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guerre contre daech
Oùsontnosalliés?
cop21 Les 10 questiOns qui fâchent
le débat minc-polony nepas
rougirdelafrance
3 français sur 4 la plébiscitent,
les politiques la refusent
l’unionnationale
chiche!
•Notresondage:legouvernementidéal
•Pourquoilaconcordenedoitpasinterdireledébat
•Réponsesàcesélitesquin’enveulentpas
Lesanalyses
deGhalebBencheikh,
JacquesJulliard,
Jean-FrançoisKahn,
CatherineKintzler,
DominiqueSchnapper,
BenjaminStora,
HubertVédrine...
No
972 Du 27 novembre au 3 décembre 2015
4 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
notre opinion
Par Joseph Macé-Scaron
GUerre Contre DAeCH,
où Sont noS ALLiéS ?
L
eprivilègedesgrands,c’estdevoirlescatastrophes
d’une terrasse. » C’est ainsi qu’Ulysse s’adresse à
HectordansLaguerredeTroien’aurapaslieu, de
Giraudoux. Et la phrase résume parfaitement la
diplomatietellequ’onl’aconçue,notammenten
France,jusqu’àl’aubeduXXIe
 siècle :nonpasun
équilibreentrelesintérêtsdivergents,forcément
divergents,desnations,maisunerelationd’égalà
égalentrelesGrandsdecemondes’accordantau-dessus
de la tête de « leurs » peuples. Comme si on rejouait en
permanenceladiplomatieduXIXe
siècleetlecongrèsde
Vienne. Comme si la « grandecoalition » rêvéeparFran-
çois Hollande était la poursuite de la Sainte-Alliance. Il
n’yarienquegoûtaientplusFrançoisMitterrand,Jacques
Chirac ou même Nicolas Sarkozy que cette apparente
complicitéentresouverains,touss’accordantàaccréditer
la fable qu’au fond rien n’était plus fort qu’une relation
privilégiéeentremêmesmembresduclubdesdirigeants
planétaires.Lesmédiasontd’ailleursparfaitementmisen
musique ces ballets, en pesant au trébuchet les sourires,
les gestes afectueux ou les signes d’énervement. Le mot
« sommet »devenusynonymedecesrencontresbinatio-
nales ou internationales parlait, d’ailleurs, de lui-même.
Et puis le tragique s’est à nouveau installé à notre table.
Nous avons quitté leurs histoires pourrentrerànouveau
dans l’Histoire et, là, les choses se sont singulièrement
gâtées puisqu’il faut désormais parler de cette vieille
lune que l’on croyait remisée au magasin des curiosités
idéologiques : l’idée qu’une nation puisse défendre en
grandepartielesintérêtsdesagéographie.Unesituation
fort bien expliquée, au passage, par le géographe Robert
Kaplan dans son essai la Revanche de la géographie.
En diplomatie, il faut oublier le souhaitable et courtiser
le possible. Trouver un terrain d’entente entre Paris,
Washington, Moscou, Riyad, Ankara, Téhéran, Londres
est, reconnaissons-le, plus épineux que de faire une
motion de synthèse des différents courants du Parti
socialiste. Et c’est pourtant à cette tâche titanesque que
s’estatteléleprésidentFrançoisHollande.Reconnaissons
que gravir l’Himalaya en tongs est déjà sufsamment
difcile,maisceladevientfranchementdangereuxquand
voscompagnonsdecordéetirentdansladirectionoppo-
sée. Le premier exemple a été donné par la destruction
d’un chasseur russe par l’aviation turque. Il est vrai qu’il
n’y a pas une semaine où ce pays membre de l’Otan ne
fasse preuve d’une duplicité portée au rang d’orfèvrerie
politique par l’enturbanné président Erdogan, l’homme
qui bombarde les Kurdes, la seule force militaire qui
rencontre de véritables succès face aux fanatiques de
Daech. L’homme aussi qui laisse passer – et qui vrai-
semblablement achète – le pétrole produit par l’Etat
islamique. L’homme qui fait des 2 millions de réfugiés
présents sur son territoire une monnaie d’échange et un
moyendepressionsurl’Unioneuropéenne.L’hommequi
laisse les migrants envahir les côtes des îles grecques
pour pouvoir par la suite proposer que celles-ci soient
sous la tutelle de la marine turque…
Partir à la guerre avec l’Arabie saoudite ? S’appuyer
sur la matrice de l’islamisme qui a donné naissance à
Al-Qaida, qui a enfanté Daech et qui demain engendrera
unautremonstredopéauCaptagonidéologico-politique ?
Très peu pour nous. Une seule chose importe à Riyad et
sa famille royale prisonnière de son ordre de succession
absurdeetduwahhabismequiluicolleàlapeaucomme
une tunique de Nessus : sa lutte obsessionnelle contre
l’Iran, le rival chiite, et sa campagne sanglante au Yémen
menéesparsesséidessoudanaissansquecelan’émeuve
outre mesure la communauté internationale, qui ne
renoncerait pour rien au monde à ses contrats léonins
avecl’Arabiesaoudite.DernièrementdanslaPravda,des
experts russes, évoquant la guerre contre Daech mais
aussi l’attentat récent dans le Sinaï, n’ont pas craint de
souligner que, si l’on remontait la flière terroriste, on
parvenait aisément et rapidement à Riyad et au Qatar.
Ces remarques attestent de l’absence d’un diagnostic
partagé sur l’ennemi principal dans ce confit.
Et Obama ? Ce président qui devait réveiller l’esprit
américain et ressusciter sa ferveur démocratique semble
en être ces derniers temps le fossoyeur. Voilà une per-
sonne qu’à ses débuts nos chers éditorialistes nous
présentaient comme l’héritier de Roosevelt et qui fnit
comme l’enfant de Jimmy Carter. Inutile de sonder les
reins et les cœurs de l’hyperpuissance américaine pour
savoir ce qui a en défnitive le plus pesé de la lassitude
d’un pays fatigué, repu d’ingérence, de la certitude ras-
surante de l’indépendance énergétique (qui refait du
Moyen-Orient une scène accessoire pour Washington),
inutiledesonderaussilapartdedésinvoltured’undandy
présidentiel, trop plein de lui-même pour avoir le souci
dumonde.Restel’évidence :l’Amérique,aujourd’hui,est
autiste. Reste alors l’Europe qui, si elle a l’audace de se
ressaisir et d’arracher son destin aux nains de Bruxelles
et de ne pas limiter son projet aux vaticinations de
sa Banque centrale, pourrait enfin rejouer son rôle
historique. Le premier. Le seul. n
encouverture:christianbellavia/divergence-frédéricdugit/maxppp-patrickallard-lydielecarpentier/sipa
6 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
sommaire N0
972
Du 27 novembre au 3 décembre 2015
16 évéNemeNt
l’uNioNsacréedoit-elleNous
iNterdiredeposerlaquestioN:
lafauteàqui?lafauteàquoi?
Par Jean-François Kahn
Notre sondage exclusif le révèle : trois Français
sur quatre la plébiscitent, les politiques la
refusent. Avec les analyses de Ghaleb Bencheikh,
Jacques Julliard, Catherine Kintzler, Dominique
Schnapper, Benjamin Stora, Hubert Védrine…
4	 Notre	opiNioN		
	 Guerre contre Daech,
où sont nos alliés ? Par Joseph Macé-Scaron
8	 L’éditoriaL	de Jacques Julliard	
	 La parole libérée.
12	 L’aNaLyse	d’Eric Conan	
Mais où est passé
“Ça-n’a-rien-à-voir-avec-l’islam ?”
14	 le vif du sujet
	 les graNds requiNs
de l’évasioN fiscale	Par Hervé Nathan
32	 mieux vaut eN rire !
	 ça m’éNerve !	Par Jack Dion
36 fraNce
cop21, les 10 questioNs qui fâcheNt
Les	143	chefs	d’Etat	et	de		
	 gouvernement	invités	à	la	conférence		
	 sur	le	climat	devront	préparer		
	 le	monde	de	demain.	Ça	va	être		
	 compliqué.	Par Aline Richard Zivohlava
48 vie et mort d’uN petit voyou
deveNu tueur de masse
Abdelhamid	Abaaoud,	“superviseur”		
	 des	attentats	de	Paris,	avait	réussi		
	 à	échapper	à	toutes	les	polices.		
Par Frédéric Ploquin
52 moNde
sergueï lavrov,
le metterNich de poutiNe
Le	ministre	russe	des	Affaires		
	 étrangères	joue	un	rôle	de	premier		
	 plan	dans	une	géopolitique		
	 bouleversée	par	l’Etat	islamique.		
Par Anne Dastakian
58	 le jourNal des lecteurs
	 Vivre	ensemble	dans	l’espace	public.
62 magaziNe
du rififi chez lucy et cie
Après	la	découverte	d’Homo naledi,
la	communauté	des		
	 paléoanthropologues	s’écharpe…		
	 Cette	nouvelle	espèce		
	 du	genre	humain	ne	serait-elle		
	 qu’un	australopithèque	de	plus	?		
Par Perrine Cherchève
68 idées
À	dire	Vrai
	 Le	complexe	d’Archimède.	
Par Laurent Nunez
	 le débat alaiN miNc-Natacha poloNy
“Ne pas rougir de la fraNce”
	 Alain	Minc	et	Natacha	Polony		
	 ont	croisé	le	fer	pour	“Marianne”.
Propos recueillis par Alexis Lacroix
74 culture
	 	que serioNs-Nous saNs la culture ?	
	 	Le	dernier	rapport	de	la	Sacem	
révéle	que	l’activité	culturelle		
pèse	dans	notre	pays	plus	lourd		
que	la	production	automobile.		
Par Thomas Rabino
78 et fleur pelleriN,
peNdaNt ce temps ?
Le	projet	de	loi	de	la	ministre	de	la		
	 Culture	est	la	réponse	un	peu	tardive		
	 aux	assassinats	de	janvier	dernier.
Par Myriam Perfetti
84 quelle époque !
	 marketiNg de la particule
Le	signifant	aristo	continue		
de	faire	rêver,	et	surtout	vendre.			
Par Julie Rambal
90	 saveurs d’eN fraNce
	Le	beaujolais	nouveau	est	libéré.		
ParPéricoLégasse
94	 oN passe à table
Paris	la	vie,	Paris	la	France.	Douceurs		
	 de	la	vie	parisienne.	ParPéricoLégasse
96 oN joue
Par Benjamin Hannuna
98	 	Ça	Va	MieUX	eN	Le	disaNt		
L’élection	sacrifée.		
Par Guy Konopnicki
N0
972 - Du 27 novembre au 3 décembre 2015
Marianne. 28, rue Broca, 75005 Paris Tél.:0153722900 Fax:0153722972
direcTeur général eT direcTeur de la publicaTion : Frédérick Cassegrain.
iMpriMerie : Maury S.A. Malesherbes (45). ISSN : 2425-4088 / No
CPPAP 1017 C 89227 Printed in France / Imprimé en France.
publiciTé PM & Co Régie publicitaire – 6 ter, rue Rouget-de-Lisle, 92400 Courbevoie (01 49 97 07 06), fax : 01 49 97 05 90. direcTriceS aSSociéeS : Pascale
Bieder-Singer, Maud Cohen Solal. direcTrice régie pM&co : Pascale Bieder-Singer (29 81). direcTriceS de clienTèle : Aurélie Larvol (29 82). cheF de
publiciTé : Sarah Mettoudi (2982). aSSiSTanTe coMMerciale eT exécuTion: Aline Aoutcheme (29 80). a.aoutcheme@journal-marianne.com. fax : 01 53 72 29 88.
Ce numéro comporte un encart « abonnement » broché (ventes), ainsi qu’un encart promotionnel pour “Marianne” (sélection d’abonnés France métropolitaine).
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autres pays: nous consulter.
8 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
C
ommeletempsvavitedèsqu’ilsepassequelque
chose ! Rappelez-vous : il y a moins de trois
semaines,cen’estpaslesdjihadistesquel’on
traquaitàParis,maislesintellectuelsdéviants.
Houellebecq,Zemmour,Finkielkraut,Onfray–
avanteux,TaguiefetmêmeGauchet–étaient
accusésd’êtreréacs,islamophobes,et,bien
entendu,defairelelitduFrontnational.Dans
lapresse« bien-pensante »,leMonde,Libé,l’Obs,lachasse
à l’homme avait pris une telle ampleur que, lors d’un
meeting qui fit couler beaucoup d’encre, Marianne
avait posé la question : « Peut-on encore débattre en
France ? » Et, comme pour se rassurer, les mêmes
publiaient des listes, falotes et ridicules, de « vrais »
intellectuels de gauche.
Il y avait alors des mots interdits, comme « islamisme,
islamisation, identité, civilisation » ;d’autressuspects,
telsque« laïcité,peuple,France » ;desadjectifsincon-
tournables,telsque« nauséabond »pourdirefasciste ;
desslogansobligés,comme« Pasd’amalgame » !Tous
les jours, la gendarmerie de l’esprit étendait ses listes
de proscription, qui touchaient tant les écrivains que
leur vocabulaire. Où l’on vérifa que de petits esprits
pouvaientenuntournemaindevenirdegrandsinqui-
siteurs. Pour ma part, je ne conserverai pas de cette
période le souvenir d’un grand moment de la pensée
française.Leseulvraipouvoirdelabien-pensanceétait
un pouvoir d’inhibition : elle s’était acquis le droit de
dire le halal et le haram, c’est-à-dire le licite et l’illicite,
autrement dit le bien et le mal. Du coup, un couvercle
sacrépesaitsurtouteslesquestionslitigieuses,même
celle dont l’évidence s’imposait.
L’événementafaitexplosercetteorthodoxiedelapen-
sée et du langage, a libéré la parole et a posé au grand
jour des questions qu’il était déjà jugé « courageux »
de murmurer en douce.
1
La première question, la plus importante, concerne
les rapports de l’islam et de l’islamisme. Et même,
plusprécisément,desmusulmansaveclesislamistes.
Jusqu’ici,contretoutbonsens,lavulgateofciellepréten-
daitquelesdeuxchosesn’avaient« rienàvoir ».Qu’une
telle ineptie, sortie tout droit du ministère de la Vérité
dans un roman d’Orwell, ait pu régner tranquillement
dansunedémocratielibéraleenditlongsurlapuissance
delapersuasion,quispéculesurl’espècedepétrifcation
socialeprovoquéeparl’énormitédelapropositionpour
lafaireacceptersansmurmure.Ilcouledesourceenefet
que,sitouslesmusulmansnesontpasislamistes,tous
les islamistes sont bel et bien musulmans. Et encore,
que si tous les fondamentalistes musulmans ne sont
pas terroristes, tous les terroristes musulmans sont
LA PAROLE LIBÉRÉE
L’ÉdItORIAL dE jAcquEs juLLIARd
fondamentalistes. Qu’en conclure ? Non pas qu’il faille
jeterlasuspicionsurlegrandnombrequiestsain,sous
prétexte qu’il renferme en lui le petit nombre qui est
gangrené, mais, au contraire, tout faire pour dissocier
legrandnombredupetit.Laguerredanslaquellenous
entronsestàbiendeségards,commecefutlecaspour
leconfitalgérien,uneguerrecivile,avecpourenjeuune
populationaucontactdesdeuxbelligérants.Larègled’or
d’unetelleguerrepeuts’énoncerainsi :ilfautcombattre
leterrorismecommes’iln’yavaitpasdemusulmansen
France ; il faut vivre avec les musulmans comme s’il n’y
avaitpasdeterrorisme.
Cette réintroduction de la masse musulmane dans
l’ensemble national s’était révélée impossible, aussi
longtemps que le terrorisme islamiste, comme en
janvier, ciblait ses victimes : les juifs, les journalistes
critiques. Les tueries aveugles du 13 novembre ont
opéré cette mutation : les musulmans sont des cibles
commelesautres ;nouslesvoyonschaquejourentirer
les conséquences et proclamer leur horreur de ces
abominablescoreligionnaires.Il
y a bel et bien, comme en temps
de guerre, un impératif d’union
sacrée,quinedoitlaisserdecôté
aucunefractiondelapopulation.
2
Si cette lutte est bien une
guerre, comme le proclame
désormais à l’envi la quasi-
totalité de la classe politique
et de la classe médiatique, il
faut, pour la gagner, en tirer les
conséquences. Et d’abord em-
pêcher l’ennemi de développer
tranquillement sa propagande
sur le territoire national. Les
imams intégristes qui prêchent
la haine et en fligrane le djihad
doivent être empêchés de nuire
et, chaque fois que la chose est
possible, expulsés.
Sinoussommesbeletbienen
guerre,iln’estpaspossibledelaisserdesressortissants
français aller tranquillement s’entraîner au djihad en
Syrie et en Irak, et de les accueillir à leur retour pour
leurpermettred’appliquericiànotreencontrelesavoir
terroristequ’ilsontacquislà-bas.Entempsdeguerre,
cela s’appelle intelligence avec l’ennemi. Des traîtres
à la nation doivent être traités comme des traîtres et
noncommeunepoignéedeloupssolitaires,depaumés
et de désaxés relevant de la psychiatrie, ainsi qu’on a
essayé de nous le faire accroire après Charlie.
Combattons le
terrorisme Comme
s’il n’y avait pas
de musulmans
en FranCe et
vivons aveC les
musulmans Comme
s’il n’y avait pas
de terrorisme.
›
10 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
contre l’Etat islamique est bel et bien une lutte pour
la civilisation contre la barbarie.
4
Il n’y a donc plus de honte à être nous-mêmes, et à
nous défendre contre qui prétend nous imposer sa
loi.Cequiesttombé,avecles130 victimesdesidesde
novembre,c’estcetétrange« respecthumain »quinous
imposait une distance permanente à l’égard de nous-
mêmes,fondésurunobscursentimentdeculpabilité.On
negagnepasuncombatsil’onestpersuadéquec’estl’en-
nemiquiaraison.VoyezlesFrançaisdepuisdimanche,
toutesopinionsconfondues :s’ilsbrandissentànouveau
les symboles de leur être-ensemble, drapeau, hymne
national, c’est que la haine dont
ilssontl’objetetlesvictimesqu’ils
pleurentleurontredonnél’envie
d’êtreeux-mêmessansmauvaise
conscience.Ilnes’agitnullement,
commecommencentdéjààlesug-
gérerleséternelsbourreauxd’eux-
mêmes, les « malaisés » comme
on dit dans mon village, d’une
afrmationmorbideetagressive
de leur identité, mais tout sim-
plementd’unsentimentdeferté
retrouvée. Et puisque le monde
entier, à l’exception des Corses
de Bastia, chante aujourd’hui la
Marseillaise,ilspensentqu’ilsont
bien le droit de se défendre contre « ces féroces soldats,
quiviennentjusquedans[leurs]bras,égorger[leurs]fls,
[leurs]compagnes ».
C’est pourquoi, à Marianne, nous défendrons plus que
jamais ces deux piliers de l’identité nationale et de la
paix civique que sont la laïcité et l’école républicaine.
Comment, après ce qu’il vient de se passer, faire la
moindre concession au communautarisme, symbole
d’un « Pearl Harbor à la française » (Pascal Bruckner)
et d’un véritable Munich de l’esprit ? Peut-être com-
prend-onmieuxaujourd’huipourquoinousfaisonsde
l’école républicaine,celle que l’on aescamotéedepuis
un demi-siècle, le boulevard principal de la résistance
à la guerre civile qui nous guette.
Bienentendu,ladéfensedesvaleursdelaRépublique
doitsefairedanslerespectdecesvaleurs.Cen’estpas
parcequecertainss’apprêtentàfaired’unecrispation
pointilleusesurleslibertésindividuelleslalignederepli
de leur défaite intellectuelle qu’il en faudra démordre.
Nous défendons la liberté avec les armes de la liberté.
Certes,touteslesguerresrévolutionnairesounationales,
de 1792à 1914,sesontaccompagnéesd’unerestriction
provisoiredecellesdeslibertésquinuisaientàlasécu-
ritéetaucombat.Maisleslibertésfrançaisessontdans
de bonnes mains, celles d’un peuple dont on ne peut
aujourd’huiqu’admirerlesang-froid.Commevientde
lesoulignerRobertBadinter,nousvivonsdansunpays
libre et qui entend bien le rester. n
3
Laquestionquisurgitalorsestcelledelalégitimitéde
cetteguerre.Sielleaétémenéejusqu’iciavecautant
de maladresse et si peu d’énergie à l’échelle euro-
péenne,c’estquelesEuropéensetlesFrançaisdoutaient
deleurbondroit.Laculpabilisationenverssoi-mêmeet
la culture de l’excuse envers l’ennemi reposent sur une
séried’argumentsindéfnimentressassés.
• Si les terroristes étaient effectivement des paumés,
la responsabilité en incomberait alors au milieu qui n’a
pas su les accueillir et donner du sens à leur existence.
C’estensommel’argumentbanlieue,dontlaconclusion
estquel’exclusion,laghettoïsationetleracismesontla
causevéritableduphénomène,laradicalisationreligieuse
n’étantqu’unépiphénomène.Cetargumentaireécono-
miste, sous-produit appauvri du marxisme de jadis, ne
tientplusdèslorsquelesdjihadistesnesontpasdespau-
més,maislessoldatsvolontairesetconvaincusjusqu’au
sacrifce de leur vie d’une idéologie à base religieuse,
visantniplusnimoinsqu’àladominationdumonde.
• Le terrorisme en Europe ne serait que le contrecoup
différé du colonialisme de jadis. Cette culpabilisation
rétrocoloniale ignore gravement le discours de l’Etat
islamiquelui-même.Endehorsdelaréférencerituelle
aux « croisés » (les touristes russes de l’avion abattu
dans le Sinaï : des « croisés » !), l’essentiel de la haine
desfondamentalistesneportepassurlepassécolonial,
mais sur le présent hédoniste de l’Occident. Ce n’est
pasauxsymbolesdelacolonisation,maisàceuxdela
prétenduedépravationoccidentalequ’ons’attaque :le
sport,lamusique,l’alcool,leféminisme,lajoiedevivre.
Ce ne sont pas les mânes de Jules Ferry ou de Robert
Lacoste qui sont visés, c’est nous-mêmes, dans notre
façon de vivre et de penser.
• Le dernier argument est celui de l’égalité des civili-
sations. Dans un stupéfant entretien repris par l’Etat
islamique lui-même (le Point, du 19 novembre 2015),
Michel Onfray invoque contre l’Occident le « mode de
vie islamique » et le droit pour ces pays « à se détermi-
ner comme ils le souhaitent et selon leurs raisons ». Et
de proposer une « trêve […] entre l’Etat islamique et la
Francepourquesonarméedormantesurnotreterritoire
pose les armes ».
Ô Lévi-Strauss ! Que de sottises on a déjà débitées
entonnom !Poserousupposeruneégalitéaxiologique
entre l’Occident et le monde islamique explicitement
représentéparDaech,c’estjouerdelaconfusionentre
lescivilisationsaupluriel,dontaucunenesaurait,selon
le grand ethnologue, se prévaloir d’une supériorité
morale sur les autres, et la civilisation au singulier,
c’est-à-dire le mode de vie et de pensée qui s’opposent
à la barbarie. Pour le moment, je n’ai encore jamais
entendudirequelesAlliésauraienteutortdecombattre
Hitlersousprétextequ’ilauraitétélereprésentantd’une
hypothétique « civilisation hitlérienne » ! Non, l’Etat
islamiquen’estpasl’islam,ilnepeutêtretenucomme
représentatif de la civilisation musulmane.
Pour ma part, et quels que soient les fautes et les
crimes de l’Occident, d’hier à aujourd’hui, la lutte
NoN, l’état
islamique Ne peut
être teNu comme
représeNtatif
de la civilisatioN
musulmaNe.
L’éditoriaL de jacques juLLiard
Je fais un don de € au profit exclusif de “Marianne”
Et je libelle mon chèque à l’ordre de : Presse et pluralisme/opération “Marianne”
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écotaxe : aujourd’hui les camions, demain vos voitures !
• Pourquoi les politiques ont peur d’en parler
• serait-ce l’apocalypse économique ?
• la vie sans l’euro, mode d’emploi...
• “un veau d’or français” par Emmanuel Todd
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925 Du 9 au 15 janvier 2015
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12 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
I
ls ne savent plus très bien com-
ment en parler. Même si certains se
cachent encore derrière leurs épais
petits doigts en répétant « Daech ! »,
« Daech ! », « Daech ! ». Ce mot-
valisearabedanslequelestcamoufé
celuid’« Etatislamique ».Surtoutne
pas traduire. Ne pas entendre « isla-
mique ».Ilsl’onttellementrépété :« Çan’a
rienàvoiravecl’islam. »Celacréedeshabi-
tudes.Maisilsn’ycroientplus.Ilssemettent
àfairelachasseauximamssalafstes !Ces
représentantsd’unislamqualiféde« rigo-
riste » ou « traditionaliste », invités
encore hier dans leurs mairies ou
leursjournaux.Lesvoilàaujourd’hui
amalgamésaveclestueursdel’Etat
islamique. Et François Hollande
n’invoqueplustelleunecatastrophe
naturelle la « menace terroriste » :
même si « prononcer le mot islam
écorche la bouche du président »,
comme l’a dit Marcel Gauchet, il
a nommé pour la première fois le
« djihadisme ».Lequel« relèved’une
pathologiepropreàl’islam »,explique
de son côté le Monde qu’un « devoir
de vérité » a contraint à révéler à
ses lecteurs que la France est impliquée
dans « une guerre entre musulmans ».
