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LA 
RELATION ENTRE LE 
CLIENT 
& 
LE 
DESIGNER GRAPHIQUE 
Mémoire professionnel universitaire 2014 | Marion Phelebon
LA RELATION ENTRE LE CLIENT 
& LE DESIGNER GRAPHIQUE 
Mémoire 
professionnel 
universitaire 
septembre 2014 
Marion Phelebon 
Université de Paris-Est 
Marne-la-Vallée
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Remerciements 
Introduction 
Préambule 
Partie 1 Client et designer graphique : deux acteurs, aux visions très différentes, qui doivent collaborer sur un projet commun 
1.1 Deux métiers, deux cultures, deux histoires 
1.2 Des méthodes de travail singulièrement différentes 
1.3 Quand la mésentente entre les deux acteurs impacte le management du projet 
Partie 2 Comment améliorer la relation entre client et designer graphique 
2.1 Différentes techniques sociologiques et managériales pour améliorer la communication et la confiance de la relation 
2.2 Lorsque conception et management se rencontrent 
Conclusion 
Notes 
Bibliographies 
Table des annexes 
Annexe I 
Annexe II 
Annexe III 
Annexe IV 
Annexe V 
Annexe VI 
Annexe VII 
Table des figures 
SOMMAIRE
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Je souhaite remercier les professionnels du secteur design qui ont bien voulu m’accorder de précieux entretiens, me permettant d’étayer mes propos : Pierre Bernard, Camille Boidron, Élodie Boyer, Mathieu Chévara, Stéphane Darricau, Geoffrey Dorne, Véronique Marrier, Patrick Paleta, Étienne Robial et Mélanie Seraidarian. Je leur suis particulièrement reconnaissante de m’avoir consacré du temps afin de répondre à mes questions et des pistes ainsi fournies pour nourrir ma réflexion. 
Je souhaite remercier Clément Gault et Luc Benazet, qui se sont montrés disponibles par email interposé et m’ont notamment indiqué des sources primordiales en matière de recherche en design, et en collaboration/conflit en situation de travail. 
Je remercie mon tuteur, Axel Corjon, qui a toujours été disponible et à l’écoute pour me conseiller, et a bien voulu m’accorder le temps nécessaire afin de rencontrer et interviewer les professionnels du design, ainsi que pour participer à une journée table-ronde organisée par le CNAP. Je lui sais gré de m’avoir fait part de son point de vue, de son expérience et de m’avoir livré des témoignages sur le métier. 
Je tiens également à remercier l’équipe pédagogique du Master 2 MITIC de l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, en les personnes de Laurence Bouveresse, Philippe Boyer-Nardon, Sherazade Gatfaoui, Rola Hussant, Annie Roussey et Michael Zartarian, qui ont accompagné ce mémoire, depuis sa genèse et tout au long de son évolution et m’ont donné de nombreux conseils au fil de son écriture. 
Enfin, j’ai une pensée particulière pour Lydie et Clément qui ont relu mon mémoire à la recherche de coquilles, m’ont parfois donné des conseils de rédaction et surtout m’ont soutenue, allant jusqu’à supporter mes sautes d’humeur durant les deux derniers mois d’écriture de ce mémoire. 
Colophon 
Les textes et les images ont été placés par Clément Valette, 
sous la commande de Marion Phelebon. 
Le texte est essentiellement composé en Antique Regent, 
à laquelle s’ajoute l’Austin, l’Helvetica Neue, la Pitch, 
la Typewriter et la Verdana..
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« Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux ». Cette citation de l’historien britannique Arnold Toynbee (1955) souligne, à elle seule, l’importance des relations qui unissent les hommes et composent notre société. Le terme de « relation » vient du latin relatio qui signifie « rapport » ; ce lien qui unit au moins deux personnes, peut être d’ordre sentimental (basé sur la solidarité, la confiance, l’amitié, etc.) ou institutionnel (juridique, contractuel, etc.). 
Certaines entreprises sont parfois amenées à externaliser ou à collaborer avec des professionnels extérieurs, car elles ne maîtrisent pas toutes les compétences métiers qui leur sont nécessaires. Elles font alors appel à des prestataires de services, qui, pendant une période donnée, vont échanger leurs compétences métiers pour produire un service à destination de l’entreprise. Il se noue alors une relation contractuelle entre les deux acteurs, basée sur la confiance et l’attente de résultats. Or il est intéressant de remarquer que certaines professions relatives à l’Art, comme l’architecture ou le graphisme, rencontrent systématiquement des problèmes importants dans la construction de cette relation avec leur client ! 
Dans le domaine du design graphique, le problème de la relation avec le client est mal vécu par la plupart des designers graphiques, qu’ils soient auto-entrepreneurs, enregistrés à la MDA (Maison des Artistes) ou qu’ils travaillent dans des agences (TPE/ PME/ grandes entreprises). Ainsi, selon une étude de la DGCIS (APCI 2012), en France, 80 % des designers graphiques interrogés estiment « manquer de communication, d’écoute et de confiance de la part du client ». La nature de la relation qui unit le client et le designer graphique n’a jamais été étudiée, ou très peu, et les deux partis qui sont amenés à collaborer ensemble sur le projet n’ont à ce jour pas de solutions à adopter pour améliorer leur relation. Or cette situation problématique tend à se développer puisqu’aujourd’hui, le design graphique est un outil de communication et de différenciation qui fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Aussi, toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur cible et leurs produits, font appel à des designers graphiques pour les aider à se positionner, à vendre leur produit, et à se différencier de la concurrence. Au final, la communication semble bloquée entre le client et le designer graphique, ce qui a un impact négatif à la fois sur les acteurs, mais également sur le déroulement du projet et sa viabilité. 
Les normes, la culture, la position sociale, les préjugés et stéréotypes sont autant de facteurs sociaux, organisationnels et culturels qui impactent cette relation, et entraînent tensions et conflits. Par l’analyse de ces facteurs qui empêchent la bonne relation et donc une bonne communication entre le client et le designer graphique, nous cherchons à répondre à la question suivante : 
Cette problématique trouve sa justification à la fois dans la pratique professionnelle, culturelle et théorique. C’est une question d’actualité, qui est vécue par l’ensemble des graphistes, quels que soient leur origine, leur statut et la taille de leur entreprise. Enfin, la question de la relation entre les acteurs d’un projet est au coeur du management (quel que soit le champ d’études) et de l’enseignement dispensé dans notre formation MITIC, et ce travail constituerait alors une nouvelle approche de la nature de la relation avec son client, avec un focus sur le design, qui pourrait se révéler exportable, duplicable, et ajustable à d’autres professions. 
La première partie de ce mémoire visera à mettre en lumière et à expliquer les facteurs de divergences entre le client et le designer graphique (qu’ils soient d’origine culturels, sociétaux, politiques, techniques ou managériaux), et comment ils peuvent interférer sur la gestion et le management du projet partagé. La seconde partie nous amènera, tout naturellement, à envisager des solutions sociologiques, institutionnelles et managériales, afin de rééquilibrer et aplanir ces différences et rétablir ainsi la confiance et la bonne communication indispensables à la réalisation du projet. 
INTRODUCTION 
« Dans quelle mesure 
la relation entre client et designer graphique peut-elle impacterle management d’un projet ? »
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PRÉAMBULE 
Avant toute chose, il est important de clarifier la notion de « design » pour bien comprendre ce dont il s’agit, et l’objet de ce mémoire. 
Contrairement aux idées reçues, le « design » n’est ni une activité nouvelle, ni un mot anglais « à la mode ». Le terme design trouve son étymologie dans le latin designare qui signifie « marquer d’un signe, dessiner, indiquer », et son évolution italienne disegno, qui renferme les deux notions que sont le dessein (l’intention d’un projet, le processus, la conception) et le dessin (la représentation graphique, composition visuelle) (DICI design, 2011). Pour emprunter l’expression utilisée par l’agence graphique Grapheine sur son blog 1, on pourrait donc résumer comme suit : « Designer, c’est dessiner à dessein ». 
Le design possède plusieurs spécialités dont les plus connues sont le design produit ou design industriel, le design de packaging, le design d’identité visuelle et de communication, et le design d’espace. L’étude de ce mémoire porte principalement sur le design graphique (ou graphisme, le design d’identité visuelle et de communication) qui regroupe autant d’activités créatives telles que le dessin de caractères (typographie), la mise en page, la création d’identité visuelle (logotype), de signalétique, de générique de film (motion et 3D), ou webdesign (habillage d’un site internet, voire d’application mobile). Le design revêt ainsi de multiples formes, afin de répondre au mieux au besoin initial exprimé. 
En français, on utilise plus communément l’appellation « graphiste », pour désigner celui qui conçoit une identité visuelle ; mais c’est un terme que peu de gens identifient directement, qui parait vague et qui ne semble pas bien décrire la profession qui se cache derrière. Aussi, l’expression « designer graphique » est-elle employée de plus en plus souvent en remplacement ; elle sera d’ailleurs utilisée tout au long de ce mémoire. Cette nouvelle formulation n’est pas une aberration : Alain Rey, dans son dictionnaire historique de la Langue française, explique que le mot design n’est pas un anglicisme, mais qu’il s’agit d’un mot de « conception internationale » (Rey, 2006). L’utilisation de cette appellation de designer graphique apparaît donc plutôt comme le choix d’un retour aux sources, vers le vrai sens du mot design (et sa double signification : design = dessin + dessein). 
A Étymologie du design 
Il n’existe pas de définition précise et reconnue de design, mais plutôt des définitions de ce qu’est le design et ce qu’implique la profession de designer. De très nombreuses définitions du design ont été données, et chaque designer interrogé sur son métier pourra fournir autant de réponses différentes, selon sa vision de la discipline, son pays d’origine et son époque. 
Pour Debbie Millman (2007), 
« le design est une pratique visant à résoudre 
un problème en recourant à la créativité ». 
Pour Stefan Sagmeister (Millman, 2007, p.59), le design est « la combinaison visuelle et écrite, l’expression 
d’une idée, un processus et système 
qui vise l’amélioration, dans l’intérêt du client ». 
Selon Jean-Charles Gaté (1998), le designer est un 
« professionnel de la création au service de l’entreprise 
et de la marque […] qui allie intuition et expérience pour innover et formuler des solutions concrètes ». 
Pour Catherine De Smet (2012), 
« Aujourd’hui, on parle de design pour exprimer les signes visuels émis par les marques. Il permet à la marque 
de s’incarner, d’exister sur le plan matériel à travers un produit, un logotype, un packaging. 
Le design représente la marque, il en est le moyen 
de reconnaissance par les clients […] ». 
B Définition du design
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La diversité des réponses recensées ci-dessus montre d’une part que le design est un terme polysémique et que d’autre part, chacun a son idée sur le sujet. Il n’existe pas de définition unique du terme design en France. Brigitte Borja de Mozota (2002), chercheur en sciences de gestion, reconnue pour ses travaux sur le design management, décrit le design comme un processus à quatre caractéristiques essentielles, nommées les « 4 C du design », (par analogie avec les « 4 P du marketing ») : 
« - Créativité, car le design vise à créer quelque chose qui n’existait pas auparavant ; 
- Complexité, car le design implique des décisions sur un grand nombre de variables ; 
- Compromis, car le design implique la recherche d’un équilibre entre des objectifs et des besoins contradictoires (coût et performance, esthétique 
et facilité d’usage, matériaux et durabilité) ; 
- Choix, enfin, car le design implique des choix entre de nombreuses solutions possibles à un problème 
que ce soit au niveau du concept ou du plus petit 
détail de couleur ou de forme ». 
L’étude menée par la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services), en 2013 propose la définition suivante : le design est une « discipline qui vise à analyser et à représenter concrètement, une pensée, un concept ou une intention en tenant compte des contraintes fonctionnelles, structurelles, esthétiques, techniques et productives. À partir de la prise en compte de l’utilisateur et de l’entreprise productrice, le design a pour but de proposer des produits, services ou espaces qui génèrent un attrait pour le consommateur et donc un acte d’achat ». 
Cette définition que nous prendrons comme point de départ est plus précise, voire moins poétique que celles proposées par les designers précités, mais elle permet de révéler le point important de notre étude : le designer effectue un travail de recherche et de conception afin de résoudre une problématique, posée par un client dans le cadre d’une commande, qui répond aux besoins du marché et devra plaire au consommateur. C’est notamment ce point important, la relation entre le client et le designer graphique, que nous souhaitons développer dans ce travail 
de recherche. 
Même si la notion de design ne parle pas encore au grand public, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à en comprendre le rôle, et l’intérêt qu’elles pourraient en tirer en l’utilisant comme valeur ajoutée à leur production. Élodie Boyer, consultante en identité visuelle, explique que la situation et la mentalité des entreprises ont beaucoup évolué depuis les années 90, où un professionnel du design était alors « contraint de réitérer les propos pédagogiques à l’adresse des responsables de communication et des cadres dirigeants pour expliquer de quoi il s’agissait, à quoi il servait, pourquoi il était important pour l’entreprise » (Boyer, Patrin-Leclère, 2010). Aujourd’hui, toutes les entreprises investissent dans un logo, et ont conscience de l’intérêt d’une charte graphique pour mieux s’imposer et se différencier sur un marché concurrentiel. Aussi depuis 2008, le ministère de l’Industrie a consacré plus de 12 millions d’euros à la politique de soutien au design, et pour 2010, le chiffre d’affaires total du secteur du design est estimé entre 1,9 et 3,4 milliards d’euros, pour environ 44 000 designers graphiques en France (dont 19 000 artistes-auteurs et 20 000 salariés du secteur commercial) (DGCIS, 2013). 
En effet, le design, utilisé au bon moment et avec les bonnes ressources, est un facteur déterminant dans la croissance des entreprises. Il aide au développement de l’image de marque, de la notoriété de l’entreprise, et il permet la différenciation vis-à-vis de la concurrence (DICI Design, 2011). À terme, le design a pour objectif d’augmenter les marges réalisées sur les ventes de l’entreprise (hausse des quantités vendues, augmentation du prix de vente, mais pas du coût de revient, rationalisation des coûts de production, etc.). Par exemple, la France et le Royaume-Uni ont mené des études pour mesurer l’impact du design sur l’activité de leurs entreprises, et les résultats annoncés démontrent une réelle implication du design sur leurs performances économiques (près de 75 % des entreprises françaises qui ont eu recours au design notent une augmentation réelle de leur chiffre d’affaires, et la moitié affirme avoir ressenti une hausse de leur valeur financière). 
Cependant, bien que le rôle catalyseur du design soit profitable à l’entreprise qui y recourt, un rapport gouvernemental exprime de profondes incompatibilités au sujet des relations qu’entretiennent les designers et les entreprises qui font appel à leurs savoir-faire : le design et ses métiers restent mal connus (APCI et al, 2012). 
C Le rôle du client dans le design
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La méthodologie de recherche de ce mémoire a consisté en trois étapes qui ont permis de poser les bases de l’étude : une première approche préparatoire, une confrontation sur le terrain et enfin une phase analytique axée sur le rapprochement des données récoltées, et de la littérature professionnelle et universitaire (fig.1). La démarche méthodologique empruntée est à la fois qualitative et quantitative, et les sources proviennent de la littérature et du terrain. 
1 Phase préparatoire : À partir d’une problématique rencontrée dans ma pratique professionnelle (ANNEXE 1), j’ai cherché des pistes de réflexions et d’explications dans la littérature de recherche (ouvrages et revues universitaires), dans les articles et blogs professionnels et dans les études gouvernementales et Européennes. 
2 Phase opérationnelle : Afin de confronter ces recherches théoriques à la pratique actuelle, j’ai souhaité recueillir des témoignages professionnels auprès des acteurs concernés : les clients et les designers graphiques. J’ai assisté à une table ronde organisée par le CNAP (Centre National d’Arts Plastique) sur le thème de la relation entre le client et le designer graphique, une web-conférence organisée par Kea Partners sur le sujet de la relation client, j’ai visionné plusieurs conférences via la plateforme TEDx, 
et j’ai mené une série d’entretiens auprès de dix professionnels du 
secteur graphique, afin de valider mes recherches, et obtenir des 
réponses plus concrètes. 
La technique semi-directive a été retenue afin de recueillir le discours des professionnels (designer, médiateur, enseignant ou client). La grille d’entretien établie portait sur la relation du designer avec le client, les enjeux et conséquences de cette relation, et les solutions à développer pour améliorer la nature de cette relation. Ces entretiens, d’une durée approximative de 45 min à plus de deux heures, ont été réalisés suivant un guide d’entretien commun (ANNEXE 2) ; ils ont fait l’objet d’une prise de notes et d’une retranscription des verbatim, 24 heures au maximum après qu’ils aient été menés. Les dix professionnels (ANNEXE 3) qui ont accepté de participer à cette recherche ont été sélectionnés afin de représenter un panel d’acteurs en relation avec le thème de recherche de ce mémoire : la relation client-designer graphique. 
• Ce panel est constitué de 3 designers graphiques (identité visuelle, packaging, édition, typographie, webdesign, habillage télé, etc.), 4 designers 
graphiques également enseignants dans le secondaire et 3 clients 
ou médiateurs. 
• Parmi les designers graphiques 2 exercent depuis plus de trente ans, 1 exerce depuis plus de 15 ans, 4 exercent depuis moins de dix ans, certains travaillent à l’international. Ce panel a donc permis de rassembler des témoignages divers et variés, afin de représenter au mieux la pratique actuelle. 
3 Phase analytique : La dernière partie de ce travail a consisté à confronter les données théoriques, les données professionnelles, et les témoignages directement recueillis auprès des parties prenantes. Les verbatim et citations recueillis ont fait office de témoignages, et ont été intégrés dans le corps du mémoire, afin d’enrichir les approches théoriques et de les ancrer dans la pratique professionnelle actuelle. 
D Méthodologie de la recherche 
littérature de recherche 
Idée 
Phase préparatoire 
Phase opérationnelle 
Phase analytique 
Résultat 
séminaires & tables rondes 
analyse des résultats 
articles professionnels 
web conférences 
comparaison avec la pratique professionnelle 
études gouvernementales 
interviews 
rapprochement avec la littérature 
théorique & professionnelle 
Figure 1 : Schéma représentatif 
de la méthodologie de recherche appliquée 
Source : illustration personnelle
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Partie 1 
Client et designer 
graphique : 
deux acteurs aux visions 
différentes qui doivent 
collaborer sur 
un projet commun.
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1.1 – Deux métiers, deux cultures, deux histoires 
Lorsqu’on leur demande comment se passe la relation avec le client, tous les designers interrogés répondent qu’il y a un problème de communication et que le client ne comprend pas, voire « ne comprend rien » à leur métier. De nombreux blogs et images satiriques ont fleuri sur Internet pour dénoncer ce mal-être (Gratuiste.tumblr.com, Clients from Hell, Mon maçon, Pomme-Q, etc.). Ces blogs recensent, jour après jour, les témoignages et anecdotes, parfois amers, de designers graphiques qui dénoncent les remarques qu’ils reçoivent de leurs clients (concernant les plannings, les formats, la facturation, les projets, etc.). 
Même si ces blogs peuvent parfois prêter à sourire, ils sont surtout la preuve qu’il y a bel et bien un problème propre à la profession, à résoudre. Bien souvent, les designers graphiques annoncent que « c’est la faute du client, qui n’a pas de culture graphique », et ne peut donc pas les comprendre. Or, en vérité, le problème est beaucoup plus complexe : chacun son métier, chacun sa culture. 
On s’aperçoit alors que ce problème de communication qui mine la relation client/ designer graphique repose sur trois incompréhensions : la confusion entre prestation de service classique et conception graphique, la méconnaissance du métier du designer graphique, et surtout la spécificité d’un vocabulaire qui n’est pas partagé et qui créé, dès les premiers échanges, des barrières dans la communication et la relation. Il est important de comprendre ces freins, afin de les débloquer et d’avancer ensemble dans la relation. 
1.1.1 - La différence majeure entre la prestation de service 
classique et la création 
Au cours d’un entretien téléphonique, Élodie Boyer met en garde, dès la première minute, « il n’y a ni victimes, ni coupables. » Le problème de communication entre designer graphique et client n’est pas propre à la France, ni aux secteurs publics ou privés, car tous les secteurs sont touchés par ce problème de relation difficile. Il s’agit avant tout d’un problème structurel, notamment le fait que le client sait qu’il a besoin d’un designer graphique pour effectuer telle ou telle tâche, mais qu’il ne sait pas réellement ce qu’est un designer graphique et la valeur ajoutée qu’il pourrait concrètement apporter à son entreprise. À partir de cette constatation, il est plus aisé de comprendre l’un des freins de la communication entre le client et le designer graphique. 
A Le paradoxe du graphiste 
Au cours d’entretiens menés auprès de plusieurs graphistes, les notions de « prestation de service » et de « design graphique » sont ressorties comme étant diamétralement opposées, et absolument inconciliables. Le droit civil français ne définit pas la notion de « prestation de services », mais le code de la consommation définit ainsi la notion de prestation de service : « tout contrat, autre qu’un contrat de vente, en vertu duquel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s’engage à payer le prix de celui-ci ».2 
Le philosophe Jean-François Lyotard exprime dans un texte « Intriguer ou le paradoxe du graphiste » (Lyotard, 1990), cette notion d’ambivalence qui sépare et différencie le designer graphique du prestataire de service classique. « L’affiche du spectacle ne remplit pas son office si elle ne fait pas la passant aller au spectacle. C’est pourquoi je vous répète que les graphistes sont coincés. Artistes, mais promoteurs. Ils ont à proposer et leur oeuvre et autre chose que leur oeuvre, la chose ». L’oeuvre (car on parle bien de création pour la production d’un designer graphique) doit être à la fois esthétique (plaisir de voir) et rhétorique (pouvoir de persuasion et de croyance). Les designers graphiques sont à la fois « artistes, av- ocats, témoins, historiographes et juges. Parce qu’ils interprètent ». Au final, l’objet du designer graphique doit « intriguer, persuader, convaincre, surprendre, communiquer, informer, promouvoir, questionner, tout en relevant aussi de l’art visuel ». Le graphiste est à la fois un communicant et un artiste, qui doit s’oublier au profit de la commande qu’il a reçue. Ce paradoxe nous amène donc à penser qu’un designer graphique ne peut être ni considéré, ni traité comme un prestataire de service classique, il est plus que ça. 
