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SIDA,
SANTE,
DROITS DE
L’HOMME
6e
ASSISES NATIONALES
Casablanca, les 27, 28 et 29 mai
2005
2
DISCOURS D’OUVERTURE
Pourquoi avoir choisi comme
thème des 6èmes Assises de l’ALCS
«Sida, santé et droits de l’homme» ?
C’est parce que la rencontre entre la
santé et les droits de l’homme a
connu tout récemment un déve-
loppement sans précèdent, qui a
bouleversé le monde de la santé et
ce grâce aux associations de lutte
contre le sida et surtout, comme le
souligne Dr Arnaud Marty-
Lavauzelle, grâce aux personnes vi-
vant avec le VIH qui jouent le rôle
de réformateur social. C’est parce
que, comme nous le verrons avec la
présentation de Maître Alain Molla
et celles des orateurs qui intervien-
dront dans les différentes tables
rondes tout au long du week-end,
les droits de l’homme sont au cœur
de la problématique de la préven-
tion de l’infection à VIH et de
l’accès aux traitements des PVAV
dans les pays du Sud.
La pandémie du sida illustre les
liens inextricables entre santé et
droits de l’homme. Partout dans le
monde, les groupes sociaux les plus
vulnérables à l’infection à VIH sont
ceux qui font l’objet de discrimina-
tion et de marginalisation et les po-
litiques de prévention basées sur la
répression et la discrimination ont
toujours été un échec.
Dans ces pays, dans le domaine du
sida, les atteintes aux droits de
l’homme sont particulièrement
courantes et graves : atteinte au
droit à la confidentialité ; atteinte à
la libre circulation ; atteinte au droit
de se marier et de procréer ; at-
teinte au droit à la santé ; atteinte
au droit du travail.
L’histoire de la lutte contre le sida
nous a appris que les stratégies de
modification des comportements
qui réussissent le mieux à freiner la
propagation du VIH sont celles qui
responsabilisent les individus, qui
protègent les groupes les plus vul-
nérables en respectant les droits des
individus.
Convaincue qu’il ne peut y avoir de
prévention sans respect des droits
de l’homme, l’ALCS lutte contre
toutes les formes de discrimination
des PVAV et mène des actions de
prévention auprès des groupes
marginalisés les plus vulnérables à
cette infection. L’ambition de
l’ALCS est de convaincre les déci-
deurs qu’il est possible de concilier
le respect des libertés individuelles
3
et les impératifs de santé publique,
la protection des droits de la per-
sonne et la prise en compte de
l’intérêt général.
C’est au nom du droit à la santé
que l’ALCS s’est mobilisée pour dé-
fendre le libre accès aux médica-
ments génériques, seul moyen
d’assurer l’accès au traitement dans
notre pays. Ce combat, elle l’a me-
né avec de nombreux acteurs de la
société civile. Qu’il s’agisse du droit
à la santé ou des actions de préven-
tion, il est en effet illusoire de
croire que l’ALCS peut atteindre
seule ses objectifs. Notre lutte est
indissociable de la lutte pour les
droits de l’homme en général et de
la lutte pour les droits de la femme
dans notre pays. C’est pourquoi la
présence parmi nous
d’associations de défense des droits
de l’homme et des droits de la
femme est tellement importante.
Pour protéger la dignité de ceux qui
ont besoin d’information sur le
VIH et pour prévenir la propaga-
tion de l’infection, les droits suivant
sont pertinents :
• le droit à la non-discrimination
: pour que les personnes soient
protégées contre les mauvais
traitements si elles sont séropo-
sitives ou soupçonnées de l’être,
ou si elles sont associées à un
groupe marginalisé ;
• le droit à la vie privée : pour
que les personnes soient proté-
gées contre les tests obligatoires
et pour que leur statut sérolo-
gique demeure confidentiel ;
• le droit à l’éducation et à
l’information : pour que les per-
sonnes aient accès à l’éducation
et à l’information sur la préven-
tion du VIH ;
• le droit à la santé : pour que les
personnes aient accès à des ser-
vices de soins de santé, y com-
pris les services pour les MST,
et aux moyens de prévention.
Les stratégies d’action des gouver-
nements devraient :
• tenir compte des principes rela-
tifs aux droits de l’homme dans
l’élaboration et la mise en œuvre
de politiques et programmes en
matière de VIH/sida, avec la
participation active des PVAV ;
• établir des cadres juridiques et
administratifs appropriés, abro-
geant les pratiques coercitives
ou inutilement restrictives ;
• introduire ou renforcer des me-
sures visant à interdire la dis-
4
crimination et les abus liés au
VIH/sida et à garantir la protec-
tion juridique de la vie privée ;
• proposer des programmes
d’enseignement et de formation
aux fonctionnaires de
l’administration, aux décideurs,
aux employeurs, aux médias et
au grand public, afin de souli-
gner les dangers des préjugés et
de la discrimination et promou-
voir le respect des droits de
l’homme ;
• œuvrer pour l’émancipation ju-
ridique et politique et le renfor-
cement du pouvoir des groupes
défavorisés tels que les femmes,
les travailleur(se)s du sexe, les
détenus, etc., y compris à tra-
vers l’abrogation de lois interdi-
sant la formation de groupes
d’auto-assistance ;
• légaliser les relations homo-
sexuelles entre adultes consen-
tants dans les pays où elles sont
actuellement illégales ;
• dépénaliser la prostitution et
légaliser les maisons closes ;
• mettre en place des campagnes
de publicité sur le préservatif
accompagnées de distribution
gratuite ;
• associer les représentants des
groupes communautaires aux
programmes officiels afin de fa-
ciliter la modification des com-
portements ;
• consacrer davantage de moyens
humains et financiers à la pro-
motion des droits de l’homme
en relation avec le VIH/sida, et
renforcer l’engagement et
l’action de la communauté in-
ternationale.
Le respect des droits de l’homme
exige aussi que nous évitions tout
langage inapproprié. Aussi con-
vient-il d’éviter les expressions «
groupes à risque », « victimes du si-
da », « sidéen » ; de même il ne faut
pas identifier certains groupes par-
ticuliers comme étant vecteurs de
maladies. Le langage peut alimenter
les préjugés et la discrimination et
inciter à la violence ; il faut ainsi
être particulièrement vigilant.
Pr Hakima Himmich
Présidente de l’ALCS
ALLOCUTION
5
Monsieur Pierre Bergé
Chers amis,
Tout d’abord, qu’il me soit permis
ici de remercier avec chaleur
l’ensemble de l’équipe de l’ALCS et
tout particulièrement sa présidente,
le Pr Hakima Himmich. C’est bien
entendu avec un grand plaisir que je
vous retrouve, vous savez mon at-
tachement à votre association mais
aussi à ce pays…
Vous avez choisi un thème particu-
lièrement intéressant pour vos As-
sises : « Sida, santé et droit de
l’homme ». Nous savons bien, nous
acteurs de la lutte contre le sida, le
lien fondamental entre les droits
humains et l’accès à la santé ; entre
les droits humains et la lutte contre
le sida. Depuis le début de
l’épidémie, nous l’avons appris,
peut-être justement parce que fort
peu d’autres maladies auront pro-
voqué, hier et aujourd’hui, autant
de mépris des droits les plus élé-
mentaires pour chaque enfant,
chaque femme, chaque homme sur
cette terre. Et puis également parce
que nous vivons la première pan-
démie de l’ère moderne des droits
de l’homme. Enfin, parce que
l’épidémie de sida soulève de nom-
breuses questions liées aux droits
de l’homme.
En regardant le combat que nous
avons mené et que nous menons
encore, je voudrais attirer votre at-
tention sur deux ou trois points
particuliers à propos de cette dé-
pendance entre le sida et les droits
de l’homme :
1. L’efficacité des actions de san-
té, tant en matière de préven-
tion que de soins, repose sur
l’idée qu’elles doivent respec-
ter la dignité et les droits hu-
mains ;
2. Ensuite, il est traditionnelle-
ment admis qu’il existe une in-
terdépendance entre, d’une
part combattre l’épidémie de
sida dans le monde, et d’autre
part défendre et garantir les
droits humains, de tous, qu’ils
soient ou non porteurs du vi-
rus. Les efforts déployés pour
prévenir la transmission du
VIH et pour apporter les
soins appropriés aux malades
du sida sont non seulement
compatibles avec les efforts
destinés à promouvoir les
6
droits humains, mais ils sont
également complémentaires ;
A travers notre travail en France et
dans 23 pays en développement,
nous avons, à SIDACTION, de
nombreuses occasions d’affronter
cette problématique. Je voudrais, si
vous le voulez bien, prendre rapi-
dement trois exemples :
1. Certaines mesures de santé
publique compromettent ou
encore violent certains droits
humains. Ainsi l’égalité d’accès
à la prévention, à
l’information n’a-t-elle pas été
la même pour les homo-
sexuels que pour les hétéro-
sexuels, mais l’on pourrait éga-
lement citer les usagers de
drogues ou encore les mi-
grants. En somme, une dis-
crimination s’est créée, venant
s’ajouter à des discriminations
antérieures que connaissaient
bien les communautés ou les
populations que j’ai citées ;
2. Les violations des droits de
l’homme entraînent une baisse
d’efficacité, voire annulent
l’efficacité des actions de lutte
contre le sida. Ainsi dénier
l’accès aux soins à des malades
en situation irrégulière entraî-
nera des conséquences non
seulement pour les personnes
concernées (et c’est déjà in-
supportable) mais aussi pour
toute la politique de santé pu-
blique visant à contrôler la
maladie ;
3. Enfin, en promouvant au sens
large les droits humains, par
exemple en renforçant
l’acceptation d’une minorité
au sein de la société, l’on favo-
rise également son aptitude à
s’informer, à prendre soin de
ses membres, bref à lutter et
donc à réduire sa « vulnérabili-
té » à l’égard de l’infection à
VIH.
Alors que faire ?
Nous avons connu des progrès im-
portants au cours de ces dernières
années dans la lutte contre le sida.
Les traitements contribuent évi-
demment à l’allongement de la du-
rée de vie des malades mais aussi à
une amélioration de la qualité de
leur vie. Je le vois bien autour de
7
moi, les choses ont changé depuis
presque 10 ans. Mais parallèlement,
les progrès dans le domaine des
droits humains, je ne les vois pas.
Lorsque Paris a accueilli ce que l’on
appelle aujourd’hui le « Sommet de
Paris » à l’initiative de Mme Simone
Veil, alors Ministre des Affaires So-
ciales et de la Santé, près de 31 pays
avaient une législation restreignant
l’entrée et/ou la circulation des
personnes vivant avec le VIH/sida
sur leur sol. Aujourd’hui, ils sont
plus de 100 ! Oui, aujourd’hui, si
l’on est séropositif, on ne peut pas
se rendre aux Etats-Unis ou en
Chine… On ne peut pas émigrer au
Canada… ni même songer à visiter
l’Egypte ou bien Israël…
En Alabama ou en France, les dé-
tenus ont bien moins accès aux trai-
tements et les conditions de déten-
tion menacent gravement la vie et
la santé des détenus séropositifs.
Le Bangladesh alimente l'épidémie
naissante du sida par les violents
abus que commet la police contre
les travailleurs sexuels, les utilisa-
teurs de drogue par injection et les
hommes ayant des relations
sexuelles avec des hommes.
L'échec du gouvernement ougan-
dais à protéger les femmes contre la
violence domestique et la discrimi-
nation augmente le risque de ces
femmes de contracter le VIH.
Et je pourrais multiplier à l’infini
ces exemples qui nous affligent, qui
nous meurtrissent, qui, enfin, nous
révoltent.
Alors, il faut, vite, très vite, renfor-
cer nos actions communes en fa-
veur des droits humains. Il n’existe
à notre sens pas de meilleur pro-
gramme de lutte contre le sida que
celui qui s’appuie sur les Droits
Humains. Ainsi l’on pourrait ima-
giner de mieux impliquer à la fois
les acteurs de la lutte contre le sida
et les acteurs de la défense et de la
promotion des droits humains. Ce
n’est pas très innovant me direz-
vous ! Non, en effet. Mais il faudra
encore du temps avant que le
monde ne considère la pandémie
comme une crise des droits hu-
mains. Les violations des droits
humains comme facteur aggravant
du VIH/sida sont largement ré-
pandues en 2005, comme elles le
sont depuis l'apparition de la mala-
die. Cet aspect des choses reste
malgré tout largement sous-estimé
et peu pris en compte par les pro-
8
grammes de lutte contre le
VIH/sida, compromettant de ce
fait l'efficacité des programmes na-
tionaux. Avec l’aide de tous, en in-
tégrant cette problématique dans le
travail quotidien des professionnels
de santé, des militants associatifs,
des politiques (et notamment ceux
en charge de la santé publique et
des droits humains), l’on peut par-
venir à offrir, à s’offrir, un monde
meilleur, tout simplement.
9
L’ETHIQUE A
L’EPREUVE DU TEMPS
Maître Alain Molla
Pour ne rien vous cacher, c’est
d'abord un « sujet à l’épreuve de
mon ambition » ; ambition démesu-
rée puisque je n’ai pas eu le temps
de me consacrer autant que je le
souhaitais à ce bilan.
A propos d'éthique, « c'est le
temps » qui précisément retient
mon attention dans ce titre et des
Assises nationales comme les
vôtres marquent le temps d’une
mobilisation associative qui force le
respect. Seize années déjà …
L’ALCS avait été créée par Ma-
dame Himmich en 1988, précisé-
ment sur la base d’un défi éthique,
celui de la confidentialité et de
l’anonymat, principes essentiels que
Madame Himmich n'était pas par-
venue à imposer au sein d’un « co-
mité de lutte contre le sida » insuf-
fisamment indépendant.
J’avais eu la chance et l'honneur
d’être sur cette même tribune à Ca-
sablanca pour les premières Assises
de l’ALCS, ce qui ne nous rajeunit
guère, et je mesure le chemin par-
couru depuis et ce notamment dans
le combat exemplaire pour l’accès
aux molécules dans le monde non
développé. Lors de ces Assises, je
fus marqué par l’histoire de cette
patiente du service hospitalier de
Madame Himmich qui lui avait ex-
primé sa peur d’être brûlée vive si
son sida était révélé.
L’histoire d’associations comme
l’ALCS ou AIDES illustre la per-
manence des défis éthiques car
en terme de « santé publique » la
mobilisation contre une épidémie
comme celle du VIH/sida, maladie
mortelle transmissible, fut forcé-
ment à ses débuts en conflit avec
une approche soucieuse du respect
des droits des personnes.
La santé publique vise classique-
ment la protection de la santé du
plus grand nombre, forcément au
détriment des droits fondamentaux
des individus, avec mise en quaran-
taine, limitation de la liberté de la
circulation, signalement aux autori-
tés, exclusion du droit au logement,
dépistage obligatoire, déclaration
nominative des partenaires, bref
tout l’arsenal hygiéniste qui consti-
tue la santé publique.
Le combat associatif a d’emblée eu
la signification d’une remontée du
10
courant, d’une résistance à la tradi-
tion du contrôle sanitaire conçu
comme un empiétement sur les
droits fondamentaux à la vie privée
et à la libre circulation.
La Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme elle-même ne
mentionne-t-elle pas la santé pu-
blique comme un motif légitime de
restriction des droits fondamentaux
de la personne (article 29) ?
La mobilisation associative contre
l’épidémie fut :
- d’abord, un réflexe de défense
avec le recours au droit comme
protection contre les discrimina-
tions ;
- ensuite, une démarche offensive
de revendication citoyenne pour la
dignité face aux formes variées de
vulnérabilité sociale à l’épidémie et
ce sous l’impulsion extraordinaire
du regretté Jonathan Mann à la tête
du programme mondial contre le
sida de l'OMS.
Ecoutez plutôt ce qu’il disait en
1987 à la Conférence Internationale
de Washington : « Parce qu’ils ne ré-
pondent pas aux besoins des populations
quand, dans la majorité des pays où
l’épidémie se répand, les femmes n’ont pas
accès à l’éducation, à l’expression poli-
tique, à la santé, à l’égalité d’initiative
dans les rapports sexuels, comment les
systèmes de santé pourraient-ils répondre
aux besoins quand l’homosexualité est
encore punie dans de nombreux pays,
clandestine généralement, stigmatisée tou-
jours ; quand l’usage des drogues vous met
dans l’illégalité » . Il évoquait ensuite
toutes les catégories telles que les
travailleurs sexuels, les détenus ou
les migrants déjà touchés par
l’épidémie et qui ne pouvaient ni
légalement, ni socialement faire va-
loir non seulement leurs besoins
mais aussi leurs droits, leur parole,
leur égale dignité de personne hu-
maine.
Tout était dit, le chemin tracé de la
lutte contre le sida fut donc
d’abord un combat juridique dé-
fensif anti-discriminatoire puis en-
suite un combat politique où les
trajectoires individuelles sont deve-
nues une expertise globale des sys-
tèmes de santé comme l’avaient si
brillamment compris dès le début
de l’épidémie Daniel Defert puis
Arnaud Marty-Lavauzelle.
Le sida n’est pas seulement un vi-
rus, il est un fait social, un phéno-
mène politique et un extraordinaire
révélateur de la double crise des
droits de l’homme et de la santé
11
publique.
Malgré de nombreux rebondisse-
ments, contretemps et soubresauts,
l’éthique du respect des personnes
est restée un socle résistant à toutes
les tempêtes et constitue une bous-
sole en permanence à notre service.
Le respect du consentement des
personnes, le refus de la tentation
de la coercition, le choix de
l’éducation pour la santé et de la
responsabilisation des individus
malades ou vivant avec le VIH sont
autant de principes éthiques qui ont
pu et peuvent seuls garantir à ces
individus un statut d’acteurs de san-
té, à la fois de leur santé et de la
santé publique.
Le sida a permis de réinventer une
santé publique plurielle, en y in-
cluant tous les prétendus margi-
naux classiquement exclus du
champ traditionnel du soin.
Cette éthique du respect du con-
sentement du malade, à l’épreuve
du temps, y compris depuis les
nouvelles donnes thérapeutiques de
1996, résiste à toutes les agressions
sur les thèmes aussi brûlants et
permanents que ceux du dépistage,
du secret médical, du désir d’enfant
ou encore du choix thérapeutique.
Le respect de la dignité des in-
dividus concernés fut et de-
meure au service de la santé pu-
blique, au profit de cette der-
nière, jamais à son détriment.
A cause du sida ou, paradoxe dou-
loureux, grâce à lui, cette boussole
nous a conduits sur le chemin de la
reconnaissance sociale des ex-
clus du système de santé.
N’ayons pas d’état d’âme sur cette
certitude, même si la lutte est en-
core longue, même si les résultats
sont lents à obtenir, même si
l’épidémie est loin d’être vaincue.
C’est vrai que c’est lent mais ce
n'est pas à cause du respect des
personnes mais bien plus à cause
du partage scandaleusement inégal
des richesses.
Ne soyons pas tentés comme cer-
tains par le constat que quelques
pays hygiénistes du Nord de
l’Europe notamment auraient de
bons résultats.
Le coût éthique dans ces pays y
est considérable.
* * *
Mais revenons aux vertiges du
temps car tout ce que je viens
d'évoquer est au programme des
12
travaux de ces Assises. Revenons
aux militants de nos associations
qui sont soumis, depuis si long-
temps, dans leur combat pour le
respect des individus malades, face
aux résistances multiples, à de
rudes épreuves.
Egrenons le temps où s’entrelacent
nos états d’âme intimes et person-
nels avec nos prises de conscience
politiques d’un combat collectif.
Quel toboggan que celui de nos
états d’âme soumis à un si dur trai-
tement depuis tant d’années !
Il y eut les balbutiements, avec :
- l’ignorance et l’incrédulité face
aux premières rumeurs sur
l’injustice du « cancer gay » ;
- l’étonnement, la réticence, quand
il fallut comprendre que le plaisir
sexuel ne serait plus jamais le même
;
- le sentiment d’une intimité violée
quand il fallut faire des pratiques du
sexe un débat public ;
- la fébrilité et le trac au moment de
prendre la décision de faire son
test ;
- l’inquiétude, l’angoisse et la
frayeur de découvrir que le virus
était passé par nous ou par ceux
qu’on aime ;
- le soulagement gêné et malsain
pour ceux dont le statut sérolo-
gique se révélait intact ;
- le sentiment de frayeur, de pa-
nique, d’injustice voire de culpabili-
té quand le virus était débusqué.
Il y eut l’effroi avec :
- l’effarement, la souffrance et le
deuil quand la maladie fit irruption
pour frapper si fort et si long-
temps ;
- le désespoir pendant les années
sans médicament ;
- la colère face à l’indifférence et
l’oubli des bien-portants et des
bien-pensants ;
- la peur des extrémistes qui choisi-
rent notre sida ou celui de ceux
qu’on aime pour affoler, humilier,
exclure et discriminer.
Il y eut l’espoir avec :
- la ferveur retrouvée quand le soin
est enfin arrivé ;
- la révolte de découvrir que les
médicaments ne seraient pas en
nombre suffisant ;
- la joie de voir enfin la vie triom-
pher et la mort reculer ;
- l’illusion d’un virus en voie d’être
neutralisé ;
- le rêve d’un plaisir sans entrave en
voie d’être retrouvé.
Il y eut la désillusion avec :
- la découverte des contraintes de
13
l’observance ;
- l’inquiétude et la déception de sa-
voir que l’efficacité thérapeutique
pouvait s’échapper ou être dans
l’impasse ;
- la mauvaise conscience perma-
nente de savoir que notre malheur
n’est rien comparé à celui de ceux
qui sont nés ailleurs qu’en Occi-
dent.
Il y eut, il y a la régression avec :
- le constat que le choix entre bana-
lisation et dramatisation est tou-
jours aussi difficile;
- la découverte qu’après 20 ans
d’épidémie la volonté d’exclure
reste encore en embuscade ;
- la lassitude et les tentations brû-
lantes du relâchement et du déni ;
- l’impatience d’en finir ;
- la tristesse de savoir que ce
n’est pas fini.
Toujours au fil du temps, l'éthique
telle que définie ci avant est restée
notre feuille de route.
* * *
Ce n’est jamais fini... et les défis
éthiques sont multiples et mutants.
Si je devais caractériser devant
vous, très arbitrairement, un défi
éthique contemporain, je parlerai
volontiers d’altérité et d’intimité.
Un des grands défis d’aujourd’hui
est de réussir plus que jamais la
combinaison subtile et douloureuse
entre l’altérité et l’intimité. Ainsi
pourrons-nous affronter plus serei-
nement la terrible question de
l'incrimination de la prétendue
transmission volontaire du VIH.
Je m'explique.
L’altérité nous renvoie à la dou-
loureuse question de la transmissi-
bilité, le sida étant une maladie
transmissible au sens médico-légal.
Cette transmissibilité, même si elle
est plus rassurante que la notion de
contagion (car elle reste maîtri-
sable), porte en germe le risque
d’exclusion et une source terrible
d’inquiétude et de peur, avec la
rencontre permanente entre
l’individu infecté et la société.
Sont en vis-à-vis les individus infec-
tés d’abord, eux qui ont peur de la
maladie qui les habite, de son évo-
lution et peur des autres aussi, ceux
qui ont le pouvoir de les exclure en
même temps que le devoir de les
soigner. En face de ces individus
ensuite, une société qui a peur de
l’épidémie est en situation défen-
sive, d’inquiétude ; le cancer de
l’autre ne déclenche que la compas-
14
sion, le sida de l’autre peut déclen-
cher la peur, la panique, le rejet.
L'altérité sur fond de transmis-
sibilité, c'est potentiellement le
positionnement des malades en
coupable.
L'intimité ensuite : le sida nous a
propulsés dans l’intimité des gens
et forcé à redéfinir l’espace pu-
blic et l’espace privé.
Principalement transmissible par la
rencontre sexuelle (car la transmis-
sion mère–enfant n’est que le pro-
longement de la rencontre sexuelle
et la transmission par la seringue
est strictement mécanique), il a im-
posé une nouvelle approche de la
sphère privée.
