1. L’allégorie de la caverne
Philosophie
Classe de Première
GGP, LCS, 2022-2023
2. Plan
Introduction
1. Quelques mots sur La République
2. Les trois théories de Platon
3. Interprétation de l’allégorie
Vocabulaire à retenir : aristocratie, démocratie, épistémologie, ontologie, scepticisme,
relativisme, rationalisme, empirisme.
Thèses à connaître : la thèse des philosophes-rois, la théorie des Idées.
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3. Introduction
Les premières pages du livre VII de La République, consacrées à
l’allégorie de la caverne, sont sans aucun doute parmi les plus célèbres de
l’histoire de la philosophie.
Elles sont souvent étudiées et commentées. Elles ont inspiré de nombreux
films : par exemple, Matrix (1999), The Truman Show (1998) ou encore Le
conformiste de Bernardo Bertolucci (1970).
Pour mieux les comprendre, il n’est pas inutile de revenir sur l’ouvrage
dont elles sont issues : La République de Platon.
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4. 1. Quelques mots sur La République (1)
Rappelons que son thème premier est la justice.
Qu’est-ce que la justice ? Socrate aborde cette question à partir d’un
double point de vue :
- Du point de vue de l’individu : qu’est-ce qu’un homme juste ?
- Du point de vue de la cité : qu’est-ce qu’une cité juste ?
À ces deux questions, Platon, par la bouche de Socrate, apporte la même
réponse : la justice est ordre, l’injustice désordre.
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5. 1. Quelques mots sur La République (2)
Comment faut-il comprendre cette affirmation ?
Platon présuppose que l’âme individuelle est tripartite : elle est composée
de trois parties, la partie rationnelle (logos), la partie ardente (thumos) et la
partie désirante (epithumia).
Or, l’homme juste est celui qui a une âme ordonnée, une âme au sein de
laquelle la partie supérieure (à savoir la partie rationnelle) commande les
parties inférieures (à savoir la partie ardente et la partie désirante).
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6. 1. Quelques mots sur La République (3)
Il en va de même pour la cité. Platon présuppose qu’à chaque partie de
l’âme correspond une certaine classe. De nouveau, pour qu’il y ait justice,
il faut que la partie supérieure de la cité commande les parties inférieures.
Selon Platon, chaque individu a une nature qui le prédispose à une
certaine place dans la cité (et donc à une certaine classe).
La cité juste, c’est la cité ordonnée ; c’est la cité dans laquelle chacun
exerce la fonction qui lui est propre (du fait de sa nature) et reste à sa
place.
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7. La cité idéale selon Platon
Raison
(logos)
Cœur
(thumos)
Désir
(epithumia)
Les trois classes de la cité Les trois parties de l’âme
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8. 1. Quelques mots sur La République (4)
Paradoxe : Platon n’est pas démocrate mais aristocrate.
Selon lui, il faut donner le pouvoir, non pas au peuple, mais aux meilleurs
(aristoï), à savoir les philosophes.
C’est la thèse (célèbre) des philosophes-rois :
« Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, ou que ceux qu’on appelle
aujourd’hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes ; tant
que la puissance politique et la philosophie ne se rencontreront pas dans le même sujet
(…) ; il n’y aura de cesse, mon cher Glaucon, aux maux des cités, ni, ce me semble, à
ceux du genre humain. » (La République, V, 473a)
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9. 1. Quelques mots sur La République (5)
Plusieurs questions se posent :
1. Comment savoir qui appartient à telle ou telle classe ?
2. Supposons qu’on réussisse à identifier ceux dont la partie rationnelle
de l’âme est la plus développée (les philosophes). Est-ce qu’ils seront
capables de bien gouverner la cité ?
Selon Platon, il faudra former, éduquer les futurs gouvernants. Mais en
quoi consiste cette éducation ? C’est à ce moment qu’intervient, dans le
livre, l’allégorie de la caverne.
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10. 2. Les trois théories de Platon (1)
Avant d’aller plus loin, il est utile de revenir sur d’autres points importants
de la philosophie de Platon.
La théorie politique que nous venons esquisser est solidaire, en effet, de
deux autres théories : une théorie épistémologique et une théorie
ontologique (ou métaphysique).
