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Illustration de la couverture : © Emmanuel Berthier 
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Banque d’images Égypte : © Y.C. Samba-Debras 
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes de l'article L.122-5, 2° et 3° a, d'une 
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© 2014 Y.C. Samba-Debrasa 
Autoédition 
ISBN 978-2-9544055-0-6 
3
Y.C. Samba-Debrasa 
Plus que Vainqueur 
4
5
Ne crains pas que ta vie prenne fin un jour, mais plutôt 
qu'elle n'ait jamais commencé. 
John Henry Newman. 
6
TABLE DES MATIÈRES 
Prologue P.11 
Première Partie 
I - Rencontre avec Katelyn P.14 
II - La visite de mon père P.24 
III - Un pan de bonheur P.38 
IV - Seul à Rouffignac P.52 
Deuxième Partie 
V - La route de Khartoum P.64 
VI - L’urgence de la vie P.80 
VII - Le désert de Nubie P.89 
VIII - Le pays de Koush P.111 
IX - Prélude à la vie P.132 
Troisième Partie 
X - La malédiction des Monge P.141 
XI - L’Afrique P.164 
XII - Le fief secret P.178 
XIII - Le village de Hammadi P.194 
XIV - Le Livre du destin P.204 
XV - La joie de vivre P.218 
XVI - L’Ancien P.228 
XVII - La vallée Thébaine P.241 
XVIII - Karnak P.255 
XIX - Le songe de Mariette P.273 
XX - La prédiction P.283 
XXI - La salle panoramique P.288 
7
XXII - La conquête de soi P.303 
XXIII - Panne des machines P.309 
XXIV - Au fond des yeux P.316 
XXV - Au Caire P.328 
XXVI - La Grande pyramide P.342 
XXVII - Au centre de la terre P.350 
Quatrième Partie 
XXVIII - Le retour P.364 
XXIX - Le gardien de mon frère P.372 
XXX - La fin d’une chose… P.380 
XXXI - Un nouveau départ P.387 
XXXII - Une nouvelle inattendue P.394 
XXXIII - Sur le chemin de la ferme P.407 
XXXIV - Un mauvais pressentiment P.421 
XXXV - Le Livingstone P.430 
XXXVI - Le dernier chant du coq P.435 
XXXVII - L’instant présent P.454 
XXXVIII - Des mots et des larmes P.464 
XXXIX - Le jour de mon anniversaire P.475 
Épilogue P.487 
Voici la carte que nous remit le guide. 
8
© Y.C. Samba-Debrasa 
9
Prologue 
« - Dites-moi ce que vous voulez ; me demanda l’homme aux 
cheveux laineux, dont l’éclat me frappait en plein visage. 
- Je désire ouvrir la porte de mon destin, répondis-je en 
tremblotant. 
- Voici, fit-il en m’indiquant un long chemin pentu qui 
s’ouvrait progressivement sous mes pieds. Maintenant, marchez-y ! 
s'écria-t-il. 
Ce fut, à la pointe du jour, tout ce dont je pouvais me 
souvenir du rêve que je fis au milieu de cette nuit. 
Me dire qu’aujourd’hui est un autre jour, sans savoir ce que 
demain sera, me remplit d’effroi. En m’éveillant en cette matinée, 
fraîche et lumineuse, je m’introduisis dans le cabinet de travail. Avec 
vélocité, je tirai vers moi le dossier un peu flasque du fauteuil 
capitonné. Puis, plissant fébrilement les franges de ma jupe derrière 
les genoux, je m’y installai pour déverser des flots de larmes. Transie 
d’angoisses grandissantes, je levai la tête et posai derechef les yeux sur 
le manuscrit. Sans me départir du phénix que je tins fermement dans 
une main moite, je me remis à lire plusieurs chapitres d’affilée, 
nonobstant l’écriture un peu griffonnée, avec des lettres enchevêtrées, 
de nature à écorcher la compréhension de celui qui n’y fut 
préalablement initié : 
10
« … Nous pouvons devenir tout ce que nous voulons être. Nous pouvons 
obtenir tout ce à quoi nous aspirons. Nous pouvons tout recevoir, si 
seulement nous pouvons le concevoir ! » 
En lisant, comme si l'on me recollait soudain les ailes que 
j’aurais pu perdre naguère, je reçus en mon sein une réponse qui me 
crispa le coeur. Là-dessus, j’entendis très distinctement une voix 
s’exprimer : « Heleen, écris ce que tu entends. N’y soumets aucune 
réflexion. Efforce-toi de retranscrire ce que l’Esprit t’inspire. » 
Ce faisant, je m’emparai de quelques feuilles de papier, et, j’y 
rapportai aussi fidèlement que possible ce qui me fut dicté sur le 
moment. Durant ce laps de temps, mon intelligence demeura stérile. 
Jusqu’à la fin, j’écrivis avec frénésie, presque automatiquement, sans 
trop songer à ce que j’étais en train de faire. 
Deux heures s’étaient écoulées ; ayant fini par démêler le fil de 
mes pensées et repris mes esprits, je poussai un grand cri et tombai à 
la renverse en découvrant, après coup, la signification de ce que je 
venais de rédiger. » 
11
Première Partie 
12
I 
Rencontre avec Katelyn 
- C’est comment l’Amérique ? 
- Mais, c’est très bien ; bredouilla-t-elle en se baissant une 
nouvelle fois pour ramasser quelques livres, les joues empourprées, le 
nez renfrogné ; incapable de dissimuler, par ses bégaiements, une 
nervosité presque maladive. 
- Oh, vraiment ? Raconte-moi un peu ! Il paraît qu'il y a des 
gratte-ciel partout, m'a dit mon oncle Raphaël ; insistai-je, plein 
d’allant. 
- Entre autres, abrégea-t-elle. 
- Pardon. Je dois sûrement t’ennuyer. 
