Modèle 4X4 de Gerald Karsenti aux Editions Pearson
1. Introduction
Pourquoi ce livre ?
Ce livre est né d’un constat : parmi les concepts sur lesquels
s’appuie l’enseignement économique traditionnel, nombreux
sont ceux qui, souvent, sont ignorés. Pourtant, s’ils étaient maî-
trisés, ils permettraient de mieux appréhender le fonctionne-
ment de l’entreprise et de la société en général. Ils apporteraient
également un cadre méthodologique de référence aux dirigeants
d’entreprise, les aidant à affronter crises et soubresauts finan-
ciers dans la plus grande sérénité. C’est particulièrement vrai
dans la période difficile que nous traversons. Ces responsables
pourraient alors choisir les bonnes options pour conduire avec
succès les chantiers de transformation devenus bien souvent
indispensables. De fait, il existe peu de rouages, peu de proces-
sus ou de modes opératoires qui n’aient pas été analysés et
décortiqués par la microéconomie, source d’inspiration pour
tous les professeurs en management et en stratégie d’entreprise.
Ainsi, le propos de cet ouvrage est construit sur une idée peu
exploitée : tirer profit des fondamentaux issus des théories
économiques pour améliorer l’efficience managériale et orga-
nisationnelle.
INTRODUCTION 1
2. Encouragés par de nombreuses relations professionnelles –
professeurs et dirigeants d’entreprise –, nous avons voulu
approfondir cette idée en reprenant la logique des modèles éco-
nomiques et en l’appliquant au management et à l’entreprise.
Que dit le modèle néoclassique ? Que ce sont les facteurs de pro-
duction – le capital physique, la main-d’œuvre et l’innovation
(ou progrès technique) – qui assurent la croissance de l’écono-
mie et des firmes, et qu’il faut mettre en œuvre la meilleure com-
binaison possible de ces facteurs pour atteindre l’optimum
économique. Nous proposons une approche similaire permet-
tant d’accompagner le changement et la transformation des
entreprises par le biais d’un modèle complet que nous avons
choisi d’intituler le modèle 4×4.
Ce livre trouve également son origine dans certaines convic-
tions, fruit d’une expérience acquise dans des fonctions de direc-
tion au sein de groupes internationaux. Elles sont aussi le
résultat de travaux plus académiques réalisés au cours de ces
dernières années. Le modèle 4×4 puise donc ses sources dans la
théorie économique, tout en s’appuyant sur des cas concrets. Le
management n’est pas une science exacte, mais plutôt une
démarche, un long apprentissage, fait d’embûches, de joies, de
peines, de succès et d’échecs. Attendre d’un livre de manage-
ment des solutions miracles est illusoire. Il faut plutôt y chercher
des éléments d’analyse et de réflexion. Par ailleurs, il faut
admettre que nos connaissances sont limitées, que l’on se
trompe souvent et que l’écoute des autres permet généralement
de résoudre la majorité des problèmes rencontrés. Il faut nous
inspirer sur ce point de l’enseignement américain qui considère
que le fait de sortir de Harvard ou de Yale ne dispense pas à vie
le dirigeant de toute formation complémentaire. Les Européens
n’ont pas la même philosophie. Nous savons pourtant que notre
capital savoir se détériore s’il n’est pas entretenu. Or, actuelle-
ment, le monde évolue si vite qu’un dirigeant ne peut pas être
informé en permanence sur tout ce qui peut lui être utile.
2 MODÈLE 4×4
3. Parmi ces convictions, la première pose une double affirma-
tion : pour réussir, les entreprises doivent agir rapidement et
opter pour une masse critique de changements. Comment s’est-
elle ancrée en nous de façon définitive ? À la suite de la lecture du
rapport Attali sur la croissance 1 et, plus précisément, de l’une de
ses premières phrases : « Ceci n’est pas non plus un inventaire
dans lequel un gouvernement pourrait picorer à sa guise, et
moins encore un concours d’idées originales, condamnées à rester
marginales. C’est un ensemble cohérent, dont chaque pièce est
articulée avec les autres, dont chaque élément constitue la clé de
la réussite du tout. » Ainsi, pour réussir sa transformation, une
entreprise doit utiliser toutes les ressources dont elle dispose, lan-
cer un ensemble de programmes complémentaires, les assembler
de façon cohérente et réaliser le plan dans sa globalité. Une straté-
gie d’entreprise (ou un modèle) doit former un tout 2.
