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Giuliana Sgrena : un livre sur les printemps arabes
Les Révolutions violées
Printemps Laïcs, vote islamiste
« Pour les observateurs superficiels, la modernité
des « printemps arabes s’est limitée à l’utilisation des
nouvelles technologies et des réseaux sociaux, alors
que le rôle de protagonistes des femmes et leurs
revendications de genre, le véritable résultat moderne
des révoltes, a été généralement ignoré. C’est surtout
la complexité d’une révolution et des obstacles à
surmonter qui a été sous-estimée (…) Les médias
occidentaux ont décrété la faillite des « printemps
arabes », pour découvrir ensuite l’évolution
désastreuse des révoltes, qui ont été bel et bien
militarisées par l’Occident et l’Otan.
« Ce livre est né de la nécessité de reconnaître le
rôle de protagonistes des femmes par une lecture au
féminin des révoltes, ainsi que du désir de comprendre pourquoi les printemps laïcs ont été suivis d’un vote
islamiste… »
Née à Masera (Italie), Giuliana Sgrena est une journaliste de guerre engagée connue pour son
opposition aux conflits armés et son militantisme pour les droits des femmes. Elle a travaillé dans les
années 1980 pour l’hebdommadaire Guerra e Pace puis, à partir de 1988, pour le quotidien Il Manifesto
pour lequel elle couvert les événements en Irak. Son enlèvement en plein centre de Baghdad en 2005 et
sa libération mouvementée, le 4 mars, après un mois de détention ont défrayé la chronique. Elle est
l’auteur de nombreux ouvrages liés à l’actualité politique dans le monde arabe. Elle a relaté l’épisode
irakien dans « embuscade à Baghdad » (casbah-Editions – 2006).
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L’ouvrage de Giuliana Sgrena fait le bilan critique des révolutions arabes. Dans Révolutions violées :
printemps laïc, vote islamiste, la célèbre journaliste italienne évoque les pays remués par les insurrections
populaires dès janvier 2011, pour raconter les soubresauts d’une séquence historique qui n’en est qu’à son
début.
Une analyse aussi minutieuse que passionnante, dans laquelle elle décortique toute la complexité d’un
processus révolutionnaire qui n’est pas à l’abri de crises contrerévolutionnaires ou de déviations, comme
c’est le cas en Libye et en Syrie. Reporter de guerre et féministe engagée, Giuliana Sgrena examine, dans
son livre, les révolutions à partir des positions acquises ou perdues des femmes au lendemain de la chute
des régimes despotiques.
C’est un livre qui donne la voix aux femmes, elles qui étaient au cœur des révolutions dont les valeurs
défendues étaient aussi universelles. «C’est à l’aune des conquêtes des femmes qui en étaient le cœur
battant que l’ont peut juger de leur succès des révolutions», assure Giuliana Sgrena. Elle, qui est partie à la
rencontre des femmes en Tunisie et en Egypte après la chute des régimes, revient avec un sentiment
mâtiné. L’espoir de voir triompher les valeurs de libertés et l’inquiétude de la régression.
«En Tunisie, les femmes ont certes gardé leurs positions et leurs statuts politiques, mais la première
victoire des islamistes d’Ennahdha s’est employée à réislamiser la société, ce qui a été perçu comme un
recul en matière d’émancipation des femmes. Cependant, la victoire de Nidaa Tounes rappelle aussi la
résistance des femmes.»
Tout n’est pas perdu, mais rien n’est gagné non plus. «Nous sommes dans un long processus. La
consécration des droits des femmes serait un signe de la réussite de ce processus», assure l’auteur en
soulignant une poussée timide des femmes dans des pays comme l’Arabie Saoudite et le Yémen avec le
prix Nobel de la paix, Tawakkol Karman, symbole de la forte implication des femmes dans la révolution. A
l’Egypte, Giuliana Sgrena consacre un chapitre dans son livre – «La verginità dei militari» (la virginité de
l’armée) – pour évoquer le combat historique des femmes dans la vallée du Nil.
La période succédant à la chute de Moubarak n’a pas été «tendre» avec les femmes. L’impitoyable
répression militaire dont la cible était les femmes, notamment avec l’arrestation des militantes soumises
dans les geôles aux ignominieux tests de virginité. La victoire des Frères musulmans était également une
phase critique pour les femmes au regard de leur conception rétrograde de la société. Giuliana Sgrena, qui
a couvert les tentatives de soulèvement de 2011 en Algérie, raconte dans son livre l’insurrection d’Octobre
1988 contre le parti unique, un pays qui sombre dans une violence massive.
«Pour beaucoup de pays arabes qui ont connu la révolution, le drame algérien est un point de
référence, un laboratoire qui devra servir de référence», estime la journaliste italienne. Elle clôt son livre
par le sombre chapitre qu’ouvre l’Etat islamique qui cherche à précipiter l’Orient dans le Moyen Age.
Giuliana Sgrena, qui a été correspondante de guerre en Irak, a subi la barbarie des phalanges terroristes à
Felloudja. Elle a passé un mois entre les mains des hommes d’El Zarqaoui, «ancêtre» d’El Baghdadi.
«J’explique l’Etat islamique à partir de la première guerre du Golfe, comment Al Qaîda a quitté Felloudja
pour se retirer aux confins de Moussoul avant que la guerre en Syrie ne vienne servir de rampe de
lancement pour l’Etat islamique qui se réinstalle dans un Irak dévasté par des interventions militaires»,
développe notre consœur.
Dans ce processus historique dans lequel est projeté le monde arabe, Giuliana Sgrena note un moment
fort qui a renversé une vieille équation géopolitique : «Pour la première fois, c’est le Sud qui contamine le
Nord et inspire la jeunesse européenne. Dans l’imaginaire européen, quelque chose a bougé. Pour la
seconde fois consécutive, le Forum social mondial se tiendra à Tunis l’an prochain. Les Indignados en
Espagne ont rebaptisé la Puerta del Sol (la porte du Soleil) Place Tahrir.» Un livre à lire et surtout à
traduire.
Hacen Ouali : El Watan
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Un extrait du livre :
Chapitre 4
Algérie : Exception ou modèle ?
Alger, le 5 octobre 2013. Un quart de siècle s’est écoulé depuis le 5 octobre 1988 lorsque, à l’appel du
syndicat et des forces de gauche, les Algériens descendirent dans la rue pour revendiquer justice, liberté et
démocratie. Le moment était difficile, les étalages des magasins étaient presque vides, la crise
économique s’abattait surtout les couches les plus pauvres de la population. Mais il ne s’agissait pas d’une
« révolte de couscous », telle qu’elle avait été décrite par les médias occidentaux : c’était une contestation
contre l’oppression du parti unique, contre la répression policière, pour la justice sociale, à l’image de ce
qui s’est passé en 2011 dans d’autres pays arabes.
La répression fut brutale : 500 morts. Beaucoup de syndicalistes, étudiants, représentants de la gauche
et intellectuelle furent emprisonnés et torturés.
Les islamistes, par contre, eurent la liberté d’agir et purent exploiter la révolte et occuper l’espace de la
contestation.
Vingt-cinq ans plus tard, le bilan n’est certainement positif.
J’étais à Alger à l’époque de cette insurrection, je me retrouve encore une fois dans la capitale à
l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire. Le climat est triste, certainement pas celui des grandes
célébrations ; les tentatives de commémorer les martyrs d’octobre 1988 ont été empêchées par les forces
de l’ordre. La révolte de 1988 a mené à la fin du parti unique et à la naissance de la presse indépendante,
étonnamment vivace et pluraliste par rapport à l’ensemble du monde arabe. Aujourd’hui, la presse est
moins désinvolte, et aussi moins libres qu’avant ; la révision du Code pénal sur le délit de diffamation porte
souvent les journalistes devant les tribunaux, bien que la possibilité d’être emprisonnés ait récemment été
abrogée.
Les restrictions, cependant, ne concernent pas les réflexions sur l’anniversaire du 5 octobre, qui,
occupent beaucoup d’espace dans la presse. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui, « sinon un échec,
une trahison, un rêve brisé ? » lit-on dans l’un des plus célèbres journaux indépendants, El Watan : des
mots amers de Nouri Nesrouche, qui reflètent la désillusion d’un peuple, ou du moins de la génération qui
garde encore bien gravées dans l’esprit les valeurs de la Guerre d’indépendance.
En 2011, en plein Printemps arabe, le journaliste Akram Belkaïd a écrit : « Certes, nous avons obtenu le
multipartisme et la liberté de la presse, mais peut-on parler de succès quand le dictateur de la veille se
transforme subitement en réformateur ? Mais la société algérienne n’a pas voulu poursuivre la
contestation. Les classes moyennes, effrayées par la violence, ont cru naïvement que le système,
soudainement perçu comme vertueux, octroierait la liberté et la démocratie… Quelle erreur ! Le
« printemps algériens » était déjà condamné avant de commencer ».