- Non, Loïc. Il y a que, depuis que nous nous sommes 
installés à Paris, tout le monde nous pose exactement les mêmes 
questions. C’est plutôt amusant, tu ne trouves pas ? s’exclama-t-elle 
en affichant enfin un sourire d’émerveillement face à mon insatiable 
curiosité. 
Ce fut dans la librairie Point de mire, à l’angle de la rue 
Montmartre et de la rue Saint-Joseph, dans le deuxième 
13
arrondissement de Paris, que je fis la connaissance de Katelyn Walsh. 
À aucun moment je n’aurais pu m’imaginer que ce lundi 14 août 
1950, veille de l’assomption, allait marquer à tout jamais le reste de 
mon existence. 
Le fait est que dès mon plus jeune âge, ma mère prit 
éperdument l’habitude de me conter mille et une histoires, inoculant 
dans mes gènes l’engouement forcené pour la littérature. Sans 
toutefois parvenir à l’exprimer avec justesse, je dirais simplement que 
je lisais sans arrêt. En réalité, tout ce qui me tombait sous la main. 
Tout, ou devrais-je dire, n’importe quoi. Pourvu seulement que mes 
yeux parcourussent des mots et des lignes, que mon esprit s’activât, 
voguât dans le fictif, détourant l’irréel. Une véritable boulimie en 
somme que je me devais d’apaiser. Tant et si bien que je tenais 
immanquablement deux ou trois livres d’avance sur ma table de 
chevet. De plus, il m’avait toujours paru peu évident, plus 
précisément, rédhibitoire, que de poursuivre par exemple la lecture 
d’un roman qui ne m’eût guère appartenu, dans la mesure où, dès la 
seconde phrase, la fin du premier paragraphe, il fallut irréversiblement 
que je notasse une expression, que j’en soulignasse l’idée, et, par un 
brusque jeu d’association d’idées, inscrire en marge de la page le 
prolongement d’une pensée. Au fur et à mesure, cette inextinguible 
appétence me contraignit à l’aménagement d’une plage horaire 
particulière sur ma journée du mardi, que je dédiai tout naturellement 
à cette préoccupation consistant à me trouver un livre captivant. Voici 
donc en peu de mots l’explication de mon irruption dans cette 
librairie ; fulminant de rage, au motif que je ne disposais, en ce lundi 
après-midi, que d’un créneau beaucoup trop réduit pour que je pusse 
dénicher la perle livresque. 
Lorsque je la vis pour la première fois, imperturbable, elle 
démontait une colonne de livres empilés dans un espace réservé aux 
auteurs anglophones, au milieu d’un léger tumulte de feuilles de 
papier frais que l’on claquait sec en les retournant précipitamment, 
14
entre les soupirs prolongés de ces volumes compacts dont on rabattait 
sourdement les reliures sous un long filet d’air étouffé. Je suivis 
chacun de ses mouvements répétés avec la pertinence d’un spectateur 
affecté par l'on ne sait quelle espèce d’admiration. Au premier coup 
d’oeil, je pressentis qu’elle était étrangère. Elle avait belle allure, avec 
ses petites bouclettes de cheveux dorés qui remuaient indéfiniment 
sous la nuque, mais affichait sous son bonnet mis de travers 
l’inflexibilité qui sied communément à une bigote. Elle portait 
avantageusement une jupe en soie noire moirée, avec des bottes bien 
montantes et une jaquette de velours amarante dont les lacets 
embastillaient admirablement le dos. Son buste était joliment sanglé à 
la taille. Une boucle argentée, ciselée d’un bouton de rose grenat, en 
recouvrait l’abdomen à l’asphyxier énergiquement. 
D’emblée, je la jugeai quelque peu pimbêche, avec ses 
formules à l’emporte-pièce. Sans ambages, j’aurais pu en dépeindre un 
portrait rosse, sans doute parce que je faisais face à un visage 
compassé, restituant malgré elle une sévérité inaccoutumée. 
Apparemment, elle peinait à trouver une oeuvre littéraire, mais n'osait 
interroger le libraire. Certainement par timidité. 
À mon plus grand étonnement, je me montrai plutôt affable, 
faisant abstraction à l’accueil qui me fut premièrement réservé. Ses 
déclarations lapidaires et glaciales à mon adresse ne purent annihiler 
mon initiative. Ceci étant, je me penchai pour la saluer, m’empressai 
de serrer d’un effleurement la main menue qu’elle finit par me 
présenter, et, fis sur-le-champ profession de l’aider à remettre ces 
romans en place, en les imbriquant avec soin dans le rayonnage. 
Contre toute attente, son regard bienveillant dérida le sommet 
de son visage. Le sourire que je lui arrachai embrasa ses yeux pers 
brillant de gratitude. J’y découvris alors une infinie tendresse que je 
n’aurais pu percevoir autrement qu’en y regardant aussi 
profondément. 
Au cours de la conversation qui suivit, elle me confia que sa 
15
mère était originaire du Finistère Nord, son père américain, 
diplomate de sa fonction, en poste à Paris depuis déjà trois bonnes 
années. Comme par extraordinaire, elle était tout comme moi en 
faculté de médecine. Ces occurrences nous enjoignirent à des 
bavardages fort prolixes pendant plus d’une heure, nous amenant 
subséquemment à nous trouver de plus en plus d’atomes crochus. De 
fait, nous y prîmes racine. 
- Mesdames et messieurs, nous fermons dans une 
minute ! beugla l’un des employés, en nous examinant attentivement 
dans ce qui, de loin, prit les teintes d’un conciliabule. 
- Oui, oui, on y va ; assura-t-elle, pratiquement sans accent, 
après avoir consulté sa montre, adjurant d’un air candide que l’on 
nous laissât au moins le temps de choisir un livre. 
Finalement, elle ne trouva pas l’opuscule tant quêté. Pour ma 
part, puisqu'il fallut quitter les lieux, je passai en caisse avec un 
ouvrage dont je ne pris nullement la peine de jauger le contenu. La 
journée s’écoula. Je la raccompagnai sous le porche de son immeuble, 
au numéro 23 de la rue de Vienne, dans le huitième arrondissement ; 
chose que je réitérai le lendemain, puis le surlendemain. Dès lors, les 
habitudes prises scellèrent une indissoluble amitié faisant de nous, 
deux êtres irrémédiablement inséparables. 