Il aura donc fallu beaucoup de sang et de
larmes pour admettre ce que disaient les
bons connaisseurs. Il n’y a pas un islam. Il
y en a beaucoup. Ils se font depuis long-
tempslaguerre.Lanouveauté,c’estqu’elle
semondialise.Aprèsdeuxsièclesdedomi-
nationcoloniale,sansleadershipdepuisla
fn du califat en 1924, le monde islamique
se déchire à nouveau entre partisans de la
modernité(versionturqueoutunisienne),
d’unconservatismeavachi(Arabiesaoudite)
oud’unretourauxpremierssièclesdel’ex-
pansion fulgurante de l’islam par le glaive
etlesconversionsforcées.L’Etatislamique
appartient bien à cette branche réaction-
naire et l’Arabie saoudite ne doutait pas
que ses « combattants et martyrs » fussent
de bons musulmans quand elle soutenait
leurluttecontrel’hérésiechiite.
Pourtant, le vocabulaire était déjà
là. La police surveille « l’islam radical ».
L’islam des racines. Et tout le monde
préfère « l’islam modéré ». Il faut donc
le modérer ? Oui, le « moderniser », dit
Julien Dray, qui appelle aujourd’hui les
musulmansdeFranceàun« débatthéolo-
gique ». Cela fait longtemps que des voix
musulmanesleproposent.Danslesillage
du regretté Abdelwahab Meddeb - qui
expliquaitque« l’islamismeestlamaladie
de l’islam, mais les germes sont dans le
texte » –, Ghaleb Bencheikh, Abdennour
Bidar ou Kamel Daoud ont soulevé le
problème des contenus problématiques
du Coran servant de justifcations aux
djihadistes. Avant les attentats de jan-
vier dernier, Bidar écrivait dans sa Lettre
ouverte au peuple musulman, publiée
par Marianne, que l’Etat islamique était
un « monstre » né d’un islam « écartelé
entre passé et présent » qu’il suppliait de
se guérir par « l’autocritique ». Ces voix
courageusesidentifaientles« racinesdu
mal » : « le refus du droit à la liberté vis-
à-vis de la religion », « l’afrmation de la
supérioritédel’islam »,« l’antisémitisme ».
Et réclamaient l’abandon des versets du
Coran violemment hostiles aux gens du
Livre (juifs et chrétiens), « incompatibles
avec les droits de l’homme », pour créer
un « islam complètement refondé selon
les valeurs de notre terre d’Europe : la
liberté de conscience, l’égalité des sexes,
la tolérance ».
Ces appels à la réforme ont suscité plus de
gêne que d’encouragement. Tantchezles
représentantsdel’Etatquin’ontjamaisosé
imposerlalibertédeconscienceauConseil
français du culte musulman que chez les
imamslesplussympathiquesetlesmieux
intentionnés qui connaissent la difculté.
CommeceluideBordeaux,TareqOubrou,
qui, avec sa franchise, ne répond plus de
rien.Nidesinstitutionsmusulmanes :« Elle
sont dépassées, elles n’ont aucune infuence
sur les jeunes. » Ni du Coran : « C’est un
texte anarchique », « il a besoin d’une doc-
trine herméneutique a priori pour
être approché. Manipuler la religion,
c’est comme manipuler un explosif ».
Oubrou,quisaitqu’ilyenad’autres,
dit « représenter les musulmans qui
veulent vivre tranquillement ». Tous
ceux qui ont fait ce « travail en pro-
fondeur quant à leur théologie de
l’altérité » qu’il réclame et préfèrent
vivre en paix avec les autres. Tous
ceux qui veulent oublier les racines
guerrières. Qui sont fatigués de ce
complexe de supériorité désespéré.
Quisontplusintéressésquedégoûtés
par ce que leur ofre l’Europe. Mais
onnelesentendpas.Parcequ’euxaussiont
peur.Del’amalgameaveclesterroristesde
l’Etatislamiquequilesprennentenotage.
Maisaussidel’Etatislamiquequilesamal-
game avec les « mécréants ». Le contrôle
de l’islam européen menacé de réforme,
enparticulierdanslaFrancelaïque,estun
enjeu islamiste. Pour sortir de ce malheur
musulman, pour chasser les amalgames
mortifères,ilfautlesaideràdeveniracteurs
d’unamalgamepositifentrepartisansd’un
islam réformé et défenseurs des droits de
l’homme.Etd’abordenfniraveccettecage
néocoloniale appelée « la communauté
musulmane »enfavorisantladiscussionet
ladivisionentremusulmans.Ladémocratie
permetdes’opposersanssetuer.Quecha-
cunpuissechoisir,parfoisdansladouleur,
maislibrementetsansinquiétude.Lesaider,
celaveutdirecesserdefatteretdecourtiser
lesislamistesquilesintimidentetappliquer
fermementlesloisquilesenprotègent. n
l’analyse
d’Eric Conan
franckcrusiaux/réa
Mais où est passé “Ça-n’a-
rien-à-voir-avec-l’islam” ?
©Jean-MariePérier
Alain Souchon
nstalgie
j’ai
toujou s
io ans
DeBonneville-Orlandini
Les plus grandes chansons
U
n poète condamné à mort, c’est la
routine en Arabie saoudite. Le der-
nier s’appelle Ashraf Fayadh, 35 ans.
Palestinien,ilestnédansunefamille
exiléeenArabieilyaundemi-siècle.
Letribunalislamiquel’acondamnéàlapeine
capitale pour « insultes à l’islam et propa-
gationdel’athéisme ».Lapremièrecondam-
nation, en mai 2014, le vouait à 800 coups
de fouet et quatre ans de prison. Mais cela
ne suft pas dans cet aimable royaume, par
ailleurs notre allié et client éminent.
C’estunrecueildepoèmespubliéen2008
parAshrafquiconstitueofciellementledélit.
Il y a aussi un fatras de « fautes » dénoncées
par la sinistre milice de « propagation de la
vertuetdepréventionduvice ».Cessbiresse
vengent d’Ashraf, qui aurait posté une vidéo
montrantunefagellationenpublic.Lejeune
homme, détenu depuis deux ans à la prison
d’Abha, une ville du sud-ouest de l’Arabie où
vivent de nombreux artistes, écrit, peint. Il a
mêmeparticipéàlabiennaledeDjeddaavec
l’appuidecertainsofciels,commelerelèvele
quotidien britannique Te Guardian.
Une pétition pour que sa vie soit sauve
a été signée par une centaine d’écrivains et
de militants des droits civiques du monde
arabe. Parmi eux, la Koweïtienne Mona
Kareem, estime que c’est aussi son origine
palestinienne qui désigne comme cible le
jeunepoète.Onespèrequ’enFrancelesamis
de la Palestine se mobiliseront pour Ashraf
Fayadh, menacé de décapitation par le pou-
voir wahhabite, avec autant d’énergie qu’en
d’autres circonstances. n MARTINE GOZLAN
ArAbie sAoUdite : lA mort
poUr Un poète Athée
l
a SNCF a osé. Elle a osé
faire appel de sa condam-
nationpourdiscrimination
aux prud’hommes envers les
chibanis (« cheveux blancs »
en arabe), ces centaines de
Marocainsembauchéscomme
salariés au rabais dans les
années 70. Après des années
de procédure, ces derniers
avaientétéreconnusvictimes
d’untraitementspécialquiles
avait lésés dans leur carrière,
leursdroitsetleurretraite.En
efet, au nom d’une loi inter-
disant d’accorder le statut
de cheminot à des ressortis-
santsdepaysnon-membresde
l’Unioneuropéenne,leschiba-
nis avaient été engagés avec
un CDI de droit privé, moins
avantageux. Ils avaient perdu
sur tous les plans, y compris
celui de la dignité, recouvrée
grâce aux prud’hommes, qui
ont condamné la SNCF à leur
verser 170 millions d’euros.
Par sa décision, le service
public rajoute le déshonneur
àl’injustice.n JACK DION
14 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
le vif dU sUjet
ÜCrime suprême
elle a osé le faire
L’encombrant
oligarque
duprince
deMonaco
L
e prince Albert II de Monaco
est un fervent défenseur
de l’environnement. Pour
preuve : l’amateur de bobsleigh
et de sports en tout genre en a
fait la mission principale de la
fondation qui porte son nom. Son
Altesse sera donc présente à Paris
pour la COP21, le sommet mondial
sur le climat. Mais là où le bât
blesse, c’est que sa principauté
accueille depuis 2011 l’oligarque
russe Dmitri Rybolovlev, dont la
fortune est estimée à 8,5 milliards
de dollars, et qui fut l’un des plus
gros pollueurs de Russie, quand
il était propriétaire d’Uralkali,
groupe géant spécialisé dans
l’extraction de potassium, un
ingrédient clé pour les engrais
chimiques. Une des catastrophes
environnementales les plus graves
de l’histoire russe a eu lieu en
2006 dans les mines de Berezniki,
siège d’Uralkali, ville située dans
l’Oural. Une inondation a provoqué
des émanations toxiques, et la
formation d’un immense trou
dans le sol. L’histoire ne dit pas
si le prince Albert a évoqué le
sujet dans les tribunes du stade
de football de l’AS Monaco, dont
le propriétaire n’est autre que…
Rybolovlev. n MARC ENDEWELD
éCologiquement
vôtre
La SNCF s’acharne sur les chibanis
brunobébert
instagram
dmitri rybolovlev,
président
de l’AS Monaco.
AshrAf fAyAdh, 35 ans, détenu depuis deux ans, est menacé
de décapitation pour un recueil de poèmes publié en 2008.
Inégalités
à tous
les étages
L
e Conseil
constitutionnel a
censuré la hausse des
prélèvements sociaux sur les
retraites chapeau, invoquant
les effets de seuil. Les sages
font un pas de plus dans un
domaine qui relève du choix
politique, et toujours dans
le sens de la préservation
des hauts revenus. De leur
côté, les sénateurs tentent
de sauver le parachute doré.
Le scandale du pactole
(14 millions d’euros) encaissé
par Michel Combes, ex-PDG
d’Alcatel Lucent, avait
conduit le gouvernement à
renforcer la fscalité pesant
sur ces aimables gâteries.
Le projet abaissait le seuil
d’assujettissement aux
cotisations sociales à
193 000 €, contre 380 000 €
actuellement pour les
indemnités de rupture. La
majorité de droite au Palais
du Luxembourg a fait sauter
cette avancée, qui visait
surtout les cadres moyens.
La loi Macron, elle, l’a choyée
question actions gratuites :
elle a tout divisé par deux
les prélèvements. Parachutes
dorés sur tranche, golden
hello, actions gratuites, sans
compter les frais de bouche,
le conseiller fscaliste et le
logement : autant d’éléments
de rémunération dont le
développement a contribué
à l’incroyable montée
des inégalités salariales. Les
0,01 % les mieux payés ont
multiplié par trois leur part
du gâteau des revenus,
tandis que les classes
moyennes sombraient dans
la stagnation. Dommage que
le Conseil constitutionnel
dédaigne ces effets de seuil,
et qu’il aille jusqu’à censurer
la fscalité quand elle fait
mine de les compenser. n
EMMANUEL LÉVY
Ü Eurêka !
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le
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la
m
EM
I
l y a les petits délinquants fscaux, qui
ontdroit aux foudres de leur inspecteur
des impôts. Et il y a les grands requins
de l’évasion fiscale (notez la nuance,
elle est importante !), qui reçoivent les
félicitations des marchés boursiers. Dans la
seconde catégorie se trouve assurément Ian
Read, PDG de Pfzer, un groupe américain
géantdelapharmacie.Cehéros
de la « création de valeur pour
l’actionnaire » va fusionner sa
frme avec l’irlandais Allergan,
formant un mastodonte de
150 milliards d’euros.
Pour quoi faire ? Pas pour
davantage derecherche,davan-
tage d’emplois, davantage de gains pour la
société. Non : pour payer moins d’impôts !
Car Pfizer, en épousant Allergan, va lui
emprunter sa nationalité et déménager son
siège du côté de Dublin. Grâce à ce strata-
gème, Pfzer-Allergan ne sera plus imposé
au taux efectif de 28 %, mais à 18 %, au titre
de l’impôt sur les sociétés… Soit une écono-
mie d’impôt de près de 1 milliard, qui fera le
bonheur des dirigeants et des actionnaires.
On comprend la fureur des responsables
américains,BarackObamaetHillaryClinton
en tête, à l’idée de voir s’évaporer des béné-
fces qui doivent beaucoup aux systèmes de
protection sociale des Américains.
Mais on s’étonne aussi du silence des
autorités européennes. On croyait pourtant
la Commission européenne, présidée par
Jean-Claude Juncker, ancien fraudeur en
chef du Luxembourg aujourd’hui converti
à la vertu fiscale, en plein bataille contre
« l’optimisation », qui permet aux firmes
multinationales de jouer au Monopoly
entre les diférentes législations des Etats
de l’UE. Plutôt que de demeurer specta-
trice, la Commission devrait
s’opposer au « deal du siècle »,
ne serait-ce que pour des rai-
sons de concurrence, sinon il
n’y aura ensuite aucune raison
d’empêcher la réalisation d’un
scénario similaire de ce côté de
l’Atlantique. Imaginons que le
français Sanof lance une opération sur un
concurrent irlandais… Ou, mais cela est
déjà évoqué sérieusement, qu’une fusion
Renault-Nissan aboutisse à créer un groupe
mondial… néerlandais !
Enfn, la Commission européenne négo-
cie en ce moment même un nouveau traité
de libre-échange transatlantique (Tafta),
avec l’ambition de boucler le dossier d’ici
à la fn de l’année prochaine. Il est plus que
temps d’inscrire à l’agenda des pourparlers
l’insertion dans ce texte déjà contesté, pour
demultiplesraisons,d’unarticleantidumping
fscal et social. Sauf à faire la démonstration
que le Tafta n’a comme unique but que de
« créer de la valeur pour les actionnaires »,
des deux côtés de l’Océan. n
legéant
pfizer-allergan
neseraplus
imposéqu’à18%.
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 15
marklennihan/apphoto
Les grands requIns
de L’évasIon fIscaLe
Par Hervé NatHaN
cE quE
“MariannE”
En pEnsE
l’amérIcaIn PfIzer
en fusionnant avec
l’irlandais allergan
va donner naissance
à un mastodonte de
150 milliards d’euros.
et déménager à
Dublin. pour payer
moins d’impôts.
événementpolitique
Oui, elle est nécessaire.
Mais elle ne doit pas
interdire le débat.
Réponse à ces élites
qui n’en veulent pas.
Il faut réformer,
régénérer, libérer
le pays au-delà des
vieux clivages.
pol
l’union
nationale,
chiche!
F
airebloc.Serrerlesrangs.
L’auteur de ces lignes
se souvient trop de l’iro-
nie que suscitèrent, en
d’autres temps, ses invi-
tations à s’émanciper
d’unebipolaritédeplomb,
à subvertir ces clivages
incontournablesquoiqueobsolètes
qui nous conduisent à concevoir le
débat démocratique comme une
formedeguerrecivilefroide,pourne
pas se réjouir, aujourd’hui, de cette
aspiration à une manière d’« union
nationale » face à la terreur (lire le
sondage de Marianne, p. 20).
Acetteinterrogationprès,cepen-
dant : est-ce à dire qu’il convient de
renoncer à tout droit d’inventaire ?
Jusqu’à s’interdire de poser cette
questionàceuxquinousgouvernent,
qui nous ont gouvernés, aux déci-
deurs, aux politiques, aux intellec-
tuels,ànous-mêmes ?Lafauteàqui ?
La faute à quoi ?
Est-ce à dire qu’il faut faire,
puisqu’onnousyencourageenhaut
lieu, comme si le mal nous tombait
duciel,réalisationd’unecruellepré-
destination,conséquencedupéché
originel ?
Est-ceàdirequ’ilseraitindécent,
incorrect,deseremettreenmémoire
leserreursmonumentalesquecom-
mirent, ou laissèrent commettre,
précisément ceux qui voudraient,
aujourd’hui, faire de l’union sacrée
l’éteignoir de toutes les interpella-
tions ?Etdontl’islamismeetlelepé-
nisme sont le produit ?
Est-ce à dire qu’il faille étoufer
toute évocation des retombées
désastreuses de la politique étran-
gère la plus néfaste, la plus calami-
teuse,laplusmoralementdétestable,
quelaFranceaitconduitedepuisle
début de la Ve
 République : aligne-
mentsurl’Arabiesaoudite,leQatar,
la Turquie (jusqu’à cautionner son
ofensive antikurde), le sacrifce de
touslesprincipesàlaventedeRafale,
cesarmeslivréesquiseretrouvèrent
régulièrement dans le camp djiha-
diste,l’ostracisationdetousceuxqui
avaient vocation à nous seconder
dans la lutte contre la terreur, une
intervention militaire prévue non
pour stopper la menace terroriste,
maispourcasserlesinfrastructures
del’Etatsyrien,lalâcheacceptation
d’un mortifère statu quo dans le
confit israélo-palestinien ?
Est-ce à dire, au nom de cette
union nationale, qu’il ne nous reste
plus qu’à accepter que l’angélisme
irresponsablequenousrejetionshier
se transforme – qui sait ? – en un
ordre policier qu’il serait condam-
nablederejeterdemain ?Quenous
est-ce à dire qu’il Faut Faire
comme si le mal nous tombait
du ciel, réalisation d’une cruelle
prédestination ?
devrons nous taire si on en arrive,
souslespressionsquel’onsait,àfaire
à l’islamo-totalitarisme le cadeau
formidabledusacrifcedenotreEtat
de droit ?
Va-t-on s’autobâillonner quand
ceàquoinousassistons,au-delàdu
drame,estproprementhallucinant ?
Depuis trois ans, rectification
aprèsrectifcation,nousallionsdans
une direction : en trois jours nous
avonsdécidédeprendreladirection
inverse.
Ahurissant cul-par-dessus-tête,
dont il faut craindre, hélas, que le
Front national ne fasse ses choux
gras puisque, par aveuglement ou
paridiotiecrasse–c’estselon– ,on
l’alaissépréemptertoutcedontles
démocrates républicains auraient
dû s’emparer. En trois jours, donc,
en matière de politique étrangère,
budgétaire,sécuritaire,notregouver-
nement vient d’efectuer un virage
à 180° : Poutine était l’ennemi, il
est devenu l’allié. Bachar al-Assad
fguraitlediableabsolu,iln’estplus
qu’un partenaire possible, fût-ce
encore peu présentable. On ostra-
cisait l’Iran, on lui fait la cour. On
ne jurait que par l’Arabie saoudite,
le foyer originel de tout ce qui nous
embrase, on n’ose plus s’en vanter.
On collait à Angela Merkel, on lui
batfroid.L’objectifderéductiondes
déficits publics résumait le credo
de notre politique économique,
on les laissera fler en arguant que
le pacte de sécurité passe avant le
pactedestabilité :cequ’àleurfaçon
afrmaient les « frondeurs » du PS.
On se démarquait vertueusement
des surenchères répressives préco-
nisées par la droite, on stigmatisait
avec horreur la « démagogie ultra-
sécuritaire » portée par le Front
national : or, la plupart des exi- ›
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 17
l’unionsacréedoit-ellenous
interdiredeposerlaquestion:
laFauteàqui?
laFauteàquoi?PAR JEAN-FRANÇOIS KAHN
“jamais drapeau tricolore brandi n’a été moins chauvin,
plus universaliste.” Ici, sur la place du Capitole, à Toulouse.
christianbellavia/divergence
événement
politique
18 / Marianne / 27 décembre au 3 décembre 2015
par grappes ininterrompues, longs
cortègesdesoufrancesintériorisées,
venaientfaireexploserleurdouleur
en même temps que leur amour.
Pas leur rage, non ! Leur amour.
Car voilà bien ce qui stupéfe et
émerveille : parmi ces milliers de
messages déchirés et, en consé-
quence, déchirants, poignants à
en pleurer, dialogues posthumes
d’entrailles à entrailles, aucune
expression de rage vengeresse.
Aucune. Aucun déferlement de
fureur dévastatrice. Mais, simple-
ment, cette profession de foi, oui,
de foi, déclinée sur tous les modes :
notre rejet, à la fois raisonné et vis-
céral,decequevousincarnez,vous
lesterroristes,nenousconduirapas
à infuser en nous fût-ce une once
decequevousêtes.Parcequevous
difusezlamortquiestenvous,enra-
cinée,ancréeenvous,nousvoulons,
nous, en réponse, envers et contre
tout, comme une forme de résis-
tance,irradierlaviequiestennous.
Quitteàétoufervotreférocitésous
nosrires.Etnoschants.Aensevelir
l’horreurdansleseulcercueilquilui
fait honte : celui de notre humour.
En le tuant, vous avez cru arracher
l’autredevous.Pournous,l’autreest
toujoursunepartiedenous.Nonpas
un anti-nous, mais un autre nous.
Aucune pudeur ne doit nous
interdiredeleconstater :laréaction
du Paris populaire, de ce Paris qui
se voulut longtemps le lieu géomé-
trique de toutes les révoltes libéra-
trices, a été admirable. Jamais dra-
peau tricolore brandi n’a été moins
chauvin, plus universaliste. Jamais
la Marseillaise reprise en cœur n’a
étémoinsbelliciste,moinsclivante,
plus identitaire, mais au meilleur
sens du terme. Moins ringarde sur-
tout. « Contre nous de la tyrannie/
L’étendard sanglant est levé… » Et
c’est bien le cas.
« Cesférocessoldats/Quiviennent
jusquedansvosbras/Egorgervosfls,
vos compagnes… » Et ce fut le cas,
en efet.
Il arrive qu’à travers sa capitale
qui se prend pour le nombril du
monde la France exaspère. Cette
fois,nonplusdispensatricemaisvic-
timed’uneterreur,elles’estmontrée
exemplaire.Elleafaitdechaqueter-
rassedecafédevéritablesfortAlamo
intérieursdelafraternitéetdel’intel-
ligence. Le rouge que l’on s’envoie
contre le rouge que l’on verse. Le
café-crème contre le passé crime.
On ne s’est jamais tant embrassés.
Autantlestribunesphilosophico-
narcissiques qui proliférèrent dans
certains journaux furent souvent
consternantes, autant les simples
gestes que les Parisiens anonymes,
sansapprêt,sansconsigne,nouèrent
entreeux,surgirentdudrameabsolu
comme l’esquisse d’une lumineuse
espérance.
Or,l’exempleainsidonné,cen’est
pasenétoufanttoutescontestations
sincères et raisonnées que l’on en
prendradelagraine(nevient-ilpas
d’êtretragiquementprouvéqu’elles
avaientsouventviséjuste ?),maisen
s’ouvrant enfn à leur écoute, à leur
prise en compte.
L’autre mardi, chauffés à blanc
la veille par Nicolas Sarkozy, les
députésdedroiteéructèrentcontre
l’ennemiquin’étaitplusDaechmais
ChristianeTaubira.Lelendemain,ils
furentsubmergésderappelsàl’ordre
par leurs propres électeurs.
Aspiration à l’union nationale ?
Non, mais à la décence. Renvoi
des parlementaires à leurs respon-
sabilités croisées, à leurs cécités
complémentaires.
gences de la droite et même de
l’extrêmedroiteenmatièredesécu-
ritéviennentd’êtresatisfaites.Pour
faireoublierqu’onn’enavaitpasfait
assez, on prend le risque d’en faire
trop. Le « fascisme » commençait
avec le droit d’ouvrir les cofres des
voitures suspectes ; désormais, on
pourraperquisitionnerquionveut,
quand on veut.
Pour l’heure, cette conversion
pragmatique de la gauche gouver-
nementale à tout ce que, hier, elle
répudiait, et même feignait d’exé-
crer, joue en sa faveur. Le rejet d’un
Nicolas Sarkozy lamentable, sans
cesse pris à contre-pied, aidant, on
saitgréàFrançoisHollanded’avoir
oséefectuersirapidementceradical
changement de cap.
Jusqu’au jour où l’on pourrait
bien s’aviser que, si le « vrai »
d’hier est devenu faux, c’est peut-
être parce que hier, déjà, il était en
grande partie faux.
****
Quand Paris admirable
se draPe de tricolore
Union sacrée ? On l’a vécue !
Ce qui s’est manifesté, après la
tragédie du 13 novembre, c’est une
communion nationale spontanée,
non pas téléphonée mais surgie du
plusprofonddesoi,presquesacrée,
proprement admirable.