En sera-t-il de même pour les révoltes et les révolutionnaires en cours dans d’autres pays arabes ?
Si le « printemps algérien » de 1988 a été une déception, il n’est pas facile de recommencer sur le sillon
des révoltes des pays voisins, même si le régime d’alors est toujours au pouvoir. Le terrorisme des
Groupes islamiques armés, qui ont semé la mort pendant les années quatre-vingt-dix, a engendré une peur
difficile à surmonter.
Alger, le 12 février 2011 ? Place du Premier mai. « Nous avons, nous aussi, notre petite place Tahrir »,
me dit une jeune femme, élégante, avec un bouquet de fleurs dans les mains, comme si elle devait se
rendre à un rendez-vous galant.
Le rendez-vous est fixé à onze heures, mais à neuf heures les premiers manifestants sont déjà sur
place. Ceux et celles qui venaient d’en dehors d’Alger ont gagné la capitale le soir précédent, craignant ce
qui s’est effectivement passé. Toutes les voies d’accès à Alger ont été bloquées. Et à la place du Premier
mai, où se déroulent toutes les manifestations les plus importantes, l’espace est déjà occupé par trois mille
policiers et agents spéciaux. Parmi eux, pour la première fois il y avait une équipe anti-émeute féminine,
plus aguerrie que celles de leurs collègues masculins, appelée à faire face à la présence organisée des
associations de femmes. Les personnalités les plus connues sont bloquées par les agents dès leur arrivée,
et puis amenées dans les casernes.
« Après l’Égypte et la Tunisie, maintenant c’est notre tour », disent les manifestants. Les femmes
semblent les plus déterminées. Elles l’ont été également en Tunisie et au Caire.
Il y a des femmes de tous âges, y compris quelques Moudjahidates, des combattantes de la Guerre de
libération d’il y a cinquante ans et protagonistes de toutes les luttes pour les droits des femmes, notamment
contre le code de la famille pendant les années quatre-vingt-dix. Le 8 mars 1997, treize associations de
femmes avaient lancé une campagne pour la récolte d’ « un million de signatures pour les droits des
femmes dans la famille ». Cette initiative proposait la révision de vint-deux articles du Code de la famille,
approuvé en 1984 et lourdement discriminatoire contre les femmes. La révision approuvée en 2005 ne
répond pas à plusieurs des demandes avancées. La lutte donc continue.
Un rapport récent (février 2013) de la Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection
des droits de l’Homme (CNPPDH), présidée par Farouk Ksentini, identifie le Code de la famille comme
l’une des « neuf plaies » qui affligent l’Algérie » (El Watan, 5 février 2013). La Commission demande une
révision totale de ce texte de loi parce qu’il est « source d’iniquité et d’inégalité », en expliquant que « il n’y
aura pas de développement dans le pays tant que les droits d’une grande partie de la société seront niés. Il
faut renforcer les droits des femmes pour faire avancer la société vers la modernité et le développement »,
lit-on dans le rapport envoyé au président de la République Abdelaziz Bouteflika.
Au-delà des résultats concrets, la campagne promue par les associations féminines lançait un signal
fort : les femmes n’attendraient pas la fin du terrorisme pour avancer leurs demandes, elles ne répéteraient
pas l’erreur commise pendant la Guerre de libération (1954-1962), quand elles avaient reporté la bataille
pour leurs droits à après la conquête de l’indépendance. Mais après la libération du colonialisme, elles
avaient été renvoyées à la maison par leurs compagnons, et, en1984, avec la promulgation du Code de la
famille, réduites à des citoyens de série B.
En effet, la campagne pour la révision du Code de la famille avait été lancée lorsque l’Algérie était en
otage des Groupes Islamiques Armés qui frappaient sans distinction la population provoquant des
massacres et des destructions. On a dénombré environ cent mille morts causés par le terrorisme islamique
pendant les années quatre-vingt-dix, même s’il n’y a pas de chiffres officiels. Il faut ajouter à cela environ
sept mille disparus : leurs familles continuent à demander des comptes à l’armée sur leur disparition, par
exemple via l’association Sos Disparus.
Les Algériennes se sont vu reconnaitre le mérite d’avoir battu – surtout psychologiquement – le
terrorisme. Elles ne se sont jamais rendues, en risquant leur peau : assassinées parce qu’elles ne portaient
pas le voile, parce qu’elles enseignaient l’anglais, parce qu’elles travaillaient comme coiffeuse ou
n’acceptaient pas les diktats des intégristes. Considérées comme « butin de guerre » à amener dans le
maquis pour satisfaire les appétits sexuels des bandes armées et réduites en esclavage, comme c’est le
cas aujourd’hui en Syrie. Des traumatismes profonds, que des psychologues volontaires ont mis des
années à essayer de guérir, pour redonner à ces jeunes femmes une vie normale. Tâche ardue, eu égard
au milieu conservateur qui les entourent.
Chérifa Bouatta, psychologue et enseignante universitaire, a assisté beaucoup de ces victimes, et
continue à le faire via la Sarp (Société Algérienne pour la Recherche en Psychologie). Avec Chérifa
Kheddar, présidente de Djazairouna, association de victimes du terrorisme, elle a créé un centre d’aide
psychologique à Blida, une ville à cinquante kilomètre d’Alger, au cœur de ce que pendant la décennie
noire (on appelle ainsi les années quatre-vingt-dix) était considéré comme le « triangle de la mort » à cause
des massacres atroces commis par les Groupes Islamiques Armés. Un frère et une sœur de Chérifa
Kheddar ont été assassinés à Blida.
Les deux Chérifa sont aussi les porte-parole de l’Observatoire sur la violence contre les femmes,
constitué en 2010 par plusieurs associations féminines.
Elles font partie des initiatrices de la journée de protestation du 12 février 2011, en collaboration avec
d’autres associations, des syndicats autonomes, des jeunes blogueurs, des partis de l’opposition, de la
Ligue pour la Défense des Droits de l’Homme, des victimes du terrorisme, et de Sos Disparus. Ensemble,
ils ont constitué la Coordination pour le Changement et la Démocratie qui a réuni des organisations qui,
pendant quatre-vingt-dix, étaient sur des positions différentes par rapport à l’islamisme et à la contre le
terrorisme.
La société algérienne est politiquement plus organisée que la société tunisienne ou égyptienne, mais
cela ne suffit pas pour garantir le succès de la mobilisation. Malgré l’annonce du vieil avocat de la Ligue
pour la Défense des Droits de l’Homme, Ali Yahia Abdenour, âgé de plus de quatre-vingts ans, qui, en
quittant la place du Premier mai avec un grand bleu sur le bras gauche causé par les bousculades des
policiers, dit : « Ce n’est que le début, mais la révolution a commencé ». Ce ne sera pas le cas.
Les mots d’ordre des manifestants algériennes rappelaient ceux de Tunis – « Dégage ! », « Système
dégage ! » -, mais l’effet de contagion est resté superficiel. Après quelques tentatives de reproduire la
mobilisation chaque samedi (le jour avait été choisi pour éviter toute connotation religieuse), les divisions
au sein de la coordination ont fini par enterrer la révolte. Certaines organisation ne voulaient pas des partis
dans la coordination, car elles les considéraient comme une partie du système bien qu’ils soient petits et
depuis toujours dans l’opposition. Une sorte de mouvement anti-politique qui a divisé les organisateurs des
premières manifestations et signé la fin des mobilisations. Les protestations ont continué et continuent
jusqu’à présent, mais pour des revendications syndicales ou sociales spécifiques.
Toutefois, l’opposition entre la politique et l’ « anti-politique » n’a pas été la seule cause de l’échec de la
révolte ; ni la répression des forces de l’ordre, qui ont fait physiquement obstacle aux manifestations en
occupant l’espace public – heureusement sans provoquer de victimes. D’autres raisons ont marqué
« l’exception algérienne » par rapport aux autres places arabes.
Pour les Algériens qui manifestaient, le problème n’était pas le départ du président Bouteflika, ils
voulaient se défaire de tout un système corrompu. Le message à communiquer était donc plus complexe.
D’autre part, lors des manifestations, le régime a envoyé dans la rue ses partisans. Malgré les
provocations, l’affrontement a été évité, mais cela a pollué la mobilisation. Il faut considérer en outre que
les conditions de l’Algérie, grâce aux revenus pétroliers, ne sont pas dramatiques comme celles des pays
voisins : le gouvernement, en vue entre autres des élections de 2012, a pu se permettre de distribuer des
logements sociaux, de faire recruter des chômeurs par les sociétés publiques, et d’augmenter les salaires
minimum. L’Algérie dispose de réserves en devise d’une ampleur (205,2 milliards de dollars à la fin de
2012) qu’elle a pu octroyer un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international.
