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L'EXPANSION DES MURS : LE REFLET D'UN MONDE FRAGMENTÉ ?
Frank Neisse et Alexandra Novosseloff
I.F.R.I. | Politique étrangère
2010/4 - Hiver
pages 731 à 742
ISSN 0032-342X
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2010-4-page-731.htm
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Pour citer cet article :
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Neisse Frank et Novosseloff Alexandra, « L'expansion des murs : le reflet d'un monde fragmenté ? »,
Politique étrangère, 2010/4 Hiver, p. 731-742. DOI : 10.3917/pe.104.0731
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page 729 dossier
LES MURS :
SÉPARATIONS ET TRAITS D’UNION
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DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
par Frank Neisse et Alexandra Novosseloff
Frank Neisse travaille au sein du Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne.
Alexandra Novosseloff est chercheure-associée au Centre Thucydide de l’université de
Panthéon-Assas (Paris II). Elle a co-écrit avec Frank Neisse le livre illustré Des murs entre
les hommes (Paris, La Documentation française, 2007) dont les photos font l’objet de
plusieurs expositions de par le monde.
Les murs élevés dans le monde depuis la fin de la guerre froide veulent
répondre à la déterritorialisation, à la fragmentation, engendrées par la
mondialisation, et à l’émergence de menaces nouvelles. Ces murs physi-
ques peuvent revêtir des aspects virtuels, à l’aide des nouvelles techno-
logies. Mais leur efficacité est toujours limitée à l’immédiat : elle est une
réponse de court terme à des problèmes de long terme. Les murs isolent
les problèmes mais ne les résolvent pas.
politique étrangère
Avec la fin de la guerre froide et la chute de mur de Berlin en
novembre 1989, le monde allait enfin pouvoir devenir ce « village
planétaire » tant attendu. D’aucuns évoquaient même la fin de l’histoire.
Depuis la fin des années 1980, la tendance à la mondialisation s’accentua
significativement. Les barrières commerciales étaient progressivement
supprimées sous l’impulsion de l’Accord général sur les tarifs douaniers et
le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade, GATT), puis de
l’Organisation mondiale du commerce, la création de vastes espaces de
libre-échange facilitait la circulation des biens et des personnes, et l’appa-
rition des nouvelles technologies de l’information permettait la globalisa-
tion de la communication et de la transmission des idées.
Ces développements fondamentaux, qui structurent le monde d’aujour-
d’hui, se doublaient pourtant de phénomènes contraires, moins visibles de
prime abord, mais tout aussi importants, dont celui d’une relative fragmen-
tation. Symbole le plus visible de ce dernier phénomène, la multiplication
politique étrangère l 4:2010
Les auteurs s’expriment ici à titre personnel et la responsabilité de leurs propos ne saurait engager leurs
institutions de rattachement.
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politique étrangère l 4:2010
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silencieuse de murs de séparation, en acier ou en béton, en différents endroits
de la planète. Selon Michel Foucher, il existerait aujourd’hui 17 murs interna-
tionaux, couvrant 7 500 kilomètres, soit 3 % des frontières actuelles (Foucher,
2007). Mais si tous les projets en cours étaient menés à terme, le monde comp-
terait 18 000 kilomètres de frontières fortifiées.
Certes, l’érection de murs n’est pas un phénomène nouveau. Au IVe siècle
avant J.-C. déjà, Alexandre le Grand érigeait un mur pour éloigner les Bar-
bares, entre les montagnes du Caucase et les berges de la mer Caspienne. La
Grande Muraille de Chine de la dynastie Qin, commencée au IIIe siècle avant
J.-C., fut opérationnelle pendant plusieurs siècles. D’autres exemples histo-
riques, comme le mur romain d’Hadrien, le mur de l’Atlantique, les lignes
Pedron ou Morice, voire la ligne Maginot, peuvent aussi être cités.
L’ensemble de ces murs assuraient surtout une fonction défensive, au sens mili-
taire du terme. Il s’agissait avant tout de contrer, aux frontières mêmes d’un ter-
ritoire contrôlé, une éventuelle attaque de troupes ennemies bien identifiées.
La nouveauté des XXe et XXIe siècles réside dans le fait que les obstacles
physiques aux échanges se sont multipliés, alors même que nous deve-
nions plus mobiles, que les barrières physiques semblaient s’estomper et
que la « fin des territoires » semblait devenir réalité1. Le paradoxe n’est
qu’apparent. En réalité, la tentation des murs semble pour beaucoup cons-
tituer une réponse, plus ou moins efficace et crédible, à certains
« nouveaux » défis engendrés par la mondialisation (terrorisme, pauvreté,
immigration). Peut-on, pour autant, réunir tous les murs dans une seule et
même catégorie ? Quelles sont les nouvelles menaces auxquelles certains
murs sont supposés apporter leur solution ? Quelle est leur efficacité
réelle ? Que révèlent-ils sur l’état de notre monde, et de nos sociétés ?
Nouvelles menaces, nouveaux murs, fragmentations
Menaces, conflictualités et fragmentation : une mondialisation à rebours
Le processus de mondialisation s’est accéléré à la fin des années 1980. La
mobilité accrue des facteurs de production, travail, capital, mais également
celle des idées et des valeurs, ont entraîné le développement des liens
d’interdépendance à l’échelle mondiale entre les hommes, les activités éco-
nomiques et les systèmes politiques et sociétaux. Il n’est plus possible
aujourd’hui de raisonner uniquement sur un plan national ou local ; toute
décision doit prendre en compte la dimension internationale.
1. En référence au livre de Bertrand Badie, La Fin des territoires. Essai sur le désordre international et
l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995.
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L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
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DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
Certains défenseurs de la mondialisation néolibérale vont jusqu’à
remettre en cause le principe même des États-nations, désormais moins
adaptés, au profit d’une gouvernance mondiale plus souple. Les outils tra-
ditionnels des politiques publiques, telles la fiscalité ou la mise en place de
normes réglementaires, perdent de leur efficacité dans un environnement
mondialisé. L’ampleur des flux financiers et des échanges de marchandises
affaiblit le contrôle des États-nations. À titre d’exemple, 3 200 milliards de
dollars sont aujourd’hui échangés chaque jour sur les marchés financiers.
Comment un État pourrait-il influencer à lui seul ces marchés ? Les tensions
se multiplient dès lors entre État et marché, entre sécurité des entités éta-
tiques et mouvements de capitaux, bref entre territorialisation et déterrito-
rialisation. Plus que jamais, l’externe influence l’interne, et suggère une
moindre pertinence des frontières, des limites territoriales, voire une dispa-
rition de la capacité de contrôle de frontières toujours plus contournables.
En matière de conflictualité, les enjeux ont également profondément
évolué depuis la fin de la guerre froide. Si les « affrontements tradi-
tionnels » d’armées constituées ne sont pas à exclure, de nouvelles
menaces ont vu le jour, face auxquels nos outils traditionnels de sécurité
semblent parfois démunis. Les menaces sont devenues largement asymé-
triques, transfrontalières, voire déterritorialisées
(alors même que l’une des caractéristiques majeures
de l’État-nation reste le contrôle exclusif d’un
territoire). Aucun des conflits d’aujourd’hui n’est
réductible au binôme ami-ennemi. Certaines crises
internes peuvent même constituer des facteurs d’exportation de l’insécu-
rité à des milliers de kilomètres de leur lieu de gestation. Le terrorisme, les
réseaux de la criminalité organisée, ainsi que les trafics illicites, se sont
développés et mondialisés ; ils prolifèrent sur la faiblesse des États et la
porosité des frontières.
La principale origine de ces évolutions réside dans le développement non
maîtrisé de la mondialisation qui, in fine, ne profite qu’à un nombre limité de
populations. La croissance mondiale est inéquitablement redistribuée, alors
même que les laissés-pour-compte ont une meilleure connaissance du
monde qui les entoure, grâce surtout aux nouvelles technologies de l’infor-
mation. Parallèlement, les États les moins compétitifs s’enfoncent dans la
crise et peinent offrir des perspectives communes à leurs citoyens. Comme
le rappelle Tzvetan Todorov, auteur en 2008 de La Peur des barbares2, il a fallu
que se produise la remarquable interconnexion actuelle des différentes
parties du monde pour que renaisse le rêve des laissés-pour-compte. Dès
2. T. Todorov, La Peur des barbares : au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008.
Un développement
non maîtrisé
de la mondialisation
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politique étrangère l 4:2010
734
lors, frictions et tensions ne peuvent que se multiplier aux frontières des
mondes riches et pauvres : ce sont les conflits de la fragmentation.
