Louis Pergaud, document réalisé par Jacques Fournier
1. Il y a 100 ans disparaissait…
LOUIS PERGAUD
1882-1915
2. 22 JANVIER 1882 – FEVRIER1889
NAISSANCE ET ENFANCE A BELMONT (DOUBS)
En1879, Elie Pergaud, instituteur àBelmontdepuis 1877, épouse Noémie
Colette,fille de fermiers dans la même commune. Leur premier enfant, Pierre
Amédée, naît en août 1880, mais décède 5 octobre suivant. Le22 janvier 1882,
naîtLouis Emile Vincent. Le18 octobre 1883, naît Lucien Amédée.Pour Louis et son
frère, ce sera pendant ces années, la découverte des bois, des étangs, des bêtes,
des prés.
BELMONT(Doubs) de nos jours,
village natal de Louis Pergaud
3. Instituteur de la nouvelle École
Laïque (instituée par les lois Jules
Ferry de 1881, 1882 et 1883), Elie
Pergaud s’oppose à la population
catholique locale. En février 1889, il
est muté àNans-sous-Sainte-Anne.
À 7 ans, Louis doit quitter son village
natal et s’éloigner de ses grands-
parents. C’est un arrachement.
Malgré tout, la famille s’adapte. le
père passe ses temps libres à la
chasse avec de nouveaux amis.Avec
ses nouveaux camarades, dont
Eugène Chatot,Louis participe aux
combats joyeux et endiablés contre
les enfants deMontmahoux, le
village voisin. Louis gardera tout cela
en souvenir pour plus tard...
FEVRIER 1889 – FEVRIER 1891ÀNANS SAINTE ANNE (JURA)
4. La source du Lison
Le Creux Billard
Mais le mal du pays demeure. Elie
demande sa mutation pour sa région
natale. Il bénéficie de bons appuis, car
il a activement participé aux
recherches de la fille d’un inspecteur
de l’Université, noyée dans le Creux
Billard, à la source du Lison.
5. FEVRIER 1891 – SEPTEMBRE 1894 / A GUYANS VENNES (DOUBS)
Le 5 février 1891, Elie Pergaud est nommé à Guyans-Vennes. Les Pergaud
accueillent la grand-mère paternelle, handicapée par des rhumatismes. Louis a 9
ans. Le retour dans une campagne familière lui ouvre de nouveaux horizons. Son
père, retrouvant ses terrains de chasse, l’emmène assez souvent dans ses courses
à travers prés et bois. Il s’imprègne de ce monde riche de sensations. À l’école,
son travail est excellent.À12 ans, il passe son certificat d’études à Orchamps-
Vennes. Il est reçu premier sur 85 candidats, avec félicitations du jury.
6. 1894-1901 /LES ÉTUDES À BESANCON
Louis doit quitter le foyer familial.Il se sépare de ses parents, mais aussi de son frère,
de ses copains de jeux. Il évite la rigueur de l’internat en logeant chez un ami de son
père, concierge de l’hôtel de Ville de Besançon, près de l’école de l’Arsenal, où il
poursuit ses études. Elie Pergaud connaît de nouveaux ennuis professionnels.En
avril1897, le Préfet le déplace à Fallerans, pauvre village dont l’école jouxte la
fromagerie. Un coup dur venant après la mort de sa mère, un mois auparavant.Mais
le travail de son fils Louis à Besançon lui apporte du bonheur : en juillet
1898,Louis,âgé de 16 ans, est reçu premier au concours d’entrée à l’École Normale.
7. Pendant 3 ans,toujours à Besançon.
Louis Pergaud apprend le métier d’enseignant
auquel son père l’a destiné.
Louis lit beaucoup, griffonne quelques
poèmes.L’enseignement est rigoureux,
exigeant. Louis entre de temps à autre en
rébellion contre une autorité qu’il juge
abusive.
