l’ère néolithique, lors de la
sédentarisation de l’Homme, au hasard d’une fermentation naturelle d’aliments. À
cette époque-là il n’existait, bien-sûr, ni brasseries ni distilleries. Les primates ne
trinquaient pas et se contentaient de consommer, à même le sol, quelques fruits trop
mûrs dont la fermentation avait produit de l’alcool. Ces très lointains ancêtres se
seraient donc adaptés à la consommation d’alcool il y a dix millions d’années. C'est
en tout cas la conclusion tirée par une équipe de chercheurs américains, qui publient
leurs résultats dans la revue PNAS en 2011. 5
Ce sont les arabes qui inventent le mot « Al Khol », apparu dans la langue
romane de la péninsule ibérique en 1278. Quatre siècles plus tard, ce mot sera
introduit dans la langue française sous son orthographe actuelle : « Alcool »,
traduction de « ce qui est très subtil ». Ce n’est pourtant qu’au XIXe siècle que le
champ lexical du terme sera constitué, en lien avec la définition chimique de l’éthanol
d’une part, et avec l’histoire les progrès de la médecine et l’invention de la
psychiatrie d’autre part. 6
Pour les périodes antérieures, tout le champ du « boire social » ne se traduit
dans les discours qu’en terme de « vin », « ivresse », « intempérance », « ivrognerie
» ou « ébriété ». En effet, si le mot et la définition chimique de la substance ne se
mettent en place qu’au 19ème
siècle, la condamnation morale et religieuse de «
l’intempérance » intervient historiquement de façon bien antérieure à sa
condamnation médicale. Tantôt breuvage sacré, remède ou poison, l’alcool est au
centre des préoccupations depuis toujours.
La littérature a toujours rapporté la présence de l’alcool dans la vie sociale des
hommes. Il traverse en permanence tous les domaines de la vie sociale française. Si
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
5
PNAS, « Hominids adapted to metabolize ethanol long before human-directed fermentation »,
octobre 2014.
6
Rapport INSERM (Expertise collective) « Alcool : Dommages sociaux, abus et dépendance » Paris,
2003, Les éditions Inserm.
 	
  
	
   13
sa consommation excessive est un souci majeur de santé publique, sa production et
sa commercialisation représentent une des branches les plus emblématiques et
anciennes de l’économie nationale.
Panorama des grands acteurs du secteur1.2
Aujourd’hui, quelques grands groupes se partagent le marché. Issus de
nombreux achats et fusions successives, ces sociétés sont cotées en bourse dans
les différentes places financières mondiales et assurent une profitabilité importante à
leurs actionnaires et leurs dirigeants.
Diageo, « célébrer la vie, chaque jour, en tout lieu ».
Issu de la fusion en 1997 entre Grand Metropolitan et Guiness PLC, ce groupe
anglais est le leader mondial sur le marché de l’alcool et des spiritueux. Son porte-
feuille de marque compte entre autres Smirnoff, Guiness, Baileys, Captain Morgan,et
Pimm’s.
Pernod-Ricard, « créateur de convivialité »
Fondé en 1975, cette entreprise est spécialisée dans la fabrication et la distribution
de vins et spiritueux. C’est le leader français et le deuxième groupe mondial avec
une centaine de marque en sa possession sur les différents continents. Des plus
connues, on retient Absolut, Havana, Beefeater, Ricard, Pastis 51, Chivas et Clan
Campbell.
Suntory, « follow your nature »
Ce géant japonais qui occupe la troisième place sur le marché mondial n’est pas très
connu en France mais distribue ses marques de Whisky dans le monde entier :
Auchentoshan, Bowmore, Glen Garioch, Hakushu, Hibiki,…
Bacardi-Martini : « une histoire d’excellence »
Cette entreprise, créée à Cuba en 1862, est spécialisée dans la fabrication et la
distribution de rhum. Le groupe posède notamment Grey Goose, Eristoff, Bombay
Sapphire, Martini & Rossi, Bacardí et Cazadores.
 	
  
	
   14
Rémy Cointreau, «We seek nothing but perfection »
Ce groupe français de spiritueux créé en 1991 concentre ses activités autour de la
production de cognacs, de liqueurs et de champagne. Parmis ses marques : Rémy
Martin, Cointreau, Passoa et Piper-Heidsick.
Anheuser-Busch InBev (AB InBev), « starting conversations ».
C’est le plus grand groupe brassicole au monde, né de l'acquisition de Anheuser-
Busch par InBev en 2008. Il possède des marques comme Leffe, Corona, Cubanisto,
Stella Artois, Hoegaarden ou Budweiser.
SABMiller, « making a difference through beer »
Cette entreprise anglaise spécialisée dans la production et la distribution de bière
serait sur le point de se faire racheter par le géant AB InBev. Leur fusion en ferait le
premier groupe mondial, leader incontesté sur le marché de la bière. À ce jour,
l’entreprise compte des marques comme Grolsch, Pilsner ou Perroni.
Heineken, « open your world »
Ce groupe brassicole d’origine néerlandaise est fondé en 1864. C’est aujourd’hui le
brasseur le plus connu à travers le monde, notamment grâce à ces marques phares :
Heineken, Pelforth, Affligem, Desesperados et Sol.
Carlsberg Group, « probably the best beer in the world »
Le groupe Danois rachète en 2008 l’entreprise française Brasseries Kronenbourg.
Aujourd’hui, le groupe possède des marques comme Carlsberg, 1664 et
Kronenbourg.
Tous ces groupes disposent d’un vaste panel de marques et adaptent leurs
stratégies commerciales et marketing pour chaque segment, investissant des
sommes considérables dans la publicité directe et indirecte. Les dépenses
publicitaires dédiées à l’alcool sont en croissance constante, atteignant jusqu’à 460
millions d’euros en 2011, soit 130 fois plus que les celles consacrées à la prévention
sanitaire.
 	
  
	
   15
L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie française1.3
Aujourd’hui, l’activité liée à la production et la distribution d’alcool représente
une part importante de l’économie française et génère des recettes considérables.
Selon les acteurs du secteur, le chiffre d’affaires de la filière alcool française
représentait 19,6 milliards d’euros en 2013 : 15 milliards d’euros pour le secteur
viticole, 2,5 milliards d’euros pour les spiritueux et les eaux de vie naturelles et 2,1
milliards d’euros pour le secteur de la bière. 7
En 2015, les vins et spiritueux ont dépassé les parfums et cosmétiques dans
la balance commerciale française. Avec un solde commercial positif de 10,4 milliards
d’euros, les vins et spiritueux gagnent le rang de deuxième excédent commercial
français, derrière l’aéronautique. 8
L’alcool permet donc des échanges commerciaux
entre les pays, ce qui participe à la balance commerciale.
Les répercussions de la vente d'alcool sur l’économie française sont
totalement antagoniques. D’un côté, cela représente une part importante de
l’économie française et de son PIB. De l’autre, cela contribue en grande partie au
déficit du système économique en place à travers les dépenses de santé liées à
l'alcool.
L’alcool occupe une place indéniable dans l’économie française : sa
production et sa commercialisation créent de la richesse et favorisent l’emploi. Les
industriels du secteur revendiquent au total plus de 3 millions d’emplois directs et
indirects liés à la production et à la distribution d’alcool dans l’Union Européenne. La
consommation d’alcool est aussi à l’origine de recettes fiscales pour l’État et la
Sécurité sociale, par le biais de la TVA mais également grâce aux droits sur les
volumes consommés. Sur les 16,7 milliards d’euros de dépenses des ménages pour
les boissons alcoolisées en 2011, le montant des droits indirects perçus sur l’alcool
(hors TVA) s’élève à 3,2 milliards d’euros. La consommation de spiritueux est à
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
7
OFDT, « Drogues et addictions, données essentielles »,
8
GIRARD, L., « Les exportateurs de vins et spiritueux français peuvent sabrer le champagne », in Le
Monde, 02 février 2016
 	
  
	
   16
l’origine de 82 % des recettes fiscales sur les alcools et les bières représentent 11 %
des recettes.9
Par le biais de la TVA, l’Etat récolte des recettes qui contribuent au
financement de l’Assurance Maladie mais ne suffisent pas à couvrir les dépenses de
santé liées à l’alcool.
Selon l’OFDT (Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies), les comptes
de l’assurance maladie sont lourdement impactés par l’ensemble des pathologies
liées à une consommation excessive d’alcool. L’alcool a donc un « coût » pour l’État
et l’Assurance Maladie qui inclut le coût de prise en charge des pathologies liées à
l’alcool, des politiques de prévention, des arrêts-maladies et la perte de cotisations
liée à ces arrêts. Ce coût social avoisinerait les 6,15 milliards d’euros. 10
La consommation excessive d’alcool est un véritable problème de santé
publique, comme en témoigne le coût social des pathologies liées à l’alcool.
L’alcoolisme est aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur, qui mobilise
pleinement les pouvoirs publics.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
9
Commission des comptes de la Sécurité sociale, « Les comptes de la Sécurité sociale : résultats
2010, prévisions 2011 »
Paris, 2011, www.ladocumentationfrancaise.fr
10
CIRON, C., L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie, Lyon, 2013, IAL.
 	
  
	
   17
LA LOI EVIN ET LA PUBLICITE, VERS UN RENOUVEAU2
CREATIF
Des prémices de la loi Évin à sa promulgation2.1
Historiquement, l’alcool commence à faire l’objet d’attentions particulières à
partir du 19ème
siècle et c’est lors de la révolution industrielle qu’apparaît la notion
d'alcoolisme. En 1880 est créée l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie
et Addictologie, fondée sous l’impulsion de nombreux membres de l’Académie de
Médecine, conscients des dangers de l’alcool sur l’organisme.
On voit alors apparaître des prémices de prévention, dans les écoles
notamment, avec des phrases choc comme « l’alcool détruit le corps et l’âme » ou
des images percutantes opposant le travailleur à l’ivrogne. L’alcoolisme est alors
synonyme de désordre social et une première loi sur la répression de l’ivresse
publique est publiée en 1873 par Théophile Roussel.
Après la Seconde Guerre Mondiale, le discours se renforce. L’alcool qui
donnait force et courage aux soldats devient un fléau à combattre. On lui refuse
désormais l’entrée des cantines et des stades, où la publicité devient même interdite.
L’époque est à la sobriété. À l’alcool, on veut désormais faire préférer le café, l'eau
minérale non gazeuse, la limonade, les boissons aux fruits, le lait ou les sirops aux
comptoirs des bistrots. La loi des « boissons-pilotes »11
permet alors aux débitants
d’offrir des boissons sans alcool moins chères que la moins coûteuse des boissons
alcoolisées de son établissement. Depuis son abrogation en 1982, les professionnels
sont libres de fixer leurs prix sur toutes les boissons.
Au milieu des années 70, une réglementation plus précise se met en place
autour de la publicité sur les vins et spiritueux. Le 30 juillet 1987, la loi Barzach est
promulguée. Le code des débits de boisson est alors adopté, ainsi que de
nombreuses mesures pour lutter contre l’alcoolisme. La célèbre formule « à
consommer avec modération » devient alors obligatoire. En 1989, l’Europe légifère
sur ce même sujet et fait paraître une directive relative à la communication
télévisuelle et radiophonique des boissons alcoolisées.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
11
ANPAA, « Mémento Législatif Alcool », 2005, www.anpaa.asso.fr
 	
  
	
   18
Cette directive sera reprise et complétée par la célèbre loi Evin, promulguée
en 1991. Là où la loi Barzach dressait une liste d’interdits, la loi Évin établit une liste
limitative et exhaustive des supports pouvant véhiculer de la publicité pour l’alcool et
définit le type de contenu autorisé. Cette publicité peut comporter des informations
relatives au produit telles que le degré volumique d’alcool, l’origine géographique ou
historique, la dénomination, la composition, le mode d’élaboration, les modalités de
vente, le mode de consommation ainsi que le nom et adresse du fabricant, des
agents et des dépositaires. Elle peut également comporter des références relatives
aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine ou
aux indications géographiques ; ainsi que des références objectives relatives à la
couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit. Le parrainage et le
sponsoring sont interdits.
Dès les premiers débats publics autour de la loi Évin, annonceurs et agences
manifestent leur inquiétude. Et pour cause : entre 1990 et 2008, la consommation
d’alcool en France baisse de plus de 20%. Ce recul de la consommation se traduit
par une baisse significative des ventes pour les alcooliers et entraîne d’importantes
réductions budgétaires en matière d’investissement publicitaire. La création
publicitaire est touchée en plein cœur. Nombreux sont ceux qui pensent qu’elle ne
s’en remettra pas. Pour les professionnels du secteur, la promulgation de la loi Évin
marque l’entrée dans une nouvelle ère. Georges Péninou, chef de file de la
sémiologie publicitaire, est alors mandaté par Publicis pour réfléchir sur le sujet. Il
propose alors une analyse prospective singulière : désormais soumise à la contrainte
de la loi Évin, la création publicitaire serait forcée de se réinventer pour continuer
d’exister. « En restreignant leur territoire d’expression, la loi obligea les publicitaires à
se plier à un exercice d’accommodation créative ». 12
Le paradoxe de la contrainte féconde13
2.2
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
12
PENINOU Georges, Le dit sous interdits : l’expression publicitaire des boissons alcoolisées sous
l’égide de la loi Évin, 1991 Paris, Intelligences.
13
BEUCLER, Pascal et FAVREAU, Fanny « La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte
féconde » in Communication et langages n°136, 2ème trimestre 2003, p. 31-42.
 	
  
	
   19
Par essence limitative, restrictive voir prohibitive, la Loi Évin intervient à la fois
sur la surface de diffusion (le cinéma, la radio, la TV sont interdits), les moyens de
dérivation (le parrainage, le sponsoring sont limités), les ressources de l'expression
(ce qui n'est pas clairement autorisé est interdit), et sur la psychologie (la bonne
conscience doit être exclue de la consommation d'alcool). Les ressources de
l’expression sont particulièrement visées, avec une limitation du discours publicitaire
à un discours informatif sur le produit.
« Dans un cadre de censure contraignant, qui vise à la fois les thèmes, les
procédés et les stratégies argumentaires, la créativité peut-elle continuer de
s'épanouir ? ». C’est la question à laquelle ont tenté de répondre Pascal Beucler et
Fanny Favreau, dans leur essai La loi Évin 10 ans après, ou le paradoxe de la
contrainte féconde, paru en 2003.
Avant la loi Évin, la promotion des boissons alcoolisées s'appuyait
principalement sur l'évocation de la socialité, de la convivialité et de la psychologie
favorable que leur consommation était supposée engendrer. « Les figures du boire
puisaient essentiellement aux sources du langage du désir : au-delà d'une boisson
volontiers réduite au rôle d'adjuvant/désinhibant psycho-social, c'est un signe de
séduction, de libération et d'“être ensemble“ que donnait à consommer l'économie
symbolique publicitaire » ; « Les créatifs choisissaient de présenter un alcool
suscitant les relations humaines. Alcool perçu comme un produit catalyseur aux
pouvoirs variés, tour à tour désinhibant, aphrodisiaque, égalitaire, libérateur, quand il
ne recelait pas simultanément l'ensemble de ces qualités ». La tendance des
marques de boissons alcoolisées était à l'idéalisation, à la sublimation de l'alcool
mais surtout des effets induits par sa consommation.
Face à cette modification brutale des règles du jeu créatif, les agences ont
d'abord craint de mal interpréter le texte légal et de faire encourir des risques à leurs
clients. Puis elles se sont mises en quête de solutions créatives qui respectent la
lettre de la loi tout en préservant la capacité des marques à défendre leur notoriété.
La prohibition redoutée a en réalité engendré une grande fertilité créative sur les
plans thématique, verbal et visuel.
 	
  
	
   20
La loi Évin a révolutionné les codes de la création publicitaire. De nouveaux
procédés émergent, pour se substituer aux codes désormais proscrits qui régissaient
la création publicitaire. On passe alors d'une logique de monstration des effets du
produit à une logique de suggestion qui s’appuie sur de nouvelles formes
signifiantes. Voir schéma « L’avant / Après » Évin 14
Procédés en place avant la loi Évin :
- la médiation, qui faisait de personnages symboliques les adjuvants du boire,
- la sublimation, qui enrichissait le discours d'incitation d'une quête aspirationnelle,
- la narration, qui ancrait le produit dans un récit exemplaire, voire édifiant,
- l’implication, qui exploitait toutes les ressources rhétoriques de l'invitation,
- l’exaltation, qui était fondée sur une promesse festive.
Procédés émergents après la loi Évin :
- l’emphatisation du produit, qui met la lumière sur l’identité du produit,
- l’anecdotisation, qui représente des thèmes et effets liés à l’acte de consommation,
- la substitution, qui réfère aux attributs du produit en exaltant leurs vertus,
- l’anthropomorphisation, qui anime des objets symboliques de l'univers de marque,
- l’occultation, qui réoriente le discours sur le produit pour se détourner de la socialité
- la contiguïté, qui consiste à exploiter l’image et les mots sous forme ludique.
La loi Évin a entraîné un déplacement du discours centré sur les effets vers un
discours recentré sur le produit. Avant 1991, les procédés publicitaires puisaient
dans un patrimoine culturel général, sans lien direct avec les produits. Les marques
véhiculaient des valeurs aspirationnelles fortes mais très proches les unes des
autres. Tout entières focalisées sur le registre des effets sur le consommateur, elles
disaient finalement très peu sur le produit. Aujourd'hui confrontées à l'absence de «
messagers » humains, à l'impossibilité de mettre en scène des situations de
consommation, les marques communiquent sur le peu d'éléments que la loi leur
consent, mais - fécondité de la contrainte - elles le font en usant de procédés créatifs
plus différenciants et davantage signifiants.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
14
Cf. annexe 4, schéma « L’avant / Après » Évin
 	
  
	