Plus près de nous, Brigitte Borja de Mozota (2002), souligne également que « les savoirs du design dépassent les seules compétences d’origine artisanale pour englober les qualités humaines du designer ». On parle alors de qualités et savoirs tels que l’imagination, le sens du détail, la qualité de dialogue, le sens du matériau, la qualité de perception, la capacité d’écoute et l’esprit de synthèse, par exemple. 
La conception graphique est plus qu’une activité altruiste ou artistique ; il s’agit de formaliser, d’aider le client à exprimer un message, et de l’interpréter d’une manière appropriée et originale, grâce à des compétences qui relèvent à la fois de la gestion, des relations interpersonnelles et des compétences techniques (Millman, 2007, p. 128). Plus que de la création, le designer doit avant tout identifier un problème et le résoudre, via un processus logique de conception en six étapes : investigation, recherche, exploration, développement, réalisation et évaluation (Borja de Mozota, 2002). Ce processus de conception n’est pas donné à tout le monde, et relève d’un savoir-faire appris et répété, qui correspond à une technique, et non à un talent mystérieux.
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Au cours d’un entretien, Mathieu Chevara explique que, selon lui, le graphisme est un domaine à la fois sensible et intime, pour le designer qui va le traiter de manière subjective, mais également technique et professionnel, d’après une méthode de conception unique, d’où la singularité du travail et l’incompréhension du client vis-à-vis de ce professionnel qui est plus proche de sa production qu’un autre prestataire de service classique. Il y a un problème de démarche entre la « prestation de service » (exécutant, en retrait, travail plus standard) et le « designer » (exigence dans la forme, haute création), et cette frontière n’est pas toujours perçue par le client. 
B L’atout du designer graphique 
La profession de designer graphique combine plusieurs atouts que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres métiers et qui en font une profession particulièrement riche que l’on ne peut pas réduire à la prestation de service classique dans le sens de sa définition. 
Blair Enns, spécialiste international en développement des entreprises de design 3, rapproche le profil du designer de celui du chercheur. Il met en avant la capacité de conception et de création du designer pour qui « l’inconnu d’un projet excite sa créativité et son esprit de recherche » contrairement à d’autres professions qui seront paralysées devant l’inconnu (gestionnaire, comptable, marketeur), et l’atout qu’il représente pour une entreprise dans une démarche d’innovation. À la différence des marketeurs, les designers ont la capacité de concevoir de nouveaux process, de concrétiser des idées et d’accompagner la conception et la matérialisation. 
Le design possède une dimension qui dépasse le projet pour lequel il a été mandaté. Le duo de designer formé par Emily Oberman & Bonnie Siegler (Millman, 2007, p.102), exprime le fait d’aimer travailler et produire « quelque chose qui change la façon dont les gens pensent (…), qui aide les gens (…) » ainsi que le fait que cette profession leur permet d’apprendre, chaque jour, de nouvelles choses. Alice Rawsthorn, design critic, s’exprime sur le sujet avec des mots plus forts encore 4 : la conception est « l’une des forces les plus puissantes dans nos vies », elle est tellement omniprésente qu’elle détermine comment nous nous sentons et ce que nous faisons, souvent sans que nous nous en apercevions. Alice Rawsthorn évoque même le fait de « devoir public », pour résoudre certains de nos problèmes environnementaux, technologiques et sociaux les plus pressants, et pour améliorer la qualité de la vie quotidienne pour tout le monde. Plus qu’un simple projet, ou une démarche de prestation de service, il y a finalement une certaine responsabilité sociale attendue dans la production du designer. 
Le rapport de la DGCIS (2013) souligne le fait que « la démarche design est une approche globale et transversale qui allie méthodologie, dessin, intégration de l’objet et approche économique » et que sa pratique n’est pas seulement la conception de quelque chose de « joli », mais un ensemble de pratiques : veille technique et graphique, analyse des nouveaux usages, organisation des données, identification de pistes de recherches, expérimentation, expertise, formalisation et conception d’une solution, scénarisation du projet, coordination et pilotage des intervenants extérieurs, déclinaison sur d’autres supports, rédaction du cahier des charges, transmission des spécifications techniques, observation critique et ajustement sur le produit final si besoin... 
La conception graphique implique une culture visuelle, mais également technique, et un esprit de curiosité qui conduit à se tenir au courant de l’évolution des supports et médias sur lesquels il travaille. C’est, au final, un travail pluridisciplinaire, où le designer se révèle à la fois conseiller, stratège, manager, concepteur et technicien. 
C Lutter contre les idées reçues et les stéréotypes 
À la décharge de l’entreprise qui fait appel à un designer graphique, bien souvent, le client ne connaît pas ce métier, il sait simplement qu’il a besoin de « quelqu’un » pour faire un « beau » logo. Cette profession véhicule idées reçues et stéréotypes qu’il faut, dans un premier temps, balayer. Selon Stéphane Vial 5, « La France est un pays où règne en maître le callocentrisme. Par là, il faut entendre la tendance contemplative de la pensée à privilégier le Beau et le ravissement artistique (...) ». Le plus souvent le client s’adresse donc à un designer, à la recherche d’un bel objet, sans connaître le travail de conception qui prévaut dans la pratique de la profession. De même, habitué à la prestation de service, le client n’est pas vraiment conscient du travail sur mesure que lui conçoit un designer professionnel. Le mythe de « l’artiste créatif » galvaude ce métier, mais être créatif n’est pas un don, c’est un travail ! Au final, beaucoup de clients font appel à un designer graphique pour le côté technique (utilisation de Photoshop) qu’ils ne maîtrisent pas, sans pour autant connaître le véritable sens de ce métier. 
L’étude sur les clés du design (DICI design, 2011) précise clairement que pour que la relation qui s’instaure entre un designer et une entreprise cliente soit efficace, il faut éviter « de considérer le designer comme un simple fournisseur (par fournisseur, il faut entendre « prestataire interchangeable » qui sera uniquement sélectionné sur le critère prix ) ». 
En conclusion, le designer graphique remplit une fonction de médiateur entre le monde industriel et technologique, où il créer un pont entre science et art, « la technique du design concilie l’aspect logique de la démarche scientifique et la démarche intuitive et créatrice ». (Borja de Mozota, 2002). Pour cette raison, le designer graphique est un concepteur et, en tant que tel, ne peut être jugé comme un prestataire de service classique.
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1.1.2- Un problème de considération du domaine artistique en France 
Il ne s’agit pas, dans ce mémoire, de faire un plaidoyer sur la place du graphisme en France et sa considération ou non, mais plutôt de recenser et d’expliquer les freins et les raisons qui empêchent la bonne communication dans la relation client/ designer graphique. 
Avant d’être une entreprise qui fait appel à un professionnel, le client est un citoyen qui vit et grandit dans un pays et s’imprègne de sa culture et des modèles qui sont transmis. Or, on s’aperçoit assez rapidement que le design tient une toute petite place dans le paysage français, qu’il est assez peu présent dans le domaine de la culture artistique et qu’il n’a même pas sa place au musée. Aussi, comment reprocher au client son « manque de culture graphique » et sa méconnaissance du métier, quand personne ne lui a donné les clés de compréhension nécessaires au dialogue avec le designer ? 
A Les freins au développement de la culture du design 
Comme vu dans le chapitre précédent, le design n’a pas une, mais plusieurs définitions ; ce terme est d’ailleurs assez mal connu du grand public. En France, la majorité des gens, responsables politiques, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise, cadres dirigeants et la grande majorité des médias associent le design au stylisme ou à la création d’objets et de meubles. C’est même devenu un adjectif signifiant (à tord) « beau » et « à la mode », voire « cher ». Le design dans son ensemble, et plus particulièrement, certaines branches comme le design graphique, souffre d’un déficit de reconnaissance en général (DICI Design, 2011). Selon l’Alliance française des designers (association/ syndicat unique du design en France) « même si il y a eu quelques progrès au cours des dernières années, sa place demeure assez marginale et son rôle est souvent mal compris, sa valeur sous-estimée dans les sphères décisionnaires, aussi bien publiques que privées. » 6. Cette vision est partagée par les sondages issus de l’étude de l’APCI et al (2012), qui recense les freins de développement du design par les entreprises (fig.2). En premier lieu, 27 % des entreprises interrogées estiment ne pas recourir au design par « manque de culture design », et 21 % par peur « des coûts liés au design ». Les designers interrogés vont également dans ce sens, ils sont 84 % à penser que c’est la méconnaissance de leur métier et 77 % que c’est le coût du design, qui sont les plus gros freins au développement de la culture du design en France dans les entreprises. En second lieux, 30 % des entreprises interrogées évoquent aussi « l’existence d’une mauvaise expérience antérieure », et 27 % évoquent des « éléments liés à la culture de l’entreprise ». 
En résumé, les clients eux-mêmes reconnaissent que leur méconnaissance du métier et leur manque de culture graphique sont des freins au développement du design dans leurs entreprises. 
B Un métier opaque et mal connu 
À la défense du client, la profession de designer graphique n’est pas très bien identifiée au sein même de la profession. Le rapport de l’APCI de 2012, liste les principales causes qui entretiennent une opacité autour du métier du designer graphique. 
• Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas de réelle définition, la profession est très mal référencée au sein même de l’INSEE, et les différentes nomenclatures qui la caractérisent sont peu ou mal utilisées (seulement 25 % des structures sont répertoriées avec le code 74.101 – réservé aux activités spécialisées de design - en vigueur depuis janvier 2008). 
• Les étudiants diplômés sortent actuellement des écoles de design avec des dénominations extrêmement variées et « Designer » n’est pas une appellation reconnue : la profession n’a ni titre, ni ordre spécifique, et ce malgré des études supérieures en cours de certification au niveau I ou II (Bac + 4 ou Bac + 5). « Designer » ne correspond à aucun métier, au sens administratif du terme. 
• Lorsqu’on s’interroge sur les prix pratiqués, il n’y a pas de fourchette de référence, pas de tarifs affichés, les pratiques varient (tarif à la journée ou au forfait). Sur quelles bases le client peut-il s’appuyer lorsqu’il est à la recherche d’un designer graphique pour la première fois ? 
Question aux entreprises : 
« Quels sont selon vous les freins à l’utilisation du design par les entreprises ? » 
Des éléments liés au marché. 
Des éléments liés à la culture de l’entreprise. 
Des éléments liés aux compétences 
Des éléments liés aux couts 
Le fait que vous innovez peu. 
Pas du tout En partie Très largement Ne sais pas / ne se prononce pas 
52 % 
42 % 
64 % 
25 % 
76 % 
36 % 
27 % 
23 % 
46 % 
8 % 
27 % 
5 % 
21 % 
4 % 
4 % 
4 % 
9 % 
7 % 
20 % 
Figure 2 :Les freins à l’utilisation 
du design selon les entreprises françaises 
Source : APCI et al, 2012
24 
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• La profession est assez diversifiée : on trouve des indépendants, ou freelances, 
des collectifs de création, des studios de création, des petites agences, et 
des grosses entreprises. L’émergence de toutes ces structures favorise l’ac-croissement 
des relations de sous-traitance entre agences, mais entretient 
également le flou autour de la profession. 
• Les structures sont très largement polyvalentes et ne se tiennent pas à une seule 
activité : seuls 18 % se consacrent à une seule activité de design, et 65 % de 
ces structures exercent trois activités différentes ou plus. Dans ce dernier 
cas, laquelle choisir et comment savoir si elle est compétente dans tous 
les domaines qu’elle propose ? 
C Une image faussée du métier de designer 
Lorsqu’on évoque la « méconnaissance du métier » de designer, ce terme géné-rique 
regroupe en fait de nombreux éléments qui touchent très précisé-ment 
au fondement du travail du designer graphique. 
1 
Méconnaissance ou mauvaise foi ? 
Il n’est pas rare qu’une entreprise demande des « tests » ou « maquettes » gra-tuits, 
à un designer graphique sans intention de le payer (fig.3). Il est mal-heureusement, 
également fréquent de voir des appels d’offres ou des 
concours où seul le meilleur projet sera rémunéré. Parfois, on propose 
aussi au designer de ne le payer que si le résultat plaît...Toutes ces réali-tés 
permettent d’illustrer assez simplement et rapidement l’image que 
le client se fait du métier. 
Le problème principal est double : d’une part, le designer est trop souvent confon-du 
avec le stéréotype de l’artiste, qui vit de sa passion et passe ses journées 
à dessiner (ce que les clients ne considèrent pas comme un métier, et qui 
n’a donc pas besoin d’être rémunéré). D’autre part, tous les clients ne sont 
pas conscients de la valeur ajoutée du design, et ne veulent donc pas inves-tir 
et rétribuer un designer graphique pour son travail et sa production. 
Une analogie, qui revient assez souvent, est développée par le blog Mon Maçon. 
Un client se permet-il d’expliquer à son boulanger comment faire son 
pain, ou à son médecin quelle prescription lui donner, à son garagiste 
quelle clé utiliser, ou encore à son maçon comment construire une mai-son 
? Non. Et pourtant, tout comme le designer graphique, ce sont des 
experts dans leur domaine, qu’on consulte et dont on respecte les conseils 
et préconisations. Alors, pourquoi ne pas appliquer la même démarche 
au design graphique ? 
Le problème se situe très certainement dans la hiérarchie des valeurs de notre so-ciété, 
où nous préférons élever des ingénieurs plutôt que des créatifs (le 
combat sciences dures, sciences molles). Le cliché de « l’artiste raté » a la 
vie dure, et il se situe en France « tout en bas de la chaîne de valeur , 
car il ne rapporte rien » selon Étienne Robial, graphiste, créateur de 
l’identité de Canal+. 
2 
L’évolution des techniques de travail 
Le travail du designer graphique a énormément évolué depuis ses dernières an-nées, 
et l’apparition du numérique, sensé simplifier et accélérer le travail 
du designer graphique, n’est pas toujours en sa faveur. Véronique Marrier, 
chargée de mission design graphique au CNAP, explique que lorsqu’un 
maquettiste mettait toute une journée à composer à la main une plaque 
d’impression avec des caractères de plomb avant de la faire imprimer (le 
travail était alors quasiment palpable, quantifiable et visible), aujourd’hui, 
le designer graphique passera autant de temps sur son ordinateur à conce-voir 
un fichier, déterminer une maquette, faire des essais de textes, caler 
la typographie, les interlettrages, et interlignages, etc., sauf que ce travail 
n’est plus aussi physique, visible et semble donc plus simple. Il y a finale-ment 
tout un processus caché, que le client ne soupçonne pas, qui fait 
cette différence entre le coût et la valeur du travail du designer graphique, 
et la perception, ou ce que croit savoir le client. Il faut mieux définir les 
plannings et détailler les tâches, le nombre d’heures nécessaires et leur 
coût, expliquer le processus au client, afin qu’il se rende compte de la 
somme d’heures de travail qui est en jeux. 
Figure 3 : Clichés illustrés de la profession 
du designer graphique sur le blog « Mon maçon » 
Source : Monmaçon.tumblr.com 
«… grand concours pour réaliser 
l’affiche/flyer/logo de notre…» 
«…Par contre, nous n’avons 
pas un gros budget…»
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27 
3 
Les outils de PAO et le problème du crowdsourcing 
Le crowdsourcing, est une pratique nouvelle, de plus en plus en vogue, qui tend à décrédibiliser le métier du designer graphique et à instaurer un « faux standard » au niveau des prix pratiqués (Creads, Eyeka ou Wilogo parmi les plus connues). Le principe est simple : il s’agit de réunir un groupe important de personnes/d’internautes, pour s’appuyer sur leurs compétences afin de créer du contenu. Une plateforme en ligne met en concurrence des centaines de personnes sur un même projet, et le client choisit une proposition finale parmi les centaines reçues, et ce, à un prix défiant toute concurrence. D’une part, cette pratique est déloyale, car elle ne rétribue que le gagnant (les 99 autres personnes qui ont « planché » sur le projet ne touchent rien pour le travail fourni), on peut même parler de travail dissimulé. Et d’autre part, le client a choisi parmi 100 propositions, mais rien ne garantit que son choix se soit porté sur un travail de qualité. En effet, il n’y aucun échange entre le client et les graphistes, aussi le travail produit n’est pas fait sur-mesure, et n’est donc pas forcément bien adapté à la demande du client (il y a également des problèmes de plagiat sur ces plateformes où tout le monde peut proposer n’importe quoi...). Le crowdsourcing est un problème pour la profession, car il véhicule une fausse image : un métier qui ne serait pas cher, où le designer fait de multiples propositions finales ; en d’autres termes, un métier « low-cost » (pas cher, rapide, en quantité), ce qui est tout le contraire du métier de designer comme nous l’avons défini précédemment. Le client n’a alors plus de repères concernant l’impact du message délivré, le temps qui y est consacré (le nombre d’heures de travail nécessaires), ni ce que ça vaut réellement (le prix réel de ce travail de conception). 
Les participations massives à ce genre de pratique sont facilitées par l’accès démocratisé aux outils de PAO (Publication assistée par ordinateur), logiciels de mise en page et de retouche d’image tels que Photoshop. N’importe qui ayant ce logiciel sur son ordinateur, peut se prendre pour un graphiste, parce qu’il a retouché une image, ajouté une typographie, modifié une couleur, etc. Aussi, pourquoi rétribuer quelqu’un alors que son neveu, sa fille, sa voisine… peut faire la « même » chose ? Cette accessibilité immodérée et facilitée à ces outils a profondément modifié le regard des potentielles entreprises clientes sur la profession des designers graphiques. 
Une autre pratique déviante, qui fausse l’image du métier, est la proposition, faite par des éditeurs (comme Pyramyd 7), de formations « graphiques » aux entreprises. Que l’on soit secrétaire, chargé de ressources humaines ou de marketing, on peut être initié en quelques jours à la pratique de Photoshop ou d’Indesign. Cela participe à la dépréciation du métier, puisque n’importe qui peut alors mettre dans son CV qu’il est graphiste, après s’être familiarisé pendant quelques jours avec Indesign ou Photoshop... Il existe ainsi une vraie confusion entre la pratique du design, qui est un métier, et la possession et l’utilisation de ces logiciels permis à tout le monde. 
Les trois points évoqués participent à véhiculer une fausse image de la profession, et peuvent expliquer, en partie, pourquoi les relations entre designer graphique et client sont parfois tendues. 
1.1.3– La représentation du design graphique en France 
Finalement, toutes ces pratiques qui tendent à dévaloriser le travail du designer graphique, prolifèrent, car il n’y a pas de repère « légal », qui constituerait un point de comparaison sérieux sur ce qu’est le graphisme expliqué à un quidam lambda. Ce qui participerait à véhiculer une bonne culture (on entend par là correcte) du graphisme n’existe pas ou peu. Pour cela, trois exemples marquants : 
• Le Gouvernement, censé garantir et donner l’exemple, ne respecte pas les bonnes pratiques du design, et participe, malgré lui, à répandre les préjugés sur la profession du designer graphique ; 
• Contrairement à certaines formes d’Art qui ont fait scandale avant d’intégrer les musées (l’art moderne ou l’expressionnisme), le design graphique, lui n’a toujours pas de musée pour le présenter au public ; 
• Enfin, même si aujourd’hui beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doivent faire appel à un professionnel pour la conception d’un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes ou sur la valeur ajoutée pour l’entreprise. 
En d’autres termes, pour la majorité de la population, et donc le client : le design graphique n’a pas fait ses preuves ! 
A Les instances représentatives 
1 
Les syndicats 
Qui peut se vanter de représenter le graphisme aujourd’hui ? Le SNG (Syndicat National des Graphistes), qui avait la charge de promouvoir cette filière, a disparu en 2001. Il a été « remplacé » par l’Alliance Française des Designers (AFD), syndicat professionnel des designers, toutes disciplines confondues, qui a fusionné avec les syndicats des secteurs environnement, textile et industriel, en 2003. l’AFD accueille une centaine de nouveaux membres par an, et en compte ainsi aujourd’hui 1700, parmi les dizaines de milliers de designers professionnels qui exercent en France, tous secteurs confondus. On peut donc affirmer que l’AFD n’a pas fait ses preuves malgré ses onze années d’existence 8. L’APCI (Agence pour la promotion de la création industrielle) se targue « d’accompagner, valoriser et promouvoir le design et ses secteurs » auprès de la popu
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lation française, mais n’a visiblement pas les compétences et les moyens de prendre tous les champs du design sous son aile (aucune action de grande envergure réalisée ces dernières années). 
2 
Les musées 
La galerie Anatome, bien connue des Parisiens, a été pendant douze ans le seul lieu permanent en France dédié au graphisme sous toutes ses formes (galerie d’exposition et librairie spécialisée), mais elle a fermé ses portes courant 2012... De même, le projet de construction d’un Centre National du Design (l’identité a même été réalisée par le studio Chevalvert), a été « enterré ». Un second projet de musée, le Centre international du graphisme, débuté en 2010 devrait voir le jour, à Chaumont, en 2015. En attendant, très peu d’informations sont disponibles sur Internet pour suivre l’avancée des travaux... De plus, le choix de cette ville d’accueil reste étrange : bien que Chaumont soit une ville emblématique pour le design graphique (elle accueille depuis maintenant plus de vingt ans le Festival International de l’Affiche), elle compte moins de 30 000 habitants. En comparaison de villes comme Paris, Marseille, Lyon, ou Bordeaux, auraient pu accueillir le musée et avoir un impact plus fort sur la population ; ce choix n’est pas très judicieux dans l’optique d’une démocratisation du graphisme. 
