« On entend beaucoup parler d’un monde ‘VUCA’ dans
lequel nous évoluerions. Comment adapter nos activités et processus RH à ce mode de fonctionnement pour en tirer le meilleur plutôt que d’en être ‘victime’ ? ».
Article avec interview de Philippe Vallat
3. 18 | N° 14 |
FORUM
les troupes autour d’une vision. Sur un chemin en
mouvementconstant,sionnesaitpasoùl’onveut
aller, on a plus de risques encore de se perdre.
Face à l’incertitude, les collaborateurs ont besoin
de sens, d’aspirations, de valeurs fortes, soit au-
tant de repères dans lesquels ancrer son action et
ses messages aussi souvent que possible. »
Mais les exigences pesant sur les leaders sont
plus larges encore. « Ils doivent se montrer ca-
pables d’ajuster leurs plans en temps réel, ce qui
nécessite d’être connectés à leur environnement
interne et externe. Il leur faut également être
porteurs des messages VUCA à l’égard des col-
laborateurs car beaucoup ont encore la convic-
tion d’évoluer dans des environnements stables.
Les leaders doivent passer d’un rôle d’auditeur/
contrôleur à celui de guide préparant à l’action.
Il s’agira pour eux moins de gérer leur temps que
leur énergie, afin de pouvoir garder le cap, vivre
les imprévus et encaisser les coups sans s’écra-
ser. Ce qui exige de mener une vie saine et de
porter une attention particulière aux risques de
dispersion. »
Fort bien, mais quand on est une entreprise
établie, par où commencer pour s’adapter aux
nouveaux enjeux du monde VUCA ? « Il est es-
sentiel de commencer par reconsidérer ses
propres représentations mentales de l’entre-
prise, juge Philippe Vallat. D’ailleurs, la question
telle qu’elle est formulée par votre lectrice est
posée en ‘mode compliqué’ alors qu’il convien-
drait de la poser davantage en ‘mode complexe’.
C’est-à-dire mettre momentanément de côté nos
représentations de l’entreprise et des métiers
RH drillées par la pensée rationnelle et l’exper-
tise que l’on a, afin de pouvoir explorer quelles
autres représentations on pourrait s’en faire. On
ne pourra pas trouver dans son savoir les clés de
compréhension utile au monde VUCA. »
Un exemple permet de l’illustrer. « Dans son
entreprise, on a probablement l’habitude d’éta-
blir des plans permettant d’aller de A à B. Mais,
dans le monde VUCA, on ne peut être certain
que la destination sera, ni doit forcément être, B.
Le contexte peut changer et faire émerger qu’il
sera nécessaire/préférable d’aller à C, à D ou à
E. Si la logique d’évaluation et de reconnais-
sance est fondée sur le fait d’arriver à B, et non
pas sur le fait de suivre l’opportunité intelligente
d’aller à C ou à E, elle risque de pénaliser, donc
d’entraver, l’adaptabilité, la créativité et la prise
d’initiatives. »
Nos représentations actuelles diront alors que
la subjectivité pointe son nez : comment évaluer
de façon objective des résultats s’ils ne sont pas
ceux qui avaient été fixés ? « D’où la nécessité
d’évoluer vers un management plus appréciatif,
où la discussion se mène entre adultes, souligne
le consultant suisse. Autrement dit : apprécier
un résultat en bonne intelligence, et pas via un
formulaire standard par des croix sur une check-
list préformatée. Interpellons les directions RH :
doit-on tout fixer dans des processus ? Plus lar-
gement, on a supprimé le département du per-
sonnel pour considérer que les hommes sont
des ressources. Le monde VUCA représente une
belle opportunité d’en revenir à une véritable
gestion des personnes. »
Se centrer sur l’individu
LaurentDeCockabondeencesens.« Lorsque
vous écoutez de la musique sur Spotify, faites des
achats sur Amazon ou regardez la télévision sur
Netflix, vous recevez des contenus personnalisés
qui vous correspondent. Or, avec les dispositifs
de gestion de la performance classiques, nous
comparons les individus les uns aux autres de
façon standardisée. Ce n’est plus adapté à notre
temps. Il nous faut nous centrer sur l’individu,
sur ses forces, sur les façons dont il souhaite
développer son potentiel, dont il progresse.
C’est la personne qui doit être au centre, pas le
processus. »
Les entreprises ont développé une hyper
connaissance des clients, des consomma-
teurs. « Il s’agit de l’appliquer également à leurs
propres collaborateurs qui, eux aussi, sont de
plus en plus habitués à recevoir des services hy-
per personnalisés, poursuit-il. Une nouvelle ap-
proche RH est nécessaire, non plus axée sur les
processus (que sont le recrutement, la paie, etc.),
mais sur les services à rendre aux collaborateurs,
articulés autour de leur cycle de vie et expé-
rience dans l’entreprise. Différents moments
clés peuvent être identifiés, comme démarrer
dans l’organisation, vivre une mobilité,… mais
c’est à chaque société de définir les ‘moments
qui comptent’ dans la vie d’un employé et de dé-
velopper les services visant à rendre l’expérience
employé la plus qualitative possible. Les techno-
logies digitales peuvent y contribuer. »
L’adaptation des approches RH aux enjeux du
monde VUCA sera différente d’entreprise à en-
treprise, voire de département à département,
conclut pour sa part Philippe Vallat. « Un éco-
nomat qui gère des stocks de fournitures dans
l’entreprise ne rencontre pas les mêmes enjeux
que son conseil d’administration ou le dépar-
tement R&D, illustre-t-il de façon caricaturale.
Le premier est confronté à des questions peut-
être compliquées, là où les autres font face à des
problématiques complexes. Il importe surtout
de ne plus avoir une approche standard dans
l’entreprise, de vouloir faire entrer tous les ser-
vices dans un même carcan. Au contraire, il
s’agit de permettre à chacun de développer sa
zone d’excellence, avec des règles du jeu qui lui
conviennent. Tout l’enjeu sera de faire cohabiter
ces approches différentes, en évitant l’inégalité
de traitement. » R
« Les
frontières de
l’entreprise
deviennent
de plus
en plus
perméables »