   21
Meilleure pertinence de « l'idée » créative, travail plus affiné sur les codes
morphologiques, graphiques, photographiques, chromatiques et typographiques ;
esthétisation croissante des visuels ; rapport texte-image plus poussé et mieux
travaillé : le bilan n'est pas si désastreux. D’une création sans contrainte et sans
surprise, on a évolue vers une création sous contrainte et inventive.
Remise en question d’un texte de loi controversé2.3
Dans son essai Le dit sous interdits : l'expression publicitaire et la loi,
Henriette Touillier-Feyrabend affirme : « Rendre la publicité seule et unique
responsable des comportements d’une population est à la fois un grand honneur et
une grande erreur. Jeter l’anathème sur une activité professionnelle dont l’utilité
économique est reconnue et autorisée, en faire un bouc émissaire a toujours été une
attitude permettant bien souvent de ne pas poser les vraies questions. » 15
Une équipe de chercheurs de l’université de Chicago qui a étudié les effets de
la publicité sur la consommation de boissons alcoolisées est arrivée à la conclusion
que la publicité influence le comportement et les préférences des consommateurs
mais pas la quantité totale d’alcool absorbée. La quantité totale d’alcool absorbée
serait principalement déterminée par des facteurs comme le prix ou la place de
l’alcool dans la culture du pays d’appartenance. L’enquête réalisée dans le cadre de
ce mémoire a révélé que pour 62% des personnes interrogées, le prix est le premier
facteur qui influence l’acte d’achat, loin devant l’image du produit (24%), la notoriété
de la marque (22%) ou la recommandation d’autrui (16%).16
L’OMS17
va jusqu’à
admettre qu’« il se peut que la publicité n’ait qu’un impact général limité et de long
terme sur la consommation d’alcool ou sur les dommages liés à l’alcoolisme » 18
.
Le rapport d’évaluation de la loi Évin de 1999 pointe une forte controverse sur
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
15
TOUILLIER-FEYRABEND, H., Le dit sous interdits : l'expression publicitaire et la loi, Ethnologie
française (Vol. 36), 2006, PUF
16
Cf. annexe 3, Enquête terrain.
17
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
18
Anderson P., Gual A., Colom J., « Alcool et médecine générale. Recommandations cliniques pour le
repérage précoce et les interventions brèves », Paris, 2008, INPES
 	
  
	
   22
« le lien causal, scientifique, statistique ou logique : publicité/consommation ». Le
président de L’ANPAA19
reconnaît alors qu’il est difficile d’évaluer l’impact direct de
la publicité sur la consommation d’alcool, puisqu’elle joue « sur l’imaginaire
symbolique, ce carrefour de tout le psychisme humain, où se conjoignent l’affectif et
le désir, le connu et le rêvé, le conscient et l’inconscient ».20
Le 17 décembre 2015, le Sénat a adopté un amendement polémique visant à
assouplir la réglementation relative à la publicité pour l’alcool. L’objectif de cet
amendement qui a divisé l’opinion publique était de clarifier les frontières entre ce qui
relève de la publicité, de l’information journalistique et de la création culturelle. Cette
modification de la loi Évin repose sur une distinction spécieuse entre une publicité et
une communication non publicitaire pour l’alcool. Dans cette optique, une publicité
est conçue comme « une opération de communication effectuée en faveur d’un
produit ou service, relevant de l’activité d’une personne ayant un intérêt à la
promotion dudit produit ou dudit service et susceptible d’être perçue comme un acte
de promotion par un consommateur d’attention moyenne»21
.
Affirmer qu’il est nécessaire de percevoir une intention promotionnelle dans un
message pour qu’il s’agisse de publicité est pourtant contestable. En effet, les
recherches en marketing établissent qu’un contenu publicitaire aura souvent plus
d’influence s’il n’est pas perçu comme tel. Lorsque l’on est exposé à un message
persuasif, le simple fait de percevoir une tentative d’influence suffit parfois à
neutraliser son impact.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
19
ANPAA : Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie
20
CHEVALIER J., GHEERBRANDT A., Dictionnaire des symboles, Paris, 1990, Robert Laffont.
21
Article L. 3323-3 du code de la santé publique
 	
  
	
   23
CONTENUS ET MÉDIAS : L’ÉMERGENCE D’UN3
NOUVEL ÉCOSYSTÈME
Pression publicitaire et hypersollicitation mercantile3.1
À combien de publicités un individu est-il confronté chaque jour ? Il existe peu
de recherches sur le sujet et la question semble presque tabou. Arnaud Pêtre,
chercheur en neuromarketing à UCL, a pourtant tenté d’y répondre.22
D’après lui,
selon la méthode de calcul et surtout la définition du mot « publicité », ce nombre est
très variable. En considérant uniquement les supports « médias » comme la TV, la
radio, l’affichage, la presse et le cinéma, il propose un rapide calcul basé sur la
consommation de médias en nombre d’heures par jour : 6h/jour environ, multiplié par
le nombre moyen de publicités diffusées par heure. Il obtient une première
approximation de 350 publicités par jour et par personne. Mais ce chiffre sous-estime
la pression publicitaire réelle, car il ne tient pas compte de toutes les sources
d’exposition publicitaire. En effet, Internet vient largement augmenter ce nombre, tout
comme la consommation simultanée de médias et surtout le nombre croissant de
publicité « hors médias ». En considérant la publicité dans la plus large acception du
terme, les individus seraient alors exposés à pas moins de 15 000 stimuli
commerciaux par jour et par personne.
On peut s’interroger sur l’efficacité de ces stimuli commerciaux, « hors
conscience ». Pendant longtemps, l’étude de la part inconsciente du comportement
du consommateur s’est inspirée des théories des pères fondateurs de la
psychanalyse. Depuis une dizaine d’années, les neurosciences cognitives ont
apporté un nouvel éclairage. « On sait aujourd’hui que 90% à 95% de l’activité de
notre cerveau n’est pas accessible à la conscience, les activités conscientes étant
délimitées dans une petite zone du cerveau, le cortex frontal. (…) Ces découvertes
sur le fonctionnement largement inconscient du cerveau, laissent supposer que la
majorité de ces stimuli publicitaires auxquels vous prêtez si peu d’attention et dont
vous êtes le plus souvent incapables de vous rappeler consciemment, vont laisser
des traces mémorielles « implicites », non conscientes, dans votre cerveau ». Pour
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
22
PÊTRE, Arnaud, « Publicité, part de cerveau disponible … et libre-arbitre », in Etopia, février 2007
 	
  
	
   24
qu’une information soit perçue et mémorisée consciemment, il faut qu’elle entre dans
le champ attentionnel du récepteur. C’est ce qui explique qu’un individu ne se
souvient pas de la plupart des informations publicitaires auxquelles il est confronté.
Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure ces publicités
l’influencent tout de même. Différentes expériences scientifiques ont montré que ses
choix et préférences sont influencés inconsciemment. « Le simple fait de voir une
marque à plusieurs reprises nous fait préférer cette marque d’autant plus que
l’exposition est inconsciente (effet de simple exposition), la répétition étant, vous
l’avez compris, un des secrets publicitaires ! De même, une marque associée à un
stimulus plaisant peut être jugée comme plus positive que vous soyez ou non
conscient de cette association et surtout de son effet (conditionnement évaluatif) ».
D’après l’analyse d’Arnaud Pêtre, toutes ces publicités auxquelles l’individu ne pense
pas être réceptifs modifieraient inconsciemment ses comportements et influeraient
ses intentions d’achats.
De l’exposition médiatique à la préférence de marque3.2
Un constat survenu lors des recherches préliminaires à la rédaction de ce
mémoire va pourtant à l’encontre de ce postulat, aussi serait-il intéressant de le
mettre en perspective du raisonnement d’Arnaud Pêtre.
Historiquement, un bras de fer économique a longtemps opposé le français
Kronenbourg au néerlandais Heineken. Chaque année, les deux brasseurs se
disputaient la place de leader en France et tour à tour ils grappillaient quelques parts
aux suiveurs du marché. Si aucun d’eux n’avait jusque-là accepté la position de
challenger, il semblerait que Kronenbourg y soit contraint depuis 2014. Heineken est
devenue la marque de bière la plus vendue en France, avec 18,4% des parts de
marché en 2015 contre 12,5% pour Kronenbourg.23
Du côté des investissements
publicitaires, Kronenbourg a dépensé 31 636 milliers d’euros entre janvier et mai
2014 contre 19 517 milliers pour Heineken, soit un montant près de 30% supérieur à
celui du leader. Ces chiffres prouvent qu’il n’existe pas de lien direct entre le montant
d’un investissement publicitaire et le volume des ventes qui en résulte. Ils semblent
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
23
« Le Top 10 des marques de bières en GMS : Heineken ne ralentit pas », in Rayon Boissons, 20
avril 2015
 	
  
	
   25
donc remettre en cause la corrélation qui existerait entre l’exposition publicitaire et
l’acte d’achat. C’est sans doute parce qu’une donnée plus abstraite manque à cette
équation : la préférence de marque. La préférence de marque ne se mesure pas en
terme de volume de ventes, mais en terme d’image et de notoriété. Il s’agit de
facteurs difficilement quantifiables mais qui sont aujourd’hui au centre des
préoccupations marketing.
C’est pourquoi il était important de confronter ces données chiffrées à des
données plus intangibles, que sont la notoriété et l’image de ces deux marques
auprès de leurs cibles.
L’enquête menée dans le cadre de ce mémoire avait pour objectif de
comprendre la nature du lien entre stratégie de communication et préférence de
marque. À la question « Citez 3 marques de bière dans l'ordre où elles vous viennent
à l'esprit », Heineken est cité par 62% des personnes interrogées, en première ou
deuxième position dans 80% des cas. Un très haut score de notoriété « top of
mind », loin devant son concurrent Kronenbourg qui n’est cité que par 27% des
personnes interrogées. À la question « Qu'est-ce qui influence votre acte d'achat ? »,
ceux qui avaient cité Heineken considèrent en priorité la qualité du produit, l’image
de la marque et sa notoriété. Ceux qui avaient cité Kronenbourg, à l’inverse,
évoquent en premier lieu le facteur prix. Ces résultats sont à analyser au regard des
stratégies marketing propres à chacune des deux marques. Là où Heineken se
positionne comme un produit premium, Kronenbourg capitalise sur son faible prix. Il
s’agit de types de marques bien distinctes : Kronenbourg est une « proximity brand »
et Heineken incarne l’ « emotional brand ».
Pour comprendre ce qui fait d’Heineken une « emotional brand », leader du
marché à la notoriété « top of mind », il faut s’intéresser tout d’abord à sa puissante
stratégie de communication, multicanale et intégrée. Pour promouvoir sa marque, le
brasseur néerlandais capitalise depuis 2010 sur deux facteurs : image premium et
préférence de marque. Heineken est l’un des premiers acteurs du secteur à avoir
massivement investi le terrain du hors-médias, à travers de vastes opérations de
brand content déployées sur le digital et sur l’événementiel. Une stratégie qui s’avère
efficace, puisque parmi les 62% de personnes interrogées qui avaient cité
spontanément la marque Heineken, 37% d’entre elles étaient en mesure de décrire
« une opération de communication mise en place par (la) marque dans les 6 derniers
 	
  
	
   26
mois ». Heineken a pris le parti de se positionner comme une marque fortement
aspirationnelle en misant massivement sur la création de contenu pour dépasser la
relation commerciale et c’est ce qui fait aujourd’hui toute sa force de frappe.
Aujourd’hui, comment gagner la bataille de l’attention des consommateurs ?
Dans un univers saturé de canaux d’information et de bombardement médiatique,
cette conquête constitue un enjeu majeur pour les entreprises et les marques en
termes de visibilité et de fidélisation de leurs clients.
Le turbo-consommateur et la bataille de l’attention3.3
Dans son essai Le Bonheur Paradoxal 24
, Gilles Lipovetsky propose une
lecture du contexte actuel sous le prisme de l’hypermodernité. Il y dépeint une
modernité déréglementée où les marques, qui ont envahi la vie quotidienne, se
développent dans un contexte d’hyperconsommation et d’hyperconcurrence.
D’après lui, c’est dans ce cadre que l’on assiste à l’émergence du « turbo-
consommateur » : Lipovetsky le décrit comme « mobile, flexible, largement émancipé
des anciennes cultures de classe, imprévisible dans ses goûts et ses achats, à l’affût
d’expériences émotionnelles et de mieux-être, de qualité de vie mais aussi de santé,
de marques, d’authenticité », avant de conclure « l’hyperconsommateur est devenu
un consommateur de marques et non plus de produits ».
L’Homo consumericus du 21e
siècle évolue dans un environnement où la
sollicitation mercantile est constante. Noyé dans un flot d’information promotionnelle,
il devient de plus en plus hermétique aux messages publicitaires. Le consommateur
moderne a développé des stratégies d’évitement publicitaire et son pouvoir acquis
est incontestable : lui seul décide du moment, du support et du contenu auquel il
accepte de prêter de l’attention, voire de l’intérêt. Face à cette hypersollicitation du
consommateur, on évoque une saturation de son « budget temps ».
De nouvelles matrices de la communication de marque émergent, avec le
tryptique valeur / expérience / attention. Cette évolution est marquée par l’avènement
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
24
LIPOVETSKY, Gilles, Le bonheur paradoxal, 2006, Gallimard, 496 p.
 	
  
	
   27
de « l’économie de l’attention », nouvelle branche des sciences économiques qui
traite l'attention comme une ressource rare : « sur des marchés dans lesquels l’offre
est abondante, la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs
»25
. Yves Citton a dirigé L’Économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?,
un ouvrage collectif qui rassemble les contributions de chercheurs sur le sujet. Il
affirme : « la principale difficulté, aujourd’hui, n’est pas tant de produire un film, un
livre ou un site Web, que d’attirer l’attention d’un public submergé de propositions,
souvent gratuites, plus attrayantes les unes que les autres » 26
.
Dans ce contexte, le niveau d'attention devient une source de valorisation en
soi. Aujourd’hui, le ROA (Return On Attention) semble avoir pris le pas sur le ROI
(Return On Investment) pour s’imposer comme le nouvel indicateur de performance.
Pour gagner la bataille de l’attention, les marques ne peuvent plus
communiquer uniquement sous l’angle du bénéfice produit ou de l’identité de
marque. Leur défi semble donc de dépasser le produit et son usage prédéfini pour le
restituer dans un écosystème de marque.
Afin d’émerger dans cet environnement hyperconcurrentiel, Il s’agit de
proposer un modèle culturel propre, attractif et engageant pour les consommateurs.
Christophe Coffre, co-président d’Havas Paris, commente : «Les gens n’ont plus
confiance, ils ne croient plus aux marques pour lesquelles ils dépensent beaucoup
d’argent sans recevoir en retour. Les marques doivent rendre de façon désintéressée
et exclusive» 27
. La marque doit développer une approche culturelle de sa
communication et de son marketing pour renforcer sa dimension aspirationnelle, à
l’image de la stratégie adoptée par Heineken.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
25
« Économie de l'attention», in Wikipédia l'encyclopédie libre, 14 février 2016
26
ARC, Stéphane, « L’attention, un bien précieux » in CNRS Le journal, 17 juillet 2014
27
ROOSEN, Mélanie, « Havas, quand une agence crée un vrai contenu », in LADN, 17 juillet 2015
 	
  
	
   28
LA MARQUE ET LE CONSOMMATEUR : NOUVEAUX4
TERRAINS, NOUVEAUX ENJEUX
Être intéressant avant d’être intéressé4.1
Pour Thibaut Nguyen, Directeur Tendances et Prospectives chez IPSOS,
« Nous assistons à un renversement de plus dans la relation marque-client. Avec le
consomm’acteur, elle s’équilibrait. Là, c’est à la marque de trouver sa place dans
l’univers du client et de devenir son partenaire ».28
La marque doit donc repenser sa
relation avec le consommateur pour devenir son allié. L’enjeu est de dépasser la
relation commerciale pour se mettre à l’écoute des attentes du consommateur : être
intéressant avant d’être intéressé.
Le contenu de marque présente un intérêt intrinsèque dont la consommation
peut se suffire à elle-même, indépendamment de l’acte d’achat. Dans certain cas, le
contenu produit par la marque devient même un produit à part entière. Il est alors un
objet culturel autonome et autosuffisant, à la différence du message publicitaire qui,
par essence, renvoie vers autre chose. Le contenu de marque consiste à faire de la
communication un objet qui a de la valeur pour le consommateur et lui apporte un
bénéfice direct de nature divertissante, informative ou pratique. Pour Christophe
Coffre toujours, « Il faut qu’il y ait une forme de générosité des marques envers les
gens. Elles doivent offrir des choses ». Le contenu de marque est intéressant avant
d’être intéressé, c’est-à-dire que l’intérêt du consommateur passe avant l’intérêt de la
marque.
A la différence de la publicité, le brand content n’est pas une démarche de
persuasion immédiate. Le contenu de marque participe au rayonnement social et
culturel de la marque, dont l’achat n’est qu’une retombée. Dans un contexte de
surabondance de contenus gratuits, le rapport qualité/temps devient un indicateur
clé. Tout l’enjeu est de toucher le consommateur au moment où il est disponible en
lui proposant un contenu auquel il sera réceptif. Il s’agit donc de mettre à disposition
le contenu adapté au moment adéquat, pour gagner la bataille de l’attention.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
28
IPSOS, « Trend Observer : la vague et la digue », 2015, www.ipsos.fr
 	
  
	
   29
L’évaluation du brand content ne peut se réduire à une mesure d’impact sur
l’image et les ventes. Performance éditoriale, nombre de vues, taux de partage… les
paramètres sont nombreux et l’efficacité du brand content s’évalue dans le temps.
Thibaut Clément affirme : « Si le brand content ne constitue pas nécessairement un
outil de vente, ni un levier de ROI à court terme il permet à la marque de se
constituer un actif marketing, sur lequel capitaliser à long terme ».
Le contenu pose donc la question de sa finalité pour la marque. Est-ce que
l’on crée du contenu pour optimiser le capital sympathie et favoriser la présence de
la marque à l’esprit en situation d’achat ou est-ce que le contenu est une fin en soi ?
Est-ce que la relation culturelle est un moyen dont la finalité reste économique, ou
est-ce que la finalité économique participe d’une quête plus globale de lien et de
sens ? Le prisme de la rationalité économique tend à faire oublier que le rôle d'une
marque va bien au-delà du chiffre d'affaires et des ventes. La pérennité d'une
marque tient en effet à sa capacité à exister sur un plan social et culturel et à offrir du
sens et du lien.
L’avènement de la brand Culture4.2
Concept récent, la brand culture est selon Daniel Bô « La façon qu’a la
marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens : elle
puise dans son environnement culturel et elle produit elle-même des effets culturels,
fait évoluer les modes de vie et crée les tendances de demain ».29
Penser en terme de culture amène à envisager la marque comme une entité
vivante, évolutive, construite par strates, en permanente interaction avec son
environnement. Aujourd’hui la notion d’ADN de marque est réductrice et ne suffit plus
à comprendre la marque dans sa globalité. L’ADN est garant d’une certaine unité,
mais propose un modèle figé de la marque. La Brand Culture, au contraire, rend
compte de la réalité d’une marque vivante.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
29
HEURTEBISE, Catherine, « La Brand Culture, la stratégie de gestion des marques », in e-
marketing.fr, 2 avril 2013
 	
  
	
   30
La brand culture est une approche multidimensionnelle de la marque qui
prend en compte l’expérience de marque et l’ensemble de ses canaux d’expression :
publicité, produit et packaging, brand content, lieux de vente, interfaces digitales,
événements, expériences sensorielles… Elle permet de donner un sens et un rôle à
une activité commerciale et légitimer ainsi sa raison d’être auprès des
consommateurs. Le développement de la dimension culturelle des marques résulte
d’une prise de conscience : aujourd’hui la production de sens devient aussi
importante que la production de biens.
Dans ce contexte, les marques doivent donc trouver leur place dans la
construction identitaire des individus. En proposant un modèle culturel propre avec
lequel le consommateur va interagir, la marque participe à la « réalisation de soi » et
répond à un besoin d’accomplissement personnel, dernier étage de la pyramide de
Maslow qui permet à l’individu de développer ses valeurs et ses connaissances. 30
Voir schéma 2 : La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow 31
En prenant part à la constitution identitaire de l’individu, la marque crée avec
lui un lien plus essentiel et authentique : on est dans l’être et plus dans l’avoir. La
brand culture propose des modèles identitaires, sociétaux et culturels.
Théorie et performation de la marque.4.3
Quelle est aujourd’hui la relation qui unit la marque, entité culturelle chargée
de sens, au consommateur ? Pour Daniel Bô, « C’est en voyant le spectacle d’une
culture forte, dynamique et créatrice d’expériences riches de sens, que des
consommateurs et des publics variés peuvent avoir l’envie de s’y intéresser, de s’en
approcher et finalement d’y investir »32
. La réflexion qui suit puise dans les travaux
du publicitaire Daniel Bô, notamment présentés dans son ouvrage Brand Culture,
développer le potentiel culturel des marques.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
30
« La Brand Culture, le nouvel Eldorado des marques », in Disko, 6 février 2015
31
Cf. annexe 5, schéma La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow
32
BÔ, Daniel, Brand Culture : Développer le potentiel culturel des marques, Paris, 2013, Dunod,
2013, p.111, 173 pages.
 	