Concernant les grands musées nationaux, certaines expositions temporaires ou rétrospectives présentent parfois des productions issues du design graphique. Pourtant, le Centre Georges Pompidou et le Musée des Arts Décoratifs ont théoriquement le « Design » dans leurs prérogatives… mais comme le relève très bien Vincent Perrotet « on peut aussi se demander pourquoi, dans les collections du centre Pompidou, il n’y a aucune acquisition en design graphique » 9…. À la décharge des musées, il faut quand même reconnaître que l’affiche tient une belle place dans les collections de certains grands musées, tels que la BNF (qui détient la réserve la plus importante, avec environ un million d’affiches), la Ville de Lyon, la bibliothèque Forney, le musée de la Publicité, le centre de l’Affiche de Toulouse, le conservatoire de l’Affiche de Bretagne, la Maison du livre et de l’affiche de Chaumont 10. Mais cela n’est pas suffisant, car d’après Michel Wlassikoff, si l’affiche a constitué pendant longtemps un support de représentation du design graphique français (Jules Cherret,Cassandre, Grapus, etc.), les formes ont changé, évolué, se sont diversifiées 11. Le design éditorial, l’affiche, la typographie et l’identité visuelle, par exemple sont encore sous-représentés et donc sous-exposés dans les musées. 
3 
Les événements et festivals 
Plusieurs événements consacrés au graphisme sont régulièrement à l’honneur en France, mais ils ne touchent qu’un public très limité, et surtout, averti, alors qu’il faudrait plutôt s’adresser à l’ensemble de la population française pour lui faire découvrir cette profession. Les Festivals de l’Affiche de Chaumont (depuis 1989), Le mois du graphisme d’Échirolles (depuis 1990), ou plus récemment Une saison graphique au Havre (depuis 2009) participent à la diffusion du graphisme, quelques mois par an. Le CNAP édite, depuis 1995, « Graphisme en France » une revue annuelle qui met à l’honneur les designers graphiques et leur production. Cette revue fête cette année ses vingt ans, et c’est l’occasion d’organiser partout en France, des événements et expositions exceptionnels répartis sur toute l’année (la commande d’un nouveau caractère d’imprimerie proposé en libre-service, des cycles de conférences, un colloque international, des tables rondes entre designers et commanditaires, des guides imprimés sur la commande graphique, etc.). Tout cela, afin de fêter et démocratiser le graphisme auprès de l’ensemble de la population, pas seulement de la profession. 
Cependant, Michel Wlassikov tempère ces événements « En plus de dix années d’existence, ces manifestations n’ont pas réussi à mobiliser les foules au plan national, même si régionalement la presse et un large public ont ainsi découvert le graphisme » 11. 
Aussi, dans ces conditions, comment s’étonner que le client « manque de culture graphique », si elle est sous-représentée et si peu accessible en France ? L’absence de lieux dédiés au Design rend impossible une véritable connaissance de ses formes multiples, de son histoire et de son rôle social, environnemental et économique. 
B La pratique du design par le gouvernement 
Les appels d’offres ou concours sont monnaie courante dans la pratique du design. Cependant, d’après l’AFD 12, la majorité des appels d’offres de design n’offre pas de réelle « égalité des chances » (travail gratuit, exploitation de stagiaires…), ne permettent pas à la « libre concurrence » de s’exercer (les grosses structures sont avantagées au détriment des plus petites), et encourage une utilisation « déficiente des compétences du designer » (vendre, ce n’est pas concevoir). Toujours selon l’AFD, « La législation française, et en particulier le code des marchés publics, tord le cou à la création et aux fondements mêmes de notre profession ». Le sentiment de l’AFD est le suivant : le gouvernement français a une pratique irrespectueuse du métier de designer graphique et participe à répandre une image faussée de la profession. Leurs préconisations ont été recensées dans une charte de bonnes pratiques à l’usage des designers et des commanditaires (ANNEXE 4).
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Une dérive a été constatée dans le domaine des offres des marchés publics. L’instauration de procédures d’appels d’offres publiques tend à imposer des règles jugées irrecevables vis-à-vis de la profession. En effet, les pratiques des agences publicitaires, de faire appel à des offres de création sans aucune contrepartie financière, se sont peu à peu imposées dans l’univers des appels d’offres publics, et se sont étendues à toutes les disciplines du design. Or, répondre à un appel d’offres exige un investissement- temps important : avant de commencer quoi que ce soit, une demi-journée est souvent nécessaire pour le décrypter. Ensuite, il faut bien compter une semaine de travail pour élaborer une réponse adéquate et performante en créativité. D’autre part, toujours selon l’AFD, la rédaction du Code des marchés publics « cherche, en priorité, à protéger l’acheteur en faisant l’impasse sur l’aspect travail et investissement de la part du challenger de l’appel d’offres ». Aussi, la profession a vu peu à peu se transformer le Code des marchés publics (qui a été modifié à deux reprises), vers une utilisation qui désavantage les graphistes participants. 
Un exemple flagrant de ce problème a éclaté en 2013, suite à l’appel d’offres lancé par le gouvernement, pour réaliser l’affiche de la Fête de la Musique. Ce « coup de gueule » a largement été repris dans les médias et la presse et relayé sur les sites et blogs spécialisés : à l’origine, un malaise entre les conditions de l’appel d’offre, et les designers graphiques mandatés sur le projet. « On nous propose parfois 500 euros pour une étude d’identité graphique qui va, au minimum, nécessiter dix jours. À des gens ayant fait au moins cinq années d’études, complétées de formations post-diplômes et de stages à l’étranger, on demande de travailler quasiment pour rien, ou à des prix inférieurs au montant horaire payés en usine. » explique Vincent Perrottet 13. Pour rappel, le tarif moyen constaté d’un atelier de création graphique est de 70 à 75 euros de l’heure, soit 500 à 750 euros la journée... L’AFD a envoyé une lettre à ce sujet à Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, qui est restée à ce jour sans réponse. Au final, la conception de l’affiche a été confiée à une agence de communication (et non de design graphique). 
C Le design n’a pas encore clairement apporté la preuve de sa valeur ajoutée 
L’objectif d’une entreprise est de vendre, que ce soit des produits ou des services. Cependant, hormis dans certains cas où le design est devenu une nécessité intimement liée aux produits (automobiles, téléphones portables), le design n’est que rarement perçu comme tel. 
L’étude de l’APCI et al (2012) recense que « 60% des entreprises interrogées expriment leur doute vis-à-vis de la valeur ajoutée du design à leur entreprise », elles sont en attente de « preuves chiffrées de la rentabilité de cet investissement ». De même, l’augmentation du chiffre d’affaires et l’évolution de la valeur financière d’une entreprise restent les principales évaluations de la compétitivité du design. L’entreprise s’appuie sur la perception du client, pour mesurer la performance de ses produits ou services. Et le retour sur investissement du design n’est pas calculé pour la plupart des entreprises (toutes les entreprises ne peuvent pas investir du temps pour calculer ce retour sur investissement de manière rigoureuse). Pourtant, le design participe aussi à un positionnement stratégique de différenciation et à la construction d’un avantage concurrentiel. 
L’étude a également conclu que « le retour sur investissement du design était généralement apprécié de façon intuitive, sans utiliser d’indicateurs ou de ratios ». Il est estimé en fonction de la notoriété que le design apporte à l’entreprise, à sa capacité à améliorer l’image de l’entreprise et de ses produits. Dans ce cas, on peut facilement comprendre qu’il est difficile d’investir pour une entreprise dans un projet de design, en se basant sur des sentiments intuitifs, sans études chiffrées qui rassurent et garantissent un certain succès à la démarche. Les entreprises n’ont pas de temps à perdre pour calculer un retour sur investissement de manière rigoureuse comme elles le feraient pour d’autres activités. Il faut donc encore apporter la preuve que le graphisme a une incidence sur les ventes. Les entreprises voient combien ça coûte, pas combien ça peut rapporter : le client confond souvent le coût du design et le ROI (return on investment) ! Manuel Warosz commente ainsi ce résultat : « les gens pensent que notre travail graphique n’a pas de valeur « économique » puisqu’il n’a pas de valeur marchande. » (CNAP, 2010) 
Selon la Revue du Design 14, les entreprises sont bien conscientes qu’on ne les « choisit pas pour (leur) service comptabilité, pour (leur) capacité à mener de la R&D, mais bel et bien pour les produits ou les services qu’elles proposent aux consommateurs ». Le design peut donc apporter une différenciation, et perception de qualité. 
Même si, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doivent faire appel à un professionnel pour leur designer un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes, ou de la valeur ajoutée pour leur entreprise. Il faut apporter la preuve chiffrée qu’il s’agit là d’un investissement rentable et non pas d’une dépense superflue. À la différence du marketing, qui donne son « aura » au produit et a prouvé qu’il a une forte incidence sur les ventes, le designer graphique doit prouver que faire du graphisme de qualité aura une incidence sur les ventes, car il n’y a pas d’exemple, de science ou de méthodes précises pour le calculer et le prévoir. Au final, il manque une formule magique pour sécuriser le client !
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Stéphane Darricau, graphiste indépendant et enseignant en BTS Communciation Visuelle, cite volontiers le seul exemple à sa connaissance où le design a eu une réelle incidence sur les ventes, de manière incontestable. La collection de livres philosophiques « Great Ideas » de l’éditeur Pinguin, designé par David Pearson, a connu un succès retentissant une fois la jaquette des livres revisitée (fig.4). Ces textes philosophiques et politiques qui ont changé le monde, ont été remis au goût du jour via une collection, dont les couvertures typographiques célèbrent le pouvoir des mots (allusion à l’époque, avec le choix de la typographie de couverture). Résultat : 1 million de livres ont été vendus en 4 semaines, ce qui est un véritable exploit pour des livres rassemblant des textes difficiles à appréhender et s’adressant à un public averti. La collection qui, à l’origine, contenait une vingtaine de livres est progressivement passée à cent références. Tout cela sans modifier l’emplacement des livres (qui ont toujours été présentés près des caisses), leurs prix, et sans communication à grande échelle dans la presse. Ce succès populaire est donc uniquement dû au redesign de la collection. 
Élodie Boyer apporte également deux témoignages qui abondent dans ce sens. Pour le projet « Thello » (nouvelle compagnie ferroviaire qui assure la liaison Paris-Venise, association de Veolia Transport Transdev et Trenitalia), le client a pris conscience du rôle, du travail effectué par le designer, et il a reconnu que « l’investissement initial du projet est finalement une goutte d’eau, qui a un impact très fort ». Le design est une forte plus-value dans un projet : il apporte de la lisibilité à la marque, c’est une pièce maîtresse dans la réussite et la visibilité recherchée par un client ou une marque (fig.5). 
Mathieu Chevara a, quant à lui, souhaité s’exprimer sur ce qu’apporte « de plus » le design. Au-delà d’un ROI pour l’entreprise, le design a d’autres valeurs ajoutées que l’économie. Le graphisme peut modifier le comportement de l’entreprise, la notion de fierté et d’appartenance des employés. Il peut modifier l’aspect commercial, l’adéquation et la motivation des RH, impacter la curiosité des clients et privilégier la reconnaissance de l’entreprise par rapport à la concurrence. C’est un peu le principe « d’une pierre, dix coups », où le designer graphique est capable d’apporter une réponse qui aura dix impacts, mais pas forcément tous financiers. Cela permet de redécouvrir, voire de valoriser des métiers, c’est un réel travail et une valeur ajoutée de bien-être pour les entreprises et les salariés de la société. Mais encore une fois, tout ceci n’est pas quantifiable, et c’est malheureusement ce que recherche une entreprise... 
Figure 4 : Collection Great Ideas, revisitée 
par David Pearson pour Pinguin Book 
Source : typeasimage.com/greatideasone.html 
Figure 5 : Identité visuelle et déclinaison de Thello, par Élodie Boyer 
Source : elodieboyer.com
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1.1.4 - Une différence de langage et de vocabulaire qui ne facilite 
pas la communication 
Comme nous l’avons vu, de nombreux freins institutionnels et culturels expliquent l’attitude étrange que peut adopter un client face à un designer. Ces freins sont d’ordre extérieur, et nous pouvons dire que le client baigne, malgré lui, dans cette atmosphère et qu’il n’a pas toujours conscience de son attitude irrespectueuse envers la profession. Cependant, il reste un dernier frein, l’un des plus importants et plus difficile à cerner. Avant de travailler ensemble, de se comprendre, le client et le designer graphique ont besoin de disposer d’un vocabulaire commun, de pouvoir échanger souvent et de comprendre les prérogatives et le territoire de chacun. La pratique montre les difficultés du dialogue entre client et designer (Minvielle, 2006). 
A Un vocabulaire qui induit en erreur 
Dans le design graphique, le mot que l’on retrouve le plus souvent est celui de « commanditaire », soit la personne qui passe commande, en d’autres termes le client. Or, comme le souligne Étienne Robial, lors du salon Graphique organisé par le CNAP en mai dernier, « c’est le terme même de ‹ commande › qui pose problème, car les clients ont des manques, des besoins, et cela n’a pas de sens de dire que l’on puisse commander ce dont on manque quand on ne sait pas ce que c’est ». Le mot même de « commanditaire » implique un rapport de force qui n’est pas justifié, et place les deux acteurs dans une relation déséquilibrée. De plus, le terme de commanditaire est une utilisation déformée du mot qui, à la base, s’applique à l’immobilier, et n’a absolument pas de rapport avec le design graphique. C’est un « Associé d’une société en commandite, qui n’est tenu des dettes de celle-ci qu’à concurrence de ses apports » ou, « Bailleur de fonds d’une entreprise ou d’un groupement » (Petit Larousse). Nous préférons donc utiliser ici le terme de « client », qui implique une relation dont on comprend le tenant et les aboutissants entre les deux acteurs. De plus, bien souvent, le client n’a effectivement pas conscience de ce dont il a besoin, et ne peut donc pas se placer dans une position de « commande ». Le designer graphique est un spécialiste qui propose ses compétences et services à des clients qui ont des problèmes graphiques dont ils ignorent la nature exacte, et le designer graphique est là pour les aider à mieux cerner le problème et donc à le résoudre. 
Un deuxième problème découle de cette dualité « commanditaire/client » qui existe à l’intérieur même de la profession. Selon Stéphane Darricau, le terme de commanditaire est attribué d’emblée par les designers graphiques à la commande institutionnelle, celle qui est liée à la culture (identité de musées, institutions, expositions, etc.), et qui « implique des affinités symboliques, politiques et culturelles ». C’est un travail considéré comme noble, où il y a un réel besoin de synergie, le « Saint Graal » de la profession. En comparaison, le « client » représente le domaine du privé, du commercial, qui ne nécessite pas d’affinité particulière. C’est l’une des idées structurantes dans le champ du graphisme français, et les designers graphiques font d’autant plus la différence entre les deux types de graphisme qu’ils utilisent des noms différents pour désigner la même personne, celle qui va les employer à résoudre un problème, le client/commanditaire. 
Enfin, une troisième incohérence se retrouve au niveau du titre du designer graphique. Le terme le plus commun est celui de « graphiste », mais c’est un terme jugé trop vague par Stéphane Darricau, d’où la transformation qui s’effectue depuis quelque temps en « designer graphique », qui fait plus professionnel. Ce changement de vocabulaire permet de relier la profession au champ plus large du design, qui est plus connu, et ainsi de mieux définir le métier. Étienne Robial souligne également le fait que lorsqu’on pose la question à un designer graphique, « à savoir quel est son métier ? », la réponse peut surprendre : graphiste, Directeur artistique junior, Directeur artistique senior (DA), Directeur de Création (DC), etc. Plus que des métiers, ce sont des statuts hiérarchiques qui sont donnés par les RH lorsqu’un designer intègre une entreprise (nécessité de hiérarchisation de la profession pour les grilles de salaires). Mais à la base, son métier est bien celui de designer graphique. Il y a donc un mélange, un amalgame entre le métier et la fonction réelle. C’est important de bien resituer chacun à sa place pour comprendre leur relation et leur positionnement. Face à cette confusion des mots et des notions, les problèmes de compréhension entre designer graphique et client sont donc plus facilement identifiables et compréhensibles. 
B Le designer est aussi traducteur 
Mathieu Chevara rappelle que « La technique, les codes de la profession, le processus et le vocabulaire ne sont pas perceptibles pour le grand public et les clients », et comme toute profession, le designer graphique a son jargon et ses manies qui ne sont pas communes aux clients avec qui il est amené à traiter. Pour arriver à un certain niveau de dialogue et de compréhension, il est alors nécessaire d’utiliser « le seul langage commun aux deux acteurs », qui est le verbe pour « parler des choses » et bien intégrer et comprendre les problèmes des deux acteurs. Il est nécessaire de tout reformuler, car la pensée du client, et les clés de compréhension du designer graphique ne sont pas les mêmes, afin d’éviter les erreurs et incompréhensions.
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Par exemple, le client confond souvent la formulation du problème et la solution, il n’exprime pas toujours très bien ce qu’il attend, et le travail de reformulation est donc très important pour décrypter le problème initial. Ainsi, cas classique, sur une affiche, le client va demander de « grossir le logo ». Cela ne veut pas dire littéralement que le logo est trop petit et que le designer doit en changer la taille, mais plutôt qu’il y a un déséquilibre dans l’espace, qu’il faut réorganiser les pleins et les vides de l’affiche dans la composition globale (jouer avec les éléments, les pavés de textes, le titre et le logo). Le client a sans doute perçu dès le départ un problème dans la production du designer, mais il ne parvient pas à le nommer correctement, ou tout du moins, pas avec le même vocabulaire que celui du designer graphique. Quelque part, le designer graphique, en plus du rôle de créateur, a également une fonction de conseiller et de traducteur. De même, le projet de rebranding d’AG2R La Mondiale (ANNEXE 5), mené par Chevalvert, est également un exemple de « traduction ». L’assureur souhaitait changer la charte graphique afin de renforcer l’idée de “bienveillance”. Cette notion générale doit être traduite en concepts graphiques pour être reproduite et diffusée sur les supports tels que les affiches, PLV, dépliants, dossiers, etc. 
Figure 6 : 
Schéma récapitulatif 
de la profession, 
à destination du client 
Source : Cabinet d’Architecture 
IAM - Toulouse 
Le site internet Clients from Hell15 (en anglais) recense chaque jour les demandes farfelues que les designers graphiques, ou autres créatifs, reçoivent de la part de leur client. Les quelques exemples qui suivent expriment bien ce problème de vocabulaire, et l’incompréhension qui peut naître de cette différence d’usage. 
• 
‘ client: Is there a way to view the HTML 
without seeing all the coding? ’ 
• 
‘ client: Can you make the globe look flat and expanded 
to show all countries? We want people 
to know that we don’t just work with this half of the world - we work for the entire world! 
Graphic designer : So you’d like a map? 
client: No. Just our logo and the globe, 
but a flat and expanded globe. ’ 
• 
‘graphic designer: Can I get you to make me a visual palette 
of colors you’d like, so I can have a 
better idea of what to work off of? 
client: Golden-orangey, black-like blue, purplish-blue, 
berry purple, dusky gray-purple.’ 
• 
‘client : Can we make it sound more green? 
Graphic designer: You mean, like, environmentally friendly? 
client: No, like the colour’. 
• 
‘client: Can you make it less black, like half black? 
Graphic designer: Do you mean grey? 
client: No. Less black. 
Graphic designer: Well there’s black or there’s no black. 
client We want black, we just want the black to be less black. Like half ’. 
Pour un designer graphique, ces remarques n’ont « ni queues, ni têtes ». Mais si le client les formule, ce n’est pas qu’il ne comprend pas, c’est juste qu’il a une idée, mais ne sait pas l’exprimer dans le même langage que le designer graphique. Cela peut prêter à rire, mais c’est le lot quotidien du designer graphique, il se doit donc d’écouter, de traduire, et de comprendre, les demandes sous-jacentes de son client, afin que l’échange se passe pour le mieux entre les deux acteurs, dans la perspective, toujours, d’améliorer le projet. À ce sujet, un schéma « explicatif » a été réalisé, afin de faire prendre conscience au client, que toutes ces demandes ne sont pas toujours réalisables (fig.6).
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1.2– Des méthodes de travail singulièrement différentes 
La culture du client provient de ses environnements citoyen, culturel, mais également professionnel. Or, un second problème intervient dans la relation entre designer graphique et client : leur apprentissage du métier. D’un côté, le designer graphique obéit à des règles de création qui peuvent sembler extrêmement « laxistes » et aléatoires au client. De l’autre, le client qui est dans une recherche de rentabilité et de production rigoureuse, apparaît comme extrêmement directif et donc peu ouvert d’esprit au designer graphique. Non seulement ces deux acteurs ne bénéficient pas de la même exposition dans la société, mais ils ne partagent pas les mêmes codes, ne sortent pas des mêmes écoles, n’ont pas suivi les mêmes enseignements, et n’ont pas les mêmes méthodes de travail. Ces différences jouent un rôle important dans l’explication des incohérences rencontrées dans la relation des deux acteurs. L’une des premières différences est l’opposition entre la « création » et le « marketing », mais également l’attente antagoniste qui existe entre le client et le designer graphique, et le nombre d’intermédiaires qui peuvent être impliqués dans un projet, et font ainsi barrière à la bonne relation entre le client et le designer graphique. 
1.2.1.- La culture du marketing du client 
s’oppose à la culture de l’image du graphiste 
A Ce qui oppose le marketing et le design graphique 
Dans l’imaginaire collectif des designers graphiques, le « marketing » représenté par le client s’oppose à l’activité créatrice du designer graphique. Le marketing, ou le domaine de la publicité est en opposition constante avec la production du designer graphique. Pierre Bernard explique qu’en France, le graphisme a une histoire riche, qui « s’est marginalisée depuis les années 1970 » à cause de la montée en puissance de la publicité dans les médias de masse. « La France est soumise à la domination de l’industrie publicitaire la plus puissante d’Europe. C’est le marketing qui décide, y compris dans la majorité des institutions » 16. Véronique Vienne, directrice artistique, critique et écrivain, confirme cette impression « Il est clair que souvent, nous voyons des affiches dans la rue, d’énormes 4×3 dénués de structure, avec un graphisme absent ou laissé pour compte. Parce que les gens n’ont pas le temps, parce que le principal c’est de faire passer un message en 2 ou 3 secondes » 17. Le message doit passer, il doit être compris rapidement par la cible pour être efficace, mais d’un autre côté, proposer des concepts qui sortent du cadre classique reste compliqué. Du coup, tout se ressemble, tout est identique, c’est la théorie du moindre effort. D’après Pierre Bernard, « Changer, innover, choquer, interpeller sont l’essence même du graphisme », tandis que les équipes marketing auront plutôt tendance à aller droit au but, avec des messages courts, limités, directs. Le seul domaine qui affiche aujourd’hui une attitude décalée reste le luxe (Kenzo, Dior, Chanel), où une vision différente est réellement mise en avant pour séduire des clients toujours en quête de nouveauté. 