Il a forcé les personnes mais aussi
les systèmes, les groupes, les socié-
tés, de même que les religions à
parler de l’intimité sexuelle jusque
dans les détails les plus tabous rela-
tifs aux liquides corporels tels que
le sang, le sperme, les sécrétions
vaginales ainsi que leurs supports
tels que les muqueuses vaginales,
anales et celles de la verge.
Il nous a forcés à parler de
l’intimité, l’intimité de tous, pas
seulement celle des marginaux que
constituent les homosexuels ou les
usagers de drogue, déjà victimes
des préjugés les plus violents ; mais
aussi l’intimité de madame et mon-
sieur tout le monde :
- le mari irréprochable bon époux,
bon père que personne n’imagine
trompant sa femme et qui pourtant
va devoir parler de son infidélité si
le virus surgit sur fond dramatique
de transmission à l’épouse ou à
l’enfant à naître ;
- le jeune homme de bonne famille
à qui personne dans ce contexte de
pudeur et de discrétion, ne parlera
de sexualité, qui va devoir affronter
le groupe familial, si sa vie intime
est propulsée sur le devant de la
scène par la rencontre avec le virus
à travers celle éventuelle d’une
prostituée ou du multi partenariat
propre à cette période de la décou-
verte de son corps et de la séduc-
tion facile.
Cette intimité est la source même
des impératifs d’anonymat et de se-
cret, notamment pour construire le
cadre optimum nécessaire au dépis-
tage et aux soins.
* * *
L’éthique à l’épreuve
d’aujourd’hui, c’est donc de ré-
ussir la combinaison entre
l’altérité et l’intimité en faisant
15
en sorte que jamais la protection
de l'intimité ne soit perçue
comme une menace pour
l'autre.
Il nous faut, en même temps que
développer le cadre optimum du
dépistage volontaire, construire,
apprendre, apprivoiser une culture
de révélation volontaire, une cul-
ture d’écoute, une culture de par-
tage, une culture de vérité.
A trop se taire, faute de savoir
comment l’autre va réagir et dans la
crainte de perdre la tendresse, le
désir ou l’affection de l’autre, à trop
taire sa séropositivité, la personne
vivant avec le VIH n’est-elle pas
sur le chemin névrotique du déni et
de l’oubli ?
A trop s’abstenir de questionner
l’autre, les personnes séronégatives
ou pensant l'être ne sont-elles pas
sur le chemin du transfert de la res-
ponsabilité sur le silencieux ?
Nous avons longtemps insisté sur
le droit de ne pas dire son statut sé-
rologique ou sa séropositivité et, en
miroir, pour ceux qui sont séroné-
gatifs, l’obligation de ne rien de-
mander à l’autre.
Nous avions raison car c’était et ce-
la reste une discipline, un dispositif
de protection contre les extrémistes
et hygiénistes de tout poil qui rê-
vaient et rêvent encore de télesco-
per le consentement et l’autonomie
de la volonté pour une législation
de rupture du secret médical, de
coercition sur le dépistage au nom
d’une santé publique comprise
comme la priorité absolue pour le
plus grand nombre.
Nous avions raison, l’obligation de
déclarer sa séropositivité qui plane
sur ce sujet reste « un effroi » et
comme le dit Christian Saout «On a
trop connu en Europe le temps où nous
passâmes de la stigmatisation aux stig-
mates ».
* * *
Mais peut-on un temps s’arrêter là
pour réfléchir et constater qu’à trop
s’en remettre à la protection d’une
norme juridique collective garantis-
sant le secret et le silence, à trop
craindre les dégâts du dit et du dire,
on a peut-être contribué à une cul-
ture de la dissimulation, on a peut-
être sans discernement suffisant
abandonné les individus dans une
camisole de silence et à l’inconfort
du non dit.
Vincent Pelletier, Directeur Géné-
ral Adjoint de AIDES, aux Etats
16
Généraux des personnes touchées
par le VIH en novembre 2004 à Pa-
ris, avait courageusement prononcé
la phrase suivante : « Vouloir oublier
la maladie et la peur qu’elle génère de con-
taminer ou de sur contaminer, c’est parfois
oublier cette prévention obligée, contrainte,
contraignante, qui en est inséparable ».
La question du « dire ou du ne pas
dire » ou encore du « taire ou du ne
pas taire » pour une personne séro-
positive d’une part, et la question
d’apprendre à demander ou ne pas
demander, à croire ou ne pas croire,
pour les personnes séronégatives
d'autre part, notamment dans le
couple, dans la famille, dans le
groupe social ou dans l’entreprise,
restent cruciales.
C’est au carrefour de cette altérité
et de cette intimité que la transmis-
sibilité du VIH réveille la culpabili-
sation, voire la culpabilité de toute
personne vivant avec le VIH.
Déjà en 1990, le journal Le Monde
en France avait titré à propos du
drame des transfusés et des hémo-
philes : « Le sida des innocents ».
Certes, ils étaient innocents mais le
contraire d’innocent, n’est-ce pas
« coupable » et faut-il considérer
que toutes les autres personnes vi-
vant avec le VIH le sont donc ? Là
où il ne fallait voir que des victimes,
on avait déjà hiérarchisé les bons
malades et les mauvais.
Comment sur ce sujet ne pas faire
le lien avec la triste tempête qui fait
rage en France sur le terrain de la
criminalisation de la transmission
du VIH ?
Triste climat qui, je l’espère, ne ga-
gnera pas votre pays où la re-
cherche du coupable est donc de-
venue celle du contaminateur qui
n’aurait pas imposé le préservatif
ou qui se serait tu sur son statut sé-
rologique dans le cadre de l’intimité
de la rencontre sexuelle.
Aujourd’hui en France sévit une
lutte fratricide par autorités judi-
ciaires interposées où les séroposi-
tifs et les séronégatifs s’affrontent.
Les séronégatifs n’auraient plus au-
cune responsabilité, seulement des
droits, notamment celui de pour-
suivre en justice la personne séro-
positive qui les aurait contaminés.
Parmi les séropositifs, il y aurait les
bons qui sont contaminés et les
mauvais qui sont des contamina-
teurs comme si toute personne vi-
vant avec le VIH n’avait pas, un
jour, été contaminée.
C’est un vaste sujet que je ne fais
qu’ouvrir pour le refermer en émet-
17
tant le vœu que cette guerre fratri-
cide cesse le plus rapidement pos-
sible, et que nous militants, car les
associations aussi se déchirent sur
cette question, nous mettions
l’accent sur une seule certitude :
c’est le sida et non les personnes
contaminées qu’il faut com-
battre.
Mot d'ordre éthique, parmi tant
d'autres : c’est le sida l’ennemi,
pas le malade.
18
DROITS HUMAINS
ET
SANTE PUBLIQUE
Table ronde n°1
PROPRIETE INTELLECTUELLE, COMMERCE INTERNATIONAL ET DROIT
A L’ACCES AUX MEDICAMENTS, Dr Othoman Mellouk
Dr Othoman Mellouk (ALCS)
Santé et droits humains : l’exemple du VIH/sida
Pr Hakima Himmich
DDROITS HUMAINS ET LIBROITS HUMAINS ET LIBERTES INDIVIDUELLESERTES INDIVIDUELLES ,, Afamia Kaddour
SSANTE ET DROITS HUMAIANTE ET DROITS HUMAINSNS :: LL ’’EXEMPLE DUEXEMPLE DU VIVIH/H/SIDASIDA ,, Pr
Hakima Himmich
MOT DMOT D ’’INTRODUCTIONINTRODUCTION ,, Dr Arnaud Marty-Lavauzelle
Modérateur :
Dr Arnaud Marty-Lavauzelle et Pr Hakima Himmich
19
Mot d’introduction
Dr Arnaud Marty-Lavauzelle
C’est un grand plaisir et un grand
honneur d’être parmi vous. Le ren-
dez-vous des Assises de l’ALCS re-
présente pour moi un défi, une exi-
gence et un enrichissement mutuel.
Depuis de nombreuses années,
nous collaborons et j’ai toujours
souligné combien l’aide des pays du
Sud aux pays du Nord avait été im-
portante dans la lutte pour l’accès
aux traitements afin de maintenir la
pression dans nos propres pays.
Mais aujourd’hui nous sommes par-
tis peut-être pour écrire une his-
toire très longue. Aucun d’entre
nous ne pouvait imaginer que
l’histoire de l’épidémie durerait au-
tant de temps, nécessiterait le main-
tien d’une prévention, requerrait
l’acquisition de connaissances nou-
velles. La situation s’est extrême-
ment complexifiée, puisque main-
tenant la gestion d’un traitement
demande des connaissances très
pointues. Les différents enjeux se
sont également complexifiés, et
nous sommes dans une situation
chaotique, à la fois parce que les
choses vont mieux que nous ne le
redoutions, et en même temps
parce qu’elles sont bien pires à un
niveau mondial que nous ne pou-
vions l’imaginer. Alors nous
sommes les cavaliers du vent, à la
fois dans le passé, le présent,
l’avenir. Le passé est fait de ter-
ribles douleurs, de deuils ; le pré-
sent est une action continuelle pour
essayer de rester en vie ; l’avenir
reste hasardeux, difficile, et les pro-
cessus de reconstruction sont com-
pliqués et douloureux. Je crois donc
qu’une des définitions de la situa-
tion, c’est la complexification et la
dévitalisation. Pourquoi ? Parce
qu’encore une fois le temps a passé,
parce que beaucoup d’associations
dans les pays du Nord, en particu-
lier AIDES et ACT UP, sont des
associations qui aujourd’hui sont
calcifiées et ont un grand besoin de
volontaires. Peut-être n’avons-nous
pas su transmettre l’histoire de
l’épidémie, redéfinir les choses avec
les nouvelles générations ; en tout
cas je crois que c’est une responsa-
bilité qu’il faudrait assumer mainte-
nant. Dans les pays du Nord, un
des défis actuels, c’est aussi vieillir
avec le VIH, essayer d’éprouver le
temps passé dans ses deuils impos-
20
sibles, essayer de retrouver le temps
manqué, se reconstruire physique-
ment, psychologiquement, avec
tous les moyens possibles, dans
l’espoir que toute cette aventure
nous mène dans une société meil-
leure, quels que soient les enjeux
dramatiques de la mondialisation, et
avec une vigilance particulière con-
cernant la violation des droits des
personnes qui menace chaque jour
notre travail.
Je vous remercie.
Pr Hakima Himmich : Merci Ar-
naud pour ce témoignage très
émouvant. Je n’ai pas présenté Ar-
naud parce qu’il n’y a pas besoin de
présenter le Dr Arnaud Marty-
Lavauzelle. Mais il y a peut-être
parmi nous des jeunes volontaires
qui ne le connaissent pas. Le Dr
Arnaud Marty-Lavauzelle a marqué
l’histoire de la lutte contre le sida
non seulement en France mais dans
le monde. Il l’a marquée en tant
que deuxième président de
l’association Aides. Il a initié les
partenariats français avec les pays
africains et a été le premier à lutter
pour l’accès aux traitements. Nous
lui devons énormément. Quand La-
tifa Imane et moi l’avons rencontré
à Casablanca en 1990, ce fut une
véritable révélation de la dimension
humaine de cette lutte. Depuis
nous ne nous sommes plus quittés
et nous nous sommes souvent re-
trouvés dans les enceintes des insti-
tutions internationales. Vous allez
peut-être avoir du mal à le croire,
mais pendant des années, lorsque
Arnaud et moi demandions l’accès
aux traitements pour les pays du
Sud, les représentants des institu-
tions internationales, mais égale-
ment les responsables des PNLS
africains, nous traitaient tout sim-
plement de fous. Donc merci beau-
coup, Arnaud !
Santé et droits humains :
l’exemple du VIH/sida
Pr Hakima Himmich
Le lien entre santé et droits de
l’homme n’est pas une idée récente,
il est implicite dans la Déclaration
adoptée par la première Assemblée
mondiale de l’OMS en 1948 : la
santé y est définie comme « un état
de bien être complet physique, mental et
social » et non pas seulement
comme l’absence de maladie ou
d’infirmité. Pourtant les spécialistes
21
de la santé et ceux des droits de
l’homme ont longtemps travaillé
séparément et ce n’est que récem-
ment que des ponts ont été jetés
entre les deux domaines. Progressi-
vement, la santé a cessé d’être seu-
lement synonyme de soins, si bien
que les activités de santé sans réfé-
rence aux droits de l’homme ne de-
vraient plus être acceptables au-
jourd’hui. Des études américaines
ont montré que les problèmes de
santé incluant des cancers, des ma-
ladies cardiaques respiratoires et in-
fectieuses sont liés de façon inextri-
cable, bien sûr avec la pauvreté,
mais à pauvreté égale, avec la dis-
crimination sociale et les manque-
ments aux droits de l’homme et à la
dignité des personnes.
Cette rencontre entre la santé et les
droits de l’homme a connu tout ré-
cemment un développement sans
précèdent qui a bouleversé le
monde de la santé et ce grâce aux
associations de lutte contre le sida
et surtout, comme le souligne Dr
Arnaud Marty-Lavauzelle, grâce
aux personnes vivant avec le VIH
(PVAV) qui jouent le rôle de ré-
formateur social. En effet, plus que
toute autre situation, la pandémie
du sida illustre les liens inextri-
cables entre santé et droits de
l’homme en nous montrant com-
bien une maladie que l’on peut pré-
venir, responsable du décès de mil-
lions de personnes qui n’ont pas
accès au traitement, est de plus en
plus le fruit de la discrimination so-
ciale. C’est ainsi que partout dans le
monde, les groupes sociaux les plus
vulnérables à l’infection à VIH sont
ceux qui font l’objet de discrimina-
tion et de marginalisation. C’est le
cas en Afrique subsaharienne où les
femmes, du fait de leur vulnérabili-
té socioculturelle et économique,
payent un lourd tribut à l’épidémie,
représentant plus de 50% des cas
d’infection à VIH. Ces femmes,
qu’elles soient prostituées ou ma-
riées, n’ont pas la possibilité de se
protéger de l’infection à VIH parce
qu’elles ne peuvent imposer ni la
fidélité, ni le préservatif, à leur par-
tenaire. Les usagers de drogue sont
décimés par l’infection à VIH en
Russie, au Vietnam et ailleurs ; or
cette infection n’est pas la consé-
quence directe de l’usage de
drogue, mais bien plutôt de la mar-
ginalisation des usagers et de
l’absence de politique de réduction
des risques. C’est le cas des groupes
qui font l’objet de répression et de
22
discrimination en raison de leur
orientation sexuelle, ou de leurs ac-
tivités, comme les travailleur(se)s
du sexe. C’est le cas également des
réfugiés et des migrants clandestins.
Dans de nombreux pays, le mythe
du conflit entre les droits de
l’individu et la santé publique fait
de la répression le fondement de la
prévention. Dans ces pays, dans le
domaine du sida, les atteintes aux
droits de l’homme sont particuliè-
rement courantes et graves. Elles se
caractérisent par :
- l’atteinte au droit à la confidentia-
lité, aussi bien par déclaration no-
minale que par communication du
résultat à l’entourage, alors que la
confidentialité, élément essentiel de
l’éthique médicale, est incluse dans
le serment d’Hippocrate et dans la
Déclaration de Genève de
l’Association Médicale Mondiale
(1948)
- l’atteinte à la libre circulation avec
interdiction d’accès à de nombreux
pays, notamment les Etats-Unis,
pour les personnes ayant une infec-
tion à VIH mais également
l’enfermement de ces personnes
dans des sidatorium
- l’atteinte au droit de se marier et
de procréer pour les PVAV comme
c’est le cas dans certaines provinces
en Chine
- l’atteinte au droit à la santé. Les
refus de soins aux PVAV, même en
situation d’urgence, sont loin d’être
exceptionnels, sans parler de la li-
mitation de l’accès aux médica-
ments génériques qui privent des
millions de personnes de traite-
ment.
- l’atteinte au droit du travail. Les
PVAV sont fréquemment confron-
tés dans de nombreux pays à des
licenciements abusifs, des refus
d’emploi, des expulsions du pays
d’accueil, etc.
La prévention par la répression a
pourtant été un échec total d’un
point de vue de santé publique. Les
pays pratiquant les contrôles aux
frontières n’ont pas empêché
l’épidémie de se développer chez
eux. Dans tous les pays où elles
sont exercées, les mesures de dis-
crimination et de stigmatisation ont
contraint les PVAV et les per-
sonnes à risque à la clandestinité,
les éloignant ainsi des campagnes
de prévention et des centres de
soins.
23
La prévention de la transmission du
VIH se fonde sur l’accès à
l’information et au soutien. Elle re-
pose aussi sur le sens des responsa-
bilités de chacun. La protection des
droits de la personne favorise la
création d’un environnement de
soutien, nécessaire pour encourager
les individus à effectuer un test de
dépistage, à changer leur compor-
tement et s’ils sont séropositifs à
bénéficier de soins.
En matière de sida, les activistes
d’abord, puis l’OMS et
l’ONUSIDA, ont reconnu qu’il
existait une relation critique entre le
respect des droits humains et de la
dignité et la vulnérabilité au VIH.
Cette analyse a amené les spécia-
listes de la lutte contre le sida à
deux conclusions. Premièrement, la
prévention du sida est essentielle-
ment un problème d’individus, de
relations sociales ; la façon dont les
sociétés traitent les individus est dé-
terminante. Deuxièmement, les po-
litiques de prévention de l’infection
à VIH n’ont aucune chance de suc-
cès si elles ne respectent pas les
droits de l’homme et les droits des
PVAV.
Qu’en est-il au Maroc ? L’ALCS se
bat depuis sa création pour l’accès
au traitement des PVAV que nous
considérons comme un droit. Dans
ce combat, nous avons trouvé un
grand soutien auprès des militants
des associations françaises et je
rends tout particulièrement hom-
mage à un pionnier de ce combat,
le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle qui
a défendu ce droit à un moment où
aucune instance internationale, ni
d’ailleurs nationale, ne voulait en
entendre parler. Je rends aussi
hommage à Sidaction, l’association
que préside Monsieur Pierre Bergé,
qui a été la première association, et
pendant longtemps la seule, à fi-
nancer la prise en charge des
PVAV dans les pays du Sud. Paral-
lèlement au combat pour l’accès au
traitement, l’ALCS lutte contre
toutes les formes de discrimination
des PVAV et mène des actions de
prévention auprès des groupes
marginalisés les plus vulnérables à
l’infection à VIH. Pour cela, il nous
a fallu sortir de nos bureaux, aller à
la rencontre des individus et nous
mettre à l’écoute de leurs besoins.
Tâche difficile dans une société où
les choses se font mais ne se disent
pas, où le groupe étouffe les indivi-
dualités et où le droit à la différence
se paye très cher. L’ALCS est une
24
structure où les utilisateurs des ser-
vices de l’association, les personnes
vivant avec le VIH, les travail-
leur(se)s du sexe, sont présents
comme acteurs sur le terrain et par-
ticipent, de façon significative, à
l’élaboration et à la mise en œuvre
de la politique de l’association.
Notre souci d’efficacité nous a éga-
lement amenés à prendre en charge
des problèmes qui ne relèvent pas
toujours directement du sida mais
qui en font le lit. Car comment ai-
der les femmes marocaines à se
protéger sans parler des facteurs
socio-culturels qui les fragilisent ?
Comment faire de la prévention
auprès des travailleur(se)s du sexe
sans leur offrir un espace de parole,
d’écoute et de reconnaissance ?
Comment soutenir les personnes
vivant avec le VIH sans militer
pour un meilleur système de soins ?
Comment lutter contre le sida sans
interroger notre société, notre cul-
ture ?
Les volontaires et les salariés de
l’ALCS, issus d’horizons divers, se
doivent d’obéir à une éthique fon-
dée sur le respect de l’autre, de ses
choix et de sa différence. Nous at-
tendons des volontaires de l’ALCS
qu’ils soient des militants pour le
droit à la différence, pour le droit à
la liberté de choix.
L’ambition de l’ALCS est de con-
vaincre les décideurs qu’il est pos-
sible de concilier le respect des li-
bertés individuelles et les impératifs
de santé publique, la protection des
droits de la personne et la prise en
compte de l’intérêt général. Si, con-
trairement à ce qui se passe dans de
nombreux pays de la région, la légi-
slation marocaine est conforme aux
recommandations de l’OMS et res-
pecte l’éthique et les droits des
PVAV, c’est beaucoup grâce à la
vigilance de l’ALCS, et à feu Oth-
man Akalay, militant des droits de
l’homme et directeur du PNLS de
1990 à 1993. Il a fallu se battre, au
sein du Comité National de lutte
contre le sida, pour que les déclara-
tions de cas de sida ne soient pas
nominatives, pour qu’il n’y ait pas
de test VIH obligatoire, pour que
des certificats de séronégativité ne
soient pas demandés aux frontières,
comme l’exigeaient cer-
tains médecins, membres de ce
comité.
Faut-il en conclure qu’il n’y a au-
cune atteinte aux droits des PVAV
au Maroc et des droits des per-
sonnes en général ? Sûrement pas.
25
Régulièrement et c’est arrivé encore
récemment, nous recevons au ser-
vice des maladies infectieuses du
CHU à Casablanca des patients à
un stade terminal, qui se savent sé-
ropositifs depuis des années, qui
ont été diagnostiqués en Europe,
vivent au Maroc depuis 5-6 ans et
n’ont jamais osé consulter, par
crainte du non respect de la confi-
dentialité et de la discrimination.
Cette crainte est malheureusement
justifiée par le non respect du se-
cret médical de la part de nom-
breux médecins. Nous avons éga-
lement eu fréquemment à déplorer
des refus de soin aux PVAV. Le
comportement des autorités n’est
pas toujours conforme aux posi-
tions du Ministère de la Santé mais
l’ALCS a tout récemment fait un
grand pas en avant et facilité les ac-
tions de prévention de proximité,
en convainquant les autorités de
l’inutilité et du caractère contre-
productif de la fouille des per-
sonnes suspectées de s’adonner à la
prostitution ; la possession de pré-
servatif ne devrait désormais plus
être considérée comme une preuve
de racolage. Il en est de même pour
les tests VIH imposés à des préve-
nus ou des détenus.
Dans le Maroc qui se construit, le
devenir et l’efficacité de nos actions
sont étroitement liés aux choix so-
ciaux et politiques du pays et nous
avons un rôle à jouer dans le com-
bat pour un Maroc respectueux des
droits des individus et garantissant
la protection juridique de la vie pri-
vée ; c’est pourquoi la participation
à ces Assises d’associations de dé-
fense des droits de l’homme est ex-
trêmement importante.
26
Droits humains et libertés indi-
viduelles
Afamia Kaddour
Dès sa découverte, l’infection à
VIH a été associée à des groupes
spécifiques rejetés socialement : les
homosexuels et les utilisateurs de
drogues par voie intraveineuse.
Aussi toutes les personnes infectées
par le VIH ont-elles été identifiées
à ces groupes et ainsi stigmatisées,
sans même que l’on s’interroge sur
leurs modes de contamination.
C’est seulement quand les modes
de transmission de la maladie ont
été mieux connus que les politiques
de prévention ont été améliorées et
que beaucoup d’actions ont été
menées en direction des groupes
dits vulnérables.
Face à l’infection à VIH, les socié-
tés arabes sont confrontées à de
grands défis. Elles doivent d’une
part trouver un équilibre entre les
valeurs sociales héréditaires et
l’obligation de protéger les per-
sonnes vulnérables, et d’autre part,
interdire toute discrimination en-
vers les personnes vivant avec le
VIH afin de garantir le respect de
leurs droits fondamentaux.
Mon intervention se divisera en
deux parties. Je présenterai tout
d’abord les principaux axes d’une
politique de prévention efficace,
puis j’exposerai les droits et les de-
voirs des personnes vivant avec le
VIH.