Nous vécûmes les moments les plus intenses de notre 
existence. À tel point qu'il nous semblait, certaines fois, pouvoir 
même repousser les parois de l'univers jusqu'à l'infini, tant le bonheur 
nous enveloppait de ce zèle si ardent. 
Le rêve de Katelyn était d’exercer la médecine, à la campagne. 
Dans le Périgord. Le pays de Montaigne, de La Boétie. Celui des 
troubadours. Avec ses bastides, ses grottes paléolithiques, ses 
forteresses et ses châteaux forts. 
Pendant les vacances d’été, tous en famille, ils descendaient la 
16
Dordogne en gabarre. À chaque fois, elle en revenait absolument 
enchantée, prétextant même y avoir découvert un coin fabuleux. Un 
petit village paisible près de Périgueux. Le paradis sur terre ! Ce fut là 
qu’elle souhaitait infailliblement se fixer, une fois le diplôme en 
poche. 
Auparavant, je n’avais jamais entendu parler de Rouffignac. 
Hormis Paris et ma Bretagne natale, je dois avouer que je ne 
connaissais aucune autre région de France. Sortie tout droit de 
Boulder, dans l'état du Colorado, Katelyn était cependant capable de 
citer toute une série de noms de villes dont je soupçonnais à peine 
l'existence : les Eyzies, Sarlat, Monbazillac, Montignac, et bien 
d’autres. Nous résolûmes d’y installer plus tard notre cabinet médical. 
Souvent, je visualisais, en rêve éveillé, nos deux noms côte à côte, en 
gros caractères d’imprimerie, sur une plaque dorée, à l’entrée de notre 
futur cabinet : 
WALSH - POULIQUEN 
CABINET MÉDICAL 
Avant ma rencontre avec Katelyn, j’ignorais qu’il fût possible 
d’entretenir une amitié aussi réelle que profonde avec une personne 
du sexe opposé. Au reste, je ne connaissais aucune autre fille et ne 
m’en approchais guère, fuyant les équivoques et redoutant les 
malentendus. 
Avec le progrès du temps, nous prîmes les mêmes intonations 
de voix, usant de locutions tout à fait analogues, esquissant des 
mimiques étonnamment similaires. Au bout de plusieurs mois, nous 
nous surprenions à penser les mêmes choses, à les exprimer au même 
moment ; parvenant en outre à imprimer dans nos regards des 
expressions singulièrement identiques. Peu de mots sortaient de nos 
bouches. Un regard puis un sourire. Un regard puis un froncement de 
sourcils. 
17
Nous avions nos habitudes au Provençal, un bistrot plutôt 
animé, très divertissant, situé rue de la Huchette, dans le quartier 
latin, où nous déjeunions souvent, car les prix y étaient peu excessifs. 
Nous y fûmes constamment : pour y travailler ou prendre un verre 
entre copains d’université. Généralement, le samedi, nous consacrions 
notre soirée au théâtre. Nous appréciâmes énormément la pièce 
d’Eugène Ionesco ; nous retînmes par coeur les répliques de La 
cantatrice chauve pour avoir assisté à au moins quinze représentations 
successives. Sans motif apparent, Katelyn m’entraînait 
immanquablement dans une avidité incontrôlable d’activités 
culturelles, de sorties nocturnes. On eût dit que le temps lui fut 
soudain compté... 
Ordinairement, le dimanche, nos pas allaient souvent se 
perdre le long des quais. Chinant parmi les étals des vieux 
bouquinistes, nous finissions par échouer sur le parvis de la cathédrale 
Notre-Dame afin de nourrir les pigeons et les moineaux accourant des 
gargouilles. Assez régulièrement, nous passions le plus précieux de nos 
moments de liberté sur l'Île de la Cité : ancien village de pêcheurs 
gaulois, figure de proue de ce qui devint à travers les siècles, par la 
force des conquêtes, le Paris que nous connaissions à cette époque. 
Nous en fîmes notre lieu de prédilection. Pour ne pas déroger à la 
règle, en adéquation avec cette inexprimable passion qui m’habitait, le 
mardi, nous démarrions la journée au Point de mire, après avoir avalé 
un chocolat chaud et un croissant au petit-déjeuner. Pour elle, ce fut 
systématiquement un thé à la bergamote, avec des tranches tartinées 
de pain grillé. Le reste du temps se résumait à la Faculté, aux 
bibliothèques, et pour ce qui me concerne, à quelques kilomètres de 
lignes de lecture supplémentaires. 
Un an plus tard, Auguste, le patron du Provençal, nous 
informa qu’il mettait en location son modeste appartement situé au 
premier étage, juste au-dessus du bistrot. Il semblait avoir un mal fou 
à trouver des locataires. Ce fut alors qu'il eut la lumineuse idée de 
18
revoir son loyer à la baisse et d'en proposer la location à de jeunes 
étudiants, supposés plus imperméables aux bruits ambiants. Nous 
échangeâmes un regard empli d’exaltation. Sans tergiverser, nous 
secouâmes la tête d’un signe d’approbation. 
Effectivement, le prix du loyer nous rendit bien sourds au 
chahut des clients qui jacassaient sans cesse, aux verres que l’on cassait 
à longueur de journée, aux assiettes massives que l’on fracassait contre 
le dallage. Nous nous en plaignîmes si peu et finîmes, dans une 
certaine mesure, par nous en accommoder. 
Nous apprécions Paris, même sous la pluie. Nous nous y 
promenions auréolés de nos capuches, scandant hilares Casse-noisette 
de Tchaïkovsky ou le dernier air à la mode. Bras dessus bras dessous, 
esquissant les pires contrepèteries qui ne pouvaient amuser que nous 
seuls. Quelquefois, nous restions des heures dans l’une des pièces de 
notre appartement, sans musique, sans un mot, à écouter le silence et 
les sons extrinsèques. Cela nous rassérénait profondément, initiait une 
osmose sans égal. 