D’après Geoffrey Dorne, designer graphique indépendant et auteur du blog Graphism.fr, il y a un fort problème de clivage en France entre le marketing, centré sur la vente, et le design graphique, plutôt axé sur l’utilisateur. Les deux visions sont différentes : le client va s’interroger sur le prix et le nombre d’exemplaires d’un livre par exemple (donc sur ce que ça va lui rapporter), alors que le designer graphique fera plus attention à sa composition et à sa lisibilité, qu’il soit agréable à lire (intérêt de l’expérience vécue). On a donc deux chemins différents pour une même vision, il y a forcément des divergences d’opinions et des tensions dans un projet. Élodie Boyer va plus loin encore lorsqu’elle explique que « le marketing a abîmé le design : le design doit être meilleur et plus convaincant que le marketing ». Marketing et design graphique ont finalement le même rôle, le design ne doit pas seulement être une décoration, mais servir les intérêts du marketing : tout le monde va dans la même direction et veut le même but, « servir la même cause », mais reste encore à trouver comment concilier les deux univers qui n’ont pas les mêmes exigences... 
B Des champs de connaissances singulièrement différents 
La revue du Design révèle une réalité rarement évoquée : designers graphiques et clients n’ont pas les mêmes profils professionnels, ne sont pas passés par les mêmes écoles (écoles de commerces ou de marketing pour l’un, école d’Art ou de design pour l’autre), et n’ont pas les mêmes références culturelles et historiques. À partir de ce constat, il est donc évident qu’ils ont du mal à se comprendre et à communiquer, et que la relation de force qui s’établit entre eux n’est pas facile à équilibrer. La première chose qui ressort d’une discussion avec un designer, lorsqu’on évoque sa relation avec son client, est « le manque de culture graphique » de ce dernier. Ce qui peut poser problème, car comme le fait remarquer Élodie Boyer, forte de son expérience de consultante auprès de nombreux clients, ce sont les dirigeants des entreprises, qui sortent d’écoles où ils n’ont pas été sensibilisés à cette culture ni à ces questions de communication graphiques, qui sont amenés à valider les propositions du designer graphique. Dirk Béhage partage le même avis, « En France, les dirigeants ne comprennent pas la différence entre la publicité, la communication et le graphisme. Les graphistes reçoivent un enseignement supérieur, mais se retrouvent dans la vie face à des interlocuteurs ignorants de ce qu’ils savent faire ». (CNAP, 2010).
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Le rapport de DICI Design (2011) révèle ainsi que pour la prise de décision (validation), le design graphique est rattaché à plusieurs directions : la direction générale pour 72 % des cas, la direction marketing pour 50 %, et le département de R&D dans 20% des cas. Ces résultats montrent donc que les décisions concernant le design sont prises prioritairement par les dirigeants et que dans ce domaine, le marketing a un pouvoir décisionnaire important. Élodie Boyer explique : « Ce sont eux qui valident, pourtant ils n’ont pas les clés de compréhension nécessaires à cette prise de décision ». Il y a alors un problème de compréhension et de validation, car « ceux qui sont sensé toujours tout savoir, et incarner la connaissance, ne savent pas et ne vont pas afficher qu’ils ne savent pas ». 
La Revue du Design explique que contrairement aux écoles de commerce qui « depuis quelques années maintenant, commencent à donner des cours de design », les écoles de design sont encore à la traîne, et il n’y a, par exemple, aucun cours qui prépare les étudiants, futurs professionnels, à traiter avec le client 18. Frédéric Gervais, ancien directeur artistique au sein de Publicis Groupe témoigne « La formation des directeurs artistiques manque en particulier d’une dimension marketing : comment communiquer avec les clients, comment comprendre et analyser leurs problèmes ? ». « En école de design, il n’y a actuellement quasiment jamais de cours de RH, ou de cours d’introduction à la finance qui permettraient, par exemple, de dire quelle est la valeur du design, la profitabilité d’un projet, etc ». (Gervais, 2009). La Revue du Design va plus loin en expliquant que les formations en écoles de designers ne dispensent pas de cours de marketing, alors que ces étudiants seront au final « souvent intégrés dans ce type de services » en entreprise 18. De même, selon Adrian Shaughnessy (2005), « Le meilleur moyen de devenir un meilleur designer est de devenir un client. Si nous voulons éduquer nos clients sur le design, nous devrions commencer par nous éduquer nous-mêmes sur nos clients ». Autrement dit, pour être mieux préparé face aux demandes des clients, un designer se doit de le connaître et de s’intéresser à son monde et son mode de fonctionnement. 
Pour combler ce manque, il n’est pas rare alors de voir des designers reprendre leurs études en Mastère Gestion de projet ou Innovation, « pour d’avantage légitimer leur position au sein de l’entreprise, mais aussi pour maîtriser davantage les différents aspects du projet ». Stéphane Darricau partage cette opinion « Le graphiste doit apprendre à communiquer avec le client, à parler son langage, à comprendre son réel objectif final. Il faut être ambitieux d’un point de vue culturel, mais aussi d’un point de vue pragmatique : faire un apprentissage des deux. Le graphiste doit apprendre la stratégie commerciale, et le client doit s’intéresser à la culture de l’image ». Dans cette optique de découverte de l’autre, Étienne Robial, a tenté une approche vers le marketing. Dans une démarche pédagogique pour casser les clivages entre marketing et design graphique, il a étudié pour avoir le « même langage qu’eux », et il a enseigné à HEC « pour les former ». Ce qui selon lui s’est révélé une erreur « car au lieu de devenir les alliés des graphistes, ils sont devenus meilleurs, quitte à mettre en danger les travaux proposés ». Ce qui démontre ici une recherche de domination, et non de conciliation, du marketing vis-à-vis du design... 
De plus, une analyse poussée des programmes des écoles de marketing révèle un autre face cachée 19. « La quasi totalité des cours proposés ont une approche analytique très poussée qui vise à définir le plus rapidement quelles sont les meilleures options pour répondre à une problématique donnée. Par comparaison, les designers auront tendance à reposer les questions, et donc à augmenter les possibilités futures de travail, au lieu de tenter tout de suite de fermer les portes ». De plus, la pensée enseignée dans les écoles de commerces et très linéaire, pas du tout itérative comme peut l’être le processus de conception chez un designer. Ceci démontre bien le chemin qu’il reste à parcourir dans l’enseignement entre les « marketeux » et les designers qu’ils seront amenés à côtoyer. 
C Design graphique et marketing, vers une intégration des deux champs 
Jean-Pierre Gaté considère quant à lui que le design, bien que différent du marketing, doit s’intégrer à ce dernier (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002). « La technique du design implique d’innover, de créer de l’esthétique (...) Cette dimension culturelle et prospective du design rejoint la dimension stratégique de l’entreprise par son aspect visionnaire, mais aussi par ses liens avec la construction de l’identité de l’organisation ». Le designer est un « metteur en forme », tributaire de plusieurs contraintes imposées par le client (contraintes économiques, esthétiques, technologiques, commerciales, etc.). Sa production est dictée par des impératifs préétablis par d’autres professionnels : « le design agit en renfort et s’efforce de démultiplier les capacités de la technique et du marketing dont il est le partenaire créatif » (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002). 
Le rapport de la DGCIS (2013) préconise une intégration du design au marketing dès le début du projet. Afin de mieux intégrer marketing et design, il est impératif d’inclure le design dans l’ensemble du processus et au niveau de la stratégie même de l’entreprise. Frédéric Gervais, témoigne ainsi « Les créatifs sont réticents face à un planning stratégique qui leur apporte des idées sans les consulter. Ils ne sont généralement sollicités qu’en bout de chaîne, pour habiller une stratégie qui a déjà été définie par le planning stratégique et vendue aux clients par
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les commerciaux. Pourtant, ce sont bien les créatifs qui sont jugés responsables du succès ou de l’échec d’une opération. Ils estiment donc avoir voix au chapitre » (Gervais, 2009). En étant intégré à la direction marketing dès le départ du projet, le designer peut produire une réponse satisfaisante à tous les niveaux : identité, ergonomie, performance, prix, technique, etc. « Si le designer n’intervient qu’en cours de développement, il répondra à une architecture produit déjà figée ou à un cahier des charges déjà défini. Dans ce cas, il lui sera très difficile de remettre en cause les données d’entrée (...), il se limitera à apporter des réponses en termes d’habillage ou de carénage, en intervenant strictement sur l’aspect formel du produit. La force de la démarche design est de pouvoir anticiper certaines caractéristiques en amont ». (DGCIS, 2013). Aussi la solution proposée est la suivante : intégrer le designer graphique dès le début du projet, afin que ces préconisations et son avis soient pris en compte au même titre que ceux des équipes marketing. 
1.2.2- Des attentes antagonistes 
Nous avons vu que le client, bien qu’il fasse appel à un designer, n’est pas toujours au courant de la réelle plus-value que celui-ci peut lui apporter, ni des méthodes de travail et de conception par lesquelles il passe. De même, faute d’enseignement lors de leurs études, les designers graphiques ne sont pas toujours très bien armés pour répondre aux attentes du client qu’elles soient d’ordre professionnel ou touchant aux relations humaines. 
En effet, lors de la relation entre le client et le designer, le contrat ne porte pas seulement sur la prestation et la réalisation graphique/ technique d’un projet, mais bien sûr la valeur de cet échange sur l’échelle de la relation humaine. On s’aperçoit alors qu’entre les attentes du client et du designer graphique, les priorités ne sont absolument pas les mêmes. 
A Les attentes complexes du client 
La web conférence organisée par Kea & Partners sur le thème « Bâtir une relation client de qualité partagée entre commanditaires et prestataires » le 15 avril 2014 20, évoquait les difficultés pour les deux acteurs de se comprendre, quand ni l’un ni l’autre n’ont les mêmes attentes. Jean-Marc Humbert, président de Kea & Partners, a présenté les résultats d’une enquête effectuée conjointement auprès de clients et de leurs prestataires. D’après les résultats obtenus, une relation saine entre un client et un prestataire se base sur six points cruciaux : 
1/ connaître le client et son profil (avoir une vision à 360°) ; 
2 / comprendre toutes ses attentes (avoir la capacité de se charger du problème dans sa globalité) ; 
3/ respecter la commande initiale ; 
4/ gérer les relations sans avoir à fournir d’effort supplémentaire ; 
5/ accéder simplement et rapidement aux informations concernant le 
projet (référent unique tout au long du parcours) ; 
6/ pouvoir se tourner vers un référent projet en cas de problème ; 
De cette enquête, sont également ressortis trois FCS (facteurs clés de succès) importants : la confiance, la compétence, et le bien-être. 
Des désaccords ont également émergé. Lorsque chacun des deux acteurs doit évoquer le point le plus et le moins important de sa relation avec l’autre, les résultats sont totalement contradictoires. Le prix n’est pas toujours le facteur primordial pour le client : ce qui prévaut à une bonne relation avec son prestataire, c’est la qualité du service et du bien-être (le « souci du client »), alors que pour le prestataire, le plus important est la compétence métier/technique de sa profession. Il y a donc une mésentente, dès le début de la relation, dans les attentes des deux partis. On a d’un côté un client qui recherche de l’attention et de l’écoute, et de l’autre, un prestataire technique et professionnel, plus « froid ». 
Lorsque le client passe une commande auprès d’un prestataire, il y a finalement deux aspects : le point de vue technique de la mission et l’aspect relationnel et humain. Le prix est une donnée pour un service, mais il est aussi lié à des services additionnels qui vont « magnifier » la prestation au client. Le prix n’est pas le seul critère qui caractérise la qualité du service. La vraie valeur à associer au service proposé repose sur la relation client, l’entente et la confiance. Or le client, s’il est déçu par la prestation, d’un point de vue relationnel et social, ne voudra pas payer le service, qui n’aura qu’en partie répondu à ses attentes (implicites). 
Par manque de temps, peut-être de savoir-être, mais aussi par désintérêt, le designer graphique n’est pas toujours capable de répondre à la demande d’attention qu’exige son client. Il faut aussi reconnaître que lorsque le projet est payé « au lance-pierre », chaque heure compte, et le designer graphique aura tendance à privilégier le temps de travail passé sur les maquettes, qui est son coeur de métier, plutôt que le temps passé au téléphone à écouter et rassurer le client, ou aller à sa rencontre lors de réunions à l’importance relative. Personne n’a tort ou raison, les acteurs font ici tous les deux, preuve d’un défaut de professionnalisme, vis-à-vis des attentes de l’autre. Le designer se doit d’être à l’écoute de son client et celui-ci se doit de comprendre le mode de fonctionnement du designer graphique. 
B La profession de designer, des codes de travail inhabituel pour le client 
Habitué à travailler avec des prestataires de services ou d’autres entreprises, un client peut être dérouté par le mode de travail et de fonctionnement
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du graphiste, notamment sur trois points : le coût de son travail, la quantité de travail produite, et ses méthodes de conception. 
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Le prix 
Lorsqu’un client prend contact avec un designer, la première question qu’il pose est souvent « Combien cela va t’il me coûter ? ». La réponse du designer graphique sera toujours la même, « Envoyez-moi un brief sérieux ou un cahier des charges, et je pourrai vous faire une première estimation ». Chaque projet est unique. Il est donc impossible de donner le prix de but en blanc au client, contrairement à d’autres prestataires qui ont des grilles de tarifs ou des fourchettes pour chacune de leur prestation. Ce « flou » peut dérouter un client habitué à travailler avec des estimations et devis donnés dans la minute. Le design graphique reste une création « sur-mesure », et non de la « vente au détail », car chaque client a des besoins et des objectifs différents. Par exemple, chez Creaktif, le prix pour la réalisation d’un site Internet peut passer du simple au double, en fonction de la quantité d’information à afficher (nombre de pages), de la technologie choisie, de la complexité des animations, de la présence ou non d’un back- office (CMS, système de gestion de contenu), des délais du planning, de la lisibilité sur les mobiles et tablettes, etc. 
2 
Le choix 
De même, un client voudra avoir le choix. Par principe, parce qu’il est habitué à pouvoir choisir, à donner son avis, à trancher, que ce soit en choisissant la marque de ses vêtements dans un magasin, la marque de sa sauce tomate dans le rayon, ou la chaîne qu’il veut regarder à la télévision. Le client a toujours le choix, aussi veut-il avoir le dernier mot pour une commande graphique. Lucille Tenazab raconte cette anecdote (Millman, 2007, p.166-167). Jeune graphiste, elle est, un jour, appelée à travailler sur le logo d’une grosse entreprise américaine. Elle fournit de très nombreuses propositions, sachant qu’une seule est originale et répond vraiment au projet du client. Pourtant, quelques semaines plus tard, lors d’une réunion organisée entre l’équipe de création et le client, tout le travail qu’elle a fourni, toutes ses ébauches de logos sont affichées dans la salle. En vérité, ce stratagème n’a qu’un seul but, « détourner l’attention et donner au client la valeur de son argent ». Cette anecdote illustre parfaitement la manière de travailler et les attentes du client : alors que le designer évolue selon un processus sélectif, il produit une sélection, voir un seul logo, celui qui répond le mieux à la demande du client (une demande = une solution graphique), le client, lui, souhaite voir tout le processus créatif, non pas pour le comprendre, mais pour mesurer le travail qui a été fait et visualiser ainsi ce qu’il a investi. 
Cette différence de perception entre la quantité, le choix et la qualité a été évoquée par deux chercheurs lors de conférences TEDx. Sheenah Iyengar, évoque la notion de « surcharge de choix » dans notre quotidien (elle prend l’exemple des supermarchés et des milliers de références produits proposées). Une expérience très simple a démontré que la surcharge de choix affecte notre capacité à bien choisir (le choix entraîne le doute) 21. En résumé, en réduisant le nombre de possibilités proposées, les décisions sont plus efficaces, c’est ce que Barry Schwartz appelle le « paradoxe du choix » 22 , et qui est malheureusement contraire aux attentes du client, qui exige « d’avoir le choix », par peur de se tromper, par doute, et par besoin de mesurer le travail produit (il veut « en avoir pour son argent »). 
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La gestion du temps de travail 
Enfin, le processus créatif tend vers une gestion du temps qui peut surprendre les clients, habitués au management et aux règles de travail rigoureuses dans leur entreprise. Selon Rachel Cazadamont, directrice artistique chez H5, « La hiérarchie gêne le travail du graphiste. Ces couches sont imperméables ». En vérité, il ne s’agit pas tant de la hiérarchie que des méthodes de travail et de management imposées par le client. Jason Fried explique ainsi que « le travail ne se fait pas au travail » 23. Une entreprise demandera au designer graphique freelance de venir travailler là où elle peut le « surveiller » et ainsi être sûre qu’il est « vraiment en train de travailler ». Le designer préférera travailler là où il se sent bien, chez lui, dans un espace de coworking, dans un bureau partagé, peu importe, un endroit où il garde sa liberté de travailler. Un client souhaitera pouvoir manager les horaires de son designer et qu’il soit disponible pour lui toute la journée. Or, un designer s’occupe de plusieurs projets à la fois, et ne consacre pas ses journées complètes à un seul projet, donc à un seul client. De plus, la journée de travail d’un designer graphique n’est pas uniquement faite de production, mais également de pauses et de recherche d’inspiration (surf sur internet, exposition, conférence, lectures, etc.), ce qui peut sembler être du temps de loisir volé aux heures de travail payées, par le client, mais qui participe pourtant au processus de conception. 
Dans nos sociétés modernes, la notion de productivité est intrinsèquement liée à la gestion efficace des ressources humaines ; or, un créatif a besoin de s’ennuyer pour être productif. Pour toutes ces raisons, le client ne comprend pas toujours le mode de fonctionnement du designer graphique, à l’opposé de la manière dont il a l’habitude de traiter ses propres employés et la productivité de son entreprise.
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1.2.3 - La présence des nombreux intermédiaires dans le 
processus de validation 
La relation qui s’établit entre le designer graphique et le client n’est pas une relation entre deux personnes. En général, que ce soit du côté du designer graphique ou du client, chaque acteur est en fait une équipe. Le designer graphique, ou l’équipe qui traitera le projet, peut être composée de plusieurs personnes (directeur artistique, directeur de création, graphiste, chef de projet, etc.), et le client, une entreprise, peut être représenté par des chargés de projet, chargé de clientèle, etc. Selon Brigitte Borja de Mozota (2002), le design se retrouve continuellement mêlé à trois autres fonctions de l’entreprise : l’ingénierie, la communication/marketing et la gestion (fig.7). La zone de « rencontre de compétences et gestion plurielle » est d’autant plus compliquée que les équipes sont nombreuses. Un projet est rarement l’affaire de deux intervenants, mais de plusieurs personnes, voire plusieurs services. Or, plus le nombre d’intermédiaires grandit, plus cela engendre des problèmes de communication, de compréhension, de prise de décisions contradictoires, de blocage et de validation finale. La multiplication du nombre d’acteurs, au sein d’un même projet, le complexifie souvent plus que de raison. 
A Le statut du designer graphique au sein d’une équipe pluridisciplinaire 
Les entreprises peuvent recourir aux services de design, selon trois possibilités : recourir à un designer indépendant communément appelé freelance, faire appel à des consultants externes regroupés en agences de design, ou embaucher un designer dans l’entreprise (généralement nommé « designer intégré »). 
Chaque option dépend de la stratégie, des enjeux et des moyens de l’entreprise et comporte avantages et inconvénients. Le freelance apporte une expertise et des idées nouvelles, mais n’aura ni la connaissance, ni la culture de l’entreprise. L’agence de design aura l’avantage de proposer un ensemble de compétences pour une même mission, ce qui peut être pratique lorsqu’un projet demande à la fois compétences graphiques et techniques (création et développement d’un site web par exemple). Enfin, le designer intégré connaîtra la culture de l’entreprise, mais pourra être un peu bridé par la charte graphique de celle-ci et donc moins créatif. 
Le designer doit faire sa place au sein d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs et techniciens de bureaux d’études, gestionnaires de projets, équipe du marketing, commerciaux, etc.). De même, le coût du design ne sera pas le même, entre les tarifs d’une agence (qui fournit un ensemble de services et donc un tarif plus élevé en fonction du nombre d’employés travaillant sur le projet), d’un freelance (qui est son propre patron et a des charges et taxes à payer), et un designer intégré, qui reçoit un salaire régulier de son entreprise. La revue du design se pose également la question de la légitimité du designer intégré à l’entreprise 24. En faisant appel à un designer indépendant ou une agence graphique, l’entreprise reconnaît qu’il y a un problème et qu’elle a besoin d’un expert qui mettra tout le monde d’accord, qui rassemblera les opinions divergentes, « formalisera l’ADN de la société », et servira d’arbitre ou de référence en quelque sorte. Avec un designer intégré, apparaissant dans l’organigramme en tant que salarié, aussi expert soit-il, sa place et son rôle sont définis et il aura peut-être plus de mal à fédérer les différents services (marketing, design, ingénierie). Dans un projet où plusieurs personnes doivent collaborer et prendre des décisions, il doit être capable de créer, au sein de l’entreprise, des liens qui sortent des circuits classiques et permettent de pousser les projets. Travail qui sera particulièrement difficile si les designers ne sont pas en mesure de développer leur légitimité au sein même de leur entreprise. 
