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Denys Lombard 
Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, 
XIXe siècles 
In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168. 
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Lombard Denys. Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles. In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 
141-168. 
doi : 10.3406/arch.1971.929 
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1971_num_1_1_929
ringkasan 
3) Karena begitu pentingnja sumber2 dalam bahasa Belanda dan Inggris, kita sering melupakan bahwa 
ada djuga tjatatan2 perdja- lanan, ditulis oleh pengelana Perantjis dan dapat dipergunakan oleh para 
achli sedjarah Nusantara. Denys Lombard mentjatat perdjalanan2 jang paling menarik dengan memberi 
referensi2 biblio- grapik; Lombard menghidupkan kembali tokoh2 pemuka, kakak beradik Parmentier, 
Sieur Vincent Leblanc (abad ke 16), kemudian ekspedisi2 jang dilakukan oleh Laksamana de Beaulieu, 
tjerita2 dari Ta vernier dan Gervaise (abad ke 17). Abad ke 18 melihat lewat- nja terutama Poivre, 
kemudian Sonnerat, serta terdjemahan bebe- rapa karja penting ("Kehidupan para Gubernur Djenderal 
Hin- dia Timur" oleh Dubois, Den Haag 1763). Pada awal abad ke 19 tidak dapat disangkal lagi ditandai 
oleh datangnja Daendels, tetapi djuga kedatangannja beberapa perwira Perantjis, setelah bebas tugas 
pada achir perang Napoleon dan ditarik kedalam tentara Hindia Belanda. Penjatuan Negeri Belanda 
dan Belgia (1815-1830) menjebabkan pula terbitnja koleksi dalam Bahasa Perantjis tentang Nusantara. 
Tjerita dari Comte de Beauvoir jang muda, jang datang dipulau Djawa pada tahun 1866, ditjetak ulang 
beberapa kali. Dengan dibukanja terusan Suez (1869) ,,mendjadi dekatlah" ne- gara2 Hindia dan makin 
meningkatlah djumlah perdjalanan ke Timur (antara lain X. Brau de Saint-Pol Lias); pada tahun 1878, 
Pameran Internasional di Paris mempunjai satu bagian chusus tentang kepulauan Nusantara dan pada 
tahun berikutnja suatu kelompok kerdja ketjil jang terdiri dari achli2 negara Timur diba- wah pimpinan 
Cte Meyners d'Estrey menerbitkan "Les Annales d'Extrême-Orient" jang memberikan tempat jang besar 
bagi "Monde Malais" (dunia Melaju). Mendjelang achir abad ke 19, kita melihat adanja kemunduran 
dalam bidang pengetahuan ini: "Les Annales" terhenti setelah terbit selama delapan tahun, penje-lidikan 
ilmiah tentang ,,hukum" (perbandingan sistim kolonial) dan eksotisme timbul dengan datangnja 
para wisatawan jang pertama. 
Abstract 
3)The importance of sources in Dutch and English has often caused people to forget that there also 
exist important accounts written by French travellers, useful to the historians of the Archipelago. Denys 
Lombard here passes in review the most important of these Voyages, giving for each the bibliographical 
references. He evokes the figures of the great precursors, the brothers Parmentier, and Vincent Leblanc 
(XVIth century), then the expeditions of Admiral Beaulieu, the accounts of Tavernier and Gervaise (XVII 
th century). The XVIII th. century sees the passage notably of Poivre, then Sonnerat, as well as the 
translation of several important works (Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales, by Dubois, 
La Haye, 1763). The beginning of the XIXth century is marked, of course, by the passage of Daendels, 
but also by the arrival of several French officers out of work following the end of the Napoleonic wars 
and later employed in the Army of the Indies. The uniting of the Netherlands to Belgium (1815-1830) 
also provoked a series of publications in French on the Archipelago. The account of the young Count of 
Beauvoir who passed through Java in 1866, know numerous re-editions, and marked a certain 
increased awareness of Indonesia in French consciousness. The opening of the Suez canal (1869) 
"brought together" the Indies and multiplied the voyages (X. Brau de Saint-Pol Lias). In 1878 the 
Universal Exposition in Paris contained a section on the "Iles de la Sonde", and the following year a 
small team of orientalists lead by Count Meyners d'Estrey started the Annales d'Extrême-Orient which 
gave a considerable attention to the "Malay world". Towards the end of the century, one witnesses a 
certain regression in knowledge : the Annales cease appearing after eight years, the "juridical" studies 
(comparison of colonial systems) appear and exoticism is awakened with the coming of the first 
"tourists".