Toutefois, l’élément qui, en ce moment, distingue le plus les Algériens de leurs frères arabes est la peur.
A Tunis et au Caire, les manifestants ont souvent répété à la presse que « Rien ne sera plus comme avant
car nous avons vaincu la peur ». A Alger, par contre, l’une des raisons principales qui ont paralysé le
peuple en l’empêchant de descendre dans la rue a été la peur de revenir en arrière de quinze ou vingt ans,
aux horreurs du terrorisme. Une blessure encore ouverte. C’est la même peur qui l’avait poussé à voter à
large majorité la proposition de concorde nationale du Président Bouteflika pour mettre fin aux
affrontements qui ensanglantaient le pays. Le 19 septembre 2005, un référendum avait approuvé la
proposition de loi qui prévoyait le pardon pour les terroristes qui acceptaient de déposer les armes et qui
n’avaient pas commis de des crimes sanglants (dans le cas contraire, ils auraient dû être dénoncés par
leurs victimes – mais ces victimes sont encore terrorisées par leurs bourreaux). Il s’agit d’une loi du pardon
– garantie par l’amnistie – qui n’a jamais représenté l’occasion d’une véritable réconciliation pour une
société divisée entre victimes et bourreaux, parce qu’elle ne se basait pas sur l’affirmation de la justice ni
sur la reconnaissance des torts et des raisons. Sans cette réparation, y compris uniquement morale, le
deuil n’est pas possible à faire.
Les terroristes ainsi amnistiés ont pu se refaire une vie : avec l’argent obtenu comme « butin de guerre »
certains ont entrepris des activités commerciales, d’autres ont été réintégrés dans leurs anciens postes de
travail, tous ont acquis une nouvelle crédibilité malgré les crimes commis.
Un jour, à Blida, pendant que Chérifa Kheddar me désignait les nouvelles villas construites par les
anciens terroristes, l’un d’entre eux nous a fait poursuivre par la police. Et c’est nous qui avons dû nous
justifier et expliquer pourquoi nous étions là-bas. Heureusement, un cimetière chrétien pas loin nous a
fourni un alibi : je devais me rendre au cimetière pour chercher la tombe d’un parent éloigné. La voiture de
la police ne nous a pas quittées tant que nous sommes restées dans les parages.
La peur du retour du terrorisme concerne tout le monde, y compris les jeunes qui n’ont pas vécu
directement cette période, au point que lorsqu’en 2012, dans tous les pays arabes on éclaté les
manifestations contre le film « blasphématoire » sur le prophète Mohamed Innocence of Muslims, les
Algériens n’ont pas bougé. Pas parce qu’ils n’étaient pas informés : « Nous en avons discuté, surtout nous
les étudiants, y compris via Facebook, mais nous avons décidé de ne pas descendre dans la rue, nous ne
voulons plus être considérés comme des terroristes », m’a expliqué Amir, 22 ans, étudiant d l’INSTITUT
National de Commerce d’Alger. Une explication pareille indique aussi que les jeunes ont dû intérioriser la
culpabilisation du monde musulman développée par l’Occident après les attentats du 11 septembre 200.
« Paradoxalement, affirme Chérifa Bouatta, quand nous dénoncions le terrorisme islamique, l’Occident
nous disait que nous devions nous mettre d’accord avec les islamistes pour résoudre nos problèmes, puis,
le 11 septembre pour l’Occident a découvert le terrorisme islamique et nous sommes tous devenus des
terroristes potentiels ». Ceci a mené à un isolement encore plus grand du monde arabe et islamique, et
l’isolement, en général, facilite le retranchement sur des positions de plus en plus radicales. Les jeunes
Algériens, au contraire, après une phase où ils ont été subjugués par le radicalisme islamique et en ont
payé les conséquences, semblent aujourd’hui plus enclins à jouer la carte de la modération, de la laïcité
même (position plus répandue dans la génération qui a vécu la Guerre de libération).
La peur de retourner au passé a certainement représenté un frein à la révolte contre le système, mais
selon Chérifa Kheddar, ceci n’a pas été le seul élément dissuasif : « Nous avons déjà fait notre révolution,
en 1988 ». En anticipant ce qui arrivera plus tard en Tunisie et en Égypte, à l’époque c’étaient les laïcs qui
avaient provoqué la révolte, pas pour le pain, mais pour la justice et la démocratie. Mais l’arrestation des
militants de gauche avait laissé l’espace libre aux islamiste, jusqu’alors absents de la rue. Le Front
Islamique du Salut (Fis) a été le premier parti à être légalisé après la fin du parti unique sanctionné par la
nouvelle Constitution de 1989. En 1990, le Fis a remporté les élections administratives dans les villes
principales. Mais ces élections avaient une particularité : les hommes pouvaient voter pour les femmes de
leur famille (mères, épouses, filles) sur simple présentation du livret de famille. Je me souviens qu’en me
rendant aux bureaux réservés aux femmes, plusieurs fois je n’y avais trouvé que des hommes. Avec la
victoire aux élections, le Fis a commencé à imposer ses lois, y compris es plus absurdes : des panneaux
de signalisation routière avaient été remplacés par des versets du Coran. Ce sont surtout les femmes qui
ont été pénalisées, elles qui airaient dû abandonner leurs places de travail pour les laisser aux hommes,
porter le voile et tout le reste. En décembre 1991, le Fis remporta le premier tour des élections politiques
(avec 57 pour cent), en récoltant le vote de sanction, mais grâce aussi à la division des forces laïques et à
la forte abstention (48 pour cent des ayants droit). En allant au ballotage le Fis aurait pu obtenir les deux
tiers de l’assemblée nécessaire pour changer la Constitution (et il l’aurait fait pour introduire la charia). En
outre, puisque les islamistes ne présentaient pas de femmes candidates, il y avait le risque d’élire un
parlement sans représentation féminine. Le pays était sous le choc.
Le premier tour électoral s’était déroulé le 26 décembre, j’étais la seule journaliste italienne présente ;
en pleine période de Noёl, mes collègues avaient décidé de ne suivre que le deuxième tour, en janvier.
Étant donné la situation, je préférai ne pas rentrer à Rome et passer le réveillon à Alger. La conviction
diffuse que cela pouvait être le dernier réveillon célébré avec de l’alcool et des fêtes, créa une atmosphère
de délire collectif. L’angoisse permettait tout excès. Elle m’avait gagnée. Mais un ami me répétait : Il n’y a
pas de quoi désespérer, on trouvera une solution ! ». Moi, incrédule, j’insistais : « Mais quelle solution ? ».
Je voyais déjà le pays se précipiter dans l’obscurantisme des ayatollahs.
Les premiers à investir la rue furent les femmes ; le siège du syndicat (l’Union Générale des Travailleurs
Algériens), près de la place du Premier mai, était devenue le siège du Comité national pour la sauvegarde
de l’Algérie et la défense des valeurs de la Guerre de libération. L’intervention de l’armée – vue encore
comme l’armée populaire de libération – considérée comme le garant de la Constitution, était souhaitée par
tous ceux et celles qui craignaient que l’Algérie ne se transformât en un État islamique (« L’Algérie ne sera
ni le Soudan ni l’Iran » était l’un des slogans les plus utilisés). Comment l’éviter ?
L’Algérie a à ce moment-là, était partagée en partisans et détracteurs de l’interruption du processus
électoral. Nous savons comment cela s’est terminé : l’armée prit le pouvoir et annula le deuxième tour
électoral. On a beaucoup discuté de la légitimité de ce coup de force, qui annula un résultat électoral qui,
bien qu’altéré par des trucages et des malversations, représentait la volonté populaire. On a hasardé des
comparaisons historiques (les élections remportées par Hitler en 1939) et des questions de principe. Plus
de vingt ans après, en raisonnant a posteriori (mais pour certains cela était évident dès le départ) on peut
peut-être affirmer que pour le pays cela a été une chose positive.
Les islamistes les plus radicaux n’attendirent certainement pas le « coup d’État légal » pour exercer la
violence : les premières attaques avaient eu lieu contre des gardes-frontières en 1989. En mai 1991, les
islamistes essayèrent de prendre le pouvoir par une grève générale en organisant une grande occupation
de la place du Premier mai. Ici furent célébrés les premiers mariages de jouissances (ou temporaires), une
tradition chiite adoptée par les sunnites pour consommer des rapports sexuels avec la bénédiction de Dieu.
Malheureusement, les femmes n’imaginaient pas qu’il s’agissait d’un mariage fictif, un lien qu’on peut
rompre à tout moment, sans aucune procédure. Il suffit d’en déclarer la fin trois fois, aujourd’hui même par
sms.
Après avoir raté la voie insurrectionnelle – la grève avait été très peu suivie –, les islamistes essayèrent
la voie électorale, cette fois avec plus de succès. Mais leur victoire fut empêchée par l’armée. Puis, avec la
dissolution du Fis, le passage à la clandestinité des islamistes et la formation des Groupes islamiques
armés, le bain de sang commença.
