5. « Tintin au Congo, ce fut, pour plusieurs générations d’enfants belges, le
premier contact avec ce fabuleux pays dont ils entendaient parler : le Congo.
Le Congo que découvre Tintin, c’est naturellement le Congo de Papa et
même, à y regarder de plus près, le Congo de Grand-Papa. C’est un pays
hostile où les chiens imprudents, comme Milou, s’ils ne regardent pas où ils
mettent leurs pattes, risquent de se retrouver dans le ventre d’un boa
constrictor au demeurant débonnaire. C’est un pays où les missionnaires à
longue barbe bravent les bêtes sauvages pour évangéliser des Congolais,
naïfs, crédules, à des milliers de kilomètres de chez eux. [...] Le Congo de
Tintin, c’est surtout une sorte de paradis terrestre retrouvé par l’homme blanc
qui, il y a trente ans comme aujourd’hui, est à la recherche de cet Eden où il
pourrait, enfin, goûter le bonheur d’une humanité fraternelle. Cette humanité
fraternelle pour Hergé (et pour les milliers de lecteurs dont il exprime le rêve),
c’est celle des Congolais. L’humanité fraternelle est évidement peuplée de
gens simples. Et ces gens simples, puisqu’ils sont noirs, ont naturellement des
visages épatés et s’ils parlent, ils parlent évidemment « petit nègre » : ce babil
que ceux qui n’ont jamais vu l’Afrique que dans leurs rêves et les peuples
descendant de l’Afrique que dans les clichés désuets de la Case de l’Oncle
Tom, ont prêté aux enfants des hommes à peau noire !
Il y a une chose que les blancs qui avaient arrêté la circulation de Tintin au
Congo n’ont pas comprise. Cette chose, la voici : si certaines images
caricaturales du peuple Congolais données par Tintin au Congo font sourire
les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais
y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc « qui les voyait comme cela
! »
Clément Vidibio, éditorialiste de la revue Zaïre, décembre 1969.