141 
VOYAGEURS FRANÇAIS DANS L'ARCHIPEL INSULINDIEN 
XVIIème, XVfflème et XIXème s. 
par Denys LOMBARD 
Le rôle joué par les Hollandais et, à un moindre titre, par les Britanniques 
dans l'histoire moderne de l'Archipel insulindien a fait que l'immense major 
ité des sources étrangères dont nous disposons pour étudier cette histoire 
se trouvent aujourd'hui rédigées en néerlandais ou en anglais. On en vient 
naturellement à considérer comme quantité négligeable les documents rédi 
gés en une autre langue. Nous voudrions attirer ici l'attention sur quelques 
récits de voyageurs français, non pas inédits ou inconnus, mais souvent oubliés 
et qui mériteraient néanmoins d'être mieux exploités. Une des raisons de ce 
relatif "oubli" est que la plupart d'entie ces récits n'ont jamais fait l'objet 
d'une réédition, faute peut-être d'une société savante, qui telle la Hakluyt 
Society de Londres ou la Linschoten Vereeniging de La Haye (*), eût entre 
pris en France de les mettre à la disposition d'un plus large public. En ce qui 
concerne certains de ces Voyages, ceux du XVIIème s. notamment, les quel 
ques rares exemplaires qui sont parvenus jusqu'à nous, ont depuis longtemps 
rejoint les rayons des bibliothèques spécialisées, lorsque ce n'est pas la ré 
serve de ces bibliothèques, et seul le bibliophile aux aguets peut avoir la chan 
cede les voir parfois paraître dans quelque catalogue de Brill ou de Nabrink. 
Nous évoquerons ici ceux qui nous paraissent les plus intéressants, ce qui 
nous conduira, chemin faisant, à préciser quelques étapes dans la longue 
histoire des relations entre la France et l'Archipel (2). 
1529. Les frères Parmentier 
Dès les premières années du XVIème s. plusieurs expéditions françai 
semsir ent à la voile en direction des "Indes", mais la première à avoir atteint 
l'Archipel et à en être revenue, est sans doute celle des frères Jehan et Raoul 
*) Fondée vers 1840, la Hakluyt Society (du nom du géographe Richard Hakluyt, -1533 
1616, qui publia en 1589 les Principales navigations et principaux voyages de la Nation 
anglaise) a réédité un grand nombre de Voyages anglais et quelques Voyages étrangers, 
avec traductions anglaises. Conçue sur le même modèle, la Linschoten Vereeniging 
(ou "Société Linschoten", du nom du grand pionnier J.H. van Linschoten, 
1563-1611, auteur d'un précieux Itinerario, ou "Itinéraire" à travers l'Océan 
indien) a été fondée en 1908 et avait réédité LX volumes en 1957 (tous récits 
de voyageurs néerlandais). 
*) On trouvera un exposé succinct de ces relations dans l'article intitulé Franschen in 
den Maleischen Archipel (de), "Les Français dans l'Archipel malais", paru dans 
i'Encyclopaedie van Nederlandsch-Indiê, 1917, t.I, p. 723.
142 
Parmentier, de Dieppe; c'est en tout cas la première dont le souvenir nous 
soit resté et dont nous ayons conservé un récit, rédigé par un des membres 
de l'expédition, Pierre Crignon (3). Partis au printemps de 1529 avec deux 
vaisseaux, la Pensée et le Sacre, équipés par le fameux armateur Ango, les 
Dieppois s'arrêtèrent un temps à Madagascar et parvinrent le 2 octobre en 
vue des îles qui bordent la côte occidentale de Sumatra ; ils reconnurent le 
groupe des îles Batu et baptisèrent deux d'entre elles, île Louise et île Marg 
uerite, en l'honneur de Louise de Savoie et de Marguerite d'Angoulême 
mère et soeur de François 1er; quant à l'île Pini — où l'on est en train de 
mener des recherches pétrolières — elle fut nommée "île Parmentière". 
On aborda bientôt à Tiku (au nord de Tact. Padang), avec l'espoir de se 
procurer le précieux poivre, mais les tractations avec le radja et le sjahbandar 
n'aboutirent pas et l'on dut mettre à la voile après une sanglante collision. 
Peu de jours après et tandis que les vaisseaux faisaient route vers Indrapura 
(plus au sud), Jehan Parmentier "commença la danse", selon l'expression de 
P. Crignon, et "trépassa de ce siècle, la vigile Sainte Barbe, troisième jour de 
décembre"; son frère Raoul mourut aussi peu après. Privés de leurs chefs, 
les équipages quittèrent Indrapura le 30 juin 1530 et purent regagner Dieppe; 
ils n'avaient point obtenu le succès que Ango et ses "parsonniers" avaient 
escompté, mais ils avaient inquiété au plus haut point les Portugais, qui sou 
cieux de maintenir leur monopole, firent tout ce qui était en leur pouvoir 
pour décourager les Français (4). 
Outre le récit fort intéressant de Crignon, nous avons conservé le Traictê 
en forme d'exhortation, que Jehan Parmentier composa en vers, peu de temps 
avant sa mort, pour redresser le moral de ses hommes, quelque peu affaibli 
par les fièvres; le capitaine y chante "les merveilles de Dieu et la dignité de 
l'homme", avec la ferveur d'un pionnier et son poème mériterait de figurer 
dans nos "anthologies du XVIème s.", afin de faire contrepoids aux sonnets 
un peu mièvres de la Pléiade. Nous ne citerons ici qu'un pasage: 
"Quand ce vouloir t'esprit 
De te donner tant curieuse peine, 
Cela tu feis afin qu'honneur te prit 
Comme François qui premier entreprit 
•) Edité par Ch. Schefer , Le discours de la navigation de Jean tt Raoul Parmenlier de Diep 
pe,P aris, Leroux, 1883. 