Scèneinoubliable :desmilliersde
bougies qui clignotent et pleurent
dans la nuit. Et, comme les enla-
çant, des guirlandes de fleurs, de
bouquets, d’offrandes, de larmes,
de cris, de mots blessés, de phrases
écorchées,depenséesàvifprojetées
sur les murs tels des sanglots, des
prières, des suppliques. Comme si
la déchirure des corps, abattus là,
aux terrasses du Petit Cambodge
et du Carillon qui se font face, rue
Alibert, dans le Xe
 arrondissement
de Paris (lieu de l’un des carnages
du vendredi 13), avait provoqué
une autre déchirure, aussi intime
que profonde, celle des cœurs et
des âmes. Comme si, en réplique
à ceux qui s’étaient explosés avec
la dynamite de leur haine, ceux-là,
spontanément, silencieusement,
l’union nationale autour de valeurs
Partagées ou sans PrinciPes ? Pour
fuir ses resPonsabilités ou Pour
les Prendre ? cela change tout.
›
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 19
George Bush à Bernard Guetta, de
FranceInter,s’enthousiasmantpour
l’intervention en Libye, en passant
par la façon dont le Monde rendit
compte du sanglant maelström
syrien ou Libération, du terrifant
galopd’essaialgérien,etj’enpasse –,
pourquoicespublicistesquifurent
capables d’être lucides en d’autres
occasions ne donneraient-ils pas
l’exemple aux politiques de leur
capacité à regarder de façon auto-
critique dans le rétroviseur ?
Un front de résistance républi-
caine :oui,s’ilpasseparl’admission
des fautes et non par l’amnésie et
le déni qui valent potentialité de
réitération.
Union nationale autour de
valeurs partagées ou sans prin-
cipes ?Pourfuirsesresponsabilités
oupourlesprendre ?Pourtransfor-
mer ou pour conserver ?
Cela change tout.
****
Union nationale oU
stratégie sUicidaire ?
Ces questions deviendront encore
plus prégnantes demain, lorsqu’on
découvrira que le Front national
arrive en tête, et parfois largement,
dans au moins quatre régions de
France.
Alors, avec Manuel Valls, beau-
coup,auPSetdanslapresse,appel-
leront,audeuxièmetour,soitàune
fusion de la gauche hollandaise et
de la droite sarkoziste, soit à une
autodissolution de la gauche.
Fin des oppositions binaires et
desconfrontationshémiplégiques ?
L’auteurdeceslignesn’acesséde
militerenfaveurd’undépassement
–nonpasd’unrejetmaisd’undépas-
sement – des oppositions politico-
idéologiquesrigidesetstructurantes.
Ce furent toujours ces grands
momentsdeconvergencequi,dans
notrepays,provoquèrentuneaccélé-
rationdel’Histoire :quand,auxétats
générauxde1789,lesélémentsavan-
césdelanoblesseetduclergéretrou-
vèrentceuxdutiersétatpours’ériger
enAssembléenationale ;quand,en
1830,étapeessentiellesurlechemin
denotremodernité,orléanisteset
à l’assemblée
nationale
le 19 novembre.
Quand le pays
a besoin d’une vraie
solidarité, que
doivent respecter
tous les députés…
›
charlesplatiau/reuters
doUble examen
de conscience
Oui, ceux-là, les sarkozistes,
démantelèrent – folie ! – la police
de proximité et comprimèrent les
forcesdesécuritépourréaliserdes
économies qu’ils n’imposèrent pas
aux plus nantis.
Mais oui, ceux-là fermèrent
complaisamment les yeux sur les
enfermements cléricalo-commu-
nautaristes, quand ils ne les cares-
sèrent pas dans le sens du poil de
la barbe. Oui, deux démagogies
concurrentesn’ontcessédesefaire
la courte échelle.
U n d o u b l e e x a m e n d e
conscience s’impose, auquel les
médias n’échapperont pas.
Souvenons-nous :lorsdelaguerre
civile en Algérie, quand sévissait le
GIA, l’ancêtre de Daech, certains
journauxsecomplurentàsemontrer
beaucoupplushostilesenversceux,
qualifésd’éradicateurs,quiafron-
taientlesterroristesqu’aveclester-
roristeseux-mêmesquiavaientdroit
àtouteslesindulgences.Cen’étaient
pas eux qui tuaient !
Rappelons-nous : lorsque les
Russesfurent,àleurtour,l’objetdes
massacreursdjihadistes,lesmêmes
stigmatisèrent plus systématique-
mentetplusfurieusementlesRusses
quelesextrémistes,lesvictimesque
lescoupables.Mêmetueurd’enfants,
ledjihadistetchétchèneétait,àleurs
yeux, un héros.
Gardons-en la mémoire : en
Syrie, il y a encore un an et demi,
ces mêmes médias (qui avaient
approuvé la calamiteuse interven-
tionenLibyeetacceptéquel’Arabie
saoudite et la Turquie militarisent
l’insurrection populaire pour en
exclure les éléments laïcs, libé-
raux, démocrates et progressistes)
se refusaient encore à admettre la
priseenmaindelarébellionparles
djihadistesradicauxdeDaechetd’Al-
Qaida–Al-Nosra,c’étaitl’islamisme
modéré ! – et préconisaient une
intervention armée qui leur aurait
livré l’essentiel du pays.
à qUand l’aUtocritiqUe ?
Qui ne commet pas d’erreurs ? En
2002, Marianne, que je dirigeais à
l’époque, avait, jusqu’à la dernière
minute,jusqu’àladernièreseconde,
ce dont je fus largement respon-
sable,refuséd’intégrerl’hypothèse
d’un afrontement Chirac-Le Pen,
c’est-à-dire l’exclusion de Jospin.
Nous ne nous contentâmes pas
d’admettre cette mortelle bévue,
nous en analysâmes les raisons et
lesracines.Plustard,lorsdel’afaire
DSK, je n’ai pas cherché à m’exo-
nérer de la « profération » d’une
expressiontoutàfaitinappropriée.
Pourquoi ceux, intellectuels
(et pas seulement Bernard-Henri
Lévy,AlainMinc,BernardKouchner,
comme hier André Glucksmann),
mais aussi journalistes commen-
tateursquicautionnèrent,entoute
bonne foi, ces fatals errements à
l’origine–TonyBlairvientd’enfaire
l’aveu–desdramesauquellemonde
est confronté aujourd’hui – d’Ivan
Rioufol,duFigaro,applaudissantàla
guerred’Irakethéroïsantlecriminel
événement
politique
républicainsfrentfrontensemble
face aux tenants d’une régression
radicale ;quandlespatriotesdetout
bord,descommunistesauxlibéraux
en passant par les démocrates-
chrétiens, constituèrent, en 1943,
le Conseil de la Résistance ; quand,
avecPierreMendèsFrancepuisavec
legénéraldeGaulle,dessocialistes,
des centristes et des conservateurs
unirent leurs eforts pour sortir la
France,d’aborddumarigotindochi-
nois, ensuite du bourbier algérien.
Cependant,aujourd’hui,lastraté-
giedelargeunionsarko-hollandaise
destinée à barrer la route au Front
national,plusexactementàl’empê-
cherdes’emparerd’unerégion,m’ap-
paraîtabsolumentcatastrophique.
Pourquoi ?
D’abord parce que toutes les
alliances que je viens d’évoquer
tendaientàunobjectifconstructif :
réformer, régénérer, libérer le pays.
En1848,lecentre droitetl’extrême
gaucheconfuèrent,uninstant,pour
rétablir le sufrage universel.
Lagrandecoalitionquepréconise
ManuelVallsest,enrevanche,pure-
ment négative. Sans objectif. Sans
projet. Il ne s’agit pas de converger
pourfaire,maispourempêcher.On
n’est d’accord sur rien, on ne porte
aucun rêve commun, simplement
on veut barrer la route à l’intrus : le
Front national. Donc défendre son
pré carré.
Nonseulementl’efetseraitdésas-
treux (impression de magouilles et
deconfusions),maisn’empêcherait
pas nécessairement Marine Le Pen
del’emporterdansleNord - Pas-de-
Calais - Picardie, l’aile gauche de la
gauche s’abstenant plutôt que de
mêlersessufragesàceuxdessarko-
zistesetunefractionimportantedes
électeurs de droite, très radicalisée
par Sarkozy lui-même, refusant de
joindre leurs bulletins à ceux de
gauche. Double peine donc.
Désastreux,pourquoi ?Parceque,
àsupposerquelefrontanti-FNl’em-
porteetgouvernelarégiontantbien
quemal,lagauches’étantquasiment
dissoute, il n’y aurait plus qu’une
seuleopposition,uneseuleforceen
situation d’exprimer et d’exploiter
tous les mécontentements, toutes
les frustrations : le Front national.
Paradoxe :sileFNconquiertune
région, triste perspective, il sera
confronté à toutes les difficultés
économiques et sociales qu’il sera
incapable de résoudre. Ce qui le
démystiferait.Danslecascontraire,
il deviendrait la seule alternative.
Quel plus beau cadeau pour-
rait-on faire à Marine Le Pen que
de l’instituer en opposante unique,
seule contre tous, face au système,
confrontée aux représentants de
« l’establishment » ?
La gauche socialiste n’y survi-
vrait pas.
La stratégie préconisée par
ManuelVallsestcellequiconduisit,
dans les années 30, la social-démo-
cratie allemande à s’effacer pour
soutenir, contre Hitler, le maréchal
Hindenburg.Etquidonnalepouvoir
à Hitler ? Le maréchal Hindenburg.
Ouiàuneconvergencedetoutes
les énergies transformatrices,
de quelque horizon qu’elles pro-
viennent.Nonàunempilementdes
réactions conservatrices.
Ouiàunelargeconfuence,àune
radicaletransgressiondesfrontières
politico-idéologiques,maispours’en
sortir, non pour s’enfermer. n j.-f.K.
benedictevandermaar/bureau233
›
la nuit des
attentats,
à paris, près du
Bataclan. le chef de
l’etat avec Bernard
Cazeneuve, ministre
de l’intérieur,
et Manuel Valls,
premier ministre.
s
’ils ne la balaient pas d’un
reversdemaindédaigneux,
les politiques de tout
bord trouveront matière
à réfexion dans l’enquête
d’opinion que Marianne
publie cette semaine. Car à l’op-
posédel’afigeantspectacledonné
à l’Assemblée, le 17 novembre, par
des députés de l’ancienne UMP,
vociférant contre Manuel Valls
et Christiane Taubira, c’est un
gouvernement d’union nationale
que plébiscitent les Français. Une
union apte à combattre les terro-
ristes, mais aussi, et c’est peut-être
là le plus surprenant, pour relan-
cer l’économie et lutter contre le
chômage.
Dans le détail, selon notre son-
dageElabe,ilssont74 %àconsidé-
rer qu’un tel rassemblement serait
justifié. Un plébiscite qui trans-
cende les clivages politiques, la
droiteetlecentreyétantfavorables
à 76 % et la gauche, à 71 %. « Il y a
une véritable aspiration à un gou-
vernementd’unionnationale,com-
mente Yves-Marie Cann, directeur
desétudespolitiquesd’Elabe.Pour
unetrèslargemajoritédeFrançais,
c’est un gage d’efcacité. » Dans ce
concert quasi unanimiste, les élec-
teurs du Front de gauche sont les
seuls à faire entendre une note un
peu dissonante, avec seulement
63 % d’adhésion à une telle union.
A l’inverse, les sympathisants du
Front national sont 72 % à la sou-
haiter, ce qui, souligne Yves-Marie
le gouverLes Français sont à 74 %
favorables à un
gouvernement
dépassant les
clivages politiques.
Et pas seulement pour
combattre le terrorisme.
PAr éric decouTy
sondage
elabe pour
“marianne“
Aujourd’hui, en France, estimez-vous qu’il serait justifé
ou pas justifé de metre en place un gouvernement d’union
nationale réunissant des personnalités venant de diférentes
sensibilités politiques et de la société civile ?
EnsembledesFrançais(en%)
49
Sous-total
«pas justifé»
26%
Sous-total
«justifé»
74%
20 25
6
Toutàfaitjustifé
Plutôtjustifé
Pasvraimentjustifé
Pasdutoutjustifé
Parmi la liste suivante, quelles sont les 4 personnalités que vous
souhaiteriez voir entrer dans un gouvernement d’union nationale ?
EnsembledesFrançais(en%)
Alain Juppé
Marine Le Pen
François Bayrou
Nicolas Hulot
Jean-Louis Borloo
Nicolas Sarkozy
François Fillon
Le juge Marc Trévidic
Jean-Luc Mélenchon
Martine Aubry
Jacques Attali
Louis Gallois
Ne se prononcent pas
47
32
32
28
27
27
24
21
21
20
15
11
3
Total des réponses supérieur à 100 %,
les répondants ayant pu donner jusqu’à
4 réponses. Les personnalités ex æquo
ont été départagées selon la décimale.
Cann, s’explique avant tout par le
désirdevoiraccéderMarineLePen
aux afaires, fût-ce en partageant
les responsabilités…
Mais, au-delà du plébiscite
pour l’union, l’enquête que publie
Marianne révèle les véritables
espoirsplacésparlesFrançaisdans
un tel gouvernement. En efet si,
sanssurprise,ilssont55 %àconsi-
dérer qu’il serait d’abord efcace
pour lutter contre la menace ter-
roriste, le désir de rassemblement
au-delàdesclivagespartisansn’est
pas lié simplement aux tragiques
attentats du 13 novembre : 54 %
des sondés estiment en efet que
cette union serait efficace pour
« relancer l’économie et créer des
emplois »,51 %pour« assurerl’ave-
nir de notre modèle social » et 50 %
pour « refonder notre système édu-
catif ». Ils ne sont en revanche que
44 %àconsidérerqu’ilseraitapteà
mener la guerre en Syrie et en Irak
contre l’Etat islamique.
Une idée poUr l’école
L’union souhaitée par les Français
ne semble donc pas seulement
liée aux événements actuels mais
apparaît comme une aspiration
politique à plus long terme. Il
convient également de souligner
que les électeurs de la droite et
du centre sont les plus lar-
gement favorables à un
gouvernement d’union
pour lutter contre le
chômage(63 %),assu-
rerl’avenirdumodèle
social(55 %)etrefon-
der notre système
éducatif (57  %).
Les électeurs de
gauche, et notam-
m ent ceu x du
Parti socialiste,
sont plus réser-
vés. Seulement
43 % estiment,
par exemple,
rnement attendU des français
sébastienortola/réa
mallangsdon/reuters
AlainJuppé.MarcTrévidic.
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 21
›
politique
22 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
événement
Parmi la liste suivante, quelles sont les forces politiques qui vous
semblent les plus aptes à défendre le principe d’union nationale ?
ensembledesFrançais(en%)
Le Parti socialiste
Les Républicains
Le Front national
Le MoDem
L’UDI
Europe Ecologie-Les Verts
Le Front de gauche
Debout la France
Aucune de celles-ci
Ne se prononcent pas
33
32
23
21
20
14
10
7
23
1
Total des réponses supérieur à 100 %, les
répondants ayant pu donner jusqu’à 3 réponses.
Selon vous, un gouvernement d’union nationale serait-il plus efcace ou
moins efcace qu’un gouvernement classique pour... ?
ensembledesFrançais(en%)
pluseffcace Niplus,nimoinseffcace Moinseffcace Neseprononcentpas
1
Lutter contre la
menace terroriste sur
le territoire français.
55 35 9
1
Relancer l’économie
et créer des emplois. 54 34 11
1
Assurer l’avenir de
notre modèle social. 51 35 13
1
Refonder notre
système éducatif. 50 37 12
1
mener la guerre en
Syrie et en Irak contre
l’état islamique.
44 44 11
FIche technIque echantillonde
1005personnesreprésentatifdelapopulation
françaiseâgéede18ansetplus.
lareprésentativitédel’échantillonaété
assuréeselonlaméthodedesquotasappliquée
auxvariablessuivantes:sexe,âgeetprofession
durépondantaprèsstratifcationparrégion
etcatégoried’agglomération.interrogation
parinternetdu20au23novembre2015.
que ce gouvernement serait à
même de garantir notre modèle
social,et37 %àcroirequ’ilpermet-
trait de refonder l’école publique.
« C’est un constat qui apparaît
dans de nombreux sondages, ana-
lyse Cann. Beaucoup de Français
considèrentquelesoppositionspar-
tisanessontvainessurdenombreux
sujetsetqu’ilconvientdésormaisde
prendrelesbonnesidéesàdroiteetà
gauche.Celamontreunefoisdeplus
que nos institutions maintiennent
sousperfusionunsystèmedepartis
quinecorrespondplusàlaréalité. »
Quant aux contours que pour-
rait prendre ce gouvernement
d’union, il apparaît sans trop de
surprise que le Parti socialiste et
l’ex-UMP semblent aux yeux des
Français « les plus aptes » à mener
le rassemblement. Même le Front
nationalestà23 %compatibleavec
cetteunion,mêmesicesontà84 %
ses électeurs qui défendent cette
hypothèse…Onremarquetoutefois
que5 %desélecteursdegauchene
seraientpashostilesàl’intégration
du parti d’extrême droite dans ce
rassemblement.
SARkozy hoRS jeu
Restent les personnalités suscep-
tibles d’incarner l’union nationale
dansungouvernement.Lerésultat
est sans appel, Alain Juppé arrive
en tête loin devant tous les autres,
recueillant les faveurs de 47 %
des sondés. Si ce sont d’abord les
électeurs de droite et du centre
qui le plébiscitent (65 %), ceux
de gauche le soutiennent à 49 %
et il va même jusqu’à recevoir les
soutiens de 22 % des sympathi-
sants du Front national. Son rival
pour la primaire à droite, Nicolas
Sarkozy, apparaît très loin der-
rière :seulement27 %desFrançais
souhaitent le voir entrer dans un
gouvernement d’union nationale,
à égalité avec Jean-Louis Borloo,
derrière Nicolas Hulot, mais
devant François Fillon…
Enfn, au milieu des politiques,
une personnalité nouvelle de la
société civile apparaît en bonne
place. Les Français sont en effet
21 % à souhaiter voir le juge Marc
Trévidic fgurer dans leur rassem-
blement« idéal ».Laconséquence,
évidemment,desattentatsdeParis
etdesmultiplesentretienstrèsins-
tructifs donnés ces derniers jours
par le magistrat. S’il n’est pour
l’heure pas question qu’il entre au
gouvernement,peut-êtrequenotre
sondage convaincra la garde des
Sceaux de réintégrer au pôle anti-
terroriste Marc Trévidic, réglant
aujourd’hui les afaires familiales
au tribunal de Lille… n é.D.
›
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 23
D
elagénérationMitterrand
àlagénérationBataclan.La
rime est presque parfaite.
Elletinteagréablementaux
oreilles des hollandais. A
dix-sept mois de l’élection
présidentielle de 2017, le recueil-
lement, la douleur, la compassion,
n’excluentpasleréalismepolitique.
Le président qui avait fait de la jeu-
nesselaprioritédesonquinquennat
se trouve désormais confronté au
deuild’uneclassed’âge.Lesnécro-
logiesdes130 victimesdesattentats
deParismontrentquelesterroristes
ont fauché en majorité des trente-
nairescréatifs,souventprovinciaux,
enfantslucidesdelamondialisation.
Le carnage du 13 novembre 2015
place l’actuel chef de l’Etat en res-
ponsabilité face à une génération
brisée, mais il installe aussi celui
qui est déjà le candidat Hollande
devant une nouvelle opportunité.
En exégète de l’épopée mitterran-
dienne, il se souvient du génial
Jacques Pilhan, élaborant dans les
éprouvettes de son agence, Temps
public, la symbolique main jaune
deSOSRacisme,ainsiqueleslogan
« Génération Mitterrand ». Deux
piliers de la campagne qui avaient
permislaréélectiondel’ancienpré-
sident socialiste en 1988.
“sos terrorisme”
Lasemainedernière,FrançoisHol-
lande s’est donc déployé en trois
tempssurleplanintérieur.D’abord,
cediscoursauCongrès,largevirage
diplomatique et sécuritaire, hold-
up d’une droite redevenue la plus
bête du monde, prise à son propre
piège.Del’autrecôtéduChannel,le
Guardian, pris d’un subit accès de
francophilie,amêmequaliféFran-
çois Hollande de « John Wayne des
Champs-Elysées » !Lemêmejour,le
chefdel’Etatobservaituneminute
de silence, mais pas n’importe où,
campédanslacourdelaSorbonne,
avec des étudiants flmés faisant
la queue pour le rejoindre. Vous
voulez du symbole ? Mais restait à
formaliser cette intuition. Ces der-
niers jours l’ont prouvé, l’esprit du
11 janvier ne soufe décidément
pas sur la classe politique, et
même si François Hollande a pris
la décision d’accueillir person-
nellement chacun des 143 chefs
d’Etat ou de gouvernement pré-
sents lundi 30 novembre au Bour-
get pour l’ouverture de la COP21,
il a déjà utilisé en janvier dernier
la carte du rassemblement inter-
national. Puis, comme tombée de
nulle part, paraissait le vendredi
20 novembre sur le site du Huf-
fngton Post une tribune baptisée
« #21h20 », l’heure à laquelle les
terroristes ont commencé à atta-
quer la capitale ce funeste soir
d’automne. « Une semaine après,
allumons les lumières et bougies
enoccupantnoscafés,nosrues,nos
places, nos villes, faisons entendre
les musiques qu’ils haïssent », écri-
vent alors ceux qui se présentent
comme « des artistes, des citoyens
anonymes,desindividuslibres ».La
mobilisationfonctionne.Latélévi-
siondifusecesimagesémouvantes
de Français se tenant par la main
et chacun reprend innocemment
sur les réseaux sociaux le hashtag
« 21 h 20 ». Mais, à y regarder de
plus près, l’événement a été orga-
nisé de main de maître par, tiens,
tiens, le socialiste Julien Dray, l’un
des fondateurs de SOS Racisme, et
la tribune, signée par des grands
artistes mais aussi par le mécène
Pierre Bergé et le patron de Libé-
ration, Laurent Jofrin. L’initiative
regroupe aussi quelques fugaces
sarkozistes aujourd’hui repen-
tis : Fadela Amara, Georges-Marc
Benamou ; ainsi que le chiraquien
Hugues Renson… Comme un
avant-goût, plus de vingt-cinq ans
après SOS Racisme, d’un « SOS
Terrorisme ». n
François HollanDe
au renDez-vous De 21 H 20 ?Le chef de l’Etat bénéfcie d’une nouvelle popularité qu’il entend bien
exploiter dans l’optique de la prochaine échéance présidentielle.
Par Soazig Quéméner
Benjamin Stora
“Pasd’irénisme”
événement
politique
24 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
L
’union ?Etpuisquoiencore ?
Anesthésiés par la mon-
tée du Front national, les
hommes et les femmes
politiques ne veulent sur-
toutpasenentendreparler.
A les écouter, l’union n’est plus ce
bien précieux à chérir, cette desti-
née commune censée nous élever
collectivement, mais au contraire
la promesse d’être aussitôt ren-
voyésàune« UMPS »ouencoreune
« RPS », selon le détestable jeu de
mots de Florian Philippot. « Vous
voulez quoi, qu’il n’y ait qu’un seul
bloc contre le Front national, c’est
ça ? » lance l’un des plus éminents
membresdesRépublicains.Quand
un député du même bord, pour-
tantconnupoursahauteurdevue,
soupire : « Je ne vois pas où est la
nécessitéaujourd’huidesuspendre
la démocratie pour faire travailler
des gens ensemble. » De son côté,
François Hollande n’a même pas
fait semblant d’y croire, pillant les
idées de la droite sans pour autant
lui tendre la main, n’ayant même
pasl’élémentairecourtoisiedepré-
venirleprésidentduSénat,Gérard
Larcher, de la révision constitu-
tionnelle qu’il allait annoncer au
Congrès.
En cette fn d’annus horribilis,
l’union nationale ne peut pas se
réduireaupluspetitdénominateur
communentrelesprogrammesdes
diférentes formations politiques
« à vocation gouvernementale ».
Elle ne se comprend que comme
efort pour répondre au surgisse-
ment de nouvelles exigences, qui
ne manqueront pas de s’imposer
dès lors que l’état d’urgence aura
épuisé ses effets. C’est ainsi que
la politique économique ne peut
se réduire désormais au simple
« ni-ni » – ni pacte de stabilité, ni
politique de relance » – décrété
à Versailles par le président de la
République, mais devrait, à notre
sens, être réorientée vers la mobi-
lisation des forces économiques et
sociales pour l’intérêt général. La
« guerre »estlemomentdesgrands
choixéconomiqueset,faut-illerap-
peler, c’est pour faire la guerre que
fut instauré l’impôt sur le revenu
en1914.Demême,lacrisedel’inté-
grationdevraitconduireàdénouer
enfin les nœuds gordiens qui
enserrent le système éducatif. S’il
faut que l’école remplisse son rôle
éminent d’intégration, plutôt que
de revoir des programmes même
pas appliqués, peut-on sérieuse-
mentaugmenter,oui,augmenter !,
le nombre de jours d’enseigne-
ment dans ce pays qui infige à ses
enfants des rythmes diaboliques ?
Quant à l’Europe, apparue impo-
tente dans les deux épreuves que
sont la vague de réfugiés et la crise
sécuritaire,ilseraitbientempsque
laFrancesoitlemoteurdesaredé-
fnition,plutôtquedelaissercerôle
àl’Allemagned’AngelaMerkelouau
Royaume-Uni de David Cameron.