  
	
   31
L’être humain, par nature, cherche à donner du sens à ses actions et exprimer
qui il est à travers ses choix. Dans la société capitaliste actuelle, le consommateur
affirme son identité sociale à travers ses actes d’achat et ses choix marchands. Pour
comprendre comment les marques participent de la création identitaire et sociale des
individus, il faut s’intéresser à la notion de performativité.
Cette notion trouve son origine dans la théorie des actes de langage
performatifs, développée en 1955 par le philosophe John Austin dans son ouvrage
Quand dire, c’est faire. C’est lui qui emploi le terme « performatif » pour la première
fois, forgé à partir du verbe « to perform » qui a le double sens de jouer et
d’accomplir. Austin soutient l’idée que le langage ne sert pas seulement à décrire la
réalité du monde environnant, mais aussi à créer une certaine réalité sociale. Pour
lui, un énoncé est performatif car il produit une action. Exemple : « je vous déclare
mari et femme ».
Le sémiologue John Searl reprend la théorie d’Austin pour l’appliquer aux
actes sociaux. Dans La construction de la réalité sociale paru en 1995, il affirme que
les actes de langage fabriquent les réalités sociales – à distinguer des réalités
naturelles – sur lesquelles reposent des institutions et des conventions. Pour lui, les
constructions de la vie sociale se réalisent à travers des activités performatives
fondamentales. Toute réalité sociale repose sur des actes performatifs et des
croyances partagées.
Enfin, la sociologue féministe Judith Butler prolonge la vision de Searl et
s’appuie sur sa théorie pour expliquer la construction du genre et de l’identité sexuée
des individus. Dans Gender Trouble, elle adopte une position extrême en affirmant
que l’identité sexuelle est une construction performative : au-delà des différences
biologiques naturelles, l’identité du genre serait une construction sociale dans un but
de reconnaissance des pairs.
Daniel Bô étend ces concepts pour les appliquer à la relation marque-
consommateur. Il considère que c’est l’identité sociale toute entière des individus qui
se construit par la performativité, y compris le rapport aux marques. Chaque individu
joue un rôle et performe les modèles sociaux auxquels il veut être identifié. Ainsi, un
consommateur performe une marque parce qu’il la fait exister à travers ses actes. Il
 	
  
	
   32
la vit, se l’approprie, adopte des attitudes, se conforme au modèle social et à la
culture de la marque. En ce sens, la performativité est l’acte culturel fondamental du
consommateur.
Les identités individuelles sont le fruit d’une constellation d’éléments divers.
Avec le déclin des idéologies fondatrices, le recul des cultes et des pratiques
religieuses33
et la perte des repères familiaux, les marques ont de plus en plus de
poids dans la construction des individus. La marque devient pour l’individu un
élément identitaire. Dès lors, la marque a un rôle stratégique à jouer : elle ne peut
exister de manière forte que si elle est capable de proposer des modèles de
performation à l’individu. Les marques doivent véhiculer une expérience, une culture,
à laquelle l’individu pourra adhérer et qu’il pourra s’approprier pour la performer.
Il existe de nombreuses façons pour un individu de performer une marque.
Dans son étude Évaluer l’engagement ou plutôt la performativité avec la brand
culture34
, Daniel Bô propose un mapping qui illustre les différents actes performatifs
du consommateur. Voir schéma 2 : La matrice de performation de la marque 35
La théorie performative de la marque est holistique. Elle considère tous les
leviers de la relation à la marque et évite la tendance à dissocier les différents
canaux de communication pour proposer un approche globale et intégrée. Elle tient
compte à la fois de la valeur d’usage, de la valeur de signe, du vécu individuel et du
vécu social.
Il existe différents degrés de performation, du simple amateur à l'initié qui se
fait le porte-parole de la marque autour de lui. Le client consomme la marque et la
performe de façon inconsciente, l’adepte s’identifie au modèle culturel représenté par
la marque et l’ambassadeur en fait la promotion auprès de son entourage. Lorsqu’il
met en œuvre des modèles de comportements associés à une marque, le
consommateur, qu’il en soit conscient ou non, la fait rayonner et devient un porte-
parole. D’où l’importance pour les marques de se projeter plus loin que la simple
consommation de leurs produits. Tout l’enjeu pour une marque est d’amener le
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
33
« Les pratiques religieuses en France », in La Documentation Française, 14 février 2009
34
QuantiQuali, « Évaluer l’engagement ou plutôt la performativité avec la brand culure », 2015,
www.slideshare.net/qualiquanti
35
Cf. annexe 6, schéma La matrice de performation de la marque
 	
  
	
   33
consommateur à transformer son expérience individuelle en expérience sociale et
faire du client un ambassadeur. Voir schéma 3 : Les différents degrés de
performation de la marque 36
Par essence limitative et restrictive, la loi Évin interdit de communiquer sur un
quelconque bénéfice produit. Les allusions aux effets de l’alcool sont totalement
proscrites, tout comme l’évocation d’un contexte festif. L’évocation du plaisir ou de la
socialité comme résultante de la consommation d’alcool sont aussi à bannir. Au
regard de la loi, la communication des marques d’alcool est limitée à une information
objective, non laudative et non emphatique. Tout discours incitatif est interdit, aucune
promotion directe n’est autorisée.
Face à l’impossibilité de vanter les mérites de leurs produits, comment les
marques d’alcool parviennent-elles à développer une relation performative avec leurs
consommateurs ?
La limitation du discours publicitaire à un discours informatif sur le produit a
forcé les marques d’alcool à se mettre « en quête de solutions créatives qui
respectent la lettre de la loi ». La prohibition a donc engendré une grande fertilité et
les marques d’alcool ont développé une communication singulière, qui en fait une
catégorie à part dans le monde du marketing et de la communication.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
36
Cf. annexe 7, schéma Les différents degrés de performation de la marque
 	
  
	
   34
PARTIE 2
L’EXPÉRIENCE, APPROCHE PRATIQUE
ET ANALYTIQUE
 	
  
	
   35
1 L’EXPRESSION ÉDITORIALE DE LA BRAND CULUTRE
1.1 Marque alibi et transfert des valeurs vers la marque commerciale
Pour être libres d’investir tous les terrains d’expression possibles de leur
brand culture, les marques d’alcool ont appris à s’accommoder de la loi Évin en
créant de nouvelles marques alibi.
Il s’agit de marques déposées, détenues et exploitées par un distributeur de
boissons alcoolisées, qui permettent de passer au travers de la juridiction pour
s’affranchir du carcan imposé par la loi Évin. Le nom, le graphisme choisi pour le
logo et les éléments distinctifs rappellent les codes identitaires de la marque, sans la
citer directement. « Toute la subtilité de ce genre de communication réside dans le
fait que le lien doit toujours se faire dans l’esprit des consommateurs entre la marque
alibi et la marque-mère d’alcool. » 37
Ces marques alibi offrent une liberté totale aux distributeurs de boissons
alcoolisées puisqu’elles ne communiquent pas en tant que « marque d’alcool ».
Destinées aux opérations spéciales, ces marques alibi disposent d’un site web dédié
et sont présentes sur les réseaux sociaux. Elles organisent des événements,
proposent des jeux concours, créent du contenu, publient des articles, etc.
Avec la marque alibi se pose la question du transfert des valeurs du contenu
vers la marque : quel est le niveau d’attribution et la visibilité de la marque dans le
contenu ? Quel est le niveau d’affinité entre la marque et le contenu ?
Il est nécessaire pour une marque alibi de permettre au public d’identifier
rapidement la nature et le statut de l’émetteur, tout en restant suffisamment discrète
pour ne pas être perçue du consommateur comme une action promotionnelle. La
marque ne doit être ni trop visible, ni trop peu.
En réalité le mode de présence de la marque est d’abord lié à la démarche
stratégique : plus qu’un problème de dosage, la visibilité est un problème de
hiérarchie du sens. Dans le contenu de marque, tout est subordonné à l’exigence de
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
37
« Comment être créatif tout en respectant la loi Évin », in tequilarapidoblog, 1
e
juin 2015
 	
  
	
   36
qualité éditoriale. La visibilité doit-être considérée comme un élément parmi d’autre
au service du brand content. L’essentiel est donc de savoir si le niveau de visibilité
est en adéquation avec la stratégie adoptée et si il sert le contenu, ou pas.
1.2 Le brand content au service de la culture de marque
Le brand content est un moyen au service de la construction d’une culture de
marque forte, différenciante et riche de sens pour le consommateur. C’est
l’expression éditoriale de la brand culture.
« Le fait de créer du contenu est un moyen utilisé par les marques pour
développer des relations privilégiées avec les consommateurs, pour assurer leur
visibilité sur le web, pour expliquer leur raison d'être. La brand culture, c'est le
résultat : un univers culturel riche de sens. » (Daniel Bô) 32
Le brand content est donc l’un des canaux d’expression de la brand culture,
parmi toutes les autres manifestations de la marque : logo, nom, produits, publicité,
lieux de vente, bâtiments, collaborateurs, histoire, fondateur, gestes, machines,
pratiques, idéologies.
Pour développer une relation performative avec leurs consommateurs, les
marques d’alcools sont de plus en plus amenées à envisager leur communication à
travers le prisme du contenu. Plus que dans d’autres secteurs, il est aujourd’hui
essentiel pour une marque d’alcool d’émerger parmi ses concurrents à travers une
culture forte et des valeurs propres. La loi Evin a eu comme effet premier
d’homogénéiser les messages et les territoires de marques et il s’agit maintenant de
recréer des univers de marques cohérents et différenciants, unifiés face à la
multiplication croissante des points de contact avec les consommateurs.
Le brand content désigne le fait qu’une marque devienne éditrice de contenu,
et crée son propre écosystème médiatique. Ce concept se différencie du branded
content, qui consiste en un contenu simplement « sponsorisé » et financé par la
marque, non initié ni produit par la marque.
 	
  
	
   37
Quand une marque a pleinement investi le statut d’éditeur au point de
proposer une offre de contenus suffisamment riche pour exister de façon autonome
comme un produit à part entière, on parle de marque média.
Green Room Session, précurseur du genre, est la parfaite illustration de la
marque devenue média.
1.3 Analyse comparée : Heineken et Kronenbourg
1.3.1 Greenroom Session, la marque média accomplie
Depuis 2009, Heineken alimente la Greenroom Session, une plateforme en
ligne consacrée à la musique et plus largement au clubbing et au lifestyle. Dans les
mentions légales du site Internet, on peut lire : « Le Site a été développé pour donner
accès aux internautes à un espace d’informations et d’échange relatif à la musique,
aux soirées, événements, festivals, organisés dans l’univers de la musique, à Paris
et en province ». 38
L’ambition est claire : offrir au public de nouvelles expériences et
un contenu de qualité, de quoi combler les fans de musique.
« Notre ambition était de nous faire une place parmi les différents médias
défricheurs de la scène musicale actuelle, en l’appréhendant à notre manière ».39
Lives, interviews, enquêtes sur les différents mouvements qui l’animent… Le terrain
d’expression premier de Greenroom est la musique, avec comme vocation d’informer
autant que d’offrir des expériences inédites à ses lecteurs, lors de concerts, soirées
et festivals. Le site internet www.greeenroom.fr propose des contenus inédits aussi
riches que variés, allant de l’actualité à l’information en profondeur. Ces contenus
sont relayés via les différents réseaux sociaux de la marque : Facebook, Twitter,
Instagram… Une stratégie digitale multicanale avec une puissante force de frappe,
comme en témoignent les 180 000 « fans » de la page Facebook. Le fort niveau
d’engagement de la communauté se manifeste par un important taux de « likes »,
commentaires, « partages » et « retweets » constaté sur les réseaux sociaux.
Anthony Audebert, responsable du marketing digital chez Barclay, commente : « En
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
38
« Mentions légales », www.greenroom.fr
39
« About us », www.greenroom.fr
 	
  
	
   38
à peine trois ans, Green Room est déjà identifié comme la branche musique
d’Heineken, avec la couleur verte et la petite étoile rouge de la marque. En s’étant
spécialisée, elle occupe tout l’espace: dès qu’il y a un plateau électro, il y a Green
Room »40
En 2013, dans le cadre de l'évènement PARIS 2.0 "60 campagnes de branded
entertainment présentées par les annonceurs et leurs partenaires", Hyperworld
Marketing et Ebuzzing ont réalisé une étude sur 14 campagnes de brand
entertainment françaises auprès de 300 consommateurs.41
L'objectif de cette étude
était d'évaluer, au delà du nombre de contacts et d'interactions, leur impact sur les
consommateurs au travers de 5 indicateurs d'efficacité: le souvenir, l'intérêt, la
proximité à la marque, l'incitation, et la recommandation. Parmi les 14 campagnes
présentées, la vidéo report du partenariat Greenroom avec le festival Calvi on the
Rocks en 2013. Sur des indicateurs indexés de 1 à 100, la vidéo obtient un score
d’image de 73 et un score d’intérêt de 57, qui la placent respectivement en 2e
et 3e
position du classement. À la question « Recommanderiez-vous la marque à votre
entourage », le score de recommandation est de 55, juste après Orangina et Oasis.
Cette étude témoigne de l’incontestable puissace de la marque Greenroom, à travers
laquelle Heineken véhicule sa culture de marque.
Comment expliquer aujourd’hui l’impact du dispositif Greenroom ? Il convient
d’analyser de plus près la culture de marque véhiculée à travers cette stratégie de
contenu pour répondre à cette question.
« La volonté de dépasser nos limites et d’amener à nos lecteurs de
l’inspiration pour embellir leur quotidien est le seul moteur qui nous guide ». 34
En
évoquant l’inspiration ou l’embellissement du quotidien de ses lecteurs, Greenroom
s’inscrit dans leur recherche d’accomplissement personnel pour répondre au besoin
de « réalisation de soi ». La marque se positionne comme l’allié du consommateur et
adopte un ton complice qui induit une forme de proximité : « Avides de découvertes
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
40
CARTON, Mathilde, « Avec Kronenbourg ou Heinekein, la musique, elle, se consomme sans
modération », in Slate, 20 novembre 2013
41
HYPERWOLRD MARKETING, « 14 campagnes de brand entertainment françaises », 2014,
www.hyperworld.fr
	
  
	
  
 	
  
	
   39
stimulantes, le conformisme et la routine vous assomment ? Vous avez frappé à la
bonne porte : nous mettons à votre service notre curiosité pour suivre les tendances
sans les subir, se les approprier et s’en inspirer au quotidien ».34
Ainsi, Greenroom cherche à trouver sa place dans la construction identitaire
du consommateur, en proposant son modèle culturel propre : « Nous restons très
attachés à la musique qui est le ciment de l’identité Greenroom. Elle nous a en effet
amenés à nous immerger dans les univers du design, du street art, des technologies,
du fooding et de la mode, autant d’univers nourris de musique qui rendent notre vie
quotidienne excitante et qui ont leur place sur greenroom.fr ».34
Julien Catala, directeur de l’agence Super!, commente :« L’initiative Green Room,
c’est une très bonne façon de parler de la marque: c’est un bon moyen de soutenir la
créativité, et la marque devient “cool” par association.» 35
La force de frappe de cette marque média repose tant sur sa forte dimension
aspirationnelle que sur la richesse de son contenu. Pour autant, le succès de
Greenroom est indissociable de l’implication de sa communauté, qui lui confère
aujourd’hui tout son rayonnement. À travers sa stratégie de contenu, Greenroom est
parvenu à faire de son client, ou plutôt de son lecteur, un ambassadeur.
Daniel Bô et Matthieu Guével proposent une représentation schématique de
l’échelle de valeur du contenu éditorial. Si l’on s’en tient à cette « pyramide », on
peut affirmer que Greenroom a atteint le stade ultime ; celui de marque média au
positionnement éditorial différrenciant et pérenne qui propose une approche
stratégique du contenu.
1.3.2 Pression Live, une approche tactique du contenu
Le brasseur français Kronenbourg a lui aussi développé une stratégie de
contenu avec sa marque alibi Pression live. Pour autant, en se basant sur cette
même échelle de valeur du contenu éditorial, on ne peut qualifier ce dispositif de
véritable marque média. La marque Pression Live propose une approche plus
tactique du contenu, qui s’inscrit dans le cadre d’une opération précise. En
l’occurrence, la promotion de son important dispositif de sponsoring événementiel.
 	
