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Le Mystère du Vivant
1
LE MYSTÈRE
DU VIVANT
JUAL
Le Mystère du Vivant
2
« À celui qui vaincra je donnerai de la manne cachée. Je lui
donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom
nouveau, que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit ».
Apocalypse II, 17
Le Mystère du Vivant
3
PRÉFACE
Il y a dans les rêves de chaque homme la possible Révélation du Principe
de vie qui, du fond archaïque universel, s'individualise en chacun de nous.
S'engager dans l'épreuve d'initiation, c’est s’aventurer vers la frontière
extrême où fusionnent les opposés complémentaires, c'est risquer d’accéder
en un instant fulgurant et insituable à l'être paradoxal, androgyne, virtuel et
manifesté, semence et matrice, moule et empreinte.
Les Anciens ont désigné d’une myriade de dieux et de métaphores cet
archétype universel qui se tient en notre centre : père, mère, grand frère,
jumeaux, astre, bête à cornes, germe, plante, fleur, fruit, pierre précieuse.. Ils
entretenaient le mythe d’un être spirituel puissant mais empêtré dans la
matière, en une multitude de rameaux humains. Un être suprême au creux de
soi qui frappe, qui aime. Un être de lumière dans l'obscurité qui éclaire,
appelle à la solidarité. L’Un en devenir, qui se réalise, le Vivant.
La progression vers le Verbe peut simultanément être effectuée en
remontant le cours de l’histoire humaine par les racines verbales des langues
anciennes. L'autorité divine y a été maintenue à travers le langage, elle s’est
affirmée dans la continuité de la parole. C'est que le mot sacré lui-même
contient le dieu. Exprimer mal, c'est s'opposer aux dieux, manquer de respect
à leurs intercesseurs, et donc risquer le châtiment. Bien s’exprimer, c'est
solliciter la bienveillance et espérer la récompense.
Dans ce livre, l'auteur allie récit d’aventures intérieures et analyse de
données linguistiques. Il propose une approche nouvelle de la mythologie de
Sumer et d’Akkad où le Principe est désigné en des formes variées.
L'action qui mène au Principe de vie y est travail en soi, - incursion dans
l'espace intérieur -, et hors de soi, - exploration par les racines verbales et les
mythes fondateurs.
Le lecteur ne trouvera pas dans ces investigations de réponses définitives,
mais empruntera un tracé proposé en pointillés, sur la route du sacré.
Le Mystère du Vivant
4
Plusieurs variantes du livre Le Mystère du Vivant ont été publiées depuis le
premier texte écrit en 2005, dont une publiée en français et en anglais sous
l’intitulé Homini. Pour écrire ces textes, l’auteur a utilisé les dictionnaires :
.Akkadishes Handwörterbuch, Von Soden, Wiesbaden, Germany.
.Manuel d’épigraphie akkadienne, R. Labat, Paris, France.
mais pas
.The Assyrian Dictionary, Oriental Institute, Chicago University, USA.
Pour la version présentée ici il en est de même.
***
Le dictionnaire intitulé The Assyrian Dictionary a été utilisé par l’auteur
pour effectuer d’autres études comparatives de langues, de regions du monde
éloignées et d’époque différentes.
***
Contact auteur : lemystereduvivant@gmail.com
Le Mystère du Vivant
5
LA FORME
La barque glisse sur le fleuve immense. L’onde est parsemée de mousses,
de touffes, de fleurs d’eau. À cet endroit, le courant est encore faible mais le
batelier est vigilant. Il sait qu’un peu plus bas le flot s’accélère vers les
cataractes où l’esquif serait détruit.
Le soleil est au couchant, l’eau et le ciel s’échangent gris, bleus, teintes
de feu. L’homme contemple l’horizon qui s’efface dans le plus grand
silence, comme sur un cours de lave et de cendre. Il revient des champs
flottants où il a semé toute la journée, et aperçoit la passe dans les roseaux
qui le mène au petit embarcadère en pilotis. De là, contournant le piton
rocheux, il est en quelques pas à sa demeure isolée, face à la chute.
Depuis la terrasse couverte de lianes fleuries, il aime observer le charivari
de l’eau qui s’ouvre au loin, sur les rochers de la première cataracte. A cette
heure, on entend le sourd grondement du flot dans un voile de vapeur. Ses
yeux distinguent à peine l’île du Diable, d’où montent par milliers les
grandes chauves-souris qui s’envolent vers les forêts pour s’y régaler de
fruits.
Tandis que la nuit approche, l’homme pense qu’il est entré dans la
deuxième moitié de sa vie. Dans l’univers des étoiles, il a l’âge d’une
étincelle. Près de la maison sous le grand figuier banian, le gardien allume le
feu de bois et s’installe. Il tient à portée de main un arc et deux flèches, pour
être prêt au cas où un rôdeur se manifesterait. La chienne de brousse se tient
au pied des marches. Le ouistiti fait des facéties, puis se blottit sur l’épaule
de l’homme pour se rassurer de sa présence. Sur la balustrade d’ébène,
indécis entre le jour et la nuit, le caméléon roule des yeux ronds et
commence à ranger ses couleurs d’arc en ciel jusqu'à l’aurore prochaine.
Là-bas le flux s’en va, en chutes terribles et en marmites tournoyantes.
***
La chambre donne de plain-pied sur la terrasse. C’est un vaste espace nu,
de bois kambala et d’osier tressé. Au centre, à même le sol, une grande
couche accompagnée de deux tables de nuit sans pied, enveloppées d’une
moustiquaire en corolle faisant ciel de lit.
Le lieu est un asile de repos près des eaux. Une brise intermittente entre
par la baie côté terrasse et s’éloigne côté jardin. L’homme s’y sent en
harmonie. Sur l’une des petites tables il y a une feuille de papier où il écrit
ses rêves. Il lui semble qu’après avoir pénétré autant de vallées, traversé
mers et déserts à la recherche du paradis sur terre, le moment est propice à
Le Mystère du Vivant
6
l’exploration du continent intérieur, à la conquête des profondeurs nocturnes
et des symboles qui y sont cachés. Loin des lieux de son enfance, il approche
à pas feutrés du sanctuaire, énigme de la substance de son être.
C’est une nuit de nouvelle lune. Il n’a pas allumé la veilleuse et s’endort
dans l’obscurité.
Un rêve lui vient. Il note quelques mots, pour pouvoir l’écrire en détail le
lendemain. Puis il se rendort.
À l’aube, les vagues de vent dans la moustiquaire l’éveillent. Une journée
se prépare, il se sent libre. Dans un moment, il se promènera parmi les
arbustes odoriférants et ira goûter aux fruits du verger. Il sera avec les chats,
les colibris et les aras, et la jeune gazelle qu’il a ramenée d’une clairière
éloignée. Il y a aussi les najas et les varans au voisinage difficile, qui se
dissimulent dans les hautes herbes au bord du fleuve. Mais chacun connaît
son territoire et ses limites, et le plus souvent il ne se passe rien.
L’homme se lève et prend la feuille du rêve. Il aime découvrir ces lignes
qui font revivre les voyages de la nuit. Sur le papier en haut est inscrit d’une
écriture mal assurée :
Une femme vient de sortir du logement, puis revient frapper à la
porte d'entrée avant de s’enfuir dans l’escalier.
Il se souvient aussitôt que la maison du rêve est celle de son enfance et
que sous la porte le visiteur a glissé un fétiche fait de bec et de plumes avant
de repartir. Il a été épouvanté par ce porteur de force magique, peut-être
maléfique, et s’est demandé s’il fallait ouvrir à l’inconnu. Puis il s’y est
risqué, franchissant le seuil en un effort pathétique, et a vu que ce n’était pas
un visiteur mais plusieurs messagères, des femmes extravagantes vêtues de
noir, sortes de sorcières joyeuses ou démentes religieuses qui
déguerpissaient dans la descente d’escalier.
Étrange ! Il voit soudain au bas de la feuille du rêve une minuscule forme
tracée d’une exquise légèreté, qui ne ressemble à rien de familier :
Il sait que les portes et les baies vitrées de la maison, près du fleuve, sont
entièrement protégées de grilles : la nuit, personne ne peut entrer. Il est donc
certain que cette Forme a surgi dans l’abri de son corps. Elle lui est apparue
dans son sommeil par la porte des songes, et sa main simultanément l’a
apposée sur le papier disposé à son côté. Malgré sa petitesse elle est
parfaitement dessinée, avec les pleins et les déliés, contrairement à l’écriture
incertaine du haut de la feuille qui raconte le rêve.
Le Mystère du Vivant
7
L’événement suscite l’angoisse. Il craint d’être envahi ou même
seulement habité par un corps étranger logé en son intimité et de perdre son
identité. Que vient faire cet intrus ? En même temps, il veut se rassurer en
faisant face : cette miniature insolite a un sens, pense-t-il, mais quel sens ?
L’a-t-il vu en voyage, peut-être au bas-relief d’un temple, ou dans un livre
scellé d’un pays éloigné ? Est-ce un vocable isolé d’une langue étrangère,
une signature, des initiales enlacées ? A-t-elle un lien avec les racines
anciennes communes aux écritures de la Terre, ce système de symboles en
forme de nœuds qu’on dit disparu ? Est-ce un dérivé de signes divinatoires
archaïques ?
Il reconnait un caractère sacré à cette forme, et décide d’écrire Forme,
avec un F majuscule.
Puis il l’agrandit en respectant strictement les proportions :
Maintenant que la Forme est mieux observable il la montre autour de lui.
L’un de ses amis pense à un fragment de grimoire. Un autre, paysan éduqué
dans l’idée chrétienne de Dieu, lui dit que l’inconscient c’est ce qu’on fait
sans le vouloir, et que cette Forme est comme une parabole de l’Évangile
« où il faut chercher ce qu’il y a derrière ». Selon lui, elle est un symbole qui
enseigne parce qu’il réunit, comme la parabole révèle parce qu’elle met en
parallèle. Un autre encore n’y voit que gribouillage. Un psychanalyste
esthète des lettres et des signes lui suggère une représentation du Soi, en
rapport à une étape dans le processus de devenir de sa personnalité.
Le voici qui parcourt les langues orientales, et ne trouve rien de
ressemblant. Un calligraphe ne s’y retrouve pas non plus. Un moine chrétien
orthodoxe y voit une suite de cinq notes musicales byzantines, qui ensemble
font un son fondamental pur et impérissable, et qu’une « oreille
symbolique » saurait distinguer. Le moine « entend » ce son mais ne peut en
dire plus car il n’est pas initié dans ce domaine subtil, et conseille de
consulter les moines du mont Athos et leurs curieux manuscrits. Un sage
coréen fait référence à K’i, la licorne mâle à unir à la femelle Lin pour
réaliser K’i-Lin. Un maître spirituel rencontré au monastère de Songzanlin, à
Shangri-La, à l’est de la route qui conduit du Tibet au Yunnan, évoque la
Forme-son en calice, correspondant au chakra 1
du cœur, qui a l’effet
paradoxal d’expansion et de centrage développant la capacité à aimer, et la
Forme-son en hélice, correspondant pour les Bouddhistes au chakra du
troisième œil, qui a un effet de stimulation des pouvoirs de l’esprit.
Le Mystère du Vivant
8
Il se demande si cette Forme apparue dans le cheminement de sa pensée
est une annonce, exprime une vérité dissimulée, si elle est une invitation à
faire retour sur lui-même. Si elle est un dépôt spirituel qui était inscrit dans
son patrimoine génétique et a été mis à jour en ce moment particulier. Si elle
résulte plutôt de l’utilisation de techniques psychologiques visant à faire le
vide des conflits, qui s’apparentent à celles d’un yogin pratiquant le pûrna
yoga, le yoga intégral. Ou si en ce sauf-conduit se manifeste son ange
gardien, ou une hiérarchie angélique. Et il ne rejette rien de tout cela en cette
Forme, réalité transcendante et qui lui paraît pourtant condensée en chaque
cellule de son corps.
***
Au cours d’un voyage dans un lagon de l’océan Pacifique, il rencontre
une danseuse connue pour ses dons de médium, qui pratique l’écriture
automatique. Par curiosité, il lui demande ce qu’est cette inscription sur le
papier, et elle écrit :
« C’est un sceau, il a fallu aller très profond pour le cacher, c’est sombre,
il y fait froid. C’est comme un puits, il faut rentrer tout petit en rampant.
C’est tellement noir. Il y a quelqu’un qui cherche à le mettre dans une pierre,
il y a très longtemps, un homme qui le possédait et qui l’a fait cacher quand
le Mal a déferlé. Cet homme n’a pas de cheveux, on dirait un lama, il porte
un ornement rond sur la poitrine. Il est sage, il a la Connaissance, la Bonté.
« Ce sceau est attenant à une bague, apposé à tous papyrus qu’il envoyait
autour de lui. C'est un anneau de paix préfigurant le passage d’une vie
d’illusion, - de dualité, d’avidité -, à la vie réelle, qui a été égaré et qu’il faut
retrouver. Ce symbole a mille noms. Tant que cet objet sera caché, il n’y
aura pas de paix. Celui qui a dessiné cet objet avait un maître qu’il admirait.
C’est à sa requête qu’il a caché le sceau. On lui demande de réveiller cette
recherche pour la paix, mais attention, danger ! ».
Quelle histoire ! Toutefois, il cherche dans les légendes anciennes, et
c’est le sumérien Gilgamesh qu’il rencontre, parlant il y a cinq mille ans de
deux Hommes-scorpions gardiens, mâle et femelle : « Si j’ai parcouru un si
long chemin, c’est pour aller trouver mon aïeul, qui fut présent à un conseil
des dieux et y trouva la Vie éternelle ». Gilgamesh veut interroger l’ancêtre,
et les Hommes-scorpions lui répondent : « Il n’y a personne qui ait fait ce
chemin de lmontagne, personne encore n’en a vu les profondeurs... Son
intérieur est sombre ; si profondes y sont les ténèbres qu’il n’y a plus de
lumière ». Cependant ils lui « apprennent la route de la montagne », « le
chemin du Soleil », lui « révèlent le chemin des monts Jumeaux », et lui «
ouvrent la porte de la montagne ». Au bout de douze lieues, l’aurore point et
Gilgamesh « se dirige vers le Jardin pour voir les arbres de pierre » où « la
cornaline porte des fruits » et où « la lazulite porte du feuillage ».
Le Mystère du Vivant
9
Il retourne cependant une seconde fois voir la danseuse aux dons de
divination, et elle écrit :
« Tu as stigmatisé ce dessin en posant ta main en plein rêve et en le
reproduisant par l’intermédiaire de l’esprit qui te guide et te protège. Ce
genre de signe de paix est donné à tous ceux qui ont un chemin précis à
parcourir. En une autre vie, tu as suivi un long chemin de prières et
d’abnégation et tu servais un grand lama. Mais si l’image bouddhique est de
vénérer l’esprit et de le soumettre à des incarnations successives en estimant
qu’elles sont toutes aussi pures et élevées, je dis non. L’esprit vient à point
zéro et monte les échelons de la hiérarchie des esprits. Chaque esprit pur
peut à un moment ou à un autre revenir pour aider les plus faibles ».
« Il y a autour de toi des êtres maléfiques qui sont un danger. L’esprit pur
qui est parti en astral et est resté en astral te protège et te garantit contre ce
mal et te signale sa présence par ce symbole. Ce n’est pas le moment d’aller
le chercher là où tu l’as caché. Ce n’est pas la raison de ton incarnation.
D’autres temps viendront où tu seras prêt à retourner au fond du puits
retrouver l’anneau de la paix. Seul le rappel de ton passé est mis en avant
pour que tu comprennes qui tu es, et pourquoi tu es là. Ton maître se nomme
Pûrna. Souviens-toi : le maître de lumière est le meilleur ami de l’homme et
son soutien, et quoi qu’il arrive ne perd pas le nom que je t’ai donné.
Appelle, tu seras entendu ».
Invraisemblable ! Qui sont ces êtres maléfiques ? Il pense aux temps
anciens où on détournait les maux avec des objets : le phallus, la main
votive, le « mauvais œil » avaient une action prophylactique, de même que
sur certains bateaux les statues de couples situées en avant sur les côtés de
l’étrave étaient censées exercer une action de conjuration.
Il se demande ce que tout cela signifie, et il lui revient que les verbes
« appeler » et « créer » sont, en hébreu, étroitement liés. A propos du nom
Pûrna, il s’aperçoit que le premier homme converti par Bouddha fut le
brahme Pûrna, connu jusqu’en Chine dès le temps des Ming. Puis il pense à
ce qu’on dit parfois de la vieillesse, - qu’elle est un naufrage -, et lui, jouant
avec les mots, y voit plutôt un « offrage », un don de soi ; non pas une
interdiction de garder mais une invitation à donner ce qui a été reçu.
Le temps passe, le graphisme reste hermétique, à l’arrière plan de ses
pensées. La vie tranquille au fleuve suit son cours. L’homme aime sa
compagne qui vient souvent du village voisin, et ses étreintes sacrées.
Parfois, il part pour de grandes randonnées solitaires, comme à la recherche
de son âme sœur perdue en brousse, et il rencontre tout au plus un calao, pas
son alter ego 2
. Alors il rebrousse chemin en ramassant quelque plante
magique, ou grimpe jusqu’au sommet d’une montagne et, en contemplation
de la lumière, il se fond dans l’infini des horizons.
***
Le Mystère du Vivant
10
Sa vie est conduite par l’amour du monde. Lorsqu’il était enfant, il faisait
une prière chaque jour, comme ses parents pour qui le doute était l’ennemi
de la foi, et qui vivaient dans la vérité des textes sacrés et la soumission à la
volonté de Dieu. Aujourd’hui, il prend ses distances dans l’épreuve de la vie
et laisse faire son propre imaginaire, plutôt que de s’en remettre à une
autorité qui lui imposerait des croyances, une interprétation orientée vers un
au-delà promis, des pratiques cultuelles et des formules dogmatiques. Son
éthique ne dérive pas de la Providence, elle est une émanation de sa libre
expérience, et ne se laisse pas enfermer dans des formules. Elle n’est
accessible que dans la mouvance de la vie.
Foin de chi-chi ou de fla-fla, c’est à lui seul de chercher où il va, où est sa
Voie. Il a toujours préféré la création libre aux figures imposées et ne voit
pas l’utilité de faire appel à un gourou, un prêtre, un imam ou un sorcier.
Loin du rigorisme et des hiérarchies traditionnelles, cette liberté d’action lui
est indispensable dans le décodage de son inconscient religieux personnel : il
se sent habité et aime cette forme de lumière qui vit en lui cachée, en
instance, et désire s’en approcher sans personne interposée. Sa recherche
spirituelle se démarque de celle d’adeptes de communautés qui lui proposent
de devenir membre. Il sait que le passage vers une vie meilleure par la
Révélation de l’Homme de lumière intérieur est le fondement de
l’enseignement religieux, et le principal point d’appui des Ordres dans leurs
efforts de recrutement et de persuasion de ceux qui craignent de s’engager
sur la voie de l’inconnu, sans encadrement ni soutien. Des membres qui
trouvent en la communauté la chaleur d’un groupe, la force d’une doctrine et
la protection d’un maître vénérable.
L’appartenance de certains à une communauté initiatique respectueuse
des droits de la personne lui paraît faciliter cette recherche spirituelle. Il
connaît une société secrète qui, dans sa démarche intimiste, enseigne le
mystère de l’Être intérieur, en s’aidant de dogmes et de rites qui sont autant
de digues élevées contre le courant impétueux de l’inconscient individuel.
Mais il se souvient aussi d’une secte néfaste et des périls encourus par ses
membres en mal d’amour, et du talent du Maître malfaisant à concentrer et à
utiliser les images symboliques pour une action collective. En accordant aux
membres le statut d’élu ou de surhomme, l’emprise de la secte est totale par
la suggestion, - ils ne distinguent pas l’influence qu’ils subissent d’autres
consciences -, et la sujétion, - ils sont soumis au diktat du gourou -. Leurs
tentatives de critique de la doctrine sont blâmées, mènent au mépris et à la
punition car il y a outrage, sacrilège, blasphème. Seule la subordination
aveugle est gratifiante et garante de la reconnaissance, de l’estime et de
l’amour du faux guide spirituel et des autres membres.
Il préfère une démarche solitaire, travaille à la libération en évitant
l’inflation narcissique, ou le plaisir de déplaire, et s’invite à l’humilité dans
sa progression intérieure sur la Voie cachée.
Le Mystère du Vivant
11
L’homme désire confronter son rêve à d’autres réalités. Il quitte le grand
fleuve et la forêt en gardant sur lui la Forme, hère porteur d’un mystère qu’il
montre à l’occasion de rencontres. À chaque escale, il sent bientôt que
l’endroit est moment de répit plus que de repos, temps d’arrêt plus que lieu
de séjour, attente de reprise plus que détente du havre. Il préfère la route au
relâchement des refuges, contre l’avis des sédentaires qui lui disent qu’elle
est l’enfermement d’un désert d’affection.
Une nuit à la couleur de pleine lune, tandis qu’il dort dans une île au
centre d’une grande ville, il s’éveille en songe visionnaire et écrit sur le
papier qui reste près de lui : « Ton nom est Jual ». C’est écrit « Jual », avec
un « u », ou « Jval », avec un « v », un nom qui ne lui évoque rien, pas plus
que la Forme, et il aimerait comprendre qui il est, qui parle en lui. On
raconte que les initiés disent connaître leur Nom sacré, et voilà qu’il a le
sien ! Est-ce un mauvais tour que lui joue son inconscient, ou une
appellation de son bon génie ? A-t-il sur lui une haute protection ? Par cette
vision qui lui paraît transmettre un message à découvrir, ce code secret
disposé sur son parcours, cette Révélation, il a le sentiment qu’une lumière
s’exprime dans l’ombre tapie au fond de lui, une ombre à qui il se confronte
par l’exploration de ses rêves. Et il se souvient que chez les Songhaï des
rives du Niger, un homme privé de son ombre va à une mort certaine.
De l’autre côté du continent, il installe sa maison sur un cap, entre désert
et océan. C’est le pays du soleil, des plages en ruban et du vent. Il aime partir
en pirogue pontée loin des côtes, à la rencontre des thons, des dauphins, des
espadons, et s’émerveille de la fécondité de la Nature. Puis il rentre à la
maison du cap, blottie entre deux collines qui font comme des mamelles, et
s’y sent bien. De temps en temps, les embruns s’en viennent et effacent les
repères familiers.
Le chemin en bord de mer se divise en pistes qui serpentent puis se
rejoignent, jusqu'à deux lèvres étroites dans l’escarpement rocheux qui
s’ouvrent sur une grotte ayant autrefois servi de refuge aux intrépides. Pour y
entrer l’effort est nécessité, comme pour pénétrer un souvenir oublié. Il y a
longtemps on y a trouvé des ossements, des dents, des pigments, des
empreintes de mains et de pieds ainsi que des colliers, des coquillages bien
conservés, des objets utilitaires et des foyers. Les gens alentour racontent
que ce volume est sans fond et recèle un trésor, mais lui pense qu’il s’agit
d’un trésor de nature spirituelle, et que la grotte est le symbole de son propre
monde intérieur où gîte le sens caché de son devenir.
Jual aime s’y reposer et méditer. La grotte résonne des grandes étendues
océanes, qu’il entend mais ne voit pas. Parfois, tandis qu’il est immergé en
ce lieu de demi-jour, la rumeur des cataractes emplit encore son monde
intérieur, et la crainte renaît de ces passages où le long fleuve aux eaux
brunes est terrible : il sait qu’il n’y a pas d’issue en aval, qu’on ne peut qu’en
remonter le cours. Il imagine que lutter contre le courant c’est progresser
Le Mystère du Vivant
12
vers l’origine, comme un au-delà qu’il éprouve en lui, par l’avancée dans des
paysages denses et variés, le franchissement de réseaux complexes jusqu’au
pays de la lumière pure, de l’instant et de l’immuable. Il désire se mêler au
fleuve, être le fleuve jusqu'à sa source.
L’image de la Forme aussi lui revient, comme celle d’un fossile vivant,
dont il se sent séparé par une paroi opaque qui le désinforme. Il a l’intuition
que c’est la paroi de son ego qui le tient à distance, en souffrance, et il
voudrait l’effacer.