Nos chambres étaient contiguës. Elles s’ouvraient sur un 
dégagement donnant accès à la salle de bains. Ce fut là, notre salle de 
réveil. Chacun sortait du lit, armé d’un édredon que nous nous 
balancions par la suite en pleine figure en guise de bonjour. Le 
principe consistait à frapper aussi fort que possible afin d’arracher à 
l’autre son premier cri de la journée. Bien évidemment, le premier qui 
hurlait, perdait. Sadisme ou masochisme ? Sans doute les deux. Mais 
comme nous nous amusions ! 
Elle s’appropriait toutes mes chaussettes. Je lui empruntais ses 
maillots de corps en coton, que je portais toujours à l’envers pour 
dissimuler les motifs féminins, un peu trop colorés à mon goût. Nous 
mangions les mêmes yoghourts. À la rhubarbe. Vraisemblablement 
par mimétisme, je me mis également au thé. Je devins bilingue. 
Français, américain. Je lui communiquai mon engouement pour 
l'Égypte antique. En particulier, la Nubie. Le royaume de Koush. 
Mon rêve. Le rêve au-dessus de tout rêve devenu en définitive notre 
19
plus beau rêve. 
Sincèrement, ce ne serait pas trop exagérer de prétendre qu’il 
eût suffi que l’un se frottât le bout du nez pour que l’autre éternuât. 
Comment vous expliquer cette affinité unissant un couple d’amis, 
présentant des liens beaucoup plus étroits que n’en développeraient 
deux jumeaux, agissant tel un seul homme, une seule femme ? Sans 
pour autant que cela ne revêtît les apparences d’une relation 
fusionnelle. Au contraire, au fil du temps, nous y vîmes un rapport au 
demeurant ordinaire. Parlant en outre du temps, nous ignorions 
intrinsèquement que nous n’en aurions jamais assez pour réaliser tous 
nos rêves communs. En réalité, juste assez pour apprendre à nous 
apprécier, à nous aimer. Aimer véritablement. Aimer profondément, 
sans extravagances, sans compromis ; suffisamment toutefois pour 
parvenir à conjuguer ce verbe avec l’intensité d’un présent continu. 
Plus qu’un mot, la conception et l’expression d’une vie. Aimer, tout 
en restant soi-même. Dans la vérité. Sans aucune forme de 
condamnation. Car en la scrutant, ce fut moi que je voyais. En la 
pesant, ce fut encore toute la mesure de mon être que j’y trouvais. Et 
réciproquement. Bien que nous manifestassions un jugement sévère 
sur nos fréquentations respectives, il ne se dessinait aucune ombre de 
discorde entre nous deux. Hormis ce dernier soir... 
Nous étions pourtant si jeunes ! En principe, à vingt-deux ans, 
la mort accepte volontiers de patienter le temps que jeunesse se passe. 
Du moins, c’est ce que je m’étais imaginé. D’ailleurs, l’Écclésiaste 
n’en avait-il pas exposé les signes avant-coureurs ? Ne faut-il pas au 
préalable « que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les 
étoiles, et que les nuages reviennent après la pluie1» ? Comment 
aurais-je pu deviner que la vie est en fin de compte un chemin de 
glace prêt à céder sous chacun de nos pas, beaucoup plus fragile que 
ne le présageait mon innocence, qu’à n’importe quelle occasion un 
petit rien peut en suspendre l’aboutissement, en briser le fil ? Cela, je 
ne le découvris que le jour où Katelyn mourut. Brutalement. D’un 
1 Livre de l’Écclésiaste 12 : 2 
20
accident de la circulation. De là, je perdis les maillons de mon 
existence. Il semblait malaisé, à mon esprit, de pouvoir relier deux 
points entre eux. Penser, ne représentait plus cette forme de liberté 
qui jadis me transcendait, cet exutoire qui fort souvent m’apaisait, 
mais une douleur profonde qui, épouvantablement, m’écrasait. Je 
n’étais plus moi ; si tant est que je l’eusse été auparavant. Mon esprit 
demeurait embrumé, le coeur abominablement envasé. 
Dorénavant, je marchais seul vers l’inconnu : ce substrat si 
imprévisible, si effrayant, qui brutalise l’ordre établi, rompt avec cette 
superficielle quiétude humaine. 
Dans l’aversion de tout, le dédain de soi, assaisonné de larmes 
de sang, torturé par la véhémence des intentions perverses et 
morbides. De ces résolutions dépravées que rien ne voulut réfréner, ce 
mental estropié augurait un dépérissement fatidique. À l'image 
apparente d'un misanthrope, je vécus les années qui s'enchaînèrent 
dans la réclusion la plus austère. 
II 
21
La visite de mon père 
« Toutes les choses qui me causent de l’anxiété ou de 
l’inquiétude n’ont, en soi, rien de bon ou de mauvais, sauf dans la 
mesure où mon esprit est perturbé par elles » ; ainsi, s’exprimait 
Spinoza. Une telle assertion trouve aisément écho dès lors que l’on est 
porté par les meilleures aspirations au monde, versé dans les plus 
grandes espérances ; mais laquelle se révèle à tout le moins insipide 
sitôt que nos horizons s’assombrissent. 
Généralement, placé dans ma condition, lorsque les rêves 
s’envolent, l’espoir s’éteint de lui-même. Ne parvenant à observer le 
ciel qu’au travers des nuages, et le fleuve que par ses remous, on en 
vient, en l’espèce, à estimer que plus rien n’est vrai, à l’exception de ce 
que l’on vit ; plus rien n’a de sens, si ce n’est ce que l’on peut encore 
éprouver. 
Le mur en pierres que j'avais érigé au fond de moi était 
devenu si haut que je ne parvenais plus à voir personne. Excepté 
mes parents, je ne permis dans mon périmètre d’intimité que ce seul 
ami d’enfance que je considérais profondément comme mon frère. 