8. FEVRIER-MARS1900 ORPHELIN EN UN MOIS
Son père est tombé malade en juin 1899. Pour le jour de l’an 1900, Louis
s’inquiète de l’état de santé paternel. Il note dans son carnet : "J’ai
peur". Le 20 février, Elie Pergaud meurt. Venu à Fallerans pour
l’enterrement, le jeune Louis, ébranlé par ce drame, demande au
directeur de l’École Normale de prolonger son congé pour soutenir sa
mère défaillante. Monsieur Tronchon refuse.Il rentre donc à Besançon.
Mais, le21mars, sa mère décède à son tour.
En un mois,Louis est devenu orphelin ! Traumatisé, sans ressort, il écrit :
"Je veux mourir pour rejoindre mes parents". Il se replie sur lui-même,
repousse les bras tendus de ses camarades. Sa mine devient encore plus
farouche ; les traits se durcissent. La douleur l’écrase. Il semble mûr,
adulte avant l’âge, alors que c’est seulement son adolescence qui s’est
figée sous le choc des malheurs répétés.
9. ÉTÉ 1900 LA DECOUVERTE DE LAPOÉSIEDE LEONDEBEUL
Louis et Lucien sont recueillis par un oncle de Belmont.
Été 1900. Louis accepte l’invitation d’un ami normalien, Chenevez, qui habite à
Levier.Ils vont jusqu’à Nans-sous-Sainte-Anne, pour saluer des amis de Elie, les
Philibert,qui possèdent une taillanderie. Louis y retrouve son ami Chatot qui lui fait
découvrir la poésie mélancolique du poète de Belfort,Léon Deubel. Cette poésie
correspond à l’état d’esprit du jeune homme qui vouera au poète une passion sans
limites.Il reprend goût à la vie.
NANS-SOUS-SAINTE-ANNE(Doubs)la taillanderie
Philibert(forge fabriquant des outils de coupe)
10. Léon DEUBEL(1879-1913)
La vie résonne comme un pas
Qui s’est égaré sur la route,Et
l’ombre luit comme une voûte
Dont tu ne t’échapperas pas.
11. 1901-1904 L’INSTITUTEUR / LE MARIAGE / PREMIERS POÈMES
PUBLIÉS
Le 30 juillet 1901, Louis Pergaud sort de l’École Normale 3ede sa promotion.Il est nommé
en octobre à Durnes.
Sa première année se passe bien, malgré quelques accrochages avec une partie de la
population lors d’élections municipales.
À La Barèche,il se lie à une collègue,Marthe Caffot. Il trouve auprès d’elle l’affection qui lui
manque depuis la disparition de ses parents.
DURNES et ses environs
12. En1902,Louis fait son service militaire au cours
duquel il développe un fort sentiment
antimilitariste.
Fin 1903, il épouse Marthe.
La passion de la poésie est plus forte que celle
de l’enseignement. La poésie lui prend de plus
en plus de temps.
Léon Deubel s’installe chez les Pergaud. Louis
est émerveillé par son ami poète .MaisMarthe
accepte mal la présence du poète de Belfort
qui sera un sujet de discorde entre les jeunes
mariés.
MARIE CAFFOT,première
femme de Louis
13. En avril1904, paraît le premier recueil de poésies
de Louis Pergaud : L’Aube aux éditions du
Beffroi. Léon Debeu la beaucoup contribué à
cette publication.Mais la joie de ce premier livre
est assombrie par le départ de Léon pour Paris
où il trouve un emploi dans la revue La
Rénovation est hétique d’Émile Bernard.Le16
août naît Gisèle, qui décède 3 mois plus
tard.Louis Pergaud a22 ans. Son mariage est un
échec.Il envisage le suicide.Grâce aux lettres de
Deubel, il résiste.De plus, comme son père, il doit
affronter l’opposition des habitants du village où
il enseigne. À la rentrée 1905, il est nommé à
Landresse.