De même est-il urgent de redéfnir
unepolitiqueextérieurecohérente
hors des afliations à l’Otan et des
compromissions avec les régimes
théocratiques proche-orientaux.
Marianne entame donc dans
cespagesledébatavecdesacteurs
engagéssurcesnouvellesurgences
que le pays tout entier doit afron-
ter… n H.N. et S.Q., avec t.P.
DeS iDéeS pour Se réunir DanS L
Ecole, intégration, autorité… Les personnalités
que nous avons sollicitées donnent corps à l’idée d’union
nationale et dépassent l’unique problématique
sécuritaire, si prégnante et si piégeante depuis
les attentats du 13 novembre.
Sur Le terrain
Si, dans les appareils,
l’union tarde, elle
a été évidente lors
des hommages
aux victimes du
13 novembre rendus
en province, comme
ici, à toulouse.
le 17 novembre,
place du Capitole,
le maire (lR), Jean-
luc Moudenc (2e
, g.),
était avec le président
(pS) de la région,
Martin Malvy
(au centre).
hannahassouline
n
e cédons pas à l’irénisme !
Il serait, dans l’absolu, très
malaisédefaires’accorderla
droiteetlagauchesurlesujet
de l’immigration. Cet enjeu-
là dessine à l’évidence une ligne de
partagetrèsclivantedanslasociété
française. Je vois mal également
gauche et droite se mettre d’accord
sur le droit de vote des étrangers,
qui est une vieille revendication de
lagaucheclassique,ouencoresurla
question de la délivrance des visas.
Enrevanche,gaucheetdroitepour-
raient s’accorder sur des modalités
d’intégration par l’école. Elles peuvent notamment
s’accorder sur la façon de permettre à l’institution
scolaire de mieux faire connaître l’histoire de l’immi-
gration et d’inculquer de manière plus efficace les
valeursrépublicaines.Remplircettedoublemissionest
devenufondamental. n ProPoS recueilliS Par alexiS lacroix
Historien, président
de la Cité de
l’immigration.
Dernier ouvrage
paru : les Clés
retrouvées (Stock).
L
a finalité de l’école n’est
pas de former des indivi-
dus adaptés à un état de la
société, ni de répondre à des
demandes sociopolitiques
qui la renvoient à son extérieur,
mais de donner à chacun les
moyens de son autonomie et de
la culture de ses talents.
On abandonnera les critères
comportementaux ou adaptatifs
(« compétences » et « projets »).
Dans l’hypothèse d’un gouverne-
ment d’union nationale, priorité
sera donnée à l’instruction par
des programmes nationaux dis-
ciplinaires.
On s’interrogera à cet efet sur
ce qui est libérateur à long terme
et sur la progressivité de l’acqui-
sition. Les enseignants seront
libres de leurs
méthodes, dans
le respect des
droits d’autrui.
On les recrutera
sur concours
nationaux appréciant le degré
de maîtrise des savoirs qu’ils
enseignent. Leur formation pra-
tique sera principalement assurée
dans des classes auprès de profes-
seurs chevronnés.
On rétablira dans chaque éta-
blissement le calme et la sécurité
nécessaires à l’étude.
On proposera en plus des cours
un soutien des études encadré par
un personnel qualifé, en insistant
sur les zones où feurissent actuel-
lement des « ghettos scolaires ». n
ProPos recueillis Par a.l.
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 25
Dominique Schnapper
“Clarifcation 
indispensable”
i
ndépendamment des mesures
concrètesqu’ilpourraitprendre,
un gouvernement d’union
nationale aurait l’immense
avantage d’apporter une clari-
fication, devenue indispensable.
La véritable ligne de fracture,
désormais, ne passe plus entre la
droite et la gauche, mais entre la
gauche de la gauche et la droite
de la droite face à la gauche et à la
droite. Le véritable débat, le vrai
clivage, s’établit désormais entre
Alain Juppé et Marine Le Pen, et
entreFrançoisHollandeetJean-Luc
Mélenchon. Entre un pôle réfor-
miste et un pôle «antisystème». n
ProPos recueillis Par a.l.
La répubLique
GhaLeb bencheikh
“L’autorité,
pasl’autoritarisme”
a
titre personnel, je préfère parler de l’unité
nationale plutôt que d’un gouvernement
d’union nationale. L’efort pour renforcer la
sécurité doit se poursuivre. Mais, sur le long
terme, ce qui est important, c’est d’investir
dans l’éducation. Là est la clé. On ne reconnaît le
génie d’un peuple que lorsqu’il y a un éveil massif des
consciences. C’est ce moment que nous traversons,
et il est très important, en matière éducative, de
revenir à l’autorité de la République et des maîtres
– sans céder, bien sûr, à l’autoritarisme. L’union
nationale devrait servir à cela. La restauration de
l’autorité suppose aussi que les hiérarques musul-
mans ne tolèrent plus des prêches qui, comme ceux
de l’imam de Brest, démonisent la musique. Dans
une nation sensible à la beauté de la musique, de
telles pseudo-positions sont insupportables. n
ProPos recueillis Par a.l.
catherine kintzLer
“Priorité
àl’instruction”
Sociologue, membre
honoraire du Conseil
constitutionnel,
auteur de l’Esprit
démocratique des lois
(Gallimard).
Président de la
Conférence mondiale
des religions pour
la paix, islamologue
et philosophe.
Philosophe, auteur
de Condorcet,
l’instruction publique
et la naissance
du citoyen (Minerve).
vincentnguyen/rivapress
hannahassouline
hannahassouline
hannahassouline
événement
politique
26 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
D
ans mon essai paru l’an
dernier, la France au
déf *, je ne proposais pas
exactement une union
nationale, mais une coa-
lition pour la réforme. L’union
nationale suppose que, face à des
événements gravissimes, la droite
et la gauche trouvent un accord
global ; je ne pense pas que cela
puisse être le cas. Les Allemands
le font quand un vote les y oblige,
en négociant pendant trois mois
dans le moindre détail. Ni notre
Constitution ni notre calendrier
électoral ne rendent possible une
telle négociation.
Comme l’impuissance n’est pas
non plus une option, j’ai proposé
Hubert véDrine “Unecoalition
pourlaréforme”
StépHane ricHarD “Doubler
lenombred’apprentis”
qu’à froid les grands partis de
gouvernement se mettent d’ac-
cord sur quelques réformes clés,
comme l’« écologisation » dans la
longue durée ou une gestion plus
adéquate des flux migratoires,
dossiers sur lesquels les opposi-
tions entre les uns et les autres me
paraissent surjouées.
La priorité, c’est de trouver en
communlesmoyensdereprendre,
en quelques années, le contrôle
des fnances publiques, ce qu’ont
fait la plupart des pays dévelop-
pés. Nous avons actuellement le
niveau le plus élevé de dépense
publique par rapport au PIB,
ainsi qu’un niveau très élevé de
pression fscale. La préservation
de l’Etat-providence est évidem-
ment fondamentale, mais il n’est
plus possible de laisser filer la
dette publique. Je ne pense pas
à une mesure particulière, mais
davantageàunedémarched’ordre
général ; il faudrait que la France
revienne progressivement, par
exemple sur cinq ans, au niveau
moyen de la dépense publique en
vigueur dans la zone euro (comme
nous nous y sommes d’ailleurs
engagés par les traités que nous
avons signés).
Seul ce cheminement nous
permettra de conserver ce qu’on a
gagné de souveraineté. n 
ProPos recueillis Par alexis lacroix
* Fayard
Marianne : Quelle serait, selon vous, la ou
les premières mesures qu’un gouvernement
d’union nationale devrait prendre ?
Stéphane Richard : Cela va peut-être vous paraître
symbolique–maisquiditsymboliqueneditpasforcé-
mentanecdotique :ilfaudraitobligertouslesministres
en exercice et tous les footballeurs à connaître et à
chanter la Marseillaise. J’en ai marre de voir certains
joueurs regarder leurs chaussures pendant l’hymne
national, sans parler de ceux qui crachent dessus,
comme Karim Benzema… Dans les moments que
nous traversons, où nous devons faire face en peuple
uniàl’adversitéetàl’efroi,celadépassefranchement
les limites du supportable.
Dans le domaine économique, quelle serait
selon vous la mesure la plus urgente ?
S.R. : Doubler le nombre d’apprentis. C’est une me-
sure simple, transcourants et indispensable si l’on
veut donner aux dizaines de milliers de jeunes qui
ne parviennent pas à se faire une place sur le marché
du travail une chance d’accéder à l’emploi. Le déve-
loppement de l’apprentissage n’a aucune coloration
politique :c’estunprojetquipourraitetquidevraitêtre
porté urgemment par la gauche comme par la droite.
Qu’avez-vous pensé de l’appel lancé par
l’entrepreneur Marc Simoncini, enjoignant
les patrons exilés à revenir payer leurs impôts
en France pour participer à l’efort collectif ?
S.R. : J’ai trouvé que c’était une très bonne initiative.
Autant je suis allergique à un certain discours oppor-
tuniste et légèrement démago consistant à expliquer
quelaFranceestenfaitun« paradisfscal »(oùl’impôt
est ultraléger et l’entreprenariat, bichonné), autant il
mesembleque,comptetenudel’horreuractuelle,cet
appel à la mobilisation des intelligences, des énergies
et des bonnes volontés était une réaction de salubrité
publique. Je signe, s’il veut ! n
ProPos recueillis Par anne rosencher
Ancien ministre
des Affaires
étrangères.
pDG d’orange.
hannahassoulinedr
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 27
Marie-Françoise Bechtel
“Unservicenational,
universeletobligatoire”
PhiliPPe louis “Ilfautécouter
lesparlementaires”
l
es Français expriment un
fort désir d’unité, parce qu’ils
souhaitent que les décisions
dramatiquesquidéterminent
leur avenir soient partagées
et suivies par tous dans la durée.
L’unité était d’ailleurs là lorsque le
chef de l’Etat, François Hollande,
s’est adressé aux députés et séna-
teurs réunis à Versailles, initiative
que le pays a plébiscitée. Faut-il
aller plus loin et promouvoir un
gouvernement d’union nationale ?
Nos institutions fonctionnent en
s’appuyantsurdesmajoritésparle-
mentaires successives. Selon moi,
c’est donc prioritairement à ce
niveau qu’il faut promouvoir une
unité plus large. Comment ? Prési-
dent et ministres en place doivent
prendre le temps d’écouter les avis
des parlementaires de tous bords
qui doivent de leur côté s’expri-
mer constructivement. Puis tenir
comptedeleurspropositionsdans
leurs décisions. Il n’est plus temps
de faire ronfler les polémiques
politiciennes !
A mon sens, cette unité accrue
au niveau du Sénat comme de
l’Assemblée nationale serait plus
fructueuse qu’un remaniement
gouvernemental visant à inclure
des personnalités de divers partis.
En effet, idéalement, un exécutif
c’est une équipe qui doit bien s’en-
tendre, maîtriser efcacement ses
dossiers. En la matière, les partis
politiquespourraientmêmes’inspi-
rerdufonctionnementplussouple
des syndicats. Car les partenaires
sociaux ont beau être multiples,
lorsque nous négocions sur des
sujetsaussidécisifspourlessalariés
que leurs conditions de travail ou
leurformation,noussavonstrouver
desmajoritéssolidesetdurables. n
ProPos recueillis Par laurence Dequay
c
ette chevènementiste a lancé au Parlement
une pétition demandant le rétablissement
du service national. Simultanément, le site
du mouvement de Jean-Pierre Chevènement,
republiquemoderne.fr, accueille une pétition
citoyenne identique.
Marianne : Quelle forme devrait avoir,
selon vous, ce service national ?
Marie-Françoise Bechtel : Ce serait un service court,
entre trois et six mois. Et qui pourrait être prolon-
gé pour ceux qui le désirent. Il serait universel et
obligatoire, avec une partie militaire, mais portant
également sur l’ensemble des problématiques de
la défense : pompiers, sécurité civile. Comme on l’a
vu, le travail de ces formations a été capital dès les
premières heures de l’attentat que notre pays vient
de subir. Mais la forme et les modalités peuvent évi-
demment se discuter. Je demande en tout cas à ce
qu’il y ait un débat.
Pourquoi « universel et obligatoire » ?
M.-F.B. : Universel,carilconcerneaussibienlesflles
que les garçons,afn derépondreaussiàcequerévèle
la situation actuelle de la défcience épouvantable de
notre tissu social. Obligatoire, parce qu’ainsi chacun
saura qu’il doit quelque chose à la communauté. Cela
doit être inscrit dans las conscience de chacun. Et
cela ne concerne pas que les gens des « quartiers »,
je tiens à le préciser.
Vous tenez à ce que l’Education nationale
participe à ce service, de quelle manière ?
M.-F.B. : Oui, il est important qu’elle prenne sa part.
Aujourd’hui, il n’y a que la Journée défense et citoyen-
neté (JDC), ancienne Journée d’appel de préparation
à la défense (JAPD), c’est beaucoup trop peu. L’idée
serait d’élargir le contenu de cette journée sur trois
mois, et de permettre aux enseignants de participer
encore plus activement à cet apprentissage concret
de la citoyenneté.
Comment est perçue votre proposition ?
M.-F.B. : J’aidesremontéestrèspositivessurleterrain,
dans l’Aisne où je suis élue. C’est une idée qui passe
bien et qui rencontre un écho favorable. De plus, cela
me paraît une contre-proposition très saine face à la
montée du FN. n ProPos recueillis Par VlaDimir De Gmeline
Députée de l’Aisne,
ancienne directrice
de l’ENA.
Président de la CFTC.
baltel/sipachristophemorin/maxppp
événement
politique
28 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
LeS BIvOUACS FeStIFS
De LA FéDéRAtIOn
La Révolution française com-
mence sous les meilleurs auspices
du « vivre-ensemble », comme on
diraitaujourd’hui,aveclacommu-
nion solennelle de tout un peuple.
Autourd’unenouvelletrinité,célé-
brée par l’ensemble du pays : une
foi, un roi, une loi. Un an après la
prisedelaBastille,le14 juillet 1790,
la Fête de la fédération se tient au
Champ-de-Mars.Lapluiebattante
neparvientpasàdoucherl’enthou-
siasme d’une foule considérable.
Toute la province, toutes les pro-
vinces sont représentées, via les
députés, mais aussi et surtout par
les membres de la gardenationale,
sorte de milice populaire, venus
desquatrecoinsduroyaumeprêter
serment à la nation et à son souve-
rain.Unsermentciviquedemasse.
Sous le regard avide et fervent du
peupledeParis :160 000personnes
assises sur les tertres du Champ-
de-Mars, 150 000 debout. De peur
demanquerlespectacle,beaucoup
sont arrivés la veille et ont bivoua-
qué toute la nuit sous les trombes
d’eau. Pour se réchauffer autant
que pour patienter, on danse dès
le petit matin. Les farandoles se
succèdent,malgré la boue. Devant
ce public considérable, 100 000
fédérés vontdéfleravectambours
et drapeaux, dont 45 000 gardes
nationaux venus des 83 départe-
ments nouvellement créés.
En ce jour, de la manière la plus
solennellequisoit,lanationdevient
sacrée. Pour que la solennité s’in-
carne, on a fait construire un autel
delapatrieaucentreduChamp-de-
Mars. Depuis déjà deux semaines,
les travaux de terrassement mobi-
lisent1 200ouvriers–deshommes
aussimalnourrisquemalpayés.Et,
pour être prêt à temps, on a mis à
contribution les bonnes volontés
parisiennes. Cela a réussi au-delà
detouteespérance :lesmenuisiers
dufaubourgSaint-Antoine,prèsde
la Bastille, manient la pioche aux
côtés des petits marquis, les curés
mêlent leur huile de coude à celle
des commerçants. Même le roi est
venu de Saint-Cloud apporter sa
modeste participation à ce grand
chantier patriotique.
Face à l’Ecole militaire, un
pavillon a été spécialement amé-
nagé pour que chacun puisse voir
la famille royale. Marie-Antoinette
arbore un chapeau à plumes tri-
colores, le Dauphin est vêtu d’une
tenuedegardenational.Onsoigne
les symboles, sous la houlette du
DeLACOnCORDeÀLARéPUBLIQUe
“CetteUnIté,LemIRACLe
DeLAFRAnCe”
grandorganisateurdel’événement,
le marquis de La Fayette, le chef
de la garde nationale. Ce héros
du Nouveau Monde, auréolé de
la gloire d’avoir soutenu les insur-
gés américains contre les colons
anglais, passe, à 33 ans, de la ban-
nière étoilée à la cocarde bleu-
blanc-rouge.Depuisqu’ilestrentré
en France, en 1782, il s’enfamme
pour les idées réformatrices sans
pour autant renoncer à sa loyauté
envers la monarchie.
Surplombant ce serviteur du
roi, plus de 200 prêtres célèbrent
la messe à l’autel de la patrie. En
ce milieu d’après-midi, comme un
signe céleste, le soleil a percé. De
quoifaireresplendirencoredavan-
tage leurs aubes blanches et leurs
ceintures tricolores. En chasuble
épiscopale, Talleyrand, évêque
Cette phrase de De Gaulle trouve un écho particulier, aujourd’hui. Dans la joie, la douleur ou le sang,
l’esprit de concorde relève d’un mouvement populaire. Aujourd’hui comme hier. Retour sur ces
moments forts de notre mémoire collective qui soudent toutes les composantes de la République.
Par Pierre Baron
“nOUS jUROnS De ReSteR
FIDèLeS À LA nAtIOn […]
et De ReSteR UnIS À tOUS LeS
FRAnçAISPARLeSLIenS[…]De
LAFRAteRnIté.” LAFAyette,1790
27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 29
Muette. Le monarque en est resté
à l’Ancien Régime. Et préfère pas-
ser ses journées estivales à Saint-
Cloud, entre parties de chasse et
représentations théâtrales.
La France ne le sait pas encore,
mais elle vient de vivre une jour-
née essentielle de son histoire. En
afrmantàlafacedumondelapri-
mautédelanationsurleroicomme
incarnation de la souveraineté. En
afrmant que servir la liberté est
un acte fondateur du citoyen. En
afrmant que la fraternité est au
cœur du sentiment national. Ce
moment de grâce va être, par déf-
nition,éphémère.Prèsd’unanplus
tard, la fuite et l’arrestation du roi
etdesafamilleàVarennesmarque-
ront un tournant dans la Révolu-
tion, en brisant net tout espoir de
monarchie constitutionnelle et en
rendant inévitable la marche vers
la République.
LES FOULES ENDEUILLÉES
DE VICTOR HUGO
La plus grande place de Paris en
témoigne : la Concorde doit son
nom actuel au Directoire, qui
voulait ainsi marquer la récon-
ciliation des Français après les
afres de la Terreur, deux ans après
la décapitation de Louis XVI sur
cette même place. En réalité à des
années-lumière de cette Fête de
la fédération.
La nation peut aussi se rassem-
bler autour de l’un des siens. Si elle
l’a montré lors de l’enterrement de
Léon Gambetta, le 6 janvier 1883 –
aprèslachutedusecondEmpireet
le désastre de Sedan, la IIIe
 Répu-
blique rend ainsi hommage à celui
qui a joué un rôle majeur dans la
survie du régime –, c’est à un écri-
vain, le plus grand poète français
(hélas, aurait dit André Gide), que
le pays va ordonner les funérailles
nationales les plus grandioses de
ce XIXe
 siècle. Le testament de
Victor Hugo tient en trois lignes
inoubliables :
« Jedonne50 000 F*auxpauvres.
Je désire être porté au cimetière
dans leur corbillard. Je refuse
La pRImaUTÉ
DE La NaTION
a été célébrée,
le 14 juillet 1790,
sur le Champ-de-
Mars, à la faveur de la
Fête de la fédération,
peinte ci-dessus
par Charles Thévenin.
Ce serment civique de
masse a réuni plus de
300 000 spectateurs
venus assister
au déflé de
100 000 fédérés.
La Fayette, montant
sur l’estrade, prête
serment au nom des
gardes nationaux.
Tout comme Louis XVI
et Marie-Antoinette.
deagostini/leemage
d’Autun, ofcie au cœur de cette
armée d’ecclésiastiques. Il est l’un
desrares,pournepasdireleseul,à
ne pas prendre l’afaire au sérieux.
On ne se refait pas.
Arrivé sur un cheval blanc,
La Fayette, en grand uniforme,
monte sur l’estrade et prête ser-
ment au nom des gardes natio-
nales fédérées : « Nous jurons de
rester à jamais fdèles à la nation,
à la loi et au roi, de maintenir de
tout notre pouvoir la Constitution
décrétée par l’Assemblée nationale
et acceptée par le roi et de protéger
conformément aux lois la sûreté
des personnes et des propriétés, la
circulationdesgrainsetdessubsis-
tancesdansl’intérieurduroyaume,
la prescription des contributions
publiquessousquelqueformequ’elle
existe,etdedemeurerunisàtousles
Français par les liens indissolubles
de la fraternité. » Charles-François
de Bonnay, président de l’Assem-
blée constituante lui succède, au
nom des députés et des électeurs.
Puis c’est au tour de Louis XVI de
prononcer son serment : « Moi, roi
des Français, je jure d’employer le
pouvoir qui m’est délégué par la loi
constitutionnelle de l’Etat à main-
tenir la Constitution décrétée par
l’Assemblée nationale et acceptée
par moi et à faire exécuter les lois. »
Marie-Antoinette montre le
Dauphin au peuple et déclare :
« Voilà mon fls, il s’unit, ainsi que
moi,auxmêmessentiments. »C’est
ce qu’on appelle le service mini-
mum.Lafoulesemetàentonnerun
Te Deum et l’on fnit par se séparer
sous les embrassades et les vivats.
Lafamilleroyaleneparticiperapas
à l’immense banquet (22 000 cou-
verts !)donnédanslesjardinsdeLa ›
événement
politique
30 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015
quependantlaGrandeGuerre.Au-
delà des tendances politiques ou
desconvictionsreligieuses,unpays
entier, à commencer par ses sol-
dats, va consentir les plus terribles
eforts,pratiquementjusqu’àlavic-
toire.Unsiècleaprès,leshistoriens
n’onttoujourspaslaclé,lesraisons
de cette résistance forcenée, de ce
sacrifce général. C’est en tout cas,
et de loin, dans la douleur et dans
le sang, l’union nationale la plus
longueetlaplusforterecenséeàce
jourdansnotremémoirecollective.
LA COALItIOn FAÇOn
GAStOn DOUmeRGUe
L’entre-deux-guerresaconnuaussi
un cabinet d’union nationale. Une
union en trompe l’œil. Le 6 février
1934, des groupes de droite, mais
aussi des associations d’anciens
combattantsetdesliguesd’extrême
droitecommel’Actionfrançaiseou
lesCamelotsduroiorganisentune
manifestation devant la Chambre
des députés pour protester contre
le limogeage du préfet de police à
lasuiteduscandale de l’afaire Sta-
visky. Sur la place de la Concorde,
en l’occurrence si mal nommée, le
rassemblement tourne à l’émeute
antiparlementaire. Le bilan est de
15 morts et plus de 2 000 blessés.
Le lendemain, puis le 9 et le
12 février, de nouveaux heurts
très violents vont augmenter le
nombre des morts. Exit le cabinet
de Daladier. A la demande de Gas-
tonDoumergue,uncabinetd’union
nationale voit le jour. La droite et
la gauche y sont représentées. Au
ministèredelaGuerre,unnoviceau
gouvernement :uncertainPhilippe
Pétain. Il y côtoie, un dénommé
Pierre Laval comme ministre des
Colonies. Ce gouvernement va
durer neuf mois. Le temps d’une
gestation. Puis, quelques années
plus tard, d’une atroce fausse
couche : celle de la France qui se
donne au prétendu sauveur, au
« Maréchal,nousvoilà ».Voicivenu
letempsdelarepentanceinventée
par le régime de Vichy pour faire
expier à la France, entre autres, le
l’oraison de toutes les églises ;
je demande une prière à toutes les
âmes. Je crois en Dieu. »
Sesdernièresvolontésvontêtre
respectées. La veille de son entrée
auPanthéon,le1er
 juin1885,lecer-
cueil est présenté aux Parisiens, à
l’Arc de triomphe. Lequel a rare-
ment porté aussi bien son nom :
pendanttoutelajournéedu31 mai
et toute la nuit du dimanche au
lundi,unemaréehumaineconverge
vers le catafalque. Toutes les ave-
nues qui mènent à l’Etoile sont
noires de monde. Et quasiment
toutes les boutiques de la capi-
tale afchent « Fermé pour deuil
national ». Au moins 1 million de
personnes sont venues saluer le
pèredeGavroche,deCosetteoudes
Ténardier. La France mais aussi
sesvoisins(l’Italiesedéclareégale-
ment en deuil) célèbrent l’écrivain
engagé, la grande fgure de l’intel-
lectuel en politique. « La légende
des siècles » l’accompagne dans
sa dernière demeure : aux grands
hommes,lapatrie reconnaissante.
“L’UnIOn SACRée”
et LA GRAnDe GUeRRe
Moins de trente ans plus tard,
la République va de nouveau se
retrouver sur la même ligne. Une
ligne de front, cette fois.