Pour répondre à ces nouvelles menaces, il n’y a pas de gouvernance
mondiale pertinente, les acteurs impliqués étant trop hétérogènes, et leurs
intérêts divergents. À défaut, la « tentation des murs » se fait plus grande,
plus aisée à mettre en œuvre sur les frontières qui séparent les États-Unis
et le Mexique, l’Inde et le Bangladesh, le Botswana et le Zimbabwe, les
enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla du continent africain, la Chine et
la Corée du Nord, ou l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Yémen. Ces murs
constituent des réponses à des flux économiques, sociaux et religieux, trans-
nationaux. En ce sens, comme l’affirme Wendy Brown, « les murs actuels
marquent moins la résurgence, en pleine modernité tardive, de la souverai-
neté de l’État-nation, qu’ils ne sont des icônes de son érosion » (Brown,
2009). La construction de murs est en réalité la caractéristique d’un mouve-
ment à rebours de la tendance générale que constitue la mondialisation.
Les murs face aux nouvelles menaces
La multiplication des menaces et la mondialisation qui uniformise, alliées
à une remise en cause des repères et valeurs traditionnels, peuvent engen-
drer une tentation de repli sur soi pour retrouver du sens, et se donner
l’illusion de contrôler un environnement que l’on a en réalité du mal à
appréhender, et à comprendre. Dans le refus de certains effets de la mon-
dialisation, une partie du monde, ou certains endroits de ce monde se frag-
mentent, se désolidarisent. La multiplication des murs est, dans un monde
globalisé, le symbole le plus fort de cette fragmentation apparemment
paradoxale. C’est la thèse défendue par Wendy Brown, pour qui les murs
« représentent une réaction à la désorientation et à la dissolution de la sou-
veraineté étatique sous l’effet de la globalisation, et sont construits pour
bloquer des flux de personnes, des produits de contrebande et des vio-
lences qui n’émanent pas d’entités souveraines ». Elle ajoute : les murs
« encouragent l’avènement d’une société toujours plus fermée et sur-
veillée, en lieu et place d’une société ouverte qu’ils prétendent défendre.
Les nouveaux murs ne sont donc pas simplement inefficaces et impuis-
sants à ressusciter une souveraineté étatique fragilisée, ils engendrent
aussi, dans une ère post-nationale, de nouvelles formes de xénophobie et
de repli sur soi » (Brown, 2009). Beaucoup de pays considèrent aujourd’hui
que « les bonnes barrières font les bons voisins » – selon une expression du
poète américain Robert Frost.
Jusque dans les années 1980, les murs s’inscrivaient dans un cadre
militaire et politique traditionnel, souvent érigés à la suite d’un conflit. Ils
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L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
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DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
servaient – et servent toujours – à définir des limites territoriales, ou de
zones d’influence, à pérenniser un fait accompli, ou encore à geler une
situation dans l’attente d’un règlement ultérieur. Ce statu quo caractérise
bien la situation de la péninsule coréenne, coupée en deux depuis 1953,
celle de l’île de Chypre, divisée et occupée par l’armée turque au Nord
depuis 1974, du Cachemire, zone de tension permanente entre l’Inde et le
Pakistan depuis 1947, et du Sahara occidental, avec le conflit qui oppose le
Maroc au Front Polisario depuis 1975.
Mais ces dernières années, les murs se sont multipliés pour tenter de
répondre aux nouveaux défis de la mondialisation et aux nouvelles
menaces. Les barrières de Ceuta et de Melilla ont été renforcées ; la fron-
tière américano-mexicaine est progressivement murée, clôturée ; Israël a
entamé depuis 2003 la construction d’une « clôture de sécurité » afin
d’endiguer les attentats suicides de certains Palestiniens. Du Botswana, qui
a construit depuis 2003 une barrière électrifiée le long de sa frontière avec
le Zimbabwe, à l’Inde, qui renforce par des barbelés sa frontière avec le
Bangladesh, en passant par l’Arabie Saoudite qui a décidé de fermer ses
frontières avec l’Irak et le Yémen en construisant une barrière électronique,
les exemples sont multiples. De manière récurrente, les autorités pakista-
naises parlent d’élever une barrière le long de la frontière afghane pour
brider la circulation des insurgés islamistes et des trafiquants de drogue.
D’une certaine façon, la scène internationale d’aujourd’hui réplique, à
l’échelle mondiale cette fois, le phénomène des gated communities 3 apparu
aux États-Unis dans les années 1970. Avec les nouveaux murs, ce n’est plus
tant la protection que la séparation qui est privilégiée, ainsi que le renfor-
cement, voire la création dans le cas des conflits gelés, de frontières dont
on entend montrer la réalité, la tangibilité. Plus encore, certains États
peuvent tenter de justifier la persistance d’anciens murs par de nouvelles
menaces, comme au Sahara occidental où, pour les autorités marocaines, la
lutte contre l’immigration clandestine est devenue une priorité.
Une physionomie des murs en constante évolution : du réel au virtuel
Les murs se multiplient ainsi sous diverses formes, plus ou moins visibles,
plus ou moins réelles, ou virtuelles. Des États pensent trouver là une
parade face à de nouvelles conflictualités. Avec les progrès technologiques
3. Selon la définition de J. Blakely et M. G. Snyder : « des quartiers résidentiels dont l’accès est contrôlé,
et dans lesquels l’espace public est privatisé. Leurs infrastructures de sécurité, généralement des murs
ou grilles et une entrée gardée, protègent contre l’accès des non-résidants. Il peut s’agir de nouveaux
quartiers ou de zones plus anciennes qui se sont clôturées, et qui sont localisés dans les zones urbaines
et périurbaines, dans les zones les plus riches comme les plus pauvres » (Fortress America, Gated
Communities in the United States, Washington / Cambridge (MA), BIP, 1997).
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politique étrangère l 4:2010
736
et l’apparition de menaces transfrontalières liées à différents trafics
(drogue, êtres humains), l’aspect même des murs a tendance à changer.
Constitués d’abord d’obstacles continus de béton ou d’acier scandés à
intervalles réguliers de postes de guet, les murs incorporent progressive-
ment de multiples équipements électroniques de détection. Aux États-
Unis, des drones munis de caméras infrarouges survolent désormais de
manière régulière certaines parties de la frontière. Des tours de sur-
veillance de 30 mètres de haut ont été installées dans les
régions désertiques : ce sont des pylônes métalliques
élancés sur lesquels sont fixés des caméras et des radars
capables de couvrir 45 kilomètres de frontière. Cet
ensemble électronique constitue ainsi une sorte de
« mur invisible », qui permettra, selon la Border Patrol, de capturer à terme
près de 95 % des migrants. Ce mur virtuel, au coût financier exorbitant,
possède le grand avantage d’être plus « acceptable » aux yeux des popula-
tions concernées, parce qu’il est moins visible et apparemment, moins
violent. Les gouvernements tendent donc à privilégier cette forme de murs
sophistiqués, même si la technologie ne peut se substituer au facteur
humain en matière de vigilance, et de surveillance.
L’acceptation par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN),
en novembre 2010, du projet américain d’une défense antimissile du terri-
toire, participe d’une logique qui est à la fois celle de la modernisation tech-
nologique de la fonction de défense, et de la séparation. Face à la
prolifération balistique et nucléaire, les membres de l’Alliance décident de
se protéger par un bouclier virtuel, un mur dans l’espace, au moment où
l’on peut estimer qu’une cinquantaine de pays, en Asie et au Moyen-Orient
pour l’essentiel, maîtriseront d’ici à 2020 la technologie des missiles de
moyenne portée. Dans un même esprit de virtualité, on relèvera également
l’érection d’un véritable « mur de Schengen » qui, avec la multiplication,
en amont, des démarches administratives pour obtenir un visa d’entrée sur
l’espace européen, entend aider à contrôler certains flux migratoires.
