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FIG 2009 : Conférence de Michel DESHAIES
1. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Énergie et environnement : le dilemme de l’Espagne
Michel DESHAIES
Professeur de géographie, Université de Nancy 2
23, bd Albert 1er, 54 015 Nancy CEDEX
mideshaies@wanadoo.fr
Introduction
Les préoccupations croissantes concernant l’impact du système énergétique sur l’environnement,
notamment du fait des émissions de dioxyde de carbone qu’il génère, ont conduit depuis la fin des
années 1990, de plus en plus de pays à mettre en place une politique visant à les réduire. Dans cette
volonté de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour « protéger le climat » qui s’est exprimée
par la signature du Protocole de Kyoto en 1997, l’Union européenne a la volonté de jouer un rôle
international exemplaire. En conséquence, elle a pris des engagements très ambitieux puisque lors du
sommet de Bruxelles des 8 et 9 mars 2007 le Conseil européen a adopté l’objectif, à l’horizon 2020,
de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et de porter simultanément à 20 % la part
des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale.
L’exemple de l’évolution du système énergétique de l’Espagne permet d’illustrer les limites auxquelles
se heurtent les ambitions affichées et les déclarations de bonnes intentions concernant la réduction
des émissions polluantes et le développement des énergies renouvelables. En effet, depuis les
années 1980, les préoccupations environnementales ont une influence croissante sur la politique
énergétique espagnole et le pays s’est engagé dans une politique très volontariste de développement
des énergies renouvelables. L’Espagne est ainsi l’un des pays au monde ayant la plus forte capacité
de production d’électricité à partir des éoliennes, tandis que d’autres énergies renouvelables comme
le solaire se développent rapidement. Pourtant, cette politique apparemment exemplaire de réduction
de l’impact environnemental de la production d’électricité a en fait des effets très limités ; si bien que
l’Espagne est très loin de remplir l’objectif pourtant peu ambitieux qui lui a été fixé dans le cadre du
Protocole de Kyoto.
Dans le cadre de cette conférence on montrera l’importance des efforts réalisés par l’Espagne en
matière de développement des énergies renouvelables qui sont devenues des éléments de plus en
plus présents dans les paysages espagnols. On expliquera ensuite pourquoi, malgré ces efforts, les
résultats en matière de réduction de l’impact environnemental sont si décevants et dans quelle
mesure cela risque de peser sur le débat ouvert concernant la politique énergétique du pays.
1 – Un essor exemplaire des énergies renouvelables
1.2. Le gel du nucléaire
Comme dans beaucoup d’autres pays européens, les préoccupations environnementales ont, depuis
les années 1980, une influence croissante sur la politique énergétique espagnole. Ce souci
environnementaliste s’est d’abord traduit par une défiance vis-à-vis de l’utilisation du nucléaire pour la
production d’électricité. En effet, bien que l’Espagne possède le quatrième parc européen de centrales
nucléaires, la pression d’une partie de l’opinion publique, hostile à l’utilisation du nucléaire civil, a
conduit le gouvernement socialiste à décréter en 1984 un moratoire sur la construction de nouveaux
réacteurs. L’accident de la centrale ukrainienne de Tchernobyl en 1986 et l’incident survenu en 1989
sur le réacteur espagnol Vandellos 1 ont confirmé cette défiance ; ce qui s’est traduit par un
renouvellement du moratoire en 1992. De ce fait, cinq projets de construction de nouveaux réacteurs
ont été annulés en 1994 et dans la perspective de trouver une alternative au nucléaire, le
gouvernement s’est engagé dans une politique très volontariste de développement des énergies
renouvelables. Mais entre-temps, les inquiétudes concernant le réchauffement climatique lié à l’essor
des émissions de dioxyde de carbone sont passées au premier rang des préoccupations
environnementales. Aussi, dans le cadre de sa stratégie de lutte contre l’effet de serre présentée au
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2. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Parlement en 1998, le gouvernement a-t-il préconisé la prolongation de la durée de vie des réacteurs
existants, se différenciant ainsi de la politique allemande de sortie du nucléaire. C’est pourquoi, en
dehors du réacteur Vandellos 1, seuls de petits réacteurs de recherche ont été démantelés. Si le parc
nucléaire espagnol est ainsi resté le même depuis la fin des années 1980, sa production a toutefois
légèrement augmenté d’environ 10 % depuis 1990. Mais cette légère progression est loin de suivre
l’augmentation de la consommation ; si bien que la part du nucléaire dans la production d’électricité
espagnole a fortement reculé passant de 36 % en 1990 à seulement 20 % en 2006.