15. 1905-1907 à LANDRESSE les tensions entre l’Église et l’École républicaine
sont vives à Landresse. On est en pleine loi de rupture du Concordat, de
séparation de l’Église et de l’État. L'arrivée au village d'un instituteur réputé
socialiste et anticlérical suscite des protestations des populations locales
ulcérées. Le refus de Pergaud d'assister à la messe et d'enseigner la doctrine
catholique ont pour effet d'aggraver les tensions. Parfois, il fait front, mais
maladroitement, et s’enfonce chaque jour un peu plus. Sa seule joie c’est la
chasse. Il fréquente quelques bons chasseurs. Fusil à la main, chiens aux
pieds ou à la course, au milieu des champs et des bois, il retrouve les parfums
heureux de son enfance. Tard le soir ou tôt le matin, Louis Pergaud écrit,
prend des notes.Et puis, une maison lui ouvre grand sa porte, sa table, son
foyer : celle de Jules Duboz. Ce cordonnier-cafetier, jovial, malicieux, d’une
grande intelligence, a vite sympathisé avec ce jeune instituteur triste et
apparemment désemparé. Louis Pergaud se plaît à écouter les récits
truculents de ce conteur né qu’est le "Papa Duboz".C’est un refuge, une
source de bien-être, que la maison du "barbu" de Landresse! …
17. PARIS Place de la Vieille Estrapade
1907 – 1909À PARIS/ 2eRECUEIL
À Paris la vie est difficile. Louis et Léon s’installent dans une chambre sordide.
Louis a abandonné son métier d’instituteur. Il travaille à la Compagnie des
Eaux. Il écrit. Son deuxième recueil de poésie sparaît au printemps 1908
:L’Herbe d’Avril, toujours aux éditions du Beffroi.
Delphine rejoint Louis.Ils s’installent rue de l’Estrapade avec...Léon. Mais
Léon est plutôt bohême. Avec diplomatie, Delphine s’arrange pour ouvrir les
yeux à Louis.Deubel comprend qu’il est de trop, il quitte l’appartement et le
couple peut vivre pleinement son union.
18. L’Herbe d’avril permet à Louis d’être introduit
dans les milieux littéraires. Delphine le soutient
pleinement. Il comprend vite ses limites dans le
domaine de la poésie et s’attaque aux récits
animaliers, puisant dans sa propos histoires et
dans le quotidien de sa région natale. Il travaille
ferme. En octobre 1908, après presque trois ans
de séparation, son divorce d’avec Marthe est
prononcé à ses torts.
19. 1909-1911 DE GOUPIL A MARGOT :
LA CONSECRATION
En novembre 1909, il redevient enseignant pour
avoir davantage le temps d’écrire, d’abord à
Arcueil puis à Maisons Alfort. Les bêtes de sa
Comté revivent tout au long des pages qu’il
remplit ; ses yeux se noient dans les souvenirs de
ses courses champêtres et forestières ; son esprit
rallume les récits tant de fois répétés (et si
savoureux !) de Papa Duboz.
En juillet 1910, il épouse Delphine. En août, le
Mercure de France publie De Goupil à Margot,
histoires de bêtes.
Le 8 décembre 1910, le 8e prix Goncourt est
attribué à Louis Pergaud, après 3 tours de scrutin.
Parmi les concurrents, on relève les noms de
Guillaume Apollinaire et de Colette. Il a 28 ans.
20. Extrait deLa Tragique Aventure de Goupil, inDe Goupil à Margot,Mercure de France, 1910
Déjàl'heure grise qui tend ses crêpes d'ombre sur la campagne, surhaussant les cimes,
approfondissant les vallons, avait fait sortir de leur demeure les bêtes des bois. Mais lui, insensible en
apparence à la vie mystérieuse qui s'agitait dans cette ombre familière, terré dans le trou du rocher
des Moraies où, serré de près par le chien du braconnier Lisée, il s'était venu réfugier le matin, ne se
préparait point à s y mêler comme il le faisait chaque soir.