Le 4  août 1914, Raymond
Poincaré, dans un message aux
assemblées, appelle les Français
à l’« union sacrée ». Le chef de
l’Etat écrit : « Dans la guerre qui
s’engage, la France aura pour elle
le droit, dont les peuples, non plus
que les individus, ne sauraient
impunément méconnaître l’éter-
nelle puissance morale. Elle sera
héroïquement défendue par tous
ses fls, dont rien ne brisera devant
l’ennemi l’union sacrée et qui sont
aujourd’huifraternellementassem-
blés dans une même indignation
contrel’agresseuretdansunemême
foi patriotique. »
Nous sommes au lendemain de
ladéclarationdeguerreallemande
contre Paris. Le terme va entrer
dans l’histoire. Cette foi patrio-
tique va tenir jusqu’aux grèves et
auxmutineriesde1917 ;ellevasou-
dertouteslescouchessocialesdela
population. La dame patronnesse
devient infrmière sur le front ou
marraine de poilus, le châtelain
abrite les hôpitaux de l’arrière,
l’ouvrier partage la vermine des
tranchées avec le fls de famille. Le
mythe des « planqués de l’arrière »
faitlongfeu.Surleplanreligieux,la
guerre va reléguer au second plan
les tensions avec les catholiques,
nées en 1905 lors de la séparation
de l’Eglise et de l’Etat, que Cle-
menceau, pourtant viscéralement
anticlérical, avait commencé dès
1906àdésamorcerlorsdesdrames
survenusdansl’ouestetlecentrede
la France lors des inventaires des
biens de l’Eglise. Rarement dans
son histoire, la République n’a à ce
point soudé le pays autour d’elle
›
“DAnSLAGUeRReqUIS’enGAGe,
LAFRAnCeSeRADéFenDUepAR
tOUS SeS FILS, DOnt RIen
ne bRISeRA L’UnIOn SACRée.”
RAymOnD pOInCARé, Le 4 AOût 1914
LA mORt
De vICtOR HUGO
aura rassemblé
la République, qui lui
offrit des funérailles
nationales.
Avant d’entrer
au panthéon, à paris,
le 1er
juin 1885,
le père de Gavroche,
de Cosette et des
thénardier aura été
salué par 1 million
de personnes.
collectionsirot-angel/leemage
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  • 2.
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  • 4. 4 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 notre opinion Par Joseph Macé-Scaron GUerre Contre DAeCH, où Sont noS ALLiéS ? L eprivilègedesgrands,c’estdevoirlescatastrophes d’une terrasse. » C’est ainsi qu’Ulysse s’adresse à HectordansLaguerredeTroien’aurapaslieu, de Giraudoux. Et la phrase résume parfaitement la diplomatietellequ’onl’aconçue,notammenten France,jusqu’àl’aubeduXXIe  siècle :nonpasun équilibreentrelesintérêtsdivergents,forcément divergents,desnations,maisunerelationd’égalà égalentrelesGrandsdecemondes’accordantau-dessus de la tête de « leurs » peuples. Comme si on rejouait en permanenceladiplomatieduXIXe siècleetlecongrèsde Vienne. Comme si la « grandecoalition » rêvéeparFran- çois Hollande était la poursuite de la Sainte-Alliance. Il n’yarienquegoûtaientplusFrançoisMitterrand,Jacques Chirac ou même Nicolas Sarkozy que cette apparente complicitéentresouverains,touss’accordantàaccréditer la fable qu’au fond rien n’était plus fort qu’une relation privilégiéeentremêmesmembresduclubdesdirigeants planétaires.Lesmédiasontd’ailleursparfaitementmisen musique ces ballets, en pesant au trébuchet les sourires, les gestes afectueux ou les signes d’énervement. Le mot « sommet »devenusynonymedecesrencontresbinatio- nales ou internationales parlait, d’ailleurs, de lui-même. Et puis le tragique s’est à nouveau installé à notre table. Nous avons quitté leurs histoires pourrentrerànouveau dans l’Histoire et, là, les choses se sont singulièrement gâtées puisqu’il faut désormais parler de cette vieille lune que l’on croyait remisée au magasin des curiosités idéologiques : l’idée qu’une nation puisse défendre en grandepartielesintérêtsdesagéographie.Unesituation fort bien expliquée, au passage, par le géographe Robert Kaplan dans son essai la Revanche de la géographie. En diplomatie, il faut oublier le souhaitable et courtiser le possible. Trouver un terrain d’entente entre Paris, Washington, Moscou, Riyad, Ankara, Téhéran, Londres est, reconnaissons-le, plus épineux que de faire une motion de synthèse des différents courants du Parti socialiste. Et c’est pourtant à cette tâche titanesque que s’estatteléleprésidentFrançoisHollande.Reconnaissons que gravir l’Himalaya en tongs est déjà sufsamment difcile,maisceladevientfranchementdangereuxquand voscompagnonsdecordéetirentdansladirectionoppo- sée. Le premier exemple a été donné par la destruction d’un chasseur russe par l’aviation turque. Il est vrai qu’il n’y a pas une semaine où ce pays membre de l’Otan ne fasse preuve d’une duplicité portée au rang d’orfèvrerie politique par l’enturbanné président Erdogan, l’homme qui bombarde les Kurdes, la seule force militaire qui rencontre de véritables succès face aux fanatiques de Daech. L’homme aussi qui laisse passer – et qui vrai- semblablement achète – le pétrole produit par l’Etat islamique. L’homme qui fait des 2 millions de réfugiés présents sur son territoire une monnaie d’échange et un moyendepressionsurl’Unioneuropéenne.L’hommequi laisse les migrants envahir les côtes des îles grecques pour pouvoir par la suite proposer que celles-ci soient sous la tutelle de la marine turque… Partir à la guerre avec l’Arabie saoudite ? S’appuyer sur la matrice de l’islamisme qui a donné naissance à Al-Qaida, qui a enfanté Daech et qui demain engendrera unautremonstredopéauCaptagonidéologico-politique ? Très peu pour nous. Une seule chose importe à Riyad et sa famille royale prisonnière de son ordre de succession absurdeetduwahhabismequiluicolleàlapeaucomme une tunique de Nessus : sa lutte obsessionnelle contre l’Iran, le rival chiite, et sa campagne sanglante au Yémen menéesparsesséidessoudanaissansquecelan’émeuve outre mesure la communauté internationale, qui ne renoncerait pour rien au monde à ses contrats léonins avecl’Arabiesaoudite.DernièrementdanslaPravda,des experts russes, évoquant la guerre contre Daech mais aussi l’attentat récent dans le Sinaï, n’ont pas craint de souligner que, si l’on remontait la flière terroriste, on parvenait aisément et rapidement à Riyad et au Qatar. Ces remarques attestent de l’absence d’un diagnostic partagé sur l’ennemi principal dans ce confit. Et Obama ? Ce président qui devait réveiller l’esprit américain et ressusciter sa ferveur démocratique semble en être ces derniers temps le fossoyeur. Voilà une per- sonne qu’à ses débuts nos chers éditorialistes nous présentaient comme l’héritier de Roosevelt et qui fnit comme l’enfant de Jimmy Carter. Inutile de sonder les reins et les cœurs de l’hyperpuissance américaine pour savoir ce qui a en défnitive le plus pesé de la lassitude d’un pays fatigué, repu d’ingérence, de la certitude ras- surante de l’indépendance énergétique (qui refait du Moyen-Orient une scène accessoire pour Washington), inutiledesonderaussilapartdedésinvoltured’undandy présidentiel, trop plein de lui-même pour avoir le souci dumonde.Restel’évidence :l’Amérique,aujourd’hui,est autiste. Reste alors l’Europe qui, si elle a l’audace de se ressaisir et d’arracher son destin aux nains de Bruxelles et de ne pas limiter son projet aux vaticinations de sa Banque centrale, pourrait enfin rejouer son rôle historique. Le premier. Le seul. n encouverture:christianbellavia/divergence-frédéricdugit/maxppp-patrickallard-lydielecarpentier/sipa
  • 5.
  • 6. 6 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 sommaire N0 972 Du 27 novembre au 3 décembre 2015 16 évéNemeNt l’uNioNsacréedoit-elleNous iNterdiredeposerlaquestioN: lafauteàqui?lafauteàquoi? Par Jean-François Kahn Notre sondage exclusif le révèle : trois Français sur quatre la plébiscitent, les politiques la refusent. Avec les analyses de Ghaleb Bencheikh, Jacques Julliard, Catherine Kintzler, Dominique Schnapper, Benjamin Stora, Hubert Védrine… 4 Notre opiNioN Guerre contre Daech, où sont nos alliés ? Par Joseph Macé-Scaron 8 L’éditoriaL de Jacques Julliard La parole libérée. 12 L’aNaLyse d’Eric Conan Mais où est passé “Ça-n’a-rien-à-voir-avec-l’islam ?” 14 le vif du sujet les graNds requiNs de l’évasioN fiscale Par Hervé Nathan 32 mieux vaut eN rire ! ça m’éNerve ! Par Jack Dion 36 fraNce cop21, les 10 questioNs qui fâcheNt Les 143 chefs d’Etat et de gouvernement invités à la conférence sur le climat devront préparer le monde de demain. Ça va être compliqué. Par Aline Richard Zivohlava 48 vie et mort d’uN petit voyou deveNu tueur de masse Abdelhamid Abaaoud, “superviseur” des attentats de Paris, avait réussi à échapper à toutes les polices. Par Frédéric Ploquin 52 moNde sergueï lavrov, le metterNich de poutiNe Le ministre russe des Affaires étrangères joue un rôle de premier plan dans une géopolitique bouleversée par l’Etat islamique. Par Anne Dastakian 58 le jourNal des lecteurs Vivre ensemble dans l’espace public. 62 magaziNe du rififi chez lucy et cie Après la découverte d’Homo naledi, la communauté des paléoanthropologues s’écharpe… Cette nouvelle espèce du genre humain ne serait-elle qu’un australopithèque de plus ? Par Perrine Cherchève 68 idées À dire Vrai Le complexe d’Archimède. Par Laurent Nunez le débat alaiN miNc-Natacha poloNy “Ne pas rougir de la fraNce” Alain Minc et Natacha Polony ont croisé le fer pour “Marianne”. Propos recueillis par Alexis Lacroix 74 culture que serioNs-Nous saNs la culture ? Le dernier rapport de la Sacem révéle que l’activité culturelle pèse dans notre pays plus lourd que la production automobile. Par Thomas Rabino 78 et fleur pelleriN, peNdaNt ce temps ? Le projet de loi de la ministre de la Culture est la réponse un peu tardive aux assassinats de janvier dernier. Par Myriam Perfetti 84 quelle époque ! marketiNg de la particule Le signifant aristo continue de faire rêver, et surtout vendre. Par Julie Rambal 90 saveurs d’eN fraNce Le beaujolais nouveau est libéré. ParPéricoLégasse 94 oN passe à table Paris la vie, Paris la France. Douceurs de la vie parisienne. ParPéricoLégasse 96 oN joue Par Benjamin Hannuna 98 Ça Va MieUX eN Le disaNt L’élection sacrifée. Par Guy Konopnicki N0 972 - Du 27 novembre au 3 décembre 2015 Marianne. 28, rue Broca, 75005 Paris Tél.:0153722900 Fax:0153722972 direcTeur général eT direcTeur de la publicaTion : Frédérick Cassegrain. iMpriMerie : Maury S.A. Malesherbes (45). ISSN : 2425-4088 / No CPPAP 1017 C 89227 Printed in France / Imprimé en France. publiciTé PM & Co Régie publicitaire – 6 ter, rue Rouget-de-Lisle, 92400 Courbevoie (01 49 97 07 06), fax : 01 49 97 05 90. direcTriceS aSSociéeS : Pascale Bieder-Singer, Maud Cohen Solal. direcTrice régie pM&co : Pascale Bieder-Singer (29 81). direcTriceS de clienTèle : Aurélie Larvol (29 82). cheF de publiciTé : Sarah Mettoudi (2982). aSSiSTanTe coMMerciale eT exécuTion: Aline Aoutcheme (29 80). a.aoutcheme@journal-marianne.com. fax : 01 53 72 29 88. Ce numéro comporte un encart « abonnement » broché (ventes), ainsi qu’un encart promotionnel pour “Marianne” (sélection d’abonnés France métropolitaine). christianbeallavia/divergence Pour nous contacter. 01.55.56.70.93 abonnements@journal-marianne.com MARIANNE - 4 rue de Mouchy - 60438 NOAILLES CEDEX service abonnements tarifs aboNNeMeNts France métropolitaine - Particuliers - 1 an (52 nos ) 120 € - Etudiants (sur justificatif) - 1 an (52 nos ) 89 € autres pays: nous consulter.
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  • 8. 8 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 C ommeletempsvavitedèsqu’ilsepassequelque chose ! Rappelez-vous : il y a moins de trois semaines,cen’estpaslesdjihadistesquel’on traquaitàParis,maislesintellectuelsdéviants. Houellebecq,Zemmour,Finkielkraut,Onfray– avanteux,TaguiefetmêmeGauchet–étaient accusésd’êtreréacs,islamophobes,et,bien entendu,defairelelitduFrontnational.Dans lapresse« bien-pensante »,leMonde,Libé,l’Obs,lachasse à l’homme avait pris une telle ampleur que, lors d’un meeting qui fit couler beaucoup d’encre, Marianne avait posé la question : « Peut-on encore débattre en France ? » Et, comme pour se rassurer, les mêmes publiaient des listes, falotes et ridicules, de « vrais » intellectuels de gauche. Il y avait alors des mots interdits, comme « islamisme, islamisation, identité, civilisation » ;d’autressuspects, telsque« laïcité,peuple,France » ;desadjectifsincon- tournables,telsque« nauséabond »pourdirefasciste ; desslogansobligés,comme« Pasd’amalgame » !Tous les jours, la gendarmerie de l’esprit étendait ses listes de proscription, qui touchaient tant les écrivains que leur vocabulaire. Où l’on vérifa que de petits esprits pouvaientenuntournemaindevenirdegrandsinqui- siteurs. Pour ma part, je ne conserverai pas de cette période le souvenir d’un grand moment de la pensée française.Leseulvraipouvoirdelabien-pensanceétait un pouvoir d’inhibition : elle s’était acquis le droit de dire le halal et le haram, c’est-à-dire le licite et l’illicite, autrement dit le bien et le mal. Du coup, un couvercle sacrépesaitsurtouteslesquestionslitigieuses,même celle dont l’évidence s’imposait. L’événementafaitexplosercetteorthodoxiedelapen- sée et du langage, a libéré la parole et a posé au grand jour des questions qu’il était déjà jugé « courageux » de murmurer en douce. 1 La première question, la plus importante, concerne les rapports de l’islam et de l’islamisme. Et même, plusprécisément,desmusulmansaveclesislamistes. Jusqu’ici,contretoutbonsens,lavulgateofciellepréten- daitquelesdeuxchosesn’avaient« rienàvoir ».Qu’une telle ineptie, sortie tout droit du ministère de la Vérité dans un roman d’Orwell, ait pu régner tranquillement dansunedémocratielibéraleenditlongsurlapuissance delapersuasion,quispéculesurl’espècedepétrifcation socialeprovoquéeparl’énormitédelapropositionpour lafaireacceptersansmurmure.Ilcouledesourceenefet que,sitouslesmusulmansnesontpasislamistes,tous les islamistes sont bel et bien musulmans. Et encore, que si tous les fondamentalistes musulmans ne sont pas terroristes, tous les terroristes musulmans sont LA PAROLE LIBÉRÉE L’ÉdItORIAL dE jAcquEs juLLIARd fondamentalistes. Qu’en conclure ? Non pas qu’il faille jeterlasuspicionsurlegrandnombrequiestsain,sous prétexte qu’il renferme en lui le petit nombre qui est gangrené, mais, au contraire, tout faire pour dissocier legrandnombredupetit.Laguerredanslaquellenous entronsestàbiendeségards,commecefutlecaspour leconfitalgérien,uneguerrecivile,avecpourenjeuune populationaucontactdesdeuxbelligérants.Larègled’or d’unetelleguerrepeuts’énoncerainsi :ilfautcombattre leterrorismecommes’iln’yavaitpasdemusulmansen France ; il faut vivre avec les musulmans comme s’il n’y avaitpasdeterrorisme. Cette réintroduction de la masse musulmane dans l’ensemble national s’était révélée impossible, aussi longtemps que le terrorisme islamiste, comme en janvier, ciblait ses victimes : les juifs, les journalistes critiques. Les tueries aveugles du 13 novembre ont opéré cette mutation : les musulmans sont des cibles commelesautres ;nouslesvoyonschaquejourentirer les conséquences et proclamer leur horreur de ces abominablescoreligionnaires.Il y a bel et bien, comme en temps de guerre, un impératif d’union sacrée,quinedoitlaisserdecôté aucunefractiondelapopulation. 2 Si cette lutte est bien une guerre, comme le proclame désormais à l’envi la quasi- totalité de la classe politique et de la classe médiatique, il faut, pour la gagner, en tirer les conséquences. Et d’abord em- pêcher l’ennemi de développer tranquillement sa propagande sur le territoire national. Les imams intégristes qui prêchent la haine et en fligrane le djihad doivent être empêchés de nuire et, chaque fois que la chose est possible, expulsés. Sinoussommesbeletbienen guerre,iln’estpaspossibledelaisserdesressortissants français aller tranquillement s’entraîner au djihad en Syrie et en Irak, et de les accueillir à leur retour pour leurpermettred’appliquericiànotreencontrelesavoir terroristequ’ilsontacquislà-bas.Entempsdeguerre, cela s’appelle intelligence avec l’ennemi. Des traîtres à la nation doivent être traités comme des traîtres et noncommeunepoignéedeloupssolitaires,depaumés et de désaxés relevant de la psychiatrie, ainsi qu’on a essayé de nous le faire accroire après Charlie. Combattons le terrorisme Comme s’il n’y avait pas de musulmans en FranCe et vivons aveC les musulmans Comme s’il n’y avait pas de terrorisme. ›
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  • 10. 10 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 contre l’Etat islamique est bel et bien une lutte pour la civilisation contre la barbarie. 4 Il n’y a donc plus de honte à être nous-mêmes, et à nous défendre contre qui prétend nous imposer sa loi.Cequiesttombé,avecles130 victimesdesidesde novembre,c’estcetétrange« respecthumain »quinous imposait une distance permanente à l’égard de nous- mêmes,fondésurunobscursentimentdeculpabilité.On negagnepasuncombatsil’onestpersuadéquec’estl’en- nemiquiaraison.VoyezlesFrançaisdepuisdimanche, toutesopinionsconfondues :s’ilsbrandissentànouveau les symboles de leur être-ensemble, drapeau, hymne national, c’est que la haine dont ilssontl’objetetlesvictimesqu’ils pleurentleurontredonnél’envie d’êtreeux-mêmessansmauvaise conscience.Ilnes’agitnullement, commecommencentdéjààlesug- gérerleséternelsbourreauxd’eux- mêmes, les « malaisés » comme on dit dans mon village, d’une afrmationmorbideetagressive de leur identité, mais tout sim- plementd’unsentimentdeferté retrouvée. Et puisque le monde entier, à l’exception des Corses de Bastia, chante aujourd’hui la Marseillaise,ilspensentqu’ilsont bien le droit de se défendre contre « ces féroces soldats, quiviennentjusquedans[leurs]bras,égorger[leurs]fls, [leurs]compagnes ». C’est pourquoi, à Marianne, nous défendrons plus que jamais ces deux piliers de l’identité nationale et de la paix civique que sont la laïcité et l’école républicaine. Comment, après ce qu’il vient de se passer, faire la moindre concession au communautarisme, symbole d’un « Pearl Harbor à la française » (Pascal Bruckner) et d’un véritable Munich de l’esprit ? Peut-être com- prend-onmieuxaujourd’huipourquoinousfaisonsde l’école républicaine,celle que l’on aescamotéedepuis un demi-siècle, le boulevard principal de la résistance à la guerre civile qui nous guette. Bienentendu,ladéfensedesvaleursdelaRépublique doitsefairedanslerespectdecesvaleurs.Cen’estpas parcequecertainss’apprêtentàfaired’unecrispation pointilleusesurleslibertésindividuelleslalignederepli de leur défaite intellectuelle qu’il en faudra démordre. Nous défendons la liberté avec les armes de la liberté. Certes,touteslesguerresrévolutionnairesounationales, de 1792à 1914,sesontaccompagnéesd’unerestriction provisoiredecellesdeslibertésquinuisaientàlasécu- ritéetaucombat.Maisleslibertésfrançaisessontdans de bonnes mains, celles d’un peuple dont on ne peut aujourd’huiqu’admirerlesang-froid.Commevientde lesoulignerRobertBadinter,nousvivonsdansunpays libre et qui entend bien le rester. n 3 Laquestionquisurgitalorsestcelledelalégitimitéde cetteguerre.Sielleaétémenéejusqu’iciavecautant de maladresse et si peu d’énergie à l’échelle euro- péenne,c’estquelesEuropéensetlesFrançaisdoutaient deleurbondroit.Laculpabilisationenverssoi-mêmeet la culture de l’excuse envers l’ennemi reposent sur une séried’argumentsindéfnimentressassés. • Si les terroristes étaient effectivement des paumés, la responsabilité en incomberait alors au milieu qui n’a pas su les accueillir et donner du sens à leur existence. C’estensommel’argumentbanlieue,dontlaconclusion estquel’exclusion,laghettoïsationetleracismesontla causevéritableduphénomène,laradicalisationreligieuse n’étantqu’unépiphénomène.Cetargumentaireécono- miste, sous-produit appauvri du marxisme de jadis, ne tientplusdèslorsquelesdjihadistesnesontpasdespau- més,maislessoldatsvolontairesetconvaincusjusqu’au sacrifce de leur vie d’une idéologie à base religieuse, visantniplusnimoinsqu’àladominationdumonde. • Le terrorisme en Europe ne serait que le contrecoup différé du colonialisme de jadis. Cette culpabilisation rétrocoloniale ignore gravement le discours de l’Etat islamiquelui-même.Endehorsdelaréférencerituelle aux « croisés » (les touristes russes de l’avion abattu dans le Sinaï : des « croisés » !), l’essentiel de la haine desfondamentalistesneportepassurlepassécolonial, mais sur le présent hédoniste de l’Occident. Ce n’est pasauxsymbolesdelacolonisation,maisàceuxdela prétenduedépravationoccidentalequ’ons’attaque :le sport,lamusique,l’alcool,leféminisme,lajoiedevivre. Ce ne sont pas les mânes de Jules Ferry ou de Robert Lacoste qui sont visés, c’est nous-mêmes, dans notre façon de vivre et de penser. • Le dernier argument est celui de l’égalité des civili- sations. Dans un stupéfant entretien repris par l’Etat islamique lui-même (le Point, du 19 novembre 2015), Michel Onfray invoque contre l’Occident le « mode de vie islamique » et le droit pour ces pays « à se détermi- ner comme ils le souhaitent et selon leurs raisons ». Et de proposer une « trêve […] entre l’Etat islamique et la Francepourquesonarméedormantesurnotreterritoire pose les armes ». Ô Lévi-Strauss ! Que de sottises on a déjà débitées entonnom !Poserousupposeruneégalitéaxiologique entre l’Occident et le monde islamique explicitement représentéparDaech,c’estjouerdelaconfusionentre lescivilisationsaupluriel,dontaucunenesaurait,selon le grand ethnologue, se prévaloir d’une supériorité morale sur les autres, et la civilisation au singulier, c’est-à-dire le mode de vie et de pensée qui s’opposent à la barbarie. Pour le moment, je n’ai encore jamais entendudirequelesAlliésauraienteutortdecombattre Hitlersousprétextequ’ilauraitétélereprésentantd’une hypothétique « civilisation hitlérienne » ! Non, l’Etat islamiquen’estpasl’islam,ilnepeutêtretenucomme représentatif de la civilisation musulmane. Pour ma part, et quels que soient les fautes et les crimes de l’Occident, d’hier à aujourd’hui, la lutte NoN, l’état islamique Ne peut être teNu comme représeNtatif de la civilisatioN musulmaNe. L’éditoriaL de jacques juLLiard
  • 11. Je fais un don de € au profit exclusif de “Marianne” Et je libelle mon chèque à l’ordre de : Presse et pluralisme/opération “Marianne” Je précise mes coordonnées afin que Presse et pluralisme puisse émettre le reçu fiscal qui me permettra de bénéficier de la réduction d’impôt l’année suivant mon versement. Nom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CP Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tél. Courriel : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Coupon à compléter et à retourner accompagné de votre chèque exclusivement à : Presse et pluralisme, TSA 32649, 91764 Palaiseau Cedex Souteneznotreliberté ! ✂ Comme vous le savez, “Marianne” n’est rattaché à aucun groupe industriel, à aucun lobby particulier, qu’il soit financier ou politique. Notre indépendance financière est la seule garante de notre indépendance éditoriale. Même si nous résistons bien à la crise et restons le premier hebdomadaire d’actualité politique vendu en kiosques, nous devons bouger, investir, nous développer, afin de vous offrir un journal toujours plus engagé dans le combat laïc, républicain et démocratique. Et ce combat est plus que jamais d’actualité ! Une association, Presse et pluralisme, a été créée pour permettre aux lecteurs de devenir des partenaires du développement du journal qu’ils voudraient soutenir. Ils peuvent donc effectuer des dons en faveur de “Marianne”, et bénéficier ainsi d’une réduction d’impôt égale à 66 % du montant versé, dans la limite de 20 % du revenu imposable. • Libellez votre versement à Presse et pluralisme/opération “Marianne”. • Remplissez le coupon ci-dessous (ou une photocopie). • Envoyez-le à : Presse et pluralisme, TSA 32649 91764 Palaiseau Cedex. • Ne pas écrire directement à “Marianne”, nous serions contraints de réexpédier votre coupon à Presse et pluralisme, afin qu’il soit enregistré. • Votre reçu fiscal vous sera envoyé au moment de la déclaration d’impôt sur le revenu. Si vouS Souhaitez aider “Marianne”, et qu’il Soit pluS encore votre journal, voici coMMent faire: www.marianne.netNo 876 Du 31 janvier au 6 février 2014 sortirde l’euro? ledebatinterdit L 12811 - 876 - F: 3,00 € enquête lesmystèresde l’intelligence écotaxe : aujourd’hui les camions, demain vos voitures ! • Pourquoi les politiques ont peur d’en parler • serait-ce l’apocalypse économique ? • la vie sans l’euro, mode d’emploi... • “un veau d’or français” par Emmanuel Todd DOM : 3.40 e - BEL, PORT CONT, ITA, ESP, LUX, AND = 3.60 e - GR, NL = 3.95 e - MAY, SPM = 4.60e - CAN = 6.50 $CAN - D = 5 e - A = 5 e - MAR = 27 MAD - TUN = 3.50 TDN - CH = 5.50 FS - TAHITI = 700 XPF - NCAL = 650 XPF www.marianne.net DOM : 4 e - BEL, PORT CONT, ITA, ESP, LUX, AND = 3.60 e - GR, NL = 3.95 e - MAY = 4.60e - SPM, D, A = 5e- CAN = 6.50 $CAN - MAR = 30 MAD - TUN = 4,40 TDN - CH = 5.50 FS - TAHITI = 700 XPF - NCAL = 650 XPF No 925 Du 9 au 15 janvier 2015 L 12811 - 925 - F: 3,00 € CONTINUONS LECOMBAT! l’hebdoindépendant ou faites un don sur : www.donspep.caissedesdepots.fr/?journal=Mari