Ces trois théories sont, en fait, indissociables. Si Platon rejette la
démocratie, c’est précisément à cause des prémisses épistémologiques et
ontologiques qui sont les siennes.
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11. 2. Les trois théories de Platon (2)
• La théorie épistémologique
Selon Platon, la politique est (comme la navigation ou la médecine) une
affaire de compétence : il ne faut pas laisser n’importe qui s’en occuper.
Si les philosophes-rois doivent gouverner, c’est parce qu’ils sont les seuls
à être compétents : ils connaissent non seulement la vérité, mais aussi le
Bien. Laissons de côté pour l’instant la question du Bien et focalisons-nous
sur celle de la vérité.
L’homme peut-il connaître la vérité ? Platon défend, à ce sujet, trois thèses
distinctes.
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12. 2. Les trois théories de Platon (3)
1) L’homme peut connaître la vérité. Platon n’est pas sceptique. Il ne doute pas
de l’existence de la vérité ni de la capacité de l’homme à l’atteindre.
Contrairement à Platon, les sceptiques pensent que l’homme ne peut pas
connaître la vérité. Selon eux, rien n’est vrai.
Remarquons que cette proposition ne résiste pas à un simple examen
logique. Si on la défend, on se contredit nécessairement : si la proposition est
vraie, alors elle est fausse...
Notons aussi, au passage, que le scepticisme a été défendu, dans l’Antiquité,
par un philosophe postérieur à Platon : Pyrrhon d’Élée (365-275 av. J.-C.).
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13. 2. Les trois théories de Platon (4)
2) Au lieu de dire que rien n’est vrai, on peut défendre une thèse un peu
différente : « à chacun sa vérité ». Ce n’est pas une thèse sceptique : c’est
une thèse relativiste.
Les sophistes qui sont favorables à la démocratie sont aussi relativistes. C’est
le cas, en particulier, du plus célèbre des sophistes : Protagoras. Ce dernier
a écrit : « L’homme est mesure de toutes choses, des choses qui sont,
qu’elles sont, des choses qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas. »
Comme on sait, Platon s’oppose vivement aux sophistes. Il reproche à ces
derniers de confondre savoir (epistémè) et opinion (doxa). On ne peut pas
dire : « à chacun sa vérité ». La vérité est, par définition, la même pour tous.
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14. 2. Les trois théories de Platon (4)
3) Platon va plus loin : il ne se contente pas de dire que la vérité existe ; il nous
indique comment l’atteindre.
En lisant l’allégorie de la caverne, il est bon de garder en tête que Platon est un
philosophe rationaliste. Selon lui, c’est grâce à la raison – et plus précisément grâce
au dialogue et à l’enchaînement raisonné des questions et des réponses – que
l’homme peut accéder à la vérité. Il faut se méfier de l’expérience, car elle peut être
trompeuse (cf. les ombres sur la paroi de la caverne). En outre, grâce à l’expérience,
nous savons qu’une chose est (par ex., les corps tombent), mais nous ne savons pas
pourquoi ; les causes des phénomènes (en l’occurrence, la gravité) n’apparaissent
pas dans l’expérience. Si on veut connaître les causes, il faut aller au-delà de
l’expérience : telle est la conviction de Platon, qui annonce ici la science moderne.
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15. 2. Les trois théories de Platon (5)
• La théorie ontologique
La théorie politique de Platon dépend de sa théorie épistémologique,
laquelle dépend, à son tour, de sa théorie ontologique (ou métaphysique) :
encore une fois, les trois théories sont interdépendantes.
De quoi s’agit-il ici ? La question n’est plus : qui doit gouverner la cité ? Ni :
peut-on accéder à la vérité ? La question est : qu’est-ce qui est réel ?
C’est, au fond, la question que pose Morpheus dans Matrix.
À cette question, Platon apporte une réponse... originale !
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16. 2. Les trois théories de Platon (6)
En règle générale, nous considérons comme réel tout ce que nous
percevons par nos sens : ce que nous pouvons voir, toucher, etc.
Platon prend le contrepied de cette intuition assez commune. Selon lui,
tout ce que nous percevons par nos sens n’existe pas vraiment, ou du
moins, relève du réalité inférieure.