Ce n'était pourtant pas le pressentiment d'une tournée infructueuse dans la coupe prochaine au long
des ramées, car Renard n'ignore pas que, les soirs de pleine lune et de grand vent, les lièvres craintifs,
trompés par la clarté lunaire et apeurés du bruit des branches, ne quittent leur gîte que fort tard dans
la nuit; ce n'était pas non plus le froissement des rameaux agités par le vent, car le vieux forestier à
l'oreille exercée sait fort bien discerner les bruits humains des rumeurs sylvestres. La fatigue non plus
ne pouvait expliquer cette longue rêverie, cette étrange inaction,
Puisque tout le jour il avait reposé, d'abord allongé
comme un cadavre dans la grande lassitude consécutive
aux poursuites enragées dont il était l'objet, puis enroulé
Sur lui-même, le fin museau noir appuyé sur ses pattes
De derrière pour le protéger d'un contact ennuyeux ou gênant.
21. Louis Pergaud prend sa revanche sur la vie.De Goupil à
Margotva battre des records de vente. C’est plus qu’un
succès : c’est un triomphe ! Cette consécration lui
apporte l’aisance. Les 5000 francs du prix lui
permettent de louer un appartement plus vaste,
d’enrichir son mobilier et, bien sûr, de se faire un nom
dans la littérature puisque les lecteurs confirment le
choix des Goncourt. Certes, toutes les critiques ne sont
pas flatteuses, mais son bestiaire touche le public.
En1911, il récidive dans le genre avec La Revanche du
Corbeau, nouvelles histoires de bêtes qui connaît un
succès moindre.
22. 1912– 1914 DELA GUERRE DES BOUTONSÀ LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
En1912,La Guerre des Boutons, roman de ma douzième
année(éd. Le Mercure de France) fera connaître Landresse
Sous le nom de Longeverne. Le livre raconte la rivalité belliqueuse entre garçons de deux villages
voisins à chaque rentrée scolaire. Cette guerre prend une forme un peu particulière: en plus des
coups et des injures, les« vaincus »se voient confisquer leurs boutons en guise de trophées, avant
d'être renvoyés chez eux. Le roman commence avec humour et innocence, mais devient de plus
en plus sinistre au fur et à mesure que la frontière entre jeu et réalité est brouillée. On trouvera
aussi dans la Guerre des boutons plusieurs thèmes relevant de la vie sociopolitique de la
Troisième République française : le conflit entre l'Église et le mouvement anticlérical,l'instruction
civique à la Jules Ferry,la vie misérable dans la campagne comtoise, etc.
23. Extrait de La Guerre des Boutons, 1912
Tintin avec ses cinq guerriers, qui avaient eu, à midi, la sage précaution de mettre leur
goûter dans leurs poches, prirent les devants pendant que les autres allaient quérir
leur morceau de pain, et quand, devant les ennemis apparaissant, retentit le cri de
guerre de Longeverne : « À cul les Velrans! » ils étaient déjà habilement et
confortablement dissimulés, prêts à toutes les péripéties du combat corps à corps.
Tous avaient les poches bourrées de cailloux ; quelques-uns même en avaient rempli
leur casquette ou leur mouchoir ; les frondeurs vérifiaient les nœuds de leur arme
avec précaution ; la plupart des grands étaient armés de triques d’épines ou de lances
de coudres avec des nœuds polis à la flamme et des pointes durcies ; certaines
s’enjolivaient de naïfs dessins obtenus en faisant sauter l’écorce : les anneaux verts et
les anneaux blancs alternaient formant des bigarrures de zèbre ou des tatouages de
nègre : c’était solide et beau, disait Boulot, dont le goût n’était peut-être pas si affiné
que la pointe de sa lance.
Dès que les avant-gardes eurent pris contact par des bordées réciproques d’injures et
un échange convenable de moellons, les gros des deux troupes s’affrontèrent.
À cinquante mètres à peine l’un de l’autre, disséminés en tirailleurs, se dissimulant
parfois derrière les buissons, sautant à gauche, sautant à droite pour se garer des
projectiles, les adversaires en présence se défiaient, s’injuriaient, s’invitaient à
s’approcher, se traitaient de lâches et de froussards, puis se criblaient de cailloux,
pour recommencer encore.