1.2. Le puissant essor de l’énergie éolienne
En conséquence, l’Espagne a cherché une alternative au nucléaire en développant l’un des plus
ambitieux programmes européens de production d’électricité à partir de sources d’énergie
renouvelable. Avec une part de 20 % de la consommation totale en 2007, elle est d’ailleurs l’un des
pays européens où les énergies renouvelables sont les plus importantes, en tout cas bien supérieures
à ce qu’elles représentent en France (13,3 %), en Italie (13,7 %) ou en Allemagne (12 %). Cette place
des énergies renouvelables dans la production d’électricité s’explique d’abord par l’importance de
l’hydroélectricité qui est toutefois très variable d’une année à l’autre en fonction des conditions
météorologiques et des variations interannuelles des précipitations et des débits des fleuves
espagnols. Entre 1993 et 2006, la production hydroélectrique a ainsi varié du simple au double avec
un maximum de 44 TWh en 2003 suivi par un minimum de 23 TWh en 2005. Les conditions
climatiques de la péninsule ibérique ne permettant plus guère d’augmenter ce potentiel
hydroélectrique sujet à de grandes variations interannuelles, c’est donc essentiellement d’autres
sources d’énergie renouvelable que l’on a cherché à développer depuis la fin des années 1990.
L’essor le plus spectaculaire est celui de l’énergie éolienne dont la capacité de production s’est accrue
très rapidement, dans des proportions en tout cas très supérieures à celles des autres énergies
renouvelables (figure 1). En 10 ans seulement, de 1997 à 2007, la capacité de production des
éoliennes est passée de 427 MW à 15 145 MW avec même plus qu’un doublement de la puissance
installée depuis 2003 (figure 2). L’Espagne possède ainsi la deuxième puissance installée de
production d’électricité à partir d’éoliennes en Europe et dans les dernières années elle s’est
beaucoup rapprochée de l’Allemagne qui reste encore en tête bien que la progression de l’Espagne
soit maintenant plus rapide. L’éolien a ainsi fourni 8 % de la consommation d’électricité en 2006 et
avec une production de 26 407 GWh, soit 10 % de la consommation en 2007, l’éolien a même pour la
première fois dépassé l’hydroélectricité. L’objectif très ambitieux du Plan des énergies renouvelables
est d’atteindre une production de 41 000 GWh en éolien en 2010, soit 22 % de la consommation.
Le fort développement de l’éolien en Espagne s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs.
D’une part d’importantes disponibilités en espaces relativement venteux et peu peuplés où il a été
facile d’implanter des éoliennes sans rencontrer de résistance. Dans les communautés villageoises
des plateaux de la Meseta où l’agriculture a fortement décliné au cours des dernières décennies,
l’implantation de parcs éoliens a même été saisie comme une opportunité pour valoriser des terrains
agricoles abandonnés ou de faible intérêt comme les crêtes qui dominent les plateaux. Mais ce sont
surtout les plans successifs de développement éolien mis en place par le gouvernement qui ont
constitué le cadre juridique favorisant l’implantation des parcs et leur raccord au réseau.
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3. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
petite hydraulique 1 biomasse solaire éolienne
Figure 1 : évolution annuelle de la production d’électricité à partir des sources renouvelables
en Espagne : hydraulique, biomasse, solaire, éolienne (en GWh) (source : AEE)
16000
14000
12000
10000
8000
6000
4000
2000
0
1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Figure 2 : puissance installée totale et croissance annuelle des capacités de production
d’électricité à partir des éoliennes en Espagne de 1997 à 2007 (puissance installée en MW)
(source : AEE, APPA) ; en bleu nouvelles capacités installées, en rouge puissance installée
totale
1
Le terme de « petite hydraulique » désigne communément des installations de capacité inférieure ou égale à 10 MW.