*) C'est ainsi que le roi Jean III de Portugal fit circonvenii à prix d'or le pilote Leone 
Pancaldo qui avait accompagné Magellan et que les Français essayaient de piendre 
à leur service.
143 
De parvenir à terre si lointaine. 
Et pour te donner conclusion certaine, 
Tu l'entrepris à la gloire du Roy 
Pour faire honneur au pays et à toi " 
Les pérégrinations d'an Marseillais 
D'autres voyageurs isolés durent parvenir jusque dans l'Archipel, au cours 
du XVIème s. ; l'un d'entre eux fut sans doute le Sieur Vincent Leblanc, natif 
de Marseille, qui, parti à quatorze ans (en 1567) voyagea "jusqu'à l'âge de 
soixante" à travers les "quatre parties du monde". Ses notes de voyage re 
cueillies par le célèbre érudit Peiresc, furent publiées, avec des compléments, 
par P. Bergeron en 1649 (5). Il est moins célèbre que Mendes Pinto, et pour 
tant sa verve méridionale, et son imagination, ne le cèdent guère à celles du 
fameux Portugais. Il se rendit aux Royaumes de Fez, de Maroc et de Guinée 
"et dans toute l'Afrique intérieure, depuis le Cap de Bonne Espérance jus-ques 
en Alexandrie, par les terres de Monomotapa, du prestre Jean et de 
l'Egypte"; il alla en Amérique et "aux Indes orientales, en Perse et Pegu". 
Deux chapitres de sa première partie (pp. 135-153) concernent "les isles 
de FArchipelague de Sainct Laurens" et traitent, l'un "de l'isle de Sumatra, 
des elefans et autres partcularitez", l'autre "de l'isle de lave, des moeurs des 
habitans et des richesses du pais". Son récit se fait l'écho de nombreuses l 
égendes et invraisemblances et il est clair qu'il ne visita pas ces îles en détail 
mais il fit au moins escale à Pedir (act. Sigh', en pays Atjéh, au nord de 
Sumatra) et à Banten (dans l'ouest de Java), qu'il orthographie correctement: 
"Bantan" et non "Bantam", comme beaucoup le feront après lui. A Pedir, 
régnait alors le roi "Ayoufar"; notre marseillais décrit la monnaie qui y avait 
cours ainsi que la façon dont on capturait les éléphants dans l'arrière-pays; 
chose curieuse, il raconte à propos de ce comptoir, l'histoire" d'un simple 
pêcheur qui était parvenu à se faire accepter pour roi", tradition que d'autres 
voyageurs rapporteront après lui à propos d' Atjéh. Puis il nous décrit Banten, 
en quelques lignes et nous dit que la ville était "grande comme Rouen". Il 
nous parle aussi du royaume de "Demaa" (Demak) et de la malheureuse 
expédition de son roi (Trenggana) contre Balambangan (un événement que 
les sources portugaises permettent de situer en 1546). 
8) Les Voyages Jameux du Sieur Vincent Leblanc marseillois qu'il a faits .... aux quatre 
parties du monde, rédigez sur ses Mémoires, tirez de la bibliothèque de Mr de 
Peiresc, par P. Bergeron, A Paris, chez Gervais Clousier, au Palais, sur les degrez 
de la Saincte Chappelle, MDCXLIX, avec privilège du Roy.
144 
XVIIème s. A la recherche du poivre 
II fallut néanmoins attendre la fin des guerres de religion et l'avènement 
de Henri IV, pour qu'on songe à nouveau à envoyer vers l'Archipel des flot 
tes chargées de se procurer du poivre. La première partit de Saint-Malo, le 18 
mai 1601; elle comprenait deux vaisseaux, le Croissant (400 tonneaux), com 
mandé parle Sieur Frottet de La Bardeliere, et le Corbin, commandé par 
François Grou du Closneuf. Le Corbin se perdit aux Maldives et seul le Crois 
sant put atteindre la pointe nord de Sumatra. Le capitaine fut reçu en audi 
ence par le Sultan d'Atjéh, qui était alors Ala ud-Din Riajat Sjah et obtint 
l'autorisation d'acheter du poivre. Mais les Poitugais, toujours inquiets, 
usèrent de leur infuence auprès des Atjihais; les choses se gâtèrent et les 
Français durent bientôt îembaiquer. La Bardeliere mourut pendant le retour 
et son vaisseau fut capturé par des Hollandais, alors qu'il avait déjà 
regagné l'Atlantique. 
De cette expéditon malheureuse, nous avons conservé deux récits. Le 
premier fut rédigé par François Martin, de Vitré, un rescapé du Croissant, 
et parut en 1604 sous le titre de Description du premier voyage que les 
marchands français de Saint-Malo, de Vitré et de Laval ont fait aux Indes 
orientales. (6) II comporte une intéressante description de la cour et du 
commerce d'Atjéh ainsi qu'un premier petit lexique "du langage malaique", 
qui, quoique beaucoup moins riche que celui de Frederick de Houtman (7), 
mériterait l'attention des linguistes; on y trouve aussi des indications sur le 
scorbut, dédiées "à M. de Laurens, chancelier de l'Université de Montpellier". 