Dans ma première partie, je vais
tenter de montrer quel doit être le
contenu d’une politique de préven-
tion efficace. Une telle politique
implique de protéger les personnes
vulnérables de toute relation
sexuelle forcée et de mettre en
oeuvre des actions spécifiques en-
vers les groupes victimes de discri-
mination.
Les femmes, les enfants, les pri-
sonniers sont particulièrement vul-
nérables. Dans les pays arabes, la
femme lutte toujours pour obtenir
l’égalité avec l’homme. Le mariage,
contrat inégalitaire, met la femme à
la merci de l’homme ; la femme est
obligée de se soumettre aux désirs
et exigences de son mari ; elle n’a
notamment pas le pouvoir
d’imposer à son mari l’usage du
préservatif. De même, la protection
de la femme contre le harcèlement
27
sexuel est insuffisante en l’absence
de texte législatif. En raison de leur
situation économique précaire, les
bonnes sont particulièrement expo-
sées. Les proxénètes doivent éga-
lement être sévèrement sanction-
nés. Les enfants sont
théoriquement protégés par la loi,
mais l’application effective de la loi
nécessite de disposer d’institutions
spécialisées en charge de la protec-
tion des enfants et d’instaurer des
mécanismes juridiques permettant
d’instruire efficacement les plaintes
déposées. L’existence de telles si-
tuations doit amener les gouverne-
ments à réfléchir à la possibilité
d’autoriser l’avortement en cas de
transmission du VIH de la mère au
fœtus. Enfin il faut également pro-
téger les prisonniers de tout acte de
violence à l’intérieur des établisse-
ments pénitenciers.
La lutte contre le VIH/sida doit
permettre de mettre fin aux situa-
tions intolérables décrites ci-dessus
et favoriser ainsi un progrès social.
Je vais maintenant examiner les dé-
fis que représente la prévention de
l’infection à VIH auprès des
groupes victimes de discrimination,
les homosexuels en particulier. Les
homosexuels sont rejetés sociale-
ment dans les pays arabes. Nombre
de discours en appellent aux valeurs
familiales et religieuses et condam-
nent tout comportement contraire
à ces valeurs. Les politiques fon-
dées sur ces discours sont en con-
tradiction avec la promotion des
droits humains. En outre, elles sont
incapables de susciter une modifi-
cation des comportements ; ce n’est
pas en culpabilisant les individus
qu’on peut les amener à modifier
leurs comportements. Ces poli-
tiques sont même contre-
productives. Stigmatisés, considérés
comme hors la loi, les homosexuels
sont en effet contraints à la clan-
destinité, ce qui rend difficile la
mise en œuvre d’actions de préven-
tion et accroît leur vulnérabilité.
C’est pourquoi la plupart des pays
ont désormais adopté des pro-
grammes de prévention qui visent
non pas à protéger la société des
homosexuels, mais à protéger les
homosexuels du VIH, ce qui im-
plique de tisser des relations de
confiance et de proximité avec eux,
loin de tout jugement et visée mo-
ralisatrice.
En conclusion de cette première
partie, je voudrais souligner que la
meilleure politique de prévention
28
ne repose pas sur le contrôle des
mœurs, mais consiste à protéger les
individus de l’infection à VIH et ce
dans le respect de leurs orientations
sexuelles.
Dans ma deuxième partie, je vais
parler des droits de la personne vi-
vant avec le VIH puis de ces de-
voirs, car il n’y a pas de droit sans
devoir. Les droits de la personne
vivant avec le VIH sont :
a) les droits liés à la santé
L’accès aux traitements en fait par-
tie. Il relève de la responsabilité des
pays arabes qui doivent s’engager
en faveur de leurs malades. Mais
l’accès aux traitements se joue éga-
lement au niveau international en
lien avec d’une part le droit à la
santé, et, d’autre part, le droit des
brevets. Les détenteurs de brevets
peuvent-ils refuser l’accès aux trai-
tements à tous les malades démunis
ou ont-ils une obligation de se-
cours ? Suite à l’attitude de pays
comme l’Afrique du Sud qui n’ont
pas hésité à recourir aux médica-
ments génériques pour faire baisser
le prix des traitements, le Ministre
libanais de la santé a annoncé une
diminution de 7 à 20% du prix des
antirétroviraux.
b) le droit à la confidentialité.
L’infection à VIH touche à la vie
intime de l’individu : aussi la société
n’a-t-elle pas à connaître l’identité
des personnes contaminées et les
individus ont le droit révéler ou
non leur statut sérologique à leur
entourage. Beaucoup préfèrent
d’ailleurs se taire de peur d’être
confrontés à des réactions hostiles.
La jurisprudence française a ainsi
considéré que révéler la séropositi-
vité de quelqu’un sans son consen-
tement constituait une violation de
sa vie privée. Il est également inter-
dit de pratiquer des tests de dépis-
tage à l’insu des individus, comme
cela a pu être fait dans certains hô-
pitaux. Il faut souligner que la con-
fidentialité n’est pas un obstacle à la
mise en œuvre d’une politique effi-
cace de prévention. Dans les pays
arabes, la protection de la vie privée
est encore faible et des textes de
lois spécifiques seraient nécessaires
pour garantir le respect du droit à la
confidentialité.
Les personnes vivant avec le VIH
ont toutefois le devoir d’informer
leur(s) partenaire(s) afin de leur évi-
ter tout risque de contamination.
c) les droits liés à la non discrimination
29
Dans de nombreux pays dans le
monde, le droit du travail interdit
toute discrimination et les per-
sonnes vivant avec le VIH sont
protégées par la loi. Malheureuse-
ment la plupart des pays arabes res-
tent réticents à adopter des lois si-
milaires.
D’autre part, il faut condamner tout
acte inhumain qui vise à identifier
par une marque physique les per-
sonnes vivant avec le VIH ou à les
isoler. De tels actes sont interdits à
l’échelle mondiale ; toutefois les
comportements discriminatoires
persistent, notamment dans les pri-
sons ; de même la pratique de
l’isolement des malades n’a pas dis-
paru partout dans le monde.
Si la société doit ainsi garantir les
droits des personnes vivant avec le
VIH, celles-ci ont en contrepartie
des devoirs. Certains pays ont ainsi
fait le procès des « contaminateurs
volontaires » qui se sont rendus
coupables de non-assistance à per-
sonne en danger en dissimulant leur
état sérologique à leur(s) parte-
naire(s). Certains acteurs de la lutte
contre le sida ont suggéré que
c’était au médecin de révéler la sé-
ropositivité d’un patient à son par-
tenaire. C’est oublier un peu vite
que le médecin est tenu au secret
professionnel.
Pr Hakima Himmich : Merci
beaucoup, Madame Afamia Kad-
dour, d’avoir accepté de venir au
Maroc pour partager avec nous ces
6e Assises. Votre intervention est
une véritable bouffée d’oxygène. Il
est tellement rare d’entendre les dé-
fenseurs des droits humains dans la
région Maghreb Moyen-Orient.
Non qu’ils n’existent pas, mais leur
parole est trop souvent étouffée par
l’intégrisme, par le wahhabisme, par
les nombreuses dictatures en place.
Merci infiniment, vous nous re-
donnez du courage ! Nous poursui-
vrons avec plaisir la collaboration
avec votre association.
30
Propriété intellectuelle, com-
merce international et droit à
l’accès aux médicaments
Dr Othoman Mellouk
Je vais vous parler du problème de
la propriété intellectuelle et de
l’accès aux médicaments. C’est un
sujet d’actualité au niveau interna-
tional. Pendant plus d’un an, ce fut
également un sujet d’actualité au
Maroc avec les négociations de
l’accord économique de libre-
échange avec les Etats-Unis, accord
contre lequel l’ALCS s’est forte-
ment mobilisée. Aujourd’hui,
même si cet accord a été signé, la
lutte pour l’accès aux médicaments
continue.
En 1978, l’OMS lançait son fameux
slogan « Santé pour tous en l’an
2000 ». L’objectif était très ambi-
tieux, des actions furent mises en
place, notamment les politiques des
médicaments essentiels et les trans-
ferts de technologie vers les pays en
développement pour assurer la dis-
ponibilité des médicaments. Où en
sommes-nous 27 ans plus tard ?
Aujourd’hui, le tiers de la popula-
tion mondiale n’a pas accès ou dis-
pose d’un accès insuffisant aux mé-
dicaments essentiels. En Afrique,
ce chiffre est supérieur à 50%. 60%
des décès sur ce continent sont dus
aux maladies infectieuses et parasi-
taires. Dans les pays européens, ces
mêmes maladies sont responsables
de 5% des décès seulement. 40000
personnes meurent chaque jour
dans le monde faute d’accès aux
médicaments. 6 maladies causent la
majorité de ces décès : la pneumo-
nie, la diarrhée, le VIH/sida, le pa-
ludisme, la rougeole et la tubercu-
lose. Or ces maladies ne devraient
plus tuer aujourd’hui. Il est en effet
possible de les traiter mais les trai-
tements ne sont pas disponibles
dans les pays du Sud. Alors
qu’auparavant les gens mouraient
pour des raisons scientifiques, la
médecine étant incapable de faire
face à ces maladies, aujourd’hui les
gens meurent pour des raisons
économiques. En effet, le principal
obstacle à l’accès aux médicaments
est leur coût. Celui-ci est directe-
ment lié aux brevets qui limitent la
concurrence des médicaments gé-
nériques. En effet, dès qu’on intro-
duit des génériques sur le marché,
s’instaure une concurrence qui en-
traîne une diminution des prix.
31
Comment en est-on arrivé là ?
Pourquoi l’objectif de la santé pour
tous en l’an 2000 n’a-t-il pas pu être
atteint ? Pourquoi les politiques des
médicaments essentiels n’ont-elles
pas produit les résultats escomp-
tés ?
La réponse est simple : parce qu’au
droit à la santé qui commençait à
émerger à la fin des années 1970
s’est substitué un nouveau droit, à
savoir le droit de la propriété intel-
lectuelle. Il est ainsi question de
droit des deux côtés : d’une part le
droit des populations à vivre, et
d’autre part, le droit des multina-
tionales à faire des profits, des pro-
fits extraordinaires. L’industrie
pharmaceutique est en effet l’une
des industries les plus rentables au
monde. Aux Etats-Unis, ses profits
sont supérieurs à ceux réalisés dans
le secteur de la banque ou de la fi-
nance. Elle s’est opposée au droit à
la santé pour protéger ses profits,
notamment en militant pour
l’introduction des droits de proprié-
té intellectuelle dans les accords
commerciaux, au premier rang les
accords de l’Organisation Mondiale
du Commerce (OMC). L’OMC a
été créée à Marrakech en 1994. Elle
succède au GATT (General
Agreement on Tariffs and Trade ou
Accord général sur les tarifs doua-
niers et le commerce) qui regrou-
pait initialement 23 pays. Au-
jourd’hui, plus de 140 pays sont
membres de l’OMC. Beaucoup
d’économistes estiment que ce fut
une erreur d’inclure la propriété in-
tellectuelle dans les accords de
l’OMC. En effet, la propriété intel-
lectuelle ne concerne pas le com-
merce en lui-même. Certains ont
avancé que les droits de propriété
intellectuelle permettaient de régler
les litiges commerciaux. En réalité,
l’introduction des droits de proprié-
té intellectuelle dans les accords de
l’OMC, défavorable aux pays
pauvres, est le fruit du lobbying de
l’industrie pharmaceutique, très
proche des Ministères du Com-
merce dans les pays industrialisés.
Les accords commerciaux reposent
normalement sur des avantages
mutuels ; or dans le domaine de la
propriété intellectuelle, les pays
pauvres ont fait des concessions
unilatérales ; ils ont donné mais
n’ont quasiment rien reçu. Ainsi,
alors qu’auparavant la réglementa-
tion et la protection des droits de
propriété intellectuelle étaient gé-
rées principalement par
32
l’Organisation Mondiale de la Pro-
priété Intellectuelle (OMPI), c’est
désormais l’OMC qui en a la
charge.
Le GATT ne prenait pas en
compte le degré de protection,
chaque pays avait sa propre législa-
tion et déterminait librement son
régime de propriété intellectuelle.
Au Maroc, jusqu’en décembre der-
nier, il n’y avait pas de brevet sur
les médicaments, seuls les procédés
de fabrication pouvaient être proté-
gés par des brevets. De nombreux
pays disposaient d’une législation
similaire. L’Accord sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle
relatifs au commerce (ADPIC), si-
gné dans le cadre de l’OMC, uni-
formise au niveau international les
droits de propriété intellectuelle. Il
est souvent écrit que l’OMC im-
pose un ensemble de règles. En
réalité, l’Accord sur les ADPIC ins-
taure un cadre général qui fixe une
protection minimale, et laisse une
certaine marge de liberté aux pays.
Il offre en effet des flexibilités pour
protéger la santé publique. Ces
flexibilités furent difficiles à obte-
nir. Une fois intégrées dans
l’Accord sur les ADPIC, les pays
riches, Etats-Unis et Union euro-
péenne en tête, ont tenté par tous
les moyens d’empêcher les pays
pauvres d’y recourir. Aujourd’hui
encore, ils continuent à essayer d’en
limiter l’utilisation.
L’Accord sur les ADPIC impose
aux pays d’accorder des brevets de
20 ans pour toutes les inventions
dans n’importe quel domaine tech-
nologique, y compris donc pour les
produits pharmaceutiques. Il est
toutefois possible dans certaines si-
tuations de passer outre le droit des
brevets et d’émettre ce qu’on ap-
pelle des licences obligatoires ou
dans le langage de l’OMC « l’usage
gouvernemental ». Si un pays es-
time avoir besoin d’un médicament
donné pour résoudre un problème
de santé publique, il peut émettre
une licence d’office qui lui permet
d’utiliser l’invention sans
l’autorisation du détenteur du bre-
vet moyennant seulement le verse-
ment de royalties. L’Accord sur les
ADPIC prévoit également des li-
cences obligatoires qui fonction-
nent selon le même principe. La
principale différence réside dans le
fait que les licences d’office doivent
être utilisées uniquement dans le
cadre de programme de santé pu-
blique ; cela signifie notamment
33
que les médicaments génériques fa-
briqués dans le cadre de licences
d’office ne peuvent pas être en
vente libre dans les pharmacies.
L’Accord sur les ADPIC autorise
également les importations paral-
lèles. Il convient de bien différen-
cier les importations parallèles des
importations de génériques.
L’importation parallèle consiste à
importer un médicament breveté
d’un pays où il coûte moins cher.
Par exemple, un produit donné
d’un laboratoire coûte 100 dh au
Maroc, alors qu’en Espagne il coûte
seulement 80 dh. Le Maroc a inté-
rêt à l’acheter en Espagne pour réa-
liser une économie. Ce faisant, le
Maroc ne contrevient pas au droit
des brevets puisque c’est le labora-
toire lui-même qui a mis le médi-
cament à ce prix-là sur le marché
espagnol. Le laboratoire est déjà ré-
compensé pour son invention en
Espagne et le Maroc n’a donc pas à
lui verser de royalties. Il existe éga-
lement dans l’Accord sur les
ADPIC des exceptions au droit des
brevets telles que l’exception Bolar.
Cette exception autorise les fabri-
cants de médicaments génériques à
effectuer les tests cliniques pour
démontrer la bioéquivalence avec le
médicament original avant
l’expiration du brevet. Une fois le
brevet expiré, le médicament géné-
rique peut ainsi être mis immédia-
tement sur le marché. Le recours à
ces différentes flexibilités a été con-
firmé dans la Déclaration de Doha
en 2001.
Les pays disposaient de différents
délais pour appliquer l’Accord sur
les ADPIC. Les pays en dévelop-
pement avaient jusqu’au 1er janvier
2005, les pays les moins avancés
(PMA) jusqu’au 1er janvier 2006
avec une possibilité de prolonga-
tion jusqu’en 2016. Un système de
mail box était cependant prévu par
l’Accord sur les ADPIC. L’OMC a
demandé aux pays qui ne déli-
vraient pas de brevet sur les médi-
caments avant la création de l’OMC
à l’instar du Maroc de mettre en
place un système de boîte à lettres
fictive pour stocker les demandes
de brevet déposées par les labora-
toires entre 1995 et 2005. Pendant
10 ans, les demandes de brevet se
sont ainsi accumulées. Au début de
l’année, cette boîte à lettres a été
ouverte au Maroc et les premiers
brevets sur les médicaments ont été
délivrés.
34
Pour se mettre en conformité avec
l’Accord sur les ADPIC, le Maroc a
adopté une nouvelle loi sur la pro-
priété intellectuelle, la loi 17/97.
Votée en 2000, cette loi est entrée
en application le 18 décembre 2004.
Le Maroc a-t-il profité des flexibili-
tés offertes par l’Accord sur les
ADPIC afin de protéger la santé
publique ? La réponse est négative.
Pourquoi ? Il faut savoir que dans
la plupart des pays en développe-
ment, comme cela a été le cas au
Maroc, les nouvelles lois sur la pro-
priété intellectuelle ont été rédigées
avec l’aide d’agences étrangères de
coopération. Cette pratique
s’appelle de l’assistance technique.
Elle permet en fait aux pays indus-
trialisés de promouvoir leurs
propres intérêts en matière de pro-
priété intellectuelle. Le Maroc n’a
donc pas profité de toutes les flexi-
bilités. La loi 17/97 interdit les im-
portations parallèles. Elle ne pré-
voit pas d’exception Bolar ; celle-ci
serait toutefois ajoutée dans le nou-
veau Code de la pharmacie, ce qui
est une bonne chose. Les méca-
nismes de versement de royalties ne
sont pas clairement définis. Les li-
cences obligatoires sont condition-
nées ; pendant les 4 premières an-
nées d’un brevet, le Maroc ne peut
pas émettre de licence obligatoire.
Or une telle disposition n’est pas
présente dans l’Accord sur les
ADPIC.
Le contenu de la « mail box » a été
communiqué récemment à l’ALCS
grâce aux démarches du Pr Him-
mich auprès de l’Office marocain
de la propriété industrielle et com-
merciale (OMPIC). Elle contenait
plus de 800 demandes de brevets.
Ces demandes ont quasiment
toutes été accueillies favorable-
ment. Des brevets abusifs ont été
délivrés. Par exemple, un brevet du
laboratoire Glaxosmithkline (GSK)
a été déposé auprès de l’Office eu-
ropéen des brevets en 1993 et au
Maroc en 1998. Or la nouveauté
constitue un des principaux critères
de brevetabilité. Un produit déjà
breveté en 1993 n’est pas nouveau
et l’OMPIC ne devrait pas lui ac-
corder un brevet. Aujourd’hui,
nous n’avons pas encore étudié en
détail le contenu de la mail box ;
nous allons le faire très prochaine-
ment. Il est fort probable que des
médicaments aujourd’hui dispo-
nibles au Maroc à un prix raison-
nable aient été brevetés ou le soient
35
prochainement et voient donc leur
prix augmenter fortement.
La question de la propriété intellec-
tuelle ne se joue pas seulement à
l’OMC, elle concerne également les
accords économiques bilatéraux de
libre-échange. Si l’Union euro-
péenne négocie des accords avec
beaucoup de pays, les champions
du monde en la discipline restent
cependant les Etats-Unis. Les délais
de négociation avec les Etats-Unis
sont extrêmement courts. Lors-
qu’un pays négocie avec l’Union
européenne, des étapes, des rendez-
vous sont fixés ; avec les Etats-
Unis, ce sont des négociations accé-
lérées et les accords signés ont un
effet quasi immédiat puisqu’ils en-
trent en vigueur l’année qui suit la
négociation, si bien que les pays
n’ont pas le temps de s’y préparer.
En outre, les Etats-Unis proposent
un package complet qui est à pren-
dre ou à laisser et exercent une
forte pression sur leur interlocu-
teur. Au sein de l’OMC, un pays
comme le Maroc peut résister parce
qu’il est aux côtés de dizaines
d’autres pays ; seul face aux Etats-
Unis, la configuration est totale-
ment différente. Les accords avec
les Etats-Unis sont définitifs, alors
qu’à l’OMC il est toujours possible
de continuer à négocier et de révi-
ser les accords. Enfin, en cas de li-
tige avec les Etats-Unis, le pays
concerné se retrouve directement
devant les tribunaux ; il n’y a pas de
commission d’arbitrage comme à
l’OMC.
Quel est le contenu de l’accord de
libre-échange avec les Etats-Unis
en matière de propriété intellec-
tuelle ? Cet accord est défavorable à
l’accès aux médicaments. Différents
éléments méritent d’être soulignés :
- l’extension du domaine de la bre-
vetabilité
- l’exclusivité des données
d’enregistrement pour une durée de
5 ans
L’obtention d’une autorisation de
mise sur le marché (AMM) impose
aux compagnies pharmaceutiques
de soumettre des données prouvant
l’innocuité et l’efficacité de leurs
produits : ce sont les données
d’enregistrement. En instaurant
l’exclusivité des données
d’enregistrement, l’accord de libre-
échange impose aux producteurs de
génériques de refaire des essais
pour produire ces données, ce qui
est tout à la fois coûteux, inutile et
non éthique.
36
- l’extension de la durée des brevets
La durée des brevets peut être pro-
longée en cas de nouvelles indica-
tions thérapeutiques ou en cas de
retard d’obtention de l’AMM.
- la limitation des conditions de dé-
livrance des licences obligatoires
L’accord de libre-échange limite
l’octroi de licence obligatoire aux
cas d’extrême urgence sanitaire.
- l’interdiction des importations pa-
rallèles
Que pouvons-nous faire ? La loi
17/97 est entrée en vigueur, les
brevets sur les médicaments exis-
tent désormais au Maroc. L’accord
de libre-échange avec les Etats-
Unis a été signé et approuvé par le
Congrès américain et le Parlement
marocain. Il faut toutefois séparer
les deux problèmes. La loi 17/97
est une loi nationale, ce sont les lé-
gislateurs marocains qui l’ont rédi-
gée. S’il y a une volonté politique
forte, cette loi peut être amendée,
et il est urgent de le faire. En effet,
le contexte international est au-
jourd’hui favorable. Cette loi a été
rédigée entre 1997 et 2000 à un
moment où le contexte internatio-
nal était défavorable. C’était
l’époque du procès contre l’Afrique
du Sud, des menaces contre l’Inde
et le Brésil. Aujourd’hui, tout le
monde, aussi bien l’OMC que les
agences des Nations Unies,
s’accorde à dire que les pays en dé-
veloppement doivent utiliser toutes
les souplesses et flexibilités prévues
par l’Accord sur les ADPIC. Il faut
donc les inscrire dans la loi maro-
caine. Concernant l’accord de libre-
échange avec les Etats-Unis, il faut
être très vigilant lors de sa mise en
application et s’appuyer au maxi-
mum sur la lettre d’entendement
qui a été échangée entre les deux
pays suite aux pressions de la socié-
té civile. Selon les experts, cette
lettre n’a certes pas une grande va-
leur juridique car elle ne fait pas
partie de l’accord, mais il est tout
de même possible de l’utiliser pour
limiter au maximum les consé-
quences négatives de l’accord.
Nous devons également étudier le
contenu de la « mail box » pour
connaître les brevets délivrés, et es-
sayer d’utiliser les flexibilités que
constituent les licences d’office et
ce le plus vite possible. Il serait in-
téressant d’organiser sur le modèle
de ce qui se fait en Afrique du Sud
une campagne nationale pour
l’accès aux médicaments en mobili-
sant la presse et en impliquant le
37
maximum d’interlocuteurs. Il ne
faut pas en effet se focaliser uni-
quement sur le sida. Les droits de
propriété intellectuelle restreignent
l’accès aux traitements pour de
nombreuses autres pathologies
telles que les hépatites, le cancer,
etc. Je connais des cancérologues
qui en sont réduits à faire seule-
ment du diagnostic. En se basant
sur l’examen de la « mail box »,
nous devons pouvoir dire que tel
médicament est breveté et coûte
tant, et demander au Ministère de la
Santé une licence obligatoire pour
obtenir un traitement moins cher.