L’Algérie a été un laboratoire et aurait pu servir d’exemple aux pays qui aujourd’hui sont en train de vivre
des situations similaires. Mais chacun n’apprend que de ses propres erreurs, ou alors il croit être exempt
de faux pas. « La Tunisie n’est pas l’Algérie », m’ont toujours répété les femmes tunisiennes, qui
n’imaginaient pas que les islamistes pouvaient profiter de l’ouverture démocratique pour imposer leurs
choix par la violence. Et récemment une amie algérienne m’a raconté que, invitée à Tunis par une
association de femmes pour une conférence sur l’islamisme, elle a été priée de mettre un bémol à son
intervention pour ne pas faire peur au public.
Le régime algérien semble se sentir immunisé contre la contagion des révolutions arabes. Les élections
politiques de 2012 ont confirmé « l’exception algérienne » : les islamistes, qui s’étaient réunis dans
l’Alliance verte en en espérant reproduire le succès des Frères musulmans tunisiens et égyptiens, ont été
battus, tandis que les femmes, grâce à une disposition de la loi électorale, ont obtenu un pourcentage de
35 % au parlement. Une reconnaissance due, mais sûrement encore en-dessous de leurs capacités et de
leur rôle dans la société, en-dessous surtout de l’égalité des sexes qui est l’une des revendications sur
lesquelles se basent les révolutions arabes.
L’Algérie est reconnue par ses partenaires internationaux comme le seul pays stable de la région. Mais
le statut quo est-il destiné à durer ? Au plan économique, la baisse du prix du pétrole n’est pas en mesure,
pour le moment, de provoquer des secousses, même si le gouvernement a annoncé des réductions des
dépenses publiques. La corruption reste un des principaux problèmes (à la base, entre autre, de la révolte
de 2011, bien qu’avortée) et de nouveaux scandales sont en train d’ébranler l’opinion publique (comme
l’affaire Eni-Saipem-Sonatrach).
Sans se soucier de toutes les conditions défavorables, le Front de Libération Nationale (Fln, ancien parti
unique) a posé de nouveau la candidature de Abdelaziz Bouteflika aux élections présidentielles du 17 avril
2014, et le concerné a accepté. Un choix déconseillé par son état de santé : le président est encore
convalescent après l’accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013 et les soins en France qui l’ont suivi. Sa
longue absence du pays, avec le silence sur les causes réelles, a créé in dangereux vide politique :
l’Algérie est une République à régime présidentiel et la maladie du Président Bouteflika a paralysé le
gouvernement. Le dernier jour avant l’échéance pour l’approbation du bilan de l’État, le 29 septembre
2013, après neuf mois d’absence, le Président Bouteflika a réapparu sur un fauteuil roulant, entouré de ses
ministres. Par une brève séance, le Conseil a approuvé le bilan.
Entre-temps, le 11 septembre 2013, le gouvernement a subi un remaniement par lequel des ministres-
clés – Intérieur et justice – ont été remplacés pour la préparation des élections. « Toutes les places
stratégiques sont maintenant entre les mains du clan Bouteflika, beaucoup d’entre eux sont originaires du
même village que lui », me dit Said Sadi, que je rencontre à Alger au début du mois d’octobre 2013. Ex
président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (Rcd) – un petit parti laïc qu’il a fondé,
depuis plus d’un an il s’est retiré de la scène politique. La dernière fois que je l’avais vu c’était lors des
manifestations de 2011 à la place du Premier mai. Mais pourquoi a-t-il fait taire sa voix dans un pays qui
semble subjugué par le Président Bouteflika et anesthésié par la peur ? « J’ai quitté la présidence du parti
en 2012 pour céder la place aux jeunes, je voulais donner l’exemple ; maintenant je suis un militant, je ne
me suis pas retiré », précise Sadi. C’est un cas pratiquement unique, même si le Président Bouteflika en
personne, dans un discours de 2012, avait déclaré, en surprenant tout le monde, qu’il était temps de céder
la place.
Le Président Bouteflika se représente donc pour un quatrième mandat : l’actuelle Constitution,
opportunément amendée en 2008 en prévision du troisième mandat, le permet, car elle ne prévoit plus la
limitation des mandats présidentiels. Les protestations n’ont pas manqué. A la fin du mois de février 2014
s’est constitué le mouvement Barakat ! « Un mouvement de citoyens pacifique et autonome qui refuse le
quatrième mandat et milite pour l’instauration d’un système démocratique en Algérie », lit-on dans un
communiqué. Mais la première manifestation, qui s’est tenue le 1er
mars devant l’université d’Alger, a été
durement réprimée par les forces de l’ordre.
Entre-temps, le Président a refait son apparition à la télévision. Les candidats en lice pour se mesurer
avec lui sont déjà nombreux, y compris des anciens premiers ministres, parmi lesquels Ali Benflis, qui
regagne l’arène politique après avoir été battu il y a dix ans. Les islamistes, par contre, boycotteront. Si le
Président Bouteflika se porte de nouveau candidat, il est certain qu’il gagnera.
Pour Said Sadi, trop jeune pour participer à la Guerre de libération, le premier « printemps » a été le
printemps berbère de 1980. A l’époque, comme d’autres fois, il finit en prison. Said Sadi, qui en 2004 avait
essayé de défier Bouteflika aux élections présidentielles qu’aujourd’hui il boycotte avec son parti,
m’explique que le pire des maux de l’Algérie est la corruption, qui a atteint des niveaux impressionnant et
est désormais ancrée dans toute la société. Le malaise social grandit, les protestations sont nombreuses,
des milliers chaque année, mais pour le moment elles sont désorganisées, sans aucune coordination entre
elles. « Je ne pense pas à une solution politique pacifique, je crains que nous ne puissions sortir de cette
situation que par la violence », conclut amèrement Said Sadi.
Selon les observateurs, le parlement lui-même ne reflète plus les humeurs politiques des Algériens,
alors que les révoltes sociales sont en train de secouer surtout le Sud du pays. Personne ne se soucie de
donner une réponse à ces problèmes. De même que personne ne semble mesurer les conséquences d’un
probable retour en Algérie des terroristes qui se sont refugiés ces dernières années au Mali, d’où ils ont été
chassés, au moins en partie, par l’intervention française en janvier 2013.
Chaque fois que j’arrive en Algérie, je remarque les signes de changement en observant les femmes.
Le 28 avril 2013, en revenant à Alger après quelques mois d’absence, je trouve une situation très
différente. Alors que les palais continuent de pousser come des champignons et les panneaux publicitaires
des grandes marques sont exposés sur la rue principale du centre ville, Didouche Mourad, les femmes se
promènent de nouveau voilées. Y compris les jeunes étudiantes de l’École de journalisme, où j’étais invitée
pour une conférence. Le voile, comme toujours, n’est pas un choix, mais la tentative de se soustraire à la
violence de plus en plus répandue. « Les hommes dans la rue te regardent comme s’ils voulaient te
déshabiller, si tu portes une robe qui laisse les mollets découverts ils ne te quittent plus du regard, c’est
s’ils voulaient te mordre avec leurs yeux. Et alors tu te couvres, tu cèdes aux impositions qui n’ont même
plus besoin de diktats étalés sur les portes des mosquées », explique une étudiante. La violence qui se fait
un bouclier de la religion s’accompagne de la délinquance ordinaire, celle des vols grands et petits. Peu
importe si pour les commettre il faut tuer. La vie n’a plus aucune valeur.
Les mois passent et de nouveaux changements se font sentir. Au début du mois d’octobre 2013, les
journées sont magnifiques et je peux tranquillement descendre et remonter les rues qui relient la baie aux
collines où s’allonge la ville. Pendant la période du terrorisme il était impossible de se promener à pieds et
les journalistes étaient escortés ; pour moi, ne pas pouvoir marcher librement dans une ville que je connais
bien, était une véritable torture. Heureusement, ces moments appartiennent au passé, bien que l’islamisme
ait laissé des traces, une sorte d’orientalisation des mœurs. Ainsi, lorsque je sors avec mes copines
algériennes, trouver un restaurant qui sert du vin est devenu quelque chose de compliqué, à l’exception de
certains hôtels et restaurants luxueux. Avant c’était différent. A l’époque de la colonisation, l’Algérie était le
premier producteur mondial de vin, et je me souviens avoir bu un excellent rouge algérien dans le Sahara,
à Timimoun, en plein Ramadhan. Aujourd’hui, l’Algérie est considérée comme le pays le plus stable et
fiable de la région, y compris par les Américains, qui jusqu’à récemment misaient sur l’allié égyptien.
Mais l’Algérie est-il véritablement un pays stable ? Certes, le pétrole et le gaz servent à maintenir un
consensus intéressé autour de la rente, mais jusqu’à quand ?