Toujours vrai, déconcertant de simplicité et d’empathie : Alban 
Monge, dont la famille, frappée de malédiction, fut dépouillée de ses 
membres, tel un arbre soumis aux vents impétueux. Mes parents 
craignaient beaucoup pour sa vie. Ils priaient régulièrement pour lui. 
Sans nuance, sans fiel, Alban me rappelait inlassablement à 
quel point il fallut me remettre à vivre sans délai, tel que l’on revient 
promptement à un ouvrage laissé de côté ; faute de quoi, affirmait-il, 
on risque très vite d’en perdre l’habitude, de s’atrophier, et 
rapidement, le goût de l’existence se dilue dans l’amertume, à nous 
ôter définitivement l’envie de vivre. 
22
23

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  • 1.
  • 2. Illustration de la couverture : © Emmanuel Berthier 2
  • 3. Banque d’images Égypte : © Y.C. Samba-Debras La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes de l'article L.122-5, 2° et 3° a, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © 2014 Y.C. Samba-Debrasa Autoédition ISBN 978-2-9544055-0-6 3
  • 4. Y.C. Samba-Debrasa Plus que Vainqueur 4
  • 5. 5
  • 6. Ne crains pas que ta vie prenne fin un jour, mais plutôt qu'elle n'ait jamais commencé. John Henry Newman. 6
  • 7. TABLE DES MATIÈRES Prologue P.11 Première Partie I - Rencontre avec Katelyn P.14 II - La visite de mon père P.24 III - Un pan de bonheur P.38 IV - Seul à Rouffignac P.52 Deuxième Partie V - La route de Khartoum P.64 VI - L’urgence de la vie P.80 VII - Le désert de Nubie P.89 VIII - Le pays de Koush P.111 IX - Prélude à la vie P.132 Troisième Partie X - La malédiction des Monge P.141 XI - L’Afrique P.164 XII - Le fief secret P.178 XIII - Le village de Hammadi P.194 XIV - Le Livre du destin P.204 XV - La joie de vivre P.218 XVI - L’Ancien P.228 XVII - La vallée Thébaine P.241 XVIII - Karnak P.255 XIX - Le songe de Mariette P.273 XX - La prédiction P.283 XXI - La salle panoramique P.288 7
  • 8. XXII - La conquête de soi P.303 XXIII - Panne des machines P.309 XXIV - Au fond des yeux P.316 XXV - Au Caire P.328 XXVI - La Grande pyramide P.342 XXVII - Au centre de la terre P.350 Quatrième Partie XXVIII - Le retour P.364 XXIX - Le gardien de mon frère P.372 XXX - La fin d’une chose… P.380 XXXI - Un nouveau départ P.387 XXXII - Une nouvelle inattendue P.394 XXXIII - Sur le chemin de la ferme P.407 XXXIV - Un mauvais pressentiment P.421 XXXV - Le Livingstone P.430 XXXVI - Le dernier chant du coq P.435 XXXVII - L’instant présent P.454 XXXVIII - Des mots et des larmes P.464 XXXIX - Le jour de mon anniversaire P.475 Épilogue P.487 Voici la carte que nous remit le guide. 8
  • 10. Prologue « - Dites-moi ce que vous voulez ; me demanda l’homme aux cheveux laineux, dont l’éclat me frappait en plein visage. - Je désire ouvrir la porte de mon destin, répondis-je en tremblotant. - Voici, fit-il en m’indiquant un long chemin pentu qui s’ouvrait progressivement sous mes pieds. Maintenant, marchez-y ! s'écria-t-il. Ce fut, à la pointe du jour, tout ce dont je pouvais me souvenir du rêve que je fis au milieu de cette nuit. Me dire qu’aujourd’hui est un autre jour, sans savoir ce que demain sera, me remplit d’effroi. En m’éveillant en cette matinée, fraîche et lumineuse, je m’introduisis dans le cabinet de travail. Avec vélocité, je tirai vers moi le dossier un peu flasque du fauteuil capitonné. Puis, plissant fébrilement les franges de ma jupe derrière les genoux, je m’y installai pour déverser des flots de larmes. Transie d’angoisses grandissantes, je levai la tête et posai derechef les yeux sur le manuscrit. Sans me départir du phénix que je tins fermement dans une main moite, je me remis à lire plusieurs chapitres d’affilée, nonobstant l’écriture un peu griffonnée, avec des lettres enchevêtrées, de nature à écorcher la compréhension de celui qui n’y fut préalablement initié : 10
  • 11. « … Nous pouvons devenir tout ce que nous voulons être. Nous pouvons obtenir tout ce à quoi nous aspirons. Nous pouvons tout recevoir, si seulement nous pouvons le concevoir ! » En lisant, comme si l'on me recollait soudain les ailes que j’aurais pu perdre naguère, je reçus en mon sein une réponse qui me crispa le coeur. Là-dessus, j’entendis très distinctement une voix s’exprimer : « Heleen, écris ce que tu entends. N’y soumets aucune réflexion. Efforce-toi de retranscrire ce que l’Esprit t’inspire. » Ce faisant, je m’emparai de quelques feuilles de papier, et, j’y rapportai aussi fidèlement que possible ce qui me fut dicté sur le moment. Durant ce laps de temps, mon intelligence demeura stérile. Jusqu’à la fin, j’écrivis avec frénésie, presque automatiquement, sans trop songer à ce que j’étais en train de faire. Deux heures s’étaient écoulées ; ayant fini par démêler le fil de mes pensées et repris mes esprits, je poussai un grand cri et tombai à la renverse en découvrant, après coup, la signification de ce que je venais de rédiger. » 11
  • 13. I Rencontre avec Katelyn - C’est comment l’Amérique ? - Mais, c’est très bien ; bredouilla-t-elle en se baissant une nouvelle fois pour ramasser quelques livres, les joues empourprées, le nez renfrogné ; incapable de dissimuler, par ses bégaiements, une nervosité presque maladive. - Oh, vraiment ? Raconte-moi un peu ! Il paraît qu'il y a des gratte-ciel partout, m'a dit mon oncle Raphaël ; insistai-je, plein d’allant. - Entre autres, abrégea-t-elle. - Pardon. Je dois sûrement t’ennuyer. - Non, Loïc. Il y a que, depuis que nous nous sommes installés à Paris, tout le monde nous pose exactement les mêmes questions. C’est plutôt amusant, tu ne trouves pas ? s’exclama-t-elle en affichant enfin un sourire d’émerveillement face à mon insatiable curiosité. Ce fut dans la librairie Point de mire, à l’angle de la rue Montmartre et de la rue Saint-Joseph, dans le deuxième 13