Plus encore, le développement des réseaux informatiques a contribué à
l’émergence d’une nouvelle catégorie de menaces (les cybermenaces) aux-
quelles des murs exclusivement virtuels, les pare-feu, tentent de s’opposer.
La cybercriminalité est devenue un enjeu de sécurité majeur, ainsi que le
prouve la récente contamination, en Iran, de 30 000 ordinateurs industriels
par le virus Stuxnet, du fait d’une attaque informatique lancée de l’étran-
ger. Pour faire face à de telles menaces, susceptibles de désorganiser pro-
fondément les infrastructures vitales d’un pays, plusieurs États se sont
récemment dotés de structures de commandement spécifiques, à l’image
du United States Cyber Command activé en mai 2010, et dépendant du
Les murs virtuels,
de Schengen
à la cybernétique
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L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
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DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
commandement stratégique américain. Le contrôle de la diffusion des
idées est aussi devenu un enjeu majeur de sécurité, comme le montrent les
murs Internet élevés sur leur territoire même par les autorités chinoises.
Les murs virtuels contrent et contrôlent les entrées et les sorties des flux,
même si les failles, les contournements, demeurent possibles.
Ainsi donc les murs, réels comme virtuels, tentent de proposer « ce que
Heidegger appelait un “tableau du monde rassurant”, à une époque où
s’effacent progressivement les horizons, les limites, et la sécurité grâce aux-
quels s’est historiquement effectuée l’intégration socio-psychique des êtres
humains »4. Ils ont également pour objectif de « re-simplifier », ou de
« décomplexifier », une réalité du monde ramenée à une distinction claire
entre « nous » et les autres », entre intérieur et extérieur, entre ami et
ennemi, entre bon côté et mauvais côté du mur, entre connu et inconnu,
entre riche et pauvre, entre sûr et risqué, entre désiré et indésirable. En ce
sens, le mur marque l’asymétrie, matérialise la différence et le déséquilibre
produits par une séparation à la fois voulue et subie. De fait, « le mur court
toujours le long d’une ligne de déséquilibre, ligne de faille de la globalisa-
tion, déséquilibre de richesse, déséquilibre de puissance » (Ritaine, 2009).
Nouveaux murs, anciennes peurs : une efficacité relative
Une réponse simple face à l’urgence
La mondialisation produit un sensible raccourcissement de l’espace-temps.
Dans un monde dont le mouvement s’accélère, les opinions souhaitent
d’abord des réponses rapides, face à des menaces réputées insaisissables, et
qui font peur. L’érection d’un mur offre l’immense avantage, pour les gou-
vernants du moment, de donner l’impression, ou l’illusion, de « faire
quelque chose ». La démonstration a un effet rassurant, à la fois sur la capa-
cité d’agir des gouvernants et sur la reconnaissance des « dangers ». La
construction d’un mur se fait donc toujours avec l’accord plus ou moins
tacite de l’opinion publique du pays concerné. La construction du mur israé-
lien a, par exemple, été décidée à la suite de l’action d’un mouvement
citoyen (Fence for Life) créé, en juin 2001, pour promouvoir le principe
même d’une barrière, relativement déconnectée de la problématique des
frontières, dans le contexte d’une vague d’attentats suicides (qui, au total,
ont fait près de 1 000 victimes et traumatisé durablement la population
israélienne). Ce « mur de séparation » ne fait guère débat au sein de la société
israélienne, et ce, en dépit de son coût financier très lourd de 2,5 millions
d’euros le kilomètre. Ainsi, les murs « fonctionnent souvent sur un mode
4. B. Badie, op. cit. [1].
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politique étrangère l 4:2010
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spectaculaire, projetant un pouvoir et une efficacité qu’ils ne sauraient
exercer concrètement et qui sont contredits dans les faits » (Brown, 2009).
À court terme, ces « investissements » semblent efficaces. Au Sahara
occidental, le Berm a contraint les forces du Front Polisario à cesser leurs
opérations militaires de harcèlement sur les grandes villes. Le mur de sépa-
ration construit entre Israël et les territoires palestiniens occupés a permis
une diminution significative du nombre d’attentats à la bombe commis par
des kamikazes palestiniens. La construction d’une barrière électrifiée sur la
ligne de contrôle entre le Jammu-et-Cachemire et l’Azad Cachemire a aidé
les autorités indiennes à contrer les infiltrations de militants djihadistes
venus du Pakistan. En surélevant et en renforçant la barrière à Melilla et à
Ceuta, les autorités espagnoles ont pratiquement stoppé l’émigration sub-
saharienne vers ces enclaves, et protégé pour un temps l’équilibre démo-
graphique de ces deux villes, enserrées dans un territoire très limité, face à
la mer. Et si de nombreux migrants parviennent encore à passer la frontière
américano-mexicaine, c’est seulement parce que le mur n’y est pas encore
continu. Dans le cas des conflits gelés, le mur peut aussi constituer une
sorte de mesure de précaution, voire d’apaisement des tensions, un moyen
d’éviter la reprise du conflit, et de faciliter la reprise de lentes et laborieuses
négociations (cas du Sahara occidental, de l’Irlande du Nord, ou de
Chypre). Mais ces blocages qui entraînent de multiples restrictions, cet
enfermement, sont-ils viables sur le long terme ?
Plutôt que de résoudre le problème d’origine, on le contourne, on le
contient par la construction d’un mur. Comme le rappelle Jagdish N.
Bhagwati, économiste américano-indien, à propos du mur de barbelés
entre l’Inde et le Bangladesh, « construire la barrière, c’est la meilleure
façon de ne rien faire tout en donnant l’impression de faire quelque
chose5 ». La multiplication des murs est aussi le reflet d’une logique sécuri-
taire prédominante depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le mur
devient même un véritable marché international, largement contrôlé par les
Américains et les Israéliens. Aux États-Unis, le Homeland Security estime
à 178 milliards d’ici à 2015 le volume du marché mondial de la sécurisation
des frontières. La barrière électronique en cours de construction sur la fron-
tière entre l’Arabie Saoudite et l’Irak représente un marché de quelque
3 milliards de dollars. Dans ce domaine, le coût financier ne semble pas
constituer une réelle limite. Et les débats sur l’éventuelle réorientation de
ces fonds, vers l’aide au développement par exemple, sont quasiment
inexistants. Il est aussi rentable, aujourd’hui comme hier, d’investir dans la
guerre et le sécuritaire, que dans la construction de la paix…
5. Cité par Wendy Brown (2009), p. 143.
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L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
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DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
Une réponse imparfaite et un aveu d’impuissance
Si à court terme le mur rassure, sur le long terme il ajoute à la complexité
et peut avoir un effet contre-productif. Il n’est donc qu’une réponse impar-
faite au problème qu’il est censé résoudre. Comme le déclarait Janet
Napolitano, secrétaire d’État à la Sécurité intérieure des États-Unis :
« Construisez un mur de 15 mètres de haut, et on verra apparaître une
échelle de 16 mètres » !
Des stratégies de contournement sont donc élaborées en permanence
par ceux qui vivent, contraints, du « mauvais côté » du mur. Sur le mur de
Berlin on disait déjà : « Vous pouvez arrêter les peuples ; vous pouvez leur
poser des limites, mais ils trouveront d’autres voies6 ». Le temps joue pour
eux, et la motivation pour contourner les obstacles finit toujours par
l’emporter. Les exemples sont ici nombreux. Les autorités nord-coréennes
sont parvenues à construire d’imposants tunnels sous l’une des frontières
les plus militarisées au monde. En cas d’attaque, ces tunnels auraient pu
permettre le passage de troupes nord-coréennes qui auraient pris à revers
et désorganisé les lignes de défense sud-coréennes et américaines. Jusqu’à
présent, trois tunnels ont été découverts. En dépit de la frontière, hermé-
tique au Sud le long de la Demilitarized Zone (DMZ) et de
plus en plus surveillée au Nord sur le fleuve Yalu, des
milliers de Nord-Coréens ont réussi à rejoindre le Sud en
contournant la difficulté par la Chine, voire par l’Asie du
Sud-Est. Sous la ville-frontière mexicaine de Nogales, dans l’Arizona,
plusieurs tunnels, pour la plupart creusés par les trafiquants de drogue, ont
été identifiés par les policiers américains. Si le flux annuel de clandestins,
entre 2005 et 2008, semble tombé à 500 000, au lieu des 800 000 constatés
entre 2000 et 2004, cette baisse est avant tout due à une application plus
stricte des lois sur l’immigration (et notamment sur les expulsions : 300 000
en 2008) et non directement au mur. Et depuis la crise économique de 2008,
les familles mexicaines ont encore moins les moyens de payer les passeurs.