24. En 1913,Le Roman de Miraut, chien de
chasse(Mercure de France) le hisse d’un cran
dans le monde littéraire. Louis Pergaud a
affûté son style, trouvé son rythme. Sa sève,
c’est son terroir. Dans l’ombre, Delphine joue
son rôle : elle est là ! Sa présence équilibre,
rassure. L’écrivain trouve la maîtrise totale de
son talent grâce à sa femme. Il en est
pleinement conscient, puisqu’il écrit : "Si je
dois passer à la postérité un jour, je veux [...]
que nos deux noms soient unis dans la gloire
comme nos deux cœurs l’auront été dans la
vie".
25. Mais l’année 1913 est obscurcie par une
terrible nouvelle : le 12 juin, Léon Deubel
s’est jeté dans le Marne à Maisons-Alfort !
Ces douloureux moments vont freiner
l’œuvre créatrice de Louis Pergaud. Durant
plusieurs mois, il se consacrera
uniquement à défendre la mémoire de son
si cher ami. En vacances à Landresse, il met
au point un recueil, choix de poèmes de
DEUBEL, sous le titre Régner,dont il rédige
la préface (Mercure de France, 1913).
26. Ils e penche alors sur un ensemble
de nouvelles villageoises où sont
croqués les paysans de son
plateau avec une précision qui n’a
d’égal que le talent de la mise en
scène. Toute la vie franc-
comtoise, dans ses aspects les
plus divers et les plus cocasses,
est évoquée avec humour. Les
personnages sont vrais, ni
enjolivés, ni enlaidis, à peine
transposés. De plus, ils évoluent
dans une atmosphère et des
paysages qui sont bien ceux de
Landresse d’avant 1914. Durant
l’été 1914, ces contes sont remis à
Alfred Vallette,fondateur-
directeur du Mercure de France.
Ils doivent être publiés sous le
titre Les Rustiques, nouvelles
villageoises. Ils ne le seront qu’en
1921.
Extrait deLes Rustiques, Mercure de France,1921
Le sifflement intermittent d’un merle effrayé par l’approche
d’une femme enquête de mûres ou parle passage d’un
écureuil,l’appel criard d’un geai sautant d’une branche à
une autre dans un roux ébouriffement de plumes
troublaient à peine le calme plat de cette mer vallonnée de
verdure sur laquelle un soleil implacable versait à pleines
écluses ses cascades lumineuses et chaudes de rayons.
27. Août 1914 – avril 1915 LA GUERRE
L’ordre de mobilisation tombe le 2 août 1914.
LouisPergaudest envoyé à Verdun comme sergent au
166erégimentd’infanterie.Il est raisonnablement
confiant*. D’abord au dépôt, il voit passer les premiers
blessés, les premiers prisonniers, les premières
erreurs, d’un conflit qui va s’éterniser. En octobre, il
est au front, dans la région de la Woëvre. En mars
1915, il est nommé sous-lieutenant.
*Dans Mots, propos et anecdotes, 1937, son ami Paul Léautaud
livre cette anecdote à propos de de Louis Pergaud : « J’ai des
lettres de Louis Pergaud qu’il m’écrivait du "front". Il était aux
anges. " Je ne donnerais pas ma place pour je ne sais quoi. On
tire du « Boche » comme du lapin." »
Sa correspondance à sa femme Delphine (éditions Mercure de
France, 2014) permet de nuancer ce propos. Parti dans
l'enthousiasme pour chasser rapidement les "Boches", la durée,
la dureté et l'horreur le ramèneront à son antimilitarisme
d'avant la mobilisation. Et au fil de sa correspondance on sent
monter du respect pour les troupes allemandes.
28. Louis observe, il prend des notes, il accumule les impressions : il
ne restera pas muet. Il assiste à un carnage horrible où le courage
des combattants est souvent anéanti par des ordres d’une
opportunité douteuse : il témoignera dans un livre de guerre qu’il
se promet d’écrire. Il prend des notes dès le 3 août 1914. Mais les
semaines passent, et de nombreux pressentiments l’envahissent.
Le 6 avril 1915, il écrit sa dernière note. SonCarnet de
guerre*nesera publié qu’en 1994 dans le bulletin n°30 de
l’Association des amis de Louis Pergaud, et réédité en 2011 par Le
Mercure de France.