Le rapport de la DGCIS (2013) nous donne quelques chiffres à ce sujet : 52 % des réalisations commandées par les entreprises sont effectuées par des agences de design. 19 % des réalisations mobilisent exclusivement le savoir-faire de designers intégré, et 29 % des réalisations combinent des ressources de design internes et externes. Enfin, une dernière réalité est la sous-traitance d’agence de communication auprès d’indépendants ou de petits studios 
Figure 7 : Place du design 
dans l’entreprise et gestion 
plurielle des projets 
Source : D’après Brigitte Borja de Mozota (2002) 
Design 
Communication 
Marketing 
Zone 
de rencontre 
des compétences et de gestion plurielle 
de projets 
Ingénierie 
Gestion
« Dans quelle mesure la relation entre client et designer graphique peut-elle impacterle management d’un projet ? »
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« Dans quelle mesure la relation entre client et designer graphique peut-elle impacterle management d’un projet ? »

  • 1. 1 LA RELATION ENTRE LE CLIENT & LE DESIGNER GRAPHIQUE Mémoire professionnel universitaire 2014 | Marion Phelebon
  • 2. LA RELATION ENTRE LE CLIENT & LE DESIGNER GRAPHIQUE Mémoire professionnel universitaire septembre 2014 Marion Phelebon Université de Paris-Est Marne-la-Vallée
  • 3. 7 8 10 16 18 38 50 71 72 91 107 110 113 115 116 119 120 122 126 127 128 129 130 Remerciements Introduction Préambule Partie 1 Client et designer graphique : deux acteurs, aux visions très différentes, qui doivent collaborer sur un projet commun 1.1 Deux métiers, deux cultures, deux histoires 1.2 Des méthodes de travail singulièrement différentes 1.3 Quand la mésentente entre les deux acteurs impacte le management du projet Partie 2 Comment améliorer la relation entre client et designer graphique 2.1 Différentes techniques sociologiques et managériales pour améliorer la communication et la confiance de la relation 2.2 Lorsque conception et management se rencontrent Conclusion Notes Bibliographies Table des annexes Annexe I Annexe II Annexe III Annexe IV Annexe V Annexe VI Annexe VII Table des figures SOMMAIRE
  • 4. 7 Je souhaite remercier les professionnels du secteur design qui ont bien voulu m’accorder de précieux entretiens, me permettant d’étayer mes propos : Pierre Bernard, Camille Boidron, Élodie Boyer, Mathieu Chévara, Stéphane Darricau, Geoffrey Dorne, Véronique Marrier, Patrick Paleta, Étienne Robial et Mélanie Seraidarian. Je leur suis particulièrement reconnaissante de m’avoir consacré du temps afin de répondre à mes questions et des pistes ainsi fournies pour nourrir ma réflexion. Je souhaite remercier Clément Gault et Luc Benazet, qui se sont montrés disponibles par email interposé et m’ont notamment indiqué des sources primordiales en matière de recherche en design, et en collaboration/conflit en situation de travail. Je remercie mon tuteur, Axel Corjon, qui a toujours été disponible et à l’écoute pour me conseiller, et a bien voulu m’accorder le temps nécessaire afin de rencontrer et interviewer les professionnels du design, ainsi que pour participer à une journée table-ronde organisée par le CNAP. Je lui sais gré de m’avoir fait part de son point de vue, de son expérience et de m’avoir livré des témoignages sur le métier. Je tiens également à remercier l’équipe pédagogique du Master 2 MITIC de l’Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, en les personnes de Laurence Bouveresse, Philippe Boyer-Nardon, Sherazade Gatfaoui, Rola Hussant, Annie Roussey et Michael Zartarian, qui ont accompagné ce mémoire, depuis sa genèse et tout au long de son évolution et m’ont donné de nombreux conseils au fil de son écriture. Enfin, j’ai une pensée particulière pour Lydie et Clément qui ont relu mon mémoire à la recherche de coquilles, m’ont parfois donné des conseils de rédaction et surtout m’ont soutenue, allant jusqu’à supporter mes sautes d’humeur durant les deux derniers mois d’écriture de ce mémoire. Colophon Les textes et les images ont été placés par Clément Valette, sous la commande de Marion Phelebon. Le texte est essentiellement composé en Antique Regent, à laquelle s’ajoute l’Austin, l’Helvetica Neue, la Pitch, la Typewriter et la Verdana..
  • 5. 8 9 « Les composantes de la société ne sont pas les êtres humains, mais les relations qui existent entre eux ». Cette citation de l’historien britannique Arnold Toynbee (1955) souligne, à elle seule, l’importance des relations qui unissent les hommes et composent notre société. Le terme de « relation » vient du latin relatio qui signifie « rapport » ; ce lien qui unit au moins deux personnes, peut être d’ordre sentimental (basé sur la solidarité, la confiance, l’amitié, etc.) ou institutionnel (juridique, contractuel, etc.). Certaines entreprises sont parfois amenées à externaliser ou à collaborer avec des professionnels extérieurs, car elles ne maîtrisent pas toutes les compétences métiers qui leur sont nécessaires. Elles font alors appel à des prestataires de services, qui, pendant une période donnée, vont échanger leurs compétences métiers pour produire un service à destination de l’entreprise. Il se noue alors une relation contractuelle entre les deux acteurs, basée sur la confiance et l’attente de résultats. Or il est intéressant de remarquer que certaines professions relatives à l’Art, comme l’architecture ou le graphisme, rencontrent systématiquement des problèmes importants dans la construction de cette relation avec leur client ! Dans le domaine du design graphique, le problème de la relation avec le client est mal vécu par la plupart des designers graphiques, qu’ils soient auto-entrepreneurs, enregistrés à la MDA (Maison des Artistes) ou qu’ils travaillent dans des agences (TPE/ PME/ grandes entreprises). Ainsi, selon une étude de la DGCIS (APCI 2012), en France, 80 % des designers graphiques interrogés estiment « manquer de communication, d’écoute et de confiance de la part du client ». La nature de la relation qui unit le client et le designer graphique n’a jamais été étudiée, ou très peu, et les deux partis qui sont amenés à collaborer ensemble sur le projet n’ont à ce jour pas de solutions à adopter pour améliorer leur relation. Or cette situation problématique tend à se développer puisqu’aujourd’hui, le design graphique est un outil de communication et de différenciation qui fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Aussi, toutes les entreprises, quels que soient leur taille, leur cible et leurs produits, font appel à des designers graphiques pour les aider à se positionner, à vendre leur produit, et à se différencier de la concurrence. Au final, la communication semble bloquée entre le client et le designer graphique, ce qui a un impact négatif à la fois sur les acteurs, mais également sur le déroulement du projet et sa viabilité. Les normes, la culture, la position sociale, les préjugés et stéréotypes sont autant de facteurs sociaux, organisationnels et culturels qui impactent cette relation, et entraînent tensions et conflits. Par l’analyse de ces facteurs qui empêchent la bonne relation et donc une bonne communication entre le client et le designer graphique, nous cherchons à répondre à la question suivante : Cette problématique trouve sa justification à la fois dans la pratique professionnelle, culturelle et théorique. C’est une question d’actualité, qui est vécue par l’ensemble des graphistes, quels que soient leur origine, leur statut et la taille de leur entreprise. Enfin, la question de la relation entre les acteurs d’un projet est au coeur du management (quel que soit le champ d’études) et de l’enseignement dispensé dans notre formation MITIC, et ce travail constituerait alors une nouvelle approche de la nature de la relation avec son client, avec un focus sur le design, qui pourrait se révéler exportable, duplicable, et ajustable à d’autres professions. La première partie de ce mémoire visera à mettre en lumière et à expliquer les facteurs de divergences entre le client et le designer graphique (qu’ils soient d’origine culturels, sociétaux, politiques, techniques ou managériaux), et comment ils peuvent interférer sur la gestion et le management du projet partagé. La seconde partie nous amènera, tout naturellement, à envisager des solutions sociologiques, institutionnelles et managériales, afin de rééquilibrer et aplanir ces différences et rétablir ainsi la confiance et la bonne communication indispensables à la réalisation du projet. INTRODUCTION « Dans quelle mesure la relation entre client et designer graphique peut-elle impacterle management d’un projet ? »
  • 6. 10 11 PRÉAMBULE Avant toute chose, il est important de clarifier la notion de « design » pour bien comprendre ce dont il s’agit, et l’objet de ce mémoire. Contrairement aux idées reçues, le « design » n’est ni une activité nouvelle, ni un mot anglais « à la mode ». Le terme design trouve son étymologie dans le latin designare qui signifie « marquer d’un signe, dessiner, indiquer », et son évolution italienne disegno, qui renferme les deux notions que sont le dessein (l’intention d’un projet, le processus, la conception) et le dessin (la représentation graphique, composition visuelle) (DICI design, 2011). Pour emprunter l’expression utilisée par l’agence graphique Grapheine sur son blog 1, on pourrait donc résumer comme suit : « Designer, c’est dessiner à dessein ». Le design possède plusieurs spécialités dont les plus connues sont le design produit ou design industriel, le design de packaging, le design d’identité visuelle et de communication, et le design d’espace. L’étude de ce mémoire porte principalement sur le design graphique (ou graphisme, le design d’identité visuelle et de communication) qui regroupe autant d’activités créatives telles que le dessin de caractères (typographie), la mise en page, la création d’identité visuelle (logotype), de signalétique, de générique de film (motion et 3D), ou webdesign (habillage d’un site internet, voire d’application mobile). Le design revêt ainsi de multiples formes, afin de répondre au mieux au besoin initial exprimé. En français, on utilise plus communément l’appellation « graphiste », pour désigner celui qui conçoit une identité visuelle ; mais c’est un terme que peu de gens identifient directement, qui parait vague et qui ne semble pas bien décrire la profession qui se cache derrière. Aussi, l’expression « designer graphique » est-elle employée de plus en plus souvent en remplacement ; elle sera d’ailleurs utilisée tout au long de ce mémoire. Cette nouvelle formulation n’est pas une aberration : Alain Rey, dans son dictionnaire historique de la Langue française, explique que le mot design n’est pas un anglicisme, mais qu’il s’agit d’un mot de « conception internationale » (Rey, 2006). L’utilisation de cette appellation de designer graphique apparaît donc plutôt comme le choix d’un retour aux sources, vers le vrai sens du mot design (et sa double signification : design = dessin + dessein). A Étymologie du design Il n’existe pas de définition précise et reconnue de design, mais plutôt des définitions de ce qu’est le design et ce qu’implique la profession de designer. De très nombreuses définitions du design ont été données, et chaque designer interrogé sur son métier pourra fournir autant de réponses différentes, selon sa vision de la discipline, son pays d’origine et son époque. Pour Debbie Millman (2007), « le design est une pratique visant à résoudre un problème en recourant à la créativité ». Pour Stefan Sagmeister (Millman, 2007, p.59), le design est « la combinaison visuelle et écrite, l’expression d’une idée, un processus et système qui vise l’amélioration, dans l’intérêt du client ». Selon Jean-Charles Gaté (1998), le designer est un « professionnel de la création au service de l’entreprise et de la marque […] qui allie intuition et expérience pour innover et formuler des solutions concrètes ». Pour Catherine De Smet (2012), « Aujourd’hui, on parle de design pour exprimer les signes visuels émis par les marques. Il permet à la marque de s’incarner, d’exister sur le plan matériel à travers un produit, un logotype, un packaging. Le design représente la marque, il en est le moyen de reconnaissance par les clients […] ». B Définition du design
  • 7. 12 13 La diversité des réponses recensées ci-dessus montre d’une part que le design est un terme polysémique et que d’autre part, chacun a son idée sur le sujet. Il n’existe pas de définition unique du terme design en France. Brigitte Borja de Mozota (2002), chercheur en sciences de gestion, reconnue pour ses travaux sur le design management, décrit le design comme un processus à quatre caractéristiques essentielles, nommées les « 4 C du design », (par analogie avec les « 4 P du marketing ») : « - Créativité, car le design vise à créer quelque chose qui n’existait pas auparavant ; - Complexité, car le design implique des décisions sur un grand nombre de variables ; - Compromis, car le design implique la recherche d’un équilibre entre des objectifs et des besoins contradictoires (coût et performance, esthétique et facilité d’usage, matériaux et durabilité) ; - Choix, enfin, car le design implique des choix entre de nombreuses solutions possibles à un problème que ce soit au niveau du concept ou du plus petit détail de couleur ou de forme ». L’étude menée par la DGCIS (Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services), en 2013 propose la définition suivante : le design est une « discipline qui vise à analyser et à représenter concrètement, une pensée, un concept ou une intention en tenant compte des contraintes fonctionnelles, structurelles, esthétiques, techniques et productives. À partir de la prise en compte de l’utilisateur et de l’entreprise productrice, le design a pour but de proposer des produits, services ou espaces qui génèrent un attrait pour le consommateur et donc un acte d’achat ». Cette définition que nous prendrons comme point de départ est plus précise, voire moins poétique que celles proposées par les designers précités, mais elle permet de révéler le point important de notre étude : le designer effectue un travail de recherche et de conception afin de résoudre une problématique, posée par un client dans le cadre d’une commande, qui répond aux besoins du marché et devra plaire au consommateur. C’est notamment ce point important, la relation entre le client et le designer graphique, que nous souhaitons développer dans ce travail de recherche. Même si la notion de design ne parle pas encore au grand public, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à en comprendre le rôle, et l’intérêt qu’elles pourraient en tirer en l’utilisant comme valeur ajoutée à leur production. Élodie Boyer, consultante en identité visuelle, explique que la situation et la mentalité des entreprises ont beaucoup évolué depuis les années 90, où un professionnel du design était alors « contraint de réitérer les propos pédagogiques à l’adresse des responsables de communication et des cadres dirigeants pour expliquer de quoi il s’agissait, à quoi il servait, pourquoi il était important pour l’entreprise » (Boyer, Patrin-Leclère, 2010). Aujourd’hui, toutes les entreprises investissent dans un logo, et ont conscience de l’intérêt d’une charte graphique pour mieux s’imposer et se différencier sur un marché concurrentiel. Aussi depuis 2008, le ministère de l’Industrie a consacré plus de 12 millions d’euros à la politique de soutien au design, et pour 2010, le chiffre d’affaires total du secteur du design est estimé entre 1,9 et 3,4 milliards d’euros, pour environ 44 000 designers graphiques en France (dont 19 000 artistes-auteurs et 20 000 salariés du secteur commercial) (DGCIS, 2013). En effet, le design, utilisé au bon moment et avec les bonnes ressources, est un facteur déterminant dans la croissance des entreprises. Il aide au développement de l’image de marque, de la notoriété de l’entreprise, et il permet la différenciation vis-à-vis de la concurrence (DICI Design, 2011). À terme, le design a pour objectif d’augmenter les marges réalisées sur les ventes de l’entreprise (hausse des quantités vendues, augmentation du prix de vente, mais pas du coût de revient, rationalisation des coûts de production, etc.). Par exemple, la France et le Royaume-Uni ont mené des études pour mesurer l’impact du design sur l’activité de leurs entreprises, et les résultats annoncés démontrent une réelle implication du design sur leurs performances économiques (près de 75 % des entreprises françaises qui ont eu recours au design notent une augmentation réelle de leur chiffre d’affaires, et la moitié affirme avoir ressenti une hausse de leur valeur financière). Cependant, bien que le rôle catalyseur du design soit profitable à l’entreprise qui y recourt, un rapport gouvernemental exprime de profondes incompatibilités au sujet des relations qu’entretiennent les designers et les entreprises qui font appel à leurs savoir-faire : le design et ses métiers restent mal connus (APCI et al, 2012). C Le rôle du client dans le design
  • 8. 14 15 La méthodologie de recherche de ce mémoire a consisté en trois étapes qui ont permis de poser les bases de l’étude : une première approche préparatoire, une confrontation sur le terrain et enfin une phase analytique axée sur le rapprochement des données récoltées, et de la littérature professionnelle et universitaire (fig.1). La démarche méthodologique empruntée est à la fois qualitative et quantitative, et les sources proviennent de la littérature et du terrain. 1 Phase préparatoire : À partir d’une problématique rencontrée dans ma pratique professionnelle (ANNEXE 1), j’ai cherché des pistes de réflexions et d’explications dans la littérature de recherche (ouvrages et revues universitaires), dans les articles et blogs professionnels et dans les études gouvernementales et Européennes. 2 Phase opérationnelle : Afin de confronter ces recherches théoriques à la pratique actuelle, j’ai souhaité recueillir des témoignages professionnels auprès des acteurs concernés : les clients et les designers graphiques. J’ai assisté à une table ronde organisée par le CNAP (Centre National d’Arts Plastique) sur le thème de la relation entre le client et le designer graphique, une web-conférence organisée par Kea Partners sur le sujet de la relation client, j’ai visionné plusieurs conférences via la plateforme TEDx, et j’ai mené une série d’entretiens auprès de dix professionnels du secteur graphique, afin de valider mes recherches, et obtenir des réponses plus concrètes. La technique semi-directive a été retenue afin de recueillir le discours des professionnels (designer, médiateur, enseignant ou client). La grille d’entretien établie portait sur la relation du designer avec le client, les enjeux et conséquences de cette relation, et les solutions à développer pour améliorer la nature de cette relation. Ces entretiens, d’une durée approximative de 45 min à plus de deux heures, ont été réalisés suivant un guide d’entretien commun (ANNEXE 2) ; ils ont fait l’objet d’une prise de notes et d’une retranscription des verbatim, 24 heures au maximum après qu’ils aient été menés. Les dix professionnels (ANNEXE 3) qui ont accepté de participer à cette recherche ont été sélectionnés afin de représenter un panel d’acteurs en relation avec le thème de recherche de ce mémoire : la relation client-designer graphique. • Ce panel est constitué de 3 designers graphiques (identité visuelle, packaging, édition, typographie, webdesign, habillage télé, etc.), 4 designers graphiques également enseignants dans le secondaire et 3 clients ou médiateurs. • Parmi les designers graphiques 2 exercent depuis plus de trente ans, 1 exerce depuis plus de 15 ans, 4 exercent depuis moins de dix ans, certains travaillent à l’international. Ce panel a donc permis de rassembler des témoignages divers et variés, afin de représenter au mieux la pratique actuelle. 3 Phase analytique : La dernière partie de ce travail a consisté à confronter les données théoriques, les données professionnelles, et les témoignages directement recueillis auprès des parties prenantes. Les verbatim et citations recueillis ont fait office de témoignages, et ont été intégrés dans le corps du mémoire, afin d’enrichir les approches théoriques et de les ancrer dans la pratique professionnelle actuelle. D Méthodologie de la recherche littérature de recherche Idée Phase préparatoire Phase opérationnelle Phase analytique Résultat séminaires & tables rondes analyse des résultats articles professionnels web conférences comparaison avec la pratique professionnelle études gouvernementales interviews rapprochement avec la littérature théorique & professionnelle Figure 1 : Schéma représentatif de la méthodologie de recherche appliquée Source : illustration personnelle
  • 9. 16 17 Partie 1 Client et designer graphique : deux acteurs aux visions différentes qui doivent collaborer sur un projet commun.
  • 10. 18 19 1.1 – Deux métiers, deux cultures, deux histoires Lorsqu’on leur demande comment se passe la relation avec le client, tous les designers interrogés répondent qu’il y a un problème de communication et que le client ne comprend pas, voire « ne comprend rien » à leur métier. De nombreux blogs et images satiriques ont fleuri sur Internet pour dénoncer ce mal-être (Gratuiste.tumblr.com, Clients from Hell, Mon maçon, Pomme-Q, etc.). Ces blogs recensent, jour après jour, les témoignages et anecdotes, parfois amers, de designers graphiques qui dénoncent les remarques qu’ils reçoivent de leurs clients (concernant les plannings, les formats, la facturation, les projets, etc.). Même si ces blogs peuvent parfois prêter à sourire, ils sont surtout la preuve qu’il y a bel et bien un problème propre à la profession, à résoudre. Bien souvent, les designers graphiques annoncent que « c’est la faute du client, qui n’a pas de culture graphique », et ne peut donc pas les comprendre. Or, en vérité, le problème est beaucoup plus complexe : chacun son métier, chacun sa culture. On s’aperçoit alors que ce problème de communication qui mine la relation client/ designer graphique repose sur trois incompréhensions : la confusion entre prestation de service classique et conception graphique, la méconnaissance du métier du designer graphique, et surtout la spécificité d’un vocabulaire qui n’est pas partagé et qui créé, dès les premiers échanges, des barrières dans la communication et la relation. Il est important de comprendre ces freins, afin de les débloquer et d’avancer ensemble dans la relation. 1.1.1 - La différence majeure entre la prestation de service classique et la création Au cours d’un entretien téléphonique, Élodie Boyer met en garde, dès la première minute, « il n’y a ni victimes, ni coupables. » Le problème de communication entre designer graphique et client n’est pas propre à la France, ni aux secteurs publics ou privés, car tous les secteurs sont touchés par ce problème de relation difficile. Il s’agit avant tout d’un problème structurel, notamment le fait que le client sait qu’il a besoin d’un designer graphique pour effectuer telle ou telle tâche, mais qu’il ne sait pas réellement ce qu’est un designer graphique et la valeur ajoutée qu’il pourrait concrètement apporter à son entreprise. À partir de cette constatation, il est plus aisé de comprendre l’un des freins de la communication entre le client et le designer graphique. A Le paradoxe du graphiste Au cours d’entretiens menés auprès de plusieurs graphistes, les notions de « prestation de service » et de « design graphique » sont ressorties comme étant diamétralement opposées, et absolument inconciliables. Le droit civil français ne définit pas la notion de « prestation de services », mais le code de la consommation définit ainsi la notion de prestation de service : « tout contrat, autre qu’un contrat de vente, en vertu duquel le professionnel fournit ou s’engage à fournir un service au consommateur et le consommateur paie ou s’engage à payer le prix de celui-ci ».2 Le philosophe Jean-François Lyotard exprime dans un texte « Intriguer ou le paradoxe du graphiste » (Lyotard, 1990), cette notion d’ambivalence qui sépare et différencie le designer graphique du prestataire de service classique. « L’affiche du spectacle ne remplit pas son office si elle ne fait pas la passant aller au spectacle. C’est pourquoi je vous répète que les graphistes sont coincés. Artistes, mais promoteurs. Ils ont à proposer et leur oeuvre et autre chose que leur oeuvre, la chose ». L’oeuvre (car on parle bien de création pour la production d’un designer graphique) doit être à la fois esthétique (plaisir de voir) et rhétorique (pouvoir de persuasion et de croyance). Les designers graphiques sont à la fois « artistes, av- ocats, témoins, historiographes et juges. Parce qu’ils interprètent ». Au final, l’objet du designer graphique doit « intriguer, persuader, convaincre, surprendre, communiquer, informer, promouvoir, questionner, tout en relevant aussi de l’art visuel ». Le graphiste est à la fois un communicant et un artiste, qui doit s’oublier au profit de la commande qu’il a reçue. Ce paradoxe nous amène donc à penser qu’un designer graphique ne peut être ni considéré, ni traité comme un prestataire de service classique, il est plus que ça. Plus près de nous, Brigitte Borja de Mozota (2002), souligne également que « les savoirs du design dépassent les seules compétences d’origine artisanale pour englober les qualités humaines du designer ». On parle alors de qualités et savoirs tels que l’imagination, le sens du détail, la qualité de dialogue, le sens du matériau, la qualité de perception, la capacité d’écoute et l’esprit de synthèse, par exemple. La conception graphique est plus qu’une activité altruiste ou artistique ; il s’agit de formaliser, d’aider le client à exprimer un message, et de l’interpréter d’une manière appropriée et originale, grâce à des compétences qui relèvent à la fois de la gestion, des relations interpersonnelles et des compétences techniques (Millman, 2007, p. 128). Plus que de la création, le designer doit avant tout identifier un problème et le résoudre, via un processus logique de conception en six étapes : investigation, recherche, exploration, développement, réalisation et évaluation (Borja de Mozota, 2002). Ce processus de conception n’est pas donné à tout le monde, et relève d’un savoir-faire appris et répété, qui correspond à une technique, et non à un talent mystérieux.