En fait, ce mur a surtout figé l’immigration illégale de l’autre côté, aux
États-Unis, en rendant la traversée beaucoup plus périlleuse. Il y a
aujourd’hui près de 12 millions d’immigrés clandestins aux États-Unis.
Au Sahara occidental, des représentants du gouvernement de la Répu-
blique arabe sahraouie démocratique (RASD) auraient trouvé les moyens
de franchir le Berm, et d’entretenir des liens étroits avec certains Sahraouis
vivant sur le territoire contrôlé par le Maroc. Dans la bande de Gaza, les
Palestiniens ont construit de nombreux tunnels sous le mur qui les sépare
6. F. Taylor, The Berlin Wall: A World Divided (1961-1989), New York, Harper’s Collins, 2007.
Les murs sont
troués…
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politique étrangère l 4:2010
740
de l’Égypte, mur qu’ils ont d’ailleurs pu faire tomber (provisoirement) en
mars 2007 en organisant une action de masse. Le renforcement des bar-
rières à Ceuta et à Melilla a déplacé les routes de l’immigration subsaha-
rienne vers l’Europe, qui passent désormais par les îles Canaries ou
certaines îles européennes de Méditerranée.
Non seulement les murs ne sont pas aussi efficaces qu’on veut le faire
croire, mais ils constituent des facteurs de déstabilisation encore plus impor-
tante sur le long terme. Le mur est, en effet, une réponse binaire à des problé-
matiques complexes, à des crises profondes. En ostracisant ceux qui sont « de
l’autre côté », les « emmurés », bien souvent autant victimes que les personnes
situées du « bon côté » de la barrière, le mur accentue les frustrations et les ran-
cœurs. Et les « emmurants » s’enferment dans leurs propres peurs, ainsi que
l’a remarquablement démontré Sylvain Cypel pour la société israélienne7. Les
circuits économiques sont désorganisés, les liens sociaux brisés, les liens fami-
liaux entravés. Érigés par les puissants du moment, les murs exacerbent les
tensions et rendent une solution encore plus difficile à trouver. Les popula-
tions situées du « mauvais côté » du mur sont souvent délaissées, et les pro-
blèmes qui se trouvent à l’origine des murs purement et simplement oubliés.
Qui se soucie réellement des dizaines de milliers de Sahraouis réfugiés depuis
plus de 30 ans en plein désert algérien ? Aujourd’hui, certains jeunes
sahraouis nés dans les camps n’hésitent plus à évoquer le recours à la violence
pour faire reconnaître leur cause. Qui se soucie aujourd’hui des Cachemiris
pris entre le marteau des militants islamistes soutenus par le Pakistan et
l’enclume des 450 000 soldats indiens déployés dans la région ?
Enfin, le mur est dangereux car il donne un faux sentiment de sécurité
aux puissants. Ainsi que l’exprime Jean-Christophe Rufin : « Ceux qui
construisent ces remparts pensent qu’ils accomplissent un acte de puis-
sance, que le mur est une manifestation de la force. En réalité, il est un signe
de faiblesse8 ». En croyant avoir isolé physiquement ce qu’elles perçoivent
comme de nouvelles menaces, les sociétés pensent résoudre leurs diffi-
cultés. Elles évitent ainsi de poser les véritables questions, comme celles
relatives à la redistribution des revenus liés à la mondialisation, qui per-
mettrait aux laissés-pour-compte de mieux s’en sortir. Elles oublient aussi
de traiter au plan politique la question des minorités. Dans ce contexte, les
murs symbolisent donc l’impuissance du politique à gérer ces nouvelles
problématiques, et produisent des éléments d’une instabilité future encore
plus grande : ils finissent par rendre le faible plus fort parce que plus
désespéré. Se joue ici aussi l’asymétrie des crises contemporaines.
7. S. Cypel, Les Emmurés – La société israélienne dans l’impasse, Paris, La Découverte, 2006.
8. Avant-propos in F. Neisse et A. Novosseloff (2007).
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L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ?
741
DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION
Le mur est synonyme d’échec de la politique : échec à vivre en harmonie
avec ses voisins, échec à réguler les flux migratoires, échec à mettre fin aux
réseaux illégaux, échec enfin à surmonter ses propres peurs obsidionales. « Un
mur est un monument élevé à l’échec d’une politique », dit Daniel Seideman, le
célèbre avocat israélien. Plus fondamentalement, un mur apparaît « chaque
foisqu’unecultureouunecivilisationn’apasréussiàpenserl’autre,àsepenser
avec l’autre » (P. Chamoiseau et E. Glissant, 2007). Dans de nombreux cas, les
murs marquent ainsi le passage d’une société dynamique et stimulante à une
société sur la défensive, soucieuse de défendre les avantages acquis, et de se
protéger d’un monde extérieur soudainement perçu comme hostile et incom-
préhensible. À défaut de vouloir, et de pouvoir, s’attaquer directement aux
causes profondes de ces nouvelles menaces, par nature extrêmement comple-
xes et multidimensionnelles, les politiques élisent une stratégie isolationniste,
ou de contournement physique. La politique traditionnelle normative se mue
progressivement en politique du béton et de l’acier.
***
Les liens de causalité entre mondialisation, fragmentation et construction
de nouveaux murs sont indéniables. Réponse imparfaite, voire dangereuse
des puissants du moment, les murs symbolisent également une conception
plus exclusive des affaires du monde et de la vie en société. Le sentiment
de sécurité tend à devenir un droit à part entière, et un objectif presque
plus important que le « bien-vivre avec les autres » ; la volonté de se
séparer d’un voisin que l’on ne comprend plus croît, tandis que se renforce
la détermination à se protéger et à s’affirmer dans un monde devenu trop
fluide. L’Histoire montre cependant que les « murs de la honte9 » sont
fragiles, et tous voués à tomber à plus ou moins brève échéance. S’ils
parviennent à freiner le cours de l’Histoire, ils ne peuvent l’arrêter.
Il faut prendre à bras-le-corps cette problématique, et inventer les outils
permettant à la mondialisation de se défragmenter. Comment rééquilibrer
le monde pour mieux partager la croissance ? Comment assurer la transi-
tion entre exclusion et intégration ? Comment répondre aux nouvelles
conflictualités de manière plus inclusive ? Poser ces questions, c’est affir-
mer une claire conscience : les murs isolent les crises mais ne les résolvent
pas. Il ne sert donc à rien de se cacher derrière le mur…
MOTS CLÉS
Murs de séparation, mondialisation, nouvelles menaces
9. En référence au film documentaire de Thierry Denis et Guy Ratovondrahona, Les murs de la Honte,
Helium Films, France, 2009.
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politique étrangère l 4:2010
742
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Banu, G., Des murs… au Mur, Paris, Gründ, 2009.
Brown, W., Murs : les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique,
Paris, Les prairies ordinaires, 2009.
Chamoiseau, P. et E. Glissant, Quand les murs tombent . L’identité nationale hors
la loi ?, Paris, éditions Galaade, 2007.
Foucher, M., L’Obsession des frontières, Paris, Perrin, 2007.
Kochert, F., Paroles de murs, Paris, éditions Serpenoise, 2003.
Neisse, F. et A. Novosseloff, Des murs entre les hommes, Paris, La Documentation
française, 2007.
Neisse, F. et A. Novosseloff, « La construction des murs ou la mondialisation à
rebours », Questions internationales, n˚ 33, septembre-octobre 2008.