Le deuxième fut rédigé par François Pyrard, de Laval, un rescapé du 
Corbin, et parut en 1615 sous le titre de Discours du Voyage des Français aux 
Indes orientales (8). Naufragé aux Maldives, Pyrard fut fait esclave du roi de 
Malé; cinq ans plus tard, une flotte bengalaise débarquait aux Maldives, 
triomphait de la résistance locale et capturait le roi (7 février 1607); rendu 
•) L'ouvrage se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris; cote: Rés. 02 K 23. 
*) Frederick de Houtman, natif de Gouda, profita de son séjour forcé à Atjéh, où il 
avait été fait prisonnier en 1599, pour rédiger une série de douze conversations en 
malais et un gros lexique néerlandais-malais d'environ deux mille mots; il le publia 
après son îetour en Hollande, à Amsterdam, en 1603. Voir la réédition que nous 
en avons faite récemment, avec la collaboration de Mmes W. Arifin et M. Wibi-sono: 
Le "Spraeck- ende Woord-boek" de Frederick de Houtman, Première méthode de 
malais parlé (fin de XVIème s.), Publ. de l'EFEO, vol. LXXIV, Paris, 1970. 
8) II existe une réédition de 1679.
145 
à la liberté par ces sauveteurs inattendus, le Français gagna les Indes, où il 
visita Cananor et Calicut (1608); puis il tomba entre les mains des Portugais 
alors qu'il faisait route vers Cochin; emmené à Goa et incorporé de force 
dans les troupes portugaises, il participa à plusieurs expéditions dans l'Archi 
peinls ulindien et fit ainsi escale à Malaka, à Sumatra et à Java. Rendu enfin 
à la liberté en janvier 1610, il décida de rentrer en Europe et parvint à Laval 
un an plus tard. Son récit, qui ne concerne que partiellement l'Insulinde, passe 
pour un des plus précis et des mieux documentés de cette époque. Il l'a fait 
suivre d'un très intéiessant Traité et description des animaux, arbres et fruits 
des Indes orientales. 
Les "Mémoires" du Général de Beaulieu 
Nous ne reprendrons pas ici dans le détail l'histoire des tentatives avor 
tées et des voyages qui suivirent (9). Mieux vaut insister sur le singulier récit 
d'un capitaine normand qui se rendit dans l'Archipel à deux reprises et 
séjourna notamment à Atjéh en 1619-1620. Il s'agit de la Relation de Vestat 
présent du commerce des Hollandais et des Portugais dans les Indes Orientales ; 
Mémoires du voyage aux Indes Orientales du Général de Beaulieu, texte qui 
fut publié au XVIIème s. par Melchisedech Thévenot, éditeur de nombreux 
Voyages et lui même voyageur célèbre (10). 
Né à Rouen en 1589, Augustin de Beaulieu s'était embarqué une première 
fois pour l'Afrique, afin d'y fonder une colonie "en la rivière Gambie" ; puis en 
1616, il était parti pour Banten, sur l'un des deux vaisseaux de la "Flotte de 
Montmorency"; il s'y était chargé en poivre et y avait acquis" une des belles, 
voire des plus belles maisons" de la ville afin d'y installer une loge. Cette loge 
française parviendra à se maintenir, en dépit des nombreuses difficultés que 
lui feront les Hollandais jusqu'en 1682. Revenu en France, "avec pleine char 
ge", Beaulieu se vit confier en 1619 le commandement d'une nouvelle flotte. 
Celle-ci comprenait trois navires: le Montmorency (450 t, 162 hommes et 22 
canons), Y Espérance (400 t., 117 hommes et 26 canons) et la "patache" 
Y Hermitage (75t. et 30 hommes). 
•; Voir O. Collet, L'île de Java sous la domination française, Bruxelles, 1910, Livre I, chap 
I. et T. Barassin, Compagnies de navigation et expéditions françaises dans l'Océan indien 
au Xi/Ilème s., in Océan indien et Méiiterranée (6ème colloque intern. d'Hist. marit.) 
SEVPEN, 1964, pp. 373-389. 
10) Les Mémoires de Beaulieu se trouvent au tome II des Relations de divers voyages 
curieux Paris, 2 vol., 1664-1666.
146 
Parvenu au Cap de Bonne espérance, Beaulieu se sépara de V Espérance 
dont il chargea le commandant, Robert Gravé, de gagner Banten; lui-même 
se proposait d'aller à Atjéh; c'était une sage façon de diviser les risques et 
de se protéger d'un éventuel coup de main hollandais. L'événement lui donna 
raison. Gravé gagna "Jacatra" sans encombre et parvint à réunir une car 
gaison, mais "comme il estoit sur le point de son retour avec sa charge, les 
Hollandois mirent le feu à son navire "; à Atjéh cependant, Beaulieu put 
acheter son poivre. Il rentra au Havre, le 1er décembre 1622, avec 75 hommes 
d'équipage seulement, mais "avec de quoy payer les frais du voyage, qui 
aurait esté de grand proffit, si l'autre vaisseau fut revenu". 