  • 11. 20 21 Au cours d’un entretien, Mathieu Chevara explique que, selon lui, le graphisme est un domaine à la fois sensible et intime, pour le designer qui va le traiter de manière subjective, mais également technique et professionnel, d’après une méthode de conception unique, d’où la singularité du travail et l’incompréhension du client vis-à-vis de ce professionnel qui est plus proche de sa production qu’un autre prestataire de service classique. Il y a un problème de démarche entre la « prestation de service » (exécutant, en retrait, travail plus standard) et le « designer » (exigence dans la forme, haute création), et cette frontière n’est pas toujours perçue par le client. B L’atout du designer graphique La profession de designer graphique combine plusieurs atouts que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres métiers et qui en font une profession particulièrement riche que l’on ne peut pas réduire à la prestation de service classique dans le sens de sa définition. Blair Enns, spécialiste international en développement des entreprises de design 3, rapproche le profil du designer de celui du chercheur. Il met en avant la capacité de conception et de création du designer pour qui « l’inconnu d’un projet excite sa créativité et son esprit de recherche » contrairement à d’autres professions qui seront paralysées devant l’inconnu (gestionnaire, comptable, marketeur), et l’atout qu’il représente pour une entreprise dans une démarche d’innovation. À la différence des marketeurs, les designers ont la capacité de concevoir de nouveaux process, de concrétiser des idées et d’accompagner la conception et la matérialisation. Le design possède une dimension qui dépasse le projet pour lequel il a été mandaté. Le duo de designer formé par Emily Oberman & Bonnie Siegler (Millman, 2007, p.102), exprime le fait d’aimer travailler et produire « quelque chose qui change la façon dont les gens pensent (…), qui aide les gens (…) » ainsi que le fait que cette profession leur permet d’apprendre, chaque jour, de nouvelles choses. Alice Rawsthorn, design critic, s’exprime sur le sujet avec des mots plus forts encore 4 : la conception est « l’une des forces les plus puissantes dans nos vies », elle est tellement omniprésente qu’elle détermine comment nous nous sentons et ce que nous faisons, souvent sans que nous nous en apercevions. Alice Rawsthorn évoque même le fait de « devoir public », pour résoudre certains de nos problèmes environnementaux, technologiques et sociaux les plus pressants, et pour améliorer la qualité de la vie quotidienne pour tout le monde. Plus qu’un simple projet, ou une démarche de prestation de service, il y a finalement une certaine responsabilité sociale attendue dans la production du designer. Le rapport de la DGCIS (2013) souligne le fait que « la démarche design est une approche globale et transversale qui allie méthodologie, dessin, intégration de l’objet et approche économique » et que sa pratique n’est pas seulement la conception de quelque chose de « joli », mais un ensemble de pratiques : veille technique et graphique, analyse des nouveaux usages, organisation des données, identification de pistes de recherches, expérimentation, expertise, formalisation et conception d’une solution, scénarisation du projet, coordination et pilotage des intervenants extérieurs, déclinaison sur d’autres supports, rédaction du cahier des charges, transmission des spécifications techniques, observation critique et ajustement sur le produit final si besoin... La conception graphique implique une culture visuelle, mais également technique, et un esprit de curiosité qui conduit à se tenir au courant de l’évolution des supports et médias sur lesquels il travaille. C’est, au final, un travail pluridisciplinaire, où le designer se révèle à la fois conseiller, stratège, manager, concepteur et technicien. C Lutter contre les idées reçues et les stéréotypes À la décharge de l’entreprise qui fait appel à un designer graphique, bien souvent, le client ne connaît pas ce métier, il sait simplement qu’il a besoin de « quelqu’un » pour faire un « beau » logo. Cette profession véhicule idées reçues et stéréotypes qu’il faut, dans un premier temps, balayer. Selon Stéphane Vial 5, « La France est un pays où règne en maître le callocentrisme. Par là, il faut entendre la tendance contemplative de la pensée à privilégier le Beau et le ravissement artistique (...) ». Le plus souvent le client s’adresse donc à un designer, à la recherche d’un bel objet, sans connaître le travail de conception qui prévaut dans la pratique de la profession. De même, habitué à la prestation de service, le client n’est pas vraiment conscient du travail sur mesure que lui conçoit un designer professionnel. Le mythe de « l’artiste créatif » galvaude ce métier, mais être créatif n’est pas un don, c’est un travail ! Au final, beaucoup de clients font appel à un designer graphique pour le côté technique (utilisation de Photoshop) qu’ils ne maîtrisent pas, sans pour autant connaître le véritable sens de ce métier. L’étude sur les clés du design (DICI design, 2011) précise clairement que pour que la relation qui s’instaure entre un designer et une entreprise cliente soit efficace, il faut éviter « de considérer le designer comme un simple fournisseur (par fournisseur, il faut entendre « prestataire interchangeable » qui sera uniquement sélectionné sur le critère prix ) ». En conclusion, le designer graphique remplit une fonction de médiateur entre le monde industriel et technologique, où il créer un pont entre science et art, « la technique du design concilie l’aspect logique de la démarche scientifique et la démarche intuitive et créatrice ». (Borja de Mozota, 2002). Pour cette raison, le designer graphique est un concepteur et, en tant que tel, ne peut être jugé comme un prestataire de service classique.
  • 12. 22 23 1.1.2- Un problème de considération du domaine artistique en France Il ne s’agit pas, dans ce mémoire, de faire un plaidoyer sur la place du graphisme en France et sa considération ou non, mais plutôt de recenser et d’expliquer les freins et les raisons qui empêchent la bonne communication dans la relation client/ designer graphique. Avant d’être une entreprise qui fait appel à un professionnel, le client est un citoyen qui vit et grandit dans un pays et s’imprègne de sa culture et des modèles qui sont transmis. Or, on s’aperçoit assez rapidement que le design tient une toute petite place dans le paysage français, qu’il est assez peu présent dans le domaine de la culture artistique et qu’il n’a même pas sa place au musée. Aussi, comment reprocher au client son « manque de culture graphique » et sa méconnaissance du métier, quand personne ne lui a donné les clés de compréhension nécessaires au dialogue avec le designer ? A Les freins au développement de la culture du design Comme vu dans le chapitre précédent, le design n’a pas une, mais plusieurs définitions ; ce terme est d’ailleurs assez mal connu du grand public. En France, la majorité des gens, responsables politiques, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise, cadres dirigeants et la grande majorité des médias associent le design au stylisme ou à la création d’objets et de meubles. C’est même devenu un adjectif signifiant (à tord) « beau » et « à la mode », voire « cher ». Le design dans son ensemble, et plus particulièrement, certaines branches comme le design graphique, souffre d’un déficit de reconnaissance en général (DICI Design, 2011). Selon l’Alliance française des designers (association/ syndicat unique du design en France) « même si il y a eu quelques progrès au cours des dernières années, sa place demeure assez marginale et son rôle est souvent mal compris, sa valeur sous-estimée dans les sphères décisionnaires, aussi bien publiques que privées. » 6. Cette vision est partagée par les sondages issus de l’étude de l’APCI et al (2012), qui recense les freins de développement du design par les entreprises (fig.2). En premier lieu, 27 % des entreprises interrogées estiment ne pas recourir au design par « manque de culture design », et 21 % par peur « des coûts liés au design ». Les designers interrogés vont également dans ce sens, ils sont 84 % à penser que c’est la méconnaissance de leur métier et 77 % que c’est le coût du design, qui sont les plus gros freins au développement de la culture du design en France dans les entreprises. En second lieux, 30 % des entreprises interrogées évoquent aussi « l’existence d’une mauvaise expérience antérieure », et 27 % évoquent des « éléments liés à la culture de l’entreprise ». En résumé, les clients eux-mêmes reconnaissent que leur méconnaissance du métier et leur manque de culture graphique sont des freins au développement du design dans leurs entreprises. B Un métier opaque et mal connu À la défense du client, la profession de designer graphique n’est pas très bien identifiée au sein même de la profession. Le rapport de l’APCI de 2012, liste les principales causes qui entretiennent une opacité autour du métier du designer graphique. • Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas de réelle définition, la profession est très mal référencée au sein même de l’INSEE, et les différentes nomenclatures qui la caractérisent sont peu ou mal utilisées (seulement 25 % des structures sont répertoriées avec le code 74.101 – réservé aux activités spécialisées de design - en vigueur depuis janvier 2008). • Les étudiants diplômés sortent actuellement des écoles de design avec des dénominations extrêmement variées et « Designer » n’est pas une appellation reconnue : la profession n’a ni titre, ni ordre spécifique, et ce malgré des études supérieures en cours de certification au niveau I ou II (Bac + 4 ou Bac + 5). « Designer » ne correspond à aucun métier, au sens administratif du terme. • Lorsqu’on s’interroge sur les prix pratiqués, il n’y a pas de fourchette de référence, pas de tarifs affichés, les pratiques varient (tarif à la journée ou au forfait). Sur quelles bases le client peut-il s’appuyer lorsqu’il est à la recherche d’un designer graphique pour la première fois ? Question aux entreprises : « Quels sont selon vous les freins à l’utilisation du design par les entreprises ? » Des éléments liés au marché. Des éléments liés à la culture de l’entreprise. Des éléments liés aux compétences Des éléments liés aux couts Le fait que vous innovez peu. Pas du tout En partie Très largement Ne sais pas / ne se prononce pas 52 % 42 % 64 % 25 % 76 % 36 % 27 % 23 % 46 % 8 % 27 % 5 % 21 % 4 % 4 % 4 % 9 % 7 % 20 % Figure 2 :Les freins à l’utilisation du design selon les entreprises françaises Source : APCI et al, 2012
  • 13. 24 25 • La profession est assez diversifiée : on trouve des indépendants, ou freelances, des collectifs de création, des studios de création, des petites agences, et des grosses entreprises. L’émergence de toutes ces structures favorise l’ac-croissement des relations de sous-traitance entre agences, mais entretient également le flou autour de la profession. • Les structures sont très largement polyvalentes et ne se tiennent pas à une seule activité : seuls 18 % se consacrent à une seule activité de design, et 65 % de ces structures exercent trois activités différentes ou plus. Dans ce dernier cas, laquelle choisir et comment savoir si elle est compétente dans tous les domaines qu’elle propose ? C Une image faussée du métier de designer Lorsqu’on évoque la « méconnaissance du métier » de designer, ce terme géné-rique regroupe en fait de nombreux éléments qui touchent très précisé-ment au fondement du travail du designer graphique. 1 Méconnaissance ou mauvaise foi ? Il n’est pas rare qu’une entreprise demande des « tests » ou « maquettes » gra-tuits, à un designer graphique sans intention de le payer (fig.3). Il est mal-heureusement, également fréquent de voir des appels d’offres ou des concours où seul le meilleur projet sera rémunéré. Parfois, on propose aussi au designer de ne le payer que si le résultat plaît...Toutes ces réali-tés permettent d’illustrer assez simplement et rapidement l’image que le client se fait du métier. Le problème principal est double : d’une part, le designer est trop souvent confon-du avec le stéréotype de l’artiste, qui vit de sa passion et passe ses journées à dessiner (ce que les clients ne considèrent pas comme un métier, et qui n’a donc pas besoin d’être rémunéré). D’autre part, tous les clients ne sont pas conscients de la valeur ajoutée du design, et ne veulent donc pas inves-tir et rétribuer un designer graphique pour son travail et sa production. Une analogie, qui revient assez souvent, est développée par le blog Mon Maçon. Un client se permet-il d’expliquer à son boulanger comment faire son pain, ou à son médecin quelle prescription lui donner, à son garagiste quelle clé utiliser, ou encore à son maçon comment construire une mai-son ? Non. Et pourtant, tout comme le designer graphique, ce sont des experts dans leur domaine, qu’on consulte et dont on respecte les conseils et préconisations. Alors, pourquoi ne pas appliquer la même démarche au design graphique ? Le problème se situe très certainement dans la hiérarchie des valeurs de notre so-ciété, où nous préférons élever des ingénieurs plutôt que des créatifs (le combat sciences dures, sciences molles). Le cliché de « l’artiste raté » a la vie dure, et il se situe en France « tout en bas de la chaîne de valeur , car il ne rapporte rien » selon Étienne Robial, graphiste, créateur de l’identité de Canal+. 2 L’évolution des techniques de travail Le travail du designer graphique a énormément évolué depuis ses dernières an-nées, et l’apparition du numérique, sensé simplifier et accélérer le travail du designer graphique, n’est pas toujours en sa faveur. Véronique Marrier, chargée de mission design graphique au CNAP, explique que lorsqu’un maquettiste mettait toute une journée à composer à la main une plaque d’impression avec des caractères de plomb avant de la faire imprimer (le travail était alors quasiment palpable, quantifiable et visible), aujourd’hui, le designer graphique passera autant de temps sur son ordinateur à conce-voir un fichier, déterminer une maquette, faire des essais de textes, caler la typographie, les interlettrages, et interlignages, etc., sauf que ce travail n’est plus aussi physique, visible et semble donc plus simple. Il y a finale-ment tout un processus caché, que le client ne soupçonne pas, qui fait cette différence entre le coût et la valeur du travail du designer graphique, et la perception, ou ce que croit savoir le client. Il faut mieux définir les plannings et détailler les tâches, le nombre d’heures nécessaires et leur coût, expliquer le processus au client, afin qu’il se rende compte de la somme d’heures de travail qui est en jeux. Figure 3 : Clichés illustrés de la profession du designer graphique sur le blog « Mon maçon » Source : Monmaçon.tumblr.com «… grand concours pour réaliser l’affiche/flyer/logo de notre…» «…Par contre, nous n’avons pas un gros budget…»
  • 14. 26 27 3 Les outils de PAO et le problème du crowdsourcing Le crowdsourcing, est une pratique nouvelle, de plus en plus en vogue, qui tend à décrédibiliser le métier du designer graphique et à instaurer un « faux standard » au niveau des prix pratiqués (Creads, Eyeka ou Wilogo parmi les plus connues). Le principe est simple : il s’agit de réunir un groupe important de personnes/d’internautes, pour s’appuyer sur leurs compétences afin de créer du contenu. Une plateforme en ligne met en concurrence des centaines de personnes sur un même projet, et le client choisit une proposition finale parmi les centaines reçues, et ce, à un prix défiant toute concurrence. D’une part, cette pratique est déloyale, car elle ne rétribue que le gagnant (les 99 autres personnes qui ont « planché » sur le projet ne touchent rien pour le travail fourni), on peut même parler de travail dissimulé. Et d’autre part, le client a choisi parmi 100 propositions, mais rien ne garantit que son choix se soit porté sur un travail de qualité. En effet, il n’y aucun échange entre le client et les graphistes, aussi le travail produit n’est pas fait sur-mesure, et n’est donc pas forcément bien adapté à la demande du client (il y a également des problèmes de plagiat sur ces plateformes où tout le monde peut proposer n’importe quoi...). Le crowdsourcing est un problème pour la profession, car il véhicule une fausse image : un métier qui ne serait pas cher, où le designer fait de multiples propositions finales ; en d’autres termes, un métier « low-cost » (pas cher, rapide, en quantité), ce qui est tout le contraire du métier de designer comme nous l’avons défini précédemment. Le client n’a alors plus de repères concernant l’impact du message délivré, le temps qui y est consacré (le nombre d’heures de travail nécessaires), ni ce que ça vaut réellement (le prix réel de ce travail de conception). Les participations massives à ce genre de pratique sont facilitées par l’accès démocratisé aux outils de PAO (Publication assistée par ordinateur), logiciels de mise en page et de retouche d’image tels que Photoshop. N’importe qui ayant ce logiciel sur son ordinateur, peut se prendre pour un graphiste, parce qu’il a retouché une image, ajouté une typographie, modifié une couleur, etc. Aussi, pourquoi rétribuer quelqu’un alors que son neveu, sa fille, sa voisine… peut faire la « même » chose ? Cette accessibilité immodérée et facilitée à ces outils a profondément modifié le regard des potentielles entreprises clientes sur la profession des designers graphiques. Une autre pratique déviante, qui fausse l’image du métier, est la proposition, faite par des éditeurs (comme Pyramyd 7), de formations « graphiques » aux entreprises. Que l’on soit secrétaire, chargé de ressources humaines ou de marketing, on peut être initié en quelques jours à la pratique de Photoshop ou d’Indesign. Cela participe à la dépréciation du métier, puisque n’importe qui peut alors mettre dans son CV qu’il est graphiste, après s’être familiarisé pendant quelques jours avec Indesign ou Photoshop... Il existe ainsi une vraie confusion entre la pratique du design, qui est un métier, et la possession et l’utilisation de ces logiciels permis à tout le monde. Les trois points évoqués participent à véhiculer une fausse image de la profession, et peuvent expliquer, en partie, pourquoi les relations entre designer graphique et client sont parfois tendues. 1.1.3– La représentation du design graphique en France Finalement, toutes ces pratiques qui tendent à dévaloriser le travail du designer graphique, prolifèrent, car il n’y a pas de repère « légal », qui constituerait un point de comparaison sérieux sur ce qu’est le graphisme expliqué à un quidam lambda. Ce qui participerait à véhiculer une bonne culture (on entend par là correcte) du graphisme n’existe pas ou peu. Pour cela, trois exemples marquants : • Le Gouvernement, censé garantir et donner l’exemple, ne respecte pas les bonnes pratiques du design, et participe, malgré lui, à répandre les préjugés sur la profession du designer graphique ; • Contrairement à certaines formes d’Art qui ont fait scandale avant d’intégrer les musées (l’art moderne ou l’expressionnisme), le design graphique, lui n’a toujours pas de musée pour le présenter au public ; • Enfin, même si aujourd’hui beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doivent faire appel à un professionnel pour la conception d’un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes ou sur la valeur ajoutée pour l’entreprise. En d’autres termes, pour la majorité de la population, et donc le client : le design graphique n’a pas fait ses preuves ! A Les instances représentatives 1 Les syndicats Qui peut se vanter de représenter le graphisme aujourd’hui ? Le SNG (Syndicat National des Graphistes), qui avait la charge de promouvoir cette filière, a disparu en 2001. Il a été « remplacé » par l’Alliance Française des Designers (AFD), syndicat professionnel des designers, toutes disciplines confondues, qui a fusionné avec les syndicats des secteurs environnement, textile et industriel, en 2003. l’AFD accueille une centaine de nouveaux membres par an, et en compte ainsi aujourd’hui 1700, parmi les dizaines de milliers de designers professionnels qui exercent en France, tous secteurs confondus. On peut donc affirmer que l’AFD n’a pas fait ses preuves malgré ses onze années d’existence 8. L’APCI (Agence pour la promotion de la création industrielle) se targue « d’accompagner, valoriser et promouvoir le design et ses secteurs » auprès de la popu
  • 15. 28 29 lation française, mais n’a visiblement pas les compétences et les moyens de prendre tous les champs du design sous son aile (aucune action de grande envergure réalisée ces dernières années). 2 Les musées La galerie Anatome, bien connue des Parisiens, a été pendant douze ans le seul lieu permanent en France dédié au graphisme sous toutes ses formes (galerie d’exposition et librairie spécialisée), mais elle a fermé ses portes courant 2012... De même, le projet de construction d’un Centre National du Design (l’identité a même été réalisée par le studio Chevalvert), a été « enterré ». Un second projet de musée, le Centre international du graphisme, débuté en 2010 devrait voir le jour, à Chaumont, en 2015. En attendant, très peu d’informations sont disponibles sur Internet pour suivre l’avancée des travaux... De plus, le choix de cette ville d’accueil reste étrange : bien que Chaumont soit une ville emblématique pour le design graphique (elle accueille depuis maintenant plus de vingt ans le Festival International de l’Affiche), elle compte moins de 30 000 habitants. En comparaison de villes comme Paris, Marseille, Lyon, ou Bordeaux, auraient pu accueillir le musée et avoir un impact plus fort sur la population ; ce choix n’est pas très judicieux dans l’optique d’une démocratisation du graphisme. Concernant les grands musées nationaux, certaines expositions temporaires ou rétrospectives présentent parfois des productions issues du design graphique. Pourtant, le Centre Georges Pompidou et le Musée des Arts Décoratifs ont théoriquement le « Design » dans leurs prérogatives… mais comme le relève très bien Vincent Perrotet « on peut aussi se demander pourquoi, dans les collections du centre Pompidou, il n’y a aucune acquisition en design graphique » 9…. À la décharge des musées, il faut quand même reconnaître que l’affiche tient une belle place dans les collections de certains grands musées, tels que la BNF (qui détient la réserve la plus importante, avec environ un million d’affiches), la Ville de Lyon, la bibliothèque Forney, le musée de la Publicité, le centre de l’Affiche de Toulouse, le conservatoire de l’Affiche de Bretagne, la Maison du livre et de l’affiche de Chaumont 10. Mais cela n’est pas suffisant, car d’après Michel Wlassikoff, si l’affiche a constitué pendant longtemps un support de représentation du design graphique français (Jules Cherret,Cassandre, Grapus, etc.), les formes ont changé, évolué, se sont diversifiées 11. Le design éditorial, l’affiche, la typographie et l’identité visuelle, par exemple sont encore sous-représentés et donc sous-exposés dans les musées. 3 Les événements et festivals Plusieurs événements consacrés au graphisme sont régulièrement à l’honneur en France, mais ils ne touchent qu’un public très limité, et surtout, averti, alors qu’il faudrait plutôt s’adresser à l’ensemble de la population française pour lui faire découvrir cette profession. Les Festivals de l’Affiche de Chaumont (depuis 1989), Le mois du graphisme d’Échirolles (depuis 1990), ou plus récemment Une saison graphique au Havre (depuis 2009) participent à la diffusion du graphisme, quelques mois par an. Le CNAP édite, depuis 1995, « Graphisme en France » une revue annuelle qui met à l’honneur les designers graphiques et leur production. Cette revue fête cette année ses vingt ans, et c’est l’occasion d’organiser partout en France, des événements et expositions exceptionnels répartis sur toute l’année (la commande d’un nouveau caractère d’imprimerie proposé en libre-service, des cycles de conférences, un colloque international, des tables rondes entre designers et commanditaires, des guides imprimés sur la commande graphique, etc.). Tout cela, afin de fêter et démocratiser le graphisme auprès de l’ensemble de la population, pas seulement de la profession. Cependant, Michel Wlassikov tempère ces événements « En plus de dix années d’existence, ces manifestations n’ont pas réussi à mobiliser les foules au plan national, même si régionalement la presse et un large public ont ainsi découvert le graphisme » 11. Aussi, dans ces conditions, comment s’étonner que le client « manque de culture graphique », si elle est sous-représentée et si peu accessible en France ? L’absence de lieux dédiés au Design rend impossible une véritable connaissance de ses formes multiples, de son histoire et de son rôle social, environnemental et économique. B La pratique du design par le gouvernement Les appels d’offres ou concours sont monnaie courante dans la pratique du design. Cependant, d’après l’AFD 12, la majorité des appels d’offres de design n’offre pas de réelle « égalité des chances » (travail gratuit, exploitation de stagiaires…), ne permettent pas à la « libre concurrence » de s’exercer (les grosses structures sont avantagées au détriment des plus petites), et encourage une utilisation « déficiente des compétences du designer » (vendre, ce n’est pas concevoir). Toujours selon l’AFD, « La législation française, et en particulier le code des marchés publics, tord le cou à la création et aux fondements mêmes de notre profession ». Le sentiment de l’AFD est le suivant : le gouvernement français a une pratique irrespectueuse du métier de designer graphique et participe à répandre une image faussée de la profession. Leurs préconisations ont été recensées dans une charte de bonnes pratiques à l’usage des designers et des commanditaires (ANNEXE 4).