Les révoltes spontanées, les revendications syndicales, le malaise social sont-ils destinés à exploser ?
Selon un journaliste d’El Khabar, le quotidien en arabe qui se vend à plus de cinq cent mille copies par
jour, l’Algérie pourrait être à la veille d’une nouvelle révolution.

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Giuliana sgrena

  • 1. Giuliana Sgrena : un livre sur les printemps arabes Les Révolutions violées Printemps Laïcs, vote islamiste « Pour les observateurs superficiels, la modernité des « printemps arabes s’est limitée à l’utilisation des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, alors que le rôle de protagonistes des femmes et leurs revendications de genre, le véritable résultat moderne des révoltes, a été généralement ignoré. C’est surtout la complexité d’une révolution et des obstacles à surmonter qui a été sous-estimée (…) Les médias occidentaux ont décrété la faillite des « printemps arabes », pour découvrir ensuite l’évolution désastreuse des révoltes, qui ont été bel et bien militarisées par l’Occident et l’Otan. « Ce livre est né de la nécessité de reconnaître le rôle de protagonistes des femmes par une lecture au féminin des révoltes, ainsi que du désir de comprendre pourquoi les printemps laïcs ont été suivis d’un vote islamiste… » Née à Masera (Italie), Giuliana Sgrena est une journaliste de guerre engagée connue pour son opposition aux conflits armés et son militantisme pour les droits des femmes. Elle a travaillé dans les années 1980 pour l’hebdommadaire Guerra e Pace puis, à partir de 1988, pour le quotidien Il Manifesto pour lequel elle couvert les événements en Irak. Son enlèvement en plein centre de Baghdad en 2005 et sa libération mouvementée, le 4 mars, après un mois de détention ont défrayé la chronique. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages liés à l’actualité politique dans le monde arabe. Elle a relaté l’épisode irakien dans « embuscade à Baghdad » (casbah-Editions – 2006). _____________________________________________________________________________________ L’ouvrage de Giuliana Sgrena fait le bilan critique des révolutions arabes. Dans Révolutions violées : printemps laïc, vote islamiste, la célèbre journaliste italienne évoque les pays remués par les insurrections populaires dès janvier 2011, pour raconter les soubresauts d’une séquence historique qui n’en est qu’à son début. Une analyse aussi minutieuse que passionnante, dans laquelle elle décortique toute la complexité d’un processus révolutionnaire qui n’est pas à l’abri de crises contrerévolutionnaires ou de déviations, comme c’est le cas en Libye et en Syrie. Reporter de guerre et féministe engagée, Giuliana Sgrena examine, dans son livre, les révolutions à partir des positions acquises ou perdues des femmes au lendemain de la chute des régimes despotiques. C’est un livre qui donne la voix aux femmes, elles qui étaient au cœur des révolutions dont les valeurs défendues étaient aussi universelles. «C’est à l’aune des conquêtes des femmes qui en étaient le cœur battant que l’ont peut juger de leur succès des révolutions», assure Giuliana Sgrena. Elle, qui est partie à la rencontre des femmes en Tunisie et en Egypte après la chute des régimes, revient avec un sentiment mâtiné. L’espoir de voir triompher les valeurs de libertés et l’inquiétude de la régression. «En Tunisie, les femmes ont certes gardé leurs positions et leurs statuts politiques, mais la première victoire des islamistes d’Ennahdha s’est employée à réislamiser la société, ce qui a été perçu comme un recul en matière d’émancipation des femmes. Cependant, la victoire de Nidaa Tounes rappelle aussi la résistance des femmes.» Tout n’est pas perdu, mais rien n’est gagné non plus. «Nous sommes dans un long processus. La consécration des droits des femmes serait un signe de la réussite de ce processus», assure l’auteur en
  • 2. soulignant une poussée timide des femmes dans des pays comme l’Arabie Saoudite et le Yémen avec le prix Nobel de la paix, Tawakkol Karman, symbole de la forte implication des femmes dans la révolution. A l’Egypte, Giuliana Sgrena consacre un chapitre dans son livre – «La verginità dei militari» (la virginité de l’armée) – pour évoquer le combat historique des femmes dans la vallée du Nil. La période succédant à la chute de Moubarak n’a pas été «tendre» avec les femmes. L’impitoyable répression militaire dont la cible était les femmes, notamment avec l’arrestation des militantes soumises dans les geôles aux ignominieux tests de virginité. La victoire des Frères musulmans était également une phase critique pour les femmes au regard de leur conception rétrograde de la société. Giuliana Sgrena, qui a couvert les tentatives de soulèvement de 2011 en Algérie, raconte dans son livre l’insurrection d’Octobre 1988 contre le parti unique, un pays qui sombre dans une violence massive. «Pour beaucoup de pays arabes qui ont connu la révolution, le drame algérien est un point de référence, un laboratoire qui devra servir de référence», estime la journaliste italienne. Elle clôt son livre par le sombre chapitre qu’ouvre l’Etat islamique qui cherche à précipiter l’Orient dans le Moyen Age. Giuliana Sgrena, qui a été correspondante de guerre en Irak, a subi la barbarie des phalanges terroristes à Felloudja. Elle a passé un mois entre les mains des hommes d’El Zarqaoui, «ancêtre» d’El Baghdadi. «J’explique l’Etat islamique à partir de la première guerre du Golfe, comment Al Qaîda a quitté Felloudja pour se retirer aux confins de Moussoul avant que la guerre en Syrie ne vienne servir de rampe de lancement pour l’Etat islamique qui se réinstalle dans un Irak dévasté par des interventions militaires», développe notre consœur. Dans ce processus historique dans lequel est projeté le monde arabe, Giuliana Sgrena note un moment fort qui a renversé une vieille équation géopolitique : «Pour la première fois, c’est le Sud qui contamine le Nord et inspire la jeunesse européenne. Dans l’imaginaire européen, quelque chose a bougé. Pour la seconde fois consécutive, le Forum social mondial se tiendra à Tunis l’an prochain. Les Indignados en Espagne ont rebaptisé la Puerta del Sol (la porte du Soleil) Place Tahrir.» Un livre à lire et surtout à traduire. Hacen Ouali : El Watan _____________________________________________________________________________________ Un extrait du livre : Chapitre 4 Algérie : Exception ou modèle ? Alger, le 5 octobre 2013. Un quart de siècle s’est écoulé depuis le 5 octobre 1988 lorsque, à l’appel du syndicat et des forces de gauche, les Algériens descendirent dans la rue pour revendiquer justice, liberté et démocratie. Le moment était difficile, les étalages des magasins étaient presque vides, la crise économique s’abattait surtout les couches les plus pauvres de la population. Mais il ne s’agissait pas d’une « révolte de couscous », telle qu’elle avait été décrite par les médias occidentaux : c’était une contestation contre l’oppression du parti unique, contre la répression policière, pour la justice sociale, à l’image de ce qui s’est passé en 2011 dans d’autres pays arabes. La répression fut brutale : 500 morts. Beaucoup de syndicalistes, étudiants, représentants de la gauche et intellectuelle furent emprisonnés et torturés. Les islamistes, par contre, eurent la liberté d’agir et purent exploiter la révolte et occuper l’espace de la contestation. Vingt-cinq ans plus tard, le bilan n’est certainement positif. J’étais à Alger à l’époque de cette insurrection, je me retrouve encore une fois dans la capitale à l’occasion de son vingt-cinquième anniversaire. Le climat est triste, certainement pas celui des grandes célébrations ; les tentatives de commémorer les martyrs d’octobre 1988 ont été empêchées par les forces