Prenons l’exemple d’un médecin devant administrer un trai-
tement à un patient souffrant d’un mal de gorge très doulou-
reux. En le questionnant et surtout en l’auscultant, il découvre
deux affections : une toux juste naissante et une légère sinusite.
Il choisit de lui prescrire un antibiotique à large spectre ainsi
qu’un décongestionnant. Quelques jours plus tard, le malade
revient au cabinet. Son angine est annihilée. Malheureusement,
les médicaments n’ont pas arrêté la toux qui s’est, au contraire,
fortement aggravée et ils n’ont pas eu le moindre effet sur la
sinusite ! C’était prévisible… De plus, l’antibiotique a détruit la
flore intestinale… Pour ne pas avoir pris en compte l’ensemble
1. Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la prési-
dence de Jacques Attali, XO éditions, La Documentation française, 2008.
2. Le rapport Rueff-Arnaud abordait déjà en 1960 la problématique de l’expan-
sion économique. Et là encore la même idée : « Les recommandations qui suivent
visent des obstacles graves au développement économique. Appliquées séparé-
ment ou en une longue période, elles laisseraient subsister, en certains secteurs, les
protections et les rigidités présentes, alors qu’elles les supprimeraient en d’autres.
De ce fait, il est important que, autant que possible, elles soient mises en œuvre
dans une procédure d’ensemble. » Il faut donc définitivement agir globalement
pour augmenter les chances de réussite d’un projet.
INTRODUCTION 3
4. des symptômes et s’être concentré sur celui qui lui paraissait le
plus important, le médecin a simplement déplacé le problème.
Peut-être même amplifié ! Car la toux et la sinusite combinées
peuvent entraîner des complications encore plus graves. Le diri-
geant (ou le consultant), appelé au chevet d’une entreprise ou
d’une entité souffrante, se retrouve souvent dans la même situa-
tion et face aux mêmes choix. Il doit avant toute chose mettre au
point une politique générale (ou une stratégie globale) et s’assu-
rer que tous ses composants sont cohérents les uns par rapport
aux autres. Ses connaissances sont vastes, il peut consulter des
spécialistes en tout genre, prendre la température de l’entreprise
sur tout sujet par le biais d’indicateurs bien choisis, parcourir les
pages de manuels écrits par des experts, mais au final c’est lui
qui doit trancher et prendre les décisions.
Les dirigeants ont tout intérêt à prendre en considération la
théorie économique. Elle peut leur apporter des solutions via-
bles aux problèmes concrets et persistants auxquels ils doivent
faire face quotidiennement. Le modèle que nous développons
intègre cette dimension. Il propose également une réponse à
long terme aux défis actuels, seule démarche réaliste pour atté-
nuer les effets d’une vision « court-termiste » et financière impo-
sée par Wall Street. L’entreprise qui échoue est souvent celle qui
n’est guidée que par la valorisation immédiate de sa cotation
boursière et qui ne cherche pas à imprimer en son sein une phi-
losophie globale, fondée sur ses propres valeurs.
Une autre conviction profonde s’appuie sur l’importance du
facteur humain dans le développement des entreprises. Con-
fronté à de multiples crises, aux soubresauts de l’économie, aux
aléas en tout genre et à la pression continuelle des marchés, le
monde des affaires est devenu très brutal. Il faut se souvenir que
l’un des objectifs originels de l’économie est de permettre, grâce
aux efforts individuels et collectifs, le développement général
des populations et, par là même, l’amélioration continue du
bien-être de tous. L’époque actuelle semble nous éloigner de
4 MODÈLE 4×4
5. cette perspective. Alors que la richesse est devenue la seule
valeur étalon mesurant le succès ou l’échec des individus et des
peuples, l’humain – dans l’acception la plus large du terme –
n’obtient pas toujours l’attention nécessaire de certains leaders.