Dans l’immédiat, il faut organiser
un atelier national sur la propriété
intellectuelle et l’accès aux médica-
ments où la société civile, les fabri-
cants de médicaments génériques,
les experts du Ministère de la Santé
ainsi que les experts internationaux
seraient présents. Beaucoup de pays
sont en train d’organiser de tels ate-
liers avec le soutien de l’OMS et du
PNUD. Malheureusement, pour
bénéficier de leur soutien, le gou-
vernement marocain doit en faire la
demande. Nous avons rencontré
Monsieur le Ministre de la santé le
mois dernier et nous lui avons de-
mandé la tenue d’un tel atelier.
Nous n’avons pas encore reçu de
réponse définitive. La mobilisation
à l’échelle régionale et internatio-
nale doit également se poursuivre.
L’administration américaine veut
instaurer une zone de libre-échange
pour toute la région Moyen-Orient
Afrique du Nord d’ici 2013. Lors
des négociations et de la signature
des accords de libre-échange,
chaque pays se bat tout seul. Il faut
donc passer à un mouvement glo-
bal mondial pour lutter contre les
accords de libre-échange avec les
Etats-Unis comme avec d’autres
pays.
Dr Arnaud Marty-Lavauzelle :
Merci beaucoup, Othoman Mel-
louk, pour cet exposé brillant et
complet, qui témoigne d’un enga-
gement militant sans faille.
38
39
DEBAT
Un participant : Je suis membre
de l’association algérienne de pro-
tection contre le sida. Notre asso-
ciation a été créée en 1998. Quand
on voit le travail réalisé par l’ALCS,
on se dit qu’on aimerait bien être la
17e section de l’association, en fai-
sant abstraction des frontières !
Pr Hakima Himmich : Vous ve-
nez d’utiliser une expression qui,
j’en suis sûre, a plu à Arnaud Mar-
ty-Lavauzelle. Quand l’ALCS a été
créée, on disait qu’elle était la sec-
tion d’outre-mer de Aides ! Nous
sommes bien sûr à votre disposi-
tion pour toute collaboration.
Un participant : Pourquoi certains
pays exigent-ils le test de dépistage
à l’entrée sur leur territoire ? Quel
est le rôle de l’ALCS et des autres
associations face à ce phénomène ?
Pr Hakima Himmich : C’est
comme si vous me demandiez
pourquoi les droits de l’homme ne
sont pas respectés à travers le
monde. Comme l’a développé
Alain Molla hier, et comme je l’ai
dit moins brillamment ce matin,
beaucoup de pays pensent qu’il y a
une contradiction entre le respect
des droits des personnes vivant
avec le VIH et la santé publique. Ils
appliquent des règles qui étaient va-
lables pour la peste ou le choléra.
Or ce sont des épidémies de nature
totalement différente et qui durent
à peine quelques jours ; soit on
meurt, soit on guérit. Certains pays
continuent à appliquer ce vieux
schéma à l’infection à VIH. Il faut
dire que ces pays ne sont pas les
champions du respect des droits de
l’homme en général.
Un participant : Ce qui caractérise
notre société, c’est l’exclusion,
l’analphabétisme et la pauvreté.
Dans son discours destiné à
l’étranger, le gouvernement maro-
cain insiste sur le respect des droits
de l’homme. C’est un discours de
façade car la réalité est totalement
différente ; le gouvernement bafoue
les droits de l’homme en menant
une politique sécuritaire, en favori-
sant les classes aisées de la société
et en laissant de plus en plus de
gens tomber dans la pauvreté. Je
propose que nous luttions pour la
40
défense des droits humains en par-
tenariat avec d’autres associations
et que nous menions des actions de
plaidoyer pour obliger le gouver-
nement à assurer ses obligations sur
le plan social. Les associations
n’ont en effet pas les moyens de se
substituer à l’Etat. Nous devons
également former des réseaux na-
tionaux et internationaux pour
combattre la mondialisation sau-
vage, responsable de
l’augmentation de la pauvreté.
Un participant : J’ai une question
pour le Dr Mellouk. J’ai eu
l’occasion d’assister à une journée
de réflexion organisée par
l’association Attac sur l’accord éco-
nomique de libre-échange entre les
Etats-Unis et le Maroc. Qu’a fait
l’ALCS après le vote récent de la loi
en Inde ? Un travail en réseau avec
d’autres associations a-t-il été me-
né ?
Dr Othoman Mellouk : Le Parle-
ment indien a récemment voté une
loi sur la propriété intellectuelle.
L’ALCS a suivi tout le débat suscité
par la préparation et le vote de cette
loi. Nous avons écrit à Monsieur
l’Ambassadeur de l’Inde au Maroc à
plusieurs reprises. Nous avons éga-
lement écrit au premier Ministre
indien, au chef du Parlement, ainsi
qu’aux laboratoires pharmaceu-
tiques. Pour la première fois, mais
c’est passé complètement inaperçu
malheureusement, un Marocain vi-
vant avec le VIH a adressé person-
nellement une lettre à Monsieur
l’Ambassadeur de l’Inde. Malgré
nos efforts, la loi a été votée en
Inde et elle va restreindre l’accès
aux médicaments. Concernant
l’Inde, l’ALCS n’a pas travaillé au
niveau national, mais davantage
dans le cadre de coalitions interna-
tionales. Je devais moi-même partir
en Inde pour rejoindre des acti-
vistes du monde entier juste avant
le vote au Parlement, mais je n’ai
finalement pas pu m’y rendre. Ce
qui s’est passé en Inde dépasse un
peu tout le monde. Ce que
l’industrie pharmaceutique a réussi
avec l’Inde équivaut en terme
d’impact à la signature de 50, 60,
voire 100 accords de libre-échange.
On sait que l’Inde est le premier
producteur de génériques au
monde, et donc la principale source
d’approvisionnement pour les pays
en développement. Le vote de la loi
41
indienne est véritablement un gros
coup de l’industrie pharmaceutique.
Un participant : Il faut que
l’ALCS puisse aller dans les mai-
sons closes pour faire de la préven-
tion et également voir ce qui s’y
passe. A Marrakech, il existe des
maisons closes où des mineurs sont
exploités sexuellement.
Dr Othoman Mellouk : Je ne
pense pas que cela soit le rôle de
l’ALCS. En tant qu’acteur de la so-
ciété civile, nous pouvons suivre ce
qui se passe et dénoncer les situa-
tions lorsque c’est nécessaire et je
vous assure que nous ne nous en
privons pas. La question de
l’exploitation sexuelle des mineurs
est très délicate, et je doute qu’on
soit les mieux placés pour traiter le
problème. Devons-nous aller voir
des mineurs pour leur dire d’utiliser
des préservatifs ? Devons-nous al-
ler voir les pédophiles eux-mêmes ?
Il y a des associations qui sont spé-
cialisées dans le travail auprès des
enfants. Nous collaborons avec
elles. Nous avons ainsi déjà travaillé
avec Bayti, l’AMESIP ou encore
avec Atfalouna. Ce que nous avons
obtenu la semaine passée est ex-
traordinaire. Le préservatif n’est dé-
sormais plus considéré comme une
preuve de flagrant délit et nos in-
tervenants sont désormais identifiés
par des cartes et ainsi à l’abri de
toute arrestation. Ainsi, nous con-
damnons et dénonçons
l’exploitation sexuelle des mineurs
mais nous pensons que d’autres as-
sociations sont mieux armées que
nous pour travailler avec les en-
fants.
Pr Hakima Himmich : Je vou-
drais apporter une précision au ni-
veau de la terminologie. Nous
n’avons pas à attendre que les per-
sonnes qui vivent de leur corps
soient reconnues officiellement
pour les appeler travailleur(se)s du
sexe. C’est une question de respect.
La terminologie est très importante.
La preuve en est que tous les inté-
gristes s’offusquent que l’on parle
de travailleur(se)s du sexe.
Afamia Kaddour : Je voudrais
faire plusieurs remarques. Premiè-
rement, il faut mettre en place dans
les écoles une éducation sexuelle
respectueuse des droits humains.
Pour assurer cet enseignement, le
corps enseignant doit recevoir une
42
formation spécifique. Deuxième-
ment, je voudrais souligner que
chez nous, au Liban, tous les
hommes de religion, qu’ils soient
musulmans ou chrétiens, ont un
comportement similaire : ils refu-
sent d’intégrer la problématique des
droits humains dans leurs discours.
Troisièmement, je pense qu’il fau-
drait réglementer le travail du sexe,
ce métier le plus vieux du monde.
Avant la guerre, cette activité était
règlementée au Liban ; aujourd’hui
la situation a beaucoup évolué avec
l’arrivée de nouvelles travailleuses,
pour la plupart clandestines. Des
lois seraient nécessaires pour les
protéger contre les réseaux mafieux
de prostitution.
Un participant : Le travail du sexe
doit être considéré comme du tra-
vail informel et il faut que nous
nous battions aux côtés d’autres as-
sociations pour le respect du droit à
la santé reproductive. Derrière ce
terme de « santé reproductive », il
est en fait question de sexualité et
de liberté de choix.
Pr Hakima Himmich : Votre re-
marque est tout à fait pertinente.
L’ALCS ne peut atteindre seule ses
objectifs. C’est pourquoi nous
avons invité aux Assises les associa-
tions de défense des droits humains
et de défense des droits des
femmes. Il est en effet primordial
de travailler en réseau avec toutes
les associations concernées.
Un participant : Ma question est
la suivante : quelle est la priorité de
l’ALCS au niveau stratégique ? Est-
ce la prévention ? Est-ce la défense
des droits de l’homme ? Est-ce la
défense des droits des personnes
vivant avec le VIH ?
Pr Hakima Himmich : Vous
pouvez demander à ceux qui sont à
l’ALCS depuis longtemps. Réguliè-
rement, nous nous disons qu’il ne
faut plus lancer de nouvelles ac-
tions, qu’il faut arrêter d’innover.
En réalité, nous menons toujours
plusieurs actions en même temps et
c’est ce qui nous a permis d’avancer
jusqu’à présent. Nous ne sommes
pas en France où il existe une asso-
ciation spécialisée dans l’écoute,
une autre dans l’action auprès des
travailleur(se)s du sexe, une autre
encore dans la collecte de fonds,
etc. Nous sommes la seule associa-
tion au Maroc dans le domaine du
sida à s’intéresser à l’accès aux trai-
43
tements et à la défense des droits
des personnes vivant avec le VIH.
Nous continuerons donc à nous
battre sur tous les fronts.
Gaëlle Krikorian, consultante
pour l’ALCS : Je voudrais juste
faire un petit commentaire à pro-
pos de la question qui a été posée
sur l’Inde. J’imagine que lorsqu’on
commence à parler de propriété in-
tellectuelle, beaucoup d’entre vous
se disent qu’il s’agit de quelque
chose de très compliqué qui se joue
au niveau international. Je pense
qu’il est important de comprendre
que lorsqu’on parle de propriété in-
tellectuelle, on parle en fait de
droits, notamment du droit à la
santé et du droit aux médicaments.
Ces droits sont définis par des lois
nationales dépendantes d’accords
internationaux ou comme l’a dit
Othoman d’accords bilatéraux
comme l’accord entre les Etats-
Unis et le Maroc. Ces accords sont
porteurs de nombreuses obliga-
tions, en général plutôt défavo-
rables aux pays pauvres et favo-
rables aux pays riches et à leur
industrie. Mais ces accords confè-
rent également des droits ; ce sont
les flexibilités dont parlait Otho-
man. Que signifient ces droits ?
Dans le cas du Maroc, ce sont les
droits des Marocains à avoir accès à
des médicaments abordables. Mais
il faut que les citoyens rappellent à
leur gouvernement qu’il doit utiliser
les flexibilités prévues par l’OMC.
Sinon l’accès aux médicaments
risque de devenir de plus en plus
difficile ; les médicaments ne seront
pas accessibles aux plus pauvres.
Alors même si les débats sur la
propriété intellectuelle peuvent pa-
raître parfois lointains, il faut se
rappeler que les enjeux sont extrê-
mement concrets, que les malades
sont directement concernés.
Pour revenir à la question posée sur
l’Inde, je tiens à souligner que
l’Inde a adopté une législation qui
va au-delà des normes fixées par
l’OMC. L’Inde, comme le Maroc,
dispose de flexibilités qui lui per-
mettent de contourner les brevets
pour continuer à fabriquer des gé-
nériques et les donner à sa popula-
tion. Il faut donc utiliser ces droits
que constituent les flexibilités et
donner l’exemple à l’Inde, faire
pression en tant que malade pour
avoir accès à des médicaments gé-
nériques, continuer à travailler avec
les malades indiens pour qu’ils fas-
44
sent pareil dans leur pays, inciter le
gouvernement marocain à collabo-
rer avec le gouvernement indien et
à définir des stratégies communes.
Dr Othoman Mellouk : Merci,
Gaëlle ! Gaëlle travaille avec nous
depuis plusieurs années sur le dos-
sier des médicaments génériques.
C’est notamment grâce à elle que
nous avons pu mener l’analyse du
texte complexe de l’accord écono-
mique de libre-échange avec les
Etats-Unis. Nous avons adressé
cette analyse aux députés du Parle-
ment.
Un participant : J’ai une série de
questions pour notre invitée liba-
naise. Quelles sont vos proposi-
tions pour lutter contre les viola-
tions des droits individuels ? Quelle
est la situation épidémiologique au
Liban ? Existe-t-il des associations
spécialisées dans la lutte contre le
sida ? Quel est le lien entre la reli-
gion et le respect des droits de
l’homme ? Existe-t-il des lois qui
règlementent les tests de dépis-
tage ?
Afamia Kaddour : Il n’existe pas
au Liban de système de déclaration
obligatoire des maladies infec-
tieuses. Le nombre de cas de sida
est estimé à 700. Les prestations de
santé sont gratuites, mais les per-
sonnes vivant avec le VIH souf-
frent de stigmatisation. Une seule
association travaille spécifiquement
dans le domaine du sida, mais les
autres associations qui luttent pour
la défense des droits individuels
sont également amenées à travailler
sur le problème du sida. Les
hommes de religion condamnent
tous l’homosexualité, la consomma-
tion de drogue et le travail du sexe.
Le poids des religions est très fort.
Par exemple, lorsque deux per-
sonnes de religion différente sou-
haitent se marier, elles sont obligées
d’aller à l’étranger. La laïcité est re-
fusée au Liban. Les militants du
monde arabe doivent donc
s’entraider et collaborer dans la
lutte pour la laïcité.
Un participant : Cette probléma-
tique « Sida, santé et droits de
l’homme » est nouvelle pour les mi-
litants des associations de défense
des droits de l’homme. Il faut col-
laborer avec ces associations afin
qu’elles adoptent des plans d’action
qui viendront compléter la lutte de
45
l’ALCS. Le fondement de cette
lutte, ce sont les droits humains
dans leur universalité et leur globa-
lité.
46
POLITIQUE DE
PREVENTION ET
DISCRIMINATION
Table ronde n°2
L’L’ESTIME DE SOI DANS LESTIME DE SOI DANS L ’’APPROCHE DE PROXIMITAPPROCHE DE PROXIMITE AUPRESE AUPRES
DES POPULATIONS VULNDES POPULATIONS VULNERABLESERABLES,, Amine Boushaba
DDROITS DES FEMMES ENROITS DES FEMMES EN MAMATIERE DE SEXUALITE ETIERE DE SEXUALITE ET DE SANTET DE SANTE
REPRODUCTIVEREPRODUCTIVE,, Dr Hicham El Asli
AATTEINTES A LA VIE PRTTEINTES A LA VIE PRIVEE DES PERSONNES VIVEE DES PERSONNES VIVANT AVEC LEIVANT AVEC LE
VIH/VIH/SIDASIDA :: QUELLES REPONSES JURQUELLES REPONSES JURIDIQUES ET SOCIALESIDIQUES ET SOCIALES ??
Marc Morel
PPLACE DE LA PREVENTIOLACE DE LA PREVENTION AUPRES DES POPULATN AUPRES DES POPULATIONSIONS
VULNERABLES DANS LEVULNERABLES DANS LE PLPLAN STRATEGIQUE NATIOAN STRATEGIQUE NATIONALNAL ,, Dr
Hamida Khattabi
Modérateur : Eric Fleutelot
47
La place de la prévention auprès
des populations vulnérables
dans le plan stratégique national
de lutte contre le sida
Dr Hamida Khattabi
Je remercie vivement le Pr Hakima
Himmich de me donner une nou-
velle fois la parole. Depuis plu-
sieurs années, le Programme natio-
nal de lutte contre le sida et la
Direction de l’épidémiologie ont
toujours répondu présent lors de
ces importantes manifestations que
sont les Assises nationales de
l’ALCS. Les Assises constituent
pour le Ministère de la Santé
l’occasion de mettre en exergue un
certain nombre de ses réalisations
dans le cadre de la lutte contre le
sida, mais également de réaffirmer
son attachement au partenariat pri-
vilégié avec l’ALCS, un partenariat
fructueux et exemplaire.
Le Pr Himmich et le comité
d’organisation des Assises m’ont
proposé comme sujet « La place de
la prévention auprès des popula-
tions vulnérables dans le plan stra-
tégique national de lutte contre le
sida » ; j’ai toutefois préféré vous
présenter les principales réalisations
du Ministère de la Santé aussi bien
en matière de prévention auprès
des groupes vulnérables que d’accès
aux traitements pour les personnes
vivant avec le VIH. Je voudrais
d’ailleurs souligner combien la col-
laboration avec l’ALCS a été indis-
pensable pour atteindre nos objec-
tifs. Je voudrais également
remercier Madame Jroundi qui a
d’abord travaillé à l’ALCS avant de
devenir responsable du PNLS. J’ai
énormément appris auprès d’elle.
Permettez-moi également de rendre
hommage au Dr Jawad Mahsour,
ancien directeur du Département
de l’épidémiologie, qui a initié la
collaboration avec l’ALCS.
Je présenterai tout d’abord la situa-
tion épidémiologique au Maroc,
puis les objectifs de la stratégie na-
tionale, et enfin les principales réa-
lisations.
Concernant la situation épidémio-
logique au Maroc, nous avons pu
mettre en place un certain nombre
de systèmes de surveillance épidé-
miologique. Ces systèmes nous
permettent de mesurer l’évolution
de l’épidémie, ou du moins de faire
des estimations. Le premier sys-
tème repose sur les déclarations de
48
cas de sida faites par les médecins
traitants. Jusqu’à l’an passé, près de
85% des déclarations provenaient
du pôle d’excellence de Casablanca,
c’est-à-dire du service des maladies
infectieuses du Pr Himmich au
CHU Ibn Rochd. Avec l’équipe du
Pr Himmich, nous avons travaillé
sur une décentralisation du système
de prise en charge ; aujourd’hui, des
centres référents commencent ainsi
à émerger dans le pays. La surveil-
lance sentinelle constitue le second
système de surveillance. Elle a été
mise en place en 1993. Chaque an-
née, nous suivons un certain
nombre de groupes de la popula-
tion, parmi lesquels les porteurs
IST, les femmes enceintes, et les
tuberculeux. Le troisième système
de surveillance est la surveillance
transfusionnelle. Depuis 1988, tout
don de sang est contrôlé afin
d’éviter les risques de contamina-
tion par le VIH. Depuis 1993, c’est
également le cas pour les hépatites
B et C. La surveillance transfusion-
nelle permet de mesurer la préva-
lence de l’infection à VIH auprès
des donneurs de sang. Enfin, la
surveillance de deuxième généra-
tion constitue le quatrième et der-
nier système de surveillance. Il
s’agit de surveiller la prévalence
dans les groupes vulnérables, de
mesurer leurs connaissances en ma-
tière de VIH et d’analyser leurs
comportements.
Le Maroc comptait au 31 décembre
2004 1587 cas de sida déclarés. Le
premier cas de sida a été diagnosti-
qué en 1986. On observe depuis
cette date une progression régulière
de l’épidémie avec plusieurs pics,
notamment en 1998, 2002 et 2004.
Comment expliquer ces pics ? Ils
sont tous liés à des phases intenses
de communication autour de la ma-
ladie. En 1998 a été commémorée
la Journée mondiale du sida ;
l’introduction de la trithérapie au
Maroc a alors donné lieu à de
nombreuses actions de communi-
cation. En 2002, on a de même
beaucoup parlé de l’initiative Ac-
cess de l’ONUSIDA en faveur de la
baisse du prix des traitements anti-
rétroviraux. Enfin, 2004 est l’année
de la campagne nationale de com-
munication sociale.
Grâce aux systèmes de surveillance
mis en place, nous disposons d’un
certain nombre d’informations
concernant la prévalence dans dif-
férents groupes de la population.
C’est le cas notamment pour les
49
professionnel(le)s du sexe ; en
2003, la prévalence dans ce groupe
était estimée à 2,27%. Il faut souli-
gner que le Maroc a été parmi les
premiers pays en 2003 à instaurer
cette surveillance de deuxième gé-
nération auprès des profession-
nel(le)s du sexe suite aux recom-
mandations de l’OMS en 2002.
Ceci a été possible grâce à la colla-
boration de l’ALCS qui organise
des consultations IST pour les pro-
fessionnel(le)s du sexe dans ses dif-
férentes sections. La surveillance de
deuxième génération a également
été mise en place auprès des déte-
nus grâce au soutien de
l’administration pénitentiaire. Dans
le cadre de la surveillance sentinelle,
on observe une tendance à
l’augmentation de la prévalence
chez les femmes enceintes.
J’en viens maintenant à la stratégie
nationale de lutte contre le sida. Je
voudrais rappeler combien
l’environnement politique et juri-
dique national est favorable à la
lutte contre l’épidémie. Première-
ment, on note un engagement poli-
tique au plus haut niveau. Sa Majes-
té Mohammed VI a présenté le
plan stratégique national lors de la
session extraordinaire des Nations
Unies à New York en juin 2001. Il
a inauguré en 2002 l’hôpital de jour
pour le suivi des personnes vivant
avec le VIH à l’hôpital Ibn Rochd
de Casablanca. Récemment, au
mois d’avril 2005, il a visité le ser-
vice des maladies infectieuses dirigé
par le Pr Himmich. Deuxièmement,
le Maroc a publié un nouveau code
de la famille garant des droits de la
femme. C’est une fierté pour le
pays car on ne peut pas parler de
prévention auprès des femmes sans
disposer d’un cadre légal adéquat.
Enfin, le dernier facteur détermi-
nant est l’application du quota pour
la représentation des femmes au
Parlement.
Il faut également noter que la réac-
tion du Ministère de la Santé face
au sida a été précoce. Le premier
programme national de lutte contre
le sida a été mis en place dès 1988.
De même s’est instaurée très tôt
une collaboration entre l’ALCS et
le Ministère de la Santé. Celui-ci a
en effet toujours su qu’il ne pouvait
pas tout seul combattre efficace-
ment le sida.
Le programme national de lutte
contre les IST/sida comprend trois
actions principales :
50
- la prise en charge des IST à tra-
vers l’approche syndromique
Les IST ont longtemps constitué
un problème majeur de santé pu-
blique. Jusqu’à récemment, on
comptait environ 350000 nouveaux
cas d’IST chaque année. C’est
pourquoi la lutte contre les IST et
l’amélioration de leur prise en
charge ont été inscrites comme
priorité dans le programme natio-
nal.
- les activités IEC ciblées en privi-
légiant une approche multisecto-
rielle
- le dépistage et la prise en charge
des personnes infectées par le VIH
L’objectif global du plan stratégique
national de lutte contre le sida
2002-2004 est double : couvrir par
des activités de prévention de quali-
té 200000 personnes appartenant
aux groupes vulnérables ; prendre
en charge 800 personnes vivant
avec le VIH. Les groupes vulné-
rables sont ainsi au cœur de l’action
du Ministère de la Santé. Ils ont été
identifiés au niveau local par les as-
sociations. En lien avec les groupes
vulnérables, des zones prioritaires
ont été choisies.
