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de « toute une famille », faisant allusion aux grands-
parents paternels. Le sentiment d’injustice résonne
comme un leitmotiv. Ensuite, leurs revendications
ont vocation à interpeller la justice. Ils demandent
l’application systématique de la médiation familiale,
voire la déjudiciarisation du partage de la garde
des enfants. Comme Jean, aujourd'hui en haut de la
cathédrale de Quimper, qui réclame que les juges aux
affaires familiales fassent en sorte « que les droits
de visites soient respectés, et que les autres pères
ne vivent pas ce que j'ai vécu ». Jean raconte que
sa fille, aujourd'hui majeure, a décidé de « ne plus
avoir de papa ». Pour lui, la raison de cette rupture
familiale est due à l'État, qui ne fait pas respecter la
médiation familiale. À la mi-juillet, ce dernier était
présent à l'action avortée du Mont-Saint-Michel et
regrettait déjà que « la décision à défaut consiste
à fixer la résidence chez la mère ». Le collectif
La Grue jaune a rassemblé ses membres le 9 juin
dernier pour déposer « huit propositions pour l’égalité
parentale et la résidence alternée » au ministère de
la justice et de la famille, parmi lesquelles figurent,
outre « la déjudiciarisation des séparations », « la
création d’une autorité pour la reconnaissance et la
réhabilitation des parents évincés », et, « d’office, la
résidence alternée et l’autorité parentale conjointe ».
Des mères, comme Sophie qui a participé à la
tentative ratée du Mont-Saint-Michel, se sont jointes
au mouvement, insatisfaites « qu’aucune loi n’oblige
un père à prendre ses responsabilités », et ayant espoir
que la garde alternée soit imposée grâce à ces actions.
De même, participant à l'action de Quimper ce matin,
Sophie a déployé une banderole “résidence alternée =
femme libérée” sur la cathédrale de Quimper.
Sur mediapart.fr, une vidéo est disponible à cet endroit.
Dans cette vidéo réalisée afin de médiatiser la
mobilisation des pères à Saint-Brieuc, au milieu de la
galaxie, tel un clin d'œil au cinéaste de La Guerre des
étoiles George Lucas, la phrase suivante est déroulée :
« Il y a des forces sur terre trop cachées pour
être décelées, des complots trop vastes pour être
découverts. » Contactée par notre rédaction, l’auteur
de la vidéo s’explique : « Ce complot, c’est la volonté
délibérée de nuire au droit des pères. Il y a des
arrangements entre avocats avant les procédures car
les avocats des pères refusent de prouver qu’on a
raison. C’est tout un système : il y a une connivence
entre les avocats et les juges. » La théorie semble
diffuse parmi les pères, et la vidéo a été rapidement
relayée par un membre de La Grue jaune vers une
association européenne.
D’autres ardents protecteurs du droit des pères
enrichissent leur discours d'une tonalité anti-féministe.
Si les pères n’ont pas obtenu la garde de leurs
enfants, c’est en raison d’un complot « bien organisé »
internationalement. Nadine, de l’association Père
Enfant Mère et attachée à la communication de La
Grue jaune, amenait du ravitaillement au pied de
la cheminée occupée de Grenoble. « On s’est bien
relayés tout le week-end, ça leur fait du bien de voir
des gens en bas », explique cette maman divorcée
et engagée, avant de donner sa propre version des
faits : « Comme on octroie plus de droits aux mamans,
certaines se sentent toutes-puissantes et se servent des
enfants comme d’une arme de chantage. »
L’étiquette masculiniste
Philippe Veysset, de La Grue jaune, porte des
accusations plus précises : « On ne veut plus que les
conflits soient réglés par des magistrates. » Un usage
volontaire du genre féminin. Même schème de pensée
pour Éric, l’un des organisateurs du mouvement de
Saint-Brieuc : « Historiquement, quand on regarde la
magistrature, on est à plus de 60 % de femmes. Elles
viennent des ligues féministes radicales des années
1960, c’est pas un hasard si elles se sont retrouvées là,
c’est un endroit stratégique, et on ressent un sentiment
anti-masculin. La maman, elle, a le droit de tout dire,
tout demander, le papa doit tout justifier. »
Les propos d’Éric, Nadine, Philippe, et bien d’autres,
se ressemblent, et ils évoquent tous le principe
du SAP, le « syndrome aliénation parentale »,
inventé par l’Américain Richard Gardner en 1985.
