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Pourquoi Renault a échoué en Inde avec la Logan?



Panne de la Logan en Inde
Mi-avril, Renault annonce qu’il revend à son partenaire indien Mahindra les 49% de la
joint-venture créée pour commercialiser la Logan en Inde. Alors que Renault tablait sur
50 000 ventes par an, 2 900 véhicules ont été vendus au premier semestre 2009, soit
trois fois moins qu’au premier semestre 2008 qui, déjà, ne cadrait pas avec les prévisions
du constructeur. La Logan, pourtant conçue pour les pays émergents, ne se vend pas en
Inde. C’est la fin d’une aventure initiée en 2005.

Trois facteurs majeurs sont généralement évoqués pour expliquer cette contre-
performance. D’abord, la conjoncture économique. Si le partenariat avec Mahindra date
de 2005, la commercialisation de la Logan a commencé en 2007, juste avant la crise de
l’automne 2008. Certes, comme partout dans le monde, l’Inde a été affectée. Mais le
marché indien de l’automobile s’en est rapidement remis avec une augmentation des
ventes de 14,8% entre avril et septembre 2009 alors même que la Logan voyait ses
ventes baisser de 68% sur la même période.

Ensuite, la Logan a fortement souffert d’une mesure fiscale prise par le
gouvernement indien en 2008. Cette nouvelle mesure pénalise les véhicules de plus de 4
m de long en les assujettissant à une taxe de 24%. La Logan, qui mesure 4,25 m, a ainsi
vu son prix exploser. Désormais trop chère pour se positionner parmi les voitures low
cost et trop petite pour prétendre rivaliser avec les véhicules d’un standing supérieur, elle
n’a plus vraiment sa place sur le marché indien.

Enfin, en janvier 2009, le groupe Tata dévoile la voiture la moins chère du monde, la
Nano (cliquez sur l’image pour l’agrandir). C’est une rupture totale. Elle est
commercialisée 2 000 dollars dans sa version de base contre 8 000 dollars pour la Logan.
Or, le marché automobile indien est à 80% constitué par des modèles compacts, un
segment en plein essor. Rappelons au passage que le prix de la Nano représente trois
fois le salaire annuel d’un employé indien de la classe moyenne. Ainsi, la Logan qui peut
paraître low cost à un Français s’apparente à une voiture de grand luxe pour un Indien.

Quand on considère ces trois facteurs, il semble bien que la Logan n’était pas
adaptée au marché indien. L’erreur de Renault a été de croire que la Logan – dont le
succès dans nombre de pays émergents est indéniable – pouvait percer en Inde comme
ailleurs. Or, s’il y a bien une grande spécificité indienne, notamment en matière
d’automobile, elle tient à la nécessité de faire du local pour le local et non pas du global
pour le local. Autrement dit, le marché indien exige de profondément maîtriser
la culture locale.


La Logan en Inde : une aberration culturelle
Le titre de cette seconde partie peut apparaître excessif, il ne l’est pas du point de
vue indien. D’après le dictionnaire, « aberration » au sens propre et au sens
étymologique signifie « déviation, écart par rapport à la norme attendue ». La Logan
s’écartait tellement de la réalité du marché indien qu’elle en devenue étrangère. A ce
titre, nous verrons que la campagne promotionnelle qui a été conçue pour le lancement
de la Logan est tout à fait symptomatique de ce décrochage culturel.
Un retour aux sources de la Logan s’impose. Ce véhicule est construit par Dacia, une
filiale de Renault depuis 1999, à tel point que dans certains pays on parle de la Dacia
Logan et non de la Renault Logan. Dacia est une entreprise roumaine qui
traditionnellement produit des dérivés de la gamme Renault. En 2004, le constructeur
français lance la Logan avec Dacia. C’est un grand succès en Roumanie, puis dans de
nombreux pays émergents.

Pourquoi un produit qui se vend au Maroc, en Russie, en Iran ou en Colombie se vend
mal ou peu en Inde ? D’abord, on a vu que son positionnement posait problème : trop
chère pour les pauvres, pas assez luxueuse pour les riches. En outre, si elle vise les
classes moyennes, elle arrive trop en avance pour ce marché encore embryonnaire en
Inde. Ensuite, il ne faut pas négliger un important facteur esthétique : le design de la
Logan était jugé vieillot et démodé par les Indiens. La Logan n’incarnait pas la modernité.