Passons maintenant aux principales
réalisations. Des guides nationaux
de référence ont été élaborés : prise
en charge syndromique des IST ;
diagnostic et prise en charge de
l’infection par le VIH/sida ; éduca-
tion formelle ; éducation par les
pairs pour les groupes vulnérables ;
dépistage volontaire anonyme et
gratuit ; gestion des déchets pointus
et tranchants. Ces guides visent à
définir des normes claires de quali-
té. Tous ces guides, à une exception
près, ont été élaborés en étroite col-
laboration avec l’ALCS et l’équipe
du Pr Himmich au CHU Ibn
Rochd. Le guide de la prise en
charge syndromique des IST a no-
tamment été implanté au niveau de
toutes les formations sanitaires.
Mais une telle action restait insuffi-
sante car beaucoup de groupes vul-
nérables ne viennent pas dans les
centres de santé. Aussi est-ce grâce
aux centres de dépistage anonyme
et gratuit de l’ALCS que nous
avons pu atteindre ces groupes.
En matière de prévention, un grand
événement a eu lieu au Maroc en
juin 2004, à savoir le lancement de
la campagne nationale de commu-
nication sociale. Pour la première
fois, nous avons communiqué non
seulement autour de l’existence du
sida et des moyens de prévention,
51
mais nous avons également affiché
partout le préservatif.
Le plan stratégique national compte
4 phases :
- sensibilisation et prise de
conscience
- information sur les modes de
transmission et de prévention
- lutte contre la stigmatisation et
la discrimination
- promotion du dépistage ano-
nyme et gratuit.
Nous venons d’achever la phase 3
et nous sommes aujourd’hui en
plein lancement de la phase 4.
L’apport de l’ALCS a une nouvelle
fois été déterminant : l’association a
été pendant longtemps la seule as-
sociation au Maroc à proposer des
tests de dépistage anonymes et gra-
tuits. Le guide national de référence
a été élaboré par l’ALCS afin de
mettre à niveau toutes les autres as-
sociations. Depuis deux ans, deux
autres associations, à savoir
l’OPALS et la Ligue, proposent ce
type d’activité. L’ALCS reste ce-
pendant leader avec 2847 tests réa-
lisés au cours de l’année 2004.
La prévention de proximité compte
également parmi les principales réa-
lisations. Le Ministère de la Santé a
bénéficié de la longue expérience
de l’ALCS en matière d’éducation
par les pairs auprès des groupes
vulnérables et a implanté cette acti-
vité en partenariat avec les autres
associations et les départements
gouvernementaux à caractère so-
cial.
Je voudrais maintenant parler de
l’accès aux traitements. C’est lors
de la conférence internationale de
Vancouver en 1996 qu’ont été pré-
sentés pour la première fois les ré-
sultats de la trithérapie. Suite à cette
conférence, le Pr Himmich a insisté
auprès du Ministère de la Santé
pour que la trithérapie soit intro-
duite au Maroc. Pendant plusieurs
mois, nous avons ainsi travaillé
avec le Pr Himmich sur la réalisa-
tion d’un consensus national. Les
recommandations du consensus de
Marrakech élaboré en novembre
1997 ont été traduites en circulaire
en 1998, date de l’introduction de la
trithérapie au Maroc. Le Maroc a
pu bénéficier de l’Initiative
ACCESS mise en place par
l’ONUSIDA pour accélérer l’accès
aux antirétroviraux. L’ALCS a éga-
lement demandé l’abolition des
droits de douane et de TVA sur les
antirétroviraux. Le Ministère de la
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Sida, Santé, Droits de l'Homme - Actes des Assises Nationales 2005

  • 2. 2 DISCOURS D’OUVERTURE Pourquoi avoir choisi comme thème des 6èmes Assises de l’ALCS «Sida, santé et droits de l’homme» ? C’est parce que la rencontre entre la santé et les droits de l’homme a connu tout récemment un déve- loppement sans précèdent, qui a bouleversé le monde de la santé et ce grâce aux associations de lutte contre le sida et surtout, comme le souligne Dr Arnaud Marty- Lavauzelle, grâce aux personnes vi- vant avec le VIH qui jouent le rôle de réformateur social. C’est parce que, comme nous le verrons avec la présentation de Maître Alain Molla et celles des orateurs qui intervien- dront dans les différentes tables rondes tout au long du week-end, les droits de l’homme sont au cœur de la problématique de la préven- tion de l’infection à VIH et de l’accès aux traitements des PVAV dans les pays du Sud. La pandémie du sida illustre les liens inextricables entre santé et droits de l’homme. Partout dans le monde, les groupes sociaux les plus vulnérables à l’infection à VIH sont ceux qui font l’objet de discrimina- tion et de marginalisation et les po- litiques de prévention basées sur la répression et la discrimination ont toujours été un échec. Dans ces pays, dans le domaine du sida, les atteintes aux droits de l’homme sont particulièrement courantes et graves : atteinte au droit à la confidentialité ; atteinte à la libre circulation ; atteinte au droit de se marier et de procréer ; at- teinte au droit à la santé ; atteinte au droit du travail. L’histoire de la lutte contre le sida nous a appris que les stratégies de modification des comportements qui réussissent le mieux à freiner la propagation du VIH sont celles qui responsabilisent les individus, qui protègent les groupes les plus vul- nérables en respectant les droits des individus. Convaincue qu’il ne peut y avoir de prévention sans respect des droits de l’homme, l’ALCS lutte contre toutes les formes de discrimination des PVAV et mène des actions de prévention auprès des groupes marginalisés les plus vulnérables à cette infection. L’ambition de l’ALCS est de convaincre les déci- deurs qu’il est possible de concilier le respect des libertés individuelles
  • 3. 3 et les impératifs de santé publique, la protection des droits de la per- sonne et la prise en compte de l’intérêt général. C’est au nom du droit à la santé que l’ALCS s’est mobilisée pour dé- fendre le libre accès aux médica- ments génériques, seul moyen d’assurer l’accès au traitement dans notre pays. Ce combat, elle l’a me- né avec de nombreux acteurs de la société civile. Qu’il s’agisse du droit à la santé ou des actions de préven- tion, il est en effet illusoire de croire que l’ALCS peut atteindre seule ses objectifs. Notre lutte est indissociable de la lutte pour les droits de l’homme en général et de la lutte pour les droits de la femme dans notre pays. C’est pourquoi la présence parmi nous d’associations de défense des droits de l’homme et des droits de la femme est tellement importante. Pour protéger la dignité de ceux qui ont besoin d’information sur le VIH et pour prévenir la propaga- tion de l’infection, les droits suivant sont pertinents : • le droit à la non-discrimination : pour que les personnes soient protégées contre les mauvais traitements si elles sont séropo- sitives ou soupçonnées de l’être, ou si elles sont associées à un groupe marginalisé ; • le droit à la vie privée : pour que les personnes soient proté- gées contre les tests obligatoires et pour que leur statut sérolo- gique demeure confidentiel ; • le droit à l’éducation et à l’information : pour que les per- sonnes aient accès à l’éducation et à l’information sur la préven- tion du VIH ; • le droit à la santé : pour que les personnes aient accès à des ser- vices de soins de santé, y com- pris les services pour les MST, et aux moyens de prévention. Les stratégies d’action des gouver- nements devraient : • tenir compte des principes rela- tifs aux droits de l’homme dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes en matière de VIH/sida, avec la participation active des PVAV ; • établir des cadres juridiques et administratifs appropriés, abro- geant les pratiques coercitives ou inutilement restrictives ; • introduire ou renforcer des me- sures visant à interdire la dis-
  • 4. 4 crimination et les abus liés au VIH/sida et à garantir la protec- tion juridique de la vie privée ; • proposer des programmes d’enseignement et de formation aux fonctionnaires de l’administration, aux décideurs, aux employeurs, aux médias et au grand public, afin de souli- gner les dangers des préjugés et de la discrimination et promou- voir le respect des droits de l’homme ; • œuvrer pour l’émancipation ju- ridique et politique et le renfor- cement du pouvoir des groupes défavorisés tels que les femmes, les travailleur(se)s du sexe, les détenus, etc., y compris à tra- vers l’abrogation de lois interdi- sant la formation de groupes d’auto-assistance ; • légaliser les relations homo- sexuelles entre adultes consen- tants dans les pays où elles sont actuellement illégales ; • dépénaliser la prostitution et légaliser les maisons closes ; • mettre en place des campagnes de publicité sur le préservatif accompagnées de distribution gratuite ; • associer les représentants des groupes communautaires aux programmes officiels afin de fa- ciliter la modification des com- portements ; • consacrer davantage de moyens humains et financiers à la pro- motion des droits de l’homme en relation avec le VIH/sida, et renforcer l’engagement et l’action de la communauté in- ternationale. Le respect des droits de l’homme exige aussi que nous évitions tout langage inapproprié. Aussi con- vient-il d’éviter les expressions « groupes à risque », « victimes du si- da », « sidéen » ; de même il ne faut pas identifier certains groupes par- ticuliers comme étant vecteurs de maladies. Le langage peut alimenter les préjugés et la discrimination et inciter à la violence ; il faut ainsi être particulièrement vigilant. Pr Hakima Himmich Présidente de l’ALCS ALLOCUTION
  • 5. 5 Monsieur Pierre Bergé Chers amis, Tout d’abord, qu’il me soit permis ici de remercier avec chaleur l’ensemble de l’équipe de l’ALCS et tout particulièrement sa présidente, le Pr Hakima Himmich. C’est bien entendu avec un grand plaisir que je vous retrouve, vous savez mon at- tachement à votre association mais aussi à ce pays… Vous avez choisi un thème particu- lièrement intéressant pour vos As- sises : « Sida, santé et droit de l’homme ». Nous savons bien, nous acteurs de la lutte contre le sida, le lien fondamental entre les droits humains et l’accès à la santé ; entre les droits humains et la lutte contre le sida. Depuis le début de l’épidémie, nous l’avons appris, peut-être justement parce que fort peu d’autres maladies auront pro- voqué, hier et aujourd’hui, autant de mépris des droits les plus élé- mentaires pour chaque enfant, chaque femme, chaque homme sur cette terre. Et puis également parce que nous vivons la première pan- démie de l’ère moderne des droits de l’homme. Enfin, parce que l’épidémie de sida soulève de nom- breuses questions liées aux droits de l’homme. En regardant le combat que nous avons mené et que nous menons encore, je voudrais attirer votre at- tention sur deux ou trois points particuliers à propos de cette dé- pendance entre le sida et les droits de l’homme : 1. L’efficacité des actions de san- té, tant en matière de préven- tion que de soins, repose sur l’idée qu’elles doivent respec- ter la dignité et les droits hu- mains ; 2. Ensuite, il est traditionnelle- ment admis qu’il existe une in- terdépendance entre, d’une part combattre l’épidémie de sida dans le monde, et d’autre part défendre et garantir les droits humains, de tous, qu’ils soient ou non porteurs du vi- rus. Les efforts déployés pour prévenir la transmission du VIH et pour apporter les soins appropriés aux malades du sida sont non seulement compatibles avec les efforts destinés à promouvoir les
  • 6. 6 droits humains, mais ils sont également complémentaires ; A travers notre travail en France et dans 23 pays en développement, nous avons, à SIDACTION, de nombreuses occasions d’affronter cette problématique. Je voudrais, si vous le voulez bien, prendre rapi- dement trois exemples : 1. Certaines mesures de santé publique compromettent ou encore violent certains droits humains. Ainsi l’égalité d’accès à la prévention, à l’information n’a-t-elle pas été la même pour les homo- sexuels que pour les hétéro- sexuels, mais l’on pourrait éga- lement citer les usagers de drogues ou encore les mi- grants. En somme, une dis- crimination s’est créée, venant s’ajouter à des discriminations antérieures que connaissaient bien les communautés ou les populations que j’ai citées ; 2. Les violations des droits de l’homme entraînent une baisse d’efficacité, voire annulent l’efficacité des actions de lutte contre le sida. Ainsi dénier l’accès aux soins à des malades en situation irrégulière entraî- nera des conséquences non seulement pour les personnes concernées (et c’est déjà in- supportable) mais aussi pour toute la politique de santé pu- blique visant à contrôler la maladie ; 3. Enfin, en promouvant au sens large les droits humains, par exemple en renforçant l’acceptation d’une minorité au sein de la société, l’on favo- rise également son aptitude à s’informer, à prendre soin de ses membres, bref à lutter et donc à réduire sa « vulnérabili- té » à l’égard de l’infection à VIH. Alors que faire ? Nous avons connu des progrès im- portants au cours de ces dernières années dans la lutte contre le sida. Les traitements contribuent évi- demment à l’allongement de la du- rée de vie des malades mais aussi à une amélioration de la qualité de leur vie. Je le vois bien autour de
  • 7. 7 moi, les choses ont changé depuis presque 10 ans. Mais parallèlement, les progrès dans le domaine des droits humains, je ne les vois pas. Lorsque Paris a accueilli ce que l’on appelle aujourd’hui le « Sommet de Paris » à l’initiative de Mme Simone Veil, alors Ministre des Affaires So- ciales et de la Santé, près de 31 pays avaient une législation restreignant l’entrée et/ou la circulation des personnes vivant avec le VIH/sida sur leur sol. Aujourd’hui, ils sont plus de 100 ! Oui, aujourd’hui, si l’on est séropositif, on ne peut pas se rendre aux Etats-Unis ou en Chine… On ne peut pas émigrer au Canada… ni même songer à visiter l’Egypte ou bien Israël… En Alabama ou en France, les dé- tenus ont bien moins accès aux trai- tements et les conditions de déten- tion menacent gravement la vie et la santé des détenus séropositifs. Le Bangladesh alimente l'épidémie naissante du sida par les violents abus que commet la police contre les travailleurs sexuels, les utilisa- teurs de drogue par injection et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes. L'échec du gouvernement ougan- dais à protéger les femmes contre la violence domestique et la discrimi- nation augmente le risque de ces femmes de contracter le VIH. Et je pourrais multiplier à l’infini ces exemples qui nous affligent, qui nous meurtrissent, qui, enfin, nous révoltent. Alors, il faut, vite, très vite, renfor- cer nos actions communes en fa- veur des droits humains. Il n’existe à notre sens pas de meilleur pro- gramme de lutte contre le sida que celui qui s’appuie sur les Droits Humains. Ainsi l’on pourrait ima- giner de mieux impliquer à la fois les acteurs de la lutte contre le sida et les acteurs de la défense et de la promotion des droits humains. Ce n’est pas très innovant me direz- vous ! Non, en effet. Mais il faudra encore du temps avant que le monde ne considère la pandémie comme une crise des droits hu- mains. Les violations des droits humains comme facteur aggravant du VIH/sida sont largement ré- pandues en 2005, comme elles le sont depuis l'apparition de la mala- die. Cet aspect des choses reste malgré tout largement sous-estimé et peu pris en compte par les pro-
  • 8. 8 grammes de lutte contre le VIH/sida, compromettant de ce fait l'efficacité des programmes na- tionaux. Avec l’aide de tous, en in- tégrant cette problématique dans le travail quotidien des professionnels de santé, des militants associatifs, des politiques (et notamment ceux en charge de la santé publique et des droits humains), l’on peut par- venir à offrir, à s’offrir, un monde meilleur, tout simplement.
  • 9. 9 L’ETHIQUE A L’EPREUVE DU TEMPS Maître Alain Molla Pour ne rien vous cacher, c’est d'abord un « sujet à l’épreuve de mon ambition » ; ambition démesu- rée puisque je n’ai pas eu le temps de me consacrer autant que je le souhaitais à ce bilan. A propos d'éthique, « c'est le temps » qui précisément retient mon attention dans ce titre et des Assises nationales comme les vôtres marquent le temps d’une mobilisation associative qui force le respect. Seize années déjà … L’ALCS avait été créée par Ma- dame Himmich en 1988, précisé- ment sur la base d’un défi éthique, celui de la confidentialité et de l’anonymat, principes essentiels que Madame Himmich n'était pas par- venue à imposer au sein d’un « co- mité de lutte contre le sida » insuf- fisamment indépendant. J’avais eu la chance et l'honneur d’être sur cette même tribune à Ca- sablanca pour les premières Assises de l’ALCS, ce qui ne nous rajeunit guère, et je mesure le chemin par- couru depuis et ce notamment dans le combat exemplaire pour l’accès aux molécules dans le monde non développé. Lors de ces Assises, je fus marqué par l’histoire de cette patiente du service hospitalier de Madame Himmich qui lui avait ex- primé sa peur d’être brûlée vive si son sida était révélé. L’histoire d’associations comme l’ALCS ou AIDES illustre la per- manence des défis éthiques car en terme de « santé publique » la mobilisation contre une épidémie comme celle du VIH/sida, maladie mortelle transmissible, fut forcé- ment à ses débuts en conflit avec une approche soucieuse du respect des droits des personnes. La santé publique vise classique- ment la protection de la santé du plus grand nombre, forcément au détriment des droits fondamentaux des individus, avec mise en quaran- taine, limitation de la liberté de la circulation, signalement aux autori- tés, exclusion du droit au logement, dépistage obligatoire, déclaration nominative des partenaires, bref tout l’arsenal hygiéniste qui consti- tue la santé publique. Le combat associatif a d’emblée eu la signification d’une remontée du
  • 10. 10 courant, d’une résistance à la tradi- tion du contrôle sanitaire conçu comme un empiétement sur les droits fondamentaux à la vie privée et à la libre circulation. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme elle-même ne mentionne-t-elle pas la santé pu- blique comme un motif légitime de restriction des droits fondamentaux de la personne (article 29) ? La mobilisation associative contre l’épidémie fut : - d’abord, un réflexe de défense avec le recours au droit comme protection contre les discrimina- tions ; - ensuite, une démarche offensive de revendication citoyenne pour la dignité face aux formes variées de vulnérabilité sociale à l’épidémie et ce sous l’impulsion extraordinaire du regretté Jonathan Mann à la tête du programme mondial contre le sida de l'OMS. Ecoutez plutôt ce qu’il disait en 1987 à la Conférence Internationale de Washington : « Parce qu’ils ne ré- pondent pas aux besoins des populations quand, dans la majorité des pays où l’épidémie se répand, les femmes n’ont pas accès à l’éducation, à l’expression poli- tique, à la santé, à l’égalité d’initiative dans les rapports sexuels, comment les systèmes de santé pourraient-ils répondre aux besoins quand l’homosexualité est encore punie dans de nombreux pays, clandestine généralement, stigmatisée tou- jours ; quand l’usage des drogues vous met dans l’illégalité » . Il évoquait ensuite toutes les catégories telles que les travailleurs sexuels, les détenus ou les migrants déjà touchés par l’épidémie et qui ne pouvaient ni légalement, ni socialement faire va- loir non seulement leurs besoins mais aussi leurs droits, leur parole, leur égale dignité de personne hu- maine. Tout était dit, le chemin tracé de la lutte contre le sida fut donc d’abord un combat juridique dé- fensif anti-discriminatoire puis en- suite un combat politique où les trajectoires individuelles sont deve- nues une expertise globale des sys- tèmes de santé comme l’avaient si brillamment compris dès le début de l’épidémie Daniel Defert puis Arnaud Marty-Lavauzelle. Le sida n’est pas seulement un vi- rus, il est un fait social, un phéno- mène politique et un extraordinaire révélateur de la double crise des droits de l’homme et de la santé
  • 11. 11 publique. Malgré de nombreux rebondisse- ments, contretemps et soubresauts, l’éthique du respect des personnes est restée un socle résistant à toutes les tempêtes et constitue une bous- sole en permanence à notre service. Le respect du consentement des personnes, le refus de la tentation de la coercition, le choix de l’éducation pour la santé et de la responsabilisation des individus malades ou vivant avec le VIH sont autant de principes éthiques qui ont pu et peuvent seuls garantir à ces individus un statut d’acteurs de san- té, à la fois de leur santé et de la santé publique. Le sida a permis de réinventer une santé publique plurielle, en y in- cluant tous les prétendus margi- naux classiquement exclus du champ traditionnel du soin. Cette éthique du respect du con- sentement du malade, à l’épreuve du temps, y compris depuis les nouvelles donnes thérapeutiques de 1996, résiste à toutes les agressions sur les thèmes aussi brûlants et permanents que ceux du dépistage, du secret médical, du désir d’enfant ou encore du choix thérapeutique. Le respect de la dignité des in- dividus concernés fut et de- meure au service de la santé pu- blique, au profit de cette der- nière, jamais à son détriment. A cause du sida ou, paradoxe dou- loureux, grâce à lui, cette boussole nous a conduits sur le chemin de la reconnaissance sociale des ex- clus du système de santé. N’ayons pas d’état d’âme sur cette certitude, même si la lutte est en- core longue, même si les résultats sont lents à obtenir, même si l’épidémie est loin d’être vaincue. C’est vrai que c’est lent mais ce n'est pas à cause du respect des personnes mais bien plus à cause du partage scandaleusement inégal des richesses. Ne soyons pas tentés comme cer- tains par le constat que quelques pays hygiénistes du Nord de l’Europe notamment auraient de bons résultats. Le coût éthique dans ces pays y est considérable. * * * Mais revenons aux vertiges du temps car tout ce que je viens d'évoquer est au programme des
  • 12. 12 travaux de ces Assises. Revenons aux militants de nos associations qui sont soumis, depuis si long- temps, dans leur combat pour le respect des individus malades, face aux résistances multiples, à de rudes épreuves. Egrenons le temps où s’entrelacent nos états d’âme intimes et person- nels avec nos prises de conscience politiques d’un combat collectif. Quel toboggan que celui de nos états d’âme soumis à un si dur trai- tement depuis tant d’années ! Il y eut les balbutiements, avec : - l’ignorance et l’incrédulité face aux premières rumeurs sur l’injustice du « cancer gay » ; - l’étonnement, la réticence, quand il fallut comprendre que le plaisir sexuel ne serait plus jamais le même ; - le sentiment d’une intimité violée quand il fallut faire des pratiques du sexe un débat public ; - la fébrilité et le trac au moment de prendre la décision de faire son test ; - l’inquiétude, l’angoisse et la frayeur de découvrir que le virus était passé par nous ou par ceux qu’on aime ; - le soulagement gêné et malsain pour ceux dont le statut sérolo- gique se révélait intact ; - le sentiment de frayeur, de pa- nique, d’injustice voire de culpabili- té quand le virus était débusqué. Il y eut l’effroi avec : - l’effarement, la souffrance et le deuil quand la maladie fit irruption pour frapper si fort et si long- temps ; - le désespoir pendant les années sans médicament ; - la colère face à l’indifférence et l’oubli des bien-portants et des bien-pensants ; - la peur des extrémistes qui choisi- rent notre sida ou celui de ceux qu’on aime pour affoler, humilier, exclure et discriminer. Il y eut l’espoir avec : - la ferveur retrouvée quand le soin est enfin arrivé ; - la révolte de découvrir que les médicaments ne seraient pas en nombre suffisant ; - la joie de voir enfin la vie triom- pher et la mort reculer ; - l’illusion d’un virus en voie d’être neutralisé ; - le rêve d’un plaisir sans entrave en voie d’être retrouvé. Il y eut la désillusion avec : - la découverte des contraintes de