  
	
   40
Les brasseries Kronenbourg sont partenaires de 70% des plus gros festivals
en France. La situation financière des festivals est loin d’être évidente et
Kronenbourg soutient ces événements dont il est partenaire et sur lesquels il est,
bien évidemment, le seul distributeur de bière. La marque alibi Pression Live lui
permet de développer des activations de marque in-situ et de communiquer sur ces
partenariats. Guillaume Barat, responsable de la communication et de l’activation sur
la marque Kronenbourg, commente : « Cette marque a vocation à promouvoir des
événements sur lesquelles nos marques commerciales sont vendues, et de mettre
en relation un public qui aime la musique avec des groupes de musique. » 42
D’un côté, il y a donc la marque commerciale Kronenbourg qui communique
dans un cadre très défini et de l’autre la marque communautaire Pression Live,
dédiée aux événements culturels mais complètement dissociée de l’activité
commerciale, comme pour s’affranchir du rapport marchand auprès des
consommateurs : « La marque Pression Live est faite pour soutenir la musique et
pour soutenir des événements avec lesquels on a un partenariat. Il n’y a pas du tout
de vocation mercantile derrière tout ça. » 36
Dans cette optique, Pression Live propose chaque année des jeux-concours
pour offrir au public l’accès aux concerts et festivals. Depuis 2013, des concours de
jeunes talents sont organisés sous la marque alibi pour donner la possibilité à de
jeunes groupes d’accéder à des scènes prestigieuses, les « scènes lives » présentes
dans les festivals dont Kronenbourg est partenaire. Une stratégie similaire à celle de
Heineken et des scènes Greenroom Session, à la différence que Greenroom fait
vivre indépendamment sa marque éditoriale et le contenu diffusé de ses activations
événementielles.
En ce sens, le contenu proposé par Pression Live répond à un objectif précis
et s’inscrit dans le cadre de la promotion des partenariats événementiels de la
marque Kronenbourg. Le contenu est utilisé comme un moyen et non comme une fin
en soi, en témoigne l’analyse de la stratégie digitale de ce dispositif.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
42
STISI, Bastien, « Kronenbourg et Pression Live : deux marques complétement dissociées », in
Toute La Culture, 28 février 2014.
 	
  
	
   41
Ce dispositif, Christophe Colinet, Chargé de Communication pour
Kronenbourg, le décrit comme « une plateforme digitale d’information sur les artistes,
où on retransmet de la musique live ».43
Une activité médiatique qui consiste à
proposer des interviews, des chroniques, des contenus exclusifs, des playlists et
même des jeux-concours pour gagner goodies et places de concert. Pression Live
dispose d’un site Internet dédié www.pressionlive.fr qui centralise tous les contenus,
relayés ensuite sur les réseaux sociaux.
Dans la section « à propos » de ce site Internet, on peut lire « Pression Live
est la communauté de toutes les formes de Rock, et surtout de toutes les occasions
d’écouter les meilleurs groupes en Live ». 44
La stratégie ? Partager cet « esprit
rock » à travers la promotion d’événements dont le public est proche de l’ADN de
marque Kronenbourg et donc susceptible de devenir un futur consommateur. La
fréquence comme la nature des publications sur les différents réseaux Pression Live
montre bien que cet écosystème digital n’a pour seul objectif que d’offrir une visibilité
aux actions promotionnelles de la marque Kronenbourg, « Véritable acteur de la
musique et toujours partenaire des grands festivals nationaux ».45
Derrière Pression
Live, aucune ligne éditoriale claire ni stratégie de contenu définie, comme en
témoigne la vacuité des articles publiés : il ne s’agit pas d’un média, mais d’une
simple vitrine. Flavia, 21 ans, rejette l’expérience Pression live : « C’est que de la
pub. Sur la page Facebook de Pression Live, il y a plein de références à
Kronenbourg. On nous manipule, même si en contre-partie on assiste à un concert
gratuitement.» 35
« Inscrivez-vous à nos différents espaces sociaux pour être au Top de
l’actualité Rock ! »39
: pas très engageant. Si la page Facebook de Pression Live
compte plus de 140 000 « fans », on ne peut pas pour autant parler de communauté.
Peu d’interaction, faible taux d’engagement, mauvais référencement… Et pour
cause : une stratégie social média peu engageante, l’absence d’une ligne éditoriale
claire, et plus globalement, une culture de marque peu valorisée.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
43
CARTON, Mathilde, « Avec Kronenbourg ou Heinekein, la musique, elle, se consomme sans
modération », in Slate, 20 novembre 2013
44
« À propos », www.pressionlive.fr
45
Brasseries Kronenbourg, « Une année 100% live », dossier de presse, janvier 2013
 	
  
	
   42
Le contenu lié au produit est éphémère tandis que le contenu lié à la culture
de la marque s’inscrit dans la durée. C’est ce qui fait toute la différence entre les
stratégies développées par Heineken et par Kronenbourg. D’un côté, un contenu qui
fait la promotion d’une culture de marque singulière et de l’autre, un contenu peu
valorisant, centré sur la promotion d’une activité mercantile.
1.4 Le contenu, objet de valeur en soi
Le contenu autour du produit, bien que très en vogue, possède de vraies
limites qui laissent peu d’opportunités de développement. C’est là que la créativité
des marques d’alcools est fortement mise à l’épreuve car l’éditorialisation des
contenus et le décloisonnement des valeurs de marque supposent d’avoir réussi à
asseoir un modèle culturel fort et lisible, à l’image de Heineken.
Pour Christophe Coffre, « Aujourd’hui, le contenu c’est aller chercher les gens
là où ils ne nous attendent pas sur une dimension très émotionnelle et sensible ».46
L’essence du contenu de marque est d’être intéressant avant d’être intéressé,
c’est-à-dire dépasser la relation commerciale pour se mettre à l’écoute des attentes
des consommateurs. Le contenu doit être valorisé comme un objet de valeur en soi
qui selon sa nature répond à différentes attentes consommateur 47
: distraire et
divertir (contenu ludique valorisé pour son pouvoir divertissant, qui joue sur l’émotion
et le capital sympathie) ; informer ou apprendre (contenu informatif valorisé pour son
intérêt et son apport, qui joue sur l’expertise et l’appropriation d’un territoire) ; rendre
service (contenu pratique valorisé pour sa valeur d’usage, qui joue sur la générosité
et la proximité).
Pour Daniel Bô, le brand content sert donc quatre grands objectifs de
communication éditoriale. D’une part, des objectifs qualitatifs et symboliques :
défendre et illustrer la marque ; enrichir et renforcer la relation client. D’autre part,
des objectifs quantitatifs et chiffrés : accroître sa visibilité et sa notoriété ; augmenter
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
46
ROOSEN, Mélanie, « Havas, quand une agence crée un vrai contenu », in LADN, 17 juillet 2015
47
BÔ, Daniel, Brand Content : Comment les marques se transforment en médias, Paris, 2013, Dunod,
2009, p.96, 198 pages.
 	
  
	
   43
les ventes. Il affirme : « Atteindre les objectifs fixés oblige les marques à respecter
certaines conditions de réussite dans la conception et l’orchestration d’une
communication de contenu ». Selon Daniel Bô toujours, il existe donc 4 conditions de
réussite : proposer un contenu de qualité ; assurer la promotion et la visibilité du
contenu ; adapter l’effort exigé au bénéfice promis ; veiller au transfert des valeurs du
contenu vers la marque.
Gaël Solignac, Directeur de l’agence Sixtizen, affirme: « Si le brand content
cherche à créer un haut niveau d’engagement dans une expérience, il trouve son
aboutissement logique dans une expérience physique. On peut aujourd’hui combiner
les avantages du live et du digital : il faut des actions terrain pour créer un contact
réel intime, donner corps au territoire de la marque, et jouer sur la complémentarité
du web pour mobiliser la communauté et engager une relation pérenne ».48
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
48
BÔ, Daniel, Brand Content : Comment les marques se transforment en médias, Paris, 2013, Dunod,
2009, p.122, 198 pages.
 	
  
	
   44
2 L’EXPRESSION IMMERSIVE DE LA BRAND CULTURE
2.1 La brand expérience au service de la culture de marque
Les valeurs de la marque doivent dépasser le discours pour se matérialiser
dans une expérience de marque. Cette expérience de marque, ou brand experience,
c’est en premier lieu une expérience de consommation, c’est-à-dire l’interaction du
consommateur avec le produit et la marque. Mais la consommation ne se limite pas
à l’achat car le consommateur est aussi à la recherche de sens.
Cette expérience de marque ne peut être abordée littéralement par les
marques d’alcool dans leur discours publicitaire, car la loi Évin leur interdit de
communiquer sur un quelconque bénéfice produit. L’évocation de la fête, du plaisir
ou de la socialité comme résultante de la consommation d’alcool est totalement
proscrite ainsi que toute représentation de consommateurs. L’ARPP affirme que « la
publicité peut mettre en évidence les conditions optimales de dégustation ou de
service du produit, les associations culinaires possibles ou souhaitables. En
revanche, elle s’interdit la représentation de consommateurs »49
.
Dans ces conditions, il devient difficile de mettre en scène une expérience de
consommation. Pascal Beucler, qui s’est beaucoup intéressé à la loi Évin et la
représentation des boissons alcoolisées, a identifié deux problématiques majeurs :
« Comment investir désormais la notion de désir, culturellement inséparable du
« faire » et de « l’être » liés à l’ingestion du contenu de la bouteille ? Comment
évoquer la consommation sans consommateurs identifiables, sans cadre spatio-
temporel, sans promesse d’échange, sans incitation ? ».
Si les marques d’alcool sont autorisées à faire la promotion des « conditions
optimales de dégustation ou de service du produit », cela signifie qu’elles peuvent
communiquer librement sur leur mode de consommation. Pour autant, le mode de
consommation n’est pas nécessairement synonyme d’expérience. Aujourd’hui,
l’enjeu est donc de promouvoir un mode de consommation singulier et qualitatif pour
l’ériger en art de vivre. Proposer aux consommateurs de vivre une expérience autour
du produit ou le présenter sous un angle expérientiel permet donc aux marques de
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
49
ARPP, « Recommandations alcool », juin 2010, www.arpp-pub.org
 	
  
	
   45
créer du sens et de la valeur autour de leurs produits. Cette démarche participe tant
à l’enrichissement qu’au partage de leur culture. L’expérience, c’est pour le
consommateur une approche plus sensible de la marque car multisensorielle. C’est
ce qui fait sens et donne aux consommateurs les clés pour appréhender la marque
comme modèle culturel qu’ils performent.
2.2 Erfahrung et Erlebnis : donner à voir, donner à vivre
Dans son livre Philosophie de la Modernité paru en 1990, Georg Simmel
propose une double définition de l’expérience qui s’appuie sur les deux traductions
allemandes du terme. D’un côté, l’erfahrung, l’expérience acquise dans le temps et
de l’autre l’erlebnis, l’expérience vécue sur le moment.
Chaque type d’expérience renvoie à des modes de pensée et de
comportement distincts. Erlebnis désigne l’expérience individuelle et personnelle qui
résulte des stimulations sensorielles du monde extérieur. C’est l’expérience induite
par l’exposition aux bannières web ou aux spots audio et vidéos répétitifs, contre
lesquels les individus ont développé des mécanismes de défense. Erfahrung au
contraire désigne l’expérience collective et partagée, qui par sa nature intégratrice
rattache l’individu à une communauté d’appartenance. Elle s’oppose à Erlebnis, trop
limitative et source de frustration, dans la mesure où elle propose un modèle pour
créer de l’implication et de l’engagement.
Erfahrung, c’est l’expérience apparentée à la performation de marque, source
de socialisation et de divertissement. Les marques d’alcool proposent de plus en
plus ce type d’expériences qui permettent aux consommateurs de mettre en pratique
la culture de marque, de la performer.
Si la culture se vit, alors il est essentiel de permettre aux consommateurs d’en
faire l’expérience, d’en éprouver la profondeur et l’intensité. C’est la finalité de
l’événement de marque, qui non seulement expose la culture de marque au
consommateur mais aussi la lui fait vivre et se l’approprier. Faire vivre la culture de
marque, c’est permettre une implication physique du consommateur, par l’intensité
d’une expérience pleinement vécue.
 	
  
	
   46
Ainsi les alcooliers misent massivement sur l’événementiel pour déployer leur
culture de marque dans toute sa dimension multisensorielle. L’événement dépasse la
simple expérience de consommation pour offrir une brand experience totale : une
Erfahrung. L’ADN de la marque s’exprime à travers toutes les facettes de
l’événement : concept, lieu, scénographie, musique, ambiance, contenus...
Il existe différents types d’activations événementielles, parmi lesquelles le
sponsoring d’événements culturels tel que le dispositif Pression Live, les événements
propriétaires récurrents comme les soirées OX ou encore les événements de marque
à l’image du Signature Bar de Grant’s ou de l’Épicerie Ballantine’s.
L’enquête préliminaire à la rédaction de ce mémoire a révélé que l’événement
de marque est très plébiscité par les consommateurs. À la question « Les marques
d'alcool mènent différentes formes d'opérations. Lesquelles vous semblent les plus
pertinentes ? », 70% des personnes interrogées ont cité l’événement de marque
parmi leurs réponses. Pour ce qui est du terrain de communication investi par les
marques d’alcool, cette même enquête montre que la fête (73%), le lifestyle (59%), la
mixologie (48%) et la musique (40%) sont considérés comme les plus pertinents.
Alcooliers et loi Évin, de la contrainte légale à la création d'une culture de marque.
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Alcooliers et loi Évin, de la contrainte légale à la création d'une culture de marque.