  • 14. arrondissement de Paris, que je fis la connaissance de Katelyn Walsh. À aucun moment je n’aurais pu m’imaginer que ce lundi 14 août 1950, veille de l’assomption, allait marquer à tout jamais le reste de mon existence. Le fait est que dès mon plus jeune âge, ma mère prit éperdument l’habitude de me conter mille et une histoires, inoculant dans mes gènes l’engouement forcené pour la littérature. Sans toutefois parvenir à l’exprimer avec justesse, je dirais simplement que je lisais sans arrêt. En réalité, tout ce qui me tombait sous la main. Tout, ou devrais-je dire, n’importe quoi. Pourvu seulement que mes yeux parcourussent des mots et des lignes, que mon esprit s’activât, voguât dans le fictif, détourant l’irréel. Une véritable boulimie en somme que je me devais d’apaiser. Tant et si bien que je tenais immanquablement deux ou trois livres d’avance sur ma table de chevet. De plus, il m’avait toujours paru peu évident, plus précisément, rédhibitoire, que de poursuivre par exemple la lecture d’un roman qui ne m’eût guère appartenu, dans la mesure où, dès la seconde phrase, la fin du premier paragraphe, il fallut irréversiblement que je notasse une expression, que j’en soulignasse l’idée, et, par un brusque jeu d’association d’idées, inscrire en marge de la page le prolongement d’une pensée. Au fur et à mesure, cette inextinguible appétence me contraignit à l’aménagement d’une plage horaire particulière sur ma journée du mardi, que je dédiai tout naturellement à cette préoccupation consistant à me trouver un livre captivant. Voici donc en peu de mots l’explication de mon irruption dans cette librairie ; fulminant de rage, au motif que je ne disposais, en ce lundi après-midi, que d’un créneau beaucoup trop réduit pour que je pusse dénicher la perle livresque. Lorsque je la vis pour la première fois, imperturbable, elle démontait une colonne de livres empilés dans un espace réservé aux auteurs anglophones, au milieu d’un léger tumulte de feuilles de papier frais que l’on claquait sec en les retournant précipitamment, 14
  • 15. entre les soupirs prolongés de ces volumes compacts dont on rabattait sourdement les reliures sous un long filet d’air étouffé. Je suivis chacun de ses mouvements répétés avec la pertinence d’un spectateur affecté par l'on ne sait quelle espèce d’admiration. Au premier coup d’oeil, je pressentis qu’elle était étrangère. Elle avait belle allure, avec ses petites bouclettes de cheveux dorés qui remuaient indéfiniment sous la nuque, mais affichait sous son bonnet mis de travers l’inflexibilité qui sied communément à une bigote. Elle portait avantageusement une jupe en soie noire moirée, avec des bottes bien montantes et une jaquette de velours amarante dont les lacets embastillaient admirablement le dos. Son buste était joliment sanglé à la taille. Une boucle argentée, ciselée d’un bouton de rose grenat, en recouvrait l’abdomen à l’asphyxier énergiquement. D’emblée, je la jugeai quelque peu pimbêche, avec ses formules à l’emporte-pièce. Sans ambages, j’aurais pu en dépeindre un portrait rosse, sans doute parce que je faisais face à un visage compassé, restituant malgré elle une sévérité inaccoutumée. Apparemment, elle peinait à trouver une oeuvre littéraire, mais n'osait interroger le libraire. Certainement par timidité. À mon plus grand étonnement, je me montrai plutôt affable, faisant abstraction à l’accueil qui me fut premièrement réservé. Ses déclarations lapidaires et glaciales à mon adresse ne purent annihiler mon initiative. Ceci étant, je me penchai pour la saluer, m’empressai de serrer d’un effleurement la main menue qu’elle finit par me présenter, et, fis sur-le-champ profession de l’aider à remettre ces romans en place, en les imbriquant avec soin dans le rayonnage. Contre toute attente, son regard bienveillant dérida le sommet de son visage. Le sourire que je lui arrachai embrasa ses yeux pers brillant de gratitude. J’y découvris alors une infinie tendresse que je n’aurais pu percevoir autrement qu’en y regardant aussi profondément. Au cours de la conversation qui suivit, elle me confia que sa 15
  • 16. mère était originaire du Finistère Nord, son père américain, diplomate de sa fonction, en poste à Paris depuis déjà trois bonnes années. Comme par extraordinaire, elle était tout comme moi en faculté de médecine. Ces occurrences nous enjoignirent à des bavardages fort prolixes pendant plus d’une heure, nous amenant subséquemment à nous trouver de plus en plus d’atomes crochus. De fait, nous y prîmes racine. - Mesdames et messieurs, nous fermons dans une minute ! beugla l’un des employés, en nous examinant attentivement dans ce qui, de loin, prit les teintes d’un conciliabule. - Oui, oui, on y va ; assura-t-elle, pratiquement sans accent, après avoir consulté sa montre, adjurant d’un air candide que l’on nous laissât au moins le temps de choisir un livre. Finalement, elle ne trouva pas l’opuscule tant quêté. Pour ma part, puisqu'il fallut quitter les lieux, je passai en caisse avec un ouvrage dont je ne pris nullement la peine de jauger le contenu. La journée s’écoula. Je la raccompagnai sous le porche de son immeuble, au numéro 23 de la rue de Vienne, dans le huitième arrondissement ; chose que je réitérai le lendemain, puis le surlendemain. Dès lors, les habitudes prises scellèrent une indissoluble amitié faisant de nous, deux êtres irrémédiablement inséparables. Nous vécûmes les moments les plus intenses de notre existence. À tel point qu'il nous semblait, certaines fois, pouvoir même repousser les parois de l'univers jusqu'à l'infini, tant le bonheur nous enveloppait de ce zèle si ardent. Le rêve de Katelyn était d’exercer la médecine, à la campagne. Dans le Périgord. Le pays de Montaigne, de La Boétie. Celui des troubadours. Avec ses bastides, ses grottes paléolithiques, ses forteresses et ses châteaux forts. Pendant les vacances d’été, tous en famille, ils descendaient la 16