Une des propositions déposées le 9 juin par La
Grue jaune l’évoque comme un « délit d’emprise
et/ou d'aliénation parentale déjà reconnu par la
jurisprudence ». Or les thèses de Gardner ne sont
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sur le blog de Patric Jean, et La Grue jaune y est
présente. On y retrouve aussi Éric (l’électron libre) et
quelques associations du collectif, ainsi que Nicolas
Moreno (monté avec Serge Charnay sur une grue) et
Philippe Louvet, les organisateurs du Printemps des
pères, que Philippe Veysset affirme pourtant ne pas
connaître.
La défense du droit des pères à l'étranger
La Grue jaune n’a que cinq mois d’existence, mais
d’autres formations de défense du droit des pères qui
n’ont pas la garde de leurs enfants se sont illustrées
bien avant à l’étranger. Premiers dans leur genre,
les Fathers for Justice Canada ont pour vocation,
depuis le début des années 2000, de « défendre et
promouvoir la famille traditionnelle » et « briser
l’omerta sur la situation d’injustice que vivent les
pères ». Officiellement, ils « militent contre les
politiques d’accès à l’égalité » et dénoncent également
un complot : « le plan orchestré de destruction
massive de la famille naturelle qui prévaut au
Québec ». Véhéments, ils militent « contre les
réformes sur le harcèlement sexuel » en dénonçant « la
politique d’intervention en matière de violence
conjugale, basée sur des mensonges et des statistiques
farfelues ». Eux sont largement établis comme des
masculinistes. Jean, de la section québécoise des
Fathers, se réjouit des actions françaises récentes : « Il
y a des choses qui bougent chez vous, on voit ça
d’un très bon œil. La seule façon de faire, c’est des
coups d’éclat. SOS Papa quand je les lis, sincèrement
on vit la même chose. » D’une question rhétorique,
il poursuit : « Y a-t-il un puissant lobbying qui
tente d’empêcher l’égalité père/mère ? C’est pas
l’égalité qu’elles veulent, les féministes cherchent la
suprématie depuis le début. »
Les techniques d’action des Fathers for Justice (F4J)
sont cependant plus originales. Durant leur « âge
d’or » (entre 2004 et 2005), un grand nombre de leurs
actions consistait à parader en tenue de père Noël,
comme à Ottawa en 2005, où cinquante membres des
Fathers se sont rendus au Parlement, déguisés en père
Noël. Aujourd’hui, Jean n’a plus vraiment de poste
au sein des Fathers for Justice Québec : « Moi ? Je
décroche le téléphone. » Leur hiérarchie vient d’être
démantelée afin de brouiller les pistes et « d'éviter
les enquêtes judiciaires », avoue Jean. Le mouvement
bat gravement de l’aile. En cause : le manque de
financements, de bénévoles et de notoriété. Le fait
d’avoir bloqué les populations en ayant investi la
structure d’un pont, en 2006, aura valu à l’association
un désamour presque mortel.
En Grande-Bretagne, les Fathers for Justice
britanniques (autrefois alliés à leurs homonymes
d’Amérique du Nord) sont, eux, en phase de réveil.
Très actifs au début des années 2000, ils enchaînaient
les actions coup de poing, se déguisant en père Noël,
Batman ou Spiderman, ou en grimpant sur des grues et
la grande roue de Londres. L’arrivée de Tony Blair et
ses incitations au dialogue les avaient calmés pendant
un temps… jusqu'en juin dernier. Déçu par cette
phase de concertation avec l’État, Matt O’Connor,
chef de file des F4J d’Angleterre, a accordé le 7 juillet
dernier une interview au journal The Independent,
qui n’est pas sans rappeler le ras-le-bol des pères
français. « Nos groupes seront plus extrêmes, et
certains d’entre nous iront en prison cette année,
nous sommes à bout », menaçait-il. Aujourd’hui, ils
délaissent leurs accoutrements héroïques pour s’en
prendre aux œuvres d’art. Au début du mois, l’un
d’entre eux collait une photo de son fils sur une célèbre
peinture de John Constable. Le mois précédent un
autre écrivait « Au secours » sur un portrait de la reine,
à l’abbaye de Westminster. « Le mois dernier (juin),
le groupe, qui fait campagne pour changer les lois
et pour que les pères aient un accès facilité à leurs
enfants, est revenu vers ses tactiques de guérilla qui
l’ont rendu célèbre à ses débuts », constatait The
Independent. En plus de réclamer un changement de
loi, la garde partagée et la fin de toute discrimination