La réalité supérieure, autrement dit, ce qui est « réellement réel », ne se
laisse pas appréhender par les sens : elle n’est pas de nature sensible,
mais intelligible. On n’y accède pas par les sens, mais par la pensée.
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17. 2. Les trois théories de Platon (7)
Platon est idéaliste (et non matérialiste) : ce qui est « réellement réel »,
selon lui, ce n’est pas la matière que je peux voir et toucher, mais ce qu’il
appelle les Idées (ou les Formes).
Qu’est-ce qu’une Idée selon Platon ? On écrit Idée avec un I majuscule
pour signaler qu’il s’agit du mot « idée » pris dans un sens original. Ce que
Platon appelle Idée, ce n’est pas l’idée au sens ordinaire du terme, c’est-à-
dire l’idée comme représentation mentale (par exemple, je peux concevoir
l’idée de triangle). L’Idée au sens de Platon existe hors de l’esprit
humain et indépendamment de lui.
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18. 2. Les trois théories de Platon (8)
Platon fait l’hypothèse que les choses sensibles – celles que nous percevons par nos
sens – sont des copies (imparfaites) des Idées (parfaites).
Si les choses sensibles changent sans cesse (cf. Héraclite : on ne se baigne pas deux
fois dans le même fleuve) et finissent, tôt ou tard, par disparaître, il y a, selon Platon,
quelque chose qui ne change pas et qui ne périt pas : ce sont précisément les Idées.
NB : aussi étranges soient-elles, les Idées de Platon annoncent ce que les scientifiques
appelleront, plusieurs siècles plus tard, « les lois de la nature ». Ces lois qu’on peut
formuler mathématiquement sont aussi abstraites que les Idées de Platon. Et pourtant,
elles permettent d’expliquer les phénomènes que nous observons. La science moderne
est, à bien des égards, platonicienne (cf. l’historien des sciences, Alexandre Koyré).
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19. 3. Interprétation de l’allégorie (1)
L’allégorie est, par une définition, une représentation concrète d’une idée
abstraite.
Pour comprendre une allégorie, il faut l’interpréter, c’est-à-dire donner
du sens à ses différents éléments.
Dans ce qui suit, nous nous proposons d’interpréter l’allégorie de la
caverne à la lumière des trois théories platoniciennes que nous venons de
présenter. L’allégorie de la caverne a en effet un triple sens : un sens à la
fois politique, épistémologique et métaphysique.
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20. 3. Interprétation de l’allégorie (2)
Les hommes dans la caverne
« Représente-toi des hommes dans une sorte d’habitation souterraine en
forme de caverne. »
Qui sont ces hommes ? Deux interprétations sont ici possibles.
- Les hommes dans la caverne sont, à première vue, les hommes « ordinaires », les
hommes sans éducation.
- Or, quelques lignes plus bas, Socrate dit : « Ils sont semblables à nous ». On peut
faire l’hypothèse que tous les hommes sont dans la caverne : les philosophes comme
les non-philosophes.
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21. 3. Interprétation de l’allégorie (3)
Les liens
« ...les jambes et le cou ligotés... »
Si les hommes dans la caverne sont ligotés, c’est qu’ils ne sont pas libres. Il y a
donc un lien, selon Platon, entre l’absence d’éducation et l’absence de liberté.
Les liens peuvent désigner :
1) Des croyances que les hommes ont depuis l’enfance (les préjugés).
2) Les conventions sociales
3) L’habitude.
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22. 3. Interprétation de l’allégorie (4)
Les porteurs d’objets fabriqués
« ... le long de ce muret, Des hommes qui portent toutes sortes d’objets
fabriqués... »
L’interprétation la plus solide est que les porteurs désignent les sophistes, et plus
généralement, toutes les personnes qui ont une autorité telle qu’ils peuvent imposer leurs
croyances aux autres. Ces hommes sont comparés aux « montreurs de marionnettes »
ou « faiseurs de prestiges » (thaumatopoioi). Platon reprend d’ailleurs la même
expression pour désigner les sophistes dans un autre texte (Le Sophiste, 235b).
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23. 3. Interprétation de l’allégorie (5)
Les ombres, les objets fabriqués, le feu, la caverne
NB : Les hommes dans la caverne sont doublement éloignés du réel. Ils ne voient pas
le réel en lui-même, mais seulement la copie (ombre) de la copie (objet fabriqué).