Ritaine, E., « La barrière et le checkpoint : mise en politique de l’asymétrie »,
Cultures & Conflits, n˚ 73, printemps 2009.
Saada, J., « L’économie du mur : un marché en pleine expansion », Le Banquet,
n˚ 27, mai 2010.
Books, n˚ 9, « Les nouveaux murs de la peur », octobre 2009.
Cités, n˚ 31, « Murs et frontières. De la chute du mur de Berlin aux murs du
XXIe siècle », 2007.
Diplomatie, n˚ 41, « Ces murs qui nous séparent », novembre-décembre 2009.
Estuaires, « Le Mur », 2005.
Panoramiques, n˚ 67, « Des murs et des hommes », juin 2004.
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  • 2. page 729 dossier LES MURS : SÉPARATIONS ET TRAITS D’UNION Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 4. 731 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? par Frank Neisse et Alexandra Novosseloff Frank Neisse travaille au sein du Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne. Alexandra Novosseloff est chercheure-associée au Centre Thucydide de l’université de Panthéon-Assas (Paris II). Elle a co-écrit avec Frank Neisse le livre illustré Des murs entre les hommes (Paris, La Documentation française, 2007) dont les photos font l’objet de plusieurs expositions de par le monde. Les murs élevés dans le monde depuis la fin de la guerre froide veulent répondre à la déterritorialisation, à la fragmentation, engendrées par la mondialisation, et à l’émergence de menaces nouvelles. Ces murs physi- ques peuvent revêtir des aspects virtuels, à l’aide des nouvelles techno- logies. Mais leur efficacité est toujours limitée à l’immédiat : elle est une réponse de court terme à des problèmes de long terme. Les murs isolent les problèmes mais ne les résolvent pas. politique étrangère Avec la fin de la guerre froide et la chute de mur de Berlin en novembre 1989, le monde allait enfin pouvoir devenir ce « village planétaire » tant attendu. D’aucuns évoquaient même la fin de l’histoire. Depuis la fin des années 1980, la tendance à la mondialisation s’accentua significativement. Les barrières commerciales étaient progressivement supprimées sous l’impulsion de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade, GATT), puis de l’Organisation mondiale du commerce, la création de vastes espaces de libre-échange facilitait la circulation des biens et des personnes, et l’appa- rition des nouvelles technologies de l’information permettait la globalisa- tion de la communication et de la transmission des idées. Ces développements fondamentaux, qui structurent le monde d’aujour- d’hui, se doublaient pourtant de phénomènes contraires, moins visibles de prime abord, mais tout aussi importants, dont celui d’une relative fragmen- tation. Symbole le plus visible de ce dernier phénomène, la multiplication politique étrangère l 4:2010 Les auteurs s’expriment ici à titre personnel et la responsabilité de leurs propos ne saurait engager leurs institutions de rattachement. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 5. politique étrangère l 4:2010 732 silencieuse de murs de séparation, en acier ou en béton, en différents endroits de la planète. Selon Michel Foucher, il existerait aujourd’hui 17 murs interna- tionaux, couvrant 7 500 kilomètres, soit 3 % des frontières actuelles (Foucher, 2007). Mais si tous les projets en cours étaient menés à terme, le monde comp- terait 18 000 kilomètres de frontières fortifiées. Certes, l’érection de murs n’est pas un phénomène nouveau. Au IVe siècle avant J.-C. déjà, Alexandre le Grand érigeait un mur pour éloigner les Bar- bares, entre les montagnes du Caucase et les berges de la mer Caspienne. La Grande Muraille de Chine de la dynastie Qin, commencée au IIIe siècle avant J.-C., fut opérationnelle pendant plusieurs siècles. D’autres exemples histo- riques, comme le mur romain d’Hadrien, le mur de l’Atlantique, les lignes Pedron ou Morice, voire la ligne Maginot, peuvent aussi être cités. L’ensemble de ces murs assuraient surtout une fonction défensive, au sens mili- taire du terme. Il s’agissait avant tout de contrer, aux frontières mêmes d’un ter- ritoire contrôlé, une éventuelle attaque de troupes ennemies bien identifiées. La nouveauté des XXe et XXIe siècles réside dans le fait que les obstacles physiques aux échanges se sont multipliés, alors même que nous deve- nions plus mobiles, que les barrières physiques semblaient s’estomper et que la « fin des territoires » semblait devenir réalité1. Le paradoxe n’est qu’apparent. En réalité, la tentation des murs semble pour beaucoup cons- tituer une réponse, plus ou moins efficace et crédible, à certains « nouveaux » défis engendrés par la mondialisation (terrorisme, pauvreté, immigration). Peut-on, pour autant, réunir tous les murs dans une seule et même catégorie ? Quelles sont les nouvelles menaces auxquelles certains murs sont supposés apporter leur solution ? Quelle est leur efficacité réelle ? Que révèlent-ils sur l’état de notre monde, et de nos sociétés ? Nouvelles menaces, nouveaux murs, fragmentations Menaces, conflictualités et fragmentation : une mondialisation à rebours Le processus de mondialisation s’est accéléré à la fin des années 1980. La mobilité accrue des facteurs de production, travail, capital, mais également celle des idées et des valeurs, ont entraîné le développement des liens d’interdépendance à l’échelle mondiale entre les hommes, les activités éco- nomiques et les systèmes politiques et sociétaux. Il n’est plus possible aujourd’hui de raisonner uniquement sur un plan national ou local ; toute décision doit prendre en compte la dimension internationale. 1. En référence au livre de Bertrand Badie, La Fin des territoires. Essai sur le désordre international et l’utilité sociale du respect, Paris, Fayard, 1995. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 6. L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? 733 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION Certains défenseurs de la mondialisation néolibérale vont jusqu’à remettre en cause le principe même des États-nations, désormais moins adaptés, au profit d’une gouvernance mondiale plus souple. Les outils tra- ditionnels des politiques publiques, telles la fiscalité ou la mise en place de normes réglementaires, perdent de leur efficacité dans un environnement mondialisé. L’ampleur des flux financiers et des échanges de marchandises affaiblit le contrôle des États-nations. À titre d’exemple, 3 200 milliards de dollars sont aujourd’hui échangés chaque jour sur les marchés financiers. Comment un État pourrait-il influencer à lui seul ces marchés ? Les tensions se multiplient dès lors entre État et marché, entre sécurité des entités éta- tiques et mouvements de capitaux, bref entre territorialisation et déterrito- rialisation. Plus que jamais, l’externe influence l’interne, et suggère une moindre pertinence des frontières, des limites territoriales, voire une dispa- rition de la capacité de contrôle de frontières toujours plus contournables. En matière de conflictualité, les enjeux ont également profondément évolué depuis la fin de la guerre froide. Si les « affrontements tradi- tionnels » d’armées constituées ne sont pas à exclure, de nouvelles menaces ont vu le jour, face auxquels nos outils traditionnels de sécurité semblent parfois démunis. Les menaces sont devenues largement asymé- triques, transfrontalières, voire déterritorialisées (alors même que l’une des caractéristiques majeures de l’État-nation reste le contrôle exclusif d’un territoire). Aucun des conflits d’aujourd’hui n’est réductible au binôme ami-ennemi. Certaines crises internes peuvent même constituer des facteurs d’exportation de l’insécu- rité à des milliers de kilomètres de leur lieu de gestation. Le terrorisme, les réseaux de la criminalité organisée, ainsi que les trafics illicites, se sont développés et mondialisés ; ils prolifèrent sur la faiblesse des États et la porosité des frontières. La principale origine de ces évolutions réside dans le développement non maîtrisé de la mondialisation qui, in fine, ne profite qu’à un nombre limité de populations. La croissance mondiale est inéquitablement redistribuée, alors même que les laissés-pour-compte ont une meilleure connaissance du monde qui les entoure, grâce surtout aux nouvelles technologies de l’infor- mation. Parallèlement, les États les moins compétitifs s’enfoncent dans la crise et peinent offrir des perspectives communes à leurs citoyens. Comme le rappelle Tzvetan Todorov, auteur en 2008 de La Peur des barbares2, il a fallu que se produise la remarquable interconnexion actuelle