Jual n’imagine pas que le haut a toujours un bas, comme l’extérieur a un
intérieur, et sent une vague incomplétude dans son inconscient. C’est alors
qu’un navire est à quai, au port voisin. Des diplomates d’un pays de la
région persane y logent en cabine. Ils sont venus participer à une importante
conférence islamique, et il décide de les rencontrer.
Sur le vaisseau, leur accueil est chaleureux et il leur montre la Forme,
avec l’espoir de connaître leur sentiment. Mais c’est peine perdue : quoique
intéressée, la délégation de religieux ne répond qu’en dénégations.
Cependant ils lui demandent d’attendre : un montagnard les a accompagné,
qui est encore endormi, et ils voudraient lui demander son avis.
L’attente se prolonge. Puis l’inconnu ensommeillé apparaît. Son vêtement
est une tunique en peau de bête, son visage est dissimulé sous un fouillis de
barbe épaisse et de sourcils démesurés, une toque de fourrure sommaire lui
barre le front. Il tient du berger. Cet individu surgi d’un autre temps lui
évoque l’ancêtre de l’homme, celui de qui tout est parti, qui un jour « a parlé
à quelqu’un, ou à lui-même, de quelque chose », en gestes, en symboles ou
en mots.
En l’observant, Jual pense aux intuitions et déductions, aux fouilles
patientes qu’ont dû effectuer les paléontologues avant d’établir une relation
entre le silex taillé et l’homme antédiluvien. Aux résistances dont il a fallu
triompher pour convaincre que la représentation religieuse de l’origine de
l’homme était symbolique. Le délégué de la montagne semble peu pressé
d’aider, puis observe ce tracé et s’apprête à rendre le papier, comme si
aucune référence ne s’était éveillée en lui. Pourtant le voici qui se lève, met
la Forme face au miroir disposé dans la cabine, et fait signe. Les religieux
persans y reconnaissent le mot arabe Anwar : lumières, stylisé en une forme
synthétique qui lui donne un caractère particulier. L’un d’eux affirme que
cette Forme qui se présente comme un amalgame, coagulée ou fondue, est
une émanation de la Conscience pure. Alors chacun saisit que de la Forme,
c’est aussi l’image inversée qu’il fallait regarder. L’étranger de la montagne,
aussi éloigné de la pensée de Jual qu’il se pouvait trouver, a d’un geste
apporté un début de signification à cette difficile gestation, en lui rappelant
que l’Unité pour se faire connaître s’est dédoublée, a engendré la dualité. Par
la suite, d’autres musulmans de cette région lui confirmeront cette
interprétation. Jual remercie l’assemblée, prend congé, et met le cap sur la
Le Mystère du Vivant
13
maison. Il est envahi d’une joie profonde, certain que la Forme, comme il le
pensait, n’est ni gribouillis ni brimborion. C’est une image intérieure qui
s’affirme en un trait d’esprit, une expression de transcendance dans ce qui
s’affirme être une épreuve initiatique. Il scrute dans le miroir ce reflet qui
était jusqu’alors dérobé, et désirant obtenir de l’image virtuelle une
empreinte réelle, il la reproduit méticuleusement. Puis il place la Forme
couchée sur le papier face à son opposée ainsi réalisée, et lui accorde la
verticalité.
Pourtant, les deux points sont autant de lunes qui ne le satisfont point. Par
simple glissement, il n’en laisse voir qu’une. La Forme et son opposée se
rapprochent, comme deux profils qui font face, signature d’un Être unique en
genèse. L’image lui semble en balance, instable entre l’Incrée et le crée.
En songe, Jual voit que cette Forme qui gisait dans son inconscient est
une « figure à geste d’orant », mais il ne saisit pas pour le moment le sens de
cette expression. Il s’imprègne de la Forme et commence à voir que le travail
à faire est de transformer la paroi opaque de son ego en miroir, et que ce
travail a depuis longtemps débuté, sans qu’il ait pu le savoir. Il pressent que
la connaissance qui lui est donnée par l’exploration des ténèbres de son
inconscient et celle qu’il obtient de l’effet de miroir, sont deux faces d’un
même savoir fondé sur le retournement de sa vie profane en une vision
sacrée.
Il voudrait aboutir et imagine que les deux mains seraient jointes, celles
d’un Être objet et sujet, invocation du Parfait.
Le Mystère du Vivant
14
La Forme d’origine et son image inversée sont maintenant posées sur la
table, éclairées d’en haut par un faisceau lumineux. « N’inscris pas des
notions, regarde vivre nos images » disait dans l’Antiquité le prêtre égyptien.
Jual fait glisser l’une sur l’autre, et lentement elles se rapprochent.
Deux éléments qui, à l’origine, paraissent d’un seul ensemble. Des
jumeaux ne sachant pas où ils sont localisés mais pourtant liés par un cordon
invisible, et qui voudraient communiquer. Deux particules d’un même nom
de lumière qui chercheraient leur signification, leur affinité, et voudraient se
réunir. Jual accentue le glissement :
Surprise ! Les deux images, directe et réfléchie, se contiennent l’une
l’autre, comme la fin est dans le commencement et le commencement est
dans la fin. La Forme précédemment hors de sa portée devient informante :
tandis que le point se dédouble, une figure féminine apparaît, née du vide
effacé, qui procède des pôles s’unissant...
Un dicton lui revient : « Tout homme porte en lui une femme ». Il songe
aux religions où la déesse Mère exprime la plénitude de l’Être originel, et la
phrase du vieux Maître de Chine resurgit de ses pensées : « Il y avait quelque
chose dans un état de fusion avant la formation du ciel et de la terre.
Tranquille ! Ineffable ! La Mère de tout-sous-le-soleil. Mais j’ignore son
nom... Je l’appellerai Dao ». Et le vieux Maître poursuit : « L’Esprit de la
vallée ne meurt pas. C’est la Femelle mystérieuse, la racine du ciel et de la
terre ». Distinguant « ce-qui-a-nom » et « ce-qui-est-sans-nom », il ajoute
qu’il faut chercher à atteindre xuan zhi you xuan, le « mystère qui est au fond
de ce mystère », en rejetant le savoir et en « ne regardant pas ce qu’on
pourrait désirer ». Alors l’Un, le Dao, « la Mère des dix mille êtres » dit le
Vieux Maître, se réalise dans l’extase. Jual revoit la déesse égyptienne
Hathor, à tête de vache et aux cornes en forme de lyre, qui enfante Horus,
dieu du ciel dont les yeux représentent le soleil et la lune. Il admire ce
symbole composé de la Forme et de son opposée fondues en un seul corps, et
éprouve l’étrange sentiment qu’en lui-même, simultanément à cette
apparition, son pôle céleste a rejoint son pôle terrestre.
Il accentue encore le glissement, voit que les deux points s’éloignent
encore, et la même figure se montre cette fois au masculin :
Le Mystère du Vivant
15
Il recommence et vérifie plusieurs fois cette translation qui fait coïncider
à deux reprises les opposés, jusqu'à accepter l’évidence : de la Forme
d’origine sont nés l’homme et la femme, dedans et dehors en même temps,
distincts et confondus, contenant et contenu.
Le Couple primordial s’est parfaitement inscrit dans le monde sensible
par la jonction des moitiés.
***
Au sommet d’une des deux mamelles escaladées, Jual observe un nuage
venu de la mer qui se déverse sous le soleil en une averse tiède, célèbrant
entre le ciel et la terre un mariage cosmique sacré, promesse de fertilité. Il
pense aux paysans des villages environnants qui pratiquent des rites de pluie,
en faisant appel à un sorcier qui fait pleurer le ciel en « sortant de la durée »,
en réhabilitant l'éternel présent.
Séchant dans le soleil et le vent il pense à sa vie, voit qu’il est un errant,
de ceux qui ne possèdent rien et espèrent tant, affrontent le danger et
recherchent la paix dans l’insécurité ; un amant de la terre, mystique de
l’oasis et des lagons, des cirques de dunes et des lacs de cratère, un adepte du
port sans attaches et du lien à l’idéal, à la femme absente, en attente.
Il est ainsi depuis qu’enfant il attendait sa mère, souvent, une époque où il
s’est installé dans le provisoire, définitivement. Un jour, encore trotte-menu,
il était allé seul parmi les champs fleuris jusqu’au Port aux dames, un lieu
charmant au bord de la rivière qui coulait près de chez lui.
Le Mystère du Vivant
16
Une demoiselle à l’ombrelle, de l’autre côté de la passerelle de bois blanc
qui joignait les deux rives, le regardait en souriant. Sous la douce lumière, le
délicat visage féminin auréolé de dentelle lui renvoyait une image incertaine
de lui-même, et il n’avait pas osé traverser de peur de la briser, comme un
miroir fragile tenu dans une main à distance. Un ami lui avait dit qu’elle
s’appelait Koulilou, un drôle de joli nom. Puis ils s’étaient revus mais sans
se parler ni même s’approcher. Il sentait qu’ils n’avaient pas l’attache facile,
et pour finir la timidité l’avait emportée.
Parfois au soleil couchant, il rêvait être installé sous l’arche d’un pont de
bois minuscule qui joignait les deux bords d’un mince ruisseau s’échappant
d’un petit lac. Une jeune fille se tenait de l’autre côté de l’étendue d’eau, à
une haute fenêtre d’une maison éloignée, sous le faîte. À cette distance, par
le miroir du lac séparés, ils ne pouvaient échanger leurs regards, ni même se
parler. Encore enfants, ils vivaient l’un pour l’autre un amour naissant, une
hypnose sexuelle, le désir différé de s’approcher.
Par la suite tout avait changé, de part et d’autre des océans il avait aimé
tant de femmes qui avaient espéré. Ou rien n’avait changé malgré toutes, car
sa seule vraie compagne restait cette impression d’incomplétude qui ne
l’avait jamais quitté. Et maintenant c’est en fouillant dans son inconscient, et
en s’exposant à sa force éruptive qu’il espère parvenir à la sagesse, pensant
être dans la même situation paradoxale que l’adepte égyptien qui s’entendait
dire « si le ciel ne te met pas en main ses clés et son fil directeur, jamais tu
n’en découvriras le plan ».
Or voilà que dans son ciel intérieur une lumière s'est manifestée. Sur la
Forme tracée en songe, le point était unique. Par la figure bisexuée, issue de
la Forme en un miracle fusionnel, il se dédouble. Jual pense que c’est
l’incursion en son être du point, expression de l’Absolu, qui a fait jaillir en
lui cette image magique. L’Ancien Testament, Job, 33, 10, lui apporte une
confirmation, lui confirme qu’il a ouvert une porte : « Dieu parle d’une
façon et d’une autre sans qu’on prête attention, par des songes, par des
visions nocturnes, alors il parle à l’oreille de l’homme. »
Il comprend que la Forme initiale enfantée dans son imagination était
présence d’une absence, gage de reconnaissance, comme parfois un
voyageur doit réunir la moitié d’un objet qu’il détient à l’autre moitié, pour
être reconnu à l’entrée d’un domaine réservé et obtenir l’hospitalité. Il se
souvient que dans la Grèce ancienne, un étranger ou un voyageur suscitait
plutôt la prudence et était même souvent considéré en ennemi 3
, mais que s’il
ne montrait pas d’hostilité, savait rassurer, il était alors reconnu et accepté
comme un suppliant, nécessiteux d’un bon accueil et de soins. On se devait
d’être bienveillant, et en se séparant l’hôte rompait avec l’étranger
une tessera, petite plaque de bois, d’ivoire ou de métal, dont chacun gardait
une moitié afin qu’ils puissent, - ou leurs descendants -, renouveler les liens
plus tard.
Le Mystère du Vivant
17
Par son caractère religieux, la Forme lui ouvre une voie de connaissance.
Présomptueux, en son centre vital il envisage un moment qu’elle est la
moitié manifestée de la face de Dieu. Elle constitue avec son opposée un
mouvement qui réunit des éléments séparés et complémentaires, une co-
existence pacifique des contraires, une alliance sacrée nouée autour de ce
signe de croyance. Et en même temps que celle-ci se dessine, il sent qu’un
pacte se scelle en profondeur en lui, avec il ne sait qui, peut-être similaire à
la convention de non-agression entre Faust et le magique Méphistophélès.
En une intuition diurne, elle s’est trouvée complétée de sa forme inversée qui
coïncide et les deux, dans son espace subjectif, composent cette alliance d’un
grand pouvoir unificateur. Par la jonction des opposés de la Forme,
l’accolade de son être, il saisit d’un effroi sacré encore jamais ressenti que
cette androgynie, cette source de sagesse est en lui : il tient des deux sexes,
homme et femme ensemble. Et il s’aperçoit que Faust n'a jamais pu voir
cette « forme sévère » symbolisant l’Immortel, le trésor suprême et
indéchiffrable au cœur du monde et de chacune de ses cellules.
Tant de peurs, d’interrogations, de doutes pour une si petite chose ! Il se
souvient du rituel d’alliance, permettant d’établir un traité ou un accord entre
deux parties, qui a toujours consisté à séparer l’offrande en deux moitiés
égales et à les arranger en vis-à-vis, chacun des contractants passant ensuite
entre les moitiés pour « couper l’alliance », c’est à dire la sceller. Et il se
rappelle de ce passage de la Bible où il est écrit que le Père-très-haut
Abraham « préleva pour Lui » (Yahvé) « tous ces animaux, et il les trancha
en deux moitiés par le milieu... ».
Et aussi il se souvient de Élie, et d’YHWH, divinité au nom
imprononçable, de son visage et de sa beauté qui foudroie, et de ce passage
de la Bible, Rois, 19, 9-13 : « Élie entra dans cette caverne et logea là, et
voici pour lui une parole d’YHWH, et elle dit : Que viens-tu faire ici,
Élie ?... Alors un grand souffle passe, point d’YHWH... Puis un
tremblement, point d’YHWH... Après un feu, point d’YHWH... Et après ce
feu, la voix d’un léger bruissement ». Élie est soumis à l’épreuve des amants
débutants : savoir reconnaître celui ou celle qui est l’Unique, caché parmi les
avatars et les phénomènes. Là, l’Unique parle sans bruit, vient dire ce qu’il y
a à faire ici, et au contact de la lumière divine l’Être de l’homme s’amplifie.
Alors il s’intéresse à l’origine suméro-akkadienne du nom Abraham, ou
Abram. Et il s’aperçoit que le Père-très-haut est ÁB rīmu : le taureau
sauvage, ou ÁB aru : la vache :
Le Mystère du Vivant
18
de même signe que ÁB-GUD : la bête à cornes, que ÁB-KU : le pâtre, que
ÁB KU 6 : le poisson-vache, et ÁB-ZA-ZA : le singe. Le poisson-vache que
Jual retrouvera dans les cultures océaniques, et le singe chez les Dogons en
Afrique. Il observe que le Très haut est aussi rimi : enfoui comme une fleur
dans la motte d’argile, ou dans le ciel profond de l’être :
Son ami paysan avec qui il a partagé ribotes et ribaudes est réticent à le
suivre sur cette voie, pour qui un taureau est un taureau, une vache est une
vache, pas les deux à la fois, et pour qui un homme n’est pas une femme.
Pourtant cet ami cultivé lui fait état d’une légende de sa province où deux
vaches se sont prises dans le même licou. Cette étrange histoire rappelle à
Jual le mythe de la licorne coréenne et il veut en savoir plus, mais l’ami lui
dit que dans son pays parler de ce secret n’est pas permis.
Il pense à la Vénus dite « l’hermaphrodite », en stéatite verte datant du
gravetien, de Grimaldi en Italie ; parfois il n’y a pas de critère qui suffise à
une diagnose sexuelle crédible. Et il revoit la Vénus dite « bâton aux seins »
en ivoire, datant de la même époque, de Dolni-Vestonie en Tchéquie.
Par l’apparition de cette Forme en qui il voit un dépôt primordial autant
que le germe de son état futur, Jual sent qu’il avance sur le chemin
initiatique de la transformation vers l’Unité, un chemin à l’issue indéfinie ou
incertaine. En renonçant à ce qu’il croyait être, il rend possible la réunion de
ce qui a été dispersé. Il se dit : « Ce symbole évoque le Verbe sacré, la
Parole recrée. C’est par le sacrifice de ce que j’étais que je ferai surgir Celui
qui attendait à l’intérieur. L’initiation est mort et renaissance, et le passage
s’effectue dans l’ombre ». Et il pense aux paroles cachées de Jésus : « Quand
vous voyez Celui qui n’a pas été engendré de la femme… adorez-le : Celui-
ci est votre Père ». Et à la Bible, à propos de Dieu, Gn, 8-16 : « Car ceux que
d’avance il a discerné, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son
Fils » ; et Col, 3, 10 : « Il le fait en lui imprimant l’image plus belle de Fils
de Dieu... qui rétablit l’homme nouveau... » ; et aux adieux du Christ, cités
par Jean, 14, 15-21 : « D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais
vous, vous me verrez Vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous
reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en
vous...celui qui m’aime sera aimé de par mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et
je me manifesterai à lui ».
Dans les rites d’initiation des sociétés primitives, il voit que le thème des
jumeaux, - parties intégrantes l’une de l’autre et à réunir en une seule
personne, ce qui constitue l’épreuve -, est lié au sacrifice humain
propitiatoire et à la mort nécessaires à la guérison. C’est par la mort des
jumeaux que survient la victoire de la nature spirituelle de l’homme sur
Le Mystère du Vivant
19
l’animalité, et que se réalise l’Unité. Il s’aperçoit que ce thème des jumeaux
a une portée universelle et est souvent lié, comme sur la figure issue de la
Forme, à celui de la corne, symbole de la force animale incontrôlée et de
l’énergie divine. Et que l’union de deux éléments sans changement ne fait
pas que l’un devient l’autre. Seul le changement fait un nouvel ensemble. Il
pense à ce qui est dit dans les Upanishads : devenir Un, c’est mourir.
Jual en bordure des champs de conscience flottants
Le Mystère du Vivant
20
LE PRINCIPE
L’empreinte survenue dans son sommeil suscite une inquiétude par son
étrange nouveauté, parfois même hante ses heures de veille. Il lui arrive de
s’emporter naïvement contre ce diable de Méphisto au pouvoir absolu,
comme s’il avait été initié par lui à voir l’Androgyne. Ce diable lui
paraissant malfaisant et ténébreux, qui fait pourtant partie de sa vie et l’aide
à prendre la pleine mesure de son être.
Jual met un temps cette empreinte au fond d’un tiroir pour l’oublier,
pensant qu’il n’a pas besoin de savoir où il va, tout juste devrait-il se soucier
de sa santé, des êtres qui lui sont chers, ou même du temps qu’il fait. Mais le
plus souvent, bien que son entourage soit perplexe ou sceptique, méfiant ou
craintif, il veut approfondir la recherche, interroger la Forme immuable, le
langage inconnu. Depuis qu’il a tourné son regard vers l’intérieur, son visage
l’intrigue, réfléchi par l’éclat du miroir dans une dimension de lumière : le
reflet de la glace, qui semblait si fidèle depuis maintes années, n’était
pourtant qu’un voile dissimulant la réalité profonde de son être, du fait qu’il
ne voyait pas en lui son opposé complémentaire mais seulement l’image de
son ego. Une fois, un instant le miroir avait été vide, ou face à une structure
ouverte, la Forme était apparue en une irruption tragique, homme et femme,
qui porte cornes et couronne. Tandis qu’il a accompli le grand retournement,
un bonheur fou l’emporte par instants. Il écrit un poème :
FACE À FACE
Tu sors de ta cuirasse
Si tu mets en place
Devant toi une glace,
Dans un noir espace
À son côté une chandelle
Et sa flamelle,
Éclaire d'une lumière fidèle
Ton visage-citadelle.
Le Mystère du Vivant
21
En aucun cas ne cligne des yeux
Même si tu pleures d’autant mieux,
Et plonge dans tes prunelles
Ton regard qui étincelle
Tu es soumis au vertige de l'angoisse
Et subis l'illusion de l'impasse,
Alors que sagace en ta province
C'est Narcisse que tu évinces
Soudain ton être immortel
Apparaît en ton image virtuelle,
Le miroir de la sorte scelle
Ton rapport à l’immatériel
Davantage se révèle
Dans cette relation confidentielle,
Si tu passes dans ce visage intemporel
Et contemples celui que tu croyais réel
Tu es en cet instant ton être subtil
Qui identifie d'en face sa figure pile,
Où ne bouge ni cil
Ni pupille
Lorsque ce regard retourné, cette volte-face
Avec ton double a brisé la glace,
Et cette boucle, ce va et vient qui te déplace,
En ton Centre spirituel te rend place
Quitte ce face à face
Et élis domicile,
Ni côté face ni côté pile,
Sur le côté de ce biface
Te voici sorti de ta bastille,
Vis-à-vis de ton double profil
Le Mystère du Vivant
22
Présent en asile
Dans un cercle qui scintille
Un écran
Où se projette en cette onde,
Du néant
Ton image dans le monde
Tu voudrais voir ta vérité
Saisir ton être en son intégrité,
Énigme entre l'Absolu insondable
Et ses formes connaissables
Comme dans la Bible
Où s'effacent les piles de Babel,
Tu frôles l’indicible,
L'Éternel
Face à sa solitude, il aimerait savoir si d’autres ont vécu pareille aventure.
Il rencontre ces mots hermétiques du gnostique païen Poimandrès :
« L'Homme (... ) fit montre à la Nature d'en bas de la belle forme de Dieu.
Quand elle l'eût vu qui avait en lui-même la beauté inépuisable (... ) jointe à
la forme de Dieu, la Nature sourit d'amour, car elle avait vu les traits de cette
forme merveilleusement belle de l'Homme se refléter dans l'eau, et son
ombre sur la terre. Ayant perçu cette forme à lui semblable présente dans la
Nature, reflétée dans l'eau, il l'aima et il voulut habiter là (... ). Alors la
Nature ayant reçu en elle son Aimé, l'enlaça complètement et ils s'unirent,
car ils brûlaient d'amour » 4
.
La Nature est l’expression de l’Invisible. En chemin, Jual veut aller à la
rencontre de son envers complémentaire, accepter le symbole unifiant qui lui
est venu du fond de son inconscient, et trouver la paix. Il interprète le texte
de Poïmandrès en se souvenant que le soleil dans le ciel ne laisse admirer sa
couronne que lorsque la lune vient épouser sa forme en une union parfaite,
symbolisée par un anneau de diamant, et éclipser sa fulgurance en projetant
sur la terre un mince cône d’ombre.
Un soir dans son jardin d’eau, il se repose dans le hamac suspendu entre
un flamboyant et un palmier, au bord de la vasque où viennent boire les
oiseaux. Au-delà des rosiers et des jasmins aux effluves envoûtants de
paradis, il contemple le petit bois d’une intemporelle beauté. Dans
l’harmonie des végétaux et des jets d’eau, les arbres semblent réunis en
conclave, en arbres-esprits formant une assemblée de notables. À cette
Le Mystère du Vivant
23
saison les branches ont perdu leurs feuilles et ont la forme de racines. Le
bois paraît avoir la tête en bas et la beauté de la Nature lui apparaît sous un
autre aspect, comme celle d’un tableau abstrait. Il lui revient qu’autrefois il a
été stupéfait par la splendeur d’un tableau d’un peintre célèbre, et
quoiqu’une admiration universelle soit manifestée à l’endroit du tableau, il
aimait de lui autant son envers que son endroit.
Depuis que la double figure est née de la coïncidence des opposés de la
Forme, il a le sentiment d’accéder par le paradoxe à la totalité de sa psyché,
de pénétrer son propre mystère. Dans cette affirmation simultanée de
l’identité et de la différence, il se sent être le développement d’une
possibilité de perfection, d’organisation de la matière marquée du sceau de
l’éternité. En transcendant les contraires, il découvre le Principe unique,
source de la vie et de la conscience, manifesté en masculin et féminin 5
, le
Principe anthropique, l’Homme primordial.
Il saisit que cette apparition ne peut pas être comprise de façon habituelle,
« dans des catégories historiques » dirait le philosophe, qu’elle n’a pas le
statut des événements de ce monde. Une analogie s’établit entre la figure
pétrie des opposés de la Forme et le symbole alchimique du Rebis, être
androgyne, unique bien que double, dont la moitié droite est masculine et la
gauche est féminine.