  • 1.       1 MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES ISCOM PARIS PROMOTION 2016 SOLER TANIA RP4C ALCOOLIERS ET LOI ÉVIN DE LA CONTRAINTE LÉGALE À LA CRÉATION D’UNE CULTURE DE MARQUE Comment les marques d’alcool parviennent-elles aujourd’hui à développer une relation performative avec leurs consommateurs pour créer de la préférence de marque alors que la Loi Évin interdit de communiquer sur les qualités et bénéfices de leurs produits ?     TUTEUR   MORENO Clara Enseignant référent DIRECTEUR   PATUREAU Marjolaine Directrice UZIK Social
  • 2.       2     Je tiens à remercier Clara Moreno, ma bienveillante tutrice de mémoire, pour son accompagnement tout au long de l’année. Merci de m’avoir encouragée dans les moments de doute et soutenue dans mes choix professionnels audacieux. _______________ Je tiens à remercier Marjolaine Patureau, mon inspirante directrice de mémoire, pour avoir partagé avec moi son savoir et ses précieux conseils. Merci de me faire confiance dans notre collaboration quotidienne qui m’ouvre de nouveaux horizons professionnels. _______________ Je tiens à remercier tous les professionnels et non-professionnels qui ont pris le temps de répondre à mes questions, enquêtes et interviews. Merci d’avoir nourri ma réflexion de votre éclairage nouveau. _______________ Et surtout, un grand merci à toutes les belles personnes que j’ai rencontrées pendant ces quatre années d’études à l’ISCOM Paris, au détour d’une salle de classe ou de réunion, d’un bureau, parfois même d’un couloir et qui ont su me transmettre la passion de notre métier. Ségolène Tardy-Lehmann, Haude Delic, Violaine de Wulf, Julie Ganter, Berto Vaissière, Philippe-Olivier Guiraud, Laurent Lafon, Elena Battisti, Quentin Guériot et tant d’autres…. Merci.
  • 3.       3 INTRODUCTION………………………………………………………………………….…6 PARTIE 1 : L’EXPOSÉ, APPROCHE THÉORIQUE ET CONTEXTUELLE   1 L’HOMME ET L’ALCOOL, UNE HISTOIRE VIEILLE DE 10 MILLIONS D’ANNEES................................................................................................................ 12 1.1 Dimensions historiques et culturelles du « boire » ........................................... 12 1.2 Panorama des grands acteurs du secteur........................................................ 13 1.3 L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie française ................................. 15 2 LA LOI EVIN ET LA PUBLICITE, VERS UN RENOUVEAU CREATIF.............. 17 2.1 Des prémices de la loi Évin à sa promulgation................................................. 17 2.2 Le paradoxe de la contrainte féconde .............................................................. 18 2.3 Remise un question d’un texte de loi controversé ............................................ 21 3 CONTENUS ET MÉDIAS : L'ÉMERGENCE D'UN NOUVEL ÉCOSYSTÈME Erreur ! Signet non défini. 3.1 Pression publicitaire et hypersollicitation mercantile ........................................ 23 3.2 De l’exposition médiatique à la préférence de marque..................................... 24 3.3 – Le turbo-consommateur et la bataille de l’attention....................................... 26 4 LA MARQUE ET LE CONSOMMATEUR : NOUVEAUX TERRAINS, NOUVEAUX ENJEUX............................................................................................... 28 4.1 Être intéressant avant d’être intéressé ............................................................. 28 4.2 L’avènement de la brand Culture...................................................................... 29 4.3 Théorie et performation de la marque. ............................................................. 30 PARTIE 2 : L’EXPÉRIENCE, APPROCHE PRATIQUE ET ANALYTIQUE 1 L’EXPRESSION ÉDITORIALE DE LA BRAND CULUTRE ............................... 35 1.1 Marque alibi et transfert des valeurs vers la marque commerciale .................. 35 1.2 Le brand content au service de la culture de marque....................................... 36 1.3 Analyse comparée : Heineken et Kronenbourg ................................................ 37 1.3.1 Greenroom Session, la marque média accomplie......................................... 37
  • 4.       4 1.3.2 Pression Live, une approche tactique du contenu......................................... 39 1.4 Le contenu, objet de valeur en soi.................................................................... 42 2 L’EXPRESSION IMMERSIVE DE LA BRAND CULTURE ................................. 44 2.1 La brand expérience au service de la culture de marque................................. 44 2.2 Erfahrung et Erlebnis : donner à voir, donner à vivre ....................................... 45 2.3 Analyse comparée : Grant’s et Ballantine’s ...................................................... 47 2.3.1 Le Signature Bar............................................................................................ 47 2.3.2 The Bar Project.............................................................................................. 48 2.4 L’expérience, source de performation pour le consommateur.......................... 51   PARTIE 3 : L’EXPERTISE, APPROCHE SYNTHÉTIQUE ET STRATÉGIQUE 1 LE CONTEXTE.................................................................................................... 53 1.1 La marque et son positionnement ................................................................. 53 1.2 Le marché et la concurrence ......................................................................... 54 1.3 L’activation sunsets ....................................................................................... 54   2 ENJEUX STRATEGIQUE ................................................................................... 56 2.1 La problématique .............................................................................................. 56 2.2 Les objectifs...................................................................................................... 56 2.2.1 Défendre et illustrer la marque. ..................................................................... 56 2.2.2 Enrichir et renforcer la relation commerciale. ................................................ 57 2.2.3 Accroître sa visibilité et sa notoriété. ............................................................. 57 2.3 La cible de communication ............................................................................... 58   3 MOYENS DÉVELOPPÉS.................................................................................... 59 3.1 Stratégie éditioriale ........................................................................................... 59 3.1.1 « Spots »........................................................................................................ 60 3.1.2 « Travel »....................................................................................................... 60 3.1.3 « Culture » ..................................................................................................... 60 3.1.4 « Tips » .......................................................................................................... 60 3.1.5 « Events »...................................................................................................... 61
  • 5.       5 3.2 Stratégie social media ...................................................................................... 61 3.2.1 Site web ......................................................................................................... 62 3.2.2 Réseaux sociaux ........................................................................................... 62 3.2.3 Marketing direct ............................................................................................. 64 3.3 Stratégie d’influence ......................................................................................... 64 3.3.1 Programme ambassadeurs ........................................................................... 64 3.3.2 Programme d’infiltration................................................................................. 65 3.3.3 Opération de lancement ................................................................................ 65   CONCLUSION...……………………………………………………………………………66 GLOSSAIRE...…………………………………………………………………………...…66 BIBLIOGRAPHIE...………………...………………………………………………………66 ANNEXES...………………………………...………………………………………………66    
  • 6.       6 INTRODUCTION
  • 7.       7 « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »1 écrivait Alfred de Musset en 1831, dans son poème La Coupe et les Lèvres. Deux siècles plus tard, les professionnels du marketing et de la communication rivalisent d’ingéniosité pour vendre non plus l’ivresse mais le dit flacon - ou plutôt la bouteille. Heineken, Ricard, Absolut, Jack Daniel’s … Chacune de ces marques a rendu son flacon célèbre et reconnaissable entre tous, dans les rayons d’un supermarché ou derrière le comptoir d’un bar de quartier. Et pour cause : depuis la promulgation de la Loi Évin en 1991, les marques d’alcool n’ont plus le droit de communiquer sur un quelconque bénéfice produit. La publicité s’est donc progressivement recentrée sur le produit nu, ramené à son essence pure – degré volumique d'alcool, origine géographique, dénomination, composition du produit, mode d'élaboration, mode de consommation du produit, couleur, caractéristiques olfactives et gustatives du produit.2 Aujourd’hui devenus des symboles, ces flacons se substituent à l’ivresse pour matérialiser à eux-seuls toute une culture de marque riche de sens. En 2013, ces flacons ont rapporté près de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires à la filière alcool française. Malgré le cadre de censure contraignant imposé par la loi Évin depuis sa promulgation en 1991, les dépenses publicitaires dédiées à l’alcool sont en croissance constante. En 2011, vingt ans plus tard, ces dépenses atteignaient 460 millions d’euros, soit 130 fois plus que les celles consacrées à la prévention sanitaire. La limitation du discours publicitaire à un discours informatif sur le produit, bien loin de réfréner les marques d’alcool, les a tout au contraire poussé à se mettre « en quête de solutions créatives qui respectent la lettre de la loi ». La Loi Évin a donc profondément remis en cause la posture des acteurs du secteur, forcés de réinventer leurs stratégies de communication pour continuer à promouvoir une culture de marque forte et différenciant auprès du grand public. Ces cultures de marque singulières ont mobilisé tout mon intérêt et feront l’objet de longues pages de réflexion dans ce mémoire. La notion de brand culture                                                                                                                 1 DE MUSSET, Alfred, La Coupe et les Lèvres, 1831. 2 Cf. annexe 1, page 2, extrait de la Loi Évin relatif à la publicité des boissons.
  • 8.       8 est aujourd’hui au centre de toutes les stratégies marketing mais sa définition diffère selon le contexte et les enjeux. En préambule, il conviendra donc de s’accorder sur une définition du terme. Pour Daniel Bô, la brand culture c’est « la façon qu’a la marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens : elle puise dans son environnement culturel et elle produit elle-même des effets culturels, fait évoluer les modes de vie et crée les tendances de demain ».3 J’ai d’abord cherché à comprendre comment les marques d’alcools, malgré la législation en place et les multiples offensives des politiques publiques, continuent d’avoir une telle aura auprès des consommateurs ? Au-delà du pouvoir attractif que leurs produits exercent sur certains d’entre nous, j’ai constaté chez les consommateurs un attachement profond et presque affectif aux marques auxquelles ils sont fidèles. Contrairement à l’allégation que revendiquait jadis de Musset, aujourd’hui le flacon importe plus que jamais. La loi Evin a eu comme effet premier d’homogénéiser les messages et les territoires de marques. Avec l’interdiction de communiquer sur un quelconque bénéfice produit, les marques d’alcool ont dû conquérir de nouveaux terrains d’expression pour recréer des univers de marques cohérents et différenciants. Elles sont ainsi parvenues à dépasser le produit et son usage prédéfini pour le restituer dans un écosystème de marque. Pour trouver l’écho d'une parole qui leur est prohibée, les marques d'alcool doivent compter sur l’implication de leurs consommateurs. Leur défi est de parvenir à faire dire ce que la loi leur interdit de dire eux-mêmes. Tout l’enjeu est donc de proposer un modèle culturel propre, attractif et engageant pour les consommateurs : la marque doit développer une approche culturelle de sa communication et de son marketing pour renforcer sa dimension aspirationnelle. Quelle est aujourd’hui la relation qui unit la marque, entité culturelle chargée de sens, au consommateur. Pour Daniel Bô, « C’est en voyant le spectacle d’une culture forte, dynamique et créatrice d’expériences riches de sens, que des consommateurs et des publics variés peuvent avoir l’envie de s’y intéresser, de s’en approcher et finalement d’y investir »                                                                                                                 3 HEURTEBISE, Catherine, « La Brand Culture, la stratégie de gestion des marques », in e- marketing.fr, 2 avril 2013
  • 9.       9 Les identités individuelles sont le fruit d’une constellation d’éléments divers et les marques ont de plus en plus de poids dans la construction des individus. Dès lors, la marque a un rôle stratégique à jouer : elle ne peut exister de manière forte que si elle est capable de proposer des modèles de performation à l’individu. Les marques doivent véhiculer une expérience, une culture, à laquelle l’individu pourra adhérer et qu’il pourra s’approprier pour la faire vivre : la performer. À travers cette étude, il s’agira donc de comprendre comment les marques d’alcool parviennent aujourd’hui à développer une relation performative avec leurs consommateurs pour créer de la préférence de marque alors que la Loi Évin interdit de communiquer sur les qualités et bénéfices de leurs produits. La première partie présentera une approche théorique du sujet pour cerner ses enjeux contextuels, la deuxième partie s’appuiera sur l’analyse de différents cas pour proposer une approche plus pratique et la troisième partie exposera une recommandation stratégique en réponse à la problématique définie. Pour répondre à cette problématique, j’ai décidé de concentrer mon étude sur les spiritueux et les brasseurs en excluant tous les autres acteurs de secteur alcoolier. Les brasseurs et les spiritueux ont en commun de cibler prioritairement les jeunes et de redoubler de créativité pour conquérir cette cible changeante dont les cycles d’adhésion sont courts. On constate un renouvellement constant des opérations de marketing qui leur sont destinées et une multiplication des canaux investis. Mon étude portera principalement sur les stratégies d’influences, les activations événementielles et leurs amplifications digitales, car il s’agit des domaines d’expertise auxquels je me destine. Ma méthodologie repose sur deux volets principaux : une analyse documentaire qui constitue le fond théorique de mon travail et une enquête menée auprès des professionnels et des consommateurs qui a nourri et enrichi ma réflexion. Je me suis d’abord appuyée sur des ouvrages spécialisés, des études, des sondages, des livres blancs et de nombreux articles. J’ai ensuite mené une première
  • 10.       10 phase d’enquête auprès d’un pannel de 147 consommateurs4 , peu représentatif puisque composé à 75% de 18-24 ans, mais en phase avec la cible marketing du secteur étudié. Les résultats de cette enquête, très intéressants, viendront appuyer ma réflexion tout au long de ce mémoire. Lors de la deuxième phase d’enquête, je me suis heurtée aux politiques de confidentialité très strictes auxquelles tous les employés des grands groupes sont soumis. Même les agences, pour la plupart, n’ont pas le droit d’évoquer les projets de leurs clients. La grande majorité des entretiens que j’ai menés se sont donc tenus dans le plus grand secret et éloignés de tout micro, mais ils auront tout de même servi ma réflexion.                                                                                                                 4 Cf. annexes 2 et 2, Enquête terrain
  • 11.       11 PARTIE 1 L’EXPÉRIENCE, APPROCHE THÉORIQUE ET ANALYTIQUE
  • 12.       12 L’HOMME ET L’ALCOOL, UNE HISTOIRE VIEILLE DE 101 MILLIONS D’ANNEES Dimensions historiques et culturelles du « boire »1.1 La découverte de l’alcool semble remonter à l’ère néolithique, lors de la sédentarisation de l’Homme, au hasard d’une fermentation naturelle d’aliments. À cette époque-là il n’existait, bien-sûr, ni brasseries ni distilleries. Les primates ne trinquaient pas et se contentaient de consommer, à même le sol, quelques fruits trop mûrs dont la fermentation avait produit de l’alcool. Ces très lointains ancêtres se seraient donc adaptés à la consommation d’alcool il y a dix millions d’années. C'est en tout cas la conclusion tirée par une équipe de chercheurs américains, qui publient leurs résultats dans la revue PNAS en 2011. 5 Ce sont les arabes qui inventent le mot « Al Khol », apparu dans la langue romane de la péninsule ibérique en 1278. Quatre siècles plus tard, ce mot sera introduit dans la langue française sous son orthographe actuelle : « Alcool », traduction de « ce qui est très subtil ». Ce n’est pourtant qu’au XIXe siècle que le champ lexical du terme sera constitué, en lien avec la définition chimique de l’éthanol d’une part, et avec l’histoire les progrès de la médecine et l’invention de la psychiatrie d’autre part. 6 Pour les périodes antérieures, tout le champ du « boire social » ne se traduit dans les discours qu’en terme de « vin », « ivresse », « intempérance », « ivrognerie » ou « ébriété ». En effet, si le mot et la définition chimique de la substance ne se mettent en place qu’au 19ème siècle, la condamnation morale et religieuse de « l’intempérance » intervient historiquement de façon bien antérieure à sa condamnation médicale. Tantôt breuvage sacré, remède ou poison, l’alcool est au centre des préoccupations depuis toujours. La littérature a toujours rapporté la présence de l’alcool dans la vie sociale des hommes. Il traverse en permanence tous les domaines de la vie sociale française. Si                                                                                                                 5 PNAS, « Hominids adapted to metabolize ethanol long before human-directed fermentation », octobre 2014. 6 Rapport INSERM (Expertise collective) « Alcool : Dommages sociaux, abus et dépendance » Paris, 2003, Les éditions Inserm.
  • 13.       13 sa consommation excessive est un souci majeur de santé publique, sa production et sa commercialisation représentent une des branches les plus emblématiques et anciennes de l’économie nationale. Panorama des grands acteurs du secteur1.2 Aujourd’hui, quelques grands groupes se partagent le marché. Issus de nombreux achats et fusions successives, ces sociétés sont cotées en bourse dans les différentes places financières mondiales et assurent une profitabilité importante à leurs actionnaires et leurs dirigeants. Diageo, « célébrer la vie, chaque jour, en tout lieu ». Issu de la fusion en 1997 entre Grand Metropolitan et Guiness PLC, ce groupe anglais est le leader mondial sur le marché de l’alcool et des spiritueux. Son porte- feuille de marque compte entre autres Smirnoff, Guiness, Baileys, Captain Morgan,et Pimm’s. Pernod-Ricard, « créateur de convivialité » Fondé en 1975, cette entreprise est spécialisée dans la fabrication et la distribution de vins et spiritueux. C’est le leader français et le deuxième groupe mondial avec une centaine de marque en sa possession sur les différents continents. Des plus connues, on retient Absolut, Havana, Beefeater, Ricard, Pastis 51, Chivas et Clan Campbell. Suntory, « follow your nature » Ce géant japonais qui occupe la troisième place sur le marché mondial n’est pas très connu en France mais distribue ses marques de Whisky dans le monde entier : Auchentoshan, Bowmore, Glen Garioch, Hakushu, Hibiki,… Bacardi-Martini : « une histoire d’excellence » Cette entreprise, créée à Cuba en 1862, est spécialisée dans la fabrication et la distribution de rhum. Le groupe posède notamment Grey Goose, Eristoff, Bombay Sapphire, Martini & Rossi, Bacardí et Cazadores.
  • 14.       14 Rémy Cointreau, «We seek nothing but perfection » Ce groupe français de spiritueux créé en 1991 concentre ses activités autour de la production de cognacs, de liqueurs et de champagne. Parmis ses marques : Rémy Martin, Cointreau, Passoa et Piper-Heidsick. Anheuser-Busch InBev (AB InBev), « starting conversations ». C’est le plus grand groupe brassicole au monde, né de l'acquisition de Anheuser- Busch par InBev en 2008. Il possède des marques comme Leffe, Corona, Cubanisto, Stella Artois, Hoegaarden ou Budweiser. SABMiller, « making a difference through beer » Cette entreprise anglaise spécialisée dans la production et la distribution de bière serait sur le point de se faire racheter par le géant AB InBev. Leur fusion en ferait le premier groupe mondial, leader incontesté sur le marché de la bière. À ce jour, l’entreprise compte des marques comme Grolsch, Pilsner ou Perroni. Heineken, « open your world » Ce groupe brassicole d’origine néerlandaise est fondé en 1864. C’est aujourd’hui le brasseur le plus connu à travers le monde, notamment grâce à ces marques phares : Heineken, Pelforth, Affligem, Desesperados et Sol. Carlsberg Group, « probably the best beer in the world » Le groupe Danois rachète en 2008 l’entreprise française Brasseries Kronenbourg. Aujourd’hui, le groupe possède des marques comme Carlsberg, 1664 et Kronenbourg. Tous ces groupes disposent d’un vaste panel de marques et adaptent leurs stratégies commerciales et marketing pour chaque segment, investissant des sommes considérables dans la publicité directe et indirecte. Les dépenses publicitaires dédiées à l’alcool sont en croissance constante, atteignant jusqu’à 460 millions d’euros en 2011, soit 130 fois plus que les celles consacrées à la prévention sanitaire.