(L’objet fabriqué est lui-même une copie de l’objet réel qui existe en dehors de la
caverne.) Les hommes vivent donc dans une réalité illusoire, créée de toute pièce par
les sophistes.
Notons aussi qu’il y a un stricte parallélisme entre la caverne et le monde extérieur :
aux ombres sur la paroi de la caverne correspondent les ombres et les reflets dans le
monde extérieur ; aux objets fabriqués qui défilent au-dessus du muret correspondent les
êtres réels ; au feu correspond le soleil.
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24. 3. Interprétation de l’allégorie (6)
On peut interpréter la caverne à la lumière des trois théories que nous
avons vues précédemment :
1) À la lumière de la théorie politique : la caverne, c’est la société athénienne :
le peuple inculte est manipulé par les sophistes et plus généralement, par les
hommes politiques.
2) À la lumière de la théorie épistémologique : la caverne, c’est le monde des
croyances.
3) À la lumière de la théorie ontologique : la caverne, c’est le monde sensible.
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25. 3. Interprétation de l’allégorie (7)
La libération : la violence initiale
«Chacun fois que l’un d’entre eux serait détaché et contraint de se lever
subitement... »
La libération du prisonnier est un mystère : comment se libère-t-il ? Peut-il se libérer
tout seul ? Qui le détache ? Platon ne donne, à ce sujet, aucune précision. Si on a besoin
d’un Socrate pour se libérer (de même, Néo est libéré par Morpheus), qui a libéré
Socrate, en premier lieu ? On ne sait pas. C’est d’autant plus mystérieux que la libération
ne se fait pas de manière douce : elle suppose une violence initiale. Le prisonnier est
« contraint de se lever subitement », on le tire hors de la caverne « par la force ».
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26. 3. Interprétation de l’allégorie (8)
L’éblouissement
« L’éblouissement le rendrait incapable de distinguer ces choses dont il
voyait auparavant les ombres. »
La lumière symbolise le savoir (ou la vérité). Si elle éblouit et fait mal aux yeux, c’est
précisément parce qu’il est douloureux de réaliser qu’on s’est trompé, et pire, qu’on a
vécu toute sa vie dans l’illusion. Comme ils ne savent pas qu’ils ne savent pas, les
prisonniers au fond de la caverne sont heureux. Comme le résume un personnage de
Matrix : « Ignorance is bliss ». Entre vérité et bonheur, semble-t-il, il faut choisir.
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27. 3. Interprétation de l’allégorie (9)
Le monde extérieur, les êtres réels et le soleil
Le monde extérieur désigne, non pas le monde sensible (le monde auquel nous avons
accès par nos sens, qu’on peut voir, toucher, etc.), mais le monde intelligible (le monde
auquel on ne peut accéder que par la pensée). Les êtres qui vivent dans ce monde sont
les êtres « réellement réels » selon Platon, ce qu’il appelle les Idées.
Parmi toutes les Idées, il y en a une qui est au-dessus des autres : c’est l’Idée du Bien
symbolisée par le soleil. (Cette Idée du Bien peut sans doute s’apparenter au Dieu des
religions monothéistes.)
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28. 3. Interprétation de l’allégorie (10)
Le retour dans la caverne
«... s’ils avaient le pouvoir de s’emparer de lui de quelque façon et de le
tuer, ne le tueraient-ils pas ? »
Le philosophe qui a accédé à l’Idée du Bien ne peut pas rester toute sa vie
dans le monde intelligible : tôt ou tard, il doit redescendre dans la caverne
et partager sa découverte avec les autres.
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29. 3. Interprétation de l’allégorie (11)
La philosophie n’est pas seulement théorique : elle a une visée pratique.
Ici il ne s’agit pas seulement d’accéder au bonheur. Il s’agit, en quelque
sorte, de révolutionner la société. Platon donne à la philosophie une
fonction politique : le philosophe doit gouverner la cité à partir de l’Idée
du Bien. Mais sera-t-il pris au sérieux ? On peut en douter. Pire : les
prisonniers de la caverne pourraient finir par le tuer.
Platon fait, bien sûr, allusion à la mort de Socrate.
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