3
4. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
45
40
35
30
25
20
15
10
5
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
hydro éolien
Figure 3 : évolution de la production d’électricité hydraulique et éolienne en Espagne de 1990 à
2006 (en TWh/an)
Communauté 1998 1999 2000 2001 2002 2007
Andalousie 112 122 142 150 166 1 459,71
Aragon 135 183 203 412 893 1 723,54
Asturies 24 74 277,96
Baléares 3,65
Canaries 68 82 110 117 127 133,24
Cantabrie 17,85
Castilla-la Manche 34 298 443 610 3 131,36
Castilla y León 29 69 227 299 571 2 818,67
Catalogne 35 60 60 72 75 347,44
Ceuta y Melilla
C. Valencienne 2 3 3 3 590,94
Extremadura
Galice 217 398 608 685 1 077 2 951,69
La Rioja 24 74 204 446,62
Madrid
Murcie 5 5 13 13 13 152,31
4
5. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Navarre 237 336 450 568 686 937,36
Pays Basque 0 24 24 27 152,77
TOTAL 838 1 291 2 162 2 884 4 526 15 145,1
Tableau 1 : puissance des éoliennes installées par province de 1998 à 2007 (en MW) (sources :
CNAE, REE, AEE) – extrait de Herrero (2007)
3500
3000
2500
2000
1500
1000
500
0
Navarre
Ceuta y Melilla
Pays Basque
Castille et León
C. de Valence
Cantabrie
La Rioja
Catalogne
Castille-La Manche
Canaries
Murcie
Galice
Aragon
Andalousie
Madrid
Estrémadure
Asturies
Baléares
Total a 01/01/2004 2004 2005 2006 2007
Figure 4 : évolution de la puissance annuelle installée de 2004 à 2007 par Communauté
Autonome (en MW) (Source : AEE, REE), réalisation : Herrero (2007)
5
6. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Figure 5 : répartition de la puissance installée des éoliennes par Communauté Autonome et
vitesse du vent en 2007
Mais la politique de l’État espagnol a été très inégalement suivie d’effet suivant les régions. En effet, la
répartition des éoliennes et de la puissance installée sur le territoire espagnol est très inégale puisque
59 % du total sont concentrés dans les trois premières régions : Castilla-La Mancha, la Galice et
Castilla y León. Si l’on y ajoute les deux régions suivantes, l’Aragon et l’Andalousie, on atteint même
80 % de la puissance totale installée. Ces inégalités ne reflètent que très partiellement les inégalités
des conditions climatiques et bien entendu des conditions de vent. Certes, la Galice qui possède de
loin le plus fort potentiel éolien arrive aux premiers rangs (et est même restée longtemps en tête
jusqu’en 2007). Mais à l’inverse, les provinces atlantiques à fort potentiel comme la Cantabrie, les
Asturies ou le Pays basque ont très peu d’éoliennes. L’essor de l’éolien s’est fait principalement sur
les plateaux relativement moins venteux de la Meseta intérieure en Castille, où de grands alignements
d’éoliennes se sont implantés sur les barres appalachiennes (photo 1). De la même façon, les régions
du littoral méditerranéen, à potentiel important, sont également dépourvues d’éoliennes. En effet,
même si le gouvernement central a mis au point une législation favorable à l’essor de l’éolien, ce sont
en définitive les Communautés Autonomes qui déterminent les politiques de développement de
l’éolien. Alors que certains gouvernements régionaux ont été précocement favorables à l’éolien,
d’autres sont restés longtemps hostiles ou le sont encore pour des raisons diverses. La présence du
tourisme dans les régions littorales méditerranéennes par exemple a incontestablement constitué un
frein important au développement de l’éolien qui est très peu développé en Catalogne, dans la
province de Murcie, ou dans la Communauté valencienne. On observera toutefois que récemment, il
s’est fortement développé dans la Communauté Valencienne et plus encore en Andalousie qui, en
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7. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
2007, a connu la plus forte progression de toute l’Espagne et représente désormais 10 % de la
puissance installée.