  • 16. 30 31 Une dérive a été constatée dans le domaine des offres des marchés publics. L’instauration de procédures d’appels d’offres publiques tend à imposer des règles jugées irrecevables vis-à-vis de la profession. En effet, les pratiques des agences publicitaires, de faire appel à des offres de création sans aucune contrepartie financière, se sont peu à peu imposées dans l’univers des appels d’offres publics, et se sont étendues à toutes les disciplines du design. Or, répondre à un appel d’offres exige un investissement- temps important : avant de commencer quoi que ce soit, une demi-journée est souvent nécessaire pour le décrypter. Ensuite, il faut bien compter une semaine de travail pour élaborer une réponse adéquate et performante en créativité. D’autre part, toujours selon l’AFD, la rédaction du Code des marchés publics « cherche, en priorité, à protéger l’acheteur en faisant l’impasse sur l’aspect travail et investissement de la part du challenger de l’appel d’offres ». Aussi, la profession a vu peu à peu se transformer le Code des marchés publics (qui a été modifié à deux reprises), vers une utilisation qui désavantage les graphistes participants. Un exemple flagrant de ce problème a éclaté en 2013, suite à l’appel d’offres lancé par le gouvernement, pour réaliser l’affiche de la Fête de la Musique. Ce « coup de gueule » a largement été repris dans les médias et la presse et relayé sur les sites et blogs spécialisés : à l’origine, un malaise entre les conditions de l’appel d’offre, et les designers graphiques mandatés sur le projet. « On nous propose parfois 500 euros pour une étude d’identité graphique qui va, au minimum, nécessiter dix jours. À des gens ayant fait au moins cinq années d’études, complétées de formations post-diplômes et de stages à l’étranger, on demande de travailler quasiment pour rien, ou à des prix inférieurs au montant horaire payés en usine. » explique Vincent Perrottet 13. Pour rappel, le tarif moyen constaté d’un atelier de création graphique est de 70 à 75 euros de l’heure, soit 500 à 750 euros la journée... L’AFD a envoyé une lettre à ce sujet à Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, qui est restée à ce jour sans réponse. Au final, la conception de l’affiche a été confiée à une agence de communication (et non de design graphique). C Le design n’a pas encore clairement apporté la preuve de sa valeur ajoutée L’objectif d’une entreprise est de vendre, que ce soit des produits ou des services. Cependant, hormis dans certains cas où le design est devenu une nécessité intimement liée aux produits (automobiles, téléphones portables), le design n’est que rarement perçu comme tel. L’étude de l’APCI et al (2012) recense que « 60% des entreprises interrogées expriment leur doute vis-à-vis de la valeur ajoutée du design à leur entreprise », elles sont en attente de « preuves chiffrées de la rentabilité de cet investissement ». De même, l’augmentation du chiffre d’affaires et l’évolution de la valeur financière d’une entreprise restent les principales évaluations de la compétitivité du design. L’entreprise s’appuie sur la perception du client, pour mesurer la performance de ses produits ou services. Et le retour sur investissement du design n’est pas calculé pour la plupart des entreprises (toutes les entreprises ne peuvent pas investir du temps pour calculer ce retour sur investissement de manière rigoureuse). Pourtant, le design participe aussi à un positionnement stratégique de différenciation et à la construction d’un avantage concurrentiel. L’étude a également conclu que « le retour sur investissement du design était généralement apprécié de façon intuitive, sans utiliser d’indicateurs ou de ratios ». Il est estimé en fonction de la notoriété que le design apporte à l’entreprise, à sa capacité à améliorer l’image de l’entreprise et de ses produits. Dans ce cas, on peut facilement comprendre qu’il est difficile d’investir pour une entreprise dans un projet de design, en se basant sur des sentiments intuitifs, sans études chiffrées qui rassurent et garantissent un certain succès à la démarche. Les entreprises n’ont pas de temps à perdre pour calculer un retour sur investissement de manière rigoureuse comme elles le feraient pour d’autres activités. Il faut donc encore apporter la preuve que le graphisme a une incidence sur les ventes. Les entreprises voient combien ça coûte, pas combien ça peut rapporter : le client confond souvent le coût du design et le ROI (return on investment) ! Manuel Warosz commente ainsi ce résultat : « les gens pensent que notre travail graphique n’a pas de valeur « économique » puisqu’il n’a pas de valeur marchande. » (CNAP, 2010) Selon la Revue du Design 14, les entreprises sont bien conscientes qu’on ne les « choisit pas pour (leur) service comptabilité, pour (leur) capacité à mener de la R&D, mais bel et bien pour les produits ou les services qu’elles proposent aux consommateurs ». Le design peut donc apporter une différenciation, et perception de qualité. Même si, aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ont conscience qu’elles doivent faire appel à un professionnel pour leur designer un logo d’un point de vue technique, elles ne sont pas toujours convaincues de l’impact de ce logo sur leurs futures ventes, ou de la valeur ajoutée pour leur entreprise. Il faut apporter la preuve chiffrée qu’il s’agit là d’un investissement rentable et non pas d’une dépense superflue. À la différence du marketing, qui donne son « aura » au produit et a prouvé qu’il a une forte incidence sur les ventes, le designer graphique doit prouver que faire du graphisme de qualité aura une incidence sur les ventes, car il n’y a pas d’exemple, de science ou de méthodes précises pour le calculer et le prévoir. Au final, il manque une formule magique pour sécuriser le client !
  • 17. 32 33 Stéphane Darricau, graphiste indépendant et enseignant en BTS Communciation Visuelle, cite volontiers le seul exemple à sa connaissance où le design a eu une réelle incidence sur les ventes, de manière incontestable. La collection de livres philosophiques « Great Ideas » de l’éditeur Pinguin, designé par David Pearson, a connu un succès retentissant une fois la jaquette des livres revisitée (fig.4). Ces textes philosophiques et politiques qui ont changé le monde, ont été remis au goût du jour via une collection, dont les couvertures typographiques célèbrent le pouvoir des mots (allusion à l’époque, avec le choix de la typographie de couverture). Résultat : 1 million de livres ont été vendus en 4 semaines, ce qui est un véritable exploit pour des livres rassemblant des textes difficiles à appréhender et s’adressant à un public averti. La collection qui, à l’origine, contenait une vingtaine de livres est progressivement passée à cent références. Tout cela sans modifier l’emplacement des livres (qui ont toujours été présentés près des caisses), leurs prix, et sans communication à grande échelle dans la presse. Ce succès populaire est donc uniquement dû au redesign de la collection. Élodie Boyer apporte également deux témoignages qui abondent dans ce sens. Pour le projet « Thello » (nouvelle compagnie ferroviaire qui assure la liaison Paris-Venise, association de Veolia Transport Transdev et Trenitalia), le client a pris conscience du rôle, du travail effectué par le designer, et il a reconnu que « l’investissement initial du projet est finalement une goutte d’eau, qui a un impact très fort ». Le design est une forte plus-value dans un projet : il apporte de la lisibilité à la marque, c’est une pièce maîtresse dans la réussite et la visibilité recherchée par un client ou une marque (fig.5). Mathieu Chevara a, quant à lui, souhaité s’exprimer sur ce qu’apporte « de plus » le design. Au-delà d’un ROI pour l’entreprise, le design a d’autres valeurs ajoutées que l’économie. Le graphisme peut modifier le comportement de l’entreprise, la notion de fierté et d’appartenance des employés. Il peut modifier l’aspect commercial, l’adéquation et la motivation des RH, impacter la curiosité des clients et privilégier la reconnaissance de l’entreprise par rapport à la concurrence. C’est un peu le principe « d’une pierre, dix coups », où le designer graphique est capable d’apporter une réponse qui aura dix impacts, mais pas forcément tous financiers. Cela permet de redécouvrir, voire de valoriser des métiers, c’est un réel travail et une valeur ajoutée de bien-être pour les entreprises et les salariés de la société. Mais encore une fois, tout ceci n’est pas quantifiable, et c’est malheureusement ce que recherche une entreprise... Figure 4 : Collection Great Ideas, revisitée par David Pearson pour Pinguin Book Source : typeasimage.com/greatideasone.html Figure 5 : Identité visuelle et déclinaison de Thello, par Élodie Boyer Source : elodieboyer.com
  • 18. 34 35 1.1.4 - Une différence de langage et de vocabulaire qui ne facilite pas la communication Comme nous l’avons vu, de nombreux freins institutionnels et culturels expliquent l’attitude étrange que peut adopter un client face à un designer. Ces freins sont d’ordre extérieur, et nous pouvons dire que le client baigne, malgré lui, dans cette atmosphère et qu’il n’a pas toujours conscience de son attitude irrespectueuse envers la profession. Cependant, il reste un dernier frein, l’un des plus importants et plus difficile à cerner. Avant de travailler ensemble, de se comprendre, le client et le designer graphique ont besoin de disposer d’un vocabulaire commun, de pouvoir échanger souvent et de comprendre les prérogatives et le territoire de chacun. La pratique montre les difficultés du dialogue entre client et designer (Minvielle, 2006). A Un vocabulaire qui induit en erreur Dans le design graphique, le mot que l’on retrouve le plus souvent est celui de « commanditaire », soit la personne qui passe commande, en d’autres termes le client. Or, comme le souligne Étienne Robial, lors du salon Graphique organisé par le CNAP en mai dernier, « c’est le terme même de ‹ commande › qui pose problème, car les clients ont des manques, des besoins, et cela n’a pas de sens de dire que l’on puisse commander ce dont on manque quand on ne sait pas ce que c’est ». Le mot même de « commanditaire » implique un rapport de force qui n’est pas justifié, et place les deux acteurs dans une relation déséquilibrée. De plus, le terme de commanditaire est une utilisation déformée du mot qui, à la base, s’applique à l’immobilier, et n’a absolument pas de rapport avec le design graphique. C’est un « Associé d’une société en commandite, qui n’est tenu des dettes de celle-ci qu’à concurrence de ses apports » ou, « Bailleur de fonds d’une entreprise ou d’un groupement » (Petit Larousse). Nous préférons donc utiliser ici le terme de « client », qui implique une relation dont on comprend le tenant et les aboutissants entre les deux acteurs. De plus, bien souvent, le client n’a effectivement pas conscience de ce dont il a besoin, et ne peut donc pas se placer dans une position de « commande ». Le designer graphique est un spécialiste qui propose ses compétences et services à des clients qui ont des problèmes graphiques dont ils ignorent la nature exacte, et le designer graphique est là pour les aider à mieux cerner le problème et donc à le résoudre. Un deuxième problème découle de cette dualité « commanditaire/client » qui existe à l’intérieur même de la profession. Selon Stéphane Darricau, le terme de commanditaire est attribué d’emblée par les designers graphiques à la commande institutionnelle, celle qui est liée à la culture (identité de musées, institutions, expositions, etc.), et qui « implique des affinités symboliques, politiques et culturelles ». C’est un travail considéré comme noble, où il y a un réel besoin de synergie, le « Saint Graal » de la profession. En comparaison, le « client » représente le domaine du privé, du commercial, qui ne nécessite pas d’affinité particulière. C’est l’une des idées structurantes dans le champ du graphisme français, et les designers graphiques font d’autant plus la différence entre les deux types de graphisme qu’ils utilisent des noms différents pour désigner la même personne, celle qui va les employer à résoudre un problème, le client/commanditaire. Enfin, une troisième incohérence se retrouve au niveau du titre du designer graphique. Le terme le plus commun est celui de « graphiste », mais c’est un terme jugé trop vague par Stéphane Darricau, d’où la transformation qui s’effectue depuis quelque temps en « designer graphique », qui fait plus professionnel. Ce changement de vocabulaire permet de relier la profession au champ plus large du design, qui est plus connu, et ainsi de mieux définir le métier. Étienne Robial souligne également le fait que lorsqu’on pose la question à un designer graphique, « à savoir quel est son métier ? », la réponse peut surprendre : graphiste, Directeur artistique junior, Directeur artistique senior (DA), Directeur de Création (DC), etc. Plus que des métiers, ce sont des statuts hiérarchiques qui sont donnés par les RH lorsqu’un designer intègre une entreprise (nécessité de hiérarchisation de la profession pour les grilles de salaires). Mais à la base, son métier est bien celui de designer graphique. Il y a donc un mélange, un amalgame entre le métier et la fonction réelle. C’est important de bien resituer chacun à sa place pour comprendre leur relation et leur positionnement. Face à cette confusion des mots et des notions, les problèmes de compréhension entre designer graphique et client sont donc plus facilement identifiables et compréhensibles. B Le designer est aussi traducteur Mathieu Chevara rappelle que « La technique, les codes de la profession, le processus et le vocabulaire ne sont pas perceptibles pour le grand public et les clients », et comme toute profession, le designer graphique a son jargon et ses manies qui ne sont pas communes aux clients avec qui il est amené à traiter. Pour arriver à un certain niveau de dialogue et de compréhension, il est alors nécessaire d’utiliser « le seul langage commun aux deux acteurs », qui est le verbe pour « parler des choses » et bien intégrer et comprendre les problèmes des deux acteurs. Il est nécessaire de tout reformuler, car la pensée du client, et les clés de compréhension du designer graphique ne sont pas les mêmes, afin d’éviter les erreurs et incompréhensions.
  • 19. 36 37 Par exemple, le client confond souvent la formulation du problème et la solution, il n’exprime pas toujours très bien ce qu’il attend, et le travail de reformulation est donc très important pour décrypter le problème initial. Ainsi, cas classique, sur une affiche, le client va demander de « grossir le logo ». Cela ne veut pas dire littéralement que le logo est trop petit et que le designer doit en changer la taille, mais plutôt qu’il y a un déséquilibre dans l’espace, qu’il faut réorganiser les pleins et les vides de l’affiche dans la composition globale (jouer avec les éléments, les pavés de textes, le titre et le logo). Le client a sans doute perçu dès le départ un problème dans la production du designer, mais il ne parvient pas à le nommer correctement, ou tout du moins, pas avec le même vocabulaire que celui du designer graphique. Quelque part, le designer graphique, en plus du rôle de créateur, a également une fonction de conseiller et de traducteur. De même, le projet de rebranding d’AG2R La Mondiale (ANNEXE 5), mené par Chevalvert, est également un exemple de « traduction ». L’assureur souhaitait changer la charte graphique afin de renforcer l’idée de “bienveillance”. Cette notion générale doit être traduite en concepts graphiques pour être reproduite et diffusée sur les supports tels que les affiches, PLV, dépliants, dossiers, etc. Figure 6 : Schéma récapitulatif de la profession, à destination du client Source : Cabinet d’Architecture IAM - Toulouse Le site internet Clients from Hell15 (en anglais) recense chaque jour les demandes farfelues que les designers graphiques, ou autres créatifs, reçoivent de la part de leur client. Les quelques exemples qui suivent expriment bien ce problème de vocabulaire, et l’incompréhension qui peut naître de cette différence d’usage. • ‘ client: Is there a way to view the HTML without seeing all the coding? ’ • ‘ client: Can you make the globe look flat and expanded to show all countries? We want people to know that we don’t just work with this half of the world - we work for the entire world! Graphic designer : So you’d like a map? client: No. Just our logo and the globe, but a flat and expanded globe. ’ • ‘graphic designer: Can I get you to make me a visual palette of colors you’d like, so I can have a better idea of what to work off of? client: Golden-orangey, black-like blue, purplish-blue, berry purple, dusky gray-purple.’ • ‘client : Can we make it sound more green? Graphic designer: You mean, like, environmentally friendly? client: No, like the colour’. • ‘client: Can you make it less black, like half black? Graphic designer: Do you mean grey? client: No. Less black. Graphic designer: Well there’s black or there’s no black. client We want black, we just want the black to be less black. Like half ’. Pour un designer graphique, ces remarques n’ont « ni queues, ni têtes ». Mais si le client les formule, ce n’est pas qu’il ne comprend pas, c’est juste qu’il a une idée, mais ne sait pas l’exprimer dans le même langage que le designer graphique. Cela peut prêter à rire, mais c’est le lot quotidien du designer graphique, il se doit donc d’écouter, de traduire, et de comprendre, les demandes sous-jacentes de son client, afin que l’échange se passe pour le mieux entre les deux acteurs, dans la perspective, toujours, d’améliorer le projet. À ce sujet, un schéma « explicatif » a été réalisé, afin de faire prendre conscience au client, que toutes ces demandes ne sont pas toujours réalisables (fig.6).