Nous pensons, pour notre part, que c’est dans l’homme que
repose l’essentiel des solutions aux problèmes contemporains.
Alors se pose la question suivante : comment donner (ou redon-
ner) aux hommes l’envie de construire un monde meilleur,
fondé sur des valeurs communes et sur le respect d’autrui ? Uto-
pique, penseront certains : le monde est aux mains des capitalis-
tes que seul l’argent intéresse. Notre intention n’est pas de
transformer cet essai en plaidoyer politique ou en dénonciation
des méfaits de la globalisation et du poids excessif des marchés
financiers. Cependant, la crise actuelle – qui a entraîné la ferme-
ture ou le rachat de banques d’affaires et de dépôts – vient
remettre les pendules à l’heure… On mesure jour après jour
qu’un capitalisme financier débridé, non maîtrisé, peut causer
de nombreux dégâts. La finance ne peut être le seul chef
d’orchestre. Les ingrédients du succès sont certainement en cha-
cun de nous et on peut constater que des salariés ayant la possi-
bilité de se former et de développer leurs talents sont épanouis,
motivés et donc plus performants. Nous voulons tous au fond
avoir le sentiment de contribuer, même modestement, à l’amé-
lioration du bien-être général.
Ce que nous allons parcourir ensemble…
Après avoir présenté le modèle 4×4, nous nous intéressons au
contexte économique actuel : une concurrence accrue, sévère et
sans limites ; un monde fait de changements incessants ; une
sphère financière perturbée, instable, particulièrement exi-
geante ; des menaces aussi imprévisibles que diverses. Face à
cet environnement rugueux, les firmes doivent réagir. Pour
INTRODUCTION 5
6. marquer leur différence, elles doivent être réactives, adapta-
bles, robustes, tout en restant crédibles. Par ailleurs, la vitesse
est devenue au fil du temps un critère clé de succès. Nous illus-
trons cela par un ensemble d’analyses et d’exemples concrets.
Comme la conduite d’un véhicule 4×4, pas toujours aisée dans
certaines conditions, diriger une entreprise est devenu un
exercice périlleux, exigeant des qualités – compétences, com-
portement, leadership – que peu de gens possèdent. Nous défi-
nissons alors le profil « idéal » de l’entreprise 4×4 et, par voie de
conséquence, celui du dirigeant (ou de l’équipe) 4×4. Que ceux
qui seraient surpris par le choix de l’image d’un véhicule de ce
type pour conduire cette réflexion soient rassurés ! C’est bien
d’un 4×4 hybride 3 dont il s’agit !
Cette appellation n’est évidemment pas un hasard. Elle évo-
que un véhicule tout terrain – référence qui permet d’établir de
nombreux rapprochements et parallèles avec l’entreprise
moderne : l’entreprise tout terrain.
Cette clarification apportée, nous entrerons au cœur du
modèle 4×4, étape par étape, en étudierons le fonctionnement et
verrons comment les dirigeants sélectionnent et mettent en œuvre
les leviers et les programmes appartenant aux différents capitaux
de l’entreprise pour dégager les résultats attendus. S’ensuivra,
par le biais d’une approche conceptuelle inédite, une description
détaillée des différents facteurs de l’entreprise – humain, organi-
sationnel, technologique et relationnel –, ressources qui sont à la
base même du modèle 4×4.
Nous terminerons cet ouvrage par un exemple de mise en
œuvre du modèle 4×4, un cas d’étude « rendu fictif » mais fondé
sur des situations bien réelles.
3. Un véhicule 4×4 hybride désigne un engin automobile disposant de deux
types de motorisation : un moteur thermique et un moteur électrique. La voiture
ainsi équipée voit sa consommation en carburant réduite de façon significative par
une optimisation énergétique. De façon complémentaire, les émissions dites « pol-
luantes » sont fortement limitées.
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