Photo 1 : éoliennes sur crête (photo Herrero, 2007)
Photo 2 : parc éolien (photo Herrero, 2007)
1.3. L’essor récent du solaire
7
8. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
L’exploitation de l’énergie solaire a connu très récemment un essor spectaculaire, en particulier sous
forme de grandes installations que l’on a vu se multiplier depuis 2006 seulement. En effet, malgré un
potentiel particulièrement important, en particulier dans le sud du pays, en Andalousie ou dans la
province de Murcie dans lesquelles il atteint le maximum européen, l’exploitation de l’énergie solaire
était encore très peu développée en 2006, très loin de la capacité installée en Allemagne par
exemple. Depuis lors, de nombreuses grandes installations ont été construites, ou sont en cours de
construction. Il s’agit notamment de parcs photovoltaïques et thermoélectriques, ainsi que de très
spectaculaires tours solaires. De 2006 à 2008, la puissance installée totale des parcs photovoltaïques
est ainsi passée de 128 à 2 973 MW, avec un essor particulièrement impressionnant dans les deux
premières régions, Castilla la Mancha (791 MW en 2008) et l’Andalousie (357 MW). Les plus grands
parcs ont plusieurs dizaines de MW de puissance installée, comme celui de Lucaina de Las Torres
près d’Almeria qui atteint 23 MW (photos 3 et 4). En 2008 l’Espagne comptait ainsi près d’un millier de
grands parcs photovoltaïques, soit 80 % du total mondial.
Photo 3 : montagne couverte de panneaux de cellules photovoltaïque à Lucainena de Las
Torres près d’Alméria en Andalousie (photo : M. Deshaies, 2009)
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9. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Photo 4 : panneaux de cellules photovoltaïques à Lucainena de Las Torres (photo :
M. Deshaies, 2009)
En Andalousie en particulier, deux autres technologies ont connu un grand essor. Plusieurs parcs
thermoélectriques de très grandes dimensions ont été construits ou sont en cours de construction. Le
principe consiste à concentrer les rayons du soleil pour chauffer à 250-300 °C un fluide caloporteur
dans un circuit primaire afin d’alimenter un circuit secondaire de vapeur pressurisée actionnant une
turbine et un alternateur pour produire de l’électricité. Pour ce faire, on utilise des miroirs paraboliques
de 4 à 6 m de haut (photos 5 et 6) et de 10 à 15 m de long. Dans les campagnes à l’ouest de Séville
ou au sud de Guadix, de grandes unités industrielles de 50 MW comportant environ 7 500 collecteurs
solaires sont en cours de développement. L’un des plus grands parcs thermoélectriques, Andasol 1
près de Guadix (photo 6), est composé de six unités de 50 MW pour une puissance installée totale de
300 MW.
9
10. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Photo 5 : « plantations » de miroirs concaves, à Sanlúcar la Mayor près de Séville (photo :
M. Deshaies, 2009)
Photo 6 : centrale thermoélectrique Andasol près de la Calahorra à l’est de Guadix en
Andalousie (photo : M. Deshaies, 2009)
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11. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Les projets les plus spectaculaires sont incontestablement les tours solaires qui reposent sur le
principe de la concentration des rayons solaires en direction d’un seul récepteur placé au sommet
d’une tour dépassant 100 m de hauteur (photo 7). La température qui atteint 600 à 1 000 °C provoque
l’échauffement d’un fluide transformé en vapeur et permettant d’actionner des alternateurs pour
produire du courant électrique. Trois de ces tours ont été construites par la société Abengoa Solar à
Sanlúcar la Mayor à 20 km à l’ouest de Séville avec une puissance installée unitaire de 11 à 20 MW
(PS 20). La première de ces tours inaugurée en mars 2007 est la première centrale thermoélectrique
commerciale du monde. Les 624 miroirs qui réfléchissent les rayons solaires au sommet de la tour
couvrent une superficie de 75 ha. Le complexe de Sanlúcar la Mayor est actuellement en plein
développement et devrait en 2013 comporter 8 centrales pour une puissance installée totale de
302 MW.
Cependant, malgré cet essor spectaculaire, les technologies solaires restent handicapées par la
lourdeur des investissements, la forte consommation d’espace (suivant les technologies, de 1 à 7 ha
par MW installé) et le coût relativement élevé du kWh produit ; si bien que ces installations se sont
développées surtout pour bénéficier des subventions avantageuses attribuées par le gouvernement
espagnol dans le cadre du Plan énergies renouvelables 2005-2010. Le tarif préférentiel de rachat du
courant produit par les centrales photovoltaïques était tellement attractif qu’il est en grande partie à
l’origine de la multiplication des investissements par les sociétés industrielles, si bien que dès 2007 la
puissance installée atteignait cinq fois les objectifs prévus pour 2010. En conséquence, le
gouvernement espagnol a été amené à revoir à la baisse à la fin 2008 le prix de rachat du kWh
photovoltaïque et de ne subventionner à partir de janvier 2009 que l’installation de 500 MW par an ; ce
qui a été à l’origine d’un véritable « rush » sur les investissements solaires afin de profiter avant la fin
de l’année 2008 du tarif préférentiel.