Il est très contrarié par l’apparition de cette androgynie intérieure. Non
pas que la représentation de la divinité surgie d’abord en lui sous forme
d’une image féminine lui semble hérétique, comme elle fut pour d’autres et à
d’autres époques en Occident, mais parce qu’il avait de lui l’idée naïve d’un
homme viril et conquérant comme don Juan, qui ne concorde pas avec cette
manifestation rayonnante surgie des ténèbres. Il aurait pu savoir que dans
son inconscient, lorsqu’un élément domine à ce point qu’il culmine,
l’élément contraire en jaillit par compensation. Mais il ne le sait pas, et c’est
l’expérience de la vie qui lui révèle 6
, celle d’un sixième sens qui fait qu’un
noumène devient phénomène, qu’il se manifeste à la conscience. Depuis
qu’est apparue cette résurgence, il craint de s’engager dans le puits sans
parois de l’indicible. Scruter l’abîme vécu de son ciel intérieur lui donne le
vertige, quoique pourtant il pressent que la Forme le révèle à lui-même
devant ce gouffre sans fond. S’il est saisi d’effroi, c'est qu'il n'a pas encore
bien admis que cette image primordiale bipolaire témoigne que se structure
en lui le Principe et sa manifestation, et que cet autre qu’il reconnaît dans
son reflet n'est autre que lui-même, qui l'aime et qu'il aime.
***
Tandis que sur l’image les pôles se sont rejoints, Jual voit tantôt que le
plein s’empare du vide et tantôt que le vide se pare du plein. Les deux foyers
aux pôles opposés sont les arabesques de la conjonction de deux corps
Le Mystère du Vivant
24
jumeaux en Un, nés de la lune noire. Il pense à Leda qui prit la forme d’un
cygne pour plaire à Tyndare, et enfante deux couples de jumeaux. Et à ce
lieu obscur où se tiennent les éternels Dioscures, gémeaux de la Cité Solaire
qui partagent la même âme. Il sait que la Cité s’assiège d’abord de
l’intérieur.
L’expérience de l’Absolu lui semblait impossible, elle est maintenant
constitutive de sa propre existence. Il préfère explorer cet espace de
l’impossible plutôt que celui du possible. Autant la manifestation isolée de
cette Forme lui semblait ambiguë, autant elle lui paraît prendre son sens par
rapport au Principe : l’Absolu s’est fait connaître en une parole principielle,
atténuant sa fulgurance en cette expression de gnose véritable. Dans cette
double figure homogène résultant du mariage des contraires de la Forme,
l’Absolu habituellement inaccessible apparaît en un couple d’opposés
complémentaires, ou plutôt doublement opposé : virtuel-manifesté et mâle-
femelle. Il se révèle en une manifestation particulière de l’Unité où se réalise
l’Androgyne, où l’Un se dédouble et où le deux se fait Un 7
. Jual pense au
poème cosmogonique babylonien Enuma Elish où il est dit que l’homme fut
formé du sang des deux dieux Lagma, immolés dans ce but.
Il découvre que l’Absolu s’atteste dans la Forme, et saisit que le monde
est crée et régi selon deux éléments antagonistes d’un Principe suprême,
apparu ici en la forme développée de son équivalent symbolique : le Couple
primordial. Dans le Coran, Adam-wa-Hawâ, Adam-et-Eve, est Allah, et le
nom divin Huwa, - Lui, Allah -, est symbole de l’Androgyne.
Peut-être que dans d’autres univers le Principe s’exprime de façon
différente, mais l’homme s’intéresse à ce qui se passe en lui, et en ses
semblables sur cette terre.
Parmi ses lectures il découvre ce passage du Banquet de Platon : « En ce
temps-là, l’Androgyne était un genre distinct et qui, par la Forme comme par
le Nom, tenait... à la fois du mâle et de la femelle ». Et cet autre : « ... alors
chaque moitié soupirant après sa moitié la rejoignait ; à bras le corps, l’une à
l’autre enlacées, convoitant de ne faire qu’un même être ». Et dans
l’Évangile : « Lorsque vous ferez de deux Un et ferez l’extérieur comme
l’intérieur, et ce qui est en haut comme ce qui est en bas, et lorsque vous
ferez le mâle avec la femme une seule chose, en sorte que le mâle ne soit pas
mâle et que la femme ne soit pas femme... Alors vous entrerez dans le
Royaume ».
Et ce passage de la Brad Âranyaka Upanishad sur le Purusha, l’être
spirituel qui est en nous, identifié à Brahma, le Principe divin : « La
Personne dans l’œil droit est Indra-le-resplendissant et la Personne dans l’œil
gauche est son épouse : leur conjonction est... dans cet espace qui est à
l’intérieur du cœur ».
Et ce récit visionnaire en Islam : « Les deux anges auxquels l’être humain
est confié, ceux que l’on appelle Gardiens et Nobles Écrivains, l’un à droite,
Le Mystère du Vivant
25
l’autre à gauche ». Et plus loin : « Celui à qui l’on enseigne certaine route
menant hors de ce climat, et que l’on aide à mener à bien cet exode, celui-là
trouve une issue vers ce qui est au-delà des Sphères célestes. Alors en un
coup d’œil fugitif, il entrevoit la postérité de la Création Primordiale sur
laquelle règne un Roi unique. »
Le mystère est dans le vide qui est en lui et qui l’emplit.
Parfois dans le jardin le temps est long. Être productif en ne faisant rien
est pour lui une façon de chasser l’ennui. Après une flânerie autour du logis,
il s’allonge sous la tonnelle fleurie et rêve qu’il a dans son domaine réservé
un cheval sauvage. Son intention est de monter cet étalon mais l’animal se
laisse toujours approcher pour mieux s’échapper, effrayé de jouer. Il se
promet d’apprivoiser ce compagnon indocile et d’en devenir responsable,
puis soudain devient lui-même le cheval, qui détale à travers ombres et
fantômes vers l’inconnu, jusqu'à un monde éclatant de lumière.
Lorsqu’elle est apparue, la Forme d’illumination l’a ébranlé et
maintenant qu’il se sent dans le secret, il se demande s'il peut poursuivre
dans la voie de recherche de l’unité de son être. Alors il s’aperçoit qu'il n'y a
pas lieu de refouler ce désir, qui l’allège de sa souffrance en atténuant cette
impression de séparation qu’il a toujours confusément éprouvé, cette
souffrance qu’il croyait principalement liée à la séparation d’avec sa mère
lorsqu’il était né. Et devant un tel symbole jailli en soi, on ne peut être
timoré, on n’a pas le choix.
Dans cette relation avec ce quelqu'un qui n'était personne récemment, cet
opposé qui lui est encore un peu étranger, au surplus immiscé dans son moi
alarmé, il lui semble qu’il s’estime davantage. Malgré ce sentiment
d’ingérence, ses yeux trouvent mieux son regard : là où il craignait de croiser
le regard du Diable il découvre sa Nature parfaite, comme le sculpteur
mystique donne forme à l’ange par l’alliance de la pierre taillée et du vide
délimité.
Il apprécie cette situation paradoxale et sait qu’elle ne peut pas être vécue
en permanence dans tous les contextes de sa vie quotidienne et profane, mais
il lui paraît important d’y faire des incursions fréquemment, faire le vide en
lui pour vivre dans la plénitude un instant, s’y ressourcer et, par le
renversement des valeurs, se transformer.
Alors il se communique avec cet autre lui-même dans un soupir, ou un
signe de silence né de cette conversion radicale. Cela lui semble passer par
l’acceptation de ses contradictions et le désir de s’aimer. La condition est
qu'il pactise en un scénario extrême avec la part obscure de son inconscient
qui résiste, où naissent anges et démons, oiseaux de feu et dragons : c’est
dans la transfusion entre son conscient et son inconscient que se fera le don
de sa personne, sans lequel il ne peut recevoir.
La mise à jour en son Centre spirituel de ce symbole qui unifie ses
contraires et le guide vers l’Unité indifférenciée, a dégagé en lui une très
Le Mystère du Vivant
26
grande énergie, une parcelle de l’énergie universelle. Comme si le soleil
parvenu au zénith avait engendré une nitescence vivifiante au fond du puits
sans limite de l’ombre, réputé insondable à moins peut-être d’y attendre
longtemps le bruit soudain d’une pierre en fin de chute, qui frappe l’abîme.
Il se sent enveloppe terrestre d’un volcan paisible et pourtant impatient,
d’un soleil souterrain. Il a observé que c’est lorsqu’il se rapproche ainsi de
son Centre spirituel que les autres voient en lui un excentrique. Il est vrai que
c’est près de lui qu’il se sent le plus proche des extrêmes réunis. Depuis qu’il
a découvert en son Centre cette Forme, cette monade, il se passionne
davantage pour les nomades. Il se reconnaît en ces adeptes de l’avancée
permanente vers un horizon qui semble les attendre, sans jamais se laisser
atteindre. Il se documente sur Siddharta faisant le voyage qui lui apporte la
lumière et devient Bouddha.
Bouddha, Birmanie
Il s’intéresse tout autant aux moines tibétains itinérants, aux moines
mendiants du Moyen-Âge en Occident et aux Almoravides conquérants.
Les Touaregs du désert, les Esquimaux de l’archipel canadien, les
Pygmées de Centrafrique, les Tziganes des Balkans, les Tsatan de Mongolie,
les Moken de Birmanie, les Juifs errants et autres passagers de la terre
reçoivent sa visite. Il partage un moment leurs coutumes, puis revient à la
maison et revoit ces instants où, vivant lui-même en nomade créateur hors de
ses frontières intérieures, il a agrandi son champ de conscience vers
l’Absolu. Les temps ont changé depuis son adolescence, où fréquemment
derrière chez lui venaient s’installer pour quelques jours des Gitans dans un
champ. On ne leur parlait pas, on disait qu’ils n’étaient pas des nôtres, ou
simplement qu’ils n’étaient pas causants...
Son ami paysan interprète ces déplacements répétés comme des
évitements, mais lui sent que son amour des voyages, de l’inconnu, de la
Le Mystère du Vivant
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mer, du désert où le silence s'écoute dans la nuit, sont en rapport avec l’oubli
de lui et de son corps, à un amour mystique du vide. Prendre la route pour
aller en pèlerinage du naturel au surnaturel, de l’immanence à la
transcendance, de l’humain au divin. Voyager dans le savoir et voyager
autour du monde, pour le plaisir de découvrir et pour l’apprentissage de la
vie. Explorer pour se connaître, dans le contact avec les autres et dans la
solitude. Mêler la route matérielle et l’itinéraire spirituel. Chercher ce qu’il
est, et chercher le vide car il sait qu’il va mourir.
Il apprécie la Forme comme un sésame irremplaçable et toute aventure
vécue est plus qu’avant une aventure spirituelle. Un soir de Pâques au
Sahara, ses pas gravent dans le sable et le vent d’éphémères figures,
ondulations, gouttes de lumière, effilures. Parmi ces vagues de dunes et ces
cascades de sable, il songe à la visite qu’il a faite dans la journée aux bois
pétrifiés de l’Aïr, et à cet oiseau blanc qui s’est envolé d’un tronc de pierre
couché. Puis alors qu’ailleurs ses amis sont en fête, il est sur la crête du
cirque de dunes de Temet, - un cercle parfait au bord des espaces immenses
du Ténéré -, et il médite sur le Couple primordial, le double visage, l’étrange
bi-unité de l’Être. Un instant, il craint de tomber telle une fourmi au fond
d’un sablier. Le soleil et la lune sont posés sur l’horizon, exactement
opposés, et il se sent contemplant et contemplé, enfant engendré. Il a à
l’esprit ce rêve du fétiche glissé sous la porte, qui avait provoqué
simultanément émotion fébrile et forme immobile, puis suspend sa pensée,
se libère de tout effort conceptuel, des idées de dualité, de néant, d’éternité,
et s’ouvre au vide lumineux, à l’expérience non duelle.
***
Après ces beaux et épuisants voyages, le retour à la maison est signal de
repos. Dans les soirées, il emprunte les sentiers du jardin aux odeurs de
figuier et de jasmin, et s’installe près de la fontaine au jet gracile, sous
l’arbre centenaire. En ces moments de chuchotis, murmures et gloussements,
tintements et gazouillis, il croit être près de la fontaine de jouvence au pied
de l’Arbre de vie et a le sentiment de s’affranchir de la condition temporelle,
d’être proche de l’état primordial.
Mais lorsqu’il revient à la Forme il est assailli de questions, est repris par
le démon de sa pensée analytique, de sa propre inquisition l’empêchant de
voir qu’il ne s’agit pas de tout expliquer, mais de saisir qu’elle est une
apparition de l’archaïcité originelle, un symbole de la mise en scène de
l’univers. Sa pensée cherche une structure compréhensible au lieu de
chercher la vérité dans les symboles.
Ce Principe de vie qu'il porte et qui le porte, - il éprouve le sentiment
d’être la maison et l’habitant de la maison -, ce Principe de l'homme involué
dans la matière, en gestation depuis des millions d’années à travers
Le Mystère du Vivant
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l’évolution des espèces, il l’a appréhendé en lui par la réunion de l’endroit et
de l’envers, en une figuration imaginaire. La Forme lui paraît être un
témoignage de l’élan vital et créateur qui se diversifie dans la matière, en
l’organisant. Il voit un rapport entre cette figure de l’Androgyne et la
bisexualité contenue dans chaque cellule humaine, avec deux groupes de
chromosomes venant de chaque parent, et pense que peut-être les structures
mentales sont comparables aux structures biologiques nucléaires. Jual
s’émerveille de la capacité des êtres humains à saisir les situations et à
effectuer les adaptations nécessaires dans un milieu changeant. Ce qui
différencie l’homme de l’animal, pense-t-il, ce sont les signes et les
symboles, différents des stimuli et signaux des animaux. Il ne lui semble pas
que les transformations des gènes sont seulement fortuites, et il imagine une
préadaptation génétique, des gènes préformés.
Il se demande dans quelles conditions son organisation psychique a pu
favoriser en cet instant paradoxal l’émergence d’une telle Forme, une telle
figure illuminatrice, et à quelle logique des antagonismes elle a obéi. Par
moments, il sombre dans l’indistinction des réalités et se perd dans les
méandres de son inconscient. À d’autres, il croit qu’un arpent de vérité se
tient dans ce dédale, comme un espace bleu de courbes de lumière qui se
terrent dans une baie de mer noyée d’obscurité.
Il poursuit ses tentatives de compréhension rationnelle pour savoir quelle
clé a été utilisée dans cette vision révélante. Cette figure contradictoire
exprimant l’unité du genre humain lui semble venir d’avant la préhistoire.
Un parent de cet archétype de lumière résidait-il déjà dans le bagage
génétique de l’homo erectus, ou dans celui de l’anthropoïde Lucy ? Serions-
nous vraiment tous parents quoique tous différents ? Il se sent familier de ces
hommes du passé qui se représentaient les animaux et leurs semblables en
observant leurs empreintes laissées au sol, ou même en les imaginant en leur
absence.
Par la confession de ses masques, il soupçonne avoir extrait de son
inconscient quelque chose de primordial, la plus intime disposition
personnelle mentale, l’objet de son plus profond désir qui s’exprime sous
forme d’une représentation symbolique. Une image qui ne s'est d’abord
montrée qu'à moitié, comme si sa personne était temporairement divisée,
comme un reflet dans les vagues de fond de ses rêves. A-t-il opéré
inconsciemment une césure de cette image sans âge pour n’en présenter
qu’une demie, et se défier dans sa recherche d’harmonie à retrouver la moitié
complémentaire de l’épure, lui permettant de restaurer son unité, se déifier ?
A-t-il voulu donner à cette Forme un sens, conférer à son être une
transcendance pour échapper à la fois à l’absurde et à la démence ? En
regardant la figure, il ne lui déplaît pas de penser qu’elle aurait pu être la
représentation graphique d’un totem, animal ou être mythique, ancêtre d’un
clan auquel il aurait appartenu.
Le Mystère du Vivant
29
Il se demande parfois s'il ne s'agit pas d'un fabliau. Tout cela n’est peut-
être qu’un montage à partir d’une forme quelconque : il n’aurait fait
qu’employer un moyen plastique en utilisant l’effet de miroir, la figure
symétrique obtenue étant humanisée par assimilation au visage et au corps
humain. Un moment il pense aux tests qu’on utilise en psychologie, formés
de figures symétriques à partir de taches indifférenciées. Et au lieu d’une
affirmation de la suprême vérité prenant corps dans ce songe tracé, ce ne
serait qu’une illusion, une divagation, une duperie d’apparences construites.
Plutôt qu’une illumination, ce serait un aveuglement qui se voudrait
rassurant. Alors, par l’acceptation de la fusion des moitiés de l’énigme, ne
s’ouvrirait-il pas à la voie de la confusion de l’image et du réel ? Aurait-il
réalisé cette expérience symbolique en pleine névrose anxieuse ou durant un
épisode psychotique ? Ne serait-il pas la proie de son inconscient ?
Mais dans ce cas, comment expliquer la puissance de symbolisation de la
double figure et sa force à exprimer la sexualité ? Attendant d’en savoir plus,
il préfère continuer de croire que cette forme de lumière qu’il recèle est
essentielle, que cette monade lovée dans son intimité et se transformant en
une dyade, est belle et bien une image de la force vitale universelle, une
manifestation de l’Absolu.
***
Traversé à nouveau de sentiments confus, Jual trouve refuge dans ses
certitudes. Il se réfère encore à la raison, voulant refouler les contraires pour
privilégier le sens univoque, ou il prétexte parfois que cette affaire tient de la
magie et n’est plus de notre époque.
Il sait que sa conscience en veille ne laisse passer habituellement que les
informations utiles à la conception de séquences qui représentent l’univers
selon un modèle construit, avec un présent et un temps qui s’écoule. Or, en
une vision soudaine, la Forme de l’Androgyne est apparue, comme si le
cerveau qui filtre et interprète avait délaissé son rôle de sentinelle, s’ouvrant
au flot de conscience universel. Aurait-elle franchi la barrière de contrôle
subrepticement en un moment rare, à l’occasion d’un relâchement de la
fonction sélective pendant le songe libérateur ? Ou bien son cerveau aurait-
il de lui-même cessé de filtrer, pour mieux réceptionner cette structure
d’information primordiale ? Cette soudaine image révélatrice ne lui semble
pas être seulement un élément de mémoire individuelle, mais une émanation
d’un fondement ancestral et il voudrait être expert dans une discipline
inventée, l’archéologie psychique. Il aimerait découvrir d’où vient cette
information, et comment elle a été codée dans ce qu’il imagine être en lui
une mémoire universelle.
On lui dit qu’il y aurait des sédiments mnésiques accumulés au cours de
la phylogenèse et que ce trésor serait celui de nos ancêtres. Il songe aussi que
Le Mystère du Vivant
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dans l’Antiquité l’esprit des morts maintenait dans l’au-delà une apparence
humaine, que les vivants nommaient « l’ombre ». Mais sur ces « résidus
archaïques » on sait peu de choses, ou on suppose que ces « souvenirs-
formes » seraient engendrés par des champs d’ondes de forme. Sans doute
notre inconscient dispose-t-il d’un pouvoir de perception subliminal qui le
fait s’approcher du devenir ancestral inscrit dans la structure de notre être, ou
est-il lui-même ce devenir. Un ami lui parle d’invariants, de liens à
l’universel, de grandes constantes des archétypes de l’humanité 8
, comme le
sont les lois physiques de l’univers. Jual reste extasié de cet instant
d’illumination directe, cet éclair d’éternité où en lui-même une Écriture
sacrée s’est fixée, où par la Forme l’Absolu a pris place, laissant par là la
possibilité d’être connu à condition d’accepter cette possibilité et de
travailler à sa connaissance.
L’impression qui domine est que ce corps vierge surgi de son firmament
intérieur est une clé de l’origine de l’humanité, semblable aux comètes
fugitives qui révèlent les archives du système solaire dans le vide planétaire
et dont on dit qu’elles auraient apporté dans leur chute sur terre l’eau et les
germes de la vie. À la différence qu’il est lui-même le vagabond de son
espace intérieur, à la recherche de sa propre origine. En contemplation, la
Forme lui donne la sensation de ne pas être compatible avec son système
habituel de représentation, d’être dans un espace de conscience hors du
temps. Elle paraît domiciliée ici et ailleurs, et faire signe. Un signe
cabalistique venu de l’Infini mystérieux qui prendrait nécessairement une
Forme pour devenir accessible, comme s’il y avait entre cet Infini et le
monde familier sensible un inter monde convertisseur où les signes purs
s’habilleraient de lumière pour être mieux aperçus. L’Infini introublé où les
archives de l’univers seraient cachées.
Il aime tant l’océan qu’il vouerait un culte au dieu Poséidon. Lorsque le
temps est calme, il va plonger du haut d’un rocher jusque vers le corail caché
où s’allient depuis des millénaires le minéral, le végétal et l’animal. Il aime
nager d’une branche à l’autre de cet arbre des eaux en de longues apnées,
puis remonte à la surface et respire sous le soleil, en se laissant aller au creux
de l’énergie d’une vague. Parfois, il imagine qu’une escorte de dauphins
l’accompagnera au fond des mers, comme pour Thésée à la recherche de
l’anneau de Minos qui tue dans le labyrinthe construit par Dédale le
Minotaure qui y est enfermé. Un monstre à corps d’homme et à tête de
taureau, né de l’union contre nature de Pasiphaé avec le taureau que
Poséidon a fait sortir de la mer.
Depuis longtemps une analogie s’est établie entre ces plongées sous-
marines et ses rêveries clandestines, entre l’arbre de corail branchu et l’arbre
des songes. Un jour, il lit dans la mythologie grecque la légende de Géryon,
fils de Chrysaor, né du sang de la Gorgone et qui avait trois têtes et trois
troncs.
Le Mystère du Vivant
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Alors il décide de prendre le taureau par les cornes. Dans sa traque de
l’insolite, il lui vient l’idée d’utiliser les moyens modernes : décrypter la
Forme au scanner et, à l’aide d’un logiciel observer l’image en trois
dimensions. Sa curiosité est déçue, la machine lui dessine des figures qui
suggèrent des méduses et des gorgones, évoquant un ego démesuré, une
exaltation du désir, une déformation monstrueuse de la psyché.
La nuit suivante, Jual fait un cauchemar où il se voit dans un corps
flasque à tête de méduse. Brutalement réveillé, il croit avoir perdu l’esprit en
voulant trop vite atteindre la sagesse et renonce à ces tentatives mal assurées,
craignant de se laisser emporter par une inflation de son ego, plutôt que de
méditer simplement sur la conjonction mystérieuse qui l’habite.
Il préfère revenir à la Forme initiale, et pense avoir effectué un travail
libérateur d’où a surgi cette manifestation du Principe de l’homme, qui
n’était jusqu’alors en lui qu’en préexistence, une expression du possible
jaillissant en réel éphémère, comme une géode d’une beauté mystérieuse qui
serait en attente dans une strate géologique oubliée et qui, mise à jour,
transformerait la vie du chercheur qui la découvre.
Cette image mentale lui semble d’une pureté absolue, relique ou icône
parfaite. Il ne l’idolâtre pas quoiqu’elle soit bienvenue, car la pureté est
parfois le vitriol de l’âme. Simplement il aime ce qu’elle évoque et désire
comprendre pourquoi l’Absolu se manifeste ainsi dans notre monde relatif.
Le voilà qui se sonde sur les rapports entre l’Absolu inexprimable et la
Forme où il s’atteste. Mais souvent la lassitude l’emporte lorsqu’il cherche à
expliquer ce qui est arrivé, devinant que pour comprendre il faudrait
concevoir des concepts inconcevables.
Il n’a pas assez d’éléments pour interpréter, pour mieux relier le visible et
le caché. Et faut-il toujours interpréter ? Il se convainc que la raison n’est pas
toujours le meilleur instrument de compréhension, qu’il se pose des
questions là où il a des réponses qu’il ne veut pas entendre, et se dit : « Pour
cette fois j’en termine, plus rien je n’examine. »
Une nuit, son sommeil est léger, il lui semble même ne pas avoir dormi.