  • 13. 13 l’observance ; - l’inquiétude et la déception de sa- voir que l’efficacité thérapeutique pouvait s’échapper ou être dans l’impasse ; - la mauvaise conscience perma- nente de savoir que notre malheur n’est rien comparé à celui de ceux qui sont nés ailleurs qu’en Occi- dent. Il y eut, il y a la régression avec : - le constat que le choix entre bana- lisation et dramatisation est tou- jours aussi difficile; - la découverte qu’après 20 ans d’épidémie la volonté d’exclure reste encore en embuscade ; - la lassitude et les tentations brû- lantes du relâchement et du déni ; - l’impatience d’en finir ; - la tristesse de savoir que ce n’est pas fini. Toujours au fil du temps, l'éthique telle que définie ci avant est restée notre feuille de route. * * * Ce n’est jamais fini... et les défis éthiques sont multiples et mutants. Si je devais caractériser devant vous, très arbitrairement, un défi éthique contemporain, je parlerai volontiers d’altérité et d’intimité. Un des grands défis d’aujourd’hui est de réussir plus que jamais la combinaison subtile et douloureuse entre l’altérité et l’intimité. Ainsi pourrons-nous affronter plus serei- nement la terrible question de l'incrimination de la prétendue transmission volontaire du VIH. Je m'explique. L’altérité nous renvoie à la dou- loureuse question de la transmissi- bilité, le sida étant une maladie transmissible au sens médico-légal. Cette transmissibilité, même si elle est plus rassurante que la notion de contagion (car elle reste maîtri- sable), porte en germe le risque d’exclusion et une source terrible d’inquiétude et de peur, avec la rencontre permanente entre l’individu infecté et la société. Sont en vis-à-vis les individus infec- tés d’abord, eux qui ont peur de la maladie qui les habite, de son évo- lution et peur des autres aussi, ceux qui ont le pouvoir de les exclure en même temps que le devoir de les soigner. En face de ces individus ensuite, une société qui a peur de l’épidémie est en situation défen- sive, d’inquiétude ; le cancer de l’autre ne déclenche que la compas-
  • 14. 14 sion, le sida de l’autre peut déclen- cher la peur, la panique, le rejet. L'altérité sur fond de transmis- sibilité, c'est potentiellement le positionnement des malades en coupable. L'intimité ensuite : le sida nous a propulsés dans l’intimité des gens et forcé à redéfinir l’espace pu- blic et l’espace privé. Principalement transmissible par la rencontre sexuelle (car la transmis- sion mère–enfant n’est que le pro- longement de la rencontre sexuelle et la transmission par la seringue est strictement mécanique), il a im- posé une nouvelle approche de la sphère privée. Il a forcé les personnes mais aussi les systèmes, les groupes, les socié- tés, de même que les religions à parler de l’intimité sexuelle jusque dans les détails les plus tabous rela- tifs aux liquides corporels tels que le sang, le sperme, les sécrétions vaginales ainsi que leurs supports tels que les muqueuses vaginales, anales et celles de la verge. Il nous a forcés à parler de l’intimité, l’intimité de tous, pas seulement celle des marginaux que constituent les homosexuels ou les usagers de drogue, déjà victimes des préjugés les plus violents ; mais aussi l’intimité de madame et mon- sieur tout le monde : - le mari irréprochable bon époux, bon père que personne n’imagine trompant sa femme et qui pourtant va devoir parler de son infidélité si le virus surgit sur fond dramatique de transmission à l’épouse ou à l’enfant à naître ; - le jeune homme de bonne famille à qui personne dans ce contexte de pudeur et de discrétion, ne parlera de sexualité, qui va devoir affronter le groupe familial, si sa vie intime est propulsée sur le devant de la scène par la rencontre avec le virus à travers celle éventuelle d’une prostituée ou du multi partenariat propre à cette période de la décou- verte de son corps et de la séduc- tion facile. Cette intimité est la source même des impératifs d’anonymat et de se- cret, notamment pour construire le cadre optimum nécessaire au dépis- tage et aux soins. * * * L’éthique à l’épreuve d’aujourd’hui, c’est donc de ré- ussir la combinaison entre l’altérité et l’intimité en faisant
  • 15. 15 en sorte que jamais la protection de l'intimité ne soit perçue comme une menace pour l'autre. Il nous faut, en même temps que développer le cadre optimum du dépistage volontaire, construire, apprendre, apprivoiser une culture de révélation volontaire, une cul- ture d’écoute, une culture de par- tage, une culture de vérité. A trop se taire, faute de savoir comment l’autre va réagir et dans la crainte de perdre la tendresse, le désir ou l’affection de l’autre, à trop taire sa séropositivité, la personne vivant avec le VIH n’est-elle pas sur le chemin névrotique du déni et de l’oubli ? A trop s’abstenir de questionner l’autre, les personnes séronégatives ou pensant l'être ne sont-elles pas sur le chemin du transfert de la res- ponsabilité sur le silencieux ? Nous avons longtemps insisté sur le droit de ne pas dire son statut sé- rologique ou sa séropositivité et, en miroir, pour ceux qui sont séroné- gatifs, l’obligation de ne rien de- mander à l’autre. Nous avions raison car c’était et ce- la reste une discipline, un dispositif de protection contre les extrémistes et hygiénistes de tout poil qui rê- vaient et rêvent encore de télesco- per le consentement et l’autonomie de la volonté pour une législation de rupture du secret médical, de coercition sur le dépistage au nom d’une santé publique comprise comme la priorité absolue pour le plus grand nombre. Nous avions raison, l’obligation de déclarer sa séropositivité qui plane sur ce sujet reste « un effroi » et comme le dit Christian Saout «On a trop connu en Europe le temps où nous passâmes de la stigmatisation aux stig- mates ». * * * Mais peut-on un temps s’arrêter là pour réfléchir et constater qu’à trop s’en remettre à la protection d’une norme juridique collective garantis- sant le secret et le silence, à trop craindre les dégâts du dit et du dire, on a peut-être contribué à une cul- ture de la dissimulation, on a peut- être sans discernement suffisant abandonné les individus dans une camisole de silence et à l’inconfort du non dit. Vincent Pelletier, Directeur Géné- ral Adjoint de AIDES, aux Etats
  • 16. 16 Généraux des personnes touchées par le VIH en novembre 2004 à Pa- ris, avait courageusement prononcé la phrase suivante : « Vouloir oublier la maladie et la peur qu’elle génère de con- taminer ou de sur contaminer, c’est parfois oublier cette prévention obligée, contrainte, contraignante, qui en est inséparable ». La question du « dire ou du ne pas dire » ou encore du « taire ou du ne pas taire » pour une personne séro- positive d’une part, et la question d’apprendre à demander ou ne pas demander, à croire ou ne pas croire, pour les personnes séronégatives d'autre part, notamment dans le couple, dans la famille, dans le groupe social ou dans l’entreprise, restent cruciales. C’est au carrefour de cette altérité et de cette intimité que la transmis- sibilité du VIH réveille la culpabili- sation, voire la culpabilité de toute personne vivant avec le VIH. Déjà en 1990, le journal Le Monde en France avait titré à propos du drame des transfusés et des hémo- philes : « Le sida des innocents ». Certes, ils étaient innocents mais le contraire d’innocent, n’est-ce pas « coupable » et faut-il considérer que toutes les autres personnes vi- vant avec le VIH le sont donc ? Là où il ne fallait voir que des victimes, on avait déjà hiérarchisé les bons malades et les mauvais. Comment sur ce sujet ne pas faire le lien avec la triste tempête qui fait rage en France sur le terrain de la criminalisation de la transmission du VIH ? Triste climat qui, je l’espère, ne ga- gnera pas votre pays où la re- cherche du coupable est donc de- venue celle du contaminateur qui n’aurait pas imposé le préservatif ou qui se serait tu sur son statut sé- rologique dans le cadre de l’intimité de la rencontre sexuelle. Aujourd’hui en France sévit une lutte fratricide par autorités judi- ciaires interposées où les séroposi- tifs et les séronégatifs s’affrontent. Les séronégatifs n’auraient plus au- cune responsabilité, seulement des droits, notamment celui de pour- suivre en justice la personne séro- positive qui les aurait contaminés. Parmi les séropositifs, il y aurait les bons qui sont contaminés et les mauvais qui sont des contamina- teurs comme si toute personne vi- vant avec le VIH n’avait pas, un jour, été contaminée. C’est un vaste sujet que je ne fais qu’ouvrir pour le refermer en émet-
  • 17. 17 tant le vœu que cette guerre fratri- cide cesse le plus rapidement pos- sible, et que nous militants, car les associations aussi se déchirent sur cette question, nous mettions l’accent sur une seule certitude : c’est le sida et non les personnes contaminées qu’il faut com- battre. Mot d'ordre éthique, parmi tant d'autres : c’est le sida l’ennemi, pas le malade.
  • 18. 18 DROITS HUMAINS ET SANTE PUBLIQUE Table ronde n°1 PROPRIETE INTELLECTUELLE, COMMERCE INTERNATIONAL ET DROIT A L’ACCES AUX MEDICAMENTS, Dr Othoman Mellouk Dr Othoman Mellouk (ALCS) Santé et droits humains : l’exemple du VIH/sida Pr Hakima Himmich DDROITS HUMAINS ET LIBROITS HUMAINS ET LIBERTES INDIVIDUELLESERTES INDIVIDUELLES ,, Afamia Kaddour SSANTE ET DROITS HUMAIANTE ET DROITS HUMAINSNS :: LL ’’EXEMPLE DUEXEMPLE DU VIVIH/H/SIDASIDA ,, Pr Hakima Himmich MOT DMOT D ’’INTRODUCTIONINTRODUCTION ,, Dr Arnaud Marty-Lavauzelle Modérateur : Dr Arnaud Marty-Lavauzelle et Pr Hakima Himmich
  • 19. 19 Mot d’introduction Dr Arnaud Marty-Lavauzelle C’est un grand plaisir et un grand honneur d’être parmi vous. Le ren- dez-vous des Assises de l’ALCS re- présente pour moi un défi, une exi- gence et un enrichissement mutuel. Depuis de nombreuses années, nous collaborons et j’ai toujours souligné combien l’aide des pays du Sud aux pays du Nord avait été im- portante dans la lutte pour l’accès aux traitements afin de maintenir la pression dans nos propres pays. Mais aujourd’hui nous sommes par- tis peut-être pour écrire une his- toire très longue. Aucun d’entre nous ne pouvait imaginer que l’histoire de l’épidémie durerait au- tant de temps, nécessiterait le main- tien d’une prévention, requerrait l’acquisition de connaissances nou- velles. La situation s’est extrême- ment complexifiée, puisque main- tenant la gestion d’un traitement demande des connaissances très pointues. Les différents enjeux se sont également complexifiés, et nous sommes dans une situation chaotique, à la fois parce que les choses vont mieux que nous ne le redoutions, et en même temps parce qu’elles sont bien pires à un niveau mondial que nous ne pou- vions l’imaginer. Alors nous sommes les cavaliers du vent, à la fois dans le passé, le présent, l’avenir. Le passé est fait de ter- ribles douleurs, de deuils ; le pré- sent est une action continuelle pour essayer de rester en vie ; l’avenir reste hasardeux, difficile, et les pro- cessus de reconstruction sont com- pliqués et douloureux. Je crois donc qu’une des définitions de la situa- tion, c’est la complexification et la dévitalisation. Pourquoi ? Parce qu’encore une fois le temps a passé, parce que beaucoup d’associations dans les pays du Nord, en particu- lier AIDES et ACT UP, sont des associations qui aujourd’hui sont calcifiées et ont un grand besoin de volontaires. Peut-être n’avons-nous pas su transmettre l’histoire de l’épidémie, redéfinir les choses avec les nouvelles générations ; en tout cas je crois que c’est une responsa- bilité qu’il faudrait assumer mainte- nant. Dans les pays du Nord, un des défis actuels, c’est aussi vieillir avec le VIH, essayer d’éprouver le temps passé dans ses deuils impos-
  • 20. 20 sibles, essayer de retrouver le temps manqué, se reconstruire physique- ment, psychologiquement, avec tous les moyens possibles, dans l’espoir que toute cette aventure nous mène dans une société meil- leure, quels que soient les enjeux dramatiques de la mondialisation, et avec une vigilance particulière con- cernant la violation des droits des personnes qui menace chaque jour notre travail. Je vous remercie. Pr Hakima Himmich : Merci Ar- naud pour ce témoignage très émouvant. Je n’ai pas présenté Ar- naud parce qu’il n’y a pas besoin de présenter le Dr Arnaud Marty- Lavauzelle. Mais il y a peut-être parmi nous des jeunes volontaires qui ne le connaissent pas. Le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle a marqué l’histoire de la lutte contre le sida non seulement en France mais dans le monde. Il l’a marquée en tant que deuxième président de l’association Aides. Il a initié les partenariats français avec les pays africains et a été le premier à lutter pour l’accès aux traitements. Nous lui devons énormément. Quand La- tifa Imane et moi l’avons rencontré à Casablanca en 1990, ce fut une véritable révélation de la dimension humaine de cette lutte. Depuis nous ne nous sommes plus quittés et nous nous sommes souvent re- trouvés dans les enceintes des insti- tutions internationales. Vous allez peut-être avoir du mal à le croire, mais pendant des années, lorsque Arnaud et moi demandions l’accès aux traitements pour les pays du Sud, les représentants des institu- tions internationales, mais égale- ment les responsables des PNLS africains, nous traitaient tout sim- plement de fous. Donc merci beau- coup, Arnaud ! Santé et droits humains : l’exemple du VIH/sida Pr Hakima Himmich Le lien entre santé et droits de l’homme n’est pas une idée récente, il est implicite dans la Déclaration adoptée par la première Assemblée mondiale de l’OMS en 1948 : la santé y est définie comme « un état de bien être complet physique, mental et social » et non pas seulement comme l’absence de maladie ou d’infirmité. Pourtant les spécialistes
  • 21. 21 de la santé et ceux des droits de l’homme ont longtemps travaillé séparément et ce n’est que récem- ment que des ponts ont été jetés entre les deux domaines. Progressi- vement, la santé a cessé d’être seu- lement synonyme de soins, si bien que les activités de santé sans réfé- rence aux droits de l’homme ne de- vraient plus être acceptables au- jourd’hui. Des études américaines ont montré que les problèmes de santé incluant des cancers, des ma- ladies cardiaques respiratoires et in- fectieuses sont liés de façon inextri- cable, bien sûr avec la pauvreté, mais à pauvreté égale, avec la dis- crimination sociale et les manque- ments aux droits de l’homme et à la dignité des personnes. Cette rencontre entre la santé et les droits de l’homme a connu tout ré- cemment un développement sans précèdent qui a bouleversé le monde de la santé et ce grâce aux associations de lutte contre le sida et surtout, comme le souligne Dr Arnaud Marty-Lavauzelle, grâce aux personnes vivant avec le VIH (PVAV) qui jouent le rôle de ré- formateur social. En effet, plus que toute autre situation, la pandémie du sida illustre les liens inextri- cables entre santé et droits de l’homme en nous montrant com- bien une maladie que l’on peut pré- venir, responsable du décès de mil- lions de personnes qui n’ont pas accès au traitement, est de plus en plus le fruit de la discrimination so- ciale. C’est ainsi que partout dans le monde, les groupes sociaux les plus vulnérables à l’infection à VIH sont ceux qui font l’objet de discrimina- tion et de marginalisation. C’est le cas en Afrique subsaharienne où les femmes, du fait de leur vulnérabili- té socioculturelle et économique, payent un lourd tribut à l’épidémie, représentant plus de 50% des cas d’infection à VIH. Ces femmes, qu’elles soient prostituées ou ma- riées, n’ont pas la possibilité de se protéger de l’infection à VIH parce qu’elles ne peuvent imposer ni la fidélité, ni le préservatif, à leur par- tenaire. Les usagers de drogue sont décimés par l’infection à VIH en Russie, au Vietnam et ailleurs ; or cette infection n’est pas la consé- quence directe de l’usage de drogue, mais bien plutôt de la mar- ginalisation des usagers et de l’absence de politique de réduction des risques. C’est le cas des groupes qui font l’objet de répression et de
  • 22. 22 discrimination en raison de leur orientation sexuelle, ou de leurs ac- tivités, comme les travailleur(se)s du sexe. C’est le cas également des réfugiés et des migrants clandestins. Dans de nombreux pays, le mythe du conflit entre les droits de l’individu et la santé publique fait de la répression le fondement de la prévention. Dans ces pays, dans le domaine du sida, les atteintes aux droits de l’homme sont particuliè- rement courantes et graves. Elles se caractérisent par : - l’atteinte au droit à la confidentia- lité, aussi bien par déclaration no- minale que par communication du résultat à l’entourage, alors que la confidentialité, élément essentiel de l’éthique médicale, est incluse dans le serment d’Hippocrate et dans la Déclaration de Genève de l’Association Médicale Mondiale (1948) - l’atteinte à la libre circulation avec interdiction d’accès à de nombreux pays, notamment les Etats-Unis, pour les personnes ayant une infec- tion à VIH mais également l’enfermement de ces personnes dans des sidatorium - l’atteinte au droit de se marier et de procréer pour les PVAV comme c’est le cas dans certaines provinces en Chine - l’atteinte au droit à la santé. Les refus de soins aux PVAV, même en situation d’urgence, sont loin d’être exceptionnels, sans parler de la li- mitation de l’accès aux médica- ments génériques qui privent des millions de personnes de traite- ment. - l’atteinte au droit du travail. Les PVAV sont fréquemment confron- tés dans de nombreux pays à des licenciements abusifs, des refus d’emploi, des expulsions du pays d’accueil, etc. La prévention par la répression a pourtant été un échec total d’un point de vue de santé publique. Les pays pratiquant les contrôles aux frontières n’ont pas empêché l’épidémie de se développer chez eux. Dans tous les pays où elles sont exercées, les mesures de dis- crimination et de stigmatisation ont contraint les PVAV et les per- sonnes à risque à la clandestinité, les éloignant ainsi des campagnes de prévention et des centres de soins.
  • 23. 23 La prévention de la transmission du VIH se fonde sur l’accès à l’information et au soutien. Elle re- pose aussi sur le sens des responsa- bilités de chacun. La protection des droits de la personne favorise la création d’un environnement de soutien, nécessaire pour encourager les individus à effectuer un test de dépistage, à changer leur compor- tement et s’ils sont séropositifs à bénéficier de soins. En matière de sida, les activistes d’abord, puis l’OMS et l’ONUSIDA, ont reconnu qu’il existait une relation critique entre le respect des droits humains et de la dignité et la vulnérabilité au VIH. Cette analyse a amené les spécia- listes de la lutte contre le sida à deux conclusions. Premièrement, la prévention du sida est essentielle- ment un problème d’individus, de relations sociales ; la façon dont les sociétés traitent les individus est dé- terminante. Deuxièmement, les po- litiques de prévention de l’infection à VIH n’ont aucune chance de suc- cès si elles ne respectent pas les droits de l’homme et les droits des PVAV. Qu’en est-il au Maroc ? L’ALCS se bat depuis sa création pour l’accès au traitement des PVAV que nous considérons comme un droit. Dans ce combat, nous avons trouvé un grand soutien auprès des militants des associations françaises et je rends tout particulièrement hom- mage à un pionnier de ce combat, le Dr Arnaud Marty-Lavauzelle qui a défendu ce droit à un moment où aucune instance internationale, ni d’ailleurs nationale, ne voulait en entendre parler. Je rends aussi hommage à Sidaction, l’association que préside Monsieur Pierre Bergé, qui a été la première association, et pendant longtemps la seule, à fi- nancer la prise en charge des PVAV dans les pays du Sud. Paral- lèlement au combat pour l’accès au traitement, l’ALCS lutte contre toutes les formes de discrimination des PVAV et mène des actions de prévention auprès des groupes marginalisés les plus vulnérables à l’infection à VIH. Pour cela, il nous a fallu sortir de nos bureaux, aller à la rencontre des individus et nous mettre à l’écoute de leurs besoins. Tâche difficile dans une société où les choses se font mais ne se disent pas, où le groupe étouffe les indivi- dualités et où le droit à la différence se paye très cher. L’ALCS est une
  • 24. 24 structure où les utilisateurs des ser- vices de l’association, les personnes vivant avec le VIH, les travail- leur(se)s du sexe, sont présents comme acteurs sur le terrain et par- ticipent, de façon significative, à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de l’association. Notre souci d’efficacité nous a éga- lement amenés à prendre en charge des problèmes qui ne relèvent pas toujours directement du sida mais qui en font le lit. Car comment ai- der les femmes marocaines à se protéger sans parler des facteurs socio-culturels qui les fragilisent ? Comment faire de la prévention auprès des travailleur(se)s du sexe sans leur offrir un espace de parole, d’écoute et de reconnaissance ? Comment soutenir les personnes vivant avec le VIH sans militer pour un meilleur système de soins ? Comment lutter contre le sida sans interroger notre société, notre cul- ture ? Les volontaires et les salariés de l’ALCS, issus d’horizons divers, se doivent d’obéir à une éthique fon- dée sur le respect de l’autre, de ses choix et de sa différence. Nous at- tendons des volontaires de l’ALCS qu’ils soient des militants pour le droit à la différence, pour le droit à la liberté de choix. L’ambition de l’ALCS est de con- vaincre les décideurs qu’il est pos- sible de concilier le respect des li- bertés individuelles et les impératifs de santé publique, la protection des droits de la personne et la prise en compte de l’intérêt général. Si, con- trairement à ce qui se passe dans de nombreux pays de la région, la légi- slation marocaine est conforme aux recommandations de l’OMS et res- pecte l’éthique et les droits des PVAV, c’est beaucoup grâce à la vigilance de l’ALCS, et à feu Oth- man Akalay, militant des droits de l’homme et directeur du PNLS de 1990 à 1993. Il a fallu se battre, au sein du Comité National de lutte contre le sida, pour que les déclara- tions de cas de sida ne soient pas nominatives, pour qu’il n’y ait pas de test VIH obligatoire, pour que des certificats de séronégativité ne soient pas demandés aux frontières, comme l’exigeaient cer- tains médecins, membres de ce comité. Faut-il en conclure qu’il n’y a au- cune atteinte aux droits des PVAV au Maroc et des droits des per- sonnes en général ? Sûrement pas.
  • 25. 25 Régulièrement et c’est arrivé encore récemment, nous recevons au ser- vice des maladies infectieuses du CHU à Casablanca des patients à un stade terminal, qui se savent sé- ropositifs depuis des années, qui ont été diagnostiqués en Europe, vivent au Maroc depuis 5-6 ans et n’ont jamais osé consulter, par crainte du non respect de la confi- dentialité et de la discrimination. Cette crainte est malheureusement justifiée par le non respect du se- cret médical de la part de nom- breux médecins. Nous avons éga- lement eu fréquemment à déplorer des refus de soin aux PVAV. Le comportement des autorités n’est pas toujours conforme aux posi- tions du Ministère de la Santé mais l’ALCS a tout récemment fait un grand pas en avant et facilité les ac- tions de prévention de proximité, en convainquant les autorités de l’inutilité et du caractère contre- productif de la fouille des per- sonnes suspectées de s’adonner à la prostitution ; la possession de pré- servatif ne devrait désormais plus être considérée comme une preuve de racolage. Il en est de même pour les tests VIH imposés à des préve- nus ou des détenus. Dans le Maroc qui se construit, le devenir et l’efficacité de nos actions sont étroitement liés aux choix so- ciaux et politiques du pays et nous avons un rôle à jouer dans le com- bat pour un Maroc respectueux des droits des individus et garantissant la protection juridique de la vie pri- vée ; c’est pourquoi la participation à ces Assises d’associations de dé- fense des droits de l’homme est ex- trêmement importante.