Photo 7 : nouvelles tours solaires Solucar, à Sanlúcar la Mayor près de Séville (photo
A. Humbert, 2007) ; à droite la centrale PS 10 (11 MW) et à gauche la centrale PS 20 en cours de
construction (20 MW)
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12. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
2 – La forte croissance de la consommation énergétique et des émissions polluantes
Si l’on en juge d’après l’essor spectaculaire des énergies renouvelables, on pourrait considérer
l’Espagne comme un pays modèle pour ce qui concerne la lutte contre le changement climatique.
Pourtant, le plus frappant est que malgré ces efforts incontestables, la part des énergies
renouvelables dans le bilan énergétique, non seulement n’a pas augmenté, mais a même baissé au
cours des quinze dernières années. Alors qu’en 1990 les énergies renouvelables couvraient 7 % de la
consommation énergétique totale, cette part était tombée à 6,5 % en 2006. Et pourtant, converties en
tep (tonnes équivalent pétrole), les productions de l’ensemble des sources d’énergie renouvelable
(hydraulique, solaire, éolien, biomasse) ont bien augmenté de 50 % entre les deux dates. Mais cette
progression spectaculaire a été en fait inférieure à celle de l’ensemble de la consommation
énergétique intérieure qui, durant la même période, est passée de 89,7 à 143,9 millions de tep, soit
une augmentation de 60 % (figure 6). Si l’on veut se rendre compte de la différence d’échelle entre
l’essor des énergies renouvelables et l’augmentation de la consommation énergétique, il suffit de
préciser que cette dernière a progressé de 54 millions de tep durant la période 1990-2006, alors que
les énergies renouvelables n’ont permis de produire qu’un peu plus de 3 millions de tep
supplémentaires, soit à peine 6 % de la croissance de la demande énergétique !
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Figure 6 : évolution de la consommation d’énergie primaire de l’Espagne de 1990 à 2006 (en
millions de tep/an)
L’importante croissance de la consommation énergétique espagnole est la rançon de la modernisation
et de l’enrichissement du pays, particulièrement spectaculaire depuis son entrée dans l’Union
européenne en 1986. L’essor économique et l’élévation générale du niveau de vie qui est maintenant
supérieure à la moyenne de l’Union européenne à 27, ont entraîné une rapide augmentation de la
consommation finale d’énergie (+70 %). Celle-ci concerne tous les secteurs, mais elle a été
particulièrement importante dans les transports (+82 % d’augmentation de 1990 à 2006) et les
services (+138 %), alors que même dans le secteur industriel où elle a été la plus modérée, elle a
quand même progressé de 50 % !
12
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120
100
80
agriculture
services
60 ménages
industrie
transports
40
20
0
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
Source : Eurostat, conception et réalisation : M. Deshaies
Figure 7 : évolution de la consommation finale d’énergie en Espagne par secteurs, de 1990 à
2006 (en millions de tep)
L’une des principales conséquences de cette évolution de la consommation énergétique et
notamment de la croissance des transports automobiles, est l’augmentation de la consommation de
pétrole qui a progressé de 60 % entre 1990 et 2006, passant de 48 à 78 millions de tonnes ; si bien
que l’ensemble des produits pétroliers fournit presque la moitié de la consommation totale. Mais la
source d’énergie qui a le plus progressé est de loin le gaz naturel, presque inexistant en 1990 et dont
le volume consommé a triplé depuis 1998. Avec une part de 21 % du bilan énergétique, équivalente à
celle du charbon et du nucléaire réunis, le gaz naturel est ainsi devenu la deuxième source d’énergie
du pays. Le gaz naturel, en grande partie importé d’Algérie, du Nigeria, du Qatar et d’Égypte, est
utilisé principalement par l’industrie et pour produire de l’électricité, alors qu’il joue un rôle encore
modeste pour la consommation domestique (pour le chauffage des maisons). Il en résulte que
l’Espagne est devenue l’un des pays de l’Union européenne les plus dépendants des hydrocarbures.