Pourtant il rêve qu’il rencontre en chemin une femme dans la forêt, au
carrefour de l’ermitage. Elle paraît sans âge sous son teint de parchemin et
lui tient un langage de sage, d’éternel féminin. Elle lui dit connaître sa
douleur pour avoir vécu une extase similaire, qu’elle avait d’abord
confondue à une frénésie de péché. Désirant le secourir alors qu’il cherche sa
route, elle lui indique qu’il doit se dessaisir de toute pensée rationnelle en ce
lieu écarté, et que c’est par l’expérience 9
d’un autre mode de pensée qu’il
atteindra le savoir.
***
Le Mystère du Vivant
32
Jual va consulter un devin nommé Dojo, qui fait de son mieux pour aider
les gens avec les tarots. Il y a beaucoup de monde autour de lui pour assister
à la séance. Voyant la Forme, Dojo lui dit :
« C’est un message qui t’est donné par ton inconscient. L’inconscient est
vivant, il n’est pas notre ennemi. Il t’a adressé ce message et la question est :
pourquoi tu ne veux pas le voir ? À cette hauteur, tu devrais le savoir : c’est
simple, tu t’approches de Dieu. Regarde cette forme, il y a un point et il y a
un navire, un navire sous la lune. Le point, c’est le commandement de toute
action, le point de l’Unité. Tu me dis que tu te tournes vers la Bible et vers
l’Islam ? Mais dans le Coran, il est dit que tout le Coran rentre dans la
première sourate, la première sourate dans la première phrase, la première
phrase dans le premier mot, le premier mot dans la première lettre et la
première lettre dans le point. Tu reçois l’énergie divine par ce point de toute
action. Tu as un appel mystique en toi, ton inconscient t’a fait un cadeau.
Accepte-toi comme un navire qui avance sous le regard divin, ne passe pas
ta vie à tourner autour du point, ne va pas consulter les gourous, trouve-toi
toi-même. Développe ton attention à te centrer, défais ta conscience des
images inutiles, trouve le point impersonnel à l’intérieur de toi. Aime-toi, là
est l’essentiel. Cette forme, c’est le navire pour arriver à l’impersonnel. C’est
le message qui t’est donné, je te le dis avant de te lire les tarots ».
Dojo demande alors à Jual de tirer trois cartes. La première carte tirée est
le 8, la Justice, qui exprime l’équilibre de la justice divine donnant à chacun
selon ses mérites et ses actes. Symbole de la collaboration avec l’œuvre
créatrice éternelle. La Justice est la puissance exécutive de la loi créatrice,
elle invite à l’équilibre en soi. La deuxième carte est le 20, le Jugement ou le
Réveil des morts, qui illustre la mutation, le dégagement des liens corporels,
l’accession à la vie spirituelle. La troisième carte tirée est le 7, le Chariot, qui
invite à briser les obstacles sur la route, symbole du succès de l’initié, du
double attelage, du Soi.
Les trois cartes sont tirées à l’endroit et disposées ainsi : 8 20 7. « Un
très beau tarot » commente le devin. « Un appel à sortir du tombeau 10
, une
naissance où les deux puissants alliés figurés sur la carte centrale du
Jugement, qui représentent les formes opposées de tes pensées, vont se
multiplier et grandir, l’un jusqu'à la Femme représentée par la Justice et
l’autre jusqu'à l’Homme représenté par le Chariot. Une assomption vers la
lumière qui ne sera cependant rendue possible que par l’acceptation
préalable de la tâche terrestre. C’est pleinement situé, mais pour que cela
aboutisse il faut placer davantage tes efforts dans le réel. »
« C’est un symbole qui t’est prodigué, une Révélation. L’inconscient a un
langage toujours codé et il est le Tout. Pour ton initiation ce sera long, mais
tu seras étonné lorsque tu seras âgé, de ce que tu pourras réaliser. Et
souviens toi qu’il n’y a pas de mot à hauteur de ce symbole, il n’y a rien de
plus direct et plus conforme à la contemplation. »
Le Mystère du Vivant
33
« Maintenant, entre en méditation. Puisque tu as mémorisé complètement
les traits de ce symbole, il faut devenir la forme, devenir le mouvement,
arrêter les mots. Parcours le symbole avec ton esprit, réalise-le en toi. »
Jual se demande si cette naissance dont Dojo lui fait part a un rapport
avec ce que lui a dit la danseuse-médium du lagon et à quoi il n’a guère prêté
attention, que la Forme est un secret qu’il a fallu tenir caché lorsque l’enfer a
déferlé, et qu’on cherche pour le moment à le dissimuler.
Maintenant il se souvient qu’elle lui a alors demandé de réveiller la
recherche de cet objet, ajoutant que ce serait une entreprise périlleuse. Il se
souvient de la Bible où il est dit que les hommes étaient des « pierres
vivantes », unis par la conscience du Verbe 11
et la profondeur de leur être
dans l’œuvre divine, avant de construire la tour de Babel, - de privilégier le
prestige plutôt que la réalisation du Nom intérieur -.
Déjà les anciennes légendes de Sumer contiennent des récits de cette
avidité, qui a abouti à ce que la « langue Une » soit éclatée, chaque homme
emportant une étincelle du Verbe déchiré. L’épopée de Gilgamesh rapporte
pourtant qu’il y avait « Ceux-de-pierre », Ceux de l’union, accompagnant le
batelier lors de la traversée des eaux de la mort ; l’expression est rendue dans
une traduction hittite par « 2 Alam Na », c’est à dire « deux statues de
pierre » -. Et le cycle de la déesse sumérienne Innana évoque une « créature
qui n’est pas née dans une matrice ». Innana, déesse de l’amour et de la
guerre, - comme plus tard seront Aphrodite et Vénus -, déesse de
l’immortalité, des religieux et des guerriers.
Il lui revient la parole biblique de Jean, 16, 12-15, qui rapporte les propos
de Jésus à ses disciples sur le mystère trinitaire : « J’aurais encore beaucoup
de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les
porter. Quand il viendra, lui l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité
toute entière ». Et Jean, 14, 15-21, à propos de l’Esprit de vérité : « Le
monde est incapable de le recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît
pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous, et
qu’il est en vous ». Porter, c’est accueillir et transmettre. Jual se souvient
d’un passage du Coran, s.LXVII, v.2, qui dit de Dieu : « Lui qui a crée la
mort et la vie afin de vous mettre à l’épreuve ». Va-t-il poursuivre l’épreuve
de vérité ?
Il part sur l’océan : aller au large, c’est se libérer d’un rivage. La
traversée n’est pas aisée sur sa pirogue à balancier et il croit que sa dernière
heure est arrivée car cette nuit là, comme sur une mer des passions
déchaînées, la tempête fait rage. L’ombre d’un doute le traverse : il croyait
partir pour la plus belle des aventures et voilà qu’il fait la pire des
expériences. Au moins cette errance n’est-elle pas décevante, elle est
exaltante.
Le Mystère du Vivant
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L’embarcation accoste enfin sur une île nettement séparée en deux
moitiés par une crête de montagne, où il construit une hutte pour
entreprendre le déplacement immobile.
D’un côté les pluies abondent, les cascades indomptées se répondent et la
nature foisonne. En bord de mer, dans les bas-fonds et sur les premières
pentes, se mêlent les gerbes des bananiers, les fuseaux des filaos et les
éventails des arbres du voyageur. Plus haut, les teks et les kapokiers
ponctuent la forêt dense étagée. Et là où l’air est frais dominent les résineux
et les bouleaux, sur les créneaux près des cieux.
De l’autre côté le paysage chavire. La terre est emportée par le vent et
abandonnée de la pluie. Le sol est asséché, ridé, dévasté, laisse voir à perte
de vue la roche blanche et immuable.
Ces deux moitiés contrastées font comme réalité et virtualité. Lui pense
que le monde n’est pas qu’apparences, qu’il y a dans le temps et l’espace un
ordre primaire qui les contient et les dépasse. Un ordre impliqué intimement
dans les choses, qui régit des champs de conscience en mouvance. Il se sent
analyser, comparer, puis laisse ces pensées de côté.
En ses faces de vie épanouie et de terre altérée, l’île est un joyau disposé
sur l’immensité azur. Elle est à peine habitée. Du fond d’une vallée, le son
d’une cloche emplit l’air et va s’éteignant pour se fondre dans l’espace. Jual
s’exerce à ne plus avoir conscience du monde extérieur, à « être » le monde.
En l’instant il est le son, et la lumière, il est l’île, et l’immensité, puis ne
cherche plus à s’identifier : en état de conscience claire sans objet, à un
soupçon de la Vérité absolue.
Il aime ces moments privilégiés proches de la Vérité.
Le sonneur de cloches du hameau lui indique une rivière, qui franchit en
trois cascades une impressionnante façade.
La première cascade précipite ses eaux dans un bruit de tonnerre vers un
chaudron glacé, d’où s’échappent la brume et le vent. Elle est parfois visitée
par les rares insulaires. Il trouve un sentier glissant sous la chute, couvert
d’algues luisantes et de mousses frémissantes, qui le mène plus haut jusqu'à
un petit balcon inondé de soleil et une vue qui s’étend sur la vallée.
La seconde cascade est moins haute que celle d’en bas, on peut y parvenir
en traversant des torrents tumultueux sur des passerelles de cordages et de
bois frêle. Seuls quelques moines de l’île, en quête joyeuse d’eau célestielle,
y font pèlerinage et s’y baignent les pieds, puis s’en retournent. Le sentier est
périlleux et il s’y aventure, comme à la recherche d’une sonore écriture. Pour
finir, c’est la cascade la plus élevée qu’il désire explorer. Le bruit court que
c’est une chute exemplaire, cachée dans l’ombre froide des cimes pures et la
lumière éblouissante du ciel. Une chute à couper le souffle tant elle est haute
et majestueuse, d’une beauté insoupçonnée et inépuisable. Mais à dire vrai,
personne ne sait tout à fait où elle est, ni ce qu’elle est.
Le Mystère du Vivant
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Pour lui, c’est maintenant un défi. Il est assis au bord de l’eau dans une
prairie et observe l’à-pic redoutable qui se dresse en face. La pente raide
semble impénétrable, couverte de forêts, mais à force d’attention il trace
mentalement un itinéraire qui pourrait peut-être le conduire jusqu'à une
brèche sous une arche où il trouvera, espère-t-il, un sentier dégagé vers la
pure cascade convoitée.
Il monte vers cette brisure en se frayant un passage sur un tapis de
feuilles moisies, s’accrochant aux branches et aux tiges souvent pourries. La
pente est si forte qu’il se demande pourquoi il est tant attiré par cette cible
incertaine ou même inaccessible, et s’il parviendra à redescendre. Sa
progression est lente. Il est saisi plusieurs fois de vertiges, craignant les
venins des scolopendres et des arachnides, les plantes teigneuses, volubiles
et épineuses qui vivent dans ce monde de vestiges.
Il y a dans une trouée de lumière un oranger sauvage qui porte des fruits à
la peau épaisse et au jus trop acide. Il marque le pas, se désaltère et s’aère,
puis reprend son ascension en évitant les chevelures de lichens livides qui
tombent des branches, et en frôlant les gouttelettes d’eau irisée qui perlent à
la pointe des feuilles ensoleillées.
Ce non-chemin semble ne pas avoir de fin, jusqu'à son arrivée à la brèche
d’où il ne voit rien, entouré d’arbustes et de buissons, pas de cascade ni
même d’horizon. D’un regret souriant, il renonce à la chute et au rocher d’où
coulent les eaux vives espérées, et prend un peu de repos sur une herbette
fleurie ombragée d’un feuillage léger. Là il médite, sa conscience hésite
entre l'acceptation d'une mort promise et l'affirmation d’une immortalité par
la présence en son centre de l'Éternel.
En ce présent hésitant, ses pensées vagabondent d’un passé estompé à un
futur obscur où sa recherche spirituelle ne serait pas achevée. Un moment
envahi par cette bataille entre ce qui devient et ce qui fut, la crainte le saisit
que dans les épreuves de ses voyages ne lui soit pas enseignée la Vérité
cachée. Alors il retourne depuis la déchirure de l’arche et descend en glissant
sur les feuilles qui cèdent en plaques.
***
Des maisons que Jual préfère, il y a celles qui ont jardin sur la mer. Une
insulaire de toujours l’invite là où elle habite, dans un site au sommet d’une
tour. On y monte par un long escalier qui tourne autour du vide. L’accès est
réservé.
C’est par un tintement de clochettes qu’on signale son arrivée, déclenché
par le franchissement d’un pinceau de lumière fluet. La femme souhaite la
bienvenue et s’efface sur une belle étendue, une vaste terrasse où l’on se
croirait dans un monastère de courants d’air, un couvent ouvert à tous les
vents.
Le Mystère du Vivant
36
La maison à colonnettes est située au bout d’un cordon, entre la lagune et
la mer scintillante. La vue est presque effacée par de petits palmiers et des
baobabs nains qui baignent dans la clarté du soleil, et forment ce jardin
aérien. Des tourterelles au plumage isabelle roucoulent sous les tourelles.
Échappés de leur chrysalide, des papillons aux ailes de flammes et de
poussière s’en viennent et s’en vont, ou se piègent dans les rayons tissés par
une araignée porte-croix dans l’espace d’une ogive de pierre.
Dans cet espace de rêve il pétrit la terre, fait de la poterie, joue avec l’art
et la matière, les réconcilie. Puisque son amie n’y a pas travaillé, il remet le
jardin en harmonie, taillant et nettoyant comme aurait fait le vénérable
jardinier Saturne persévérant. Et il songe en doutant au verset 32 de la
sourate LXV du Coran : « peut-être Dieu nous échangera-t-il ce jardin contre
un meilleur ». Il imagine des fenêtres à encorbellement, des sculptures
délicates, des arcades de pierre travaillée jusqu’à la transparence.
Le soir, chaque coin de jardin exhale des odeurs agréables et singulières.
Il choisit un endroit où il se sent bien et se souvient de Victor Hugo :
Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.
L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle.
La nuit la maison paraît posée sur une surface blanc argenté au confluent
de deux mers de mercure. Des lucioles essaiment des pointillés de lumière en
un ballet céleste, orchestré par la lune et de longs nuages. Jual participe à la
ronde du monde depuis la terre qui disperse dans le sombre univers une
lumière cendrée. Il pense à Galilée qui découvrit la loi des oscillations d’un
pendule ainsi que celles de la pesanteur, et affirma que le soleil et non la
terre, est le centre du monde planétaire. Et au mouvement circulaire des
derviches tourneurs, si rapide qu’il donne accès à l’immobilité. Il songe que
son corps est fait d’atomes venus des étoiles qui donnent un caractère
universel à sa personne. Poète de l’inconnu face à la vertigineuse proximité
de l’univers, il devine de vastes portes entre les étoiles qui s’ouvrent sur une
réalité mystérieuse de vide et de galaxies en spirales, vacuité qui est forme,
forme qui est vacuité, espace vide et plein, temps qui s’écoule et qui se
contient.
Pour mieux effectuer la plongée vers l’intemporel, pénétrer son ombre
mouvante, il se tourne vers les planètes et s’intéresse aux correspondances
entre le ciel céleste et son ciel intérieur, se demandant s’il y a des relations
significatives entre les positions des planètes et ses états d’âme aux moments
cruciaux de son existence.
Une belle collection de livres est à disposition en ce lieu près des cieux.
Dans un livre sur l’ancienne Égypte, l’auteur affirme que les Pharaons
recevaient leur nom à la pleine Lune. Il observe quelles étaient les positions
et associations des planètes au moment où le nom Jual lui a été révélé. Ce
Le Mystère du Vivant
37
n’était pas la pleine Lune, mais Saturne et Uranus étaient ce jour-là en
conjonction dans le Sagittaire, et Jupiter était en transit sur Uranus natal.
La femme qui l’héberge est astrologue et lui apprend que l’opposition de
Saturne avec Jupiter représente symboliquement l’union d’extrêmes
opposés. Elle indique aussi à Jual que la lointaine Pluton, planète de la
transformation, est actuellement dans son Soleil natal ; ce moment est
propice et unique en raison de la durée de révolution exceptionnelle de cette
planète, - 248 ans et demi -, et par conséquent de la rareté de ses passages. Il
envisage que Pluton soit influent dans sa motivation actuelle à entreprendre
la descente dans les profondeurs de son inconscient et il est souhaitable de
mettre à profit ce temps pour reconnaître ce qu’il ne voulait pas être, brûler
les impuretés, tout ce qui n’est pas essentiel et se transformer. Dans la carte
du ciel de sa naissance, Saturne et Uranus étaient aussi en conjonction, cette
fois dans les Gémeaux, et en opposition avec le Soleil, tandis que Vénus et
Mercure étaient en Sagittaire. Mars était sur son Ascendant en Scorpion.
Jupiter, maître du nœud Nord, était conjoint à la Lune. Le Soleil, régent du
nœud Nord, était opposé à Uranus, maître du nœud Sud.
Il découvre qu’en astrologie le cycle du couple Saturne-Uranus est de 45
ans, ce nombre 45 qu’il retrouvera plus tard. Il y a aussi ce ciel particulier de
la nuit où la Forme lui est apparue, avec la nouvelle Lune en Balance, Mars
et Venus en conjonction en Vierge ; Uranus et Jupiter étaient en conjonction
en Sagittaire sur le Soleil natal, régent du nœud Nord, et sur Vénus, qui
préside à l’harmonie de la Forme ; Saturne était en conjonction avec Pluton.
Et encore la position si particulière des astres au moment précis d’un
songe visionnaire sur l’Unité et la dualité, une nuit de nouvelle Lune où le
Soleil, la Lune, Saturne et Mercure étaient en conjonction dans le Verseau,
en opposition avec le Milieu du Ciel. Mars, Vénus, Neptune et Uranus avec
le Nœud Nord étaient en conjonction en Capricorne. Chiron était en transit
sur Pluton, son deuxième maître d’ascendant.
Et cette autre nuit, alors qu’il ne s’intéressait pas encore au soufisme, où
il avait écrit en songe l’expression « monisme persan », ce qui l’avait étonné
sur le moment car cela n’évoquait rien pour lui, mais lui avait fait connaître
par la suite la doctrine ésotérique du théomonisme en Islam, et la
transmission par l’Adam primordial du dépôt divin confié à l’héritier sous
forme de l’illumination intérieure, c’est à dire de la « deuxième naissance »,
spirituelle, et qui engage l’héritier dans le pacte avec Adam. Le ciel
présentait Vénus et Mercure en conjonction dans la Vierge, alors que
Neptune, Saturne et Uranus étaient en conjonction en Capricorne. Jupiter
était en transit sur Pluton, présidant à cette « deuxième naissance ». Plus
tard, il établira un lien entre son nom Jual et la racine verbale sanscrite Jval
et découvrira que ce jour-là Pluton était en Fond du Ciel en Sagittaire, et en
opposition à la Lune ; le Soleil, Mercure et Jupiter étaient en conjonction en
Bélier et Poissons ; Vénus et Saturne en Taureau, opposés à Mars.
Le Mystère du Vivant
38
Et encore cette position de Mars en 17°12 en Scorpion dans son thème
natal, selon laquelle son ange est Ariel, le 46 ème
ange de la Kabbale, l’ange
de lumière, « Dieu révélateur », porteur d’un message divin d’amour pour la
Rédemption de la terre 12
. Il pense à Arielle, autre nom donné à Ariane, qui
remet à Thésée le fil protecteur lui permettant de se libérer du labyrinthe.
Jual fait le constat que les songes visionnaires apparaissent lorsque la
carte du ciel présente une constellation favorable de conjonctions et
oppositions de planètes. Son amie astrologue lui apporte d’autres
informations sur son thème natal et les thèmes de transits, et Jual accepte
l’idée d’un synchronisme entre le ciel planétaire et son monde intérieur.
***
Trève de voyance et de tarots. Jual a mis à jour la Source vive, - dont on
dit au Tibet qu'elle est aperçue par ceux dont l'esprit est pur -, et est devenu
conscient que cette Révélation était possible. Si cela était arrivé à d’autres, il
aurait cru à une extravagance baroque et il se dit que le champ d’expérience
individuel est irremplaçable. Il cherche des métaphores correspondantes dans
la mythologie de l’Antiquité et découvre la « Source qui sort de la
Mémoire », des Mystères Orphiques ; le mythe du dieu persan Mithra
taurobole « né dans la pierre » un 25 décembre et ressuscité comme Jésus,
« surgi du roc », avec « les abeilles nées de son sang » qui font le miel.
Mithra intermédiaire entre le monde lumineux d’en haut et l’enfer ténébreux
d’en bas, comme le fut par la suite Mercure-Hermès dans la religion gréco-
romaine, puis le Saturne des Romains : mellis et fructum repertor.
Il découvre dans les Écritures le « peuple qui a soif », dont la « terre est
un désert » et qui « devient conscient » ; la phrase de l’Exode où Dieu
s’adresse à Moïse 13
: « Je me tiendrai devant toi sur le rocher d’Horeb, tu
frapperas le rocher et il sortira de l’eau et le peuple boira » ; l’image de
Jésus, « rocher spirituel » d’où jaillit « l’eau de la vie immortelle ». Et celle
du « puits de la vertu », de la force opérante qui dégage la virtualité et « fait
de deux un seul », l’homme unifié ; les symboles du « miel lumineux », de la
« lumière d’or », de la « clarté blanche et dorée » de l’Église romaine ;
l’image védique du « puits de miel sous le roc » exprimant la Joie éternelle
14
. Le souterrain qu’il explore dans son inconscient le conduit vers le lieu
secret et sacré de son intimité, semblable au sanctuaire mithriaque ou
chrétien, au puits sacré védique ou druidique, à la cache du temple juif où est
gardée l’arche d’alliance. Au fond du boyau, il découvre que l’Éternel a
donné matière à désirer à l’homme qui ne le savait pas. Et qu’il y a de la joie
a donner naissance en compagnie de l’Éternel.
Pour que la Forme s’exprime, il lui a fallu reconnaître ce qu’il ne voulait
pas être, affronter la spirale de la peur, affirmer son humilité, analyser
passions et conflits au cœur de la douleur, approfondir la percée par l’effort
Le Mystère du Vivant
39
orienté. Une quête de chercheur de source ou d’explorateur de la Grande
Ourse, une lutte pour la paix intérieure où le puits de ténèbres situé hors des
lois de la gravité ne cède qu’au terme de l’ambiguïté.
Dans cette progression vers le haut-bas immédiat, - plus il descendait
dans les ténèbres de son inconscient, plus il s’élevait vers la lumière -, son
anima discrète, la femme inconnue en lui, lui a montré la Voie. Il se souvient
que dans le rêve du fétiche glissé sous la porte, ce sont des femmes voilées
de noir, symbole de son anima dissociée mais libérée et créative, qui étaient
venues frapper à l’huis de son fort intérieur avant de s’enfuir par l’escalier.
En ce moment d’angoisse, elles lui avaient paru intrigantes, malicieuses,
ensorcelantes. Il les aurait préférées primitives et gracieuses, ondines et
soumises ; ou d’un esprit élevé, auréolées de lumière, porteuses d’une
espérance de renouveau. Au lieu de cela, elles lui paraissaient tumultueuses
et fuyantes en l’invitant à descendre dans les profondeurs mystérieuses de
son être vers le soleil du gouffre, la lumière éclatante qui jaillit de la
confrontation avec les ténèbres. Alors un souvenir lui revient en fragments
de l’ashram du Matrimandir, à Pondichéry, le souvenir d’une femme seule :
L’homme s'était assis à terre,
Devant la sphère
Installée au centre de la grande salle circulaire,
Pour observer l'effet de la lumière
Qui, du sommet de la coupôle austère
Venait sur elle, en un faisceau solitaire.
Une femme d’une beauté simple était entrée
Dissimulée sous un voile léger.
Elle s'était approchée les pieds nus,
Avait pris place de l'autre côté
De la boule éclairée,
Hors de sa vue.
Dans la lumière descendante,
Il découvrit que la sphère filtrante
Restituait sur son verre poli,
Une image portée
En tous points intervertis,
De la femme aux nus pieds.
Le Mystère du Vivant
40
Absorbé par ses réflexions scientifiques,
Il examinait ce phénomène physique
Dans un lieu pourtant consacré à la mystique,
Et exerçait sa curiosité à se demander
Pourquoi, sur l'image tête en bas, inversée,
Le voile n'était pas tombé.
La sphère les séparait,
À l'opposé l'un de l'autre comme le plus et le moins.
La femme cependant, désirait être son témoin.