  • 15.       15 L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie française1.3 Aujourd’hui, l’activité liée à la production et la distribution d’alcool représente une part importante de l’économie française et génère des recettes considérables. Selon les acteurs du secteur, le chiffre d’affaires de la filière alcool française représentait 19,6 milliards d’euros en 2013 : 15 milliards d’euros pour le secteur viticole, 2,5 milliards d’euros pour les spiritueux et les eaux de vie naturelles et 2,1 milliards d’euros pour le secteur de la bière. 7 En 2015, les vins et spiritueux ont dépassé les parfums et cosmétiques dans la balance commerciale française. Avec un solde commercial positif de 10,4 milliards d’euros, les vins et spiritueux gagnent le rang de deuxième excédent commercial français, derrière l’aéronautique. 8 L’alcool permet donc des échanges commerciaux entre les pays, ce qui participe à la balance commerciale. Les répercussions de la vente d'alcool sur l’économie française sont totalement antagoniques. D’un côté, cela représente une part importante de l’économie française et de son PIB. De l’autre, cela contribue en grande partie au déficit du système économique en place à travers les dépenses de santé liées à l'alcool. L’alcool occupe une place indéniable dans l’économie française : sa production et sa commercialisation créent de la richesse et favorisent l’emploi. Les industriels du secteur revendiquent au total plus de 3 millions d’emplois directs et indirects liés à la production et à la distribution d’alcool dans l’Union Européenne. La consommation d’alcool est aussi à l’origine de recettes fiscales pour l’État et la Sécurité sociale, par le biais de la TVA mais également grâce aux droits sur les volumes consommés. Sur les 16,7 milliards d’euros de dépenses des ménages pour les boissons alcoolisées en 2011, le montant des droits indirects perçus sur l’alcool (hors TVA) s’élève à 3,2 milliards d’euros. La consommation de spiritueux est à                                                                                                                 7 OFDT, « Drogues et addictions, données essentielles », 8 GIRARD, L., « Les exportateurs de vins et spiritueux français peuvent sabrer le champagne », in Le Monde, 02 février 2016
  • 16.       16 l’origine de 82 % des recettes fiscales sur les alcools et les bières représentent 11 % des recettes.9 Par le biais de la TVA, l’Etat récolte des recettes qui contribuent au financement de l’Assurance Maladie mais ne suffisent pas à couvrir les dépenses de santé liées à l’alcool. Selon l’OFDT (Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies), les comptes de l’assurance maladie sont lourdement impactés par l’ensemble des pathologies liées à une consommation excessive d’alcool. L’alcool a donc un « coût » pour l’État et l’Assurance Maladie qui inclut le coût de prise en charge des pathologies liées à l’alcool, des politiques de prévention, des arrêts-maladies et la perte de cotisations liée à ces arrêts. Ce coût social avoisinerait les 6,15 milliards d’euros. 10 La consommation excessive d’alcool est un véritable problème de santé publique, comme en témoigne le coût social des pathologies liées à l’alcool. L’alcoolisme est aujourd’hui un sujet de préoccupation majeur, qui mobilise pleinement les pouvoirs publics.                                                                                                                 9 Commission des comptes de la Sécurité sociale, « Les comptes de la Sécurité sociale : résultats 2010, prévisions 2011 » Paris, 2011, www.ladocumentationfrancaise.fr 10 CIRON, C., L’impact ambivalent de l’alcool sur l’économie, Lyon, 2013, IAL.
  • 17.       17 LA LOI EVIN ET LA PUBLICITE, VERS UN RENOUVEAU2 CREATIF Des prémices de la loi Évin à sa promulgation2.1 Historiquement, l’alcool commence à faire l’objet d’attentions particulières à partir du 19ème siècle et c’est lors de la révolution industrielle qu’apparaît la notion d'alcoolisme. En 1880 est créée l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie, fondée sous l’impulsion de nombreux membres de l’Académie de Médecine, conscients des dangers de l’alcool sur l’organisme. On voit alors apparaître des prémices de prévention, dans les écoles notamment, avec des phrases choc comme « l’alcool détruit le corps et l’âme » ou des images percutantes opposant le travailleur à l’ivrogne. L’alcoolisme est alors synonyme de désordre social et une première loi sur la répression de l’ivresse publique est publiée en 1873 par Théophile Roussel. Après la Seconde Guerre Mondiale, le discours se renforce. L’alcool qui donnait force et courage aux soldats devient un fléau à combattre. On lui refuse désormais l’entrée des cantines et des stades, où la publicité devient même interdite. L’époque est à la sobriété. À l’alcool, on veut désormais faire préférer le café, l'eau minérale non gazeuse, la limonade, les boissons aux fruits, le lait ou les sirops aux comptoirs des bistrots. La loi des « boissons-pilotes »11 permet alors aux débitants d’offrir des boissons sans alcool moins chères que la moins coûteuse des boissons alcoolisées de son établissement. Depuis son abrogation en 1982, les professionnels sont libres de fixer leurs prix sur toutes les boissons. Au milieu des années 70, une réglementation plus précise se met en place autour de la publicité sur les vins et spiritueux. Le 30 juillet 1987, la loi Barzach est promulguée. Le code des débits de boisson est alors adopté, ainsi que de nombreuses mesures pour lutter contre l’alcoolisme. La célèbre formule « à consommer avec modération » devient alors obligatoire. En 1989, l’Europe légifère sur ce même sujet et fait paraître une directive relative à la communication télévisuelle et radiophonique des boissons alcoolisées.                                                                                                                 11 ANPAA, « Mémento Législatif Alcool », 2005, www.anpaa.asso.fr
  • 18.       18 Cette directive sera reprise et complétée par la célèbre loi Evin, promulguée en 1991. Là où la loi Barzach dressait une liste d’interdits, la loi Évin établit une liste limitative et exhaustive des supports pouvant véhiculer de la publicité pour l’alcool et définit le type de contenu autorisé. Cette publicité peut comporter des informations relatives au produit telles que le degré volumique d’alcool, l’origine géographique ou historique, la dénomination, la composition, le mode d’élaboration, les modalités de vente, le mode de consommation ainsi que le nom et adresse du fabricant, des agents et des dépositaires. Elle peut également comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine ou aux indications géographiques ; ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit. Le parrainage et le sponsoring sont interdits. Dès les premiers débats publics autour de la loi Évin, annonceurs et agences manifestent leur inquiétude. Et pour cause : entre 1990 et 2008, la consommation d’alcool en France baisse de plus de 20%. Ce recul de la consommation se traduit par une baisse significative des ventes pour les alcooliers et entraîne d’importantes réductions budgétaires en matière d’investissement publicitaire. La création publicitaire est touchée en plein cœur. Nombreux sont ceux qui pensent qu’elle ne s’en remettra pas. Pour les professionnels du secteur, la promulgation de la loi Évin marque l’entrée dans une nouvelle ère. Georges Péninou, chef de file de la sémiologie publicitaire, est alors mandaté par Publicis pour réfléchir sur le sujet. Il propose alors une analyse prospective singulière : désormais soumise à la contrainte de la loi Évin, la création publicitaire serait forcée de se réinventer pour continuer d’exister. « En restreignant leur territoire d’expression, la loi obligea les publicitaires à se plier à un exercice d’accommodation créative ». 12 Le paradoxe de la contrainte féconde13 2.2                                                                                                                 12 PENINOU Georges, Le dit sous interdits : l’expression publicitaire des boissons alcoolisées sous l’égide de la loi Évin, 1991 Paris, Intelligences. 13 BEUCLER, Pascal et FAVREAU, Fanny « La loi Evin dix ans après ou le paradoxe de la contrainte féconde » in Communication et langages n°136, 2ème trimestre 2003, p. 31-42.
  • 19.       19 Par essence limitative, restrictive voir prohibitive, la Loi Évin intervient à la fois sur la surface de diffusion (le cinéma, la radio, la TV sont interdits), les moyens de dérivation (le parrainage, le sponsoring sont limités), les ressources de l'expression (ce qui n'est pas clairement autorisé est interdit), et sur la psychologie (la bonne conscience doit être exclue de la consommation d'alcool). Les ressources de l’expression sont particulièrement visées, avec une limitation du discours publicitaire à un discours informatif sur le produit. « Dans un cadre de censure contraignant, qui vise à la fois les thèmes, les procédés et les stratégies argumentaires, la créativité peut-elle continuer de s'épanouir ? ». C’est la question à laquelle ont tenté de répondre Pascal Beucler et Fanny Favreau, dans leur essai La loi Évin 10 ans après, ou le paradoxe de la contrainte féconde, paru en 2003. Avant la loi Évin, la promotion des boissons alcoolisées s'appuyait principalement sur l'évocation de la socialité, de la convivialité et de la psychologie favorable que leur consommation était supposée engendrer. « Les figures du boire puisaient essentiellement aux sources du langage du désir : au-delà d'une boisson volontiers réduite au rôle d'adjuvant/désinhibant psycho-social, c'est un signe de séduction, de libération et d'“être ensemble“ que donnait à consommer l'économie symbolique publicitaire » ; « Les créatifs choisissaient de présenter un alcool suscitant les relations humaines. Alcool perçu comme un produit catalyseur aux pouvoirs variés, tour à tour désinhibant, aphrodisiaque, égalitaire, libérateur, quand il ne recelait pas simultanément l'ensemble de ces qualités ». La tendance des marques de boissons alcoolisées était à l'idéalisation, à la sublimation de l'alcool mais surtout des effets induits par sa consommation. Face à cette modification brutale des règles du jeu créatif, les agences ont d'abord craint de mal interpréter le texte légal et de faire encourir des risques à leurs clients. Puis elles se sont mises en quête de solutions créatives qui respectent la lettre de la loi tout en préservant la capacité des marques à défendre leur notoriété. La prohibition redoutée a en réalité engendré une grande fertilité créative sur les plans thématique, verbal et visuel.
  • 20.       20 La loi Évin a révolutionné les codes de la création publicitaire. De nouveaux procédés émergent, pour se substituer aux codes désormais proscrits qui régissaient la création publicitaire. On passe alors d'une logique de monstration des effets du produit à une logique de suggestion qui s’appuie sur de nouvelles formes signifiantes. Voir schéma « L’avant / Après » Évin 14 Procédés en place avant la loi Évin : - la médiation, qui faisait de personnages symboliques les adjuvants du boire, - la sublimation, qui enrichissait le discours d'incitation d'une quête aspirationnelle, - la narration, qui ancrait le produit dans un récit exemplaire, voire édifiant, - l’implication, qui exploitait toutes les ressources rhétoriques de l'invitation, - l’exaltation, qui était fondée sur une promesse festive. Procédés émergents après la loi Évin : - l’emphatisation du produit, qui met la lumière sur l’identité du produit, - l’anecdotisation, qui représente des thèmes et effets liés à l’acte de consommation, - la substitution, qui réfère aux attributs du produit en exaltant leurs vertus, - l’anthropomorphisation, qui anime des objets symboliques de l'univers de marque, - l’occultation, qui réoriente le discours sur le produit pour se détourner de la socialité - la contiguïté, qui consiste à exploiter l’image et les mots sous forme ludique. La loi Évin a entraîné un déplacement du discours centré sur les effets vers un discours recentré sur le produit. Avant 1991, les procédés publicitaires puisaient dans un patrimoine culturel général, sans lien direct avec les produits. Les marques véhiculaient des valeurs aspirationnelles fortes mais très proches les unes des autres. Tout entières focalisées sur le registre des effets sur le consommateur, elles disaient finalement très peu sur le produit. Aujourd'hui confrontées à l'absence de « messagers » humains, à l'impossibilité de mettre en scène des situations de consommation, les marques communiquent sur le peu d'éléments que la loi leur consent, mais - fécondité de la contrainte - elles le font en usant de procédés créatifs plus différenciants et davantage signifiants.                                                                                                                 14 Cf. annexe 4, schéma « L’avant / Après » Évin
  • 21.       21 Meilleure pertinence de « l'idée » créative, travail plus affiné sur les codes morphologiques, graphiques, photographiques, chromatiques et typographiques ; esthétisation croissante des visuels ; rapport texte-image plus poussé et mieux travaillé : le bilan n'est pas si désastreux. D’une création sans contrainte et sans surprise, on a évolue vers une création sous contrainte et inventive. Remise en question d’un texte de loi controversé2.3 Dans son essai Le dit sous interdits : l'expression publicitaire et la loi, Henriette Touillier-Feyrabend affirme : « Rendre la publicité seule et unique responsable des comportements d’une population est à la fois un grand honneur et une grande erreur. Jeter l’anathème sur une activité professionnelle dont l’utilité économique est reconnue et autorisée, en faire un bouc émissaire a toujours été une attitude permettant bien souvent de ne pas poser les vraies questions. » 15 Une équipe de chercheurs de l’université de Chicago qui a étudié les effets de la publicité sur la consommation de boissons alcoolisées est arrivée à la conclusion que la publicité influence le comportement et les préférences des consommateurs mais pas la quantité totale d’alcool absorbée. La quantité totale d’alcool absorbée serait principalement déterminée par des facteurs comme le prix ou la place de l’alcool dans la culture du pays d’appartenance. L’enquête réalisée dans le cadre de ce mémoire a révélé que pour 62% des personnes interrogées, le prix est le premier facteur qui influence l’acte d’achat, loin devant l’image du produit (24%), la notoriété de la marque (22%) ou la recommandation d’autrui (16%).16 L’OMS17 va jusqu’à admettre qu’« il se peut que la publicité n’ait qu’un impact général limité et de long terme sur la consommation d’alcool ou sur les dommages liés à l’alcoolisme » 18 . Le rapport d’évaluation de la loi Évin de 1999 pointe une forte controverse sur                                                                                                                 15 TOUILLIER-FEYRABEND, H., Le dit sous interdits : l'expression publicitaire et la loi, Ethnologie française (Vol. 36), 2006, PUF 16 Cf. annexe 3, Enquête terrain. 17 OMS : Organisation Mondiale de la Santé 18 Anderson P., Gual A., Colom J., « Alcool et médecine générale. Recommandations cliniques pour le repérage précoce et les interventions brèves », Paris, 2008, INPES
  • 22.       22 « le lien causal, scientifique, statistique ou logique : publicité/consommation ». Le président de L’ANPAA19 reconnaît alors qu’il est difficile d’évaluer l’impact direct de la publicité sur la consommation d’alcool, puisqu’elle joue « sur l’imaginaire symbolique, ce carrefour de tout le psychisme humain, où se conjoignent l’affectif et le désir, le connu et le rêvé, le conscient et l’inconscient ».20 Le 17 décembre 2015, le Sénat a adopté un amendement polémique visant à assouplir la réglementation relative à la publicité pour l’alcool. L’objectif de cet amendement qui a divisé l’opinion publique était de clarifier les frontières entre ce qui relève de la publicité, de l’information journalistique et de la création culturelle. Cette modification de la loi Évin repose sur une distinction spécieuse entre une publicité et une communication non publicitaire pour l’alcool. Dans cette optique, une publicité est conçue comme « une opération de communication effectuée en faveur d’un produit ou service, relevant de l’activité d’une personne ayant un intérêt à la promotion dudit produit ou dudit service et susceptible d’être perçue comme un acte de promotion par un consommateur d’attention moyenne»21 . Affirmer qu’il est nécessaire de percevoir une intention promotionnelle dans un message pour qu’il s’agisse de publicité est pourtant contestable. En effet, les recherches en marketing établissent qu’un contenu publicitaire aura souvent plus d’influence s’il n’est pas perçu comme tel. Lorsque l’on est exposé à un message persuasif, le simple fait de percevoir une tentative d’influence suffit parfois à neutraliser son impact.                                                                                                                 19 ANPAA : Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie 20 CHEVALIER J., GHEERBRANDT A., Dictionnaire des symboles, Paris, 1990, Robert Laffont. 21 Article L. 3323-3 du code de la santé publique
  • 23.       23 CONTENUS ET MÉDIAS : L’ÉMERGENCE D’UN3 NOUVEL ÉCOSYSTÈME Pression publicitaire et hypersollicitation mercantile3.1 À combien de publicités un individu est-il confronté chaque jour ? Il existe peu de recherches sur le sujet et la question semble presque tabou. Arnaud Pêtre, chercheur en neuromarketing à UCL, a pourtant tenté d’y répondre.22 D’après lui, selon la méthode de calcul et surtout la définition du mot « publicité », ce nombre est très variable. En considérant uniquement les supports « médias » comme la TV, la radio, l’affichage, la presse et le cinéma, il propose un rapide calcul basé sur la consommation de médias en nombre d’heures par jour : 6h/jour environ, multiplié par le nombre moyen de publicités diffusées par heure. Il obtient une première approximation de 350 publicités par jour et par personne. Mais ce chiffre sous-estime la pression publicitaire réelle, car il ne tient pas compte de toutes les sources d’exposition publicitaire. En effet, Internet vient largement augmenter ce nombre, tout comme la consommation simultanée de médias et surtout le nombre croissant de publicité « hors médias ». En considérant la publicité dans la plus large acception du terme, les individus seraient alors exposés à pas moins de 15 000 stimuli commerciaux par jour et par personne. On peut s’interroger sur l’efficacité de ces stimuli commerciaux, « hors conscience ». Pendant longtemps, l’étude de la part inconsciente du comportement du consommateur s’est inspirée des théories des pères fondateurs de la psychanalyse. Depuis une dizaine d’années, les neurosciences cognitives ont apporté un nouvel éclairage. « On sait aujourd’hui que 90% à 95% de l’activité de notre cerveau n’est pas accessible à la conscience, les activités conscientes étant délimitées dans une petite zone du cerveau, le cortex frontal. (…) Ces découvertes sur le fonctionnement largement inconscient du cerveau, laissent supposer que la majorité de ces stimuli publicitaires auxquels vous prêtez si peu d’attention et dont vous êtes le plus souvent incapables de vous rappeler consciemment, vont laisser des traces mémorielles « implicites », non conscientes, dans votre cerveau ». Pour                                                                                                                 22 PÊTRE, Arnaud, « Publicité, part de cerveau disponible … et libre-arbitre », in Etopia, février 2007
  • 24.       24 qu’une information soit perçue et mémorisée consciemment, il faut qu’elle entre dans le champ attentionnel du récepteur. C’est ce qui explique qu’un individu ne se souvient pas de la plupart des informations publicitaires auxquelles il est confronté. Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure ces publicités l’influencent tout de même. Différentes expériences scientifiques ont montré que ses choix et préférences sont influencés inconsciemment. « Le simple fait de voir une marque à plusieurs reprises nous fait préférer cette marque d’autant plus que l’exposition est inconsciente (effet de simple exposition), la répétition étant, vous l’avez compris, un des secrets publicitaires ! De même, une marque associée à un stimulus plaisant peut être jugée comme plus positive que vous soyez ou non conscient de cette association et surtout de son effet (conditionnement évaluatif) ». D’après l’analyse d’Arnaud Pêtre, toutes ces publicités auxquelles l’individu ne pense pas être réceptifs modifieraient inconsciemment ses comportements et influeraient ses intentions d’achats. De l’exposition médiatique à la préférence de marque3.2 Un constat survenu lors des recherches préliminaires à la rédaction de ce mémoire va pourtant à l’encontre de ce postulat, aussi serait-il intéressant de le mettre en perspective du raisonnement d’Arnaud Pêtre. Historiquement, un bras de fer économique a longtemps opposé le français Kronenbourg au néerlandais Heineken. Chaque année, les deux brasseurs se disputaient la place de leader en France et tour à tour ils grappillaient quelques parts aux suiveurs du marché. Si aucun d’eux n’avait jusque-là accepté la position de challenger, il semblerait que Kronenbourg y soit contraint depuis 2014. Heineken est devenue la marque de bière la plus vendue en France, avec 18,4% des parts de marché en 2015 contre 12,5% pour Kronenbourg.23 Du côté des investissements publicitaires, Kronenbourg a dépensé 31 636 milliers d’euros entre janvier et mai 2014 contre 19 517 milliers pour Heineken, soit un montant près de 30% supérieur à celui du leader. Ces chiffres prouvent qu’il n’existe pas de lien direct entre le montant d’un investissement publicitaire et le volume des ventes qui en résulte. Ils semblent                                                                                                                 23 « Le Top 10 des marques de bières en GMS : Heineken ne ralentit pas », in Rayon Boissons, 20 avril 2015