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14. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Conception et réalisation : Herrero
Figure 8 : évolution de la consommation d’énergie primaire et des sources d’énergie en
Espagne (en ktep) (source : ministère de l’Industrie, tourisme et commerce)
renouvelables
6,5%
nucléaire
11%
charbon
pétrole
12%
49%
gaz naturel
21,5%
pétrole gaz naturel charbon nucléaire renouvelables
Source : Eurostat, conception et réalisation : Deshaies
Figure 9 : part des différentes sources dans la consommation primaire d’énergie en Espagne
en 2006
Si près de la moitié de la progression de la consommation énergétique de l’Espagne depuis 1990 est
due aux besoins croissants de pétrole pour les transports, le reste vient pour l’essentiel de
14
15. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
l’augmentation de la consommation d’électricité qui a doublé entre 1990 et 2006 (figure 10) ; ce qui
représente même la plus forte croissance enregistrée en Europe. Elle résulte pour les deux tiers, de la
très forte progression de la consommation des services (+162 %) et des ménages (+117 %). Mais il
faut aussi souligner que, contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des autres pays
européens, la consommation de l’industrie a continué à progresser fortement (+69 %), notamment
dans certains secteurs comme la sidérurgie et la papeterie où elle a doublé ; si bien que l’industrie
représentait encore en 2006 43 % de la consommation finale d’électricité (contre 50 % en 1990).
250
200
150
100
50
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Figure 10 : évolution de la consommation finale d’électricité en Espagne de 1990 à 2006 (en
TWh/an)
15
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140
120
100
80
60
40
20
0
‐20
1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005
consommation renouvelables
Figure 11 : croissance de la consommation finale d’électricité et de la production à partir de
sources d’énergie renouvelables en Espagne de 1990 à 2006 (en TWh/an)
Comme le montre la figure 11, la croissance de la consommation d’électricité a ainsi été très
supérieure à la progression de la production à partir de sources d’énergie renouvelables, dont les
fortes fluctuations d’une année sur l’autre, s’expliquent principalement par les variations de la
production hydroélectrique. Néanmoins, à partir de 2000, la montée en puissance de la production
éolienne montre une nette progression des énergies renouvelables, qui est toutefois sans commune
mesure avec l’augmentation inexorable de la consommation d’électricité. En conséquence, les
énergies renouvelables n’ont pu couvrir qu’une très faible part de la croissance de la consommation.
Aussi, face à la stagnation des deux piliers de la production électrique que sont le charbon et le
nucléaire (figures 12 et 13), il a fallu recourir massivement à une nouvelle source d’énergie, le gaz
naturel. La production électrique des centrales à gaz a ainsi quadruplé entre 2001 et 2006 et le gaz
naturel est même devenu la première source de production d’électricité avec environ 29 % du total en
2006 (figure 13). Par ailleurs, on peut aussi noter que le pétrole a vu sa part augmenter sensiblement ;
ce qui représente en volume une assez forte progression puisque la production des centrales
thermiques au pétrole a été multipliée par 2,5 entre 1990 et 2006.
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17. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
autres
1%
pétrole gaz
6% 1%
hydro
17% charbon
39%
nucléaire
36%
charbon nucléaire hydro pétrole gaz autres
Figure 12 : les sources de production d’électricité en Espagne en 1990 (152 TWh)
autres
3%
charbon
22%
gaz
29%
nucléaire
20%
pétrole
8%
éolien hydro
8% 10%
charbon nucléaire hydro éolien pétrole gaz autres
Figure 13 : les sources de production d’électricité en Espagne en 2006 (303 TWh)
Parmi les conséquences de cette évolution du bilan énergétique, il faut souligner d’une part
l’accroissement de la dépendance vis-à-vis des importations qui représentaient en 2006 86 % de la
consommation (contre 62 % en 1990) ; ce qui fait de l’Espagne l’un des pays européens ayant le taux
de dépendance le plus important. L’autre conséquence est l’accroissement considérable des
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18. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
émissions de dioxyde de carbone provenant du système énergétique en raison principalement de
l’augmentation de la consommation d’hydrocarbures et secondairement de celle de charbon.
Entre 1990 et 2005 les émissions de dioxyde de carbone de l’Espagne se sont ainsi accrues de
52 % ; ce qui, après Chypre, représente la plus grande augmentation au sein de l’Union européenne
(figure 14). Du point de vue de la lutte contre le changement climatique et des objectifs du Protocole
de Kyoto ratifié par l’Union européenne, l’Espagne apparaît même comme le plus mauvais élève
puisqu’elle est l’État le plus éloigné de son objectif pourtant peu ambitieux qui consistait à contenir
l’augmentation de ses émissions à 15 % du total de 1990 (figure 15).