Assise en contemplation elle se liait,
L'attendait,
Par une vue de l'esprit, communiquait.
Mais il n'avait pas saisi
Qu'elle avait aussi
À l'envers sur la boule de verre,
De lui une image spéculaire.
Et il n'eut pas la présence d'esprit
Qu’elle attendait de son vis à vis.
Alors la femme, simplement, est partie.
Puis il rêve qu’une poupée noire vient tout contre son visage, par suite
entre et vibre à l’intérieur de son corps, avant de s’évanouir en laissant une
empreinte qui la rappelle à son bon souvenir. En fait, il a bien suivi le
chemin de Méphisto, pour qui « il ne reste plus qu’à en passer par la
sorcière ». Il a le sentiment d’être un pèlerin de l’Esprit que son anima
apeurée conduit, un néophyte qui a pénétré dans sa propre obscurité sans
savoir qu’il engageait la descente dans un but d’ascension. Avec la sorcière,
il veut s’approcher de ce trésor jusqu’alors ignoré, lever le voile jusqu'à la
mort de l’ego qui n’est là que pour la durée de la vie terrestre, pour un
moment d’emprunt. Mais plus il en est proche, plus il s’aperçoit que la
Révélation naît dans le secret qui se maintient, dans l’impénétrable jamais
entièrement dévoilé. Et il commence à voir que la connaissance du sage est
liée à l’hermétisme de la Forme.
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  • 1. Le Mystère du Vivant 1 LE MYSTÈRE DU VIVANT JUAL
  • 2. Le Mystère du Vivant 2 « À celui qui vaincra je donnerai de la manne cachée. Je lui donnerai aussi un caillou blanc, un caillou portant gravé un nom nouveau, que nul ne connaît, hormis celui qui le reçoit ». Apocalypse II, 17
  • 3. Le Mystère du Vivant 3 PRÉFACE Il y a dans les rêves de chaque homme la possible Révélation du Principe de vie qui, du fond archaïque universel, s'individualise en chacun de nous. S'engager dans l'épreuve d'initiation, c’est s’aventurer vers la frontière extrême où fusionnent les opposés complémentaires, c'est risquer d’accéder en un instant fulgurant et insituable à l'être paradoxal, androgyne, virtuel et manifesté, semence et matrice, moule et empreinte. Les Anciens ont désigné d’une myriade de dieux et de métaphores cet archétype universel qui se tient en notre centre : père, mère, grand frère, jumeaux, astre, bête à cornes, germe, plante, fleur, fruit, pierre précieuse.. Ils entretenaient le mythe d’un être spirituel puissant mais empêtré dans la matière, en une multitude de rameaux humains. Un être suprême au creux de soi qui frappe, qui aime. Un être de lumière dans l'obscurité qui éclaire, appelle à la solidarité. L’Un en devenir, qui se réalise, le Vivant. La progression vers le Verbe peut simultanément être effectuée en remontant le cours de l’histoire humaine par les racines verbales des langues anciennes. L'autorité divine y a été maintenue à travers le langage, elle s’est affirmée dans la continuité de la parole. C'est que le mot sacré lui-même contient le dieu. Exprimer mal, c'est s'opposer aux dieux, manquer de respect à leurs intercesseurs, et donc risquer le châtiment. Bien s’exprimer, c'est solliciter la bienveillance et espérer la récompense. Dans ce livre, l'auteur allie récit d’aventures intérieures et analyse de données linguistiques. Il propose une approche nouvelle de la mythologie de Sumer et d’Akkad où le Principe est désigné en des formes variées. L'action qui mène au Principe de vie y est travail en soi, - incursion dans l'espace intérieur -, et hors de soi, - exploration par les racines verbales et les mythes fondateurs. Le lecteur ne trouvera pas dans ces investigations de réponses définitives, mais empruntera un tracé proposé en pointillés, sur la route du sacré.
  • 4. Le Mystère du Vivant 4 Plusieurs variantes du livre Le Mystère du Vivant ont été publiées depuis le premier texte écrit en 2005, dont une publiée en français et en anglais sous l’intitulé Homini. Pour écrire ces textes, l’auteur a utilisé les dictionnaires : .Akkadishes Handwörterbuch, Von Soden, Wiesbaden, Germany. .Manuel d’épigraphie akkadienne, R. Labat, Paris, France. mais pas .The Assyrian Dictionary, Oriental Institute, Chicago University, USA. Pour la version présentée ici il en est de même. *** Le dictionnaire intitulé The Assyrian Dictionary a été utilisé par l’auteur pour effectuer d’autres études comparatives de langues, de regions du monde éloignées et d’époque différentes. *** Contact auteur : lemystereduvivant@gmail.com
  • 5. Le Mystère du Vivant 5 LA FORME La barque glisse sur le fleuve immense. L’onde est parsemée de mousses, de touffes, de fleurs d’eau. À cet endroit, le courant est encore faible mais le batelier est vigilant. Il sait qu’un peu plus bas le flot s’accélère vers les cataractes où l’esquif serait détruit. Le soleil est au couchant, l’eau et le ciel s’échangent gris, bleus, teintes de feu. L’homme contemple l’horizon qui s’efface dans le plus grand silence, comme sur un cours de lave et de cendre. Il revient des champs flottants où il a semé toute la journée, et aperçoit la passe dans les roseaux qui le mène au petit embarcadère en pilotis. De là, contournant le piton rocheux, il est en quelques pas à sa demeure isolée, face à la chute. Depuis la terrasse couverte de lianes fleuries, il aime observer le charivari de l’eau qui s’ouvre au loin, sur les rochers de la première cataracte. A cette heure, on entend le sourd grondement du flot dans un voile de vapeur. Ses yeux distinguent à peine l’île du Diable, d’où montent par milliers les grandes chauves-souris qui s’envolent vers les forêts pour s’y régaler de fruits. Tandis que la nuit approche, l’homme pense qu’il est entré dans la deuxième moitié de sa vie. Dans l’univers des étoiles, il a l’âge d’une étincelle. Près de la maison sous le grand figuier banian, le gardien allume le feu de bois et s’installe. Il tient à portée de main un arc et deux flèches, pour être prêt au cas où un rôdeur se manifesterait. La chienne de brousse se tient au pied des marches. Le ouistiti fait des facéties, puis se blottit sur l’épaule de l’homme pour se rassurer de sa présence. Sur la balustrade d’ébène, indécis entre le jour et la nuit, le caméléon roule des yeux ronds et commence à ranger ses couleurs d’arc en ciel jusqu'à l’aurore prochaine. Là-bas le flux s’en va, en chutes terribles et en marmites tournoyantes. *** La chambre donne de plain-pied sur la terrasse. C’est un vaste espace nu, de bois kambala et d’osier tressé. Au centre, à même le sol, une grande couche accompagnée de deux tables de nuit sans pied, enveloppées d’une moustiquaire en corolle faisant ciel de lit. Le lieu est un asile de repos près des eaux. Une brise intermittente entre par la baie côté terrasse et s’éloigne côté jardin. L’homme s’y sent en harmonie. Sur l’une des petites tables il y a une feuille de papier où il écrit ses rêves. Il lui semble qu’après avoir pénétré autant de vallées, traversé mers et déserts à la recherche du paradis sur terre, le moment est propice à
  • 6. Le Mystère du Vivant 6 l’exploration du continent intérieur, à la conquête des profondeurs nocturnes et des symboles qui y sont cachés. Loin des lieux de son enfance, il approche à pas feutrés du sanctuaire, énigme de la substance de son être. C’est une nuit de nouvelle lune. Il n’a pas allumé la veilleuse et s’endort dans l’obscurité. Un rêve lui vient. Il note quelques mots, pour pouvoir l’écrire en détail le lendemain. Puis il se rendort. À l’aube, les vagues de vent dans la moustiquaire l’éveillent. Une journée se prépare, il se sent libre. Dans un moment, il se promènera parmi les arbustes odoriférants et ira goûter aux fruits du verger. Il sera avec les chats, les colibris et les aras, et la jeune gazelle qu’il a ramenée d’une clairière éloignée. Il y a aussi les najas et les varans au voisinage difficile, qui se dissimulent dans les hautes herbes au bord du fleuve. Mais chacun connaît son territoire et ses limites, et le plus souvent il ne se passe rien. L’homme se lève et prend la feuille du rêve. Il aime découvrir ces lignes qui font revivre les voyages de la nuit. Sur le papier en haut est inscrit d’une écriture mal assurée : Une femme vient de sortir du logement, puis revient frapper à la porte d'entrée avant de s’enfuir dans l’escalier. Il se souvient aussitôt que la maison du rêve est celle de son enfance et que sous la porte le visiteur a glissé un fétiche fait de bec et de plumes avant de repartir. Il a été épouvanté par ce porteur de force magique, peut-être maléfique, et s’est demandé s’il fallait ouvrir à l’inconnu. Puis il s’y est risqué, franchissant le seuil en un effort pathétique, et a vu que ce n’était pas un visiteur mais plusieurs messagères, des femmes extravagantes vêtues de noir, sortes de sorcières joyeuses ou démentes religieuses qui déguerpissaient dans la descente d’escalier. Étrange ! Il voit soudain au bas de la feuille du rêve une minuscule forme tracée d’une exquise légèreté, qui ne ressemble à rien de familier : Il sait que les portes et les baies vitrées de la maison, près du fleuve, sont entièrement protégées de grilles : la nuit, personne ne peut entrer. Il est donc certain que cette Forme a surgi dans l’abri de son corps. Elle lui est apparue dans son sommeil par la porte des songes, et sa main simultanément l’a apposée sur le papier disposé à son côté. Malgré sa petitesse elle est parfaitement dessinée, avec les pleins et les déliés, contrairement à l’écriture incertaine du haut de la feuille qui raconte le rêve.
  • 7. Le Mystère du Vivant 7 L’événement suscite l’angoisse. Il craint d’être envahi ou même seulement habité par un corps étranger logé en son intimité et de perdre son identité. Que vient faire cet intrus ? En même temps, il veut se rassurer en faisant face : cette miniature insolite a un sens, pense-t-il, mais quel sens ? L’a-t-il vu en voyage, peut-être au bas-relief d’un temple, ou dans un livre scellé d’un pays éloigné ? Est-ce un vocable isolé d’une langue étrangère, une signature, des initiales enlacées ? A-t-elle un lien avec les racines anciennes communes aux écritures de la Terre, ce système de symboles en forme de nœuds qu’on dit disparu ? Est-ce un dérivé de signes divinatoires archaïques ? Il reconnait un caractère sacré à cette forme, et décide d’écrire Forme, avec un F majuscule. Puis il l’agrandit en respectant strictement les proportions : Maintenant que la Forme est mieux observable il la montre autour de lui. L’un de ses amis pense à un fragment de grimoire. Un autre, paysan éduqué dans l’idée chrétienne de Dieu, lui dit que l’inconscient c’est ce qu’on fait sans le vouloir, et que cette Forme est comme une parabole de l’Évangile « où il faut chercher ce qu’il y a derrière ». Selon lui, elle est un symbole qui enseigne parce qu’il réunit, comme la parabole révèle parce qu’elle met en parallèle. Un autre encore n’y voit que gribouillage. Un psychanalyste esthète des lettres et des signes lui suggère une représentation du Soi, en rapport à une étape dans le processus de devenir de sa personnalité. Le voici qui parcourt les langues orientales, et ne trouve rien de ressemblant. Un calligraphe ne s’y retrouve pas non plus. Un moine chrétien orthodoxe y voit une suite de cinq notes musicales byzantines, qui ensemble font un son fondamental pur et impérissable, et qu’une « oreille symbolique » saurait distinguer. Le moine « entend » ce son mais ne peut en dire plus car il n’est pas initié dans ce domaine subtil, et conseille de consulter les moines du mont Athos et leurs curieux manuscrits. Un sage coréen fait référence à K’i, la licorne mâle à unir à la femelle Lin pour réaliser K’i-Lin. Un maître spirituel rencontré au monastère de Songzanlin, à Shangri-La, à l’est de la route qui conduit du Tibet au Yunnan, évoque la Forme-son en calice, correspondant au chakra 1 du cœur, qui a l’effet paradoxal d’expansion et de centrage développant la capacité à aimer, et la Forme-son en hélice, correspondant pour les Bouddhistes au chakra du troisième œil, qui a un effet de stimulation des pouvoirs de l’esprit.
  • 8. Le Mystère du Vivant 8 Il se demande si cette Forme apparue dans le cheminement de sa pensée est une annonce, exprime une vérité dissimulée, si elle est une invitation à faire retour sur lui-même. Si elle est un dépôt spirituel qui était inscrit dans son patrimoine génétique et a été mis à jour en ce moment particulier. Si elle résulte plutôt de l’utilisation de techniques psychologiques visant à faire le vide des conflits, qui s’apparentent à celles d’un yogin pratiquant le pûrna yoga, le yoga intégral. Ou si en ce sauf-conduit se manifeste son ange gardien, ou une hiérarchie angélique. Et il ne rejette rien de tout cela en cette Forme, réalité transcendante et qui lui paraît pourtant condensée en chaque cellule de son corps. *** Au cours d’un voyage dans un lagon de l’océan Pacifique, il rencontre une danseuse connue pour ses dons de médium, qui pratique l’écriture automatique. Par curiosité, il lui demande ce qu’est cette inscription sur le papier, et elle écrit : « C’est un sceau, il a fallu aller très profond pour le cacher, c’est sombre, il y fait froid. C’est comme un puits, il faut rentrer tout petit en rampant. C’est tellement noir. Il y a quelqu’un qui cherche à le mettre dans une pierre, il y a très longtemps, un homme qui le possédait et qui l’a fait cacher quand le Mal a déferlé. Cet homme n’a pas de cheveux, on dirait un lama, il porte un ornement rond sur la poitrine. Il est sage, il a la Connaissance, la Bonté. « Ce sceau est attenant à une bague, apposé à tous papyrus qu’il envoyait autour de lui. C'est un anneau de paix préfigurant le passage d’une vie d’illusion, - de dualité, d’avidité -, à la vie réelle, qui a été égaré et qu’il faut retrouver. Ce symbole a mille noms. Tant que cet objet sera caché, il n’y aura pas de paix. Celui qui a dessiné cet objet avait un maître qu’il admirait. C’est à sa requête qu’il a caché le sceau. On lui demande de réveiller cette recherche pour la paix, mais attention, danger ! ». Quelle histoire ! Toutefois, il cherche dans les légendes anciennes, et c’est le sumérien Gilgamesh qu’il rencontre, parlant il y a cinq mille ans de deux Hommes-scorpions gardiens, mâle et femelle : « Si j’ai parcouru un si long chemin, c’est pour aller trouver mon aïeul, qui fut présent à un conseil des dieux et y trouva la Vie éternelle ». Gilgamesh veut interroger l’ancêtre, et les Hommes-scorpions lui répondent : « Il n’y a personne qui ait fait ce chemin de lmontagne, personne encore n’en a vu les profondeurs... Son intérieur est sombre ; si profondes y sont les ténèbres qu’il n’y a plus de lumière ». Cependant ils lui « apprennent la route de la montagne », « le chemin du Soleil », lui « révèlent le chemin des monts Jumeaux », et lui « ouvrent la porte de la montagne ». Au bout de douze lieues, l’aurore point et Gilgamesh « se dirige vers le Jardin pour voir les arbres de pierre » où « la cornaline porte des fruits » et où « la lazulite porte du feuillage ».
  • 9. Le Mystère du Vivant 9 Il retourne cependant une seconde fois voir la danseuse aux dons de divination, et elle écrit : « Tu as stigmatisé ce dessin en posant ta main en plein rêve et en le reproduisant par l’intermédiaire de l’esprit qui te guide et te protège. Ce genre de signe de paix est donné à tous ceux qui ont un chemin précis à parcourir. En une autre vie, tu as suivi un long chemin de prières et d’abnégation et tu servais un grand lama. Mais si l’image bouddhique est de vénérer l’esprit et de le soumettre à des incarnations successives en estimant qu’elles sont toutes aussi pures et élevées, je dis non. L’esprit vient à point zéro et monte les échelons de la hiérarchie des esprits. Chaque esprit pur peut à un moment ou à un autre revenir pour aider les plus faibles ». « Il y a autour de toi des êtres maléfiques qui sont un danger. L’esprit pur qui est parti en astral et est resté en astral te protège et te garantit contre ce mal et te signale sa présence par ce symbole. Ce n’est pas le moment d’aller le chercher là où tu l’as caché. Ce n’est pas la raison de ton incarnation. D’autres temps viendront où tu seras prêt à retourner au fond du puits retrouver l’anneau de la paix. Seul le rappel de ton passé est mis en avant pour que tu comprennes qui tu es, et pourquoi tu es là. Ton maître se nomme Pûrna. Souviens-toi : le maître de lumière est le meilleur ami de l’homme et son soutien, et quoi qu’il arrive ne perd pas le nom que je t’ai donné. Appelle, tu seras entendu ». Invraisemblable ! Qui sont ces êtres maléfiques ? Il pense aux temps anciens où on détournait les maux avec des objets : le phallus, la main votive, le « mauvais œil » avaient une action prophylactique, de même que sur certains bateaux les statues de couples situées en avant sur les côtés de l’étrave étaient censées exercer une action de conjuration. Il se demande ce que tout cela signifie, et il lui revient que les verbes « appeler » et « créer » sont, en hébreu, étroitement liés. A propos du nom Pûrna, il s’aperçoit que le premier homme converti par Bouddha fut le brahme Pûrna, connu jusqu’en Chine dès le temps des Ming. Puis il pense à ce qu’on dit parfois de la vieillesse, - qu’elle est un naufrage -, et lui, jouant avec les mots, y voit plutôt un « offrage », un don de soi ; non pas une interdiction de garder mais une invitation à donner ce qui a été reçu. Le temps passe, le graphisme reste hermétique, à l’arrière plan de ses pensées. La vie tranquille au fleuve suit son cours. L’homme aime sa compagne qui vient souvent du village voisin, et ses étreintes sacrées. Parfois, il part pour de grandes randonnées solitaires, comme à la recherche de son âme sœur perdue en brousse, et il rencontre tout au plus un calao, pas son alter ego 2 . Alors il rebrousse chemin en ramassant quelque plante magique, ou grimpe jusqu’au sommet d’une montagne et, en contemplation de la lumière, il se fond dans l’infini des horizons. ***
  • 10. Le Mystère du Vivant 10 Sa vie est conduite par l’amour du monde. Lorsqu’il était enfant, il faisait une prière chaque jour, comme ses parents pour qui le doute était l’ennemi de la foi, et qui vivaient dans la vérité des textes sacrés et la soumission à la volonté de Dieu. Aujourd’hui, il prend ses distances dans l’épreuve de la vie et laisse faire son propre imaginaire, plutôt que de s’en remettre à une autorité qui lui imposerait des croyances, une interprétation orientée vers un au-delà promis, des pratiques cultuelles et des formules dogmatiques. Son éthique ne dérive pas de la Providence, elle est une émanation de sa libre expérience, et ne se laisse pas enfermer dans des formules. Elle n’est accessible que dans la mouvance de la vie. Foin de chi-chi ou de fla-fla, c’est à lui seul de chercher où il va, où est sa Voie. Il a toujours préféré la création libre aux figures imposées et ne voit pas l’utilité de faire appel à un gourou, un prêtre, un imam ou un sorcier. Loin du rigorisme et des hiérarchies traditionnelles, cette liberté d’action lui est indispensable dans le décodage de son inconscient religieux personnel : il se sent habité et aime cette forme de lumière qui vit en lui cachée, en instance, et désire s’en approcher sans personne interposée. Sa recherche spirituelle se démarque de celle d’adeptes de communautés qui lui proposent de devenir membre. Il sait que le passage vers une vie meilleure par la Révélation de l’Homme de lumière intérieur est le fondement de l’enseignement religieux, et le principal point d’appui des Ordres dans leurs efforts de recrutement et de persuasion de ceux qui craignent de s’engager sur la voie de l’inconnu, sans encadrement ni soutien. Des membres qui trouvent en la communauté la chaleur d’un groupe, la force d’une doctrine et la protection d’un maître vénérable. L’appartenance de certains à une communauté initiatique respectueuse des droits de la personne lui paraît faciliter cette recherche spirituelle. Il connaît une société secrète qui, dans sa démarche intimiste, enseigne le mystère de l’Être intérieur, en s’aidant de dogmes et de rites qui sont autant de digues élevées contre le courant impétueux de l’inconscient individuel. Mais il se souvient aussi d’une secte néfaste et des périls encourus par ses membres en mal d’amour, et du talent du Maître malfaisant à concentrer et à utiliser les images symboliques pour une action collective. En accordant aux membres le statut d’élu ou de surhomme, l’emprise de la secte est totale par la suggestion, - ils ne distinguent pas l’influence qu’ils subissent d’autres consciences -, et la sujétion, - ils sont soumis au diktat du gourou -. Leurs tentatives de critique de la doctrine sont blâmées, mènent au mépris et à la punition car il y a outrage, sacrilège, blasphème. Seule la subordination aveugle est gratifiante et garante de la reconnaissance, de l’estime et de l’amour du faux guide spirituel et des autres membres. Il préfère une démarche solitaire, travaille à la libération en évitant l’inflation narcissique, ou le plaisir de déplaire, et s’invite à l’humilité dans sa progression intérieure sur la Voie cachée.