Le récit publié par Thévenot, extrêmement détaillé, compte 123 pages 
in folio et compend trois parties: 1°) le voyage jusqu'à Atjéh (pp. 1 à 45); 
2°) le séjour à Atjéh (pp. 45 à 96); 3°) une "description de l'isle de Sumatra", 
c'est-à-dire surtout de sa moitié septentrionale, qui se trouvait alors sous la 
suzeraineté du Sultan d'Atjéh, Iskandar Muda (pp. 96 à 123). "Entre un grand 
nombre de différentes relations de voyages aux Indes orientales, qui m'ont 
passé par les mains, commente l'éditeur, je n'en ay point vu de meilleure que 
celle de Beaulieu"; on ne peut que soucrire à ce jugement et ces Mémoires 
constituent de nos jours la meilleure source pour qui veut étudier l'histoire 
sociale et culturelle du grand Sultanat (u). 
Pilote, Carme et martyr 
C'est ici le lieu d'évoquer une figure peu banale de ce premier XVIIème 
s., celle de l'aventurier français Pierre Berthelot; d'origine normande, il était 
devenu pilote et cartographe au service du Portugal, puis après avoir bourlin 
guséur toutes les mers des Indes, était entré dans l'ordre des Carmes dé 
chaux, sous le nom de Père Denis de la Nativité. Cette tardive conversion ne 
le détourna point du siècle et lorsque, en 1638, les Portugais de Goa pensè 
rent à envoyer une ambassade à Atjéh afin de rétablir des relations plus cor 
diales avec le Sultanat, le vice-roi Dom Pedro de Silva demanda au Père Denis 
de se joindre à l'expédition. Lorsque la petite flotte arriva en vue de 1' "île des 
exilés" (c'est-à-dire l'île de Sabang), elle fut reçue à coups de canon par des 
vaisseaux hollandais, qui tâchèrent de lui interdire l'accès de la baie d'Atjéh. 
Après un furieux combat, au cours duquel l'ambassadeur Soza de Castro fut 
u) Nous en avons fait abondamment usage dans notre Sultanat a" Atjeh au temps d'Is-kandar 
Muda, 1607-1636, Publ. de l'EFEO, vol. LXI, Paris, 1967.
147 
grièvement blessé, les Portugais parvinrent à forcer le barrage, mais dès 
qu'ils eurent touché terre, ils furent conduits au palais du Sultan et capturés. 
Plusieurs d'entre eux, dont Pierre Berthelot, furent mis à mort, pour avoir 
refusé de se convertir à l'Islam, et dans des conditions qui leur firent obtenir 
par la suite la palme du martyre. Nous n'avons pas conservé de récit rédigé 
par Berthelot lui-même mais plusieurs documents relatifs à sa vie, à sa mort 
et à sa béatification (12). 
Compagnies et "grand projet'9. 
La création d'une "Compagnie générale du commerce" par Richelieu, 
en 1629, puis celle d'une "Compagnie royale" par Colbert, en 1664, faillirent 
amener certains marchands et armateurs français à s'intéresser sérieusement 
à l'Océan indien. Aux entreprises individuelles viennent s'ajouter pour un 
temps les projets collectifs. La loge de Banten se maintint non sans succès 
jusqu'en 1682 et quelques marchands français parvinrent même à s'établir à 
Batavia. François Caron, un Hollandais d'origine française, qui après avoir 
commercé au Japon, était passé au service de Colbert, envisagea même un 
temps d'ouvrir des "loges" françaises à Djambi, à Palembang ou "dans le 
détroit de Banka", voire même à Makasar. En 1670, on envoya une forte 
escadre, commandée par de la Haye, pour appuyer sur place cette politique 
(13). Pourtant rien ne se réalisa de ces beaux projets d'installation; accusé 
de malversations par des collègues jaloux et soupçonné par Colbert, Caron 
mourut accidentellement en 1674, dans le port de Lisbonne; quant à la loge 
de Banten, elle finit par tomber en 1682, entre les mains des Bataves, qui y 
envoyèrent un détachement commandé par Isaac de Saint-Martin, un genti 
lhomme béarnais qui était entré au service de la Compagnie hollandaise. 
Les visées fiançaises se reportèrent sur le Siam (célèbre ambassade siamoise 
à Versailles) et les Hollandais eurent le champ libre dans l'Archipel. 
Plusieurs récits nous sont parvenus, rédigés par certains des Français qui 
participèrent à cette âpre concurrence. Nous signalerons d'abord les Voyages 
de Jean-Baptiste Tavernier, "écuyer baron d'Aubonne" (u), surtout cités 
pour ce qu'ils nous apprennent sur l'Inde des Mogols et l'empire du Grand 
12) Notamment un Voyage d'Orient, par le R.P. Philippe de la Très Sainte Trinité (Lyon, 
Juilleron, 1652). Consulter surtout la biographie du P. Denis par Ch. Bréard, Hist 
oire de Pierre Berthelol, Paris, 1889. 
l8) Voir notamment: Collet, op. cit., p. 81 sqq. 