  • 26. 26 Droits humains et libertés indi- viduelles Afamia Kaddour Dès sa découverte, l’infection à VIH a été associée à des groupes spécifiques rejetés socialement : les homosexuels et les utilisateurs de drogues par voie intraveineuse. Aussi toutes les personnes infectées par le VIH ont-elles été identifiées à ces groupes et ainsi stigmatisées, sans même que l’on s’interroge sur leurs modes de contamination. C’est seulement quand les modes de transmission de la maladie ont été mieux connus que les politiques de prévention ont été améliorées et que beaucoup d’actions ont été menées en direction des groupes dits vulnérables. Face à l’infection à VIH, les socié- tés arabes sont confrontées à de grands défis. Elles doivent d’une part trouver un équilibre entre les valeurs sociales héréditaires et l’obligation de protéger les per- sonnes vulnérables, et d’autre part, interdire toute discrimination en- vers les personnes vivant avec le VIH afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux. Mon intervention se divisera en deux parties. Je présenterai tout d’abord les principaux axes d’une politique de prévention efficace, puis j’exposerai les droits et les de- voirs des personnes vivant avec le VIH. Dans ma première partie, je vais tenter de montrer quel doit être le contenu d’une politique de préven- tion efficace. Une telle politique implique de protéger les personnes vulnérables de toute relation sexuelle forcée et de mettre en oeuvre des actions spécifiques en- vers les groupes victimes de discri- mination. Les femmes, les enfants, les pri- sonniers sont particulièrement vul- nérables. Dans les pays arabes, la femme lutte toujours pour obtenir l’égalité avec l’homme. Le mariage, contrat inégalitaire, met la femme à la merci de l’homme ; la femme est obligée de se soumettre aux désirs et exigences de son mari ; elle n’a notamment pas le pouvoir d’imposer à son mari l’usage du préservatif. De même, la protection de la femme contre le harcèlement
  • 27. 27 sexuel est insuffisante en l’absence de texte législatif. En raison de leur situation économique précaire, les bonnes sont particulièrement expo- sées. Les proxénètes doivent éga- lement être sévèrement sanction- nés. Les enfants sont théoriquement protégés par la loi, mais l’application effective de la loi nécessite de disposer d’institutions spécialisées en charge de la protec- tion des enfants et d’instaurer des mécanismes juridiques permettant d’instruire efficacement les plaintes déposées. L’existence de telles si- tuations doit amener les gouverne- ments à réfléchir à la possibilité d’autoriser l’avortement en cas de transmission du VIH de la mère au fœtus. Enfin il faut également pro- téger les prisonniers de tout acte de violence à l’intérieur des établisse- ments pénitenciers. La lutte contre le VIH/sida doit permettre de mettre fin aux situa- tions intolérables décrites ci-dessus et favoriser ainsi un progrès social. Je vais maintenant examiner les dé- fis que représente la prévention de l’infection à VIH auprès des groupes victimes de discrimination, les homosexuels en particulier. Les homosexuels sont rejetés sociale- ment dans les pays arabes. Nombre de discours en appellent aux valeurs familiales et religieuses et condam- nent tout comportement contraire à ces valeurs. Les politiques fon- dées sur ces discours sont en con- tradiction avec la promotion des droits humains. En outre, elles sont incapables de susciter une modifi- cation des comportements ; ce n’est pas en culpabilisant les individus qu’on peut les amener à modifier leurs comportements. Ces poli- tiques sont même contre- productives. Stigmatisés, considérés comme hors la loi, les homosexuels sont en effet contraints à la clan- destinité, ce qui rend difficile la mise en œuvre d’actions de préven- tion et accroît leur vulnérabilité. C’est pourquoi la plupart des pays ont désormais adopté des pro- grammes de prévention qui visent non pas à protéger la société des homosexuels, mais à protéger les homosexuels du VIH, ce qui im- plique de tisser des relations de confiance et de proximité avec eux, loin de tout jugement et visée mo- ralisatrice. En conclusion de cette première partie, je voudrais souligner que la meilleure politique de prévention
  • 28. 28 ne repose pas sur le contrôle des mœurs, mais consiste à protéger les individus de l’infection à VIH et ce dans le respect de leurs orientations sexuelles. Dans ma deuxième partie, je vais parler des droits de la personne vi- vant avec le VIH puis de ces de- voirs, car il n’y a pas de droit sans devoir. Les droits de la personne vivant avec le VIH sont : a) les droits liés à la santé L’accès aux traitements en fait par- tie. Il relève de la responsabilité des pays arabes qui doivent s’engager en faveur de leurs malades. Mais l’accès aux traitements se joue éga- lement au niveau international en lien avec d’une part le droit à la santé, et, d’autre part, le droit des brevets. Les détenteurs de brevets peuvent-ils refuser l’accès aux trai- tements à tous les malades démunis ou ont-ils une obligation de se- cours ? Suite à l’attitude de pays comme l’Afrique du Sud qui n’ont pas hésité à recourir aux médica- ments génériques pour faire baisser le prix des traitements, le Ministre libanais de la santé a annoncé une diminution de 7 à 20% du prix des antirétroviraux. b) le droit à la confidentialité. L’infection à VIH touche à la vie intime de l’individu : aussi la société n’a-t-elle pas à connaître l’identité des personnes contaminées et les individus ont le droit révéler ou non leur statut sérologique à leur entourage. Beaucoup préfèrent d’ailleurs se taire de peur d’être confrontés à des réactions hostiles. La jurisprudence française a ainsi considéré que révéler la séropositi- vité de quelqu’un sans son consen- tement constituait une violation de sa vie privée. Il est également inter- dit de pratiquer des tests de dépis- tage à l’insu des individus, comme cela a pu être fait dans certains hô- pitaux. Il faut souligner que la con- fidentialité n’est pas un obstacle à la mise en œuvre d’une politique effi- cace de prévention. Dans les pays arabes, la protection de la vie privée est encore faible et des textes de lois spécifiques seraient nécessaires pour garantir le respect du droit à la confidentialité. Les personnes vivant avec le VIH ont toutefois le devoir d’informer leur(s) partenaire(s) afin de leur évi- ter tout risque de contamination. c) les droits liés à la non discrimination
  • 29. 29 Dans de nombreux pays dans le monde, le droit du travail interdit toute discrimination et les per- sonnes vivant avec le VIH sont protégées par la loi. Malheureuse- ment la plupart des pays arabes res- tent réticents à adopter des lois si- milaires. D’autre part, il faut condamner tout acte inhumain qui vise à identifier par une marque physique les per- sonnes vivant avec le VIH ou à les isoler. De tels actes sont interdits à l’échelle mondiale ; toutefois les comportements discriminatoires persistent, notamment dans les pri- sons ; de même la pratique de l’isolement des malades n’a pas dis- paru partout dans le monde. Si la société doit ainsi garantir les droits des personnes vivant avec le VIH, celles-ci ont en contrepartie des devoirs. Certains pays ont ainsi fait le procès des « contaminateurs volontaires » qui se sont rendus coupables de non-assistance à per- sonne en danger en dissimulant leur état sérologique à leur(s) parte- naire(s). Certains acteurs de la lutte contre le sida ont suggéré que c’était au médecin de révéler la sé- ropositivité d’un patient à son par- tenaire. C’est oublier un peu vite que le médecin est tenu au secret professionnel. Pr Hakima Himmich : Merci beaucoup, Madame Afamia Kad- dour, d’avoir accepté de venir au Maroc pour partager avec nous ces 6e Assises. Votre intervention est une véritable bouffée d’oxygène. Il est tellement rare d’entendre les dé- fenseurs des droits humains dans la région Maghreb Moyen-Orient. Non qu’ils n’existent pas, mais leur parole est trop souvent étouffée par l’intégrisme, par le wahhabisme, par les nombreuses dictatures en place. Merci infiniment, vous nous re- donnez du courage ! Nous poursui- vrons avec plaisir la collaboration avec votre association.
  • 30. 30 Propriété intellectuelle, com- merce international et droit à l’accès aux médicaments Dr Othoman Mellouk Je vais vous parler du problème de la propriété intellectuelle et de l’accès aux médicaments. C’est un sujet d’actualité au niveau interna- tional. Pendant plus d’un an, ce fut également un sujet d’actualité au Maroc avec les négociations de l’accord économique de libre- échange avec les Etats-Unis, accord contre lequel l’ALCS s’est forte- ment mobilisée. Aujourd’hui, même si cet accord a été signé, la lutte pour l’accès aux médicaments continue. En 1978, l’OMS lançait son fameux slogan « Santé pour tous en l’an 2000 ». L’objectif était très ambi- tieux, des actions furent mises en place, notamment les politiques des médicaments essentiels et les trans- ferts de technologie vers les pays en développement pour assurer la dis- ponibilité des médicaments. Où en sommes-nous 27 ans plus tard ? Aujourd’hui, le tiers de la popula- tion mondiale n’a pas accès ou dis- pose d’un accès insuffisant aux mé- dicaments essentiels. En Afrique, ce chiffre est supérieur à 50%. 60% des décès sur ce continent sont dus aux maladies infectieuses et parasi- taires. Dans les pays européens, ces mêmes maladies sont responsables de 5% des décès seulement. 40000 personnes meurent chaque jour dans le monde faute d’accès aux médicaments. 6 maladies causent la majorité de ces décès : la pneumo- nie, la diarrhée, le VIH/sida, le pa- ludisme, la rougeole et la tubercu- lose. Or ces maladies ne devraient plus tuer aujourd’hui. Il est en effet possible de les traiter mais les trai- tements ne sont pas disponibles dans les pays du Sud. Alors qu’auparavant les gens mouraient pour des raisons scientifiques, la médecine étant incapable de faire face à ces maladies, aujourd’hui les gens meurent pour des raisons économiques. En effet, le principal obstacle à l’accès aux médicaments est leur coût. Celui-ci est directe- ment lié aux brevets qui limitent la concurrence des médicaments gé- nériques. En effet, dès qu’on intro- duit des génériques sur le marché, s’instaure une concurrence qui en- traîne une diminution des prix.
  • 31. 31 Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi l’objectif de la santé pour tous en l’an 2000 n’a-t-il pas pu être atteint ? Pourquoi les politiques des médicaments essentiels n’ont-elles pas produit les résultats escomp- tés ? La réponse est simple : parce qu’au droit à la santé qui commençait à émerger à la fin des années 1970 s’est substitué un nouveau droit, à savoir le droit de la propriété intel- lectuelle. Il est ainsi question de droit des deux côtés : d’une part le droit des populations à vivre, et d’autre part, le droit des multina- tionales à faire des profits, des pro- fits extraordinaires. L’industrie pharmaceutique est en effet l’une des industries les plus rentables au monde. Aux Etats-Unis, ses profits sont supérieurs à ceux réalisés dans le secteur de la banque ou de la fi- nance. Elle s’est opposée au droit à la santé pour protéger ses profits, notamment en militant pour l’introduction des droits de proprié- té intellectuelle dans les accords commerciaux, au premier rang les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’OMC a été créée à Marrakech en 1994. Elle succède au GATT (General Agreement on Tariffs and Trade ou Accord général sur les tarifs doua- niers et le commerce) qui regrou- pait initialement 23 pays. Au- jourd’hui, plus de 140 pays sont membres de l’OMC. Beaucoup d’économistes estiment que ce fut une erreur d’inclure la propriété in- tellectuelle dans les accords de l’OMC. En effet, la propriété intel- lectuelle ne concerne pas le com- merce en lui-même. Certains ont avancé que les droits de propriété intellectuelle permettaient de régler les litiges commerciaux. En réalité, l’introduction des droits de proprié- té intellectuelle dans les accords de l’OMC, défavorable aux pays pauvres, est le fruit du lobbying de l’industrie pharmaceutique, très proche des Ministères du Com- merce dans les pays industrialisés. Les accords commerciaux reposent normalement sur des avantages mutuels ; or dans le domaine de la propriété intellectuelle, les pays pauvres ont fait des concessions unilatérales ; ils ont donné mais n’ont quasiment rien reçu. Ainsi, alors qu’auparavant la réglementa- tion et la protection des droits de propriété intellectuelle étaient gé- rées principalement par
  • 32. 32 l’Organisation Mondiale de la Pro- priété Intellectuelle (OMPI), c’est désormais l’OMC qui en a la charge. Le GATT ne prenait pas en compte le degré de protection, chaque pays avait sa propre législa- tion et déterminait librement son régime de propriété intellectuelle. Au Maroc, jusqu’en décembre der- nier, il n’y avait pas de brevet sur les médicaments, seuls les procédés de fabrication pouvaient être proté- gés par des brevets. De nombreux pays disposaient d’une législation similaire. L’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC), si- gné dans le cadre de l’OMC, uni- formise au niveau international les droits de propriété intellectuelle. Il est souvent écrit que l’OMC im- pose un ensemble de règles. En réalité, l’Accord sur les ADPIC ins- taure un cadre général qui fixe une protection minimale, et laisse une certaine marge de liberté aux pays. Il offre en effet des flexibilités pour protéger la santé publique. Ces flexibilités furent difficiles à obte- nir. Une fois intégrées dans l’Accord sur les ADPIC, les pays riches, Etats-Unis et Union euro- péenne en tête, ont tenté par tous les moyens d’empêcher les pays pauvres d’y recourir. Aujourd’hui encore, ils continuent à essayer d’en limiter l’utilisation. L’Accord sur les ADPIC impose aux pays d’accorder des brevets de 20 ans pour toutes les inventions dans n’importe quel domaine tech- nologique, y compris donc pour les produits pharmaceutiques. Il est toutefois possible dans certaines si- tuations de passer outre le droit des brevets et d’émettre ce qu’on ap- pelle des licences obligatoires ou dans le langage de l’OMC « l’usage gouvernemental ». Si un pays es- time avoir besoin d’un médicament donné pour résoudre un problème de santé publique, il peut émettre une licence d’office qui lui permet d’utiliser l’invention sans l’autorisation du détenteur du bre- vet moyennant seulement le verse- ment de royalties. L’Accord sur les ADPIC prévoit également des li- cences obligatoires qui fonction- nent selon le même principe. La principale différence réside dans le fait que les licences d’office doivent être utilisées uniquement dans le cadre de programme de santé pu- blique ; cela signifie notamment
  • 33. 33 que les médicaments génériques fa- briqués dans le cadre de licences d’office ne peuvent pas être en vente libre dans les pharmacies. L’Accord sur les ADPIC autorise également les importations paral- lèles. Il convient de bien différen- cier les importations parallèles des importations de génériques. L’importation parallèle consiste à importer un médicament breveté d’un pays où il coûte moins cher. Par exemple, un produit donné d’un laboratoire coûte 100 dh au Maroc, alors qu’en Espagne il coûte seulement 80 dh. Le Maroc a inté- rêt à l’acheter en Espagne pour réa- liser une économie. Ce faisant, le Maroc ne contrevient pas au droit des brevets puisque c’est le labora- toire lui-même qui a mis le médi- cament à ce prix-là sur le marché espagnol. Le laboratoire est déjà ré- compensé pour son invention en Espagne et le Maroc n’a donc pas à lui verser de royalties. Il existe éga- lement dans l’Accord sur les ADPIC des exceptions au droit des brevets telles que l’exception Bolar. Cette exception autorise les fabri- cants de médicaments génériques à effectuer les tests cliniques pour démontrer la bioéquivalence avec le médicament original avant l’expiration du brevet. Une fois le brevet expiré, le médicament géné- rique peut ainsi être mis immédia- tement sur le marché. Le recours à ces différentes flexibilités a été con- firmé dans la Déclaration de Doha en 2001. Les pays disposaient de différents délais pour appliquer l’Accord sur les ADPIC. Les pays en dévelop- pement avaient jusqu’au 1er janvier 2005, les pays les moins avancés (PMA) jusqu’au 1er janvier 2006 avec une possibilité de prolonga- tion jusqu’en 2016. Un système de mail box était cependant prévu par l’Accord sur les ADPIC. L’OMC a demandé aux pays qui ne déli- vraient pas de brevet sur les médi- caments avant la création de l’OMC à l’instar du Maroc de mettre en place un système de boîte à lettres fictive pour stocker les demandes de brevet déposées par les labora- toires entre 1995 et 2005. Pendant 10 ans, les demandes de brevet se sont ainsi accumulées. Au début de l’année, cette boîte à lettres a été ouverte au Maroc et les premiers brevets sur les médicaments ont été délivrés.
  • 34. 34 Pour se mettre en conformité avec l’Accord sur les ADPIC, le Maroc a adopté une nouvelle loi sur la pro- priété intellectuelle, la loi 17/97. Votée en 2000, cette loi est entrée en application le 18 décembre 2004. Le Maroc a-t-il profité des flexibili- tés offertes par l’Accord sur les ADPIC afin de protéger la santé publique ? La réponse est négative. Pourquoi ? Il faut savoir que dans la plupart des pays en développe- ment, comme cela a été le cas au Maroc, les nouvelles lois sur la pro- priété intellectuelle ont été rédigées avec l’aide d’agences étrangères de coopération. Cette pratique s’appelle de l’assistance technique. Elle permet en fait aux pays indus- trialisés de promouvoir leurs propres intérêts en matière de pro- priété intellectuelle. Le Maroc n’a donc pas profité de toutes les flexi- bilités. La loi 17/97 interdit les im- portations parallèles. Elle ne pré- voit pas d’exception Bolar ; celle-ci serait toutefois ajoutée dans le nou- veau Code de la pharmacie, ce qui est une bonne chose. Les méca- nismes de versement de royalties ne sont pas clairement définis. Les li- cences obligatoires sont condition- nées ; pendant les 4 premières an- nées d’un brevet, le Maroc ne peut pas émettre de licence obligatoire. Or une telle disposition n’est pas présente dans l’Accord sur les ADPIC. Le contenu de la « mail box » a été communiqué récemment à l’ALCS grâce aux démarches du Pr Him- mich auprès de l’Office marocain de la propriété industrielle et com- merciale (OMPIC). Elle contenait plus de 800 demandes de brevets. Ces demandes ont quasiment toutes été accueillies favorable- ment. Des brevets abusifs ont été délivrés. Par exemple, un brevet du laboratoire Glaxosmithkline (GSK) a été déposé auprès de l’Office eu- ropéen des brevets en 1993 et au Maroc en 1998. Or la nouveauté constitue un des principaux critères de brevetabilité. Un produit déjà breveté en 1993 n’est pas nouveau et l’OMPIC ne devrait pas lui ac- corder un brevet. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore étudié en détail le contenu de la mail box ; nous allons le faire très prochaine- ment. Il est fort probable que des médicaments aujourd’hui dispo- nibles au Maroc à un prix raison- nable aient été brevetés ou le soient
  • 35. 35 prochainement et voient donc leur prix augmenter fortement. La question de la propriété intellec- tuelle ne se joue pas seulement à l’OMC, elle concerne également les accords économiques bilatéraux de libre-échange. Si l’Union euro- péenne négocie des accords avec beaucoup de pays, les champions du monde en la discipline restent cependant les Etats-Unis. Les délais de négociation avec les Etats-Unis sont extrêmement courts. Lors- qu’un pays négocie avec l’Union européenne, des étapes, des rendez- vous sont fixés ; avec les Etats- Unis, ce sont des négociations accé- lérées et les accords signés ont un effet quasi immédiat puisqu’ils en- trent en vigueur l’année qui suit la négociation, si bien que les pays n’ont pas le temps de s’y préparer. En outre, les Etats-Unis proposent un package complet qui est à pren- dre ou à laisser et exercent une forte pression sur leur interlocu- teur. Au sein de l’OMC, un pays comme le Maroc peut résister parce qu’il est aux côtés de dizaines d’autres pays ; seul face aux Etats- Unis, la configuration est totale- ment différente. Les accords avec les Etats-Unis sont définitifs, alors qu’à l’OMC il est toujours possible de continuer à négocier et de révi- ser les accords. Enfin, en cas de li- tige avec les Etats-Unis, le pays concerné se retrouve directement devant les tribunaux ; il n’y a pas de commission d’arbitrage comme à l’OMC. Quel est le contenu de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis en matière de propriété intellec- tuelle ? Cet accord est défavorable à l’accès aux médicaments. Différents éléments méritent d’être soulignés : - l’extension du domaine de la bre- vetabilité - l’exclusivité des données d’enregistrement pour une durée de 5 ans L’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) impose aux compagnies pharmaceutiques de soumettre des données prouvant l’innocuité et l’efficacité de leurs produits : ce sont les données d’enregistrement. En instaurant l’exclusivité des données d’enregistrement, l’accord de libre- échange impose aux producteurs de génériques de refaire des essais pour produire ces données, ce qui est tout à la fois coûteux, inutile et non éthique.
  • 36. 36 - l’extension de la durée des brevets La durée des brevets peut être pro- longée en cas de nouvelles indica- tions thérapeutiques ou en cas de retard d’obtention de l’AMM. - la limitation des conditions de dé- livrance des licences obligatoires L’accord de libre-échange limite l’octroi de licence obligatoire aux cas d’extrême urgence sanitaire. - l’interdiction des importations pa- rallèles Que pouvons-nous faire ? La loi 17/97 est entrée en vigueur, les brevets sur les médicaments exis- tent désormais au Maroc. L’accord de libre-échange avec les Etats- Unis a été signé et approuvé par le Congrès américain et le Parlement marocain. Il faut toutefois séparer les deux problèmes. La loi 17/97 est une loi nationale, ce sont les lé- gislateurs marocains qui l’ont rédi- gée. S’il y a une volonté politique forte, cette loi peut être amendée, et il est urgent de le faire. En effet, le contexte international est au- jourd’hui favorable. Cette loi a été rédigée entre 1997 et 2000 à un moment où le contexte internatio- nal était défavorable. C’était l’époque du procès contre l’Afrique du Sud, des menaces contre l’Inde et le Brésil. Aujourd’hui, tout le monde, aussi bien l’OMC que les agences des Nations Unies, s’accorde à dire que les pays en dé- veloppement doivent utiliser toutes les souplesses et flexibilités prévues par l’Accord sur les ADPIC. Il faut donc les inscrire dans la loi maro- caine. Concernant l’accord de libre- échange avec les Etats-Unis, il faut être très vigilant lors de sa mise en application et s’appuyer au maxi- mum sur la lettre d’entendement qui a été échangée entre les deux pays suite aux pressions de la socié- té civile. Selon les experts, cette lettre n’a certes pas une grande va- leur juridique car elle ne fait pas partie de l’accord, mais il est tout de même possible de l’utiliser pour limiter au maximum les consé- quences négatives de l’accord. Nous devons également étudier le contenu de la « mail box » pour connaître les brevets délivrés, et es- sayer d’utiliser les flexibilités que constituent les licences d’office et ce le plus vite possible. Il serait in- téressant d’organiser sur le modèle de ce qui se fait en Afrique du Sud une campagne nationale pour l’accès aux médicaments en mobili- sant la presse et en impliquant le
  • 37. 37 maximum d’interlocuteurs. Il ne faut pas en effet se focaliser uni- quement sur le sida. Les droits de propriété intellectuelle restreignent l’accès aux traitements pour de nombreuses autres pathologies telles que les hépatites, le cancer, etc. Je connais des cancérologues qui en sont réduits à faire seule- ment du diagnostic. En se basant sur l’examen de la « mail box », nous devons pouvoir dire que tel médicament est breveté et coûte tant, et demander au Ministère de la Santé une licence obligatoire pour obtenir un traitement moins cher. Dans l’immédiat, il faut organiser un atelier national sur la propriété intellectuelle et l’accès aux médica- ments où la société civile, les fabri- cants de médicaments génériques, les experts du Ministère de la Santé ainsi que les experts internationaux seraient présents. Beaucoup de pays sont en train d’organiser de tels ate- liers avec le soutien de l’OMS et du PNUD. Malheureusement, pour bénéficier de leur soutien, le gou- vernement marocain doit en faire la demande. Nous avons rencontré Monsieur le Ministre de la santé le mois dernier et nous lui avons de- mandé la tenue d’un tel atelier. Nous n’avons pas encore reçu de réponse définitive. La mobilisation à l’échelle régionale et internatio- nale doit également se poursuivre. L’administration américaine veut instaurer une zone de libre-échange pour toute la région Moyen-Orient Afrique du Nord d’ici 2013. Lors des négociations et de la signature des accords de libre-échange, chaque pays se bat tout seul. Il faut donc passer à un mouvement glo- bal mondial pour lutter contre les accords de libre-échange avec les Etats-Unis comme avec d’autres pays. Dr Arnaud Marty-Lavauzelle : Merci beaucoup, Othoman Mel- louk, pour cet exposé brillant et complet, qui témoigne d’un enga- gement militant sans faille.