des différentes parties du monde pour que renaisse le rêve des laissés-pour-compte. Dès 2. T. Todorov, La Peur des barbares : au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008. Un développement non maîtrisé de la mondialisation Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 7. politique étrangère l 4:2010 734 lors, frictions et tensions ne peuvent que se multiplier aux frontières des mondes riches et pauvres : ce sont les conflits de la fragmentation. Pour répondre à ces nouvelles menaces, il n’y a pas de gouvernance mondiale pertinente, les acteurs impliqués étant trop hétérogènes, et leurs intérêts divergents. À défaut, la « tentation des murs » se fait plus grande, plus aisée à mettre en œuvre sur les frontières qui séparent les États-Unis et le Mexique, l’Inde et le Bangladesh, le Botswana et le Zimbabwe, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla du continent africain, la Chine et la Corée du Nord, ou l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Yémen. Ces murs constituent des réponses à des flux économiques, sociaux et religieux, trans- nationaux. En ce sens, comme l’affirme Wendy Brown, « les murs actuels marquent moins la résurgence, en pleine modernité tardive, de la souverai- neté de l’État-nation, qu’ils ne sont des icônes de son érosion » (Brown, 2009). La construction de murs est en réalité la caractéristique d’un mouve- ment à rebours de la tendance générale que constitue la mondialisation. Les murs face aux nouvelles menaces La multiplication des menaces et la mondialisation qui uniformise, alliées à une remise en cause des repères et valeurs traditionnels, peuvent engen- drer une tentation de repli sur soi pour retrouver du sens, et se donner l’illusion de contrôler un environnement que l’on a en réalité du mal à appréhender, et à comprendre. Dans le refus de certains effets de la mon- dialisation, une partie du monde, ou certains endroits de ce monde se frag- mentent, se désolidarisent. La multiplication des murs est, dans un monde globalisé, le symbole le plus fort de cette fragmentation apparemment paradoxale. C’est la thèse défendue par Wendy Brown, pour qui les murs « représentent une réaction à la désorientation et à la dissolution de la sou- veraineté étatique sous l’effet de la globalisation, et sont construits pour bloquer des flux de personnes, des produits de contrebande et des vio- lences qui n’émanent pas d’entités souveraines ». Elle ajoute : les murs « encouragent l’avènement d’une société toujours plus fermée et sur- veillée, en lieu et place d’une société ouverte qu’ils prétendent défendre. Les nouveaux murs ne sont donc pas simplement inefficaces et impuis- sants à ressusciter une souveraineté étatique fragilisée, ils engendrent aussi, dans une ère post-nationale, de nouvelles formes de xénophobie et de repli sur soi » (Brown, 2009). Beaucoup de pays considèrent aujourd’hui que « les bonnes barrières font les bons voisins » – selon une expression du poète américain Robert Frost. Jusque dans les années 1980, les murs s’inscrivaient dans un cadre militaire et politique traditionnel, souvent érigés à la suite d’un conflit. Ils Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 8. L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? 735 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION servaient – et servent toujours – à définir des limites territoriales, ou de zones d’influence, à pérenniser un fait accompli, ou encore à geler une situation dans l’attente d’un règlement ultérieur. Ce statu quo caractérise bien la situation de la péninsule coréenne, coupée en deux depuis 1953, celle de l’île de Chypre, divisée et occupée par l’armée turque au Nord depuis 1974, du Cachemire, zone de tension permanente entre l’Inde et le Pakistan depuis 1947, et du Sahara occidental, avec le conflit qui oppose le Maroc au Front Polisario depuis 1975. Mais ces dernières années, les murs se sont multipliés pour tenter de répondre aux nouveaux défis de la mondialisation et aux nouvelles menaces. Les barrières de Ceuta et de Melilla ont été renforcées ; la fron- tière américano-mexicaine est progressivement murée, clôturée ; Israël a entamé depuis 2003 la construction d’une « clôture de sécurité » afin d’endiguer les attentats suicides de certains Palestiniens. Du Botswana, qui a construit depuis 2003 une barrière électrifiée le long de sa frontière avec le Zimbabwe, à l’Inde, qui renforce par des barbelés sa frontière avec le Bangladesh, en passant par l’Arabie Saoudite qui a décidé de fermer ses frontières avec l’Irak et le Yémen en construisant une barrière électronique, les exemples sont multiples. De manière récurrente, les autorités pakista- naises parlent d’élever une barrière le long de la frontière afghane pour brider la circulation des insurgés islamistes et des trafiquants de drogue. D’une certaine façon, la scène internationale d’aujourd’hui réplique, à l’échelle mondiale cette fois, le phénomène des gated communities 3 apparu aux États-Unis dans les années 1970. Avec les nouveaux murs, ce n’est plus tant la protection que la séparation qui est privilégiée, ainsi que le renfor- cement, voire la création dans le cas des conflits gelés, de frontières dont on entend montrer la réalité, la tangibilité. Plus encore, certains États peuvent tenter de justifier la persistance d’anciens murs par de nouvelles menaces, comme au Sahara occidental où, pour les autorités marocaines, la lutte contre l’immigration clandestine est devenue une priorité. Une physionomie des murs en constante évolution : du réel au virtuel Les murs se multiplient ainsi sous diverses formes, plus ou moins visibles, plus ou moins réelles, ou virtuelles. Des États pensent trouver là une parade face à de nouvelles conflictualités. Avec les progrès technologiques 3. Selon la définition de J. Blakely et M. G. Snyder : « des quartiers résidentiels dont l’accès est contrôlé, et dans lesquels l’espace public est privatisé. Leurs infrastructures de sécurité, généralement des murs ou grilles et une entrée gardée, protègent contre l’accès des non-résidants. Il peut s’agir de nouveaux quartiers ou de zones plus anciennes qui se sont clôturées, et qui sont localisés dans les zones urbaines et périurbaines, dans les zones les plus riches comme les plus pauvres » (Fortress America, Gated Communities in the United States, Washington / Cambridge (MA), BIP, 1997). Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 9. politique étrangère l 4:2010 736 et l’apparition de menaces transfrontalières liées à différents trafics (drogue, êtres humains), l’aspect même des murs a tendance à changer. Constitués d’abord d’obstacles continus de béton ou d’acier scandés à intervalles réguliers de postes de guet, les murs incorporent progressive- ment de multiples équipements électroniques de détection. Aux États- Unis, des drones munis de caméras infrarouges survolent désormais de manière régulière certaines parties de la frontière. Des tours de sur- veillance de 30 mètres de haut ont été installées dans les régions désertiques : ce sont des pylônes métalliques élancés sur lesquels sont fixés des caméras et des radars capables de couvrir 45 kilomètres de frontière. Cet ensemble électronique constitue ainsi une sorte de « mur invisible », qui permettra, selon la Border Patrol, de capturer à terme près de 95 % des migrants. Ce mur virtuel, au coût financier exorbitant, possède le grand avantage d’être plus « acceptable » aux yeux des popula- tions concernées, parce qu’il est moins visible et apparemment, moins violent. Les gouvernements tendent donc à privilégier cette forme de murs sophistiqués, même si la technologie ne peut se substituer au facteur humain en matière de vigilance, et de surveillance. L’acceptation par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), en novembre 2010, du projet américain d’une défense antimissile du terri- toire, participe d’une logique qui est à la fois celle de la modernisation tech- nologique de la fonction de défense, et de la séparation. Face à la prolifération balistique et nucléaire, les membres de l’Alliance décident de se protéger par un bouclier virtuel, un mur dans l’espace, au moment où l’on peut estimer qu’une cinquantaine de pays, en Asie et au Moyen-Orient pour l’essentiel, maîtriseront d’ici à 2020 la technologie des missiles de moyenne portée. Dans un même esprit de virtualité, on relèvera également l’érection d’un véritable « mur de Schengen » qui, avec la multiplication, en amont, des démarches administratives pour obtenir un visa d’entrée sur l’espace européen, entend aider à contrôler certains flux migratoires. Plus encore, le développement des réseaux informatiques a contribué à l’émergence d’une nouvelle catégorie de menaces (les cybermenaces) aux- quelles des murs exclusivement virtuels, les pare-feu, tentent de s’opposer. La cybercriminalité est devenue un enjeu de sécurité majeur, ainsi que le prouve la récente contamination, en Iran, de 30 000 ordinateurs industriels par le virus Stuxnet, du fait d’une attaque informatique lancée de l’étran- ger. Pour faire face à de telles menaces, susceptibles de désorganiser pro- fondément les infrastructures vitales d’un pays, plusieurs États se sont récemment dotés de structures de commandement spécifiques, à l’image du United States Cyber Command activé en mai 2010, et dépendant du Les murs virtuels, de Schengen à la cybernétique Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 10. L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? 