14) Les six Voyages de Jean Baptiste Tavernier, Ecuyer Baron d'Aubonne, en Turquie, en Perse 
et aux Indes, pendant l'espace de quarante ans <& par toutes les routes que Von peut tenir, 
3 vol. Paris, 1679.
148 
Turc, mais dont plusieurs chapitres (tome II, livre 3, chap. XXI à XXIX, et 
tome III, livre 5, intitulé: "Histoire de la conduite des Hollandais en Asie") 
concernent particulièrement l'Insulinde. Tavernier fut à Batavia et à Banten 
(qu'il orthographie "Bantam", selon l'habitude de l'époque) en 1648-49; son 
frère cadet l'y avait précédé dès 1638 et avait appris parfaitement le malais; 
il avait su si bien gagner les bonnes grâces du "Général Vandime" (le Gouv 
erneur Van Diemen) qu'il en avait obtenu l'autorisation d'acquérir un gros 
vaisseau de 14 canons et de se livrer au commerce, au Siam, au Tonkin et 
jusqu'à Makasar. 
Les doléances de J.B. Tavernier 
Ce frère mcurut à Batavia, "d'un flux de sang qui provenoit des débau 
ches qu'il avoit eu la complaisance de faire avec le roy de Bantam", alors que 
Jean-Baptiste se trouvait de passage dans la ville, et celui-ci nous raconte, 
non sans amertume, tout ce que les funérailles lui coûtèrent : "Pour le faire 
enterrer il me fallut suivre d'assez étranges coutumes que les Hollandois ont 
inventé pour faire dépenser de l'argent aux héritiers des deffunts. . .". D'une 
façon générale, Tavernier est fort mal disposé à l'endroit des Hollandais et 
il ne manque jamais une occasion d'en dire du mal; il suffira de citer ici les 
titres de quelques uns des chapitres du tome III: "Du peu de scrupule que 
font les Hollandois de ne pas tenir leur parole dans leurs capitulations et de 
plusieurs autres injustices," "Du peu de zèle des Hollandois pour l'avancement 
du christianisme aux Indes, du mauvais ordre de leurs Hospitaux et de leur 
défaut de charité", "De l'orgueil des femmes de Batavia, de leur crédit et de 
.leurs amourettes", etc .... 
En dépit de cette partialité haineuse à l'égard des Bataves, le récit reste 
néanmoins précieux, par la pertinence des remarques et par la finesse des anal 
yses. Ici, Tavernier signale l'importance du malais, comme langue parlée: 
"Depuis qu'on a passé les terres de l'obéissance du grand Mogol, la langue 
que l'on appelle malaye est parmi les Orientaux, ce que la langue latine est 
dans notre Europe" (t. II, p. 525); là, il indique les directions des principaux 
flux de métal blanc et nous apprend que les Chinois "aimant mieux l'argent 
que l'or, transportent en la Chine autant qu'ils peuvent de la monnoye d'argent 
qui se battoit à Batavia" (t. II, p. 541); ailleurs, il signale le préjudice porté 
à la Compagnie batave par le Sultan de Makasar, qui autorise le commerce de 
la girofle dans son port, "les Hollandois avec toute leur adresse ne pouvant 
empescher que le peuple de cette Isle ne trafique aux autres Isles où croissent 
les épiceries ".
149 
Une "Description du Royaume de Macaçar" 
Plus intéressant peut-être encore pour l'historien, quoique également 
marqué du même parti-pris anti-batave, le récit paru sous le titre de Descript 
iondu R oyaume de Macaçar (Paris, 1688, rééd. Ratisbonne, 1700). L'auteur, 
Nicolas Gervaise, né à Paris en 1662, fut attaché pendant quatre ans à la mis 
sion de Siam et l'on a de lui une Histoire naturelle et politique du Royaume 
de Siam (1688), bien connue des orientalistes; parti en 1724 pour la mission 
de la Guinée espagnole, il fut massacré en 1729 sur les bords de l'Orénoque. 
On ne dispose pour l'instant d'aucun document prouvant de façon irréfutable 
qu'il ait séjourné à Celebes et en 1918, un critique hollandais a pu prétendre 
qu'il n'y avait jamais mis les pieds (15). La Description n'en est pas moins un 
chef-d'oeuvie et si Gervaise n'est pas allé lui-même à Makasar, c'est qu'il a 
publié sous son nom le récit d'un témoin oculaire; ce qui pour nous revient 
au même. 
Outre une excellente analyse des ressources du pays, du système polit 
ique et social et des rapports (plutôt hostiles !) avec les "Toraja", réfractaires 
à l'Islam et redoutés "pour leurs subtils poisons", on trouve de pertinentes 
remarques sur la religion musulmane et la façon dont elle s'adapte à ce que 
les ethnologues appellent aujourd'hui le "substrat". La dernière partie est une 
longue description des principaux rituels observés au cours de la vie d'un 
homme, depuis sa naissance jusqu'à sa mort: purification, circoncision, mar 
iage, funérailles. On y trouve notamment mention de la coutume, qui est 
d'ailleurs toujours en usage, de ne pas poser "les enfants de qualité" à terre 
avant qu'ils aient atteint huit ou neuf mois; "c'est pourquoi leurs nourrices 
ou leur gouvernantes les portent toujours entre leur bras ou sur leur épaules". 