En outre, un analyste indien, Chacko Philip, me signale qu’au début du lancement de
la Logan, il y a eu des problèmes d’adaptation au marché indien. D’une part, la voiture a
été vendue avec les contrôles pour les clignotants à gauche du volant, et non pas à
droite comme en Inde. D’autre part, le pare-brise n’était pas adapté à la conduite à
gauche. Par ailleurs, la Logan, conçue à l’origine pour les marchés de l’Europe de l’Est,
n’était pas représentative de l’image de la France auprès des Indiens. Par rapport à son
prix, les Indiens s’attendaient donc à une voiture moins rudimentaire et plus novatrice.

Or, l’Inde d’aujourd’hui veut se donner une image moderne tout en conservant ses
traditions. Aussi modeste soit-il, ou semble-t-il, un véhicule doit incarner ces deux
dimensions. Il faut reconnaître que la Logan est passée complètement à côté. En
témoigne la campagne publicitaire qui a accompagné son lancement. A vouloir être trop
moderne et trop ancrée dans la culture globale, elle s’est éloignée de la
modernité indienne et de la réalité locale.

Voici l’un des clips de cette campagne :

A tous points de vue, ce clip manque sa cible :

1. Références culturelles : le cinéma de Hollywood, mélange de James Bond et de
Mission Impossible, ne parle pas aux Indiens, fiers de leur cinéma national et de
Bollywood. En p.239 de son récent ouvrage Mainstream consacré aux industries
culturelles, Frédéric Martel rappelle que la part du cinéma indien en Inde est de 90 à
95% tandis que la part du cinéma américain en Inde tourne autour de 5%…

2. Musique et images : un rythme rapide, saccadé, tout en nervosité, un paysage de
désert, des couleurs sombres, un personnage féminin agressif. Bref, autant d’éléments
qui ne correspondent en rien à l’univers de douceur, de chorégraphies somptueuses, de
couleurs vives, d’optimisme et de spiritualité, mais aussi de modernité et de réussite
économique, qui se retrouve dans l’imaginaire indien.

3. Le message : axé essentiellement sur l’espace de l’habitacle et la taille du véhicule.
En illustrant une Logan sur la remorque d’un camion puis filant en trombe sur une
autoroute déserte, le message passe à côté de la réalité indienne où il faut circuler au
milieu d’un trafic extrêmement dense sur des routes sommaires. En outre, le clip met en
scène des moyens hyper-technologiques pour mettre en évidence un élément somme
toute sans rapport avec la technologie.

En ce sens, ce clip est une véritable aberration culturelle. Vous pouvez également vous
en rendre compte en consultant cet autre clip pour la Logan en Inde. Comparez à présent
avec le clip de Chevrolet :
Fin de la Logan en Inde ?
Face à l’accumulation de telles aberrations, Renault a donc décidé de jeter l’éponge,
non sans renoncer au marché indien. Alors que son partenariat avec Mahindra était
toujours actuel, Renault a entamé des discussions avec le constructeur Bajaj pour
développer un modèle « ultra low cost » (ULC) afin de concurrencer la Nano de Tata. Or,
Mahindra a peu apprécié cette initiative. En janvier 2008, Mahindra a annoncé qu’il se
retirait du projet de construction avec Renault d’une usine à Chennai.

Il est certain que ces tensions avec Mahindra n’ont pas arrangé les affaires de la
Logan. Quant au projet ULC, il semble prendre du retard. Un article du Figaro évoque
un « choc des cultures » entre Bajaj, constructeur de motos et de trois roues, et Renault
qui a tendance à « imposer ses méthodes carrées et ses processus de qualité ». Du coup,
la commercialisation ne semble pas envisageable avant 2013.

Or, le temps presse. Les acteurs qui se positionnent sur le marché des véhicules
compacts se multiplient: Ford, Hyundai, Honda, Toyota, sans oublier Suzuki, acteur
historique sur le marché indien. Toyota lance cette année un modèle baptisé Etios (photo
ci-contre, cliquez pour l’agrandir) conçu spécialement pour le marché indien. Ainsi,selon
Kazuo Okamoto, le vice-président de Toyota : « Ce n’est pas une copie d’un modèle
japonais ou européen. Etios est fabriqué uniquement pour les consommateurs
indiens. » La clé du marché indien reste bien le local pour le local…