  • 17. Dordogne en gabarre. À chaque fois, elle en revenait absolument enchantée, prétextant même y avoir découvert un coin fabuleux. Un petit village paisible près de Périgueux. Le paradis sur terre ! Ce fut là qu’elle souhaitait infailliblement se fixer, une fois le diplôme en poche. Auparavant, je n’avais jamais entendu parler de Rouffignac. Hormis Paris et ma Bretagne natale, je dois avouer que je ne connaissais aucune autre région de France. Sortie tout droit de Boulder, dans l'état du Colorado, Katelyn était cependant capable de citer toute une série de noms de villes dont je soupçonnais à peine l'existence : les Eyzies, Sarlat, Monbazillac, Montignac, et bien d’autres. Nous résolûmes d’y installer plus tard notre cabinet médical. Souvent, je visualisais, en rêve éveillé, nos deux noms côte à côte, en gros caractères d’imprimerie, sur une plaque dorée, à l’entrée de notre futur cabinet : WALSH - POULIQUEN CABINET MÉDICAL Avant ma rencontre avec Katelyn, j’ignorais qu’il fût possible d’entretenir une amitié aussi réelle que profonde avec une personne du sexe opposé. Au reste, je ne connaissais aucune autre fille et ne m’en approchais guère, fuyant les équivoques et redoutant les malentendus. Avec le progrès du temps, nous prîmes les mêmes intonations de voix, usant de locutions tout à fait analogues, esquissant des mimiques étonnamment similaires. Au bout de plusieurs mois, nous nous surprenions à penser les mêmes choses, à les exprimer au même moment ; parvenant en outre à imprimer dans nos regards des expressions singulièrement identiques. Peu de mots sortaient de nos bouches. Un regard puis un sourire. Un regard puis un froncement de sourcils. 17
  • 18. Nous avions nos habitudes au Provençal, un bistrot plutôt animé, très divertissant, situé rue de la Huchette, dans le quartier latin, où nous déjeunions souvent, car les prix y étaient peu excessifs. Nous y fûmes constamment : pour y travailler ou prendre un verre entre copains d’université. Généralement, le samedi, nous consacrions notre soirée au théâtre. Nous appréciâmes énormément la pièce d’Eugène Ionesco ; nous retînmes par coeur les répliques de La cantatrice chauve pour avoir assisté à au moins quinze représentations successives. Sans motif apparent, Katelyn m’entraînait immanquablement dans une avidité incontrôlable d’activités culturelles, de sorties nocturnes. On eût dit que le temps lui fut soudain compté... Ordinairement, le dimanche, nos pas allaient souvent se perdre le long des quais. Chinant parmi les étals des vieux bouquinistes, nous finissions par échouer sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame afin de nourrir les pigeons et les moineaux accourant des gargouilles. Assez régulièrement, nous passions le plus précieux de nos moments de liberté sur l'Île de la Cité : ancien village de pêcheurs gaulois, figure de proue de ce qui devint à travers les siècles, par la force des conquêtes, le Paris que nous connaissions à cette époque. Nous en fîmes notre lieu de prédilection. Pour ne pas déroger à la règle, en adéquation avec cette inexprimable passion qui m’habitait, le mardi, nous démarrions la journée au Point de mire, après avoir avalé un chocolat chaud et un croissant au petit-déjeuner. Pour elle, ce fut systématiquement un thé à la bergamote, avec des tranches tartinées de pain grillé. Le reste du temps se résumait à la Faculté, aux bibliothèques, et pour ce qui me concerne, à quelques kilomètres de lignes de lecture supplémentaires. Un an plus tard, Auguste, le patron du Provençal, nous informa qu’il mettait en location son modeste appartement situé au premier étage, juste au-dessus du bistrot. Il semblait avoir un mal fou à trouver des locataires. Ce fut alors qu'il eut la lumineuse idée de 18
  • 19. revoir son loyer à la baisse et d'en proposer la location à de jeunes étudiants, supposés plus imperméables aux bruits ambiants. Nous échangeâmes un regard empli d’exaltation. Sans tergiverser, nous secouâmes la tête d’un signe d’approbation. Effectivement, le prix du loyer nous rendit bien sourds au chahut des clients qui jacassaient sans cesse, aux verres que l’on cassait à longueur de journée, aux assiettes massives que l’on fracassait contre le dallage. Nous nous en plaignîmes si peu et finîmes, dans une certaine mesure, par nous en accommoder. Nous apprécions Paris, même sous la pluie. Nous nous y promenions auréolés de nos capuches, scandant hilares Casse-noisette de Tchaïkovsky ou le dernier air à la mode. Bras dessus bras dessous, esquissant les pires contrepèteries qui ne pouvaient amuser que nous seuls. Quelquefois, nous restions des heures dans l’une des pièces de notre appartement, sans musique, sans un mot, à écouter le silence et les sons extrinsèques. Cela nous rassérénait profondément, initiait une osmose sans égal. Nos chambres étaient contiguës. Elles s’ouvraient sur un dégagement donnant accès à la salle de bains. Ce fut là, notre salle de réveil. Chacun sortait du lit, armé d’un édredon que nous nous balancions par la suite en pleine figure en guise de bonjour. Le principe consistait à frapper aussi fort que possible afin d’arracher à l’autre son premier cri de la journée. Bien évidemment, le premier qui hurlait, perdait. Sadisme ou masochisme ? Sans doute les deux. Mais comme nous nous amusions ! Elle s’appropriait toutes mes chaussettes. Je lui empruntais ses maillots de corps en coton, que je portais toujours à l’envers pour dissimuler les motifs féminins, un peu trop colorés à mon goût. Nous mangions les mêmes yoghourts. À la rhubarbe. Vraisemblablement par mimétisme, je me mis également au thé. Je devins bilingue. Français, américain. Je lui communiquai mon engouement pour l'Égypte antique. En particulier, la Nubie. Le royaume de Koush. Mon rêve. Le rêve au-dessus de tout rêve devenu en définitive notre 19