  • 12. 12 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 I ls ne savent plus très bien com- ment en parler. Même si certains se cachent encore derrière leurs épais petits doigts en répétant « Daech ! », « Daech ! », « Daech ! ». Ce mot- valisearabedanslequelestcamoufé celuid’« Etatislamique ».Surtoutne pas traduire. Ne pas entendre « isla- mique ».Ilsl’onttellementrépété :« Çan’a rienàvoiravecl’islam. »Celacréedeshabi- tudes.Maisilsn’ycroientplus.Ilssemettent àfairelachasseauximamssalafstes !Ces représentantsd’unislamqualiféde« rigo- riste » ou « traditionaliste », invités encore hier dans leurs mairies ou leursjournaux.Lesvoilàaujourd’hui amalgamésaveclestueursdel’Etat islamique. Et François Hollande n’invoqueplustelleunecatastrophe naturelle la « menace terroriste » : même si « prononcer le mot islam écorche la bouche du président », comme l’a dit Marcel Gauchet, il a nommé pour la première fois le « djihadisme ».Lequel« relèved’une pathologiepropreàl’islam »,explique de son côté le Monde qu’un « devoir de vérité » a contraint à révéler à ses lecteurs que la France est impliquée dans « une guerre entre musulmans ». Il aura donc fallu beaucoup de sang et de larmes pour admettre ce que disaient les bons connaisseurs. Il n’y a pas un islam. Il y en a beaucoup. Ils se font depuis long- tempslaguerre.Lanouveauté,c’estqu’elle semondialise.Aprèsdeuxsièclesdedomi- nationcoloniale,sansleadershipdepuisla fn du califat en 1924, le monde islamique se déchire à nouveau entre partisans de la modernité(versionturqueoutunisienne), d’unconservatismeavachi(Arabiesaoudite) oud’unretourauxpremierssièclesdel’ex- pansion fulgurante de l’islam par le glaive etlesconversionsforcées.L’Etatislamique appartient bien à cette branche réaction- naire et l’Arabie saoudite ne doutait pas que ses « combattants et martyrs » fussent de bons musulmans quand elle soutenait leurluttecontrel’hérésiechiite. Pourtant, le vocabulaire était déjà là. La police surveille « l’islam radical ». L’islam des racines. Et tout le monde préfère « l’islam modéré ». Il faut donc le modérer ? Oui, le « moderniser », dit Julien Dray, qui appelle aujourd’hui les musulmansdeFranceàun« débatthéolo- gique ». Cela fait longtemps que des voix musulmanesleproposent.Danslesillage du regretté Abdelwahab Meddeb - qui expliquaitque« l’islamismeestlamaladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte » –, Ghaleb Bencheikh, Abdennour Bidar ou Kamel Daoud ont soulevé le problème des contenus problématiques du Coran servant de justifcations aux djihadistes. Avant les attentats de jan- vier dernier, Bidar écrivait dans sa Lettre ouverte au peuple musulman, publiée par Marianne, que l’Etat islamique était un « monstre » né d’un islam « écartelé entre passé et présent » qu’il suppliait de se guérir par « l’autocritique ». Ces voix courageusesidentifaientles« racinesdu mal » : « le refus du droit à la liberté vis- à-vis de la religion », « l’afrmation de la supérioritédel’islam »,« l’antisémitisme ». Et réclamaient l’abandon des versets du Coran violemment hostiles aux gens du Livre (juifs et chrétiens), « incompatibles avec les droits de l’homme », pour créer un « islam complètement refondé selon les valeurs de notre terre d’Europe : la liberté de conscience, l’égalité des sexes, la tolérance ». Ces appels à la réforme ont suscité plus de gêne que d’encouragement. Tantchezles représentantsdel’Etatquin’ontjamaisosé imposerlalibertédeconscienceauConseil français du culte musulman que chez les imamslesplussympathiquesetlesmieux intentionnés qui connaissent la difculté. CommeceluideBordeaux,TareqOubrou, qui, avec sa franchise, ne répond plus de rien.Nidesinstitutionsmusulmanes :« Elle sont dépassées, elles n’ont aucune infuence sur les jeunes. » Ni du Coran : « C’est un texte anarchique », « il a besoin d’une doc- trine herméneutique a priori pour être approché. Manipuler la religion, c’est comme manipuler un explosif ». Oubrou,quisaitqu’ilyenad’autres, dit « représenter les musulmans qui veulent vivre tranquillement ». Tous ceux qui ont fait ce « travail en pro- fondeur quant à leur théologie de l’altérité » qu’il réclame et préfèrent vivre en paix avec les autres. Tous ceux qui veulent oublier les racines guerrières. Qui sont fatigués de ce complexe de supériorité désespéré. Quisontplusintéressésquedégoûtés par ce que leur ofre l’Europe. Mais onnelesentendpas.Parcequ’euxaussiont peur.Del’amalgameaveclesterroristesde l’Etatislamiquequilesprennentenotage. Maisaussidel’Etatislamiquequilesamal- game avec les « mécréants ». Le contrôle de l’islam européen menacé de réforme, enparticulierdanslaFrancelaïque,estun enjeu islamiste. Pour sortir de ce malheur musulman, pour chasser les amalgames mortifères,ilfautlesaideràdeveniracteurs d’unamalgamepositifentrepartisansd’un islam réformé et défenseurs des droits de l’homme.Etd’abordenfniraveccettecage néocoloniale appelée « la communauté musulmane »enfavorisantladiscussionet ladivisionentremusulmans.Ladémocratie permetdes’opposersanssetuer.Quecha- cunpuissechoisir,parfoisdansladouleur, maislibrementetsansinquiétude.Lesaider, celaveutdirecesserdefatteretdecourtiser lesislamistesquilesintimidentetappliquer fermementlesloisquilesenprotègent. n l’analyse d’Eric Conan franckcrusiaux/réa Mais où est passé “Ça-n’a- rien-à-voir-avec-l’islam” ?
  • 13. ©Jean-MariePérier Alain Souchon nstalgie j’ai toujou s io ans DeBonneville-Orlandini Les plus grandes chansons
  • 14. U n poète condamné à mort, c’est la routine en Arabie saoudite. Le der- nier s’appelle Ashraf Fayadh, 35 ans. Palestinien,ilestnédansunefamille exiléeenArabieilyaundemi-siècle. Letribunalislamiquel’acondamnéàlapeine capitale pour « insultes à l’islam et propa- gationdel’athéisme ».Lapremièrecondam- nation, en mai 2014, le vouait à 800 coups de fouet et quatre ans de prison. Mais cela ne suft pas dans cet aimable royaume, par ailleurs notre allié et client éminent. C’estunrecueildepoèmespubliéen2008 parAshrafquiconstitueofciellementledélit. Il y a aussi un fatras de « fautes » dénoncées par la sinistre milice de « propagation de la vertuetdepréventionduvice ».Cessbiresse vengent d’Ashraf, qui aurait posté une vidéo montrantunefagellationenpublic.Lejeune homme, détenu depuis deux ans à la prison d’Abha, une ville du sud-ouest de l’Arabie où vivent de nombreux artistes, écrit, peint. Il a mêmeparticipéàlabiennaledeDjeddaavec l’appuidecertainsofciels,commelerelèvele quotidien britannique Te Guardian. Une pétition pour que sa vie soit sauve a été signée par une centaine d’écrivains et de militants des droits civiques du monde arabe. Parmi eux, la Koweïtienne Mona Kareem, estime que c’est aussi son origine palestinienne qui désigne comme cible le jeunepoète.Onespèrequ’enFrancelesamis de la Palestine se mobiliseront pour Ashraf Fayadh, menacé de décapitation par le pou- voir wahhabite, avec autant d’énergie qu’en d’autres circonstances. n MARTINE GOZLAN ArAbie sAoUdite : lA mort poUr Un poète Athée l a SNCF a osé. Elle a osé faire appel de sa condam- nationpourdiscrimination aux prud’hommes envers les chibanis (« cheveux blancs » en arabe), ces centaines de Marocainsembauchéscomme salariés au rabais dans les années 70. Après des années de procédure, ces derniers avaientétéreconnusvictimes d’untraitementspécialquiles avait lésés dans leur carrière, leursdroitsetleurretraite.En efet, au nom d’une loi inter- disant d’accorder le statut de cheminot à des ressortis- santsdepaysnon-membresde l’Unioneuropéenne,leschiba- nis avaient été engagés avec un CDI de droit privé, moins avantageux. Ils avaient perdu sur tous les plans, y compris celui de la dignité, recouvrée grâce aux prud’hommes, qui ont condamné la SNCF à leur verser 170 millions d’euros. Par sa décision, le service public rajoute le déshonneur àl’injustice.n JACK DION 14 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 le vif dU sUjet ÜCrime suprême elle a osé le faire L’encombrant oligarque duprince deMonaco L e prince Albert II de Monaco est un fervent défenseur de l’environnement. Pour preuve : l’amateur de bobsleigh et de sports en tout genre en a fait la mission principale de la fondation qui porte son nom. Son Altesse sera donc présente à Paris pour la COP21, le sommet mondial sur le climat. Mais là où le bât blesse, c’est que sa principauté accueille depuis 2011 l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev, dont la fortune est estimée à 8,5 milliards de dollars, et qui fut l’un des plus gros pollueurs de Russie, quand il était propriétaire d’Uralkali, groupe géant spécialisé dans l’extraction de potassium, un ingrédient clé pour les engrais chimiques. Une des catastrophes environnementales les plus graves de l’histoire russe a eu lieu en 2006 dans les mines de Berezniki, siège d’Uralkali, ville située dans l’Oural. Une inondation a provoqué des émanations toxiques, et la formation d’un immense trou dans le sol. L’histoire ne dit pas si le prince Albert a évoqué le sujet dans les tribunes du stade de football de l’AS Monaco, dont le propriétaire n’est autre que… Rybolovlev. n MARC ENDEWELD éCologiquement vôtre La SNCF s’acharne sur les chibanis brunobébert instagram dmitri rybolovlev, président de l’AS Monaco. AshrAf fAyAdh, 35 ans, détenu depuis deux ans, est menacé de décapitation pour un recueil de poèmes publié en 2008.
  • 15. Inégalités à tous les étages L e Conseil constitutionnel a censuré la hausse des prélèvements sociaux sur les retraites chapeau, invoquant les effets de seuil. Les sages font un pas de plus dans un domaine qui relève du choix politique, et toujours dans le sens de la préservation des hauts revenus. De leur côté, les sénateurs tentent de sauver le parachute doré. Le scandale du pactole (14 millions d’euros) encaissé par Michel Combes, ex-PDG d’Alcatel Lucent, avait conduit le gouvernement à renforcer la fscalité pesant sur ces aimables gâteries. Le projet abaissait le seuil d’assujettissement aux cotisations sociales à 193 000 €, contre 380 000 € actuellement pour les indemnités de rupture. La majorité de droite au Palais du Luxembourg a fait sauter cette avancée, qui visait surtout les cadres moyens. La loi Macron, elle, l’a choyée question actions gratuites : elle a tout divisé par deux les prélèvements. Parachutes dorés sur tranche, golden hello, actions gratuites, sans compter les frais de bouche, le conseiller fscaliste et le logement : autant d’éléments de rémunération dont le développement a contribué à l’incroyable montée des inégalités salariales. Les 0,01 % les mieux payés ont multiplié par trois leur part du gâteau des revenus, tandis que les classes moyennes sombraient dans la stagnation. Dommage que le Conseil constitutionnel dédaigne ces effets de seuil, et qu’il aille jusqu’à censurer la fscalité quand elle fait mine de les compenser. n EMMANUEL LÉVY Ü Eurêka ! I à l Lp re le fo d p le d c d L (1 p d c re s L d c 19 a in m d c s L q e le d h c le lo d d à d 0 m d ta m la le d e la m EM I l y a les petits délinquants fscaux, qui ontdroit aux foudres de leur inspecteur des impôts. Et il y a les grands requins de l’évasion fiscale (notez la nuance, elle est importante !), qui reçoivent les félicitations des marchés boursiers. Dans la seconde catégorie se trouve assurément Ian Read, PDG de Pfzer, un groupe américain géantdelapharmacie.Cehéros de la « création de valeur pour l’actionnaire » va fusionner sa frme avec l’irlandais Allergan, formant un mastodonte de 150 milliards d’euros. Pour quoi faire ? Pas pour davantage derecherche,davan- tage d’emplois, davantage de gains pour la société. Non : pour payer moins d’impôts ! Car Pfizer, en épousant Allergan, va lui emprunter sa nationalité et déménager son siège du côté de Dublin. Grâce à ce strata- gème, Pfzer-Allergan ne sera plus imposé au taux efectif de 28 %, mais à 18 %, au titre de l’impôt sur les sociétés… Soit une écono- mie d’impôt de près de 1 milliard, qui fera le bonheur des dirigeants et des actionnaires. On comprend la fureur des responsables américains,BarackObamaetHillaryClinton en tête, à l’idée de voir s’évaporer des béné- fces qui doivent beaucoup aux systèmes de protection sociale des Américains. Mais on s’étonne aussi du silence des autorités européennes. On croyait pourtant la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, ancien fraudeur en chef du Luxembourg aujourd’hui converti à la vertu fiscale, en plein bataille contre « l’optimisation », qui permet aux firmes multinationales de jouer au Monopoly entre les diférentes législations des Etats de l’UE. Plutôt que de demeurer specta- trice, la Commission devrait s’opposer au « deal du siècle », ne serait-ce que pour des rai- sons de concurrence, sinon il n’y aura ensuite aucune raison d’empêcher la réalisation d’un scénario similaire de ce côté de l’Atlantique. Imaginons que le français Sanof lance une opération sur un concurrent irlandais… Ou, mais cela est déjà évoqué sérieusement, qu’une fusion Renault-Nissan aboutisse à créer un groupe mondial… néerlandais ! Enfn, la Commission européenne négo- cie en ce moment même un nouveau traité de libre-échange transatlantique (Tafta), avec l’ambition de boucler le dossier d’ici à la fn de l’année prochaine. Il est plus que temps d’inscrire à l’agenda des pourparlers l’insertion dans ce texte déjà contesté, pour demultiplesraisons,d’unarticleantidumping fscal et social. Sauf à faire la démonstration que le Tafta n’a comme unique but que de « créer de la valeur pour les actionnaires », des deux côtés de l’Océan. n legéant pfizer-allergan neseraplus imposéqu’à18%. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 15 marklennihan/apphoto Les grands requIns de L’évasIon fIscaLe Par Hervé NatHaN cE quE “MariannE” En pEnsE l’amérIcaIn PfIzer en fusionnant avec l’irlandais allergan va donner naissance à un mastodonte de 150 milliards d’euros. et déménager à Dublin. pour payer moins d’impôts.
  • 16. événementpolitique Oui, elle est nécessaire. Mais elle ne doit pas interdire le débat. Réponse à ces élites qui n’en veulent pas. Il faut réformer, régénérer, libérer le pays au-delà des vieux clivages. pol l’union nationale, chiche!
  • 17. F airebloc.Serrerlesrangs. L’auteur de ces lignes se souvient trop de l’iro- nie que suscitèrent, en d’autres temps, ses invi- tations à s’émanciper d’unebipolaritédeplomb, à subvertir ces clivages incontournablesquoiqueobsolètes qui nous conduisent à concevoir le débat démocratique comme une formedeguerrecivilefroide,pourne pas se réjouir, aujourd’hui, de cette aspiration à une manière d’« union nationale » face à la terreur (lire le sondage de Marianne, p. 20). Acetteinterrogationprès,cepen- dant : est-ce à dire qu’il convient de renoncer à tout droit d’inventaire ? Jusqu’à s’interdire de poser cette questionàceuxquinousgouvernent, qui nous ont gouvernés, aux déci- deurs, aux politiques, aux intellec- tuels,ànous-mêmes ?Lafauteàqui ? La faute à quoi ? Est-ce à dire qu’il faut faire, puisqu’onnousyencourageenhaut lieu, comme si le mal nous tombait duciel,réalisationd’unecruellepré- destination,conséquencedupéché originel ? Est-ceàdirequ’ilseraitindécent, incorrect,deseremettreenmémoire leserreursmonumentalesquecom- mirent, ou laissèrent commettre, précisément ceux qui voudraient, aujourd’hui, faire de l’union sacrée l’éteignoir de toutes les interpella- tions ?Etdontl’islamismeetlelepé- nisme sont le produit ? Est-ce à dire qu’il faille étoufer toute évocation des retombées désastreuses de la politique étran- gère la plus néfaste, la plus calami- teuse,laplusmoralementdétestable, quelaFranceaitconduitedepuisle début de la Ve  République : aligne- mentsurl’Arabiesaoudite,leQatar, la Turquie (jusqu’à cautionner son ofensive antikurde), le sacrifce de touslesprincipesàlaventedeRafale, cesarmeslivréesquiseretrouvèrent régulièrement dans le camp djiha- diste,l’ostracisationdetousceuxqui avaient vocation à nous seconder dans la lutte contre la terreur, une intervention militaire prévue non pour stopper la menace terroriste, maispourcasserlesinfrastructures del’Etatsyrien,lalâcheacceptation d’un mortifère statu quo dans le confit israélo-palestinien ? Est-ce à dire, au nom de cette union nationale, qu’il ne nous reste plus qu’à accepter que l’angélisme irresponsablequenousrejetionshier se transforme – qui sait ? – en un ordre policier qu’il serait condam- nablederejeterdemain ?Quenous est-ce à dire qu’il Faut Faire comme si le mal nous tombait du ciel, réalisation d’une cruelle prédestination ? devrons nous taire si on en arrive, souslespressionsquel’onsait,àfaire à l’islamo-totalitarisme le cadeau formidabledusacrifcedenotreEtat de droit ? Va-t-on s’autobâillonner quand ceàquoinousassistons,au-delàdu drame,estproprementhallucinant ? Depuis trois ans, rectification aprèsrectifcation,nousallionsdans une direction : en trois jours nous avonsdécidédeprendreladirection inverse. Ahurissant cul-par-dessus-tête, dont il faut craindre, hélas, que le Front national ne fasse ses choux gras puisque, par aveuglement ou paridiotiecrasse–c’estselon– ,on l’alaissépréemptertoutcedontles démocrates républicains auraient dû s’emparer. En trois jours, donc, en matière de politique étrangère, budgétaire,sécuritaire,notregouver- nement vient d’efectuer un virage à 180° : Poutine était l’ennemi, il est devenu l’allié. Bachar al-Assad fguraitlediableabsolu,iln’estplus qu’un partenaire possible, fût-ce encore peu présentable. On ostra- cisait l’Iran, on lui fait la cour. On ne jurait que par l’Arabie saoudite, le foyer originel de tout ce qui nous embrase, on n’ose plus s’en vanter. On collait à Angela Merkel, on lui batfroid.L’objectifderéductiondes déficits publics résumait le credo de notre politique économique, on les laissera fler en arguant que le pacte de sécurité passe avant le pactedestabilité :cequ’àleurfaçon afrmaient les « frondeurs » du PS. On se démarquait vertueusement des surenchères répressives préco- nisées par la droite, on stigmatisait avec horreur la « démagogie ultra- sécuritaire » portée par le Front national : or, la plupart des exi- › 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 17 l’unionsacréedoit-ellenous interdiredeposerlaquestion: laFauteàqui? laFauteàquoi?PAR JEAN-FRANÇOIS KAHN “jamais drapeau tricolore brandi n’a été moins chauvin, plus universaliste.” Ici, sur la place du Capitole, à Toulouse. christianbellavia/divergence
  • 18. événement politique 18 / Marianne / 27 décembre au 3 décembre 2015 par grappes ininterrompues, longs cortègesdesoufrancesintériorisées, venaientfaireexploserleurdouleur en même temps que leur amour. Pas leur rage, non ! Leur amour. Car voilà bien ce qui stupéfe et émerveille : parmi ces milliers de messages déchirés et, en consé- quence, déchirants, poignants à en pleurer, dialogues posthumes d’entrailles à entrailles, aucune expression de rage vengeresse. Aucune. Aucun déferlement de fureur dévastatrice. Mais, simple- ment, cette profession de foi, oui, de foi, déclinée sur tous les modes : notre rejet, à la fois raisonné et vis- céral,decequevousincarnez,vous lesterroristes,nenousconduirapas à infuser en nous fût-ce une once decequevousêtes.Parcequevous difusezlamortquiestenvous,enra- cinée,ancréeenvous,nousvoulons, nous, en réponse, envers et contre tout, comme une forme de résis- tance,irradierlaviequiestennous. Quitteàétoufervotreférocitésous nosrires.Etnoschants.Aensevelir l’horreurdansleseulcercueilquilui fait honte : celui de notre humour. En le tuant, vous avez cru arracher l’autredevous.Pournous,l’autreest toujoursunepartiedenous.Nonpas un anti-nous, mais un autre nous. Aucune pudeur ne doit nous interdiredeleconstater :laréaction du Paris populaire, de ce Paris qui se voulut longtemps le lieu géomé- trique de toutes les révoltes libéra- trices, a été admirable. Jamais dra- peau tricolore brandi n’a été moins chauvin, plus universaliste. Jamais la Marseillaise reprise en cœur n’a étémoinsbelliciste,moinsclivante, plus identitaire, mais au meilleur sens du terme. Moins ringarde sur- tout. « Contre nous de la tyrannie/ L’étendard sanglant est levé… » Et c’est bien le cas. « Cesférocessoldats/Quiviennent jusquedansvosbras/Egorgervosfls, vos compagnes… » Et ce fut le cas, en efet. Il arrive qu’à travers sa capitale qui se prend pour le nombril du monde la France exaspère. Cette fois,nonplusdispensatricemaisvic- timed’uneterreur,elles’estmontrée exemplaire.Elleafaitdechaqueter- rassedecafédevéritablesfortAlamo intérieursdelafraternitéetdel’intel- ligence. Le rouge que l’on s’envoie contre le rouge que l’on verse. Le café-crème contre le passé crime. On ne s’est jamais tant embrassés. Autantlestribunesphilosophico- narcissiques qui proliférèrent dans certains journaux furent souvent consternantes, autant les simples gestes que les Parisiens anonymes, sansapprêt,sansconsigne,nouèrent entreeux,surgirentdudrameabsolu comme l’esquisse d’une lumineuse espérance. Or,l’exempleainsidonné,cen’est pasenétoufanttoutescontestations sincères et raisonnées que l’on en prendradelagraine(nevient-ilpas d’êtretragiquementprouvéqu’elles avaientsouventviséjuste ?),maisen s’ouvrant enfn à leur écoute, à leur prise en compte. L’autre mardi, chauffés à blanc la veille par Nicolas Sarkozy, les députésdedroiteéructèrentcontre l’ennemiquin’étaitplusDaechmais ChristianeTaubira.Lelendemain,ils furentsubmergésderappelsàl’ordre par leurs propres électeurs. Aspiration à l’union nationale ? Non, mais à la décence. Renvoi des parlementaires à leurs respon- sabilités croisées, à leurs cécités complémentaires. gences de la droite et même de l’extrêmedroiteenmatièredesécu- ritéviennentd’êtresatisfaites.Pour faireoublierqu’onn’enavaitpasfait assez, on prend le risque d’en faire trop. Le « fascisme » commençait avec le droit d’ouvrir les cofres des voitures suspectes ; désormais, on pourraperquisitionnerquionveut, quand on veut. Pour l’heure, cette conversion pragmatique de la gauche gouver- nementale à tout ce que, hier, elle répudiait, et même feignait d’exé- crer, joue en sa faveur. Le rejet d’un Nicolas Sarkozy lamentable, sans cesse pris à contre-pied, aidant, on saitgréàFrançoisHollanded’avoir oséefectuersirapidementceradical changement de cap. Jusqu’au jour où l’on pourrait bien s’aviser que, si le « vrai » d’hier est devenu faux, c’est peut- être parce que hier, déjà, il était en grande partie faux. **** Quand Paris admirable se draPe de tricolore Union sacrée ? On l’a vécue ! Ce qui s’est manifesté, après la tragédie du 13 novembre, c’est une communion nationale spontanée, non pas téléphonée mais surgie du plusprofonddesoi,presquesacrée, proprement admirable. Scèneinoubliable :desmilliersde bougies qui clignotent et pleurent dans la nuit. Et, comme les enla- çant, des guirlandes de fleurs, de bouquets, d’offrandes, de larmes, de cris, de mots blessés, de phrases écorchées,depenséesàvifprojetées sur les murs tels des sanglots, des prières, des suppliques. Comme si la déchirure des corps, abattus là, aux terrasses du Petit Cambodge et du Carillon qui se font face, rue Alibert, dans le Xe  arrondissement de Paris (lieu de l’un des carnages du vendredi 13), avait provoqué une autre déchirure, aussi intime que profonde, celle des cœurs et des âmes. Comme si, en réplique à ceux qui s’étaient explosés avec la dynamite de leur haine, ceux-là, spontanément, silencieusement, l’union nationale autour de valeurs Partagées ou sans PrinciPes ? Pour fuir ses resPonsabilités ou Pour les Prendre ? cela change tout. ›