  • 11. Le Mystère du Vivant 11 L’homme désire confronter son rêve à d’autres réalités. Il quitte le grand fleuve et la forêt en gardant sur lui la Forme, hère porteur d’un mystère qu’il montre à l’occasion de rencontres. À chaque escale, il sent bientôt que l’endroit est moment de répit plus que de repos, temps d’arrêt plus que lieu de séjour, attente de reprise plus que détente du havre. Il préfère la route au relâchement des refuges, contre l’avis des sédentaires qui lui disent qu’elle est l’enfermement d’un désert d’affection. Une nuit à la couleur de pleine lune, tandis qu’il dort dans une île au centre d’une grande ville, il s’éveille en songe visionnaire et écrit sur le papier qui reste près de lui : « Ton nom est Jual ». C’est écrit « Jual », avec un « u », ou « Jval », avec un « v », un nom qui ne lui évoque rien, pas plus que la Forme, et il aimerait comprendre qui il est, qui parle en lui. On raconte que les initiés disent connaître leur Nom sacré, et voilà qu’il a le sien ! Est-ce un mauvais tour que lui joue son inconscient, ou une appellation de son bon génie ? A-t-il sur lui une haute protection ? Par cette vision qui lui paraît transmettre un message à découvrir, ce code secret disposé sur son parcours, cette Révélation, il a le sentiment qu’une lumière s’exprime dans l’ombre tapie au fond de lui, une ombre à qui il se confronte par l’exploration de ses rêves. Et il se souvient que chez les Songhaï des rives du Niger, un homme privé de son ombre va à une mort certaine. De l’autre côté du continent, il installe sa maison sur un cap, entre désert et océan. C’est le pays du soleil, des plages en ruban et du vent. Il aime partir en pirogue pontée loin des côtes, à la rencontre des thons, des dauphins, des espadons, et s’émerveille de la fécondité de la Nature. Puis il rentre à la maison du cap, blottie entre deux collines qui font comme des mamelles, et s’y sent bien. De temps en temps, les embruns s’en viennent et effacent les repères familiers. Le chemin en bord de mer se divise en pistes qui serpentent puis se rejoignent, jusqu'à deux lèvres étroites dans l’escarpement rocheux qui s’ouvrent sur une grotte ayant autrefois servi de refuge aux intrépides. Pour y entrer l’effort est nécessité, comme pour pénétrer un souvenir oublié. Il y a longtemps on y a trouvé des ossements, des dents, des pigments, des empreintes de mains et de pieds ainsi que des colliers, des coquillages bien conservés, des objets utilitaires et des foyers. Les gens alentour racontent que ce volume est sans fond et recèle un trésor, mais lui pense qu’il s’agit d’un trésor de nature spirituelle, et que la grotte est le symbole de son propre monde intérieur où gîte le sens caché de son devenir. Jual aime s’y reposer et méditer. La grotte résonne des grandes étendues océanes, qu’il entend mais ne voit pas. Parfois, tandis qu’il est immergé en ce lieu de demi-jour, la rumeur des cataractes emplit encore son monde intérieur, et la crainte renaît de ces passages où le long fleuve aux eaux brunes est terrible : il sait qu’il n’y a pas d’issue en aval, qu’on ne peut qu’en remonter le cours. Il imagine que lutter contre le courant c’est progresser
  • 12. Le Mystère du Vivant 12 vers l’origine, comme un au-delà qu’il éprouve en lui, par l’avancée dans des paysages denses et variés, le franchissement de réseaux complexes jusqu’au pays de la lumière pure, de l’instant et de l’immuable. Il désire se mêler au fleuve, être le fleuve jusqu'à sa source. L’image de la Forme aussi lui revient, comme celle d’un fossile vivant, dont il se sent séparé par une paroi opaque qui le désinforme. Il a l’intuition que c’est la paroi de son ego qui le tient à distance, en souffrance, et il voudrait l’effacer. Jual n’imagine pas que le haut a toujours un bas, comme l’extérieur a un intérieur, et sent une vague incomplétude dans son inconscient. C’est alors qu’un navire est à quai, au port voisin. Des diplomates d’un pays de la région persane y logent en cabine. Ils sont venus participer à une importante conférence islamique, et il décide de les rencontrer. Sur le vaisseau, leur accueil est chaleureux et il leur montre la Forme, avec l’espoir de connaître leur sentiment. Mais c’est peine perdue : quoique intéressée, la délégation de religieux ne répond qu’en dénégations. Cependant ils lui demandent d’attendre : un montagnard les a accompagné, qui est encore endormi, et ils voudraient lui demander son avis. L’attente se prolonge. Puis l’inconnu ensommeillé apparaît. Son vêtement est une tunique en peau de bête, son visage est dissimulé sous un fouillis de barbe épaisse et de sourcils démesurés, une toque de fourrure sommaire lui barre le front. Il tient du berger. Cet individu surgi d’un autre temps lui évoque l’ancêtre de l’homme, celui de qui tout est parti, qui un jour « a parlé à quelqu’un, ou à lui-même, de quelque chose », en gestes, en symboles ou en mots. En l’observant, Jual pense aux intuitions et déductions, aux fouilles patientes qu’ont dû effectuer les paléontologues avant d’établir une relation entre le silex taillé et l’homme antédiluvien. Aux résistances dont il a fallu triompher pour convaincre que la représentation religieuse de l’origine de l’homme était symbolique. Le délégué de la montagne semble peu pressé d’aider, puis observe ce tracé et s’apprête à rendre le papier, comme si aucune référence ne s’était éveillée en lui. Pourtant le voici qui se lève, met la Forme face au miroir disposé dans la cabine, et fait signe. Les religieux persans y reconnaissent le mot arabe Anwar : lumières, stylisé en une forme synthétique qui lui donne un caractère particulier. L’un d’eux affirme que cette Forme qui se présente comme un amalgame, coagulée ou fondue, est une émanation de la Conscience pure. Alors chacun saisit que de la Forme, c’est aussi l’image inversée qu’il fallait regarder. L’étranger de la montagne, aussi éloigné de la pensée de Jual qu’il se pouvait trouver, a d’un geste apporté un début de signification à cette difficile gestation, en lui rappelant que l’Unité pour se faire connaître s’est dédoublée, a engendré la dualité. Par la suite, d’autres musulmans de cette région lui confirmeront cette interprétation. Jual remercie l’assemblée, prend congé, et met le cap sur la
  • 13. Le Mystère du Vivant 13 maison. Il est envahi d’une joie profonde, certain que la Forme, comme il le pensait, n’est ni gribouillis ni brimborion. C’est une image intérieure qui s’affirme en un trait d’esprit, une expression de transcendance dans ce qui s’affirme être une épreuve initiatique. Il scrute dans le miroir ce reflet qui était jusqu’alors dérobé, et désirant obtenir de l’image virtuelle une empreinte réelle, il la reproduit méticuleusement. Puis il place la Forme couchée sur le papier face à son opposée ainsi réalisée, et lui accorde la verticalité. Pourtant, les deux points sont autant de lunes qui ne le satisfont point. Par simple glissement, il n’en laisse voir qu’une. La Forme et son opposée se rapprochent, comme deux profils qui font face, signature d’un Être unique en genèse. L’image lui semble en balance, instable entre l’Incrée et le crée. En songe, Jual voit que cette Forme qui gisait dans son inconscient est une « figure à geste d’orant », mais il ne saisit pas pour le moment le sens de cette expression. Il s’imprègne de la Forme et commence à voir que le travail à faire est de transformer la paroi opaque de son ego en miroir, et que ce travail a depuis longtemps débuté, sans qu’il ait pu le savoir. Il pressent que la connaissance qui lui est donnée par l’exploration des ténèbres de son inconscient et celle qu’il obtient de l’effet de miroir, sont deux faces d’un même savoir fondé sur le retournement de sa vie profane en une vision sacrée. Il voudrait aboutir et imagine que les deux mains seraient jointes, celles d’un Être objet et sujet, invocation du Parfait.
  • 14. Le Mystère du Vivant 14 La Forme d’origine et son image inversée sont maintenant posées sur la table, éclairées d’en haut par un faisceau lumineux. « N’inscris pas des notions, regarde vivre nos images » disait dans l’Antiquité le prêtre égyptien. Jual fait glisser l’une sur l’autre, et lentement elles se rapprochent. Deux éléments qui, à l’origine, paraissent d’un seul ensemble. Des jumeaux ne sachant pas où ils sont localisés mais pourtant liés par un cordon invisible, et qui voudraient communiquer. Deux particules d’un même nom de lumière qui chercheraient leur signification, leur affinité, et voudraient se réunir. Jual accentue le glissement : Surprise ! Les deux images, directe et réfléchie, se contiennent l’une l’autre, comme la fin est dans le commencement et le commencement est dans la fin. La Forme précédemment hors de sa portée devient informante : tandis que le point se dédouble, une figure féminine apparaît, née du vide effacé, qui procède des pôles s’unissant... Un dicton lui revient : « Tout homme porte en lui une femme ». Il songe aux religions où la déesse Mère exprime la plénitude de l’Être originel, et la phrase du vieux Maître de Chine resurgit de ses pensées : « Il y avait quelque chose dans un état de fusion avant la formation du ciel et de la terre. Tranquille ! Ineffable ! La Mère de tout-sous-le-soleil. Mais j’ignore son nom... Je l’appellerai Dao ». Et le vieux Maître poursuit : « L’Esprit de la vallée ne meurt pas. C’est la Femelle mystérieuse, la racine du ciel et de la terre ». Distinguant « ce-qui-a-nom » et « ce-qui-est-sans-nom », il ajoute qu’il faut chercher à atteindre xuan zhi you xuan, le « mystère qui est au fond de ce mystère », en rejetant le savoir et en « ne regardant pas ce qu’on pourrait désirer ». Alors l’Un, le Dao, « la Mère des dix mille êtres » dit le Vieux Maître, se réalise dans l’extase. Jual revoit la déesse égyptienne Hathor, à tête de vache et aux cornes en forme de lyre, qui enfante Horus, dieu du ciel dont les yeux représentent le soleil et la lune. Il admire ce symbole composé de la Forme et de son opposée fondues en un seul corps, et éprouve l’étrange sentiment qu’en lui-même, simultanément à cette apparition, son pôle céleste a rejoint son pôle terrestre. Il accentue encore le glissement, voit que les deux points s’éloignent encore, et la même figure se montre cette fois au masculin :
  • 15. Le Mystère du Vivant 15 Il recommence et vérifie plusieurs fois cette translation qui fait coïncider à deux reprises les opposés, jusqu'à accepter l’évidence : de la Forme d’origine sont nés l’homme et la femme, dedans et dehors en même temps, distincts et confondus, contenant et contenu. Le Couple primordial s’est parfaitement inscrit dans le monde sensible par la jonction des moitiés. *** Au sommet d’une des deux mamelles escaladées, Jual observe un nuage venu de la mer qui se déverse sous le soleil en une averse tiède, célèbrant entre le ciel et la terre un mariage cosmique sacré, promesse de fertilité. Il pense aux paysans des villages environnants qui pratiquent des rites de pluie, en faisant appel à un sorcier qui fait pleurer le ciel en « sortant de la durée », en réhabilitant l'éternel présent. Séchant dans le soleil et le vent il pense à sa vie, voit qu’il est un errant, de ceux qui ne possèdent rien et espèrent tant, affrontent le danger et recherchent la paix dans l’insécurité ; un amant de la terre, mystique de l’oasis et des lagons, des cirques de dunes et des lacs de cratère, un adepte du port sans attaches et du lien à l’idéal, à la femme absente, en attente. Il est ainsi depuis qu’enfant il attendait sa mère, souvent, une époque où il s’est installé dans le provisoire, définitivement. Un jour, encore trotte-menu, il était allé seul parmi les champs fleuris jusqu’au Port aux dames, un lieu charmant au bord de la rivière qui coulait près de chez lui.
  • 16. Le Mystère du Vivant 16 Une demoiselle à l’ombrelle, de l’autre côté de la passerelle de bois blanc qui joignait les deux rives, le regardait en souriant. Sous la douce lumière, le délicat visage féminin auréolé de dentelle lui renvoyait une image incertaine de lui-même, et il n’avait pas osé traverser de peur de la briser, comme un miroir fragile tenu dans une main à distance. Un ami lui avait dit qu’elle s’appelait Koulilou, un drôle de joli nom. Puis ils s’étaient revus mais sans se parler ni même s’approcher. Il sentait qu’ils n’avaient pas l’attache facile, et pour finir la timidité l’avait emportée. Parfois au soleil couchant, il rêvait être installé sous l’arche d’un pont de bois minuscule qui joignait les deux bords d’un mince ruisseau s’échappant d’un petit lac. Une jeune fille se tenait de l’autre côté de l’étendue d’eau, à une haute fenêtre d’une maison éloignée, sous le faîte. À cette distance, par le miroir du lac séparés, ils ne pouvaient échanger leurs regards, ni même se parler. Encore enfants, ils vivaient l’un pour l’autre un amour naissant, une hypnose sexuelle, le désir différé de s’approcher. Par la suite tout avait changé, de part et d’autre des océans il avait aimé tant de femmes qui avaient espéré. Ou rien n’avait changé malgré toutes, car sa seule vraie compagne restait cette impression d’incomplétude qui ne l’avait jamais quitté. Et maintenant c’est en fouillant dans son inconscient, et en s’exposant à sa force éruptive qu’il espère parvenir à la sagesse, pensant être dans la même situation paradoxale que l’adepte égyptien qui s’entendait dire « si le ciel ne te met pas en main ses clés et son fil directeur, jamais tu n’en découvriras le plan ». Or voilà que dans son ciel intérieur une lumière s'est manifestée. Sur la Forme tracée en songe, le point était unique. Par la figure bisexuée, issue de la Forme en un miracle fusionnel, il se dédouble. Jual pense que c’est l’incursion en son être du point, expression de l’Absolu, qui a fait jaillir en lui cette image magique. L’Ancien Testament, Job, 33, 10, lui apporte une confirmation, lui confirme qu’il a ouvert une porte : « Dieu parle d’une façon et d’une autre sans qu’on prête attention, par des songes, par des visions nocturnes, alors il parle à l’oreille de l’homme. » Il comprend que la Forme initiale enfantée dans son imagination était présence d’une absence, gage de reconnaissance, comme parfois un voyageur doit réunir la moitié d’un objet qu’il détient à l’autre moitié, pour être reconnu à l’entrée d’un domaine réservé et obtenir l’hospitalité. Il se souvient que dans la Grèce ancienne, un étranger ou un voyageur suscitait plutôt la prudence et était même souvent considéré en ennemi 3 , mais que s’il ne montrait pas d’hostilité, savait rassurer, il était alors reconnu et accepté comme un suppliant, nécessiteux d’un bon accueil et de soins. On se devait d’être bienveillant, et en se séparant l’hôte rompait avec l’étranger une tessera, petite plaque de bois, d’ivoire ou de métal, dont chacun gardait une moitié afin qu’ils puissent, - ou leurs descendants -, renouveler les liens plus tard.
  • 17. Le Mystère du Vivant 17 Par son caractère religieux, la Forme lui ouvre une voie de connaissance. Présomptueux, en son centre vital il envisage un moment qu’elle est la moitié manifestée de la face de Dieu. Elle constitue avec son opposée un mouvement qui réunit des éléments séparés et complémentaires, une co- existence pacifique des contraires, une alliance sacrée nouée autour de ce signe de croyance. Et en même temps que celle-ci se dessine, il sent qu’un pacte se scelle en profondeur en lui, avec il ne sait qui, peut-être similaire à la convention de non-agression entre Faust et le magique Méphistophélès. En une intuition diurne, elle s’est trouvée complétée de sa forme inversée qui coïncide et les deux, dans son espace subjectif, composent cette alliance d’un grand pouvoir unificateur. Par la jonction des opposés de la Forme, l’accolade de son être, il saisit d’un effroi sacré encore jamais ressenti que cette androgynie, cette source de sagesse est en lui : il tient des deux sexes, homme et femme ensemble. Et il s’aperçoit que Faust n'a jamais pu voir cette « forme sévère » symbolisant l’Immortel, le trésor suprême et indéchiffrable au cœur du monde et de chacune de ses cellules. Tant de peurs, d’interrogations, de doutes pour une si petite chose ! Il se souvient du rituel d’alliance, permettant d’établir un traité ou un accord entre deux parties, qui a toujours consisté à séparer l’offrande en deux moitiés égales et à les arranger en vis-à-vis, chacun des contractants passant ensuite entre les moitiés pour « couper l’alliance », c’est à dire la sceller. Et il se rappelle de ce passage de la Bible où il est écrit que le Père-très-haut Abraham « préleva pour Lui » (Yahvé) « tous ces animaux, et il les trancha en deux moitiés par le milieu... ». Et aussi il se souvient de Élie, et d’YHWH, divinité au nom imprononçable, de son visage et de sa beauté qui foudroie, et de ce passage de la Bible, Rois, 19, 9-13 : « Élie entra dans cette caverne et logea là, et voici pour lui une parole d’YHWH, et elle dit : Que viens-tu faire ici, Élie ?... Alors un grand souffle passe, point d’YHWH... Puis un tremblement, point d’YHWH... Après un feu, point d’YHWH... Et après ce feu, la voix d’un léger bruissement ». Élie est soumis à l’épreuve des amants débutants : savoir reconnaître celui ou celle qui est l’Unique, caché parmi les avatars et les phénomènes. Là, l’Unique parle sans bruit, vient dire ce qu’il y a à faire ici, et au contact de la lumière divine l’Être de l’homme s’amplifie. Alors il s’intéresse à l’origine suméro-akkadienne du nom Abraham, ou Abram. Et il s’aperçoit que le Père-très-haut est ÁB rīmu : le taureau sauvage, ou ÁB aru : la vache :
  • 18. Le Mystère du Vivant 18 de même signe que ÁB-GUD : la bête à cornes, que ÁB-KU : le pâtre, que ÁB KU 6 : le poisson-vache, et ÁB-ZA-ZA : le singe. Le poisson-vache que Jual retrouvera dans les cultures océaniques, et le singe chez les Dogons en Afrique. Il observe que le Très haut est aussi rimi : enfoui comme une fleur dans la motte d’argile, ou dans le ciel profond de l’être : Son ami paysan avec qui il a partagé ribotes et ribaudes est réticent à le suivre sur cette voie, pour qui un taureau est un taureau, une vache est une vache, pas les deux à la fois, et pour qui un homme n’est pas une femme. Pourtant cet ami cultivé lui fait état d’une légende de sa province où deux vaches se sont prises dans le même licou. Cette étrange histoire rappelle à Jual le mythe de la licorne coréenne et il veut en savoir plus, mais l’ami lui dit que dans son pays parler de ce secret n’est pas permis. Il pense à la Vénus dite « l’hermaphrodite », en stéatite verte datant du gravetien, de Grimaldi en Italie ; parfois il n’y a pas de critère qui suffise à une diagnose sexuelle crédible. Et il revoit la Vénus dite « bâton aux seins » en ivoire, datant de la même époque, de Dolni-Vestonie en Tchéquie. Par l’apparition de cette Forme en qui il voit un dépôt primordial autant que le germe de son état futur, Jual sent qu’il avance sur le chemin initiatique de la transformation vers l’Unité, un chemin à l’issue indéfinie ou incertaine. En renonçant à ce qu’il croyait être, il rend possible la réunion de ce qui a été dispersé. Il se dit : « Ce symbole évoque le Verbe sacré, la Parole recrée. C’est par le sacrifice de ce que j’étais que je ferai surgir Celui qui attendait à l’intérieur. L’initiation est mort et renaissance, et le passage s’effectue dans l’ombre ». Et il pense aux paroles cachées de Jésus : « Quand vous voyez Celui qui n’a pas été engendré de la femme… adorez-le : Celui- ci est votre Père ». Et à la Bible, à propos de Dieu, Gn, 8-16 : « Car ceux que d’avance il a discerné, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils » ; et Col, 3, 10 : « Il le fait en lui imprimant l’image plus belle de Fils de Dieu... qui rétablit l’homme nouveau... » ; et aux adieux du Christ, cités par Jean, 14, 15-21 : « D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez Vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous...celui qui m’aime sera aimé de par mon Père ; moi aussi je l’aimerai, et je me manifesterai à lui ». Dans les rites d’initiation des sociétés primitives, il voit que le thème des jumeaux, - parties intégrantes l’une de l’autre et à réunir en une seule personne, ce qui constitue l’épreuve -, est lié au sacrifice humain propitiatoire et à la mort nécessaires à la guérison. C’est par la mort des jumeaux que survient la victoire de la nature spirituelle de l’homme sur
  • 19. Le Mystère du Vivant 19 l’animalité, et que se réalise l’Unité. Il s’aperçoit que ce thème des jumeaux a une portée universelle et est souvent lié, comme sur la figure issue de la Forme, à celui de la corne, symbole de la force animale incontrôlée et de l’énergie divine. Et que l’union de deux éléments sans changement ne fait pas que l’un devient l’autre. Seul le changement fait un nouvel ensemble. Il pense à ce qui est dit dans les Upanishads : devenir Un, c’est mourir. Jual en bordure des champs de conscience flottants
  • 20. Le Mystère du Vivant 20 LE PRINCIPE L’empreinte survenue dans son sommeil suscite une inquiétude par son étrange nouveauté, parfois même hante ses heures de veille. Il lui arrive de s’emporter naïvement contre ce diable de Méphisto au pouvoir absolu, comme s’il avait été initié par lui à voir l’Androgyne. Ce diable lui paraissant malfaisant et ténébreux, qui fait pourtant partie de sa vie et l’aide à prendre la pleine mesure de son être. Jual met un temps cette empreinte au fond d’un tiroir pour l’oublier, pensant qu’il n’a pas besoin de savoir où il va, tout juste devrait-il se soucier de sa santé, des êtres qui lui sont chers, ou même du temps qu’il fait. Mais le plus souvent, bien que son entourage soit perplexe ou sceptique, méfiant ou craintif, il veut approfondir la recherche, interroger la Forme immuable, le langage inconnu. Depuis qu’il a tourné son regard vers l’intérieur, son visage l’intrigue, réfléchi par l’éclat du miroir dans une dimension de lumière : le reflet de la glace, qui semblait si fidèle depuis maintes années, n’était pourtant qu’un voile dissimulant la réalité profonde de son être, du fait qu’il ne voyait pas en lui son opposé complémentaire mais seulement l’image de son ego. Une fois, un instant le miroir avait été vide, ou face à une structure ouverte, la Forme était apparue en une irruption tragique, homme et femme, qui porte cornes et couronne. Tandis qu’il a accompli le grand retournement, un bonheur fou l’emporte par instants. Il écrit un poème : FACE À FACE Tu sors de ta cuirasse Si tu mets en place Devant toi une glace, Dans un noir espace À son côté une chandelle Et sa flamelle, Éclaire d'une lumière fidèle Ton visage-citadelle.