Très précise aussi la description de la cérémonie de la circoncision, au 
cours de laquelle on fait asseoir le jeune garçon sur une tête de buffle fraîch 
ement tranchée: "L'enfant s'assied dessus entre ses deux cornes et s'y tient 
modestement pendant l'exhortation que le grand Agguy (Gervaise tra 
duit un peu plus haut par "grand prêtre") luy fait. L'exhortation finie, il teint 
son front du sang qui coule de la tête sur laquelle il est assis et luy prenant 
la main droite, il fait pour luy la profession de foy ... ". On ne saurait 
H.T. Damsté, dans un article intitulé Een Franschman over Celebes in 1688, "Ecrit 
d'un Français sur Celebes en 1688", in Koloniaal Tijdscbrift, 7, 1918, pp. 1383- 
1398.
150 
trop insister sur la richesse de ce texte, dont la réédition s'imposerait en 
priorité (16). 
A noter que dans plusieurs des Voyages à Siam, rédigés par des mission 
naires ou des diplomates français entre 1684 et 1688 (notamment dans celui 
de l'Abbé de Choisy et dans celui du Père Tachard), on trouve généralement 
plusieurs pages consacrées à l'escale à Batavia (l7). 
XVIlIème s. — Relative rareté des contacts 
Au cours des premières décennies du XVIlIème s., les intérêts commerc 
iauxfr ançais se trouvent concentrés surtout dans l'Inde propre (Pondichéry) 
et l'attention des autorités et des marchands ne se porte qu'accidentellement 
sur l'Archipel. François Martin envisage bien en 1700 d'enlever Batavia à 
la Hollande ("L'on serait les maistres après, de ce qu'elle a de meilleur dans 
les Indes . . . "), mais à aucun moment il ne lui est possible d'exécuter ce 
projet. 
La communauté française, toute huguenote, de Batavia ne compte en 
1721 que trente-deux personnes Ç*) et c'est surtout un hasard si Abraham 
16) Une réédition de la traduction anglaise (Nicholas Gervaise, An historical description 
opfr etphae raktiniogndo"m doafn sM laec aSsuabrj eicnt thCea tEalaosgtu eIn d1i9e6s 9L/o7n0 dodne , G17r0eg1g) eIsntt aenrnnoatnicoénea lc Poumbmliseh "eirns 
Limited (p. 12). Ajoutons que le petit traité de Gervaise présente encore un autre 
intérêt; dans la dédicace adressée au R.P. de La Chaise, il est fait mention de deux 
jeunes princes makasarais envoyés en France pour y faire leurs études sous la 
surveillance des Jésuites. Exilé de Makasar, leur père se serait réfugié d'abord à 
Java, puis au Siam, et c'est à Ayuthia qu'il aurait trouvé la mort au coûts d'une ré 
volte; ses deux, fils devenus orphelins auraient été recueillis par les missionnaires 
français, convertis au christianisme et expédiés à Paris. On a d'autre part des 
lettres, en français, adressées par le célèbre aventurier Constantin Phaulkon, favori 
du roi de Siam, Narai, à des étudiants faisant leurs études en France. Il est à penser 
qu'une étude plus poussée permettra de retrouver la trace du passage de ces deux 
jeunes princes à Paris. 
17) A signaler aussi le séjour à Batavia en 1696-7, de François Léguât, huguenot ré 
fRugié odrigauox" dPea y1s6-9B1a sà e1n6 9136, 8t9r,a npsafrétri ép oà uli'î lle'O Mcéaaunr icine dpieunis, nà auJfarvaag; é soenn "llé'ciistl,e pDuiebglioé 
à Amsterdam en 1708, s'intitule : Voyage et avantures de François Léguât et de ses com 
pagnons en deux isles désertes des Indes Orientales, avec h Relation des choses les plus r 
emarquables qu'ils ont observées dans Visle Maurice, à Batavia, au Cap de Bonne Espérance, 
le tout enrichi de cartes et de figures (2 tomes) ; le passage concernant Batavia 
est au tome II, pp. 79 à 137, et comporte une bonne description de la société 
hollandaise et chinoise et pour finir des Javanais, "qui pourroient se plaindre de 
n'avoir pas été nommez les premiers si l'usage ne vouloit pas que les riches 
allassent devant . . . .". 
18) Cf. Nederlandsch-indisch Plakaatboek, éd. J.A. van der Chijs tome IV, 1887; en date 
du 2 septembie 1721 (p. 153): "Aanstelïing van een voorlezer bij de Fransche ge-meente 
te Batavia; die gemeente was weder tot 32 koppen engegroeid". (Nomin 
ation d'un "lecteur" dans la communauté française; cette communauté s'est de 
nouveau augmentée et se monte à 32 personnes).