  • 38. 38
  • 39. 39 DEBAT Un participant : Je suis membre de l’association algérienne de pro- tection contre le sida. Notre asso- ciation a été créée en 1998. Quand on voit le travail réalisé par l’ALCS, on se dit qu’on aimerait bien être la 17e section de l’association, en fai- sant abstraction des frontières ! Pr Hakima Himmich : Vous ve- nez d’utiliser une expression qui, j’en suis sûre, a plu à Arnaud Mar- ty-Lavauzelle. Quand l’ALCS a été créée, on disait qu’elle était la sec- tion d’outre-mer de Aides ! Nous sommes bien sûr à votre disposi- tion pour toute collaboration. Un participant : Pourquoi certains pays exigent-ils le test de dépistage à l’entrée sur leur territoire ? Quel est le rôle de l’ALCS et des autres associations face à ce phénomène ? Pr Hakima Himmich : C’est comme si vous me demandiez pourquoi les droits de l’homme ne sont pas respectés à travers le monde. Comme l’a développé Alain Molla hier, et comme je l’ai dit moins brillamment ce matin, beaucoup de pays pensent qu’il y a une contradiction entre le respect des droits des personnes vivant avec le VIH et la santé publique. Ils appliquent des règles qui étaient va- lables pour la peste ou le choléra. Or ce sont des épidémies de nature totalement différente et qui durent à peine quelques jours ; soit on meurt, soit on guérit. Certains pays continuent à appliquer ce vieux schéma à l’infection à VIH. Il faut dire que ces pays ne sont pas les champions du respect des droits de l’homme en général. Un participant : Ce qui caractérise notre société, c’est l’exclusion, l’analphabétisme et la pauvreté. Dans son discours destiné à l’étranger, le gouvernement maro- cain insiste sur le respect des droits de l’homme. C’est un discours de façade car la réalité est totalement différente ; le gouvernement bafoue les droits de l’homme en menant une politique sécuritaire, en favori- sant les classes aisées de la société et en laissant de plus en plus de gens tomber dans la pauvreté. Je propose que nous luttions pour la
  • 40. 40 défense des droits humains en par- tenariat avec d’autres associations et que nous menions des actions de plaidoyer pour obliger le gouver- nement à assurer ses obligations sur le plan social. Les associations n’ont en effet pas les moyens de se substituer à l’Etat. Nous devons également former des réseaux na- tionaux et internationaux pour combattre la mondialisation sau- vage, responsable de l’augmentation de la pauvreté. Un participant : J’ai une question pour le Dr Mellouk. J’ai eu l’occasion d’assister à une journée de réflexion organisée par l’association Attac sur l’accord éco- nomique de libre-échange entre les Etats-Unis et le Maroc. Qu’a fait l’ALCS après le vote récent de la loi en Inde ? Un travail en réseau avec d’autres associations a-t-il été me- né ? Dr Othoman Mellouk : Le Parle- ment indien a récemment voté une loi sur la propriété intellectuelle. L’ALCS a suivi tout le débat suscité par la préparation et le vote de cette loi. Nous avons écrit à Monsieur l’Ambassadeur de l’Inde au Maroc à plusieurs reprises. Nous avons éga- lement écrit au premier Ministre indien, au chef du Parlement, ainsi qu’aux laboratoires pharmaceu- tiques. Pour la première fois, mais c’est passé complètement inaperçu malheureusement, un Marocain vi- vant avec le VIH a adressé person- nellement une lettre à Monsieur l’Ambassadeur de l’Inde. Malgré nos efforts, la loi a été votée en Inde et elle va restreindre l’accès aux médicaments. Concernant l’Inde, l’ALCS n’a pas travaillé au niveau national, mais davantage dans le cadre de coalitions interna- tionales. Je devais moi-même partir en Inde pour rejoindre des acti- vistes du monde entier juste avant le vote au Parlement, mais je n’ai finalement pas pu m’y rendre. Ce qui s’est passé en Inde dépasse un peu tout le monde. Ce que l’industrie pharmaceutique a réussi avec l’Inde équivaut en terme d’impact à la signature de 50, 60, voire 100 accords de libre-échange. On sait que l’Inde est le premier producteur de génériques au monde, et donc la principale source d’approvisionnement pour les pays en développement. Le vote de la loi
  • 41. 41 indienne est véritablement un gros coup de l’industrie pharmaceutique. Un participant : Il faut que l’ALCS puisse aller dans les mai- sons closes pour faire de la préven- tion et également voir ce qui s’y passe. A Marrakech, il existe des maisons closes où des mineurs sont exploités sexuellement. Dr Othoman Mellouk : Je ne pense pas que cela soit le rôle de l’ALCS. En tant qu’acteur de la so- ciété civile, nous pouvons suivre ce qui se passe et dénoncer les situa- tions lorsque c’est nécessaire et je vous assure que nous ne nous en privons pas. La question de l’exploitation sexuelle des mineurs est très délicate, et je doute qu’on soit les mieux placés pour traiter le problème. Devons-nous aller voir des mineurs pour leur dire d’utiliser des préservatifs ? Devons-nous al- ler voir les pédophiles eux-mêmes ? Il y a des associations qui sont spé- cialisées dans le travail auprès des enfants. Nous collaborons avec elles. Nous avons ainsi déjà travaillé avec Bayti, l’AMESIP ou encore avec Atfalouna. Ce que nous avons obtenu la semaine passée est ex- traordinaire. Le préservatif n’est dé- sormais plus considéré comme une preuve de flagrant délit et nos in- tervenants sont désormais identifiés par des cartes et ainsi à l’abri de toute arrestation. Ainsi, nous con- damnons et dénonçons l’exploitation sexuelle des mineurs mais nous pensons que d’autres as- sociations sont mieux armées que nous pour travailler avec les en- fants. Pr Hakima Himmich : Je vou- drais apporter une précision au ni- veau de la terminologie. Nous n’avons pas à attendre que les per- sonnes qui vivent de leur corps soient reconnues officiellement pour les appeler travailleur(se)s du sexe. C’est une question de respect. La terminologie est très importante. La preuve en est que tous les inté- gristes s’offusquent que l’on parle de travailleur(se)s du sexe. Afamia Kaddour : Je voudrais faire plusieurs remarques. Premiè- rement, il faut mettre en place dans les écoles une éducation sexuelle respectueuse des droits humains. Pour assurer cet enseignement, le corps enseignant doit recevoir une
  • 42. 42 formation spécifique. Deuxième- ment, je voudrais souligner que chez nous, au Liban, tous les hommes de religion, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, ont un comportement similaire : ils refu- sent d’intégrer la problématique des droits humains dans leurs discours. Troisièmement, je pense qu’il fau- drait réglementer le travail du sexe, ce métier le plus vieux du monde. Avant la guerre, cette activité était règlementée au Liban ; aujourd’hui la situation a beaucoup évolué avec l’arrivée de nouvelles travailleuses, pour la plupart clandestines. Des lois seraient nécessaires pour les protéger contre les réseaux mafieux de prostitution. Un participant : Le travail du sexe doit être considéré comme du tra- vail informel et il faut que nous nous battions aux côtés d’autres as- sociations pour le respect du droit à la santé reproductive. Derrière ce terme de « santé reproductive », il est en fait question de sexualité et de liberté de choix. Pr Hakima Himmich : Votre re- marque est tout à fait pertinente. L’ALCS ne peut atteindre seule ses objectifs. C’est pourquoi nous avons invité aux Assises les associa- tions de défense des droits humains et de défense des droits des femmes. Il est en effet primordial de travailler en réseau avec toutes les associations concernées. Un participant : Ma question est la suivante : quelle est la priorité de l’ALCS au niveau stratégique ? Est- ce la prévention ? Est-ce la défense des droits de l’homme ? Est-ce la défense des droits des personnes vivant avec le VIH ? Pr Hakima Himmich : Vous pouvez demander à ceux qui sont à l’ALCS depuis longtemps. Réguliè- rement, nous nous disons qu’il ne faut plus lancer de nouvelles ac- tions, qu’il faut arrêter d’innover. En réalité, nous menons toujours plusieurs actions en même temps et c’est ce qui nous a permis d’avancer jusqu’à présent. Nous ne sommes pas en France où il existe une asso- ciation spécialisée dans l’écoute, une autre dans l’action auprès des travailleur(se)s du sexe, une autre encore dans la collecte de fonds, etc. Nous sommes la seule associa- tion au Maroc dans le domaine du sida à s’intéresser à l’accès aux trai-
  • 43. 43 tements et à la défense des droits des personnes vivant avec le VIH. Nous continuerons donc à nous battre sur tous les fronts. Gaëlle Krikorian, consultante pour l’ALCS : Je voudrais juste faire un petit commentaire à pro- pos de la question qui a été posée sur l’Inde. J’imagine que lorsqu’on commence à parler de propriété in- tellectuelle, beaucoup d’entre vous se disent qu’il s’agit de quelque chose de très compliqué qui se joue au niveau international. Je pense qu’il est important de comprendre que lorsqu’on parle de propriété in- tellectuelle, on parle en fait de droits, notamment du droit à la santé et du droit aux médicaments. Ces droits sont définis par des lois nationales dépendantes d’accords internationaux ou comme l’a dit Othoman d’accords bilatéraux comme l’accord entre les Etats- Unis et le Maroc. Ces accords sont porteurs de nombreuses obliga- tions, en général plutôt défavo- rables aux pays pauvres et favo- rables aux pays riches et à leur industrie. Mais ces accords confè- rent également des droits ; ce sont les flexibilités dont parlait Otho- man. Que signifient ces droits ? Dans le cas du Maroc, ce sont les droits des Marocains à avoir accès à des médicaments abordables. Mais il faut que les citoyens rappellent à leur gouvernement qu’il doit utiliser les flexibilités prévues par l’OMC. Sinon l’accès aux médicaments risque de devenir de plus en plus difficile ; les médicaments ne seront pas accessibles aux plus pauvres. Alors même si les débats sur la propriété intellectuelle peuvent pa- raître parfois lointains, il faut se rappeler que les enjeux sont extrê- mement concrets, que les malades sont directement concernés. Pour revenir à la question posée sur l’Inde, je tiens à souligner que l’Inde a adopté une législation qui va au-delà des normes fixées par l’OMC. L’Inde, comme le Maroc, dispose de flexibilités qui lui per- mettent de contourner les brevets pour continuer à fabriquer des gé- nériques et les donner à sa popula- tion. Il faut donc utiliser ces droits que constituent les flexibilités et donner l’exemple à l’Inde, faire pression en tant que malade pour avoir accès à des médicaments gé- nériques, continuer à travailler avec les malades indiens pour qu’ils fas-
  • 44. 44 sent pareil dans leur pays, inciter le gouvernement marocain à collabo- rer avec le gouvernement indien et à définir des stratégies communes. Dr Othoman Mellouk : Merci, Gaëlle ! Gaëlle travaille avec nous depuis plusieurs années sur le dos- sier des médicaments génériques. C’est notamment grâce à elle que nous avons pu mener l’analyse du texte complexe de l’accord écono- mique de libre-échange avec les Etats-Unis. Nous avons adressé cette analyse aux députés du Parle- ment. Un participant : J’ai une série de questions pour notre invitée liba- naise. Quelles sont vos proposi- tions pour lutter contre les viola- tions des droits individuels ? Quelle est la situation épidémiologique au Liban ? Existe-t-il des associations spécialisées dans la lutte contre le sida ? Quel est le lien entre la reli- gion et le respect des droits de l’homme ? Existe-t-il des lois qui règlementent les tests de dépis- tage ? Afamia Kaddour : Il n’existe pas au Liban de système de déclaration obligatoire des maladies infec- tieuses. Le nombre de cas de sida est estimé à 700. Les prestations de santé sont gratuites, mais les per- sonnes vivant avec le VIH souf- frent de stigmatisation. Une seule association travaille spécifiquement dans le domaine du sida, mais les autres associations qui luttent pour la défense des droits individuels sont également amenées à travailler sur le problème du sida. Les hommes de religion condamnent tous l’homosexualité, la consomma- tion de drogue et le travail du sexe. Le poids des religions est très fort. Par exemple, lorsque deux per- sonnes de religion différente sou- haitent se marier, elles sont obligées d’aller à l’étranger. La laïcité est re- fusée au Liban. Les militants du monde arabe doivent donc s’entraider et collaborer dans la lutte pour la laïcité. Un participant : Cette probléma- tique « Sida, santé et droits de l’homme » est nouvelle pour les mi- litants des associations de défense des droits de l’homme. Il faut col- laborer avec ces associations afin qu’elles adoptent des plans d’action qui viendront compléter la lutte de
  • 45. 45 l’ALCS. Le fondement de cette lutte, ce sont les droits humains dans leur universalité et leur globa- lité.
  • 46. 46 POLITIQUE DE PREVENTION ET DISCRIMINATION Table ronde n°2 L’L’ESTIME DE SOI DANS LESTIME DE SOI DANS L ’’APPROCHE DE PROXIMITAPPROCHE DE PROXIMITE AUPRESE AUPRES DES POPULATIONS VULNDES POPULATIONS VULNERABLESERABLES,, Amine Boushaba DDROITS DES FEMMES ENROITS DES FEMMES EN MAMATIERE DE SEXUALITE ETIERE DE SEXUALITE ET DE SANTET DE SANTE REPRODUCTIVEREPRODUCTIVE,, Dr Hicham El Asli AATTEINTES A LA VIE PRTTEINTES A LA VIE PRIVEE DES PERSONNES VIVEE DES PERSONNES VIVANT AVEC LEIVANT AVEC LE VIH/VIH/SIDASIDA :: QUELLES REPONSES JURQUELLES REPONSES JURIDIQUES ET SOCIALESIDIQUES ET SOCIALES ?? Marc Morel PPLACE DE LA PREVENTIOLACE DE LA PREVENTION AUPRES DES POPULATN AUPRES DES POPULATIONSIONS VULNERABLES DANS LEVULNERABLES DANS LE PLPLAN STRATEGIQUE NATIOAN STRATEGIQUE NATIONALNAL ,, Dr Hamida Khattabi Modérateur : Eric Fleutelot
  • 47. 47 La place de la prévention auprès des populations vulnérables dans le plan stratégique national de lutte contre le sida Dr Hamida Khattabi Je remercie vivement le Pr Hakima Himmich de me donner une nou- velle fois la parole. Depuis plu- sieurs années, le Programme natio- nal de lutte contre le sida et la Direction de l’épidémiologie ont toujours répondu présent lors de ces importantes manifestations que sont les Assises nationales de l’ALCS. Les Assises constituent pour le Ministère de la Santé l’occasion de mettre en exergue un certain nombre de ses réalisations dans le cadre de la lutte contre le sida, mais également de réaffirmer son attachement au partenariat pri- vilégié avec l’ALCS, un partenariat fructueux et exemplaire. Le Pr Himmich et le comité d’organisation des Assises m’ont proposé comme sujet « La place de la prévention auprès des popula- tions vulnérables dans le plan stra- tégique national de lutte contre le sida » ; j’ai toutefois préféré vous présenter les principales réalisations du Ministère de la Santé aussi bien en matière de prévention auprès des groupes vulnérables que d’accès aux traitements pour les personnes vivant avec le VIH. Je voudrais d’ailleurs souligner combien la col- laboration avec l’ALCS a été indis- pensable pour atteindre nos objec- tifs. Je voudrais également remercier Madame Jroundi qui a d’abord travaillé à l’ALCS avant de devenir responsable du PNLS. J’ai énormément appris auprès d’elle. Permettez-moi également de rendre hommage au Dr Jawad Mahsour, ancien directeur du Département de l’épidémiologie, qui a initié la collaboration avec l’ALCS. Je présenterai tout d’abord la situa- tion épidémiologique au Maroc, puis les objectifs de la stratégie na- tionale, et enfin les principales réa- lisations. Concernant la situation épidémio- logique au Maroc, nous avons pu mettre en place un certain nombre de systèmes de surveillance épidé- miologique. Ces systèmes nous permettent de mesurer l’évolution de l’épidémie, ou du moins de faire des estimations. Le premier sys- tème repose sur les déclarations de
  • 48. 48 cas de sida faites par les médecins traitants. Jusqu’à l’an passé, près de 85% des déclarations provenaient du pôle d’excellence de Casablanca, c’est-à-dire du service des maladies infectieuses du Pr Himmich au CHU Ibn Rochd. Avec l’équipe du Pr Himmich, nous avons travaillé sur une décentralisation du système de prise en charge ; aujourd’hui, des centres référents commencent ainsi à émerger dans le pays. La surveil- lance sentinelle constitue le second système de surveillance. Elle a été mise en place en 1993. Chaque an- née, nous suivons un certain nombre de groupes de la popula- tion, parmi lesquels les porteurs IST, les femmes enceintes, et les tuberculeux. Le troisième système de surveillance est la surveillance transfusionnelle. Depuis 1988, tout don de sang est contrôlé afin d’éviter les risques de contamina- tion par le VIH. Depuis 1993, c’est également le cas pour les hépatites B et C. La surveillance transfusion- nelle permet de mesurer la préva- lence de l’infection à VIH auprès des donneurs de sang. Enfin, la surveillance de deuxième généra- tion constitue le quatrième et der- nier système de surveillance. Il s’agit de surveiller la prévalence dans les groupes vulnérables, de mesurer leurs connaissances en ma- tière de VIH et d’analyser leurs comportements. Le Maroc comptait au 31 décembre 2004 1587 cas de sida déclarés. Le premier cas de sida a été diagnosti- qué en 1986. On observe depuis cette date une progression régulière de l’épidémie avec plusieurs pics, notamment en 1998, 2002 et 2004. Comment expliquer ces pics ? Ils sont tous liés à des phases intenses de communication autour de la ma- ladie. En 1998 a été commémorée la Journée mondiale du sida ; l’introduction de la trithérapie au Maroc a alors donné lieu à de nombreuses actions de communi- cation. En 2002, on a de même beaucoup parlé de l’initiative Ac- cess de l’ONUSIDA en faveur de la baisse du prix des traitements anti- rétroviraux. Enfin, 2004 est l’année de la campagne nationale de com- munication sociale. Grâce aux systèmes de surveillance mis en place, nous disposons d’un certain nombre d’informations concernant la prévalence dans dif- férents groupes de la population. C’est le cas notamment pour les
  • 49. 49 professionnel(le)s du sexe ; en 2003, la prévalence dans ce groupe était estimée à 2,27%. Il faut souli- gner que le Maroc a été parmi les premiers pays en 2003 à instaurer cette surveillance de deuxième gé- nération auprès des profession- nel(le)s du sexe suite aux recom- mandations de l’OMS en 2002. Ceci a été possible grâce à la colla- boration de l’ALCS qui organise des consultations IST pour les pro- fessionnel(le)s du sexe dans ses dif- férentes sections. La surveillance de deuxième génération a également été mise en place auprès des déte- nus grâce au soutien de l’administration pénitentiaire. Dans le cadre de la surveillance sentinelle, on observe une tendance à l’augmentation de la prévalence chez les femmes enceintes. J’en viens maintenant à la stratégie nationale de lutte contre le sida. Je voudrais rappeler combien l’environnement politique et juri- dique national est favorable à la lutte contre l’épidémie. Première- ment, on note un engagement poli- tique au plus haut niveau. Sa Majes- té Mohammed VI a présenté le plan stratégique national lors de la session extraordinaire des Nations Unies à New York en juin 2001. Il a inauguré en 2002 l’hôpital de jour pour le suivi des personnes vivant avec le VIH à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca. Récemment, au mois d’avril 2005, il a visité le ser- vice des maladies infectieuses dirigé par le Pr Himmich. Deuxièmement, le Maroc a publié un nouveau code de la famille garant des droits de la femme. C’est une fierté pour le pays car on ne peut pas parler de prévention auprès des femmes sans disposer d’un cadre légal adéquat. Enfin, le dernier facteur détermi- nant est l’application du quota pour la représentation des femmes au Parlement. Il faut également noter que la réac- tion du Ministère de la Santé face au sida a été précoce. Le premier programme national de lutte contre le sida a été mis en place dès 1988. De même s’est instaurée très tôt une collaboration entre l’ALCS et le Ministère de la Santé. Celui-ci a en effet toujours su qu’il ne pouvait pas tout seul combattre efficace- ment le sida. Le programme national de lutte contre les IST/sida comprend trois actions principales :
  • 50. 50 - la prise en charge des IST à tra- vers l’approche syndromique Les IST ont longtemps constitué un problème majeur de santé pu- blique. Jusqu’à récemment, on comptait environ 350000 nouveaux cas d’IST chaque année. C’est pourquoi la lutte contre les IST et l’amélioration de leur prise en charge ont été inscrites comme priorité dans le programme natio- nal. - les activités IEC ciblées en privi- légiant une approche multisecto- rielle - le dépistage et la prise en charge des personnes infectées par le VIH L’objectif global du plan stratégique national de lutte contre le sida 2002-2004 est double : couvrir par des activités de prévention de quali- té 200000 personnes appartenant aux groupes vulnérables ; prendre en charge 800 personnes vivant avec le VIH. Les groupes vulné- rables sont ainsi au cœur de l’action du Ministère de la Santé. Ils ont été identifiés au niveau local par les as- sociations. En lien avec les groupes vulnérables, des zones prioritaires ont été choisies. Passons maintenant aux principales réalisations. Des guides nationaux de référence ont été élaborés : prise en charge syndromique des IST ; diagnostic et prise en charge de l’infection par le VIH/sida ; éduca- tion formelle ; éducation par les pairs pour les groupes vulnérables ; dépistage volontaire anonyme et gratuit ; gestion des déchets pointus et tranchants. Ces guides visent à définir des normes claires de quali- té. Tous ces guides, à une exception près, ont été élaborés en étroite col- laboration avec l’ALCS et l’équipe du Pr Himmich au CHU Ibn Rochd. Le guide de la prise en charge syndromique des IST a no- tamment été implanté au niveau de toutes les formations sanitaires. Mais une telle action restait insuffi- sante car beaucoup de groupes vul- nérables ne viennent pas dans les centres de santé. Aussi est-ce grâce aux centres de dépistage anonyme et gratuit de l’ALCS que nous avons pu atteindre ces groupes. En matière de prévention, un grand événement a eu lieu au Maroc en juin 2004, à savoir le lancement de la campagne nationale de commu- nication sociale. Pour la première fois, nous avons communiqué non seulement autour de l’existence du sida et des moyens de prévention,
  • 51. 51 mais nous avons également affiché partout le préservatif. Le plan stratégique national compte 4 phases : - sensibilisation et prise de conscience - information sur les modes de transmission et de prévention - lutte contre la stigmatisation et la discrimination - promotion du dépistage ano- nyme et gratuit. Nous venons d’achever la phase 3 et nous sommes aujourd’hui en plein lancement de la phase 4. L’apport de l’ALCS a une nouvelle fois été déterminant : l’association a été pendant longtemps la seule as- sociation au Maroc à proposer des tests de dépistage anonymes et gra- tuits. Le guide national de référence a été élaboré par l’ALCS afin de mettre à niveau toutes les autres as- sociations. Depuis deux ans, deux autres associations, à savoir l’OPALS et la Ligue, proposent ce type d’activité. L’ALCS reste ce- pendant leader avec 2847 tests réa- lisés au cours de l’année 2004. La prévention de proximité compte également parmi les principales réa- lisations. Le Ministère de la Santé a bénéficié de la longue expérience de l’ALCS en matière d’éducation par les pairs auprès des groupes vulnérables et a implanté cette acti- vité en partenariat avec les autres associations et les départements gouvernementaux à caractère so- cial. Je voudrais maintenant parler de l’accès aux traitements. C’est lors de la conférence internationale de Vancouver en 1996 qu’ont été pré- sentés pour la première fois les ré- sultats de la trithérapie. Suite à cette conférence, le Pr Himmich a insisté auprès du Ministère de la Santé pour que la trithérapie soit intro- duite au Maroc. Pendant plusieurs mois, nous avons ainsi travaillé avec le Pr Himmich sur la réalisa- tion d’un consensus national. Les recommandations du consensus de Marrakech élaboré en novembre 1997 ont été traduites en circulaire en 1998, date de l’introduction de la trithérapie au Maroc. Le Maroc a pu bénéficier de l’Initiative ACCESS mise en place par l’ONUSIDA pour accélérer l’accès aux antirétroviraux. L’ALCS a éga- lement demandé l’abolition des droits de douane et de TVA sur les antirétroviraux. Le Ministère de la