  • 21. Le Mystère du Vivant 21 En aucun cas ne cligne des yeux Même si tu pleures d’autant mieux, Et plonge dans tes prunelles Ton regard qui étincelle Tu es soumis au vertige de l'angoisse Et subis l'illusion de l'impasse, Alors que sagace en ta province C'est Narcisse que tu évinces Soudain ton être immortel Apparaît en ton image virtuelle, Le miroir de la sorte scelle Ton rapport à l’immatériel Davantage se révèle Dans cette relation confidentielle, Si tu passes dans ce visage intemporel Et contemples celui que tu croyais réel Tu es en cet instant ton être subtil Qui identifie d'en face sa figure pile, Où ne bouge ni cil Ni pupille Lorsque ce regard retourné, cette volte-face Avec ton double a brisé la glace, Et cette boucle, ce va et vient qui te déplace, En ton Centre spirituel te rend place Quitte ce face à face Et élis domicile, Ni côté face ni côté pile, Sur le côté de ce biface Te voici sorti de ta bastille, Vis-à-vis de ton double profil
  • 22. Le Mystère du Vivant 22 Présent en asile Dans un cercle qui scintille Un écran Où se projette en cette onde, Du néant Ton image dans le monde Tu voudrais voir ta vérité Saisir ton être en son intégrité, Énigme entre l'Absolu insondable Et ses formes connaissables Comme dans la Bible Où s'effacent les piles de Babel, Tu frôles l’indicible, L'Éternel Face à sa solitude, il aimerait savoir si d’autres ont vécu pareille aventure. Il rencontre ces mots hermétiques du gnostique païen Poimandrès : « L'Homme (... ) fit montre à la Nature d'en bas de la belle forme de Dieu. Quand elle l'eût vu qui avait en lui-même la beauté inépuisable (... ) jointe à la forme de Dieu, la Nature sourit d'amour, car elle avait vu les traits de cette forme merveilleusement belle de l'Homme se refléter dans l'eau, et son ombre sur la terre. Ayant perçu cette forme à lui semblable présente dans la Nature, reflétée dans l'eau, il l'aima et il voulut habiter là (... ). Alors la Nature ayant reçu en elle son Aimé, l'enlaça complètement et ils s'unirent, car ils brûlaient d'amour » 4 . La Nature est l’expression de l’Invisible. En chemin, Jual veut aller à la rencontre de son envers complémentaire, accepter le symbole unifiant qui lui est venu du fond de son inconscient, et trouver la paix. Il interprète le texte de Poïmandrès en se souvenant que le soleil dans le ciel ne laisse admirer sa couronne que lorsque la lune vient épouser sa forme en une union parfaite, symbolisée par un anneau de diamant, et éclipser sa fulgurance en projetant sur la terre un mince cône d’ombre. Un soir dans son jardin d’eau, il se repose dans le hamac suspendu entre un flamboyant et un palmier, au bord de la vasque où viennent boire les oiseaux. Au-delà des rosiers et des jasmins aux effluves envoûtants de paradis, il contemple le petit bois d’une intemporelle beauté. Dans l’harmonie des végétaux et des jets d’eau, les arbres semblent réunis en conclave, en arbres-esprits formant une assemblée de notables. À cette
  • 23. Le Mystère du Vivant 23 saison les branches ont perdu leurs feuilles et ont la forme de racines. Le bois paraît avoir la tête en bas et la beauté de la Nature lui apparaît sous un autre aspect, comme celle d’un tableau abstrait. Il lui revient qu’autrefois il a été stupéfait par la splendeur d’un tableau d’un peintre célèbre, et quoiqu’une admiration universelle soit manifestée à l’endroit du tableau, il aimait de lui autant son envers que son endroit. Depuis que la double figure est née de la coïncidence des opposés de la Forme, il a le sentiment d’accéder par le paradoxe à la totalité de sa psyché, de pénétrer son propre mystère. Dans cette affirmation simultanée de l’identité et de la différence, il se sent être le développement d’une possibilité de perfection, d’organisation de la matière marquée du sceau de l’éternité. En transcendant les contraires, il découvre le Principe unique, source de la vie et de la conscience, manifesté en masculin et féminin 5 , le Principe anthropique, l’Homme primordial. Il saisit que cette apparition ne peut pas être comprise de façon habituelle, « dans des catégories historiques » dirait le philosophe, qu’elle n’a pas le statut des événements de ce monde. Une analogie s’établit entre la figure pétrie des opposés de la Forme et le symbole alchimique du Rebis, être androgyne, unique bien que double, dont la moitié droite est masculine et la gauche est féminine. Il est très contrarié par l’apparition de cette androgynie intérieure. Non pas que la représentation de la divinité surgie d’abord en lui sous forme d’une image féminine lui semble hérétique, comme elle fut pour d’autres et à d’autres époques en Occident, mais parce qu’il avait de lui l’idée naïve d’un homme viril et conquérant comme don Juan, qui ne concorde pas avec cette manifestation rayonnante surgie des ténèbres. Il aurait pu savoir que dans son inconscient, lorsqu’un élément domine à ce point qu’il culmine, l’élément contraire en jaillit par compensation. Mais il ne le sait pas, et c’est l’expérience de la vie qui lui révèle 6 , celle d’un sixième sens qui fait qu’un noumène devient phénomène, qu’il se manifeste à la conscience. Depuis qu’est apparue cette résurgence, il craint de s’engager dans le puits sans parois de l’indicible. Scruter l’abîme vécu de son ciel intérieur lui donne le vertige, quoique pourtant il pressent que la Forme le révèle à lui-même devant ce gouffre sans fond. S’il est saisi d’effroi, c'est qu'il n'a pas encore bien admis que cette image primordiale bipolaire témoigne que se structure en lui le Principe et sa manifestation, et que cet autre qu’il reconnaît dans son reflet n'est autre que lui-même, qui l'aime et qu'il aime. *** Tandis que sur l’image les pôles se sont rejoints, Jual voit tantôt que le plein s’empare du vide et tantôt que le vide se pare du plein. Les deux foyers aux pôles opposés sont les arabesques de la conjonction de deux corps
  • 24. Le Mystère du Vivant 24 jumeaux en Un, nés de la lune noire. Il pense à Leda qui prit la forme d’un cygne pour plaire à Tyndare, et enfante deux couples de jumeaux. Et à ce lieu obscur où se tiennent les éternels Dioscures, gémeaux de la Cité Solaire qui partagent la même âme. Il sait que la Cité s’assiège d’abord de l’intérieur. L’expérience de l’Absolu lui semblait impossible, elle est maintenant constitutive de sa propre existence. Il préfère explorer cet espace de l’impossible plutôt que celui du possible. Autant la manifestation isolée de cette Forme lui semblait ambiguë, autant elle lui paraît prendre son sens par rapport au Principe : l’Absolu s’est fait connaître en une parole principielle, atténuant sa fulgurance en cette expression de gnose véritable. Dans cette double figure homogène résultant du mariage des contraires de la Forme, l’Absolu habituellement inaccessible apparaît en un couple d’opposés complémentaires, ou plutôt doublement opposé : virtuel-manifesté et mâle- femelle. Il se révèle en une manifestation particulière de l’Unité où se réalise l’Androgyne, où l’Un se dédouble et où le deux se fait Un 7 . Jual pense au poème cosmogonique babylonien Enuma Elish où il est dit que l’homme fut formé du sang des deux dieux Lagma, immolés dans ce but. Il découvre que l’Absolu s’atteste dans la Forme, et saisit que le monde est crée et régi selon deux éléments antagonistes d’un Principe suprême, apparu ici en la forme développée de son équivalent symbolique : le Couple primordial. Dans le Coran, Adam-wa-Hawâ, Adam-et-Eve, est Allah, et le nom divin Huwa, - Lui, Allah -, est symbole de l’Androgyne. Peut-être que dans d’autres univers le Principe s’exprime de façon différente, mais l’homme s’intéresse à ce qui se passe en lui, et en ses semblables sur cette terre. Parmi ses lectures il découvre ce passage du Banquet de Platon : « En ce temps-là, l’Androgyne était un genre distinct et qui, par la Forme comme par le Nom, tenait... à la fois du mâle et de la femelle ». Et cet autre : « ... alors chaque moitié soupirant après sa moitié la rejoignait ; à bras le corps, l’une à l’autre enlacées, convoitant de ne faire qu’un même être ». Et dans l’Évangile : « Lorsque vous ferez de deux Un et ferez l’extérieur comme l’intérieur, et ce qui est en haut comme ce qui est en bas, et lorsque vous ferez le mâle avec la femme une seule chose, en sorte que le mâle ne soit pas mâle et que la femme ne soit pas femme... Alors vous entrerez dans le Royaume ». Et ce passage de la Brad Âranyaka Upanishad sur le Purusha, l’être spirituel qui est en nous, identifié à Brahma, le Principe divin : « La Personne dans l’œil droit est Indra-le-resplendissant et la Personne dans l’œil gauche est son épouse : leur conjonction est... dans cet espace qui est à l’intérieur du cœur ». Et ce récit visionnaire en Islam : « Les deux anges auxquels l’être humain est confié, ceux que l’on appelle Gardiens et Nobles Écrivains, l’un à droite,
  • 25. Le Mystère du Vivant 25 l’autre à gauche ». Et plus loin : « Celui à qui l’on enseigne certaine route menant hors de ce climat, et que l’on aide à mener à bien cet exode, celui-là trouve une issue vers ce qui est au-delà des Sphères célestes. Alors en un coup d’œil fugitif, il entrevoit la postérité de la Création Primordiale sur laquelle règne un Roi unique. » Le mystère est dans le vide qui est en lui et qui l’emplit. Parfois dans le jardin le temps est long. Être productif en ne faisant rien est pour lui une façon de chasser l’ennui. Après une flânerie autour du logis, il s’allonge sous la tonnelle fleurie et rêve qu’il a dans son domaine réservé un cheval sauvage. Son intention est de monter cet étalon mais l’animal se laisse toujours approcher pour mieux s’échapper, effrayé de jouer. Il se promet d’apprivoiser ce compagnon indocile et d’en devenir responsable, puis soudain devient lui-même le cheval, qui détale à travers ombres et fantômes vers l’inconnu, jusqu'à un monde éclatant de lumière. Lorsqu’elle est apparue, la Forme d’illumination l’a ébranlé et maintenant qu’il se sent dans le secret, il se demande s'il peut poursuivre dans la voie de recherche de l’unité de son être. Alors il s’aperçoit qu'il n'y a pas lieu de refouler ce désir, qui l’allège de sa souffrance en atténuant cette impression de séparation qu’il a toujours confusément éprouvé, cette souffrance qu’il croyait principalement liée à la séparation d’avec sa mère lorsqu’il était né. Et devant un tel symbole jailli en soi, on ne peut être timoré, on n’a pas le choix. Dans cette relation avec ce quelqu'un qui n'était personne récemment, cet opposé qui lui est encore un peu étranger, au surplus immiscé dans son moi alarmé, il lui semble qu’il s’estime davantage. Malgré ce sentiment d’ingérence, ses yeux trouvent mieux son regard : là où il craignait de croiser le regard du Diable il découvre sa Nature parfaite, comme le sculpteur mystique donne forme à l’ange par l’alliance de la pierre taillée et du vide délimité. Il apprécie cette situation paradoxale et sait qu’elle ne peut pas être vécue en permanence dans tous les contextes de sa vie quotidienne et profane, mais il lui paraît important d’y faire des incursions fréquemment, faire le vide en lui pour vivre dans la plénitude un instant, s’y ressourcer et, par le renversement des valeurs, se transformer. Alors il se communique avec cet autre lui-même dans un soupir, ou un signe de silence né de cette conversion radicale. Cela lui semble passer par l’acceptation de ses contradictions et le désir de s’aimer. La condition est qu'il pactise en un scénario extrême avec la part obscure de son inconscient qui résiste, où naissent anges et démons, oiseaux de feu et dragons : c’est dans la transfusion entre son conscient et son inconscient que se fera le don de sa personne, sans lequel il ne peut recevoir. La mise à jour en son Centre spirituel de ce symbole qui unifie ses contraires et le guide vers l’Unité indifférenciée, a dégagé en lui une très
  • 26. Le Mystère du Vivant 26 grande énergie, une parcelle de l’énergie universelle. Comme si le soleil parvenu au zénith avait engendré une nitescence vivifiante au fond du puits sans limite de l’ombre, réputé insondable à moins peut-être d’y attendre longtemps le bruit soudain d’une pierre en fin de chute, qui frappe l’abîme. Il se sent enveloppe terrestre d’un volcan paisible et pourtant impatient, d’un soleil souterrain. Il a observé que c’est lorsqu’il se rapproche ainsi de son Centre spirituel que les autres voient en lui un excentrique. Il est vrai que c’est près de lui qu’il se sent le plus proche des extrêmes réunis. Depuis qu’il a découvert en son Centre cette Forme, cette monade, il se passionne davantage pour les nomades. Il se reconnaît en ces adeptes de l’avancée permanente vers un horizon qui semble les attendre, sans jamais se laisser atteindre. Il se documente sur Siddharta faisant le voyage qui lui apporte la lumière et devient Bouddha. Bouddha, Birmanie Il s’intéresse tout autant aux moines tibétains itinérants, aux moines mendiants du Moyen-Âge en Occident et aux Almoravides conquérants. Les Touaregs du désert, les Esquimaux de l’archipel canadien, les Pygmées de Centrafrique, les Tziganes des Balkans, les Tsatan de Mongolie, les Moken de Birmanie, les Juifs errants et autres passagers de la terre reçoivent sa visite. Il partage un moment leurs coutumes, puis revient à la maison et revoit ces instants où, vivant lui-même en nomade créateur hors de ses frontières intérieures, il a agrandi son champ de conscience vers l’Absolu. Les temps ont changé depuis son adolescence, où fréquemment derrière chez lui venaient s’installer pour quelques jours des Gitans dans un champ. On ne leur parlait pas, on disait qu’ils n’étaient pas des nôtres, ou simplement qu’ils n’étaient pas causants... Son ami paysan interprète ces déplacements répétés comme des évitements, mais lui sent que son amour des voyages, de l’inconnu, de la
  • 27. Le Mystère du Vivant 27 mer, du désert où le silence s'écoute dans la nuit, sont en rapport avec l’oubli de lui et de son corps, à un amour mystique du vide. Prendre la route pour aller en pèlerinage du naturel au surnaturel, de l’immanence à la transcendance, de l’humain au divin. Voyager dans le savoir et voyager autour du monde, pour le plaisir de découvrir et pour l’apprentissage de la vie. Explorer pour se connaître, dans le contact avec les autres et dans la solitude. Mêler la route matérielle et l’itinéraire spirituel. Chercher ce qu’il est, et chercher le vide car il sait qu’il va mourir. Il apprécie la Forme comme un sésame irremplaçable et toute aventure vécue est plus qu’avant une aventure spirituelle. Un soir de Pâques au Sahara, ses pas gravent dans le sable et le vent d’éphémères figures, ondulations, gouttes de lumière, effilures. Parmi ces vagues de dunes et ces cascades de sable, il songe à la visite qu’il a faite dans la journée aux bois pétrifiés de l’Aïr, et à cet oiseau blanc qui s’est envolé d’un tronc de pierre couché. Puis alors qu’ailleurs ses amis sont en fête, il est sur la crête du cirque de dunes de Temet, - un cercle parfait au bord des espaces immenses du Ténéré -, et il médite sur le Couple primordial, le double visage, l’étrange bi-unité de l’Être. Un instant, il craint de tomber telle une fourmi au fond d’un sablier. Le soleil et la lune sont posés sur l’horizon, exactement opposés, et il se sent contemplant et contemplé, enfant engendré. Il a à l’esprit ce rêve du fétiche glissé sous la porte, qui avait provoqué simultanément émotion fébrile et forme immobile, puis suspend sa pensée, se libère de tout effort conceptuel, des idées de dualité, de néant, d’éternité, et s’ouvre au vide lumineux, à l’expérience non duelle. *** Après ces beaux et épuisants voyages, le retour à la maison est signal de repos. Dans les soirées, il emprunte les sentiers du jardin aux odeurs de figuier et de jasmin, et s’installe près de la fontaine au jet gracile, sous l’arbre centenaire. En ces moments de chuchotis, murmures et gloussements, tintements et gazouillis, il croit être près de la fontaine de jouvence au pied de l’Arbre de vie et a le sentiment de s’affranchir de la condition temporelle, d’être proche de l’état primordial. Mais lorsqu’il revient à la Forme il est assailli de questions, est repris par le démon de sa pensée analytique, de sa propre inquisition l’empêchant de voir qu’il ne s’agit pas de tout expliquer, mais de saisir qu’elle est une apparition de l’archaïcité originelle, un symbole de la mise en scène de l’univers. Sa pensée cherche une structure compréhensible au lieu de chercher la vérité dans les symboles. Ce Principe de vie qu'il porte et qui le porte, - il éprouve le sentiment d’être la maison et l’habitant de la maison -, ce Principe de l'homme involué dans la matière, en gestation depuis des millions d’années à travers
  • 28. Le Mystère du Vivant 28 l’évolution des espèces, il l’a appréhendé en lui par la réunion de l’endroit et de l’envers, en une figuration imaginaire. La Forme lui paraît être un témoignage de l’élan vital et créateur qui se diversifie dans la matière, en l’organisant. Il voit un rapport entre cette figure de l’Androgyne et la bisexualité contenue dans chaque cellule humaine, avec deux groupes de chromosomes venant de chaque parent, et pense que peut-être les structures mentales sont comparables aux structures biologiques nucléaires. Jual s’émerveille de la capacité des êtres humains à saisir les situations et à effectuer les adaptations nécessaires dans un milieu changeant. Ce qui différencie l’homme de l’animal, pense-t-il, ce sont les signes et les symboles, différents des stimuli et signaux des animaux. Il ne lui semble pas que les transformations des gènes sont seulement fortuites, et il imagine une préadaptation génétique, des gènes préformés. Il se demande dans quelles conditions son organisation psychique a pu favoriser en cet instant paradoxal l’émergence d’une telle Forme, une telle figure illuminatrice, et à quelle logique des antagonismes elle a obéi. Par moments, il sombre dans l’indistinction des réalités et se perd dans les méandres de son inconscient. À d’autres, il croit qu’un arpent de vérité se tient dans ce dédale, comme un espace bleu de courbes de lumière qui se terrent dans une baie de mer noyée d’obscurité. Il poursuit ses tentatives de compréhension rationnelle pour savoir quelle clé a été utilisée dans cette vision révélante. Cette figure contradictoire exprimant l’unité du genre humain lui semble venir d’avant la préhistoire. Un parent de cet archétype de lumière résidait-il déjà dans le bagage génétique de l’homo erectus, ou dans celui de l’anthropoïde Lucy ? Serions- nous vraiment tous parents quoique tous différents ? Il se sent familier de ces hommes du passé qui se représentaient les animaux et leurs semblables en observant leurs empreintes laissées au sol, ou même en les imaginant en leur absence. Par la confession de ses masques, il soupçonne avoir extrait de son inconscient quelque chose de primordial, la plus intime disposition personnelle mentale, l’objet de son plus profond désir qui s’exprime sous forme d’une représentation symbolique. Une image qui ne s'est d’abord montrée qu'à moitié, comme si sa personne était temporairement divisée, comme un reflet dans les vagues de fond de ses rêves. A-t-il opéré inconsciemment une césure de cette image sans âge pour n’en présenter qu’une demie, et se défier dans sa recherche d’harmonie à retrouver la moitié complémentaire de l’épure, lui permettant de restaurer son unité, se déifier ? A-t-il voulu donner à cette Forme un sens, conférer à son être une transcendance pour échapper à la fois à l’absurde et à la démence ? En regardant la figure, il ne lui déplaît pas de penser qu’elle aurait pu être la représentation graphique d’un totem, animal ou être mythique, ancêtre d’un clan auquel il aurait appartenu.
  • 29. Le Mystère du Vivant 29 Il se demande parfois s'il ne s'agit pas d'un fabliau. Tout cela n’est peut- être qu’un montage à partir d’une forme quelconque : il n’aurait fait qu’employer un moyen plastique en utilisant l’effet de miroir, la figure symétrique obtenue étant humanisée par assimilation au visage et au corps humain. Un moment il pense aux tests qu’on utilise en psychologie, formés de figures symétriques à partir de taches indifférenciées. Et au lieu d’une affirmation de la suprême vérité prenant corps dans ce songe tracé, ce ne serait qu’une illusion, une divagation, une duperie d’apparences construites. Plutôt qu’une illumination, ce serait un aveuglement qui se voudrait rassurant. Alors, par l’acceptation de la fusion des moitiés de l’énigme, ne s’ouvrirait-il pas à la voie de la confusion de l’image et du réel ? Aurait-il réalisé cette expérience symbolique en pleine névrose anxieuse ou durant un épisode psychotique ? Ne serait-il pas la proie de son inconscient ? Mais dans ce cas, comment expliquer la puissance de symbolisation de la double figure et sa force à exprimer la sexualité ? Attendant d’en savoir plus, il préfère continuer de croire que cette forme de lumière qu’il recèle est essentielle, que cette monade lovée dans son intimité et se transformant en une dyade, est belle et bien une image de la force vitale universelle, une manifestation de l’Absolu. *** Traversé à nouveau de sentiments confus, Jual trouve refuge dans ses certitudes. Il se réfère encore à la raison, voulant refouler les contraires pour privilégier le sens univoque, ou il prétexte parfois que cette affaire tient de la magie et n’est plus de notre époque. Il sait que sa conscience en veille ne laisse passer habituellement que les informations utiles à la conception de séquences qui représentent l’univers selon un modèle construit, avec un présent et un temps qui s’écoule. Or, en une vision soudaine, la Forme de l’Androgyne est apparue, comme si le cerveau qui filtre et interprète avait délaissé son rôle de sentinelle, s’ouvrant au flot de conscience universel. Aurait-elle franchi la barrière de contrôle subrepticement en un moment rare, à l’occasion d’un relâchement de la fonction sélective pendant le songe libérateur ? Ou bien son cerveau aurait- il de lui-même cessé de filtrer, pour mieux réceptionner cette structure d’information primordiale ? Cette soudaine image révélatrice ne lui semble pas être seulement un élément de mémoire individuelle, mais une émanation d’un fondement ancestral et il voudrait être expert dans une discipline inventée, l’archéologie psychique. Il aimerait découvrir d’où vient cette information, et comment elle a été codée dans ce qu’il imagine être en lui une mémoire universelle. On lui dit qu’il y aurait des sédiments mnésiques accumulés au cours de la phylogenèse et que ce trésor serait celui de nos ancêtres. Il songe aussi que
  • 30. Le Mystère du Vivant 30 dans l’Antiquité l’esprit des morts maintenait dans l’au-delà une apparence humaine, que les vivants nommaient « l’ombre ». Mais sur ces « résidus archaïques » on sait peu de choses, ou on suppose que ces « souvenirs- formes » seraient engendrés par des champs d’ondes de forme. Sans doute notre inconscient dispose-t-il d’un pouvoir de perception subliminal qui le fait s’approcher du devenir ancestral inscrit dans la structure de notre être, ou est-il lui-même ce devenir. Un ami lui parle d’invariants, de liens à l’universel, de grandes constantes des archétypes de l’humanité 8 , comme le sont les lois physiques de l’univers. Jual reste extasié de cet instant d’illumination directe, cet éclair d’éternité où en lui-même une Écriture sacrée s’est fixée, où par la Forme l’Absolu a pris place, laissant par là la possibilité d’être connu à condition d’accepter cette possibilité et de travailler à sa connaissance. L’impression qui domine est que ce corps vierge surgi de son firmament intérieur est une clé de l’origine de l’humanité, semblable aux comètes fugitives qui révèlent les archives du système solaire dans le vide planétaire et dont on dit qu’elles auraient apporté dans leur chute sur terre l’eau et les germes de la vie. À la différence qu’il est lui-même le vagabond de son espace intérieur, à la recherche de sa propre origine. En contemplation, la Forme lui donne la sensation de ne pas être compatible avec son système habituel de représentation, d’être dans un espace de conscience hors du temps. Elle paraît domiciliée ici et ailleurs, et faire signe. Un signe cabalistique venu de l’Infini mystérieux qui prendrait nécessairement une Forme pour devenir accessible, comme s’il y avait entre cet Infini et le monde familier sensible un inter monde convertisseur où les signes purs s’habilleraient de lumière pour être mieux aperçus. L’Infini introublé où les archives de l’univers seraient cachées. Il aime tant l’océan qu’il vouerait un culte au dieu Poséidon. Lorsque le temps est calme, il va plonger du haut d’un rocher jusque vers le corail caché où s’allient depuis des millénaires le minéral, le végétal et l’animal. Il aime nager d’une branche à l’autre de cet arbre des eaux en de longues apnées, puis remonte à la surface et respire sous le soleil, en se laissant aller au creux de l’énergie d’une vague. Parfois, il imagine qu’une escorte de dauphins l’accompagnera au fond des mers, comme pour Thésée à la recherche de l’anneau de Minos qui tue dans le labyrinthe construit par Dédale le Minotaure qui y est enfermé. Un monstre à corps d’homme et à tête de taureau, né de l’union contre nature de Pasiphaé avec le taureau que Poséidon a fait sortir de la mer. Depuis longtemps une analogie s’est établie entre ces plongées sous- marines et ses rêveries clandestines, entre l’arbre de corail branchu et l’arbre des songes. Un jour, il lit dans la mythologie grecque la légende de Géryon, fils de Chrysaor, né du sang de la Gorgone et qui avait trois têtes et trois troncs.