737 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION commandement stratégique américain. Le contrôle de la diffusion des idées est aussi devenu un enjeu majeur de sécurité, comme le montrent les murs Internet élevés sur leur territoire même par les autorités chinoises. Les murs virtuels contrent et contrôlent les entrées et les sorties des flux, même si les failles, les contournements, demeurent possibles. Ainsi donc les murs, réels comme virtuels, tentent de proposer « ce que Heidegger appelait un “tableau du monde rassurant”, à une époque où s’effacent progressivement les horizons, les limites, et la sécurité grâce aux- quels s’est historiquement effectuée l’intégration socio-psychique des êtres humains »4. Ils ont également pour objectif de « re-simplifier », ou de « décomplexifier », une réalité du monde ramenée à une distinction claire entre « nous » et les autres », entre intérieur et extérieur, entre ami et ennemi, entre bon côté et mauvais côté du mur, entre connu et inconnu, entre riche et pauvre, entre sûr et risqué, entre désiré et indésirable. En ce sens, le mur marque l’asymétrie, matérialise la différence et le déséquilibre produits par une séparation à la fois voulue et subie. De fait, « le mur court toujours le long d’une ligne de déséquilibre, ligne de faille de la globalisa- tion, déséquilibre de richesse, déséquilibre de puissance » (Ritaine, 2009). Nouveaux murs, anciennes peurs : une efficacité relative Une réponse simple face à l’urgence La mondialisation produit un sensible raccourcissement de l’espace-temps. Dans un monde dont le mouvement s’accélère, les opinions souhaitent d’abord des réponses rapides, face à des menaces réputées insaisissables, et qui font peur. L’érection d’un mur offre l’immense avantage, pour les gou- vernants du moment, de donner l’impression, ou l’illusion, de « faire quelque chose ». La démonstration a un effet rassurant, à la fois sur la capa- cité d’agir des gouvernants et sur la reconnaissance des « dangers ». La construction d’un mur se fait donc toujours avec l’accord plus ou moins tacite de l’opinion publique du pays concerné. La construction du mur israé- lien a, par exemple, été décidée à la suite de l’action d’un mouvement citoyen (Fence for Life) créé, en juin 2001, pour promouvoir le principe même d’une barrière, relativement déconnectée de la problématique des frontières, dans le contexte d’une vague d’attentats suicides (qui, au total, ont fait près de 1 000 victimes et traumatisé durablement la population israélienne). Ce « mur de séparation » ne fait guère débat au sein de la société israélienne, et ce, en dépit de son coût financier très lourd de 2,5 millions d’euros le kilomètre. Ainsi, les murs « fonctionnent souvent sur un mode 4. B. Badie, op. cit. [1]. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 11. politique étrangère l 4:2010 738 spectaculaire, projetant un pouvoir et une efficacité qu’ils ne sauraient exercer concrètement et qui sont contredits dans les faits » (Brown, 2009). À court terme, ces « investissements » semblent efficaces. Au Sahara occidental, le Berm a contraint les forces du Front Polisario à cesser leurs opérations militaires de harcèlement sur les grandes villes. Le mur de sépa- ration construit entre Israël et les territoires palestiniens occupés a permis une diminution significative du nombre d’attentats à la bombe commis par des kamikazes palestiniens. La construction d’une barrière électrifiée sur la ligne de contrôle entre le Jammu-et-Cachemire et l’Azad Cachemire a aidé les autorités indiennes à contrer les infiltrations de militants djihadistes venus du Pakistan. En surélevant et en renforçant la barrière à Melilla et à Ceuta, les autorités espagnoles ont pratiquement stoppé l’émigration sub- saharienne vers ces enclaves, et protégé pour un temps l’équilibre démo- graphique de ces deux villes, enserrées dans un territoire très limité, face à la mer. Et si de nombreux migrants parviennent encore à passer la frontière américano-mexicaine, c’est seulement parce que le mur n’y est pas encore continu. Dans le cas des conflits gelés, le mur peut aussi constituer une sorte de mesure de précaution, voire d’apaisement des tensions, un moyen d’éviter la reprise du conflit, et de faciliter la reprise de lentes et laborieuses négociations (cas du Sahara occidental, de l’Irlande du Nord, ou de Chypre). Mais ces blocages qui entraînent de multiples restrictions, cet enfermement, sont-ils viables sur le long terme ? Plutôt que de résoudre le problème d’origine, on le contourne, on le contient par la construction d’un mur. Comme le rappelle Jagdish N. Bhagwati, économiste américano-indien, à propos du mur de barbelés entre l’Inde et le Bangladesh, « construire la barrière, c’est la meilleure façon de ne rien faire tout en donnant l’impression de faire quelque chose5 ». La multiplication des murs est aussi le reflet d’une logique sécuri- taire prédominante depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le mur devient même un véritable marché international, largement contrôlé par les Américains et les Israéliens. Aux États-Unis, le Homeland Security estime à 178 milliards d’ici à 2015 le volume du marché mondial de la sécurisation des frontières. La barrière électronique en cours de construction sur la fron- tière entre l’Arabie Saoudite et l’Irak représente un marché de quelque 3 milliards de dollars. Dans ce domaine, le coût financier ne semble pas constituer une réelle limite. Et les débats sur l’éventuelle réorientation de ces fonds, vers l’aide au développement par exemple, sont quasiment inexistants. Il est aussi rentable, aujourd’hui comme hier, d’investir dans la guerre et le sécuritaire, que dans la construction de la paix… 5. Cité par Wendy Brown (2009), p. 143. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 12. L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? 739 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION Une réponse imparfaite et un aveu d’impuissance Si à court terme le mur rassure, sur le long terme il ajoute à la complexité et peut avoir un effet contre-productif. Il n’est donc qu’une réponse impar- faite au problème qu’il est censé résoudre. Comme le déclarait Janet Napolitano, secrétaire d’État à la Sécurité intérieure des États-Unis : « Construisez un mur de 15 mètres de haut, et on verra apparaître une échelle de 16 mètres » ! Des stratégies de contournement sont donc élaborées en permanence par ceux qui vivent, contraints, du « mauvais côté » du mur. Sur le mur de Berlin on disait déjà : « Vous pouvez arrêter les peuples ; vous pouvez leur poser des limites, mais ils trouveront d’autres voies6 ». Le temps joue pour eux, et la motivation pour contourner les obstacles finit toujours par l’emporter. Les exemples sont ici nombreux. Les autorités nord-coréennes sont parvenues à construire d’imposants tunnels sous l’une des frontières les plus militarisées au monde. En cas d’attaque, ces tunnels auraient pu permettre le passage de troupes nord-coréennes qui auraient pris à revers et désorganisé les lignes de défense sud-coréennes et américaines. Jusqu’à présent, trois tunnels ont été découverts. En dépit de la frontière, hermé- tique au Sud le long de la Demilitarized Zone (DMZ) et de plus en plus surveillée au Nord sur le fleuve Yalu, des milliers de Nord-Coréens ont réussi à rejoindre le Sud en contournant la difficulté par la Chine, voire par l’Asie du Sud-Est. Sous la ville-frontière mexicaine de Nogales, dans l’Arizona, plusieurs tunnels, pour la plupart creusés