  • 3. de l’ordre. La révolte de 1988 a mené à la fin du parti unique et à la naissance de la presse indépendante, étonnamment vivace et pluraliste par rapport à l’ensemble du monde arabe. Aujourd’hui, la presse est moins désinvolte, et aussi moins libres qu’avant ; la révision du Code pénal sur le délit de diffamation porte souvent les journalistes devant les tribunaux, bien que la possibilité d’être emprisonnés ait récemment été abrogée. Les restrictions, cependant, ne concernent pas les réflexions sur l’anniversaire du 5 octobre, qui, occupent beaucoup d’espace dans la presse. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui, « sinon un échec, une trahison, un rêve brisé ? » lit-on dans l’un des plus célèbres journaux indépendants, El Watan : des mots amers de Nouri Nesrouche, qui reflètent la désillusion d’un peuple, ou du moins de la génération qui garde encore bien gravées dans l’esprit les valeurs de la Guerre d’indépendance. En 2011, en plein Printemps arabe, le journaliste Akram Belkaïd a écrit : « Certes, nous avons obtenu le multipartisme et la liberté de la presse, mais peut-on parler de succès quand le dictateur de la veille se transforme subitement en réformateur ? Mais la société algérienne n’a pas voulu poursuivre la contestation. Les classes moyennes, effrayées par la violence, ont cru naïvement que le système, soudainement perçu comme vertueux, octroierait la liberté et la démocratie… Quelle erreur ! Le « printemps algériens » était déjà condamné avant de commencer ». En sera-t-il de même pour les révoltes et les révolutionnaires en cours dans d’autres pays arabes ? Si le « printemps algérien » de 1988 a été une déception, il n’est pas facile de recommencer sur le sillon des révoltes des pays voisins, même si le régime d’alors est toujours au pouvoir. Le terrorisme des Groupes islamiques armés, qui ont semé la mort pendant les années quatre-vingt-dix, a engendré une peur difficile à surmonter. Alger, le 12 février 2011 ? Place du Premier mai. « Nous avons, nous aussi, notre petite place Tahrir », me dit une jeune femme, élégante, avec un bouquet de fleurs dans les mains, comme si elle devait se rendre à un rendez-vous galant. Le rendez-vous est fixé à onze heures, mais à neuf heures les premiers manifestants sont déjà sur place. Ceux et celles qui venaient d’en dehors d’Alger ont gagné la capitale le soir précédent, craignant ce qui s’est effectivement passé. Toutes les voies d’accès à Alger ont été bloquées. Et à la place du Premier mai, où se déroulent toutes les manifestations les plus importantes, l’espace est déjà occupé par trois mille policiers et agents spéciaux. Parmi eux, pour la première fois il y avait une équipe anti-émeute féminine, plus aguerrie que celles de leurs collègues masculins, appelée à faire face à la présence organisée des associations de femmes. Les personnalités les plus connues sont bloquées par les agents dès leur arrivée, et puis amenées dans les casernes. « Après l’Égypte et la Tunisie, maintenant c’est notre tour », disent les manifestants. Les femmes semblent les plus déterminées. Elles l’ont été également en Tunisie et au Caire. Il y a des femmes de tous âges, y compris quelques Moudjahidates, des combattantes de la Guerre de libération d’il y a cinquante ans et protagonistes de toutes les luttes pour les droits des femmes, notamment contre le code de la famille pendant les années quatre-vingt-dix. Le 8 mars 1997, treize associations de femmes avaient lancé une campagne pour la récolte d’ « un million de signatures pour les droits des femmes dans la famille ». Cette initiative proposait la révision de vint-deux articles du Code de la famille, approuvé en 1984 et lourdement discriminatoire contre les femmes. La révision approuvée en 2005 ne répond pas à plusieurs des demandes avancées. La lutte donc continue. Un rapport récent (février 2013) de la Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection des droits de l’Homme (CNPPDH), présidée par Farouk Ksentini, identifie le Code de la famille comme l’une des « neuf plaies » qui affligent l’Algérie » (El Watan, 5 février 2013). La Commission demande une révision totale de ce texte de loi parce qu’il est « source d’iniquité et d’inégalité », en expliquant que « il n’y aura pas de développement dans le pays tant que les droits d’une grande partie de la société seront niés. Il faut renforcer les droits des femmes pour faire avancer la société vers la modernité et le développement », lit-on dans le rapport envoyé au président de la République Abdelaziz Bouteflika. Au-delà des résultats concrets, la campagne promue par les associations féminines lançait un signal fort : les femmes n’attendraient pas la fin du terrorisme pour avancer leurs demandes, elles ne répéteraient
  • 4. pas l’erreur commise pendant la Guerre de libération (1954-1962), quand elles avaient reporté la bataille pour leurs droits à après la conquête de l’indépendance. Mais après la libération du colonialisme, elles avaient été renvoyées à la maison par leurs compagnons, et, en1984, avec la promulgation du Code de la famille, réduites à des citoyens de série B. En effet, la campagne pour la révision du Code de la famille avait été lancée lorsque l’Algérie était en otage des Groupes Islamiques Armés qui frappaient sans distinction la population provoquant des massacres et des destructions. On a dénombré environ cent mille morts causés par le terrorisme islamique pendant les années quatre-vingt-dix, même s’il n’y a pas de chiffres officiels. Il faut ajouter à cela environ sept mille disparus : leurs familles continuent à demander des comptes à l’armée sur leur disparition, par exemple via l’association Sos Disparus. Les Algériennes se sont vu reconnaitre le mérite d’avoir battu – surtout psychologiquement – le terrorisme. Elles ne se sont jamais rendues, en risquant leur peau : assassinées parce qu’elles ne portaient pas le voile, parce qu’elles enseignaient l’anglais, parce qu’elles travaillaient comme coiffeuse ou n’acceptaient pas les diktats des intégristes. Considérées comme « butin de guerre » à amener dans le maquis pour satisfaire les appétits sexuels des bandes armées et réduites en esclavage, comme c’est le cas aujourd’hui en Syrie. Des traumatismes profonds, que des psychologues volontaires ont mis des années à essayer de guérir, pour redonner à ces jeunes femmes une vie normale. Tâche ardue, eu égard au milieu conservateur qui les entourent. Chérifa Bouatta, psychologue et enseignante universitaire, a assisté beaucoup de ces victimes, et continue à le faire via la Sarp (Société Algérienne pour la Recherche en Psychologie). Avec Chérifa Kheddar, présidente de Djazairouna, association de victimes du terrorisme, elle a créé un centre d’aide psychologique à Blida, une ville à cinquante kilomètre d’Alger, au cœur de ce que pendant la décennie noire (on appelle ainsi les années quatre-vingt-dix) était considéré comme le « triangle de la mort » à cause des massacres atroces commis par les Groupes Islamiques Armés. Un frère et une sœur de Chérifa Kheddar ont été assassinés à Blida. Les deux Chérifa sont aussi les porte-parole de l’Observatoire sur la violence contre les femmes, constitué en 2010 par plusieurs associations féminines. Elles font partie des initiatrices de la journée de protestation du 12 février 2011, en collaboration avec d’autres associations, des syndicats autonomes, des jeunes blogueurs, des partis de l’opposition, de la Ligue pour la Défense des Droits de l’Homme, des victimes du terrorisme, et de Sos Disparus. Ensemble, ils ont constitué la Coordination pour le Changement et la Démocratie qui a réuni des organisations qui, pendant quatre-vingt-dix, étaient sur des positions différentes par rapport à l’islamisme et à la contre le terrorisme. La société algérienne est politiquement plus organisée que la société tunisienne ou égyptienne, mais cela ne suffit pas pour garantir le succès de la mobilisation. Malgré l’annonce du vieil avocat de la Ligue pour la Défense des Droits de l’Homme, Ali Yahia Abdenour, âgé de plus de quatre-vingts ans, qui, en quittant la place du Premier mai avec un grand bleu sur le bras gauche causé par les bousculades des policiers, dit : « Ce n’est que le début, mais la révolution a commencé ». Ce ne sera pas le cas. Les mots d’ordre des manifestants algériennes rappelaient ceux de Tunis – « Dégage ! », « Système dégage ! » -, mais l’effet de contagion est resté superficiel. Après quelques tentatives de reproduire la mobilisation chaque samedi (le jour avait été choisi pour éviter toute connotation religieuse), les divisions au sein de la coordination ont fini par enterrer la révolte. Certaines organisation ne voulaient pas des partis dans la coordination, car elles les considéraient comme une partie du système bien qu’ils soient petits et depuis toujours dans l’opposition. Une sorte de mouvement anti-politique qui a divisé les organisateurs des premières manifestations et signé la fin des mobilisations. Les protestations ont continué et continuent jusqu’à présent, mais pour des revendications syndicales ou sociales spécifiques. Toutefois, l’opposition entre la politique et l’ « anti-politique » n’a pas été la seule cause de l’échec de la révolte ; ni la répression des forces de l’ordre, qui ont fait physiquement obstacle aux manifestations en occupant l’espace public – heureusement sans provoquer de victimes. D’autres raisons ont marqué « l’exception algérienne » par rapport aux autres places arabes.