  • 31. Le Mystère du Vivant 31 Alors il décide de prendre le taureau par les cornes. Dans sa traque de l’insolite, il lui vient l’idée d’utiliser les moyens modernes : décrypter la Forme au scanner et, à l’aide d’un logiciel observer l’image en trois dimensions. Sa curiosité est déçue, la machine lui dessine des figures qui suggèrent des méduses et des gorgones, évoquant un ego démesuré, une exaltation du désir, une déformation monstrueuse de la psyché. La nuit suivante, Jual fait un cauchemar où il se voit dans un corps flasque à tête de méduse. Brutalement réveillé, il croit avoir perdu l’esprit en voulant trop vite atteindre la sagesse et renonce à ces tentatives mal assurées, craignant de se laisser emporter par une inflation de son ego, plutôt que de méditer simplement sur la conjonction mystérieuse qui l’habite. Il préfère revenir à la Forme initiale, et pense avoir effectué un travail libérateur d’où a surgi cette manifestation du Principe de l’homme, qui n’était jusqu’alors en lui qu’en préexistence, une expression du possible jaillissant en réel éphémère, comme une géode d’une beauté mystérieuse qui serait en attente dans une strate géologique oubliée et qui, mise à jour, transformerait la vie du chercheur qui la découvre. Cette image mentale lui semble d’une pureté absolue, relique ou icône parfaite. Il ne l’idolâtre pas quoiqu’elle soit bienvenue, car la pureté est parfois le vitriol de l’âme. Simplement il aime ce qu’elle évoque et désire comprendre pourquoi l’Absolu se manifeste ainsi dans notre monde relatif. Le voilà qui se sonde sur les rapports entre l’Absolu inexprimable et la Forme où il s’atteste. Mais souvent la lassitude l’emporte lorsqu’il cherche à expliquer ce qui est arrivé, devinant que pour comprendre il faudrait concevoir des concepts inconcevables. Il n’a pas assez d’éléments pour interpréter, pour mieux relier le visible et le caché. Et faut-il toujours interpréter ? Il se convainc que la raison n’est pas toujours le meilleur instrument de compréhension, qu’il se pose des questions là où il a des réponses qu’il ne veut pas entendre, et se dit : « Pour cette fois j’en termine, plus rien je n’examine. » Une nuit, son sommeil est léger, il lui semble même ne pas avoir dormi. Pourtant il rêve qu’il rencontre en chemin une femme dans la forêt, au carrefour de l’ermitage. Elle paraît sans âge sous son teint de parchemin et lui tient un langage de sage, d’éternel féminin. Elle lui dit connaître sa douleur pour avoir vécu une extase similaire, qu’elle avait d’abord confondue à une frénésie de péché. Désirant le secourir alors qu’il cherche sa route, elle lui indique qu’il doit se dessaisir de toute pensée rationnelle en ce lieu écarté, et que c’est par l’expérience 9 d’un autre mode de pensée qu’il atteindra le savoir. ***
  • 32. Le Mystère du Vivant 32 Jual va consulter un devin nommé Dojo, qui fait de son mieux pour aider les gens avec les tarots. Il y a beaucoup de monde autour de lui pour assister à la séance. Voyant la Forme, Dojo lui dit : « C’est un message qui t’est donné par ton inconscient. L’inconscient est vivant, il n’est pas notre ennemi. Il t’a adressé ce message et la question est : pourquoi tu ne veux pas le voir ? À cette hauteur, tu devrais le savoir : c’est simple, tu t’approches de Dieu. Regarde cette forme, il y a un point et il y a un navire, un navire sous la lune. Le point, c’est le commandement de toute action, le point de l’Unité. Tu me dis que tu te tournes vers la Bible et vers l’Islam ? Mais dans le Coran, il est dit que tout le Coran rentre dans la première sourate, la première sourate dans la première phrase, la première phrase dans le premier mot, le premier mot dans la première lettre et la première lettre dans le point. Tu reçois l’énergie divine par ce point de toute action. Tu as un appel mystique en toi, ton inconscient t’a fait un cadeau. Accepte-toi comme un navire qui avance sous le regard divin, ne passe pas ta vie à tourner autour du point, ne va pas consulter les gourous, trouve-toi toi-même. Développe ton attention à te centrer, défais ta conscience des images inutiles, trouve le point impersonnel à l’intérieur de toi. Aime-toi, là est l’essentiel. Cette forme, c’est le navire pour arriver à l’impersonnel. C’est le message qui t’est donné, je te le dis avant de te lire les tarots ». Dojo demande alors à Jual de tirer trois cartes. La première carte tirée est le 8, la Justice, qui exprime l’équilibre de la justice divine donnant à chacun selon ses mérites et ses actes. Symbole de la collaboration avec l’œuvre créatrice éternelle. La Justice est la puissance exécutive de la loi créatrice, elle invite à l’équilibre en soi. La deuxième carte est le 20, le Jugement ou le Réveil des morts, qui illustre la mutation, le dégagement des liens corporels, l’accession à la vie spirituelle. La troisième carte tirée est le 7, le Chariot, qui invite à briser les obstacles sur la route, symbole du succès de l’initié, du double attelage, du Soi. Les trois cartes sont tirées à l’endroit et disposées ainsi : 8 20 7. « Un très beau tarot » commente le devin. « Un appel à sortir du tombeau 10 , une naissance où les deux puissants alliés figurés sur la carte centrale du Jugement, qui représentent les formes opposées de tes pensées, vont se multiplier et grandir, l’un jusqu'à la Femme représentée par la Justice et l’autre jusqu'à l’Homme représenté par le Chariot. Une assomption vers la lumière qui ne sera cependant rendue possible que par l’acceptation préalable de la tâche terrestre. C’est pleinement situé, mais pour que cela aboutisse il faut placer davantage tes efforts dans le réel. » « C’est un symbole qui t’est prodigué, une Révélation. L’inconscient a un langage toujours codé et il est le Tout. Pour ton initiation ce sera long, mais tu seras étonné lorsque tu seras âgé, de ce que tu pourras réaliser. Et souviens toi qu’il n’y a pas de mot à hauteur de ce symbole, il n’y a rien de plus direct et plus conforme à la contemplation. »
  • 33. Le Mystère du Vivant 33 « Maintenant, entre en méditation. Puisque tu as mémorisé complètement les traits de ce symbole, il faut devenir la forme, devenir le mouvement, arrêter les mots. Parcours le symbole avec ton esprit, réalise-le en toi. » Jual se demande si cette naissance dont Dojo lui fait part a un rapport avec ce que lui a dit la danseuse-médium du lagon et à quoi il n’a guère prêté attention, que la Forme est un secret qu’il a fallu tenir caché lorsque l’enfer a déferlé, et qu’on cherche pour le moment à le dissimuler. Maintenant il se souvient qu’elle lui a alors demandé de réveiller la recherche de cet objet, ajoutant que ce serait une entreprise périlleuse. Il se souvient de la Bible où il est dit que les hommes étaient des « pierres vivantes », unis par la conscience du Verbe 11 et la profondeur de leur être dans l’œuvre divine, avant de construire la tour de Babel, - de privilégier le prestige plutôt que la réalisation du Nom intérieur -. Déjà les anciennes légendes de Sumer contiennent des récits de cette avidité, qui a abouti à ce que la « langue Une » soit éclatée, chaque homme emportant une étincelle du Verbe déchiré. L’épopée de Gilgamesh rapporte pourtant qu’il y avait « Ceux-de-pierre », Ceux de l’union, accompagnant le batelier lors de la traversée des eaux de la mort ; l’expression est rendue dans une traduction hittite par « 2 Alam Na », c’est à dire « deux statues de pierre » -. Et le cycle de la déesse sumérienne Innana évoque une « créature qui n’est pas née dans une matrice ». Innana, déesse de l’amour et de la guerre, - comme plus tard seront Aphrodite et Vénus -, déesse de l’immortalité, des religieux et des guerriers. Il lui revient la parole biblique de Jean, 16, 12-15, qui rapporte les propos de Jésus à ses disciples sur le mystère trinitaire : « J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter. Quand il viendra, lui l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité toute entière ». Et Jean, 14, 15-21, à propos de l’Esprit de vérité : « Le monde est incapable de le recevoir, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas ; mais vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous, et qu’il est en vous ». Porter, c’est accueillir et transmettre. Jual se souvient d’un passage du Coran, s.LXVII, v.2, qui dit de Dieu : « Lui qui a crée la mort et la vie afin de vous mettre à l’épreuve ». Va-t-il poursuivre l’épreuve de vérité ? Il part sur l’océan : aller au large, c’est se libérer d’un rivage. La traversée n’est pas aisée sur sa pirogue à balancier et il croit que sa dernière heure est arrivée car cette nuit là, comme sur une mer des passions déchaînées, la tempête fait rage. L’ombre d’un doute le traverse : il croyait partir pour la plus belle des aventures et voilà qu’il fait la pire des expériences. Au moins cette errance n’est-elle pas décevante, elle est exaltante.
  • 34. Le Mystère du Vivant 34 L’embarcation accoste enfin sur une île nettement séparée en deux moitiés par une crête de montagne, où il construit une hutte pour entreprendre le déplacement immobile. D’un côté les pluies abondent, les cascades indomptées se répondent et la nature foisonne. En bord de mer, dans les bas-fonds et sur les premières pentes, se mêlent les gerbes des bananiers, les fuseaux des filaos et les éventails des arbres du voyageur. Plus haut, les teks et les kapokiers ponctuent la forêt dense étagée. Et là où l’air est frais dominent les résineux et les bouleaux, sur les créneaux près des cieux. De l’autre côté le paysage chavire. La terre est emportée par le vent et abandonnée de la pluie. Le sol est asséché, ridé, dévasté, laisse voir à perte de vue la roche blanche et immuable. Ces deux moitiés contrastées font comme réalité et virtualité. Lui pense que le monde n’est pas qu’apparences, qu’il y a dans le temps et l’espace un ordre primaire qui les contient et les dépasse. Un ordre impliqué intimement dans les choses, qui régit des champs de conscience en mouvance. Il se sent analyser, comparer, puis laisse ces pensées de côté. En ses faces de vie épanouie et de terre altérée, l’île est un joyau disposé sur l’immensité azur. Elle est à peine habitée. Du fond d’une vallée, le son d’une cloche emplit l’air et va s’éteignant pour se fondre dans l’espace. Jual s’exerce à ne plus avoir conscience du monde extérieur, à « être » le monde. En l’instant il est le son, et la lumière, il est l’île, et l’immensité, puis ne cherche plus à s’identifier : en état de conscience claire sans objet, à un soupçon de la Vérité absolue. Il aime ces moments privilégiés proches de la Vérité. Le sonneur de cloches du hameau lui indique une rivière, qui franchit en trois cascades une impressionnante façade. La première cascade précipite ses eaux dans un bruit de tonnerre vers un chaudron glacé, d’où s’échappent la brume et le vent. Elle est parfois visitée par les rares insulaires. Il trouve un sentier glissant sous la chute, couvert d’algues luisantes et de mousses frémissantes, qui le mène plus haut jusqu'à un petit balcon inondé de soleil et une vue qui s’étend sur la vallée. La seconde cascade est moins haute que celle d’en bas, on peut y parvenir en traversant des torrents tumultueux sur des passerelles de cordages et de bois frêle. Seuls quelques moines de l’île, en quête joyeuse d’eau célestielle, y font pèlerinage et s’y baignent les pieds, puis s’en retournent. Le sentier est périlleux et il s’y aventure, comme à la recherche d’une sonore écriture. Pour finir, c’est la cascade la plus élevée qu’il désire explorer. Le bruit court que c’est une chute exemplaire, cachée dans l’ombre froide des cimes pures et la lumière éblouissante du ciel. Une chute à couper le souffle tant elle est haute et majestueuse, d’une beauté insoupçonnée et inépuisable. Mais à dire vrai, personne ne sait tout à fait où elle est, ni ce qu’elle est.
  • 35. Le Mystère du Vivant 35 Pour lui, c’est maintenant un défi. Il est assis au bord de l’eau dans une prairie et observe l’à-pic redoutable qui se dresse en face. La pente raide semble impénétrable, couverte de forêts, mais à force d’attention il trace mentalement un itinéraire qui pourrait peut-être le conduire jusqu'à une brèche sous une arche où il trouvera, espère-t-il, un sentier dégagé vers la pure cascade convoitée. Il monte vers cette brisure en se frayant un passage sur un tapis de feuilles moisies, s’accrochant aux branches et aux tiges souvent pourries. La pente est si forte qu’il se demande pourquoi il est tant attiré par cette cible incertaine ou même inaccessible, et s’il parviendra à redescendre. Sa progression est lente. Il est saisi plusieurs fois de vertiges, craignant les venins des scolopendres et des arachnides, les plantes teigneuses, volubiles et épineuses qui vivent dans ce monde de vestiges. Il y a dans une trouée de lumière un oranger sauvage qui porte des fruits à la peau épaisse et au jus trop acide. Il marque le pas, se désaltère et s’aère, puis reprend son ascension en évitant les chevelures de lichens livides qui tombent des branches, et en frôlant les gouttelettes d’eau irisée qui perlent à la pointe des feuilles ensoleillées. Ce non-chemin semble ne pas avoir de fin, jusqu'à son arrivée à la brèche d’où il ne voit rien, entouré d’arbustes et de buissons, pas de cascade ni même d’horizon. D’un regret souriant, il renonce à la chute et au rocher d’où coulent les eaux vives espérées, et prend un peu de repos sur une herbette fleurie ombragée d’un feuillage léger. Là il médite, sa conscience hésite entre l'acceptation d'une mort promise et l'affirmation d’une immortalité par la présence en son centre de l'Éternel. En ce présent hésitant, ses pensées vagabondent d’un passé estompé à un futur obscur où sa recherche spirituelle ne serait pas achevée. Un moment envahi par cette bataille entre ce qui devient et ce qui fut, la crainte le saisit que dans les épreuves de ses voyages ne lui soit pas enseignée la Vérité cachée. Alors il retourne depuis la déchirure de l’arche et descend en glissant sur les feuilles qui cèdent en plaques. *** Des maisons que Jual préfère, il y a celles qui ont jardin sur la mer. Une insulaire de toujours l’invite là où elle habite, dans un site au sommet d’une tour. On y monte par un long escalier qui tourne autour du vide. L’accès est réservé. C’est par un tintement de clochettes qu’on signale son arrivée, déclenché par le franchissement d’un pinceau de lumière fluet. La femme souhaite la bienvenue et s’efface sur une belle étendue, une vaste terrasse où l’on se croirait dans un monastère de courants d’air, un couvent ouvert à tous les vents.
  • 36. Le Mystère du Vivant 36 La maison à colonnettes est située au bout d’un cordon, entre la lagune et la mer scintillante. La vue est presque effacée par de petits palmiers et des baobabs nains qui baignent dans la clarté du soleil, et forment ce jardin aérien. Des tourterelles au plumage isabelle roucoulent sous les tourelles. Échappés de leur chrysalide, des papillons aux ailes de flammes et de poussière s’en viennent et s’en vont, ou se piègent dans les rayons tissés par une araignée porte-croix dans l’espace d’une ogive de pierre. Dans cet espace de rêve il pétrit la terre, fait de la poterie, joue avec l’art et la matière, les réconcilie. Puisque son amie n’y a pas travaillé, il remet le jardin en harmonie, taillant et nettoyant comme aurait fait le vénérable jardinier Saturne persévérant. Et il songe en doutant au verset 32 de la sourate LXV du Coran : « peut-être Dieu nous échangera-t-il ce jardin contre un meilleur ». Il imagine des fenêtres à encorbellement, des sculptures délicates, des arcades de pierre travaillée jusqu’à la transparence. Le soir, chaque coin de jardin exhale des odeurs agréables et singulières. Il choisit un endroit où il se sent bien et se souvient de Victor Hugo : Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. L’ombre était nuptiale, auguste et solennelle. La nuit la maison paraît posée sur une surface blanc argenté au confluent de deux mers de mercure. Des lucioles essaiment des pointillés de lumière en un ballet céleste, orchestré par la lune et de longs nuages. Jual participe à la ronde du monde depuis la terre qui disperse dans le sombre univers une lumière cendrée. Il pense à Galilée qui découvrit la loi des oscillations d’un pendule ainsi que celles de la pesanteur, et affirma que le soleil et non la terre, est le centre du monde planétaire. Et au mouvement circulaire des derviches tourneurs, si rapide qu’il donne accès à l’immobilité. Il songe que son corps est fait d’atomes venus des étoiles qui donnent un caractère universel à sa personne. Poète de l’inconnu face à la vertigineuse proximité de l’univers, il devine de vastes portes entre les étoiles qui s’ouvrent sur une réalité mystérieuse de vide et de galaxies en spirales, vacuité qui est forme, forme qui est vacuité, espace vide et plein, temps qui s’écoule et qui se contient. Pour mieux effectuer la plongée vers l’intemporel, pénétrer son ombre mouvante, il se tourne vers les planètes et s’intéresse aux correspondances entre le ciel céleste et son ciel intérieur, se demandant s’il y a des relations significatives entre les positions des planètes et ses états d’âme aux moments cruciaux de son existence. Une belle collection de livres est à disposition en ce lieu près des cieux. Dans un livre sur l’ancienne Égypte, l’auteur affirme que les Pharaons recevaient leur nom à la pleine Lune. Il observe quelles étaient les positions et associations des planètes au moment où le nom Jual lui a été révélé. Ce
  • 37. Le Mystère du Vivant 37 n’était pas la pleine Lune, mais Saturne et Uranus étaient ce jour-là en conjonction dans le Sagittaire, et Jupiter était en transit sur Uranus natal. La femme qui l’héberge est astrologue et lui apprend que l’opposition de Saturne avec Jupiter représente symboliquement l’union d’extrêmes opposés. Elle indique aussi à Jual que la lointaine Pluton, planète de la transformation, est actuellement dans son Soleil natal ; ce moment est propice et unique en raison de la durée de révolution exceptionnelle de cette planète, - 248 ans et demi -, et par conséquent de la rareté de ses passages. Il envisage que Pluton soit influent dans sa motivation actuelle à entreprendre la descente dans les profondeurs de son inconscient et il est souhaitable de mettre à profit ce temps pour reconnaître ce qu’il ne voulait pas être, brûler les impuretés, tout ce qui n’est pas essentiel et se transformer. Dans la carte du ciel de sa naissance, Saturne et Uranus étaient aussi en conjonction, cette fois dans les Gémeaux, et en opposition avec le Soleil, tandis que Vénus et Mercure étaient en Sagittaire. Mars était sur son Ascendant en Scorpion. Jupiter, maître du nœud Nord, était conjoint à la Lune. Le Soleil, régent du nœud Nord, était opposé à Uranus, maître du nœud Sud. Il découvre qu’en astrologie le cycle du couple Saturne-Uranus est de 45 ans, ce nombre 45 qu’il retrouvera plus tard. Il y a aussi ce ciel particulier de la nuit où la Forme lui est apparue, avec la nouvelle Lune en Balance, Mars et Venus en conjonction en Vierge ; Uranus et Jupiter étaient en conjonction en Sagittaire sur le Soleil natal, régent du nœud Nord, et sur Vénus, qui préside à l’harmonie de la Forme ; Saturne était en conjonction avec Pluton. Et encore la position si particulière des astres au moment précis d’un songe visionnaire sur l’Unité et la dualité, une nuit de nouvelle Lune où le Soleil, la Lune, Saturne et Mercure étaient en conjonction dans le Verseau, en opposition avec le Milieu du Ciel. Mars, Vénus, Neptune et Uranus avec le Nœud Nord étaient en conjonction en Capricorne. Chiron était en transit sur Pluton, son deuxième maître d’ascendant. Et cette autre nuit, alors qu’il ne s’intéressait pas encore au soufisme, où il avait écrit en songe l’expression « monisme persan », ce qui l’avait étonné sur le moment car cela n’évoquait rien pour lui, mais lui avait fait connaître par la suite la doctrine ésotérique du théomonisme en Islam, et la transmission par l’Adam primordial du dépôt divin confié à l’héritier sous forme de l’illumination intérieure, c’est à dire de la « deuxième naissance », spirituelle, et qui engage l’héritier dans le pacte avec Adam. Le ciel présentait Vénus et Mercure en conjonction dans la Vierge, alors que Neptune, Saturne et Uranus étaient en conjonction en Capricorne. Jupiter était en transit sur Pluton, présidant à cette « deuxième naissance ». Plus tard, il établira un lien entre son nom Jual et la racine verbale sanscrite Jval et découvrira que ce jour-là Pluton était en Fond du Ciel en Sagittaire, et en opposition à la Lune ; le Soleil, Mercure et Jupiter étaient en conjonction en Bélier et Poissons ; Vénus et Saturne en Taureau, opposés à Mars.
  • 38. Le Mystère du Vivant 38 Et encore cette position de Mars en 17°12 en Scorpion dans son thème natal, selon laquelle son ange est Ariel, le 46 ème ange de la Kabbale, l’ange de lumière, « Dieu révélateur », porteur d’un message divin d’amour pour la Rédemption de la terre 12 . Il pense à Arielle, autre nom donné à Ariane, qui remet à Thésée le fil protecteur lui permettant de se libérer du labyrinthe. Jual fait le constat que les songes visionnaires apparaissent lorsque la carte du ciel présente une constellation favorable de conjonctions et oppositions de planètes. Son amie astrologue lui apporte d’autres informations sur son thème natal et les thèmes de transits, et Jual accepte l’idée d’un synchronisme entre le ciel planétaire et son monde intérieur. *** Trève de voyance et de tarots. Jual a mis à jour la Source vive, - dont on dit au Tibet qu'elle est aperçue par ceux dont l'esprit est pur -, et est devenu conscient que cette Révélation était possible. Si cela était arrivé à d’autres, il aurait cru à une extravagance baroque et il se dit que le champ d’expérience individuel est irremplaçable. Il cherche des métaphores correspondantes dans la mythologie de l’Antiquité et découvre la « Source qui sort de la Mémoire », des Mystères Orphiques ; le mythe du dieu persan Mithra taurobole « né dans la pierre » un 25 décembre et ressuscité comme Jésus, « surgi du roc », avec « les abeilles nées de son sang » qui font le miel. Mithra intermédiaire entre le monde lumineux d’en haut et l’enfer ténébreux d’en bas, comme le fut par la suite Mercure-Hermès dans la religion gréco- romaine, puis le Saturne des Romains : mellis et fructum repertor. Il découvre dans les Écritures le « peuple qui a soif », dont la « terre est un désert » et qui « devient conscient » ; la phrase de l’Exode où Dieu s’adresse à Moïse 13 : « Je me tiendrai devant toi sur le rocher d’Horeb, tu frapperas le rocher et il sortira de l’eau et le peuple boira » ; l’image de Jésus, « rocher spirituel » d’où jaillit « l’eau de la vie immortelle ». Et celle du « puits de la vertu », de la force opérante qui dégage la virtualité et « fait de deux un seul », l’homme unifié ; les symboles du « miel lumineux », de la « lumière d’or », de la « clarté blanche et dorée » de l’Église romaine ; l’image védique du « puits de miel sous le roc » exprimant la Joie éternelle 14 . Le souterrain qu’il explore dans son inconscient le conduit vers le lieu secret et sacré de son intimité, semblable au sanctuaire mithriaque ou chrétien, au puits sacré védique ou druidique, à la cache du temple juif où est gardée l’arche d’alliance. Au fond du boyau, il découvre que l’Éternel a donné matière à désirer à l’homme qui ne le savait pas. Et qu’il y a de la joie a donner naissance en compagnie de l’Éternel. Pour que la Forme s’exprime, il lui a fallu reconnaître ce qu’il ne voulait pas être, affronter la spirale de la peur, affirmer son humilité, analyser passions et conflits au cœur de la douleur, approfondir la percée par l’effort
  • 39. Le Mystère du Vivant 39 orienté. Une quête de chercheur de source ou d’explorateur de la Grande Ourse, une lutte pour la paix intérieure où le puits de ténèbres situé hors des lois de la gravité ne cède qu’au terme de l’ambiguïté. Dans cette progression vers le haut-bas immédiat, - plus il descendait dans les ténèbres de son inconscient, plus il s’élevait vers la lumière -, son anima discrète, la femme inconnue en lui, lui a montré la Voie. Il se souvient que dans le rêve du fétiche glissé sous la porte, ce sont des femmes voilées de noir, symbole de son anima dissociée mais libérée et créative, qui étaient venues frapper à l’huis de son fort intérieur avant de s’enfuir par l’escalier. En ce moment d’angoisse, elles lui avaient paru intrigantes, malicieuses, ensorcelantes. Il les aurait préférées primitives et gracieuses, ondines et soumises ; ou d’un esprit élevé, auréolées de lumière, porteuses d’une espérance de renouveau. Au lieu de cela, elles lui paraissaient tumultueuses et fuyantes en l’invitant à descendre dans les profondeurs mystérieuses de son être vers le soleil du gouffre, la lumière éclatante qui jaillit de la confrontation avec les ténèbres. Alors un souvenir lui revient en fragments de l’ashram du Matrimandir, à Pondichéry, le souvenir d’une femme seule : L’homme s'était assis à terre, Devant la sphère Installée au centre de la grande salle circulaire, Pour observer l'effet de la lumière Qui, du sommet de la coupôle austère Venait sur elle, en un faisceau solitaire. Une femme d’une beauté simple était entrée Dissimulée sous un voile léger. Elle s'était approchée les pieds nus, Avait pris place de l'autre côté De la boule éclairée, Hors de sa vue. Dans la lumière descendante, Il découvrit que la sphère filtrante Restituait sur son verre poli, Une image portée En tous points intervertis, De la femme aux nus pieds.
  • 40. Le Mystère du Vivant 40 Absorbé par ses réflexions scientifiques, Il examinait ce phénomène physique Dans un lieu pourtant consacré à la mystique, Et exerçait sa curiosité à se demander Pourquoi, sur l'image tête en bas, inversée, Le voile n'était pas tombé. La sphère les séparait, À l'opposé l'un de l'autre comme le plus et le moins. La femme cependant, désirait être son témoin. Assise en contemplation elle se liait, L'attendait, Par une vue de l'esprit, communiquait. Mais il n'avait pas saisi Qu'elle avait aussi À l'envers sur la boule de verre, De lui une image spéculaire. Et il n'eut pas la présence d'esprit Qu’elle attendait de son vis à vis. Alors la femme, simplement, est partie. Puis il rêve qu’une poupée noire vient tout contre son visage, par suite entre et vibre à l’intérieur de son corps, avant de s’évanouir en laissant une empreinte qui la rappelle à son bon souvenir. En fait, il a bien suivi le chemin de Méphisto, pour qui « il ne reste plus qu’à en passer par la sorcière ». Il a le sentiment d’être un pèlerin de l’Esprit que son anima apeurée conduit, un néophyte qui a pénétré dans sa propre obscurité sans savoir qu’il engageait la descente dans un but d’ascension. Avec la sorcière, il veut s’approcher de ce trésor jusqu’alors ignoré, lever le voile jusqu'à la mort de l’ego qui n’est là que pour la durée de la vie terrestre, pour un moment d’emprunt. Mais plus il en est proche, plus il s’aperçoit que la Révélation naît dans le secret qui se maintient, dans l’impénétrable jamais entièrement dévoilé. Et il commence à voir que la connaissance du sage est liée à l’hermétisme de la Forme.