* Lundi19 juillet1915,Delphine écrivit à Marcel Martinet, un
grand ami de son mari : « J’ai reçu samedi dernier la cantine de
Louis que j’avais réclamée au 166ème RI. J’ai trouvé son carnet
où il inscrivait, au jour le jour, ce qu’il avait vu, ce qu’il avait
fait, et ce qu’il souffrait. Il s’arrête au 6 avril. Vous devinerez,
chers amis, comme il m’a été pénible de revoir ces choses.
Comme j’ai encore pleuré ! ».Delphinefera don de la cantine
deLouisau Mémorial de Verdun. Le carnet deguerre,mentionné
dans la lettre deDelphine,manquait : en effet, le couple
n’ayant pas eu d’héritier direct, sa veuve avait décidé de
donner le carnet à la bibliothèque Doucet de Paris.
29. Extrait deCarnet de guerre, Mercure de France,
2011
Le 6 avril (1915) - Une heure plus tard, le 51
d’inf[anterie] arrive. Il faut dans ce
cantonnement déjà très resserré lui faire la
place. Montvert et Talopp évacuent leurs
chambres et nous nous replions tous sur la
popote. Un sergent du 303 photographie les
sergents et le bureau – j’arrive juste à temps
pour prendre place dans le groupe*. Des bruits
nouveaux circulent. Marchéville serait repris et
nous aurions également avancé du côté de
Combres. Mais rien n’est confirmé.
* Il s’agit de la photographie ci-contre. Louis
Pergaud est au centre, en veste claire.
30. En mars 1915, il est nommé sous-lieutenant.
Le soir du 7 avril 1915, il reçoit l’ordre d’attaquer la
côte 233 de Marchéville-en-Woëvre, dans la nuit, à 2
heures du matin. Il pleut. Le sous-lieutenant
PERGAUD, à la tête de ses hommes, sort de la
tranchée de départ. Deux rangs de fils barbelés sont
franchies,à quelques mètres de la tranchée ennemie.
Une fusillade nourrie les accueille et décime les
assaillants. Pergaud,blessé au pied, demande à ses
soldats de poursuivre l’offensive. Aux premières
lueurs du jour, les rescapés se replient. Leur chef
n’est pas avec eux. Quelques heures plus tard, les
soldats allemands viennent au secours des blessés et
les emmènent dans un hôpital provisoire. Le même
jour, 8 avril, ce bâtiment, situé à Fresnes-en-Woëvre,
est détruit par un tir de barrage de l'armée française.
Louis Pergaud, et de nombreux compatriotes, sont
au nombre des victimes. Son corps n'a jamais été
retrouvé.
31. Extrait de la dernière lettre, datée du 7 avril,
de Louis Pergaud à sa femme, Delphine
InLettres à Delphine, Correspondance (1907-1915), Mercure de France, 2014
J’ai reçu hier de toi une bien bonne lettre, tout imprégnée d’amour, toute débordante de
tendresse. Merci, mon bon petit, de m’écrire si longuement et de me dire des choses si
douces au cœur, si réconfortantes…
…Je te conterai plus tard des histoires émouvantes et terribles, et de gaies aussi… En
attendant, il faut s’armer de patience et de courage.Nous n'avons pas bougé hier encore et
j'ai passé une très bonne nuit dans un bois de lit rempli de paille avec mon sac de couchage,
une couverture et un oreiller.Il a plu toute la nuit. Mais, aujourd'hui, il n'est encore rien
tombé. Le canon gronde toujours à côté de nous et la fusillade crépite. Les Boches ont
essayé vainement de nous canarder, mais leurs obus à bout de souffle venaient
péniblement renifler dans la terre à 50 mètres du village. Ce qu'ils devaient rager.
À demain, ma chérie, je te prends dans mes bras et je t'embrasse de toute mon âme, de
toutes mes forces et de tout mon cœur.
33. 1923 20141994 / 20111921
L’œuvre posthume
Il laisse un roman inachevé :Lebrac, Bûcheron, publié en 1923 au Mercure de France
avec d’autres récits de bêtes, dont certains avaient été publiés en revue :La Vie des
bêtes(1923).