  • 25.       25 donc remettre en cause la corrélation qui existerait entre l’exposition publicitaire et l’acte d’achat. C’est sans doute parce qu’une donnée plus abstraite manque à cette équation : la préférence de marque. La préférence de marque ne se mesure pas en terme de volume de ventes, mais en terme d’image et de notoriété. Il s’agit de facteurs difficilement quantifiables mais qui sont aujourd’hui au centre des préoccupations marketing. C’est pourquoi il était important de confronter ces données chiffrées à des données plus intangibles, que sont la notoriété et l’image de ces deux marques auprès de leurs cibles. L’enquête menée dans le cadre de ce mémoire avait pour objectif de comprendre la nature du lien entre stratégie de communication et préférence de marque. À la question « Citez 3 marques de bière dans l'ordre où elles vous viennent à l'esprit », Heineken est cité par 62% des personnes interrogées, en première ou deuxième position dans 80% des cas. Un très haut score de notoriété « top of mind », loin devant son concurrent Kronenbourg qui n’est cité que par 27% des personnes interrogées. À la question « Qu'est-ce qui influence votre acte d'achat ? », ceux qui avaient cité Heineken considèrent en priorité la qualité du produit, l’image de la marque et sa notoriété. Ceux qui avaient cité Kronenbourg, à l’inverse, évoquent en premier lieu le facteur prix. Ces résultats sont à analyser au regard des stratégies marketing propres à chacune des deux marques. Là où Heineken se positionne comme un produit premium, Kronenbourg capitalise sur son faible prix. Il s’agit de types de marques bien distinctes : Kronenbourg est une « proximity brand » et Heineken incarne l’ « emotional brand ». Pour comprendre ce qui fait d’Heineken une « emotional brand », leader du marché à la notoriété « top of mind », il faut s’intéresser tout d’abord à sa puissante stratégie de communication, multicanale et intégrée. Pour promouvoir sa marque, le brasseur néerlandais capitalise depuis 2010 sur deux facteurs : image premium et préférence de marque. Heineken est l’un des premiers acteurs du secteur à avoir massivement investi le terrain du hors-médias, à travers de vastes opérations de brand content déployées sur le digital et sur l’événementiel. Une stratégie qui s’avère efficace, puisque parmi les 62% de personnes interrogées qui avaient cité spontanément la marque Heineken, 37% d’entre elles étaient en mesure de décrire « une opération de communication mise en place par (la) marque dans les 6 derniers
  • 26.       26 mois ». Heineken a pris le parti de se positionner comme une marque fortement aspirationnelle en misant massivement sur la création de contenu pour dépasser la relation commerciale et c’est ce qui fait aujourd’hui toute sa force de frappe. Aujourd’hui, comment gagner la bataille de l’attention des consommateurs ? Dans un univers saturé de canaux d’information et de bombardement médiatique, cette conquête constitue un enjeu majeur pour les entreprises et les marques en termes de visibilité et de fidélisation de leurs clients. Le turbo-consommateur et la bataille de l’attention3.3 Dans son essai Le Bonheur Paradoxal 24 , Gilles Lipovetsky propose une lecture du contexte actuel sous le prisme de l’hypermodernité. Il y dépeint une modernité déréglementée où les marques, qui ont envahi la vie quotidienne, se développent dans un contexte d’hyperconsommation et d’hyperconcurrence. D’après lui, c’est dans ce cadre que l’on assiste à l’émergence du « turbo- consommateur » : Lipovetsky le décrit comme « mobile, flexible, largement émancipé des anciennes cultures de classe, imprévisible dans ses goûts et ses achats, à l’affût d’expériences émotionnelles et de mieux-être, de qualité de vie mais aussi de santé, de marques, d’authenticité », avant de conclure « l’hyperconsommateur est devenu un consommateur de marques et non plus de produits ». L’Homo consumericus du 21e siècle évolue dans un environnement où la sollicitation mercantile est constante. Noyé dans un flot d’information promotionnelle, il devient de plus en plus hermétique aux messages publicitaires. Le consommateur moderne a développé des stratégies d’évitement publicitaire et son pouvoir acquis est incontestable : lui seul décide du moment, du support et du contenu auquel il accepte de prêter de l’attention, voire de l’intérêt. Face à cette hypersollicitation du consommateur, on évoque une saturation de son « budget temps ». De nouvelles matrices de la communication de marque émergent, avec le tryptique valeur / expérience / attention. Cette évolution est marquée par l’avènement                                                                                                                 24 LIPOVETSKY, Gilles, Le bonheur paradoxal, 2006, Gallimard, 496 p.
  • 27.       27 de « l’économie de l’attention », nouvelle branche des sciences économiques qui traite l'attention comme une ressource rare : « sur des marchés dans lesquels l’offre est abondante, la ressource rare devient le temps et l’attention des consommateurs »25 . Yves Citton a dirigé L’Économie de l’attention, nouvel horizon du capitalisme ?, un ouvrage collectif qui rassemble les contributions de chercheurs sur le sujet. Il affirme : « la principale difficulté, aujourd’hui, n’est pas tant de produire un film, un livre ou un site Web, que d’attirer l’attention d’un public submergé de propositions, souvent gratuites, plus attrayantes les unes que les autres » 26 . Dans ce contexte, le niveau d'attention devient une source de valorisation en soi. Aujourd’hui, le ROA (Return On Attention) semble avoir pris le pas sur le ROI (Return On Investment) pour s’imposer comme le nouvel indicateur de performance. Pour gagner la bataille de l’attention, les marques ne peuvent plus communiquer uniquement sous l’angle du bénéfice produit ou de l’identité de marque. Leur défi semble donc de dépasser le produit et son usage prédéfini pour le restituer dans un écosystème de marque. Afin d’émerger dans cet environnement hyperconcurrentiel, Il s’agit de proposer un modèle culturel propre, attractif et engageant pour les consommateurs. Christophe Coffre, co-président d’Havas Paris, commente : «Les gens n’ont plus confiance, ils ne croient plus aux marques pour lesquelles ils dépensent beaucoup d’argent sans recevoir en retour. Les marques doivent rendre de façon désintéressée et exclusive» 27 . La marque doit développer une approche culturelle de sa communication et de son marketing pour renforcer sa dimension aspirationnelle, à l’image de la stratégie adoptée par Heineken.                                                                                                                 25 « Économie de l'attention», in Wikipédia l'encyclopédie libre, 14 février 2016 26 ARC, Stéphane, « L’attention, un bien précieux » in CNRS Le journal, 17 juillet 2014 27 ROOSEN, Mélanie, « Havas, quand une agence crée un vrai contenu », in LADN, 17 juillet 2015
  • 28.       28 LA MARQUE ET LE CONSOMMATEUR : NOUVEAUX4 TERRAINS, NOUVEAUX ENJEUX Être intéressant avant d’être intéressé4.1 Pour Thibaut Nguyen, Directeur Tendances et Prospectives chez IPSOS, « Nous assistons à un renversement de plus dans la relation marque-client. Avec le consomm’acteur, elle s’équilibrait. Là, c’est à la marque de trouver sa place dans l’univers du client et de devenir son partenaire ».28 La marque doit donc repenser sa relation avec le consommateur pour devenir son allié. L’enjeu est de dépasser la relation commerciale pour se mettre à l’écoute des attentes du consommateur : être intéressant avant d’être intéressé. Le contenu de marque présente un intérêt intrinsèque dont la consommation peut se suffire à elle-même, indépendamment de l’acte d’achat. Dans certain cas, le contenu produit par la marque devient même un produit à part entière. Il est alors un objet culturel autonome et autosuffisant, à la différence du message publicitaire qui, par essence, renvoie vers autre chose. Le contenu de marque consiste à faire de la communication un objet qui a de la valeur pour le consommateur et lui apporte un bénéfice direct de nature divertissante, informative ou pratique. Pour Christophe Coffre toujours, « Il faut qu’il y ait une forme de générosité des marques envers les gens. Elles doivent offrir des choses ». Le contenu de marque est intéressant avant d’être intéressé, c’est-à-dire que l’intérêt du consommateur passe avant l’intérêt de la marque. A la différence de la publicité, le brand content n’est pas une démarche de persuasion immédiate. Le contenu de marque participe au rayonnement social et culturel de la marque, dont l’achat n’est qu’une retombée. Dans un contexte de surabondance de contenus gratuits, le rapport qualité/temps devient un indicateur clé. Tout l’enjeu est de toucher le consommateur au moment où il est disponible en lui proposant un contenu auquel il sera réceptif. Il s’agit donc de mettre à disposition le contenu adapté au moment adéquat, pour gagner la bataille de l’attention.                                                                                                                 28 IPSOS, « Trend Observer : la vague et la digue », 2015, www.ipsos.fr
  • 29.       29 L’évaluation du brand content ne peut se réduire à une mesure d’impact sur l’image et les ventes. Performance éditoriale, nombre de vues, taux de partage… les paramètres sont nombreux et l’efficacité du brand content s’évalue dans le temps. Thibaut Clément affirme : « Si le brand content ne constitue pas nécessairement un outil de vente, ni un levier de ROI à court terme il permet à la marque de se constituer un actif marketing, sur lequel capitaliser à long terme ». Le contenu pose donc la question de sa finalité pour la marque. Est-ce que l’on crée du contenu pour optimiser le capital sympathie et favoriser la présence de la marque à l’esprit en situation d’achat ou est-ce que le contenu est une fin en soi ? Est-ce que la relation culturelle est un moyen dont la finalité reste économique, ou est-ce que la finalité économique participe d’une quête plus globale de lien et de sens ? Le prisme de la rationalité économique tend à faire oublier que le rôle d'une marque va bien au-delà du chiffre d'affaires et des ventes. La pérennité d'une marque tient en effet à sa capacité à exister sur un plan social et culturel et à offrir du sens et du lien. L’avènement de la brand Culture4.2 Concept récent, la brand culture est selon Daniel Bô « La façon qu’a la marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens : elle puise dans son environnement culturel et elle produit elle-même des effets culturels, fait évoluer les modes de vie et crée les tendances de demain ».29 Penser en terme de culture amène à envisager la marque comme une entité vivante, évolutive, construite par strates, en permanente interaction avec son environnement. Aujourd’hui la notion d’ADN de marque est réductrice et ne suffit plus à comprendre la marque dans sa globalité. L’ADN est garant d’une certaine unité, mais propose un modèle figé de la marque. La Brand Culture, au contraire, rend compte de la réalité d’une marque vivante.                                                                                                                 29 HEURTEBISE, Catherine, « La Brand Culture, la stratégie de gestion des marques », in e- marketing.fr, 2 avril 2013
  • 30.       30 La brand culture est une approche multidimensionnelle de la marque qui prend en compte l’expérience de marque et l’ensemble de ses canaux d’expression : publicité, produit et packaging, brand content, lieux de vente, interfaces digitales, événements, expériences sensorielles… Elle permet de donner un sens et un rôle à une activité commerciale et légitimer ainsi sa raison d’être auprès des consommateurs. Le développement de la dimension culturelle des marques résulte d’une prise de conscience : aujourd’hui la production de sens devient aussi importante que la production de biens. Dans ce contexte, les marques doivent donc trouver leur place dans la construction identitaire des individus. En proposant un modèle culturel propre avec lequel le consommateur va interagir, la marque participe à la « réalisation de soi » et répond à un besoin d’accomplissement personnel, dernier étage de la pyramide de Maslow qui permet à l’individu de développer ses valeurs et ses connaissances. 30 Voir schéma 2 : La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow 31 En prenant part à la constitution identitaire de l’individu, la marque crée avec lui un lien plus essentiel et authentique : on est dans l’être et plus dans l’avoir. La brand culture propose des modèles identitaires, sociétaux et culturels. Théorie et performation de la marque.4.3 Quelle est aujourd’hui la relation qui unit la marque, entité culturelle chargée de sens, au consommateur ? Pour Daniel Bô, « C’est en voyant le spectacle d’une culture forte, dynamique et créatrice d’expériences riches de sens, que des consommateurs et des publics variés peuvent avoir l’envie de s’y intéresser, de s’en approcher et finalement d’y investir »32 . La réflexion qui suit puise dans les travaux du publicitaire Daniel Bô, notamment présentés dans son ouvrage Brand Culture, développer le potentiel culturel des marques.                                                                                                                 30 « La Brand Culture, le nouvel Eldorado des marques », in Disko, 6 février 2015 31 Cf. annexe 5, schéma La hiérarchie des besoins selon la pyramide de Maslow 32 BÔ, Daniel, Brand Culture : Développer le potentiel culturel des marques, Paris, 2013, Dunod, 2013, p.111, 173 pages.
  • 31.       31 L’être humain, par nature, cherche à donner du sens à ses actions et exprimer qui il est à travers ses choix. Dans la société capitaliste actuelle, le consommateur affirme son identité sociale à travers ses actes d’achat et ses choix marchands. Pour comprendre comment les marques participent de la création identitaire et sociale des individus, il faut s’intéresser à la notion de performativité. Cette notion trouve son origine dans la théorie des actes de langage performatifs, développée en 1955 par le philosophe John Austin dans son ouvrage Quand dire, c’est faire. C’est lui qui emploi le terme « performatif » pour la première fois, forgé à partir du verbe « to perform » qui a le double sens de jouer et d’accomplir. Austin soutient l’idée que le langage ne sert pas seulement à décrire la réalité du monde environnant, mais aussi à créer une certaine réalité sociale. Pour lui, un énoncé est performatif car il produit une action. Exemple : « je vous déclare mari et femme ». Le sémiologue John Searl reprend la théorie d’Austin pour l’appliquer aux actes sociaux. Dans La construction de la réalité sociale paru en 1995, il affirme que les actes de langage fabriquent les réalités sociales – à distinguer des réalités naturelles – sur lesquelles reposent des institutions et des conventions. Pour lui, les constructions de la vie sociale se réalisent à travers des activités performatives fondamentales. Toute réalité sociale repose sur des actes performatifs et des croyances partagées. Enfin, la sociologue féministe Judith Butler prolonge la vision de Searl et s’appuie sur sa théorie pour expliquer la construction du genre et de l’identité sexuée des individus. Dans Gender Trouble, elle adopte une position extrême en affirmant que l’identité sexuelle est une construction performative : au-delà des différences biologiques naturelles, l’identité du genre serait une construction sociale dans un but de reconnaissance des pairs. Daniel Bô étend ces concepts pour les appliquer à la relation marque- consommateur. Il considère que c’est l’identité sociale toute entière des individus qui se construit par la performativité, y compris le rapport aux marques. Chaque individu joue un rôle et performe les modèles sociaux auxquels il veut être identifié. Ainsi, un consommateur performe une marque parce qu’il la fait exister à travers ses actes. Il
  • 32.       32 la vit, se l’approprie, adopte des attitudes, se conforme au modèle social et à la culture de la marque. En ce sens, la performativité est l’acte culturel fondamental du consommateur. Les identités individuelles sont le fruit d’une constellation d’éléments divers. Avec le déclin des idéologies fondatrices, le recul des cultes et des pratiques religieuses33 et la perte des repères familiaux, les marques ont de plus en plus de poids dans la construction des individus. La marque devient pour l’individu un élément identitaire. Dès lors, la marque a un rôle stratégique à jouer : elle ne peut exister de manière forte que si elle est capable de proposer des modèles de performation à l’individu. Les marques doivent véhiculer une expérience, une culture, à laquelle l’individu pourra adhérer et qu’il pourra s’approprier pour la performer. Il existe de nombreuses façons pour un individu de performer une marque. Dans son étude Évaluer l’engagement ou plutôt la performativité avec la brand culture34 , Daniel Bô propose un mapping qui illustre les différents actes performatifs du consommateur. Voir schéma 2 : La matrice de performation de la marque 35 La théorie performative de la marque est holistique. Elle considère tous les leviers de la relation à la marque et évite la tendance à dissocier les différents canaux de communication pour proposer un approche globale et intégrée. Elle tient compte à la fois de la valeur d’usage, de la valeur de signe, du vécu individuel et du vécu social. Il existe différents degrés de performation, du simple amateur à l'initié qui se fait le porte-parole de la marque autour de lui. Le client consomme la marque et la performe de façon inconsciente, l’adepte s’identifie au modèle culturel représenté par la marque et l’ambassadeur en fait la promotion auprès de son entourage. Lorsqu’il met en œuvre des modèles de comportements associés à une marque, le consommateur, qu’il en soit conscient ou non, la fait rayonner et devient un porte- parole. D’où l’importance pour les marques de se projeter plus loin que la simple consommation de leurs produits. Tout l’enjeu pour une marque est d’amener le                                                                                                                 33 « Les pratiques religieuses en France », in La Documentation Française, 14 février 2009 34 QuantiQuali, « Évaluer l’engagement ou plutôt la performativité avec la brand culure », 2015, www.slideshare.net/qualiquanti 35 Cf. annexe 6, schéma La matrice de performation de la marque
  • 33.       33 consommateur à transformer son expérience individuelle en expérience sociale et faire du client un ambassadeur. Voir schéma 3 : Les différents degrés de performation de la marque 36 Par essence limitative et restrictive, la loi Évin interdit de communiquer sur un quelconque bénéfice produit. Les allusions aux effets de l’alcool sont totalement proscrites, tout comme l’évocation d’un contexte festif. L’évocation du plaisir ou de la socialité comme résultante de la consommation d’alcool sont aussi à bannir. Au regard de la loi, la communication des marques d’alcool est limitée à une information objective, non laudative et non emphatique. Tout discours incitatif est interdit, aucune promotion directe n’est autorisée. Face à l’impossibilité de vanter les mérites de leurs produits, comment les marques d’alcool parviennent-elles à développer une relation performative avec leurs consommateurs ? La limitation du discours publicitaire à un discours informatif sur le produit a forcé les marques d’alcool à se mettre « en quête de solutions créatives qui respectent la lettre de la loi ». La prohibition a donc engendré une grande fertilité et les marques d’alcool ont développé une communication singulière, qui en fait une catégorie à part dans le monde du marketing et de la communication.                                                                                                                 36 Cf. annexe 7, schéma Les différents degrés de performation de la marque
  • 34.       34 PARTIE 2 L’EXPÉRIENCE, APPROCHE PRATIQUE ET ANALYTIQUE
  • 35.       35 1 L’EXPRESSION ÉDITORIALE DE LA BRAND CULUTRE 1.1 Marque alibi et transfert des valeurs vers la marque commerciale Pour être libres d’investir tous les terrains d’expression possibles de leur brand culture, les marques d’alcool ont appris à s’accommoder de la loi Évin en créant de nouvelles marques alibi. Il s’agit de marques déposées, détenues et exploitées par un distributeur de boissons alcoolisées, qui permettent de passer au travers de la juridiction pour s’affranchir du carcan imposé par la loi Évin. Le nom, le graphisme choisi pour le logo et les éléments distinctifs rappellent les codes identitaires de la marque, sans la citer directement. « Toute la subtilité de ce genre de communication réside dans le fait que le lien doit toujours se faire dans l’esprit des consommateurs entre la marque alibi et la marque-mère d’alcool. » 37 Ces marques alibi offrent une liberté totale aux distributeurs de boissons alcoolisées puisqu’elles ne communiquent pas en tant que « marque d’alcool ». Destinées aux opérations spéciales, ces marques alibi disposent d’un site web dédié et sont présentes sur les réseaux sociaux. Elles organisent des événements, proposent des jeux concours, créent du contenu, publient des articles, etc. Avec la marque alibi se pose la question du transfert des valeurs du contenu vers la marque : quel est le niveau d’attribution et la visibilité de la marque dans le contenu ? Quel est le niveau d’affinité entre la marque et le contenu ? Il est nécessaire pour une marque alibi de permettre au public d’identifier rapidement la nature et le statut de l’émetteur, tout en restant suffisamment discrète pour ne pas être perçue du consommateur comme une action promotionnelle. La marque ne doit être ni trop visible, ni trop peu. En réalité le mode de présence de la marque est d’abord lié à la démarche stratégique : plus qu’un problème de dosage, la visibilité est un problème de hiérarchie du sens. Dans le contenu de marque, tout est subordonné à l’exigence de                                                                                                                 37 « Comment être créatif tout en respectant la loi Évin », in tequilarapidoblog, 1 e juin 2015