  • 19. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 19 George Bush à Bernard Guetta, de FranceInter,s’enthousiasmantpour l’intervention en Libye, en passant par la façon dont le Monde rendit compte du sanglant maelström syrien ou Libération, du terrifant galopd’essaialgérien,etj’enpasse –, pourquoicespublicistesquifurent capables d’être lucides en d’autres occasions ne donneraient-ils pas l’exemple aux politiques de leur capacité à regarder de façon auto- critique dans le rétroviseur ? Un front de résistance républi- caine :oui,s’ilpasseparl’admission des fautes et non par l’amnésie et le déni qui valent potentialité de réitération. Union nationale autour de valeurs partagées ou sans prin- cipes ?Pourfuirsesresponsabilités oupourlesprendre ?Pourtransfor- mer ou pour conserver ? Cela change tout. **** Union nationale oU stratégie sUicidaire ? Ces questions deviendront encore plus prégnantes demain, lorsqu’on découvrira que le Front national arrive en tête, et parfois largement, dans au moins quatre régions de France. Alors, avec Manuel Valls, beau- coup,auPSetdanslapresse,appel- leront,audeuxièmetour,soitàune fusion de la gauche hollandaise et de la droite sarkoziste, soit à une autodissolution de la gauche. Fin des oppositions binaires et desconfrontationshémiplégiques ? L’auteurdeceslignesn’acesséde militerenfaveurd’undépassement –nonpasd’unrejetmaisd’undépas- sement – des oppositions politico- idéologiquesrigidesetstructurantes. Ce furent toujours ces grands momentsdeconvergencequi,dans notrepays,provoquèrentuneaccélé- rationdel’Histoire :quand,auxétats générauxde1789,lesélémentsavan- césdelanoblesseetduclergéretrou- vèrentceuxdutiersétatpours’ériger enAssembléenationale ;quand,en 1830,étapeessentiellesurlechemin denotremodernité,orléanisteset à l’assemblée nationale le 19 novembre. Quand le pays a besoin d’une vraie solidarité, que doivent respecter tous les députés… › charlesplatiau/reuters doUble examen de conscience Oui, ceux-là, les sarkozistes, démantelèrent – folie ! – la police de proximité et comprimèrent les forcesdesécuritépourréaliserdes économies qu’ils n’imposèrent pas aux plus nantis. Mais oui, ceux-là fermèrent complaisamment les yeux sur les enfermements cléricalo-commu- nautaristes, quand ils ne les cares- sèrent pas dans le sens du poil de la barbe. Oui, deux démagogies concurrentesn’ontcessédesefaire la courte échelle. U n d o u b l e e x a m e n d e conscience s’impose, auquel les médias n’échapperont pas. Souvenons-nous :lorsdelaguerre civile en Algérie, quand sévissait le GIA, l’ancêtre de Daech, certains journauxsecomplurentàsemontrer beaucoupplushostilesenversceux, qualifésd’éradicateurs,quiafron- taientlesterroristesqu’aveclester- roristeseux-mêmesquiavaientdroit àtouteslesindulgences.Cen’étaient pas eux qui tuaient ! Rappelons-nous : lorsque les Russesfurent,àleurtour,l’objetdes massacreursdjihadistes,lesmêmes stigmatisèrent plus systématique- mentetplusfurieusementlesRusses quelesextrémistes,lesvictimesque lescoupables.Mêmetueurd’enfants, ledjihadistetchétchèneétait,àleurs yeux, un héros. Gardons-en la mémoire : en Syrie, il y a encore un an et demi, ces mêmes médias (qui avaient approuvé la calamiteuse interven- tionenLibyeetacceptéquel’Arabie saoudite et la Turquie militarisent l’insurrection populaire pour en exclure les éléments laïcs, libé- raux, démocrates et progressistes) se refusaient encore à admettre la priseenmaindelarébellionparles djihadistesradicauxdeDaechetd’Al- Qaida–Al-Nosra,c’étaitl’islamisme modéré ! – et préconisaient une intervention armée qui leur aurait livré l’essentiel du pays. à qUand l’aUtocritiqUe ? Qui ne commet pas d’erreurs ? En 2002, Marianne, que je dirigeais à l’époque, avait, jusqu’à la dernière minute,jusqu’àladernièreseconde, ce dont je fus largement respon- sable,refuséd’intégrerl’hypothèse d’un afrontement Chirac-Le Pen, c’est-à-dire l’exclusion de Jospin. Nous ne nous contentâmes pas d’admettre cette mortelle bévue, nous en analysâmes les raisons et lesracines.Plustard,lorsdel’afaire DSK, je n’ai pas cherché à m’exo- nérer de la « profération » d’une expressiontoutàfaitinappropriée. Pourquoi ceux, intellectuels (et pas seulement Bernard-Henri Lévy,AlainMinc,BernardKouchner, comme hier André Glucksmann), mais aussi journalistes commen- tateursquicautionnèrent,entoute bonne foi, ces fatals errements à l’origine–TonyBlairvientd’enfaire l’aveu–desdramesauquellemonde est confronté aujourd’hui – d’Ivan Rioufol,duFigaro,applaudissantàla guerred’Irakethéroïsantlecriminel
  • 20. événement politique républicainsfrentfrontensemble face aux tenants d’une régression radicale ;quandlespatriotesdetout bord,descommunistesauxlibéraux en passant par les démocrates- chrétiens, constituèrent, en 1943, le Conseil de la Résistance ; quand, avecPierreMendèsFrancepuisavec legénéraldeGaulle,dessocialistes, des centristes et des conservateurs unirent leurs eforts pour sortir la France,d’aborddumarigotindochi- nois, ensuite du bourbier algérien. Cependant,aujourd’hui,lastraté- giedelargeunionsarko-hollandaise destinée à barrer la route au Front national,plusexactementàl’empê- cherdes’emparerd’unerégion,m’ap- paraîtabsolumentcatastrophique. Pourquoi ? D’abord parce que toutes les alliances que je viens d’évoquer tendaientàunobjectifconstructif : réformer, régénérer, libérer le pays. En1848,lecentre droitetl’extrême gaucheconfuèrent,uninstant,pour rétablir le sufrage universel. Lagrandecoalitionquepréconise ManuelVallsest,enrevanche,pure- ment négative. Sans objectif. Sans projet. Il ne s’agit pas de converger pourfaire,maispourempêcher.On n’est d’accord sur rien, on ne porte aucun rêve commun, simplement on veut barrer la route à l’intrus : le Front national. Donc défendre son pré carré. Nonseulementl’efetseraitdésas- treux (impression de magouilles et deconfusions),maisn’empêcherait pas nécessairement Marine Le Pen del’emporterdansleNord - Pas-de- Calais - Picardie, l’aile gauche de la gauche s’abstenant plutôt que de mêlersessufragesàceuxdessarko- zistesetunefractionimportantedes électeurs de droite, très radicalisée par Sarkozy lui-même, refusant de joindre leurs bulletins à ceux de gauche. Double peine donc. Désastreux,pourquoi ?Parceque, àsupposerquelefrontanti-FNl’em- porteetgouvernelarégiontantbien quemal,lagauches’étantquasiment dissoute, il n’y aurait plus qu’une seuleopposition,uneseuleforceen situation d’exprimer et d’exploiter tous les mécontentements, toutes les frustrations : le Front national. Paradoxe :sileFNconquiertune région, triste perspective, il sera confronté à toutes les difficultés économiques et sociales qu’il sera incapable de résoudre. Ce qui le démystiferait.Danslecascontraire, il deviendrait la seule alternative. Quel plus beau cadeau pour- rait-on faire à Marine Le Pen que de l’instituer en opposante unique, seule contre tous, face au système, confrontée aux représentants de « l’establishment » ? La gauche socialiste n’y survi- vrait pas. La stratégie préconisée par ManuelVallsestcellequiconduisit, dans les années 30, la social-démo- cratie allemande à s’effacer pour soutenir, contre Hitler, le maréchal Hindenburg.Etquidonnalepouvoir à Hitler ? Le maréchal Hindenburg. Ouiàuneconvergencedetoutes les énergies transformatrices, de quelque horizon qu’elles pro- viennent.Nonàunempilementdes réactions conservatrices. Ouiàunelargeconfuence,àune radicaletransgressiondesfrontières politico-idéologiques,maispours’en sortir, non pour s’enfermer. n j.-f.K. benedictevandermaar/bureau233 › la nuit des attentats, à paris, près du Bataclan. le chef de l’etat avec Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et Manuel Valls, premier ministre. s ’ils ne la balaient pas d’un reversdemaindédaigneux, les politiques de tout bord trouveront matière à réfexion dans l’enquête d’opinion que Marianne publie cette semaine. Car à l’op- posédel’afigeantspectacledonné à l’Assemblée, le 17 novembre, par des députés de l’ancienne UMP, vociférant contre Manuel Valls et Christiane Taubira, c’est un gouvernement d’union nationale que plébiscitent les Français. Une union apte à combattre les terro- ristes, mais aussi, et c’est peut-être là le plus surprenant, pour relan- cer l’économie et lutter contre le chômage. Dans le détail, selon notre son- dageElabe,ilssont74 %àconsidé- rer qu’un tel rassemblement serait justifié. Un plébiscite qui trans- cende les clivages politiques, la droiteetlecentreyétantfavorables à 76 % et la gauche, à 71 %. « Il y a une véritable aspiration à un gou- vernementd’unionnationale,com- mente Yves-Marie Cann, directeur desétudespolitiquesd’Elabe.Pour unetrèslargemajoritédeFrançais, c’est un gage d’efcacité. » Dans ce concert quasi unanimiste, les élec- teurs du Front de gauche sont les seuls à faire entendre une note un peu dissonante, avec seulement 63 % d’adhésion à une telle union. A l’inverse, les sympathisants du Front national sont 72 % à la sou- haiter, ce qui, souligne Yves-Marie le gouverLes Français sont à 74 % favorables à un gouvernement dépassant les clivages politiques. Et pas seulement pour combattre le terrorisme. PAr éric decouTy sondage elabe pour “marianne“
  • 21. Aujourd’hui, en France, estimez-vous qu’il serait justifé ou pas justifé de metre en place un gouvernement d’union nationale réunissant des personnalités venant de diférentes sensibilités politiques et de la société civile ? EnsembledesFrançais(en%) 49 Sous-total «pas justifé» 26% Sous-total «justifé» 74% 20 25 6 Toutàfaitjustifé Plutôtjustifé Pasvraimentjustifé Pasdutoutjustifé Parmi la liste suivante, quelles sont les 4 personnalités que vous souhaiteriez voir entrer dans un gouvernement d’union nationale ? EnsembledesFrançais(en%) Alain Juppé Marine Le Pen François Bayrou Nicolas Hulot Jean-Louis Borloo Nicolas Sarkozy François Fillon Le juge Marc Trévidic Jean-Luc Mélenchon Martine Aubry Jacques Attali Louis Gallois Ne se prononcent pas 47 32 32 28 27 27 24 21 21 20 15 11 3 Total des réponses supérieur à 100 %, les répondants ayant pu donner jusqu’à 4 réponses. Les personnalités ex æquo ont été départagées selon la décimale. Cann, s’explique avant tout par le désirdevoiraccéderMarineLePen aux afaires, fût-ce en partageant les responsabilités… Mais, au-delà du plébiscite pour l’union, l’enquête que publie Marianne révèle les véritables espoirsplacésparlesFrançaisdans un tel gouvernement. En efet si, sanssurprise,ilssont55 %àconsi- dérer qu’il serait d’abord efcace pour lutter contre la menace ter- roriste, le désir de rassemblement au-delàdesclivagespartisansn’est pas lié simplement aux tragiques attentats du 13 novembre : 54 % des sondés estiment en efet que cette union serait efficace pour « relancer l’économie et créer des emplois »,51 %pour« assurerl’ave- nir de notre modèle social » et 50 % pour « refonder notre système édu- catif ». Ils ne sont en revanche que 44 %àconsidérerqu’ilseraitapteà mener la guerre en Syrie et en Irak contre l’Etat islamique. Une idée poUr l’école L’union souhaitée par les Français ne semble donc pas seulement liée aux événements actuels mais apparaît comme une aspiration politique à plus long terme. Il convient également de souligner que les électeurs de la droite et du centre sont les plus lar- gement favorables à un gouvernement d’union pour lutter contre le chômage(63 %),assu- rerl’avenirdumodèle social(55 %)etrefon- der notre système éducatif (57  %). Les électeurs de gauche, et notam- m ent ceu x du Parti socialiste, sont plus réser- vés. Seulement 43 % estiment, par exemple, rnement attendU des français sébastienortola/réa mallangsdon/reuters AlainJuppé.MarcTrévidic. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 21 ›
  • 22. politique 22 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 événement Parmi la liste suivante, quelles sont les forces politiques qui vous semblent les plus aptes à défendre le principe d’union nationale ? ensembledesFrançais(en%) Le Parti socialiste Les Républicains Le Front national Le MoDem L’UDI Europe Ecologie-Les Verts Le Front de gauche Debout la France Aucune de celles-ci Ne se prononcent pas 33 32 23 21 20 14 10 7 23 1 Total des réponses supérieur à 100 %, les répondants ayant pu donner jusqu’à 3 réponses. Selon vous, un gouvernement d’union nationale serait-il plus efcace ou moins efcace qu’un gouvernement classique pour... ? ensembledesFrançais(en%) pluseffcace Niplus,nimoinseffcace Moinseffcace Neseprononcentpas 1 Lutter contre la menace terroriste sur le territoire français. 55 35 9 1 Relancer l’économie et créer des emplois. 54 34 11 1 Assurer l’avenir de notre modèle social. 51 35 13 1 Refonder notre système éducatif. 50 37 12 1 mener la guerre en Syrie et en Irak contre l’état islamique. 44 44 11 FIche technIque echantillonde 1005personnesreprésentatifdelapopulation françaiseâgéede18ansetplus. lareprésentativitédel’échantillonaété assuréeselonlaméthodedesquotasappliquée auxvariablessuivantes:sexe,âgeetprofession durépondantaprèsstratifcationparrégion etcatégoried’agglomération.interrogation parinternetdu20au23novembre2015. que ce gouvernement serait à même de garantir notre modèle social,et37 %àcroirequ’ilpermet- trait de refonder l’école publique. « C’est un constat qui apparaît dans de nombreux sondages, ana- lyse Cann. Beaucoup de Français considèrentquelesoppositionspar- tisanessontvainessurdenombreux sujetsetqu’ilconvientdésormaisde prendrelesbonnesidéesàdroiteetà gauche.Celamontreunefoisdeplus que nos institutions maintiennent sousperfusionunsystèmedepartis quinecorrespondplusàlaréalité. » Quant aux contours que pour- rait prendre ce gouvernement d’union, il apparaît sans trop de surprise que le Parti socialiste et l’ex-UMP semblent aux yeux des Français « les plus aptes » à mener le rassemblement. Même le Front nationalestà23 %compatibleavec cetteunion,mêmesicesontà84 % ses électeurs qui défendent cette hypothèse…Onremarquetoutefois que5 %desélecteursdegauchene seraientpashostilesàl’intégration du parti d’extrême droite dans ce rassemblement. SARkozy hoRS jeu Restent les personnalités suscep- tibles d’incarner l’union nationale dansungouvernement.Lerésultat est sans appel, Alain Juppé arrive en tête loin devant tous les autres, recueillant les faveurs de 47 % des sondés. Si ce sont d’abord les électeurs de droite et du centre qui le plébiscitent (65 %), ceux de gauche le soutiennent à 49 % et il va même jusqu’à recevoir les soutiens de 22 % des sympathi- sants du Front national. Son rival pour la primaire à droite, Nicolas Sarkozy, apparaît très loin der- rière :seulement27 %desFrançais souhaitent le voir entrer dans un gouvernement d’union nationale, à égalité avec Jean-Louis Borloo, derrière Nicolas Hulot, mais devant François Fillon… Enfn, au milieu des politiques, une personnalité nouvelle de la société civile apparaît en bonne place. Les Français sont en effet 21 % à souhaiter voir le juge Marc Trévidic fgurer dans leur rassem- blement« idéal ».Laconséquence, évidemment,desattentatsdeParis etdesmultiplesentretienstrèsins- tructifs donnés ces derniers jours par le magistrat. S’il n’est pour l’heure pas question qu’il entre au gouvernement,peut-êtrequenotre sondage convaincra la garde des Sceaux de réintégrer au pôle anti- terroriste Marc Trévidic, réglant aujourd’hui les afaires familiales au tribunal de Lille… n é.D. ›
  • 23. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 23 D elagénérationMitterrand àlagénérationBataclan.La rime est presque parfaite. Elletinteagréablementaux oreilles des hollandais. A dix-sept mois de l’élection présidentielle de 2017, le recueil- lement, la douleur, la compassion, n’excluentpasleréalismepolitique. Le président qui avait fait de la jeu- nesselaprioritédesonquinquennat se trouve désormais confronté au deuild’uneclassed’âge.Lesnécro- logiesdes130 victimesdesattentats deParismontrentquelesterroristes ont fauché en majorité des trente- nairescréatifs,souventprovinciaux, enfantslucidesdelamondialisation. Le carnage du 13 novembre 2015 place l’actuel chef de l’Etat en res- ponsabilité face à une génération brisée, mais il installe aussi celui qui est déjà le candidat Hollande devant une nouvelle opportunité. En exégète de l’épopée mitterran- dienne, il se souvient du génial Jacques Pilhan, élaborant dans les éprouvettes de son agence, Temps public, la symbolique main jaune deSOSRacisme,ainsiqueleslogan « Génération Mitterrand ». Deux piliers de la campagne qui avaient permislaréélectiondel’ancienpré- sident socialiste en 1988. “sos terrorisme” Lasemainedernière,FrançoisHol- lande s’est donc déployé en trois tempssurleplanintérieur.D’abord, cediscoursauCongrès,largevirage diplomatique et sécuritaire, hold- up d’une droite redevenue la plus bête du monde, prise à son propre piège.Del’autrecôtéduChannel,le Guardian, pris d’un subit accès de francophilie,amêmequaliféFran- çois Hollande de « John Wayne des Champs-Elysées » !Lemêmejour,le chefdel’Etatobservaituneminute de silence, mais pas n’importe où, campédanslacourdelaSorbonne, avec des étudiants flmés faisant la queue pour le rejoindre. Vous voulez du symbole ? Mais restait à formaliser cette intuition. Ces der- niers jours l’ont prouvé, l’esprit du 11 janvier ne soufe décidément pas sur la classe politique, et même si François Hollande a pris la décision d’accueillir person- nellement chacun des 143 chefs d’Etat ou de gouvernement pré- sents lundi 30 novembre au Bour- get pour l’ouverture de la COP21, il a déjà utilisé en janvier dernier la carte du rassemblement inter- national. Puis, comme tombée de nulle part, paraissait le vendredi 20 novembre sur le site du Huf- fngton Post une tribune baptisée « #21h20 », l’heure à laquelle les terroristes ont commencé à atta- quer la capitale ce funeste soir d’automne. « Une semaine après, allumons les lumières et bougies enoccupantnoscafés,nosrues,nos places, nos villes, faisons entendre les musiques qu’ils haïssent », écri- vent alors ceux qui se présentent comme « des artistes, des citoyens anonymes,desindividuslibres ».La mobilisationfonctionne.Latélévi- siondifusecesimagesémouvantes de Français se tenant par la main et chacun reprend innocemment sur les réseaux sociaux le hashtag « 21 h 20 ». Mais, à y regarder de plus près, l’événement a été orga- nisé de main de maître par, tiens, tiens, le socialiste Julien Dray, l’un des fondateurs de SOS Racisme, et la tribune, signée par des grands artistes mais aussi par le mécène Pierre Bergé et le patron de Libé- ration, Laurent Jofrin. L’initiative regroupe aussi quelques fugaces sarkozistes aujourd’hui repen- tis : Fadela Amara, Georges-Marc Benamou ; ainsi que le chiraquien Hugues Renson… Comme un avant-goût, plus de vingt-cinq ans après SOS Racisme, d’un « SOS Terrorisme ». n François HollanDe au renDez-vous De 21 H 20 ?Le chef de l’Etat bénéfcie d’une nouvelle popularité qu’il entend bien exploiter dans l’optique de la prochaine échéance présidentielle. Par Soazig Quéméner
  • 24. Benjamin Stora “Pasd’irénisme” événement politique 24 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 L ’union ?Etpuisquoiencore ? Anesthésiés par la mon- tée du Front national, les hommes et les femmes politiques ne veulent sur- toutpasenentendreparler. A les écouter, l’union n’est plus ce bien précieux à chérir, cette desti- née commune censée nous élever collectivement, mais au contraire la promesse d’être aussitôt ren- voyésàune« UMPS »ouencoreune « RPS », selon le détestable jeu de mots de Florian Philippot. « Vous voulez quoi, qu’il n’y ait qu’un seul bloc contre le Front national, c’est ça ? » lance l’un des plus éminents membresdesRépublicains.Quand un député du même bord, pour- tantconnupoursahauteurdevue, soupire : « Je ne vois pas où est la nécessitéaujourd’huidesuspendre la démocratie pour faire travailler des gens ensemble. » De son côté, François Hollande n’a même pas fait semblant d’y croire, pillant les idées de la droite sans pour autant lui tendre la main, n’ayant même pasl’élémentairecourtoisiedepré- venirleprésidentduSénat,Gérard Larcher, de la révision constitu- tionnelle qu’il allait annoncer au Congrès. En cette fn d’annus horribilis, l’union nationale ne peut pas se réduireaupluspetitdénominateur communentrelesprogrammesdes diférentes formations politiques « à vocation gouvernementale ». Elle ne se comprend que comme efort pour répondre au surgisse- ment de nouvelles exigences, qui ne manqueront pas de s’imposer dès lors que l’état d’urgence aura épuisé ses effets. C’est ainsi que la politique économique ne peut se réduire désormais au simple « ni-ni » – ni pacte de stabilité, ni politique de relance » – décrété à Versailles par le président de la République, mais devrait, à notre sens, être réorientée vers la mobi- lisation des forces économiques et sociales pour l’intérêt général. La « guerre »estlemomentdesgrands choixéconomiqueset,faut-illerap- peler, c’est pour faire la guerre que fut instauré l’impôt sur le revenu en1914.Demême,lacrisedel’inté- grationdevraitconduireàdénouer enfin les nœuds gordiens qui enserrent le système éducatif. S’il faut que l’école remplisse son rôle éminent d’intégration, plutôt que de revoir des programmes même pas appliqués, peut-on sérieuse- mentaugmenter,oui,augmenter !, le nombre de jours d’enseigne- ment dans ce pays qui infige à ses enfants des rythmes diaboliques ? Quant à l’Europe, apparue impo- tente dans les deux épreuves que sont la vague de réfugiés et la crise sécuritaire,ilseraitbientempsque laFrancesoitlemoteurdesaredé- fnition,plutôtquedelaissercerôle àl’Allemagned’AngelaMerkelouau Royaume-Uni de David Cameron. De même est-il urgent de redéfnir unepolitiqueextérieurecohérente hors des afliations à l’Otan et des compromissions avec les régimes théocratiques proche-orientaux. Marianne entame donc dans cespagesledébatavecdesacteurs engagéssurcesnouvellesurgences que le pays tout entier doit afron- ter… n H.N. et S.Q., avec t.P. DeS iDéeS pour Se réunir DanS L Ecole, intégration, autorité… Les personnalités que nous avons sollicitées donnent corps à l’idée d’union nationale et dépassent l’unique problématique sécuritaire, si prégnante et si piégeante depuis les attentats du 13 novembre. Sur Le terrain Si, dans les appareils, l’union tarde, elle a été évidente lors des hommages aux victimes du 13 novembre rendus en province, comme ici, à toulouse. le 17 novembre, place du Capitole, le maire (lR), Jean- luc Moudenc (2e , g.), était avec le président (pS) de la région, Martin Malvy (au centre). hannahassouline n e cédons pas à l’irénisme ! Il serait, dans l’absolu, très malaisédefaires’accorderla droiteetlagauchesurlesujet de l’immigration. Cet enjeu- là dessine à l’évidence une ligne de partagetrèsclivantedanslasociété française. Je vois mal également gauche et droite se mettre d’accord sur le droit de vote des étrangers, qui est une vieille revendication de lagaucheclassique,ouencoresurla question de la délivrance des visas. Enrevanche,gaucheetdroitepour- raient s’accorder sur des modalités d’intégration par l’école. Elles peuvent notamment s’accorder sur la façon de permettre à l’institution scolaire de mieux faire connaître l’histoire de l’immi- gration et d’inculquer de manière plus efficace les valeursrépublicaines.Remplircettedoublemissionest devenufondamental. n ProPoS recueilliS Par alexiS lacroix Historien, président de la Cité de l’immigration. Dernier ouvrage paru : les Clés retrouvées (Stock).