  • 5. Pour les Algériens qui manifestaient, le problème n’était pas le départ du président Bouteflika, ils voulaient se défaire de tout un système corrompu. Le message à communiquer était donc plus complexe. D’autre part, lors des manifestations, le régime a envoyé dans la rue ses partisans. Malgré les provocations, l’affrontement a été évité, mais cela a pollué la mobilisation. Il faut considérer en outre que les conditions de l’Algérie, grâce aux revenus pétroliers, ne sont pas dramatiques comme celles des pays voisins : le gouvernement, en vue entre autres des élections de 2012, a pu se permettre de distribuer des logements sociaux, de faire recruter des chômeurs par les sociétés publiques, et d’augmenter les salaires minimum. L’Algérie dispose de réserves en devise d’une ampleur (205,2 milliards de dollars à la fin de 2012) qu’elle a pu octroyer un prêt de 5 milliards de dollars au Fonds monétaire international. Toutefois, l’élément qui, en ce moment, distingue le plus les Algériens de leurs frères arabes est la peur. A Tunis et au Caire, les manifestants ont souvent répété à la presse que « Rien ne sera plus comme avant car nous avons vaincu la peur ». A Alger, par contre, l’une des raisons principales qui ont paralysé le peuple en l’empêchant de descendre dans la rue a été la peur de revenir en arrière de quinze ou vingt ans, aux horreurs du terrorisme. Une blessure encore ouverte. C’est la même peur qui l’avait poussé à voter à large majorité la proposition de concorde nationale du Président Bouteflika pour mettre fin aux affrontements qui ensanglantaient le pays. Le 19 septembre 2005, un référendum avait approuvé la proposition de loi qui prévoyait le pardon pour les terroristes qui acceptaient de déposer les armes et qui n’avaient pas commis de des crimes sanglants (dans le cas contraire, ils auraient dû être dénoncés par leurs victimes – mais ces victimes sont encore terrorisées par leurs bourreaux). Il s’agit d’une loi du pardon – garantie par l’amnistie – qui n’a jamais représenté l’occasion d’une véritable réconciliation pour une société divisée entre victimes et bourreaux, parce qu’elle ne se basait pas sur l’affirmation de la justice ni sur la reconnaissance des torts et des raisons. Sans cette réparation, y compris uniquement morale, le deuil n’est pas possible à faire. Les terroristes ainsi amnistiés ont pu se refaire une vie : avec l’argent obtenu comme « butin de guerre » certains ont entrepris des activités commerciales, d’autres ont été réintégrés dans leurs anciens postes de travail, tous ont acquis une nouvelle crédibilité malgré les crimes commis. Un jour, à Blida, pendant que Chérifa Kheddar me désignait les nouvelles villas construites par les anciens terroristes, l’un d’entre eux nous a fait poursuivre par la police. Et c’est nous qui avons dû nous justifier et expliquer pourquoi nous étions là-bas. Heureusement, un cimetière chrétien pas loin nous a fourni un alibi : je devais me rendre au cimetière pour chercher la tombe d’un parent éloigné. La voiture de la police ne nous a pas quittées tant que nous sommes restées dans les parages. La peur du retour du terrorisme concerne tout le monde, y compris les jeunes qui n’ont pas vécu directement cette période, au point que lorsqu’en 2012, dans tous les pays arabes on éclaté les manifestations contre le film « blasphématoire » sur le prophète Mohamed Innocence of Muslims, les Algériens n’ont pas bougé. Pas parce qu’ils n’étaient pas informés : « Nous en avons discuté, surtout nous les étudiants, y compris via Facebook, mais nous avons décidé de ne pas descendre dans la rue, nous ne voulons plus être considérés comme des terroristes », m’a expliqué Amir, 22 ans, étudiant d l’INSTITUT National de Commerce d’Alger. Une explication pareille indique aussi que les jeunes ont dû intérioriser la culpabilisation du monde musulman développée par l’Occident après les attentats du 11 septembre 200. « Paradoxalement, affirme Chérifa Bouatta, quand nous dénoncions le terrorisme islamique, l’Occident nous disait que nous devions nous mettre d’accord avec les islamistes pour résoudre nos problèmes, puis, le 11 septembre pour l’Occident a découvert le terrorisme islamique et nous sommes tous devenus des terroristes potentiels ». Ceci a mené à un isolement encore plus grand du monde arabe et islamique, et l’isolement, en général, facilite le retranchement sur des positions de plus en plus radicales. Les jeunes Algériens, au contraire, après une phase où ils ont été subjugués par le radicalisme islamique et en ont payé les conséquences, semblent aujourd’hui plus enclins à jouer la carte de la modération, de la laïcité même (position plus répandue dans la génération qui a vécu la Guerre de libération). La peur de retourner au passé a certainement représenté un frein à la révolte contre le système, mais selon Chérifa Kheddar, ceci n’a pas été le seul élément dissuasif : « Nous avons déjà fait notre révolution, en 1988 ». En anticipant ce qui arrivera plus tard en Tunisie et en Égypte, à l’époque c’étaient les laïcs qui avaient provoqué la révolte, pas pour le pain, mais pour la justice et la démocratie. Mais l’arrestation des militants de gauche avait laissé l’espace libre aux islamiste, jusqu’alors absents de la rue. Le Front Islamique du Salut (Fis) a été le premier parti à être légalisé après la fin du parti unique sanctionné par la nouvelle Constitution de 1989. En 1990, le Fis a remporté les élections administratives dans les villes
  • 6. principales. Mais ces élections avaient une particularité : les hommes pouvaient voter pour les femmes de leur famille (mères, épouses, filles) sur simple présentation du livret de famille. Je me souviens qu’en me rendant aux bureaux réservés aux femmes, plusieurs fois je n’y avais trouvé que des hommes. Avec la victoire aux élections, le Fis a commencé à imposer ses lois, y compris es plus absurdes : des panneaux de signalisation routière avaient été remplacés par des versets du Coran. Ce sont surtout les femmes qui ont été pénalisées, elles qui airaient dû abandonner leurs places de travail pour les laisser aux hommes, porter le voile et tout le reste. En décembre 1991, le Fis remporta le premier tour des élections politiques (avec 57 pour cent), en récoltant le vote de sanction, mais grâce aussi à la division des forces laïques et à la forte abstention (48 pour cent des ayants droit). En allant au ballotage le Fis aurait pu obtenir les deux tiers de l’assemblée nécessaire pour changer la Constitution (et il l’aurait fait pour introduire la charia). En outre, puisque les islamistes ne présentaient pas de femmes candidates, il y avait le risque d’élire un parlement sans représentation féminine. Le pays était sous le choc. Le premier tour électoral s’était déroulé le 26 décembre, j’étais la seule journaliste italienne présente ; en pleine période de Noёl, mes collègues avaient décidé de ne suivre que le deuxième tour, en janvier. Étant donné la situation, je préférai ne pas rentrer à Rome et passer le réveillon à Alger. La conviction diffuse que cela pouvait être le dernier réveillon célébré avec de l’alcool et des fêtes, créa une atmosphère de délire collectif. L’angoisse permettait tout excès. Elle m’avait gagnée. Mais un ami me répétait : Il n’y a pas de quoi désespérer, on trouvera une solution ! ». Moi, incrédule, j’insistais : « Mais quelle solution ? ». Je voyais déjà le pays se précipiter dans l’obscurantisme des ayatollahs. Les premiers à investir la rue furent les femmes ; le siège du syndicat (l’Union Générale des Travailleurs Algériens), près de la place du Premier mai, était devenue le siège du Comité national pour la sauvegarde de l’Algérie et la défense des valeurs de la Guerre de libération. L’intervention de l’armée – vue encore comme l’armée populaire de libération – considérée comme le garant de la Constitution, était souhaitée par tous ceux et celles qui craignaient que l’Algérie ne se transformât en un État islamique (« L’Algérie ne sera ni le Soudan ni l’Iran » était l’un des slogans les plus utilisés). Comment l’éviter ? L’Algérie a à ce moment-là, était partagée en partisans et détracteurs de l’interruption du processus électoral. Nous savons comment cela s’est terminé : l’armée prit le pouvoir et annula le deuxième tour électoral. On a beaucoup discuté de la légitimité de ce coup de force, qui annula un résultat électoral qui, bien qu’altéré par des trucages et des malversations, représentait la volonté populaire. On a hasardé des comparaisons historiques (les élections remportées par Hitler en 1939) et des questions de principe. Plus de vingt ans après, en raisonnant a posteriori (mais pour certains cela était évident dès le départ) on peut peut-être affirmer que pour le pays cela a été une chose positive. Les islamistes les plus radicaux n’attendirent certainement pas le « coup d’État légal » pour exercer la violence : les premières attaques avaient eu lieu contre des gardes-frontières en 1989. En mai 1991, les islamistes essayèrent de prendre le pouvoir par une grève générale en organisant une grande occupation de la place du Premier mai. Ici furent célébrés les premiers mariages de jouissances (ou temporaires), une tradition chiite adoptée par les sunnites pour consommer des rapports sexuels avec la bénédiction de Dieu. Malheureusement, les femmes n’imaginaient pas qu’il s’agissait d’un mariage fictif, un lien qu’on peut rompre à tout moment, sans aucune procédure. Il suffit d’en déclarer la fin trois fois, aujourd’hui même par sms. Après avoir raté la voie insurrectionnelle – la grève avait été très peu suivie –, les islamistes essayèrent la voie électorale, cette fois avec plus de succès. Mais leur victoire fut empêchée par l’armée. Puis, avec la dissolution du Fis, le passage à la clandestinité des islamistes et la formation des Groupes islamiques armés, le bain de sang commença. L’Algérie a été un laboratoire et aurait pu servir d’exemple aux pays qui aujourd’hui sont en train de vivre des situations similaires. Mais chacun n’apprend que de ses propres erreurs, ou alors il croit être exempt de faux pas. « La Tunisie n’est pas l’Algérie », m’ont toujours répété les femmes tunisiennes, qui n’imaginaient pas que les islamistes pouvaient profiter de l’ouverture démocratique pour imposer leurs choix par la violence. Et récemment une amie algérienne m’a raconté que, invitée à Tunis par une association de femmes pour une conférence sur l’islamisme, elle a été priée de mettre un bémol à son intervention pour ne pas faire peur au public. Le régime algérien semble se sentir immunisé contre la contagion des révolutions arabes. Les élections politiques de 2012 ont confirmé « l’exception algérienne » : les islamistes, qui s’étaient réunis dans