En 2014, Mercure de France publie Lettres à Delphine, Correspondance (1907-1915).
34. Extrait deLa Vie des bêtes,Mercure de France,1923
Il passait pourtant quelque part, à moins qu'il ne fondît et s'évanouît
Comme une poudrée de neige au soleil du printemps, ce roi des
Capucins du Fays, ce maître oreillard qui savait tous les tours,
Ce prince des bouquins qui roulait depuis des saisons et des saisons
Des générations de chiens.
Cette fois, il avait à ses trousses Miraut, le plus fameux chien de tout
Le canton, et Lisée, le braco, un riche fusil, qui prenait bien des
permis mais chassait quand même en tout temps, et ces deux
gaillards-là allaient lui donner du fil à retordre.
La lutte commença un matin de novembre, un beau matin givré que la terre sonnai tsous le talon, où le
limier trouva son fret à cinquante sauts de son gîte, et, sans perdre un vain temps, comme les camarades
moins expérimentés, à « ravauder » sur le pâturage, vint, après quelques coupes savantes, lui fourrer sans
façon le nez au derrière.
Roussard lièvre comprit qu'il avait affaire à un maître et qu'il fallait gagner au pied. Alors, bondissant de
son gîte, il fila comme un trait, allongé de toute sa longueur, ventre à terre, yeux tout blancs, oreilles
rabattues, moustaches en avant, tandis que la bordée coutumière de coups de gueule suivait son déboulé.
Miraut avait beau avoir bon jarret, il ne put longtemps soutenir la course à vue, d'autant que Roussard, qui
connaissait l'homme et n'ignorait pas la signification des coups de fusil, avait grand soin de profiter, pour
se défiler, de tous les abris et de tous les couverts utilisables.
Au bout de cinq minutes de ce train d'enfer, l'aboi du chien était à un kilomètre derrière lui… il avait le
temps.
35. BIBLIOGRAPHIE(Éditions originales)
•
L’Aube, éditions du Beffroi, Lille, 1904
•
L’Herbe d’Avril, éditions du Beffroi, Lille, 1908
•
De Goupil à Margot, histoires de bêtes(prix Goncourt 1910), Mercure de France, Paris, 1910
•
La Revanche du corbeau, nouvelles histoires de bêtes, Mercure de France, Paris, 1911
•
La Guerre des boutons, roman de ma douzième année, Paris, Mercure de France, 1912
•
Le Roman de Miraut, chien de chasse, Paris, Mercure de France, 1913
•
LéonDeubel : Régner, poèmes recueilliset préface parLouis Pergaud, Mercure de France, Paris,1913
Publications posthumes
•
Les Rustiques, nouvelles villageoises, préface de LucienDescaves, Mercure de France, Paris, 1921
•
La Vie des bêtes, études et nouvelles, suivie deLebrac,bûcheron, roman inachevé, introduction
d'Edmond Rocher, Mercure de France, Paris, 1923
•
Mélanges. Histoires de loups et autres nouvelles, Les Petits gars des champs, Léon Deubel, Lettres
à sa femme (1914-1915), suivies deFragments du carnet de guerre. Mercure de France, 1928.
•
Carnetde guerre,Mercurede France, Paris,2011
•
Lettresà Delphine. Correspondance (1907-1915), Mercure de France, Paris, 2014
36. Références des textes et images:
Tous les textes de ce diaporama sont extraits
ou adaptés du site de l’Association des Amis de Louis
Pergaud :
http://pergaudlouis.free.fr
www.wikipedia.org/wiki/Louis_Pergaud
http://www.paperblog.fr/2804878/louis-pergaud-par-
edmond-rocher/
Bibliographie complète (livres, publications en revues,
journaux, etc.) sur www.sisyphe.com
Ce diaporama a été réalisé par Jacques Fournier,
Directeur de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines à l'occasion
de son intervention au collège Louis-Pergaud auprès de deux classes de 3e
Les élèves et l'équipe pédagogique le remercient