  • 36.       36 qualité éditoriale. La visibilité doit-être considérée comme un élément parmi d’autre au service du brand content. L’essentiel est donc de savoir si le niveau de visibilité est en adéquation avec la stratégie adoptée et si il sert le contenu, ou pas. 1.2 Le brand content au service de la culture de marque Le brand content est un moyen au service de la construction d’une culture de marque forte, différenciante et riche de sens pour le consommateur. C’est l’expression éditoriale de la brand culture. « Le fait de créer du contenu est un moyen utilisé par les marques pour développer des relations privilégiées avec les consommateurs, pour assurer leur visibilité sur le web, pour expliquer leur raison d'être. La brand culture, c'est le résultat : un univers culturel riche de sens. » (Daniel Bô) 32 Le brand content est donc l’un des canaux d’expression de la brand culture, parmi toutes les autres manifestations de la marque : logo, nom, produits, publicité, lieux de vente, bâtiments, collaborateurs, histoire, fondateur, gestes, machines, pratiques, idéologies. Pour développer une relation performative avec leurs consommateurs, les marques d’alcools sont de plus en plus amenées à envisager leur communication à travers le prisme du contenu. Plus que dans d’autres secteurs, il est aujourd’hui essentiel pour une marque d’alcool d’émerger parmi ses concurrents à travers une culture forte et des valeurs propres. La loi Evin a eu comme effet premier d’homogénéiser les messages et les territoires de marques et il s’agit maintenant de recréer des univers de marques cohérents et différenciants, unifiés face à la multiplication croissante des points de contact avec les consommateurs. Le brand content désigne le fait qu’une marque devienne éditrice de contenu, et crée son propre écosystème médiatique. Ce concept se différencie du branded content, qui consiste en un contenu simplement « sponsorisé » et financé par la marque, non initié ni produit par la marque.
  • 37.       37 Quand une marque a pleinement investi le statut d’éditeur au point de proposer une offre de contenus suffisamment riche pour exister de façon autonome comme un produit à part entière, on parle de marque média. Green Room Session, précurseur du genre, est la parfaite illustration de la marque devenue média. 1.3 Analyse comparée : Heineken et Kronenbourg 1.3.1 Greenroom Session, la marque média accomplie Depuis 2009, Heineken alimente la Greenroom Session, une plateforme en ligne consacrée à la musique et plus largement au clubbing et au lifestyle. Dans les mentions légales du site Internet, on peut lire : « Le Site a été développé pour donner accès aux internautes à un espace d’informations et d’échange relatif à la musique, aux soirées, événements, festivals, organisés dans l’univers de la musique, à Paris et en province ». 38 L’ambition est claire : offrir au public de nouvelles expériences et un contenu de qualité, de quoi combler les fans de musique. « Notre ambition était de nous faire une place parmi les différents médias défricheurs de la scène musicale actuelle, en l’appréhendant à notre manière ».39 Lives, interviews, enquêtes sur les différents mouvements qui l’animent… Le terrain d’expression premier de Greenroom est la musique, avec comme vocation d’informer autant que d’offrir des expériences inédites à ses lecteurs, lors de concerts, soirées et festivals. Le site internet www.greeenroom.fr propose des contenus inédits aussi riches que variés, allant de l’actualité à l’information en profondeur. Ces contenus sont relayés via les différents réseaux sociaux de la marque : Facebook, Twitter, Instagram… Une stratégie digitale multicanale avec une puissante force de frappe, comme en témoignent les 180 000 « fans » de la page Facebook. Le fort niveau d’engagement de la communauté se manifeste par un important taux de « likes », commentaires, « partages » et « retweets » constaté sur les réseaux sociaux. Anthony Audebert, responsable du marketing digital chez Barclay, commente : « En                                                                                                                 38 « Mentions légales », www.greenroom.fr 39 « About us », www.greenroom.fr
  • 38.       38 à peine trois ans, Green Room est déjà identifié comme la branche musique d’Heineken, avec la couleur verte et la petite étoile rouge de la marque. En s’étant spécialisée, elle occupe tout l’espace: dès qu’il y a un plateau électro, il y a Green Room »40 En 2013, dans le cadre de l'évènement PARIS 2.0 "60 campagnes de branded entertainment présentées par les annonceurs et leurs partenaires", Hyperworld Marketing et Ebuzzing ont réalisé une étude sur 14 campagnes de brand entertainment françaises auprès de 300 consommateurs.41 L'objectif de cette étude était d'évaluer, au delà du nombre de contacts et d'interactions, leur impact sur les consommateurs au travers de 5 indicateurs d'efficacité: le souvenir, l'intérêt, la proximité à la marque, l'incitation, et la recommandation. Parmi les 14 campagnes présentées, la vidéo report du partenariat Greenroom avec le festival Calvi on the Rocks en 2013. Sur des indicateurs indexés de 1 à 100, la vidéo obtient un score d’image de 73 et un score d’intérêt de 57, qui la placent respectivement en 2e et 3e position du classement. À la question « Recommanderiez-vous la marque à votre entourage », le score de recommandation est de 55, juste après Orangina et Oasis. Cette étude témoigne de l’incontestable puissace de la marque Greenroom, à travers laquelle Heineken véhicule sa culture de marque. Comment expliquer aujourd’hui l’impact du dispositif Greenroom ? Il convient d’analyser de plus près la culture de marque véhiculée à travers cette stratégie de contenu pour répondre à cette question. « La volonté de dépasser nos limites et d’amener à nos lecteurs de l’inspiration pour embellir leur quotidien est le seul moteur qui nous guide ». 34 En évoquant l’inspiration ou l’embellissement du quotidien de ses lecteurs, Greenroom s’inscrit dans leur recherche d’accomplissement personnel pour répondre au besoin de « réalisation de soi ». La marque se positionne comme l’allié du consommateur et adopte un ton complice qui induit une forme de proximité : « Avides de découvertes                                                                                                                 40 CARTON, Mathilde, « Avec Kronenbourg ou Heinekein, la musique, elle, se consomme sans modération », in Slate, 20 novembre 2013 41 HYPERWOLRD MARKETING, « 14 campagnes de brand entertainment françaises », 2014, www.hyperworld.fr    
  • 39.       39 stimulantes, le conformisme et la routine vous assomment ? Vous avez frappé à la bonne porte : nous mettons à votre service notre curiosité pour suivre les tendances sans les subir, se les approprier et s’en inspirer au quotidien ».34 Ainsi, Greenroom cherche à trouver sa place dans la construction identitaire du consommateur, en proposant son modèle culturel propre : « Nous restons très attachés à la musique qui est le ciment de l’identité Greenroom. Elle nous a en effet amenés à nous immerger dans les univers du design, du street art, des technologies, du fooding et de la mode, autant d’univers nourris de musique qui rendent notre vie quotidienne excitante et qui ont leur place sur greenroom.fr ».34 Julien Catala, directeur de l’agence Super!, commente :« L’initiative Green Room, c’est une très bonne façon de parler de la marque: c’est un bon moyen de soutenir la créativité, et la marque devient “cool” par association.» 35 La force de frappe de cette marque média repose tant sur sa forte dimension aspirationnelle que sur la richesse de son contenu. Pour autant, le succès de Greenroom est indissociable de l’implication de sa communauté, qui lui confère aujourd’hui tout son rayonnement. À travers sa stratégie de contenu, Greenroom est parvenu à faire de son client, ou plutôt de son lecteur, un ambassadeur. Daniel Bô et Matthieu Guével proposent une représentation schématique de l’échelle de valeur du contenu éditorial. Si l’on s’en tient à cette « pyramide », on peut affirmer que Greenroom a atteint le stade ultime ; celui de marque média au positionnement éditorial différrenciant et pérenne qui propose une approche stratégique du contenu. 1.3.2 Pression Live, une approche tactique du contenu Le brasseur français Kronenbourg a lui aussi développé une stratégie de contenu avec sa marque alibi Pression live. Pour autant, en se basant sur cette même échelle de valeur du contenu éditorial, on ne peut qualifier ce dispositif de véritable marque média. La marque Pression Live propose une approche plus tactique du contenu, qui s’inscrit dans le cadre d’une opération précise. En l’occurrence, la promotion de son important dispositif de sponsoring événementiel.
  • 40.       40 Les brasseries Kronenbourg sont partenaires de 70% des plus gros festivals en France. La situation financière des festivals est loin d’être évidente et Kronenbourg soutient ces événements dont il est partenaire et sur lesquels il est, bien évidemment, le seul distributeur de bière. La marque alibi Pression Live lui permet de développer des activations de marque in-situ et de communiquer sur ces partenariats. Guillaume Barat, responsable de la communication et de l’activation sur la marque Kronenbourg, commente : « Cette marque a vocation à promouvoir des événements sur lesquelles nos marques commerciales sont vendues, et de mettre en relation un public qui aime la musique avec des groupes de musique. » 42 D’un côté, il y a donc la marque commerciale Kronenbourg qui communique dans un cadre très défini et de l’autre la marque communautaire Pression Live, dédiée aux événements culturels mais complètement dissociée de l’activité commerciale, comme pour s’affranchir du rapport marchand auprès des consommateurs : « La marque Pression Live est faite pour soutenir la musique et pour soutenir des événements avec lesquels on a un partenariat. Il n’y a pas du tout de vocation mercantile derrière tout ça. » 36 Dans cette optique, Pression Live propose chaque année des jeux-concours pour offrir au public l’accès aux concerts et festivals. Depuis 2013, des concours de jeunes talents sont organisés sous la marque alibi pour donner la possibilité à de jeunes groupes d’accéder à des scènes prestigieuses, les « scènes lives » présentes dans les festivals dont Kronenbourg est partenaire. Une stratégie similaire à celle de Heineken et des scènes Greenroom Session, à la différence que Greenroom fait vivre indépendamment sa marque éditoriale et le contenu diffusé de ses activations événementielles. En ce sens, le contenu proposé par Pression Live répond à un objectif précis et s’inscrit dans le cadre de la promotion des partenariats événementiels de la marque Kronenbourg. Le contenu est utilisé comme un moyen et non comme une fin en soi, en témoigne l’analyse de la stratégie digitale de ce dispositif.                                                                                                                 42 STISI, Bastien, « Kronenbourg et Pression Live : deux marques complétement dissociées », in Toute La Culture, 28 février 2014.
  • 41.       41 Ce dispositif, Christophe Colinet, Chargé de Communication pour Kronenbourg, le décrit comme « une plateforme digitale d’information sur les artistes, où on retransmet de la musique live ».43 Une activité médiatique qui consiste à proposer des interviews, des chroniques, des contenus exclusifs, des playlists et même des jeux-concours pour gagner goodies et places de concert. Pression Live dispose d’un site Internet dédié www.pressionlive.fr qui centralise tous les contenus, relayés ensuite sur les réseaux sociaux. Dans la section « à propos » de ce site Internet, on peut lire « Pression Live est la communauté de toutes les formes de Rock, et surtout de toutes les occasions d’écouter les meilleurs groupes en Live ». 44 La stratégie ? Partager cet « esprit rock » à travers la promotion d’événements dont le public est proche de l’ADN de marque Kronenbourg et donc susceptible de devenir un futur consommateur. La fréquence comme la nature des publications sur les différents réseaux Pression Live montre bien que cet écosystème digital n’a pour seul objectif que d’offrir une visibilité aux actions promotionnelles de la marque Kronenbourg, « Véritable acteur de la musique et toujours partenaire des grands festivals nationaux ».45 Derrière Pression Live, aucune ligne éditoriale claire ni stratégie de contenu définie, comme en témoigne la vacuité des articles publiés : il ne s’agit pas d’un média, mais d’une simple vitrine. Flavia, 21 ans, rejette l’expérience Pression live : « C’est que de la pub. Sur la page Facebook de Pression Live, il y a plein de références à Kronenbourg. On nous manipule, même si en contre-partie on assiste à un concert gratuitement.» 35 « Inscrivez-vous à nos différents espaces sociaux pour être au Top de l’actualité Rock ! »39 : pas très engageant. Si la page Facebook de Pression Live compte plus de 140 000 « fans », on ne peut pas pour autant parler de communauté. Peu d’interaction, faible taux d’engagement, mauvais référencement… Et pour cause : une stratégie social média peu engageante, l’absence d’une ligne éditoriale claire, et plus globalement, une culture de marque peu valorisée.                                                                                                                 43 CARTON, Mathilde, « Avec Kronenbourg ou Heinekein, la musique, elle, se consomme sans modération », in Slate, 20 novembre 2013 44 « À propos », www.pressionlive.fr 45 Brasseries Kronenbourg, « Une année 100% live », dossier de presse, janvier 2013
  • 42.       42 Le contenu lié au produit est éphémère tandis que le contenu lié à la culture de la marque s’inscrit dans la durée. C’est ce qui fait toute la différence entre les stratégies développées par Heineken et par Kronenbourg. D’un côté, un contenu qui fait la promotion d’une culture de marque singulière et de l’autre, un contenu peu valorisant, centré sur la promotion d’une activité mercantile. 1.4 Le contenu, objet de valeur en soi Le contenu autour du produit, bien que très en vogue, possède de vraies limites qui laissent peu d’opportunités de développement. C’est là que la créativité des marques d’alcools est fortement mise à l’épreuve car l’éditorialisation des contenus et le décloisonnement des valeurs de marque supposent d’avoir réussi à asseoir un modèle culturel fort et lisible, à l’image de Heineken. Pour Christophe Coffre, « Aujourd’hui, le contenu c’est aller chercher les gens là où ils ne nous attendent pas sur une dimension très émotionnelle et sensible ».46 L’essence du contenu de marque est d’être intéressant avant d’être intéressé, c’est-à-dire dépasser la relation commerciale pour se mettre à l’écoute des attentes des consommateurs. Le contenu doit être valorisé comme un objet de valeur en soi qui selon sa nature répond à différentes attentes consommateur 47 : distraire et divertir (contenu ludique valorisé pour son pouvoir divertissant, qui joue sur l’émotion et le capital sympathie) ; informer ou apprendre (contenu informatif valorisé pour son intérêt et son apport, qui joue sur l’expertise et l’appropriation d’un territoire) ; rendre service (contenu pratique valorisé pour sa valeur d’usage, qui joue sur la générosité et la proximité). Pour Daniel Bô, le brand content sert donc quatre grands objectifs de communication éditoriale. D’une part, des objectifs qualitatifs et symboliques : défendre et illustrer la marque ; enrichir et renforcer la relation client. D’autre part, des objectifs quantitatifs et chiffrés : accroître sa visibilité et sa notoriété ; augmenter                                                                                                                 46 ROOSEN, Mélanie, « Havas, quand une agence crée un vrai contenu », in LADN, 17 juillet 2015 47 BÔ, Daniel, Brand Content : Comment les marques se transforment en médias, Paris, 2013, Dunod, 2009, p.96, 198 pages.
  • 43.       43 les ventes. Il affirme : « Atteindre les objectifs fixés oblige les marques à respecter certaines conditions de réussite dans la conception et l’orchestration d’une communication de contenu ». Selon Daniel Bô toujours, il existe donc 4 conditions de réussite : proposer un contenu de qualité ; assurer la promotion et la visibilité du contenu ; adapter l’effort exigé au bénéfice promis ; veiller au transfert des valeurs du contenu vers la marque. Gaël Solignac, Directeur de l’agence Sixtizen, affirme: « Si le brand content cherche à créer un haut niveau d’engagement dans une expérience, il trouve son aboutissement logique dans une expérience physique. On peut aujourd’hui combiner les avantages du live et du digital : il faut des actions terrain pour créer un contact réel intime, donner corps au territoire de la marque, et jouer sur la complémentarité du web pour mobiliser la communauté et engager une relation pérenne ».48                                                                                                                 48 BÔ, Daniel, Brand Content : Comment les marques se transforment en médias, Paris, 2013, Dunod, 2009, p.122, 198 pages.
  • 44.       44 2 L’EXPRESSION IMMERSIVE DE LA BRAND CULTURE 2.1 La brand expérience au service de la culture de marque Les valeurs de la marque doivent dépasser le discours pour se matérialiser dans une expérience de marque. Cette expérience de marque, ou brand experience, c’est en premier lieu une expérience de consommation, c’est-à-dire l’interaction du consommateur avec le produit et la marque. Mais la consommation ne se limite pas à l’achat car le consommateur est aussi à la recherche de sens. Cette expérience de marque ne peut être abordée littéralement par les marques d’alcool dans leur discours publicitaire, car la loi Évin leur interdit de communiquer sur un quelconque bénéfice produit. L’évocation de la fête, du plaisir ou de la socialité comme résultante de la consommation d’alcool est totalement proscrite ainsi que toute représentation de consommateurs. L’ARPP affirme que « la publicité peut mettre en évidence les conditions optimales de dégustation ou de service du produit, les associations culinaires possibles ou souhaitables. En revanche, elle s’interdit la représentation de consommateurs »49 . Dans ces conditions, il devient difficile de mettre en scène une expérience de consommation. Pascal Beucler, qui s’est beaucoup intéressé à la loi Évin et la représentation des boissons alcoolisées, a identifié deux problématiques majeurs : « Comment investir désormais la notion de désir, culturellement inséparable du « faire » et de « l’être » liés à l’ingestion du contenu de la bouteille ? Comment évoquer la consommation sans consommateurs identifiables, sans cadre spatio- temporel, sans promesse d’échange, sans incitation ? ». Si les marques d’alcool sont autorisées à faire la promotion des « conditions optimales de dégustation ou de service du produit », cela signifie qu’elles peuvent communiquer librement sur leur mode de consommation. Pour autant, le mode de consommation n’est pas nécessairement synonyme d’expérience. Aujourd’hui, l’enjeu est donc de promouvoir un mode de consommation singulier et qualitatif pour l’ériger en art de vivre. Proposer aux consommateurs de vivre une expérience autour du produit ou le présenter sous un angle expérientiel permet donc aux marques de                                                                                                                 49 ARPP, « Recommandations alcool », juin 2010, www.arpp-pub.org
  • 45.       45 créer du sens et de la valeur autour de leurs produits. Cette démarche participe tant à l’enrichissement qu’au partage de leur culture. L’expérience, c’est pour le consommateur une approche plus sensible de la marque car multisensorielle. C’est ce qui fait sens et donne aux consommateurs les clés pour appréhender la marque comme modèle culturel qu’ils performent. 2.2 Erfahrung et Erlebnis : donner à voir, donner à vivre Dans son livre Philosophie de la Modernité paru en 1990, Georg Simmel propose une double définition de l’expérience qui s’appuie sur les deux traductions allemandes du terme. D’un côté, l’erfahrung, l’expérience acquise dans le temps et de l’autre l’erlebnis, l’expérience vécue sur le moment. Chaque type d’expérience renvoie à des modes de pensée et de comportement distincts. Erlebnis désigne l’expérience individuelle et personnelle qui résulte des stimulations sensorielles du monde extérieur. C’est l’expérience induite par l’exposition aux bannières web ou aux spots audio et vidéos répétitifs, contre lesquels les individus ont développé des mécanismes de défense. Erfahrung au contraire désigne l’expérience collective et partagée, qui par sa nature intégratrice rattache l’individu à une communauté d’appartenance. Elle s’oppose à Erlebnis, trop limitative et source de frustration, dans la mesure où elle propose un modèle pour créer de l’implication et de l’engagement. Erfahrung, c’est l’expérience apparentée à la performation de marque, source de socialisation et de divertissement. Les marques d’alcool proposent de plus en plus ce type d’expériences qui permettent aux consommateurs de mettre en pratique la culture de marque, de la performer. Si la culture se vit, alors il est essentiel de permettre aux consommateurs d’en faire l’expérience, d’en éprouver la profondeur et l’intensité. C’est la finalité de l’événement de marque, qui non seulement expose la culture de marque au consommateur mais aussi la lui fait vivre et se l’approprier. Faire vivre la culture de marque, c’est permettre une implication physique du consommateur, par l’intensité d’une expérience pleinement vécue.
  • 46.       46 Ainsi les alcooliers misent massivement sur l’événementiel pour déployer leur culture de marque dans toute sa dimension multisensorielle. L’événement dépasse la simple expérience de consommation pour offrir une brand experience totale : une Erfahrung. L’ADN de la marque s’exprime à travers toutes les facettes de l’événement : concept, lieu, scénographie, musique, ambiance, contenus... Il existe différents types d’activations événementielles, parmi lesquelles le sponsoring d’événements culturels tel que le dispositif Pression Live, les événements propriétaires récurrents comme les soirées OX ou encore les événements de marque à l’image du Signature Bar de Grant’s ou de l’Épicerie Ballantine’s. L’enquête préliminaire à la rédaction de ce mémoire a révélé que l’événement de marque est très plébiscité par les consommateurs. À la question « Les marques d'alcool mènent différentes formes d'opérations. Lesquelles vous semblent les plus pertinentes ? », 70% des personnes interrogées ont cité l’événement de marque parmi leurs réponses. Pour ce qui est du terrain de communication investi par les marques d’alcool, cette même enquête montre que la fête (73%), le lifestyle (59%), la mixologie (48%) et la musique (40%) sont considérés comme les plus pertinents.