  • 7. l’Alliance verte en en espérant reproduire le succès des Frères musulmans tunisiens et égyptiens, ont été battus, tandis que les femmes, grâce à une disposition de la loi électorale, ont obtenu un pourcentage de 35 % au parlement. Une reconnaissance due, mais sûrement encore en-dessous de leurs capacités et de leur rôle dans la société, en-dessous surtout de l’égalité des sexes qui est l’une des revendications sur lesquelles se basent les révolutions arabes. L’Algérie est reconnue par ses partenaires internationaux comme le seul pays stable de la région. Mais le statut quo est-il destiné à durer ? Au plan économique, la baisse du prix du pétrole n’est pas en mesure, pour le moment, de provoquer des secousses, même si le gouvernement a annoncé des réductions des dépenses publiques. La corruption reste un des principaux problèmes (à la base, entre autre, de la révolte de 2011, bien qu’avortée) et de nouveaux scandales sont en train d’ébranler l’opinion publique (comme l’affaire Eni-Saipem-Sonatrach). Sans se soucier de toutes les conditions défavorables, le Front de Libération Nationale (Fln, ancien parti unique) a posé de nouveau la candidature de Abdelaziz Bouteflika aux élections présidentielles du 17 avril 2014, et le concerné a accepté. Un choix déconseillé par son état de santé : le président est encore convalescent après l’accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013 et les soins en France qui l’ont suivi. Sa longue absence du pays, avec le silence sur les causes réelles, a créé in dangereux vide politique : l’Algérie est une République à régime présidentiel et la maladie du Président Bouteflika a paralysé le gouvernement. Le dernier jour avant l’échéance pour l’approbation du bilan de l’État, le 29 septembre 2013, après neuf mois d’absence, le Président Bouteflika a réapparu sur un fauteuil roulant, entouré de ses ministres. Par une brève séance, le Conseil a approuvé le bilan. Entre-temps, le 11 septembre 2013, le gouvernement a subi un remaniement par lequel des ministres- clés – Intérieur et justice – ont été remplacés pour la préparation des élections. « Toutes les places stratégiques sont maintenant entre les mains du clan Bouteflika, beaucoup d’entre eux sont originaires du même village que lui », me dit Said Sadi, que je rencontre à Alger au début du mois d’octobre 2013. Ex président du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (Rcd) – un petit parti laïc qu’il a fondé, depuis plus d’un an il s’est retiré de la scène politique. La dernière fois que je l’avais vu c’était lors des manifestations de 2011 à la place du Premier mai. Mais pourquoi a-t-il fait taire sa voix dans un pays qui semble subjugué par le Président Bouteflika et anesthésié par la peur ? « J’ai quitté la présidence du parti en 2012 pour céder la place aux jeunes, je voulais donner l’exemple ; maintenant je suis un militant, je ne me suis pas retiré », précise Sadi. C’est un cas pratiquement unique, même si le Président Bouteflika en personne, dans un discours de 2012, avait déclaré, en surprenant tout le monde, qu’il était temps de céder la place. Le Président Bouteflika se représente donc pour un quatrième mandat : l’actuelle Constitution, opportunément amendée en 2008 en prévision du troisième mandat, le permet, car elle ne prévoit plus la limitation des mandats présidentiels. Les protestations n’ont pas manqué. A la fin du mois de février 2014 s’est constitué le mouvement Barakat ! « Un mouvement de citoyens pacifique et autonome qui refuse le quatrième mandat et milite pour l’instauration d’un système démocratique en Algérie », lit-on dans un communiqué. Mais la première manifestation, qui s’est tenue le 1er mars devant l’université d’Alger, a été durement réprimée par les forces de l’ordre. Entre-temps, le Président a refait son apparition à la télévision. Les candidats en lice pour se mesurer avec lui sont déjà nombreux, y compris des anciens premiers ministres, parmi lesquels Ali Benflis, qui regagne l’arène politique après avoir été battu il y a dix ans. Les islamistes, par contre, boycotteront. Si le Président Bouteflika se porte de nouveau candidat, il est certain qu’il gagnera. Pour Said Sadi, trop jeune pour participer à la Guerre de libération, le premier « printemps » a été le printemps berbère de 1980. A l’époque, comme d’autres fois, il finit en prison. Said Sadi, qui en 2004 avait essayé de défier Bouteflika aux élections présidentielles qu’aujourd’hui il boycotte avec son parti, m’explique que le pire des maux de l’Algérie est la corruption, qui a atteint des niveaux impressionnant et est désormais ancrée dans toute la société. Le malaise social grandit, les protestations sont nombreuses, des milliers chaque année, mais pour le moment elles sont désorganisées, sans aucune coordination entre elles. « Je ne pense pas à une solution politique pacifique, je crains que nous ne puissions sortir de cette situation que par la violence », conclut amèrement Said Sadi. Selon les observateurs, le parlement lui-même ne reflète plus les humeurs politiques des Algériens, alors que les révoltes sociales sont en train de secouer surtout le Sud du pays. Personne ne se soucie de
  • 8. donner une réponse à ces problèmes. De même que personne ne semble mesurer les conséquences d’un probable retour en Algérie des terroristes qui se sont refugiés ces dernières années au Mali, d’où ils ont été chassés, au moins en partie, par l’intervention française en janvier 2013. Chaque fois que j’arrive en Algérie, je remarque les signes de changement en observant les femmes. Le 28 avril 2013, en revenant à Alger après quelques mois d’absence, je trouve une situation très différente. Alors que les palais continuent de pousser come des champignons et les panneaux publicitaires des grandes marques sont exposés sur la rue principale du centre ville, Didouche Mourad, les femmes se promènent de nouveau voilées. Y compris les jeunes étudiantes de l’École de journalisme, où j’étais invitée pour une conférence. Le voile, comme toujours, n’est pas un choix, mais la tentative de se soustraire à la violence de plus en plus répandue. « Les hommes dans la rue te regardent comme s’ils voulaient te déshabiller, si tu portes une robe qui laisse les mollets découverts ils ne te quittent plus du regard, c’est s’ils voulaient te mordre avec leurs yeux. Et alors tu te couvres, tu cèdes aux impositions qui n’ont même plus besoin de diktats étalés sur les portes des mosquées », explique une étudiante. La violence qui se fait un bouclier de la religion s’accompagne de la délinquance ordinaire, celle des vols grands et petits. Peu importe si pour les commettre il faut tuer. La vie n’a plus aucune valeur. Les mois passent et de nouveaux changements se font sentir. Au début du mois d’octobre 2013, les journées sont magnifiques et je peux tranquillement descendre et remonter les rues qui relient la baie aux collines où s’allonge la ville. Pendant la période du terrorisme il était impossible de se promener à pieds et les journalistes étaient escortés ; pour moi, ne pas pouvoir marcher librement dans une ville que je connais bien, était une véritable torture. Heureusement, ces moments appartiennent au passé, bien que l’islamisme ait laissé des traces, une sorte d’orientalisation des mœurs. Ainsi, lorsque je sors avec mes copines algériennes, trouver un restaurant qui sert du vin est devenu quelque chose de compliqué, à l’exception de certains hôtels et restaurants luxueux. Avant c’était différent. A l’époque de la colonisation, l’Algérie était le premier producteur mondial de vin, et je me souviens avoir bu un excellent rouge algérien dans le Sahara, à Timimoun, en plein Ramadhan. Aujourd’hui, l’Algérie est considérée comme le pays le plus stable et fiable de la région, y compris par les Américains, qui jusqu’à récemment misaient sur l’allié égyptien. Mais l’Algérie est-il véritablement un pays stable ? Certes, le pétrole et le gaz servent à maintenir un consensus intéressé autour de la rente, mais jusqu’à quand ? Les révoltes spontanées, les revendications syndicales, le malaise social sont-ils destinés à exploser ? Selon un journaliste d’El Khabar, le quotidien en arabe qui se vend à plus de cinq cent mille copies par jour, l’Algérie pourrait être à la veille d’une nouvelle révolution.