  • 20. 38 39 1.2– Des méthodes de travail singulièrement différentes La culture du client provient de ses environnements citoyen, culturel, mais également professionnel. Or, un second problème intervient dans la relation entre designer graphique et client : leur apprentissage du métier. D’un côté, le designer graphique obéit à des règles de création qui peuvent sembler extrêmement « laxistes » et aléatoires au client. De l’autre, le client qui est dans une recherche de rentabilité et de production rigoureuse, apparaît comme extrêmement directif et donc peu ouvert d’esprit au designer graphique. Non seulement ces deux acteurs ne bénéficient pas de la même exposition dans la société, mais ils ne partagent pas les mêmes codes, ne sortent pas des mêmes écoles, n’ont pas suivi les mêmes enseignements, et n’ont pas les mêmes méthodes de travail. Ces différences jouent un rôle important dans l’explication des incohérences rencontrées dans la relation des deux acteurs. L’une des premières différences est l’opposition entre la « création » et le « marketing », mais également l’attente antagoniste qui existe entre le client et le designer graphique, et le nombre d’intermédiaires qui peuvent être impliqués dans un projet, et font ainsi barrière à la bonne relation entre le client et le designer graphique. 1.2.1.- La culture du marketing du client s’oppose à la culture de l’image du graphiste A Ce qui oppose le marketing et le design graphique Dans l’imaginaire collectif des designers graphiques, le « marketing » représenté par le client s’oppose à l’activité créatrice du designer graphique. Le marketing, ou le domaine de la publicité est en opposition constante avec la production du designer graphique. Pierre Bernard explique qu’en France, le graphisme a une histoire riche, qui « s’est marginalisée depuis les années 1970 » à cause de la montée en puissance de la publicité dans les médias de masse. « La France est soumise à la domination de l’industrie publicitaire la plus puissante d’Europe. C’est le marketing qui décide, y compris dans la majorité des institutions » 16. Véronique Vienne, directrice artistique, critique et écrivain, confirme cette impression « Il est clair que souvent, nous voyons des affiches dans la rue, d’énormes 4×3 dénués de structure, avec un graphisme absent ou laissé pour compte. Parce que les gens n’ont pas le temps, parce que le principal c’est de faire passer un message en 2 ou 3 secondes » 17. Le message doit passer, il doit être compris rapidement par la cible pour être efficace, mais d’un autre côté, proposer des concepts qui sortent du cadre classique reste compliqué. Du coup, tout se ressemble, tout est identique, c’est la théorie du moindre effort. D’après Pierre Bernard, « Changer, innover, choquer, interpeller sont l’essence même du graphisme », tandis que les équipes marketing auront plutôt tendance à aller droit au but, avec des messages courts, limités, directs. Le seul domaine qui affiche aujourd’hui une attitude décalée reste le luxe (Kenzo, Dior, Chanel), où une vision différente est réellement mise en avant pour séduire des clients toujours en quête de nouveauté. D’après Geoffrey Dorne, designer graphique indépendant et auteur du blog Graphism.fr, il y a un fort problème de clivage en France entre le marketing, centré sur la vente, et le design graphique, plutôt axé sur l’utilisateur. Les deux visions sont différentes : le client va s’interroger sur le prix et le nombre d’exemplaires d’un livre par exemple (donc sur ce que ça va lui rapporter), alors que le designer graphique fera plus attention à sa composition et à sa lisibilité, qu’il soit agréable à lire (intérêt de l’expérience vécue). On a donc deux chemins différents pour une même vision, il y a forcément des divergences d’opinions et des tensions dans un projet. Élodie Boyer va plus loin encore lorsqu’elle explique que « le marketing a abîmé le design : le design doit être meilleur et plus convaincant que le marketing ». Marketing et design graphique ont finalement le même rôle, le design ne doit pas seulement être une décoration, mais servir les intérêts du marketing : tout le monde va dans la même direction et veut le même but, « servir la même cause », mais reste encore à trouver comment concilier les deux univers qui n’ont pas les mêmes exigences... B Des champs de connaissances singulièrement différents La revue du Design révèle une réalité rarement évoquée : designers graphiques et clients n’ont pas les mêmes profils professionnels, ne sont pas passés par les mêmes écoles (écoles de commerces ou de marketing pour l’un, école d’Art ou de design pour l’autre), et n’ont pas les mêmes références culturelles et historiques. À partir de ce constat, il est donc évident qu’ils ont du mal à se comprendre et à communiquer, et que la relation de force qui s’établit entre eux n’est pas facile à équilibrer. La première chose qui ressort d’une discussion avec un designer, lorsqu’on évoque sa relation avec son client, est « le manque de culture graphique » de ce dernier. Ce qui peut poser problème, car comme le fait remarquer Élodie Boyer, forte de son expérience de consultante auprès de nombreux clients, ce sont les dirigeants des entreprises, qui sortent d’écoles où ils n’ont pas été sensibilisés à cette culture ni à ces questions de communication graphiques, qui sont amenés à valider les propositions du designer graphique. Dirk Béhage partage le même avis, « En France, les dirigeants ne comprennent pas la différence entre la publicité, la communication et le graphisme. Les graphistes reçoivent un enseignement supérieur, mais se retrouvent dans la vie face à des interlocuteurs ignorants de ce qu’ils savent faire ». (CNAP, 2010).
  • 21. 40 41 Le rapport de DICI Design (2011) révèle ainsi que pour la prise de décision (validation), le design graphique est rattaché à plusieurs directions : la direction générale pour 72 % des cas, la direction marketing pour 50 %, et le département de R&D dans 20% des cas. Ces résultats montrent donc que les décisions concernant le design sont prises prioritairement par les dirigeants et que dans ce domaine, le marketing a un pouvoir décisionnaire important. Élodie Boyer explique : « Ce sont eux qui valident, pourtant ils n’ont pas les clés de compréhension nécessaires à cette prise de décision ». Il y a alors un problème de compréhension et de validation, car « ceux qui sont sensé toujours tout savoir, et incarner la connaissance, ne savent pas et ne vont pas afficher qu’ils ne savent pas ». La Revue du Design explique que contrairement aux écoles de commerce qui « depuis quelques années maintenant, commencent à donner des cours de design », les écoles de design sont encore à la traîne, et il n’y a, par exemple, aucun cours qui prépare les étudiants, futurs professionnels, à traiter avec le client 18. Frédéric Gervais, ancien directeur artistique au sein de Publicis Groupe témoigne « La formation des directeurs artistiques manque en particulier d’une dimension marketing : comment communiquer avec les clients, comment comprendre et analyser leurs problèmes ? ». « En école de design, il n’y a actuellement quasiment jamais de cours de RH, ou de cours d’introduction à la finance qui permettraient, par exemple, de dire quelle est la valeur du design, la profitabilité d’un projet, etc ». (Gervais, 2009). La Revue du Design va plus loin en expliquant que les formations en écoles de designers ne dispensent pas de cours de marketing, alors que ces étudiants seront au final « souvent intégrés dans ce type de services » en entreprise 18. De même, selon Adrian Shaughnessy (2005), « Le meilleur moyen de devenir un meilleur designer est de devenir un client. Si nous voulons éduquer nos clients sur le design, nous devrions commencer par nous éduquer nous-mêmes sur nos clients ». Autrement dit, pour être mieux préparé face aux demandes des clients, un designer se doit de le connaître et de s’intéresser à son monde et son mode de fonctionnement. Pour combler ce manque, il n’est pas rare alors de voir des designers reprendre leurs études en Mastère Gestion de projet ou Innovation, « pour d’avantage légitimer leur position au sein de l’entreprise, mais aussi pour maîtriser davantage les différents aspects du projet ». Stéphane Darricau partage cette opinion « Le graphiste doit apprendre à communiquer avec le client, à parler son langage, à comprendre son réel objectif final. Il faut être ambitieux d’un point de vue culturel, mais aussi d’un point de vue pragmatique : faire un apprentissage des deux. Le graphiste doit apprendre la stratégie commerciale, et le client doit s’intéresser à la culture de l’image ». Dans cette optique de découverte de l’autre, Étienne Robial, a tenté une approche vers le marketing. Dans une démarche pédagogique pour casser les clivages entre marketing et design graphique, il a étudié pour avoir le « même langage qu’eux », et il a enseigné à HEC « pour les former ». Ce qui selon lui s’est révélé une erreur « car au lieu de devenir les alliés des graphistes, ils sont devenus meilleurs, quitte à mettre en danger les travaux proposés ». Ce qui démontre ici une recherche de domination, et non de conciliation, du marketing vis-à-vis du design... De plus, une analyse poussée des programmes des écoles de marketing révèle un autre face cachée 19. « La quasi totalité des cours proposés ont une approche analytique très poussée qui vise à définir le plus rapidement quelles sont les meilleures options pour répondre à une problématique donnée. Par comparaison, les designers auront tendance à reposer les questions, et donc à augmenter les possibilités futures de travail, au lieu de tenter tout de suite de fermer les portes ». De plus, la pensée enseignée dans les écoles de commerces et très linéaire, pas du tout itérative comme peut l’être le processus de conception chez un designer. Ceci démontre bien le chemin qu’il reste à parcourir dans l’enseignement entre les « marketeux » et les designers qu’ils seront amenés à côtoyer. C Design graphique et marketing, vers une intégration des deux champs Jean-Pierre Gaté considère quant à lui que le design, bien que différent du marketing, doit s’intégrer à ce dernier (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002). « La technique du design implique d’innover, de créer de l’esthétique (...) Cette dimension culturelle et prospective du design rejoint la dimension stratégique de l’entreprise par son aspect visionnaire, mais aussi par ses liens avec la construction de l’identité de l’organisation ». Le designer est un « metteur en forme », tributaire de plusieurs contraintes imposées par le client (contraintes économiques, esthétiques, technologiques, commerciales, etc.). Sa production est dictée par des impératifs préétablis par d’autres professionnels : « le design agit en renfort et s’efforce de démultiplier les capacités de la technique et du marketing dont il est le partenaire créatif » (Gaté, 1998, in Borja de Mozota, 2002). Le rapport de la DGCIS (2013) préconise une intégration du design au marketing dès le début du projet. Afin de mieux intégrer marketing et design, il est impératif d’inclure le design dans l’ensemble du processus et au niveau de la stratégie même de l’entreprise. Frédéric Gervais, témoigne ainsi « Les créatifs sont réticents face à un planning stratégique qui leur apporte des idées sans les consulter. Ils ne sont généralement sollicités qu’en bout de chaîne, pour habiller une stratégie qui a déjà été définie par le planning stratégique et vendue aux clients par
  • 22. 42 43 les commerciaux. Pourtant, ce sont bien les créatifs qui sont jugés responsables du succès ou de l’échec d’une opération. Ils estiment donc avoir voix au chapitre » (Gervais, 2009). En étant intégré à la direction marketing dès le départ du projet, le designer peut produire une réponse satisfaisante à tous les niveaux : identité, ergonomie, performance, prix, technique, etc. « Si le designer n’intervient qu’en cours de développement, il répondra à une architecture produit déjà figée ou à un cahier des charges déjà défini. Dans ce cas, il lui sera très difficile de remettre en cause les données d’entrée (...), il se limitera à apporter des réponses en termes d’habillage ou de carénage, en intervenant strictement sur l’aspect formel du produit. La force de la démarche design est de pouvoir anticiper certaines caractéristiques en amont ». (DGCIS, 2013). Aussi la solution proposée est la suivante : intégrer le designer graphique dès le début du projet, afin que ces préconisations et son avis soient pris en compte au même titre que ceux des équipes marketing. 1.2.2- Des attentes antagonistes Nous avons vu que le client, bien qu’il fasse appel à un designer, n’est pas toujours au courant de la réelle plus-value que celui-ci peut lui apporter, ni des méthodes de travail et de conception par lesquelles il passe. De même, faute d’enseignement lors de leurs études, les designers graphiques ne sont pas toujours très bien armés pour répondre aux attentes du client qu’elles soient d’ordre professionnel ou touchant aux relations humaines. En effet, lors de la relation entre le client et le designer, le contrat ne porte pas seulement sur la prestation et la réalisation graphique/ technique d’un projet, mais bien sûr la valeur de cet échange sur l’échelle de la relation humaine. On s’aperçoit alors qu’entre les attentes du client et du designer graphique, les priorités ne sont absolument pas les mêmes. A Les attentes complexes du client La web conférence organisée par Kea & Partners sur le thème « Bâtir une relation client de qualité partagée entre commanditaires et prestataires » le 15 avril 2014 20, évoquait les difficultés pour les deux acteurs de se comprendre, quand ni l’un ni l’autre n’ont les mêmes attentes. Jean-Marc Humbert, président de Kea & Partners, a présenté les résultats d’une enquête effectuée conjointement auprès de clients et de leurs prestataires. D’après les résultats obtenus, une relation saine entre un client et un prestataire se base sur six points cruciaux : 1/ connaître le client et son profil (avoir une vision à 360°) ; 2 / comprendre toutes ses attentes (avoir la capacité de se charger du problème dans sa globalité) ; 3/ respecter la commande initiale ; 4/ gérer les relations sans avoir à fournir d’effort supplémentaire ; 5/ accéder simplement et rapidement aux informations concernant le projet (référent unique tout au long du parcours) ; 6/ pouvoir se tourner vers un référent projet en cas de problème ; De cette enquête, sont également ressortis trois FCS (facteurs clés de succès) importants : la confiance, la compétence, et le bien-être. Des désaccords ont également émergé. Lorsque chacun des deux acteurs doit évoquer le point le plus et le moins important de sa relation avec l’autre, les résultats sont totalement contradictoires. Le prix n’est pas toujours le facteur primordial pour le client : ce qui prévaut à une bonne relation avec son prestataire, c’est la qualité du service et du bien-être (le « souci du client »), alors que pour le prestataire, le plus important est la compétence métier/technique de sa profession. Il y a donc une mésentente, dès le début de la relation, dans les attentes des deux partis. On a d’un côté un client qui recherche de l’attention et de l’écoute, et de l’autre, un prestataire technique et professionnel, plus « froid ». Lorsque le client passe une commande auprès d’un prestataire, il y a finalement deux aspects : le point de vue technique de la mission et l’aspect relationnel et humain. Le prix est une donnée pour un service, mais il est aussi lié à des services additionnels qui vont « magnifier » la prestation au client. Le prix n’est pas le seul critère qui caractérise la qualité du service. La vraie valeur à associer au service proposé repose sur la relation client, l’entente et la confiance. Or le client, s’il est déçu par la prestation, d’un point de vue relationnel et social, ne voudra pas payer le service, qui n’aura qu’en partie répondu à ses attentes (implicites). Par manque de temps, peut-être de savoir-être, mais aussi par désintérêt, le designer graphique n’est pas toujours capable de répondre à la demande d’attention qu’exige son client. Il faut aussi reconnaître que lorsque le projet est payé « au lance-pierre », chaque heure compte, et le designer graphique aura tendance à privilégier le temps de travail passé sur les maquettes, qui est son coeur de métier, plutôt que le temps passé au téléphone à écouter et rassurer le client, ou aller à sa rencontre lors de réunions à l’importance relative. Personne n’a tort ou raison, les acteurs font ici tous les deux, preuve d’un défaut de professionnalisme, vis-à-vis des attentes de l’autre. Le designer se doit d’être à l’écoute de son client et celui-ci se doit de comprendre le mode de fonctionnement du designer graphique. B La profession de designer, des codes de travail inhabituel pour le client Habitué à travailler avec des prestataires de services ou d’autres entreprises, un client peut être dérouté par le mode de travail et de fonctionnement
  • 23. 44 45 du graphiste, notamment sur trois points : le coût de son travail, la quantité de travail produite, et ses méthodes de conception. 1 Le prix Lorsqu’un client prend contact avec un designer, la première question qu’il pose est souvent « Combien cela va t’il me coûter ? ». La réponse du designer graphique sera toujours la même, « Envoyez-moi un brief sérieux ou un cahier des charges, et je pourrai vous faire une première estimation ». Chaque projet est unique. Il est donc impossible de donner le prix de but en blanc au client, contrairement à d’autres prestataires qui ont des grilles de tarifs ou des fourchettes pour chacune de leur prestation. Ce « flou » peut dérouter un client habitué à travailler avec des estimations et devis donnés dans la minute. Le design graphique reste une création « sur-mesure », et non de la « vente au détail », car chaque client a des besoins et des objectifs différents. Par exemple, chez Creaktif, le prix pour la réalisation d’un site Internet peut passer du simple au double, en fonction de la quantité d’information à afficher (nombre de pages), de la technologie choisie, de la complexité des animations, de la présence ou non d’un back- office (CMS, système de gestion de contenu), des délais du planning, de la lisibilité sur les mobiles et tablettes, etc. 2 Le choix De même, un client voudra avoir le choix. Par principe, parce qu’il est habitué à pouvoir choisir, à donner son avis, à trancher, que ce soit en choisissant la marque de ses vêtements dans un magasin, la marque de sa sauce tomate dans le rayon, ou la chaîne qu’il veut regarder à la télévision. Le client a toujours le choix, aussi veut-il avoir le dernier mot pour une commande graphique. Lucille Tenazab raconte cette anecdote (Millman, 2007, p.166-167). Jeune graphiste, elle est, un jour, appelée à travailler sur le logo d’une grosse entreprise américaine. Elle fournit de très nombreuses propositions, sachant qu’une seule est originale et répond vraiment au projet du client. Pourtant, quelques semaines plus tard, lors d’une réunion organisée entre l’équipe de création et le client, tout le travail qu’elle a fourni, toutes ses ébauches de logos sont affichées dans la salle. En vérité, ce stratagème n’a qu’un seul but, « détourner l’attention et donner au client la valeur de son argent ». Cette anecdote illustre parfaitement la manière de travailler et les attentes du client : alors que le designer évolue selon un processus sélectif, il produit une sélection, voir un seul logo, celui qui répond le mieux à la demande du client (une demande = une solution graphique), le client, lui, souhaite voir tout le processus créatif, non pas pour le comprendre, mais pour mesurer le travail qui a été fait et visualiser ainsi ce qu’il a investi. Cette différence de perception entre la quantité, le choix et la qualité a été évoquée par deux chercheurs lors de conférences TEDx. Sheenah Iyengar, évoque la notion de « surcharge de choix » dans notre quotidien (elle prend l’exemple des supermarchés et des milliers de références produits proposées). Une expérience très simple a démontré que la surcharge de choix affecte notre capacité à bien choisir (le choix entraîne le doute) 21. En résumé, en réduisant le nombre de possibilités proposées, les décisions sont plus efficaces, c’est ce que Barry Schwartz appelle le « paradoxe du choix » 22 , et qui est malheureusement contraire aux attentes du client, qui exige « d’avoir le choix », par peur de se tromper, par doute, et par besoin de mesurer le travail produit (il veut « en avoir pour son argent »). 3 La gestion du temps de travail Enfin, le processus créatif tend vers une gestion du temps qui peut surprendre les clients, habitués au management et aux règles de travail rigoureuses dans leur entreprise. Selon Rachel Cazadamont, directrice artistique chez H5, « La hiérarchie gêne le travail du graphiste. Ces couches sont imperméables ». En vérité, il ne s’agit pas tant de la hiérarchie que des méthodes de travail et de management imposées par le client. Jason Fried explique ainsi que « le travail ne se fait pas au travail » 23. Une entreprise demandera au designer graphique freelance de venir travailler là où elle peut le « surveiller » et ainsi être sûre qu’il est « vraiment en train de travailler ». Le designer préférera travailler là où il se sent bien, chez lui, dans un espace de coworking, dans un bureau partagé, peu importe, un endroit où il garde sa liberté de travailler. Un client souhaitera pouvoir manager les horaires de son designer et qu’il soit disponible pour lui toute la journée. Or, un designer s’occupe de plusieurs projets à la fois, et ne consacre pas ses journées complètes à un seul projet, donc à un seul client. De plus, la journée de travail d’un designer graphique n’est pas uniquement faite de production, mais également de pauses et de recherche d’inspiration (surf sur internet, exposition, conférence, lectures, etc.), ce qui peut sembler être du temps de loisir volé aux heures de travail payées, par le client, mais qui participe pourtant au processus de conception. Dans nos sociétés modernes, la notion de productivité est intrinsèquement liée à la gestion efficace des ressources humaines ; or, un créatif a besoin de s’ennuyer pour être productif. Pour toutes ces raisons, le client ne comprend pas toujours le mode de fonctionnement du designer graphique, à l’opposé de la manière dont il a l’habitude de traiter ses propres employés et la productivité de son entreprise.
  • 24. 46 47 1.2.3 - La présence des nombreux intermédiaires dans le processus de validation La relation qui s’établit entre le designer graphique et le client n’est pas une relation entre deux personnes. En général, que ce soit du côté du designer graphique ou du client, chaque acteur est en fait une équipe. Le designer graphique, ou l’équipe qui traitera le projet, peut être composée de plusieurs personnes (directeur artistique, directeur de création, graphiste, chef de projet, etc.), et le client, une entreprise, peut être représenté par des chargés de projet, chargé de clientèle, etc. Selon Brigitte Borja de Mozota (2002), le design se retrouve continuellement mêlé à trois autres fonctions de l’entreprise : l’ingénierie, la communication/marketing et la gestion (fig.7). La zone de « rencontre de compétences et gestion plurielle » est d’autant plus compliquée que les équipes sont nombreuses. Un projet est rarement l’affaire de deux intervenants, mais de plusieurs personnes, voire plusieurs services. Or, plus le nombre d’intermédiaires grandit, plus cela engendre des problèmes de communication, de compréhension, de prise de décisions contradictoires, de blocage et de validation finale. La multiplication du nombre d’acteurs, au sein d’un même projet, le complexifie souvent plus que de raison. A Le statut du designer graphique au sein d’une équipe pluridisciplinaire Les entreprises peuvent recourir aux services de design, selon trois possibilités : recourir à un designer indépendant communément appelé freelance, faire appel à des consultants externes regroupés en agences de design, ou embaucher un designer dans l’entreprise (généralement nommé « designer intégré »). Chaque option dépend de la stratégie, des enjeux et des moyens de l’entreprise et comporte avantages et inconvénients. Le freelance apporte une expertise et des idées nouvelles, mais n’aura ni la connaissance, ni la culture de l’entreprise. L’agence de design aura l’avantage de proposer un ensemble de compétences pour une même mission, ce qui peut être pratique lorsqu’un projet demande à la fois compétences graphiques et techniques (création et développement d’un site web par exemple). Enfin, le designer intégré connaîtra la culture de l’entreprise, mais pourra être un peu bridé par la charte graphique de celle-ci et donc moins créatif. Le designer doit faire sa place au sein d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs et techniciens de bureaux d’études, gestionnaires de projets, équipe du marketing, commerciaux, etc.). De même, le coût du design ne sera pas le même, entre les tarifs d’une agence (qui fournit un ensemble de services et donc un tarif plus élevé en fonction du nombre d’employés travaillant sur le projet), d’un freelance (qui est son propre patron et a des charges et taxes à payer), et un designer intégré, qui reçoit un salaire régulier de son entreprise. La revue du design se pose également la question de la légitimité du designer intégré à l’entreprise 24. En faisant appel à un designer indépendant ou une agence graphique, l’entreprise reconnaît qu’il y a un problème et qu’elle a besoin d’un expert qui mettra tout le monde d’accord, qui rassemblera les opinions divergentes, « formalisera l’ADN de la société », et servira d’arbitre ou de référence en quelque sorte. Avec un designer intégré, apparaissant dans l’organigramme en tant que salarié, aussi expert soit-il, sa place et son rôle sont définis et il aura peut-être plus de mal à fédérer les différents services (marketing, design, ingénierie). Dans un projet où plusieurs personnes doivent collaborer et prendre des décisions, il doit être capable de créer, au sein de l’entreprise, des liens qui sortent des circuits classiques et permettent de pousser les projets. Travail qui sera particulièrement difficile si les designers ne sont pas en mesure de développer leur légitimité au sein même de leur entreprise. Le rapport de la DGCIS (2013) nous donne quelques chiffres à ce sujet : 52 % des réalisations commandées par les entreprises sont effectuées par des agences de design. 19 % des réalisations mobilisent exclusivement le savoir-faire de designers intégré, et 29 % des réalisations combinent des ressources de design internes et externes. Enfin, une dernière réalité est la sous-traitance d’agence de communication auprès d’indépendants ou de petits studios Figure 7 : Place du design dans l’entreprise et gestion plurielle des projets Source : D’après Brigitte Borja de Mozota (2002) Design Communication Marketing Zone de rencontre des compétences et de gestion plurielle de projets Ingénierie Gestion