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Espagne UE15 UE27
Figure 14 : évolution des émissions de gaz à effet de serre de l’Espagne/moyenne de l’UE 15 et
de l’UE 27
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Allemagne -18,5%
R-U -15,5%
Italie +11,8%
Danemark -8,3%
Pays-Bas -0,6%
Belgique -2,3%
Autriche +18%
Finlande -2,8%
France -1,6%
Suède -7,3%
Irlande +26,5%
Portugal +45,4%
Grèce +25%
Espagne +52%
Pologne -31,4%
Tchèquie -25%
Hongrie -30,5%
Slovaquie -31,5%
Bulgarie -47%
Roumanie -44%
-300 -250 -200 -150 -100 -50 0 50 100 150 200
objectif évolution
Figure 15 : objectifs et évolutions réelles des émissions de gaz à effet de serre de pays
membres de l’Union européenne entre 1990 et 2005 (source : EEA 2006)
Les chiffres suivant les noms de pays correspondent aux pourcentages d’évolution par rapport à
1990. L’axe des abscisses est gradué en millions de tonnes d’équivalent CO2.
3 – Le dilemme espagnol : quels choix énergétiques pour l’avenir ?
Les évolutions constatées dans la consommation et la production d’énergie depuis la fin des années
1980 ont donc abouti à une augmentation considérable des émissions de gaz à effet de serre et,
simultanément, à un accroissement tout aussi impressionnant de la dépendance énergétique du pays
pour son approvisionnement en hydrocarbures. Ce bilan doublement négatif est, dans une large
mesure, la conséquence de l’évolution éminemment positive que constitue la modernisation de
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20. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
l’Espagne et l’accroissement substantiel du niveau de vie de la population. Une économie beaucoup
plus productive, une population beaucoup plus motorisée et vivant dans des logements plus grands et
plus confortables sont quelques-uns des facteurs à l’origine de la croissance très rapide de la
consommation énergétique. Parmi les développements qui illustrent le plus concrètement le rôle de
l’accroissement du niveau de vie et du confort dans l’augmentation de la consommation énergétique, il
faut souligner l’importance de la croissance du parc automobile et la généralisation de l’équipement
des logements en installations de climatisation. L’essor de ces dernières est ainsi largement
responsable de la forte augmentation de la consommation électrique des ménages (+120 % de 1990
à 2006) et plus encore de celle des services (+160 %), alors que dans le même temps celle de
l’industrie a été relativement plus modeste (+68 %), quoique beaucoup plus forte que dans la plupart
des autres pays européens.
Photo 7 : batteries de climatiseurs à Séville (photo : Deshaies, avril 2009)
Cette forte croissance des consommations domestiques explique aussi en partie pourquoi l’Espagne
et le Portugal sont les seuls pays de l’Union européenne qui n’ont pas réussi à baisser leur intensité
énergétique depuis 1990 ; ce qui signifie que, pour produire la même valeur de PIB, les pays de la
péninsule ibérique utilisaient en 2006 autant d’énergie (voire même plus) qu’en 1990, alors que dans
le même temps l’intensité énergétique a baissé de 10 % en France, de 20 % en Allemagne et en
Grèce et même de 30 % en Suède et au Royaume-Uni.
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300
250
200 Espagne
Italie
France
150 Allemagne
Grèce
Royaume‐Uni
100 Suède
50
0
05
97
99
01
03
91
93
95
20
20
19
19
20
19
19
19
Source : Eurostat ; conception et réalisation : M. Deshaies
Figure 16 : évolution de l’intensité énergétique (en kgep – kilogramme d’équivalent pétrole –
par 1 000 euros)
Sur le graphe, on remarque l’originalité de l’évolution de l’intensité énergétique de l’Espagne qui reste
constante durant toute la période. À l’inverse, l’intensité énergétique des six autres pays baisse, aussi
bien dans les pays ayant une intensité plus forte en 1990 (Grèce, Suède et Royaume-Uni) que dans
ceux où elle était déjà plus faible (France, Italie, Allemagne).