  • 20. plus beau rêve. Sincèrement, ce ne serait pas trop exagérer de prétendre qu’il eût suffi que l’un se frottât le bout du nez pour que l’autre éternuât. Comment vous expliquer cette affinité unissant un couple d’amis, présentant des liens beaucoup plus étroits que n’en développeraient deux jumeaux, agissant tel un seul homme, une seule femme ? Sans pour autant que cela ne revêtît les apparences d’une relation fusionnelle. Au contraire, au fil du temps, nous y vîmes un rapport au demeurant ordinaire. Parlant en outre du temps, nous ignorions intrinsèquement que nous n’en aurions jamais assez pour réaliser tous nos rêves communs. En réalité, juste assez pour apprendre à nous apprécier, à nous aimer. Aimer véritablement. Aimer profondément, sans extravagances, sans compromis ; suffisamment toutefois pour parvenir à conjuguer ce verbe avec l’intensité d’un présent continu. Plus qu’un mot, la conception et l’expression d’une vie. Aimer, tout en restant soi-même. Dans la vérité. Sans aucune forme de condamnation. Car en la scrutant, ce fut moi que je voyais. En la pesant, ce fut encore toute la mesure de mon être que j’y trouvais. Et réciproquement. Bien que nous manifestassions un jugement sévère sur nos fréquentations respectives, il ne se dessinait aucune ombre de discorde entre nous deux. Hormis ce dernier soir... Nous étions pourtant si jeunes ! En principe, à vingt-deux ans, la mort accepte volontiers de patienter le temps que jeunesse se passe. Du moins, c’est ce que je m’étais imaginé. D’ailleurs, l’Écclésiaste n’en avait-il pas exposé les signes avant-coureurs ? Ne faut-il pas au préalable « que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que les nuages reviennent après la pluie1» ? Comment aurais-je pu deviner que la vie est en fin de compte un chemin de glace prêt à céder sous chacun de nos pas, beaucoup plus fragile que ne le présageait mon innocence, qu’à n’importe quelle occasion un petit rien peut en suspendre l’aboutissement, en briser le fil ? Cela, je ne le découvris que le jour où Katelyn mourut. Brutalement. D’un 1 Livre de l’Écclésiaste 12 : 2 20
  • 21. accident de la circulation. De là, je perdis les maillons de mon existence. Il semblait malaisé, à mon esprit, de pouvoir relier deux points entre eux. Penser, ne représentait plus cette forme de liberté qui jadis me transcendait, cet exutoire qui fort souvent m’apaisait, mais une douleur profonde qui, épouvantablement, m’écrasait. Je n’étais plus moi ; si tant est que je l’eusse été auparavant. Mon esprit demeurait embrumé, le coeur abominablement envasé. Dorénavant, je marchais seul vers l’inconnu : ce substrat si imprévisible, si effrayant, qui brutalise l’ordre établi, rompt avec cette superficielle quiétude humaine. Dans l’aversion de tout, le dédain de soi, assaisonné de larmes de sang, torturé par la véhémence des intentions perverses et morbides. De ces résolutions dépravées que rien ne voulut réfréner, ce mental estropié augurait un dépérissement fatidique. À l'image apparente d'un misanthrope, je vécus les années qui s'enchaînèrent dans la réclusion la plus austère. II 21
  • 22. La visite de mon père « Toutes les choses qui me causent de l’anxiété ou de l’inquiétude n’ont, en soi, rien de bon ou de mauvais, sauf dans la mesure où mon esprit est perturbé par elles » ; ainsi, s’exprimait Spinoza. Une telle assertion trouve aisément écho dès lors que l’on est porté par les meilleures aspirations au monde, versé dans les plus grandes espérances ; mais laquelle se révèle à tout le moins insipide sitôt que nos horizons s’assombrissent. Généralement, placé dans ma condition, lorsque les rêves s’envolent, l’espoir s’éteint de lui-même. Ne parvenant à observer le ciel qu’au travers des nuages, et le fleuve que par ses remous, on en vient, en l’espèce, à estimer que plus rien n’est vrai, à l’exception de ce que l’on vit ; plus rien n’a de sens, si ce n’est ce que l’on peut encore éprouver. Le mur en pierres que j'avais érigé au fond de moi était devenu si haut que je ne parvenais plus à voir personne. Excepté mes parents, je ne permis dans mon périmètre d’intimité que ce seul ami d’enfance que je considérais profondément comme mon frère. Toujours vrai, déconcertant de simplicité et d’empathie : Alban Monge, dont la famille, frappée de malédiction, fut dépouillée de ses membres, tel un arbre soumis aux vents impétueux. Mes parents craignaient beaucoup pour sa vie. Ils priaient régulièrement pour lui. Sans nuance, sans fiel, Alban me rappelait inlassablement à quel point il fallut me remettre à vivre sans délai, tel que l’on revient promptement à un ouvrage laissé de côté ; faute de quoi, affirmait-il, on risque très vite d’en perdre l’habitude, de s’atrophier, et rapidement, le goût de l’existence se dilue dans l’amertume, à nous ôter définitivement l’envie de vivre. 22
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