par les trafiquants de drogue, ont été identifiés par les policiers américains. Si le flux annuel de clandestins, entre 2005 et 2008, semble tombé à 500 000, au lieu des 800 000 constatés entre 2000 et 2004, cette baisse est avant tout due à une application plus stricte des lois sur l’immigration (et notamment sur les expulsions : 300 000 en 2008) et non directement au mur. Et depuis la crise économique de 2008, les familles mexicaines ont encore moins les moyens de payer les passeurs. En fait, ce mur a surtout figé l’immigration illégale de l’autre côté, aux États-Unis, en rendant la traversée beaucoup plus périlleuse. Il y a aujourd’hui près de 12 millions d’immigrés clandestins aux États-Unis. Au Sahara occidental, des représentants du gouvernement de la Répu- blique arabe sahraouie démocratique (RASD) auraient trouvé les moyens de franchir le Berm, et d’entretenir des liens étroits avec certains Sahraouis vivant sur le territoire contrôlé par le Maroc. Dans la bande de Gaza, les Palestiniens ont construit de nombreux tunnels sous le mur qui les sépare 6. F. Taylor, The Berlin Wall: A World Divided (1961-1989), New York, Harper’s Collins, 2007. Les murs sont troués… Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 13. politique étrangère l 4:2010 740 de l’Égypte, mur qu’ils ont d’ailleurs pu faire tomber (provisoirement) en mars 2007 en organisant une action de masse. Le renforcement des bar- rières à Ceuta et à Melilla a déplacé les routes de l’immigration subsaha- rienne vers l’Europe, qui passent désormais par les îles Canaries ou certaines îles européennes de Méditerranée. Non seulement les murs ne sont pas aussi efficaces qu’on veut le faire croire, mais ils constituent des facteurs de déstabilisation encore plus impor- tante sur le long terme. Le mur est, en effet, une réponse binaire à des problé- matiques complexes, à des crises profondes. En ostracisant ceux qui sont « de l’autre côté », les « emmurés », bien souvent autant victimes que les personnes situées du « bon côté » de la barrière, le mur accentue les frustrations et les ran- cœurs. Et les « emmurants » s’enferment dans leurs propres peurs, ainsi que l’a remarquablement démontré Sylvain Cypel pour la société israélienne7. Les circuits économiques sont désorganisés, les liens sociaux brisés, les liens fami- liaux entravés. Érigés par les puissants du moment, les murs exacerbent les tensions et rendent une solution encore plus difficile à trouver. Les popula- tions situées du « mauvais côté » du mur sont souvent délaissées, et les pro- blèmes qui se trouvent à l’origine des murs purement et simplement oubliés. Qui se soucie réellement des dizaines de milliers de Sahraouis réfugiés depuis plus de 30 ans en plein désert algérien ? Aujourd’hui, certains jeunes sahraouis nés dans les camps n’hésitent plus à évoquer le recours à la violence pour faire reconnaître leur cause. Qui se soucie aujourd’hui des Cachemiris pris entre le marteau des militants islamistes soutenus par le Pakistan et l’enclume des 450 000 soldats indiens déployés dans la région ? Enfin, le mur est dangereux car il donne un faux sentiment de sécurité aux puissants. Ainsi que l’exprime Jean-Christophe Rufin : « Ceux qui construisent ces remparts pensent qu’ils accomplissent un acte de puis- sance, que le mur est une manifestation de la force. En réalité, il est un signe de faiblesse8 ». En croyant avoir isolé physiquement ce qu’elles perçoivent comme de nouvelles menaces, les sociétés pensent résoudre leurs diffi- cultés. Elles évitent ainsi de poser les véritables questions, comme celles relatives à la redistribution des revenus liés à la mondialisation, qui per- mettrait aux laissés-pour-compte de mieux s’en sortir. Elles oublient aussi de traiter au plan politique la question des minorités. Dans ce contexte, les murs symbolisent donc l’impuissance du politique à gérer ces nouvelles problématiques, et produisent des éléments d’une instabilité future encore plus grande : ils finissent par rendre le faible plus fort parce que plus désespéré. Se joue ici aussi l’asymétrie des crises contemporaines. 7. S. Cypel, Les Emmurés – La société israélienne dans l’impasse, Paris, La Découverte, 2006. 8. Avant-propos in F. Neisse et A. Novosseloff (2007). Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 14. L’expansion des murs : le reflet d’un monde fragmenté ? 741 DOSSIERILESMURS:SÉPARATIONSETTRAITSD’UNION Le mur est synonyme d’échec de la politique : échec à vivre en harmonie avec ses voisins, échec à réguler les flux migratoires, échec à mettre fin aux réseaux illégaux, échec enfin à surmonter ses propres peurs obsidionales. « Un mur est un monument élevé à l’échec d’une politique », dit Daniel Seideman, le célèbre avocat israélien. Plus fondamentalement, un mur apparaît « chaque foisqu’unecultureouunecivilisationn’apasréussiàpenserl’autre,àsepenser avec l’autre » (P. Chamoiseau et E. Glissant, 2007). Dans de nombreux cas, les murs marquent ainsi le passage d’une société dynamique et stimulante à une société sur la défensive, soucieuse de défendre les avantages acquis, et de se protéger d’un monde extérieur soudainement perçu comme hostile et incom- préhensible. À défaut de vouloir, et de pouvoir, s’attaquer directement aux causes profondes de ces nouvelles menaces, par nature extrêmement comple- xes et multidimensionnelles, les politiques élisent une stratégie isolationniste, ou de contournement physique. La politique traditionnelle normative se mue progressivement en politique du béton et de l’acier. *** Les liens de causalité entre mondialisation, fragmentation et construction de nouveaux murs sont indéniables. Réponse imparfaite, voire dangereuse des puissants du moment, les murs symbolisent également une conception plus exclusive des affaires du monde et de la vie en société. Le sentiment de sécurité tend à devenir un droit à part entière, et un objectif presque plus important que le « bien-vivre avec les autres » ; la volonté de se séparer d’un voisin que l’on ne comprend plus croît, tandis que se renforce la détermination à se protéger et à s’affirmer dans un monde devenu trop fluide. L’Histoire montre cependant que les « murs de la honte9 » sont fragiles, et tous voués à tomber à plus ou moins brève échéance. S’ils parviennent à freiner le cours de l’Histoire, ils ne peuvent l’arrêter. Il faut prendre à bras-le-corps cette problématique, et inventer les outils permettant à la mondialisation de se défragmenter. Comment rééquilibrer le monde pour mieux partager la croissance ? Comment assurer la transi- tion entre exclusion et intégration ? Comment répondre aux nouvelles conflictualités de manière plus inclusive ? Poser ces questions, c’est affir- mer une claire conscience : les murs isolent les crises mais ne les résolvent pas. Il ne sert donc à rien de se cacher derrière le mur… MOTS CLÉS Murs de séparation, mondialisation, nouvelles menaces 9. En référence au film documentaire de Thierry Denis et Guy Ratovondrahona, Les murs de la Honte, Helium Films, France, 2009. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.
  • 15. politique étrangère l 4:2010 742 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Banu, G., Des murs… au Mur, Paris, Gründ, 2009. Brown, W., Murs : les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Paris, Les prairies ordinaires, 2009. Chamoiseau, P. et E. Glissant, Quand les murs tombent . L’identité nationale hors la loi ?, Paris, éditions Galaade, 2007. Foucher, M., L’Obsession des frontières, Paris, Perrin, 2007. Kochert, F., Paroles de murs, Paris, éditions Serpenoise, 2003. Neisse, F. et A. Novosseloff, Des murs entre les hommes, Paris, La Documentation française, 2007. Neisse, F. et A. Novosseloff, « La construction des murs ou la mondialisation à rebours », Questions internationales, n˚ 33, septembre-octobre 2008. Ritaine, E., « La barrière et le checkpoint : mise en politique de l’asymétrie », Cultures & Conflits, n˚ 73, printemps 2009. Saada, J., « L’économie du mur : un marché en pleine expansion », Le Banquet, n˚ 27, mai 2010. Books, n˚ 9, « Les nouveaux murs de la peur », octobre 2009. Cités, n˚ 31, « Murs et frontières. De la chute du mur de Berlin aux murs du XXIe siècle », 2007. Diplomatie, n˚ 41, « Ces murs qui nous séparent », novembre-décembre 2009. Estuaires, « Le Mur », 2005. Panoramiques, n˚ 67, « Des murs et des hommes », juin 2004. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I. Documenttéléchargédepuiswww.cairn.info-BIUMontpellier--194.214.161.15-21/10/201321h41.©I.F.R.I.