Cette explosion de la consommation dont l’importance est sans commune mesure avec l’essor
pourtant spectaculaire des énergies renouvelables, amène à une remise en cause d’une partie des
choix énergétiques faits dans les années 1980 pour des raisons environnementales. Parmi ceux-ci, il y
a bien entendu la question du moratoire sur le nucléaire qui est devenue récemment un sujet de
controverse traversant la gauche espagnole. La fermeture en avril 2006 du premier réacteur nucléaire
espagnol, celui de la centrale José Cabrera à Almunicad de Zorita près de Guadaljara, n’a pas suscité
de réaction, car il s’agissait d’un réacteur très ancien et de faible puissance (153 MW), mis en service
il y a 38 ans. Par contre, le programme de fermeture progressive des huit autres réacteurs encore en
service est de plus en plus vigoureusement contesté. Si le chef du gouvernement espagnol, José Luis
Zapatero, a fait inscrire dans le programme électoral socialiste de mars 2008 l’abandon progressif du
nucléaire pour le remplacer par des énergies renouvelables, du gaz importé d’Algérie et des
importations d’électricité de France, des socialistes de poids comme l’ancien chef du gouvernement
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22. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
Felipe Gonzales, ou le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, se sont ouvertement déclarés
pour le maintien du nucléaire.
Figure 17 : les réacteurs nucléaires espagnols en 2009
La résolution du gouvernement espagnol a été mise à l’épreuve au cours de l’année 2009 au sujet de
la fermeture de la centrale de Garoña, dans le nord de la Castilla y León. Bien que ce réacteur de
466 MW, mis en service en 1971, devait être fermé en 2011, le gouvernement socialiste lui a accordé
en juillet 2009 un sursis de deux années supplémentaires. Même si le gouvernement espagnol n’a
pas été jusqu’à prolonger de dix ans le réacteur, comme le demandaient les partisans de la poursuite
de l’exploitation, cette demi-mesure apparaît comme une faiblesse et une concession de José Luis
Zapatero dont la décision a mécontenté aussi bien les écologistes que les pro-nucléaires. Le débat
entre les deux partis est assez emblématique du dilemme énergétique que connaît l’Espagne. Si les
écologistes soulignent que la centrale nucléaire de Garoña est vieille, dangereuse et peu productive,
les partisans du nucléaire ont fait valoir le maintien des 1 000 emplois concernés et à moyen terme, la
nécessité de prolonger le nucléaire qui a l’avantage de n’émettre aucun gaz à effet de serre et de
réduire la dépendance énergétique du pays. Cet épisode semble marquer la première étape d’un
débat sur l’avenir du nucléaire en Espagne puisqu’en l’absence de renouvellement du parc actuel, les
sept réacteurs encore en service devraient fermer entre 2021 et 2028. La question qui se pose pour
les dix années à venir est de savoir si l’essor des énergies renouvelables pourra être suffisant afin de
compenser la production électronucléaire.
Conclusion
Le bilan que l’on peut d’ores et déjà dresser de l’évolution de la politique énergétique espagnole
depuis les années 1980 est pour le moins contrasté. La prise en compte croissante des impératifs
environnementaux a conduit à un moratoire sur le nucléaire et à un développement considérable des
énergies renouvelables dans lesquelles le pays est devenu un des leaders mondiaux. Mais dans le
même temps, la modernisation et le développement économique du pays ont conduit à une énorme
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23. Festival international de Géographie 2009 – Itinéraire 7
croissance de la consommation énergétique, de volume bien supérieur aux progrès des énergies
renouvelables. C’est pourquoi l’Espagne est le pays de l’Union européenne ayant le plus augmenté sa
consommation d’énergie et ses émissions de gaz à effet de serre, dans des proportions d’ailleurs bien
supérieures aux objectifs qui lui étaient fixés dans le cadre du Protocole de Kyoto. De plus, la
croissance de la consommation énergétique a contraint le pays à augmenter considérablement ses
importations d’hydrocarbures, que ce soit le pétrole pour les transports, ou le gaz naturel pour la
production d’électricité. Cette dépendance croissante et la nécessité de réduire ou du moins de
ralentir la progression des émissions de gaz à effet de serre ont conduit à une réouverture du débat
sur l’avenir du nucléaire dont l’image noire du point de vue environnemental est aujourd’hui
réexaminée à la lumière de la question du réchauffement climatique.
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