Enfin, on peut s’interroger sur Mahindra et son rôle dans le partenariat avec Renault.
En effet, si Renault a commis des erreurs par méconnaissance du contexte culturel local,
pourquoi son partenaire ne l’a pas remis dans le droit chemin ? Ou bien serait-ce l’effet
de la fameuse et éternelle arrogance culturelle française? La question reste ouverte
même si l’on ne peut exclure une absence de volonté de la part de Renault d’adapter son
modèle au marché indien, notamment lorsque la norme fiscale des véhicules de plus de 4
mètres a grandement nui à sa stratégie. C’est ce que laisse entendre le patron de
Mahindra dans un entretien au journal The Australian :

« Mahindra Renault was selling 2000 Logans a month, and then the government
penalised us tax-wise over the length of the car, » Mr Mahindra told The
Australian. « Our competitor was able to do a quick trim of its design and got the car
within the new length requirements, and that gave it a 12 per cent cost benefit. We
couldn’t do the lobotomy that they could. » Renault has been reluctant to change the
Logan design for a single market.

Alors, est-ce la fin de la Logan en Inde ? Absolument pas. Mahindra a racheté les
parts de Renault et entend bien continuer la commercialisation de la Logan sous son seul
nom et son propre logo. La patron de Mahindra annonce ainsi un rebranding de la Logan
avec notamment les ajustements nécessaires pour passer sous la barre des 4 mètres de
longueur, et ce sous dix-huit mois. Et si l’accord avec Renault prévoit une exploitation de
la nouvelle Logan avec des éléments sous licence Renault, le patron de Mahindra
envisage quant à lui de produire à terme des dérivés de la Logan.

Est-ce à dire que suite à ces multiples aberrations culturelles Renault est en
train de céder son savoir-faire à un futur concurrent sur le segment de sa
Logan ?