  • 25. L a finalité de l’école n’est pas de former des indivi- dus adaptés à un état de la société, ni de répondre à des demandes sociopolitiques qui la renvoient à son extérieur, mais de donner à chacun les moyens de son autonomie et de la culture de ses talents. On abandonnera les critères comportementaux ou adaptatifs (« compétences » et « projets »). Dans l’hypothèse d’un gouverne- ment d’union nationale, priorité sera donnée à l’instruction par des programmes nationaux dis- ciplinaires. On s’interrogera à cet efet sur ce qui est libérateur à long terme et sur la progressivité de l’acqui- sition. Les enseignants seront libres de leurs méthodes, dans le respect des droits d’autrui. On les recrutera sur concours nationaux appréciant le degré de maîtrise des savoirs qu’ils enseignent. Leur formation pra- tique sera principalement assurée dans des classes auprès de profes- seurs chevronnés. On rétablira dans chaque éta- blissement le calme et la sécurité nécessaires à l’étude. On proposera en plus des cours un soutien des études encadré par un personnel qualifé, en insistant sur les zones où feurissent actuel- lement des « ghettos scolaires ». n ProPos recueillis Par a.l. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 25 Dominique Schnapper “Clarifcation  indispensable” i ndépendamment des mesures concrètesqu’ilpourraitprendre, un gouvernement d’union nationale aurait l’immense avantage d’apporter une clari- fication, devenue indispensable. La véritable ligne de fracture, désormais, ne passe plus entre la droite et la gauche, mais entre la gauche de la gauche et la droite de la droite face à la gauche et à la droite. Le véritable débat, le vrai clivage, s’établit désormais entre Alain Juppé et Marine Le Pen, et entreFrançoisHollandeetJean-Luc Mélenchon. Entre un pôle réfor- miste et un pôle «antisystème». n ProPos recueillis Par a.l. La répubLique GhaLeb bencheikh “L’autorité, pasl’autoritarisme” a titre personnel, je préfère parler de l’unité nationale plutôt que d’un gouvernement d’union nationale. L’efort pour renforcer la sécurité doit se poursuivre. Mais, sur le long terme, ce qui est important, c’est d’investir dans l’éducation. Là est la clé. On ne reconnaît le génie d’un peuple que lorsqu’il y a un éveil massif des consciences. C’est ce moment que nous traversons, et il est très important, en matière éducative, de revenir à l’autorité de la République et des maîtres – sans céder, bien sûr, à l’autoritarisme. L’union nationale devrait servir à cela. La restauration de l’autorité suppose aussi que les hiérarques musul- mans ne tolèrent plus des prêches qui, comme ceux de l’imam de Brest, démonisent la musique. Dans une nation sensible à la beauté de la musique, de telles pseudo-positions sont insupportables. n ProPos recueillis Par a.l. catherine kintzLer “Priorité àl’instruction” Sociologue, membre honoraire du Conseil constitutionnel, auteur de l’Esprit démocratique des lois (Gallimard). Président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, islamologue et philosophe. Philosophe, auteur de Condorcet, l’instruction publique et la naissance du citoyen (Minerve). vincentnguyen/rivapress hannahassouline hannahassouline hannahassouline
  • 26. événement politique 26 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 D ans mon essai paru l’an dernier, la France au déf *, je ne proposais pas exactement une union nationale, mais une coa- lition pour la réforme. L’union nationale suppose que, face à des événements gravissimes, la droite et la gauche trouvent un accord global ; je ne pense pas que cela puisse être le cas. Les Allemands le font quand un vote les y oblige, en négociant pendant trois mois dans le moindre détail. Ni notre Constitution ni notre calendrier électoral ne rendent possible une telle négociation. Comme l’impuissance n’est pas non plus une option, j’ai proposé Hubert véDrine “Unecoalition pourlaréforme” StépHane ricHarD “Doubler lenombred’apprentis” qu’à froid les grands partis de gouvernement se mettent d’ac- cord sur quelques réformes clés, comme l’« écologisation » dans la longue durée ou une gestion plus adéquate des flux migratoires, dossiers sur lesquels les opposi- tions entre les uns et les autres me paraissent surjouées. La priorité, c’est de trouver en communlesmoyensdereprendre, en quelques années, le contrôle des fnances publiques, ce qu’ont fait la plupart des pays dévelop- pés. Nous avons actuellement le niveau le plus élevé de dépense publique par rapport au PIB, ainsi qu’un niveau très élevé de pression fscale. La préservation de l’Etat-providence est évidem- ment fondamentale, mais il n’est plus possible de laisser filer la dette publique. Je ne pense pas à une mesure particulière, mais davantageàunedémarched’ordre général ; il faudrait que la France revienne progressivement, par exemple sur cinq ans, au niveau moyen de la dépense publique en vigueur dans la zone euro (comme nous nous y sommes d’ailleurs engagés par les traités que nous avons signés). Seul ce cheminement nous permettra de conserver ce qu’on a gagné de souveraineté. n  ProPos recueillis Par alexis lacroix * Fayard Marianne : Quelle serait, selon vous, la ou les premières mesures qu’un gouvernement d’union nationale devrait prendre ? Stéphane Richard : Cela va peut-être vous paraître symbolique–maisquiditsymboliqueneditpasforcé- mentanecdotique :ilfaudraitobligertouslesministres en exercice et tous les footballeurs à connaître et à chanter la Marseillaise. J’en ai marre de voir certains joueurs regarder leurs chaussures pendant l’hymne national, sans parler de ceux qui crachent dessus, comme Karim Benzema… Dans les moments que nous traversons, où nous devons faire face en peuple uniàl’adversitéetàl’efroi,celadépassefranchement les limites du supportable. Dans le domaine économique, quelle serait selon vous la mesure la plus urgente ? S.R. : Doubler le nombre d’apprentis. C’est une me- sure simple, transcourants et indispensable si l’on veut donner aux dizaines de milliers de jeunes qui ne parviennent pas à se faire une place sur le marché du travail une chance d’accéder à l’emploi. Le déve- loppement de l’apprentissage n’a aucune coloration politique :c’estunprojetquipourraitetquidevraitêtre porté urgemment par la gauche comme par la droite. Qu’avez-vous pensé de l’appel lancé par l’entrepreneur Marc Simoncini, enjoignant les patrons exilés à revenir payer leurs impôts en France pour participer à l’efort collectif ? S.R. : J’ai trouvé que c’était une très bonne initiative. Autant je suis allergique à un certain discours oppor- tuniste et légèrement démago consistant à expliquer quelaFranceestenfaitun« paradisfscal »(oùl’impôt est ultraléger et l’entreprenariat, bichonné), autant il mesembleque,comptetenudel’horreuractuelle,cet appel à la mobilisation des intelligences, des énergies et des bonnes volontés était une réaction de salubrité publique. Je signe, s’il veut ! n ProPos recueillis Par anne rosencher Ancien ministre des Affaires étrangères. pDG d’orange. hannahassoulinedr
  • 27. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 27 Marie-Françoise Bechtel “Unservicenational, universeletobligatoire” PhiliPPe louis “Ilfautécouter lesparlementaires” l es Français expriment un fort désir d’unité, parce qu’ils souhaitent que les décisions dramatiquesquidéterminent leur avenir soient partagées et suivies par tous dans la durée. L’unité était d’ailleurs là lorsque le chef de l’Etat, François Hollande, s’est adressé aux députés et séna- teurs réunis à Versailles, initiative que le pays a plébiscitée. Faut-il aller plus loin et promouvoir un gouvernement d’union nationale ? Nos institutions fonctionnent en s’appuyantsurdesmajoritésparle- mentaires successives. Selon moi, c’est donc prioritairement à ce niveau qu’il faut promouvoir une unité plus large. Comment ? Prési- dent et ministres en place doivent prendre le temps d’écouter les avis des parlementaires de tous bords qui doivent de leur côté s’expri- mer constructivement. Puis tenir comptedeleurspropositionsdans leurs décisions. Il n’est plus temps de faire ronfler les polémiques politiciennes ! A mon sens, cette unité accrue au niveau du Sénat comme de l’Assemblée nationale serait plus fructueuse qu’un remaniement gouvernemental visant à inclure des personnalités de divers partis. En effet, idéalement, un exécutif c’est une équipe qui doit bien s’en- tendre, maîtriser efcacement ses dossiers. En la matière, les partis politiquespourraientmêmes’inspi- rerdufonctionnementplussouple des syndicats. Car les partenaires sociaux ont beau être multiples, lorsque nous négocions sur des sujetsaussidécisifspourlessalariés que leurs conditions de travail ou leurformation,noussavonstrouver desmajoritéssolidesetdurables. n ProPos recueillis Par laurence Dequay c ette chevènementiste a lancé au Parlement une pétition demandant le rétablissement du service national. Simultanément, le site du mouvement de Jean-Pierre Chevènement, republiquemoderne.fr, accueille une pétition citoyenne identique. Marianne : Quelle forme devrait avoir, selon vous, ce service national ? Marie-Françoise Bechtel : Ce serait un service court, entre trois et six mois. Et qui pourrait être prolon- gé pour ceux qui le désirent. Il serait universel et obligatoire, avec une partie militaire, mais portant également sur l’ensemble des problématiques de la défense : pompiers, sécurité civile. Comme on l’a vu, le travail de ces formations a été capital dès les premières heures de l’attentat que notre pays vient de subir. Mais la forme et les modalités peuvent évi- demment se discuter. Je demande en tout cas à ce qu’il y ait un débat. Pourquoi « universel et obligatoire » ? M.-F.B. : Universel,carilconcerneaussibienlesflles que les garçons,afn derépondreaussiàcequerévèle la situation actuelle de la défcience épouvantable de notre tissu social. Obligatoire, parce qu’ainsi chacun saura qu’il doit quelque chose à la communauté. Cela doit être inscrit dans las conscience de chacun. Et cela ne concerne pas que les gens des « quartiers », je tiens à le préciser. Vous tenez à ce que l’Education nationale participe à ce service, de quelle manière ? M.-F.B. : Oui, il est important qu’elle prenne sa part. Aujourd’hui, il n’y a que la Journée défense et citoyen- neté (JDC), ancienne Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), c’est beaucoup trop peu. L’idée serait d’élargir le contenu de cette journée sur trois mois, et de permettre aux enseignants de participer encore plus activement à cet apprentissage concret de la citoyenneté. Comment est perçue votre proposition ? M.-F.B. : J’aidesremontéestrèspositivessurleterrain, dans l’Aisne où je suis élue. C’est une idée qui passe bien et qui rencontre un écho favorable. De plus, cela me paraît une contre-proposition très saine face à la montée du FN. n ProPos recueillis Par VlaDimir De Gmeline Députée de l’Aisne, ancienne directrice de l’ENA. Président de la CFTC. baltel/sipachristophemorin/maxppp
  • 28. événement politique 28 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 LeS BIvOUACS FeStIFS De LA FéDéRAtIOn La Révolution française com- mence sous les meilleurs auspices du « vivre-ensemble », comme on diraitaujourd’hui,aveclacommu- nion solennelle de tout un peuple. Autourd’unenouvelletrinité,célé- brée par l’ensemble du pays : une foi, un roi, une loi. Un an après la prisedelaBastille,le14 juillet 1790, la Fête de la fédération se tient au Champ-de-Mars.Lapluiebattante neparvientpasàdoucherl’enthou- siasme d’une foule considérable. Toute la province, toutes les pro- vinces sont représentées, via les députés, mais aussi et surtout par les membres de la gardenationale, sorte de milice populaire, venus desquatrecoinsduroyaumeprêter serment à la nation et à son souve- rain.Unsermentciviquedemasse. Sous le regard avide et fervent du peupledeParis :160 000personnes assises sur les tertres du Champ- de-Mars, 150 000 debout. De peur demanquerlespectacle,beaucoup sont arrivés la veille et ont bivoua- qué toute la nuit sous les trombes d’eau. Pour se réchauffer autant que pour patienter, on danse dès le petit matin. Les farandoles se succèdent,malgré la boue. Devant ce public considérable, 100 000 fédérés vontdéfleravectambours et drapeaux, dont 45 000 gardes nationaux venus des 83 départe- ments nouvellement créés. En ce jour, de la manière la plus solennellequisoit,lanationdevient sacrée. Pour que la solennité s’in- carne, on a fait construire un autel delapatrieaucentreduChamp-de- Mars. Depuis déjà deux semaines, les travaux de terrassement mobi- lisent1 200ouvriers–deshommes aussimalnourrisquemalpayés.Et, pour être prêt à temps, on a mis à contribution les bonnes volontés parisiennes. Cela a réussi au-delà detouteespérance :lesmenuisiers dufaubourgSaint-Antoine,prèsde la Bastille, manient la pioche aux côtés des petits marquis, les curés mêlent leur huile de coude à celle des commerçants. Même le roi est venu de Saint-Cloud apporter sa modeste participation à ce grand chantier patriotique. Face à l’Ecole militaire, un pavillon a été spécialement amé- nagé pour que chacun puisse voir la famille royale. Marie-Antoinette arbore un chapeau à plumes tri- colores, le Dauphin est vêtu d’une tenuedegardenational.Onsoigne les symboles, sous la houlette du DeLACOnCORDeÀLARéPUBLIQUe “CetteUnIté,LemIRACLe DeLAFRAnCe” grandorganisateurdel’événement, le marquis de La Fayette, le chef de la garde nationale. Ce héros du Nouveau Monde, auréolé de la gloire d’avoir soutenu les insur- gés américains contre les colons anglais, passe, à 33 ans, de la ban- nière étoilée à la cocarde bleu- blanc-rouge.Depuisqu’ilestrentré en France, en 1782, il s’enfamme pour les idées réformatrices sans pour autant renoncer à sa loyauté envers la monarchie. Surplombant ce serviteur du roi, plus de 200 prêtres célèbrent la messe à l’autel de la patrie. En ce milieu d’après-midi, comme un signe céleste, le soleil a percé. De quoifaireresplendirencoredavan- tage leurs aubes blanches et leurs ceintures tricolores. En chasuble épiscopale, Talleyrand, évêque Cette phrase de De Gaulle trouve un écho particulier, aujourd’hui. Dans la joie, la douleur ou le sang, l’esprit de concorde relève d’un mouvement populaire. Aujourd’hui comme hier. Retour sur ces moments forts de notre mémoire collective qui soudent toutes les composantes de la République. Par Pierre Baron “nOUS jUROnS De ReSteR FIDèLeS À LA nAtIOn […] et De ReSteR UnIS À tOUS LeS FRAnçAISPARLeSLIenS[…]De LAFRAteRnIté.” LAFAyette,1790
  • 29. 27 novembre au 3 décembre 2015 / Marianne / 29 Muette. Le monarque en est resté à l’Ancien Régime. Et préfère pas- ser ses journées estivales à Saint- Cloud, entre parties de chasse et représentations théâtrales. La France ne le sait pas encore, mais elle vient de vivre une jour- née essentielle de son histoire. En afrmantàlafacedumondelapri- mautédelanationsurleroicomme incarnation de la souveraineté. En afrmant que servir la liberté est un acte fondateur du citoyen. En afrmant que la fraternité est au cœur du sentiment national. Ce moment de grâce va être, par déf- nition,éphémère.Prèsd’unanplus tard, la fuite et l’arrestation du roi etdesafamilleàVarennesmarque- ront un tournant dans la Révolu- tion, en brisant net tout espoir de monarchie constitutionnelle et en rendant inévitable la marche vers la République. LES FOULES ENDEUILLÉES DE VICTOR HUGO La plus grande place de Paris en témoigne : la Concorde doit son nom actuel au Directoire, qui voulait ainsi marquer la récon- ciliation des Français après les afres de la Terreur, deux ans après la décapitation de Louis XVI sur cette même place. En réalité à des années-lumière de cette Fête de la fédération. La nation peut aussi se rassem- bler autour de l’un des siens. Si elle l’a montré lors de l’enterrement de Léon Gambetta, le 6 janvier 1883 – aprèslachutedusecondEmpireet le désastre de Sedan, la IIIe  Répu- blique rend ainsi hommage à celui qui a joué un rôle majeur dans la survie du régime –, c’est à un écri- vain, le plus grand poète français (hélas, aurait dit André Gide), que le pays va ordonner les funérailles nationales les plus grandioses de ce XIXe  siècle. Le testament de Victor Hugo tient en trois lignes inoubliables : « Jedonne50 000 F*auxpauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard. Je refuse La pRImaUTÉ DE La NaTION a été célébrée, le 14 juillet 1790, sur le Champ-de- Mars, à la faveur de la Fête de la fédération, peinte ci-dessus par Charles Thévenin. Ce serment civique de masse a réuni plus de 300 000 spectateurs venus assister au déflé de 100 000 fédérés. La Fayette, montant sur l’estrade, prête serment au nom des gardes nationaux. Tout comme Louis XVI et Marie-Antoinette. deagostini/leemage d’Autun, ofcie au cœur de cette armée d’ecclésiastiques. Il est l’un desrares,pournepasdireleseul,à ne pas prendre l’afaire au sérieux. On ne se refait pas. Arrivé sur un cheval blanc, La Fayette, en grand uniforme, monte sur l’estrade et prête ser- ment au nom des gardes natio- nales fédérées : « Nous jurons de rester à jamais fdèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi et de protéger conformément aux lois la sûreté des personnes et des propriétés, la circulationdesgrainsetdessubsis- tancesdansl’intérieurduroyaume, la prescription des contributions publiquessousquelqueformequ’elle existe,etdedemeurerunisàtousles Français par les liens indissolubles de la fraternité. » Charles-François de Bonnay, président de l’Assem- blée constituante lui succède, au nom des députés et des électeurs. Puis c’est au tour de Louis XVI de prononcer son serment : « Moi, roi des Français, je jure d’employer le pouvoir qui m’est délégué par la loi constitutionnelle de l’Etat à main- tenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par moi et à faire exécuter les lois. » Marie-Antoinette montre le Dauphin au peuple et déclare : « Voilà mon fls, il s’unit, ainsi que moi,auxmêmessentiments. »C’est ce qu’on appelle le service mini- mum.Lafoulesemetàentonnerun Te Deum et l’on fnit par se séparer sous les embrassades et les vivats. Lafamilleroyaleneparticiperapas à l’immense banquet (22 000 cou- verts !)donnédanslesjardinsdeLa ›
  • 30. événement politique 30 / Marianne / 27 novembre au 3 décembre 2015 quependantlaGrandeGuerre.Au- delà des tendances politiques ou desconvictionsreligieuses,unpays entier, à commencer par ses sol- dats, va consentir les plus terribles eforts,pratiquementjusqu’àlavic- toire.Unsiècleaprès,leshistoriens n’onttoujourspaslaclé,lesraisons de cette résistance forcenée, de ce sacrifce général. C’est en tout cas, et de loin, dans la douleur et dans le sang, l’union nationale la plus longueetlaplusforterecenséeàce jourdansnotremémoirecollective. LA COALItIOn FAÇOn GAStOn DOUmeRGUe L’entre-deux-guerresaconnuaussi un cabinet d’union nationale. Une union en trompe l’œil. Le 6 février 1934, des groupes de droite, mais aussi des associations d’anciens combattantsetdesliguesd’extrême droitecommel’Actionfrançaiseou lesCamelotsduroiorganisentune manifestation devant la Chambre des députés pour protester contre le limogeage du préfet de police à lasuiteduscandale de l’afaire Sta- visky. Sur la place de la Concorde, en l’occurrence si mal nommée, le rassemblement tourne à l’émeute antiparlementaire. Le bilan est de 15 morts et plus de 2 000 blessés. Le lendemain, puis le 9 et le 12 février, de nouveaux heurts très violents vont augmenter le nombre des morts. Exit le cabinet de Daladier. A la demande de Gas- tonDoumergue,uncabinetd’union nationale voit le jour. La droite et la gauche y sont représentées. Au ministèredelaGuerre,unnoviceau gouvernement :uncertainPhilippe Pétain. Il y côtoie, un dénommé Pierre Laval comme ministre des Colonies. Ce gouvernement va durer neuf mois. Le temps d’une gestation. Puis, quelques années plus tard, d’une atroce fausse couche : celle de la France qui se donne au prétendu sauveur, au « Maréchal,nousvoilà ».Voicivenu letempsdelarepentanceinventée par le régime de Vichy pour faire expier à la France, entre autres, le l’oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes. Je crois en Dieu. » Sesdernièresvolontésvontêtre respectées. La veille de son entrée auPanthéon,le1er  juin1885,lecer- cueil est présenté aux Parisiens, à l’Arc de triomphe. Lequel a rare- ment porté aussi bien son nom : pendanttoutelajournéedu31 mai et toute la nuit du dimanche au lundi,unemaréehumaineconverge vers le catafalque. Toutes les ave- nues qui mènent à l’Etoile sont noires de monde. Et quasiment toutes les boutiques de la capi- tale afchent « Fermé pour deuil national ». Au moins 1 million de personnes sont venues saluer le pèredeGavroche,deCosetteoudes Ténardier. La France mais aussi sesvoisins(l’Italiesedéclareégale- ment en deuil) célèbrent l’écrivain engagé, la grande fgure de l’intel- lectuel en politique. « La légende des siècles » l’accompagne dans sa dernière demeure : aux grands hommes,lapatrie reconnaissante. “L’UnIOn SACRée” et LA GRAnDe GUeRRe Moins de trente ans plus tard, la République va de nouveau se retrouver sur la même ligne. Une ligne de front, cette fois. Le 4  août 1914, Raymond Poincaré, dans un message aux assemblées, appelle les Français à l’« union sacrée ». Le chef de l’Etat écrit : « Dans la guerre qui s’engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l’éter- nelle puissance morale. Elle sera héroïquement défendue par tous ses fls, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’union sacrée et qui sont aujourd’huifraternellementassem- blés dans une même indignation contrel’agresseuretdansunemême foi patriotique. » Nous sommes au lendemain de ladéclarationdeguerreallemande contre Paris. Le terme va entrer dans l’histoire. Cette foi patrio- tique va tenir jusqu’aux grèves et auxmutineriesde1917 ;ellevasou- dertouteslescouchessocialesdela population. La dame patronnesse devient infrmière sur le front ou marraine de poilus, le châtelain abrite les hôpitaux de l’arrière, l’ouvrier partage la vermine des tranchées avec le fls de famille. Le mythe des « planqués de l’arrière » faitlongfeu.Surleplanreligieux,la guerre va reléguer au second plan les tensions avec les catholiques, nées en 1905 lors de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, que Cle- menceau, pourtant viscéralement anticlérical, avait commencé dès 1906àdésamorcerlorsdesdrames survenusdansl’ouestetlecentrede la France lors des inventaires des biens de l’Eglise. Rarement dans son histoire, la République n’a à ce point soudé le pays autour d’elle › “DAnSLAGUeRReqUIS’enGAGe, LAFRAnCeSeRADéFenDUepAR tOUS SeS FILS, DOnt RIen ne bRISeRA L’UnIOn SACRée.” RAymOnD pOInCARé, Le 4 AOût 1914 LA mORt De vICtOR HUGO aura rassemblé la République, qui lui offrit des funérailles nationales. Avant d’entrer au panthéon, à paris, le 1er juin 1885, le père de Gavroche, de Cosette et des thénardier aura été salué par 1 million de personnes. collectionsirot-angel/leemage