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  • 2. Un retour aux sources de la Logan s’impose. Ce véhicule est construit par Dacia, une filiale de Renault depuis 1999, à tel point que dans certains pays on parle de la Dacia Logan et non de la Renault Logan. Dacia est une entreprise roumaine qui traditionnellement produit des dérivés de la gamme Renault. En 2004, le constructeur français lance la Logan avec Dacia. C’est un grand succès en Roumanie, puis dans de nombreux pays émergents. Pourquoi un produit qui se vend au Maroc, en Russie, en Iran ou en Colombie se vend mal ou peu en Inde ? D’abord, on a vu que son positionnement posait problème : trop chère pour les pauvres, pas assez luxueuse pour les riches. En outre, si elle vise les classes moyennes, elle arrive trop en avance pour ce marché encore embryonnaire en Inde. Ensuite, il ne faut pas négliger un important facteur esthétique : le design de la Logan était jugé vieillot et démodé par les Indiens. La Logan n’incarnait pas la modernité. En outre, un analyste indien, Chacko Philip, me signale qu’au début du lancement de la Logan, il y a eu des problèmes d’adaptation au marché indien. D’une part, la voiture a été vendue avec les contrôles pour les clignotants à gauche du volant, et non pas à droite comme en Inde. D’autre part, le pare-brise n’était pas adapté à la conduite à gauche. Par ailleurs, la Logan, conçue à l’origine pour les marchés de l’Europe de l’Est, n’était pas représentative de l’image de la France auprès des Indiens. Par rapport à son prix, les Indiens s’attendaient donc à une voiture moins rudimentaire et plus novatrice. Or, l’Inde d’aujourd’hui veut se donner une image moderne tout en conservant ses traditions. Aussi modeste soit-il, ou semble-t-il, un véhicule doit incarner ces deux dimensions. Il faut reconnaître que la Logan est passée complètement à côté. En témoigne la campagne publicitaire qui a accompagné son lancement. A vouloir être trop moderne et trop ancrée dans la culture globale, elle s’est éloignée de la modernité indienne et de la réalité locale. Voici l’un des clips de cette campagne : A tous points de vue, ce clip manque sa cible : 1. Références culturelles : le cinéma de Hollywood, mélange de James Bond et de Mission Impossible, ne parle pas aux Indiens, fiers de leur cinéma national et de Bollywood. En p.239 de son récent ouvrage Mainstream consacré aux industries culturelles, Frédéric Martel rappelle que la part du cinéma indien en Inde est de 90 à 95% tandis que la part du cinéma américain en Inde tourne autour de 5%… 2. Musique et images : un rythme rapide, saccadé, tout en nervosité, un paysage de désert, des couleurs sombres, un personnage féminin agressif. Bref, autant d’éléments qui ne correspondent en rien à l’univers de douceur, de chorégraphies somptueuses, de couleurs vives, d’optimisme et de spiritualité, mais aussi de modernité et de réussite économique, qui se retrouve dans l’imaginaire indien. 3. Le message : axé essentiellement sur l’espace de l’habitacle et la taille du véhicule. En illustrant une Logan sur la remorque d’un camion puis filant en trombe sur une autoroute déserte, le message passe à côté de la réalité indienne où il faut circuler au milieu d’un trafic extrêmement dense sur des routes sommaires. En outre, le clip met en scène des moyens hyper-technologiques pour mettre en évidence un élément somme toute sans rapport avec la technologie. En ce sens, ce clip est une véritable aberration culturelle. Vous pouvez également vous en rendre compte en consultant cet autre clip pour la Logan en Inde. Comparez à présent avec le clip de Chevrolet :
  • 3. Fin de la Logan en Inde ? Face à l’accumulation de telles aberrations, Renault a donc décidé de jeter l’éponge, non sans renoncer au marché indien. Alors que son partenariat avec Mahindra était toujours actuel, Renault a entamé des discussions avec le constructeur Bajaj pour développer un modèle « ultra low cost » (ULC) afin de concurrencer la Nano de Tata. Or, Mahindra a peu apprécié cette initiative. En janvier 2008, Mahindra a annoncé qu’il se retirait du projet de construction avec Renault d’une usine à Chennai. Il est certain que ces tensions avec Mahindra n’ont pas arrangé les affaires de la Logan. Quant au projet ULC, il semble prendre du retard. Un article du Figaro évoque un « choc des cultures » entre Bajaj, constructeur de motos et de trois roues, et Renault qui a tendance à « imposer ses méthodes carrées et ses processus de qualité ». Du coup, la commercialisation ne semble pas envisageable avant 2013. Or, le temps presse. Les acteurs qui se positionnent sur le marché des véhicules compacts se multiplient: Ford, Hyundai, Honda, Toyota, sans oublier Suzuki, acteur historique sur le marché indien. Toyota lance cette année un modèle baptisé Etios (photo ci-contre, cliquez pour l’agrandir) conçu spécialement pour le marché indien. Ainsi,selon Kazuo Okamoto, le vice-président de Toyota : « Ce n’est pas une copie d’un modèle japonais ou européen. Etios est fabriqué uniquement pour les consommateurs indiens. » La clé du marché indien reste bien le local pour le local… Enfin, on peut s’interroger sur Mahindra et son rôle dans le partenariat avec Renault. En effet, si Renault a commis des erreurs par méconnaissance du contexte culturel local, pourquoi son partenaire ne l’a pas remis dans le droit chemin ? Ou bien serait-ce l’effet de la fameuse et éternelle arrogance culturelle française? La question reste ouverte même si l’on ne peut exclure une absence de volonté de la part de Renault d’adapter son modèle au marché indien, notamment lorsque la norme fiscale des véhicules de plus de 4 mètres a grandement nui à sa stratégie. C’est ce que laisse entendre le patron de Mahindra dans un entretien au journal The Australian : « Mahindra Renault was selling 2000 Logans a month, and then the government penalised us tax-wise over the length of the car, » Mr Mahindra told The Australian. « Our competitor was able to do a quick trim of its design and got the car within the new length requirements, and that gave it a 12 per cent cost benefit. We couldn’t do the lobotomy that they could. » Renault has been reluctant to change the Logan design for a single market. Alors, est-ce la fin de la Logan en Inde ? Absolument pas. Mahindra a racheté les parts de Renault et entend bien continuer la commercialisation de la Logan sous son seul nom et son propre logo. La patron de Mahindra annonce ainsi un rebranding de la Logan avec notamment les ajustements nécessaires pour passer sous la barre des 4 mètres de longueur, et ce sous dix-huit mois. Et si l’accord avec Renault prévoit une exploitation de la nouvelle Logan avec des éléments sous licence Renault, le patron de Mahindra envisage quant à lui de produire à terme des dérivés de la Logan. Est-ce à dire que suite à ces multiples aberrations culturelles Renault est en train de céder son savoir-faire à un futur concurrent sur le segment de sa Logan ?