151 
Patras, natif de Grenoble mais émigré aux Pays-Bas lors de la Révocation 
de l'Edit de Nantes, se trouve occuper de 1735 à 1737 le poste suprême de 
Gouverneur général des Indes. De Voyage, nous ne voyons guère à signaler 
alors, que celui du Portugais d'origine française, Innigo de Biervillas (son 
père se nommait Bierville !), paru à Paris en 1736 (19). 
La Guerre de sept ans est à l'origine d'un exploit isolé et sans lendemain : 
l'apparition en 1760, au large de Sumatra de la frégate de la Compagnie des 
Indes, la Boullogne; l'équipage, commandé par le Comte d'Estaing, se rend 
maître des comptoirs anglais de la côte occidentale (dont Fort Marlborough, 
c'est-à-dire Bengkulu); mais les "Forts et Etablissements français à la Côte 
de Sumatra" seront bientôt rétrocédés à la Compagnie de Batavia, faute de 
garnisons pour pouvoir en assurer la défense. Séjour bref également et sans 
conséquence que celui de la flotte du Bailli de Suffren dans la rade d'Atjéh 
en 1782 (2°). 
La deuxième moitié du XVIIIème s. voit la réalisation de plusieurs vo 
yages de circumnavigation entrepris dans un but surtout scientifique. Louis 
Antoine de Bougainville, envoyé par Choiseul en 1766, atteint les Moluques 
par le Grand Océan, longe la côte nord-ouest de la Nouvelle Guinée, fait 
voile vers Ceram et relâche à Batavia en 1768 (21); d'Entrecasteaux, parti 
en 1791 à la recherche de Lapérouse, passe par les Moluques, mais meurt 
au large de Java; son second, d'Auribeau, vient mouiller à Surabaja (19 oc 
tobre 1793) («). 
Pierre Poivre et Pierre Sonnerat 
Deux voyageurs, lyonnais l'un et l'autre, méritent plus spécialement de 
retenir ici notre attention. L'un d'eux est Pierre Poivre (1719-1786), resté cé 
lèbre pour avoir introduit aux Mascareignes la culture de la muscade et de 
la girofle, jusqu'alors "monopolisée" par la Compagnie hollandaise. Sa bio- 
19) Voyage d' Innigo de Biervillas, portugais, à la côte de Malabar, Goa, Batavia et autres lieux 
des Indes Orientales, Paris, 1736. 
20) Cf. Morls, Journal de bord du Bailli de Suffren dans l'Inde 1781-1784, Paris, 1888. 
al) Voir son célèbre Voyage autour du monde par la frégate du Roi "la Boudeuse" et la flûte 
"l'Etoile", 1766-1769, 2 vol., 1771-1772. 
Sï) C'est pour y apprendre que Louis XVI a été exécuté ; d'Auribeau fait hisser le 
drapeau blanc en dépit de l'opposition des officiers républicains ; sur ces événe 
ments et les troubles qui s'ensuivirent, voir La Billardière, Relation du voyage à la 
recherche de La Pirouse fait par ordre de Assemblée constituante, Paris, an VII,
152 
graphie comporte encore plusieurs incertitudes (23). En 1741, il était à Macao 
et en 1745 se rembarquait pour l'Inde. Parvenu dans le détroit de Malaka, 
le vaisseau qui le portait fut attaqué par une escadre anglaise et il perdit 
l'avant-bras droit au cours du combat qui suivit. Fait prisonnier par les 
Anglais, Poivre fut transféré à Batavia où on le soigna; trois mois plus tard, 
il pouvait continuer son voyage vers Pondichery. Entré par la suite au service 
de la Compagnie française des Indes, il fit ouvrir un comptoir à Fai-fo (près 
de l'actuelle ville de Hué au Vietnam). Devenu Gouverneur de Bourbon en 
1767, il y introduisit les précieuses épices. Rentré dans la vie privée en 1773, 
il s'installa à la Fréta, une propriété qu'il avait près de Lyon, et passa le reste 
de sa vie à dicter ses mémoires. 
De ses écrits, seule une petite partie parut de son vivant sous le titre de 
Voyages d'un philosophe (Yverdun, 1768, in 12). On y trouve des réflexions 
très générales sur les sociétés asiatiques et notamment ce passage curieux sur 
le "système féodal des malais" (rééd. 1797, pp. 118-119): "Les malais sont 
gouvernés par les lois féodales; par ces lois bizarres imaginées pour défendre 
contre le pouvoir d'un seul la liberté de quelques uns en livrant la multitude 
à l'esclavage Une petite partie de la nation vit indépendante sous le titre 
d'orang-caïo (= orang kaja) ou noble et vend ses services à celui qui les paye 
le mieux le corps de la nation est composé de serfs et vit dans l'esclavage". 
Plus utiles pour notre connaissance de l'Insulinde au XVIIIème s., les 
pages qu'il rédige après son séjour forcé à Batavia (24). On y trouve d'inté 
ressants développements sur l'état de la Compagnie (plutôt mauvais, à la suite 
des "troubles" de 1740!) et sur la personne de son Gouverneur général, "M. 
le Baron Dimenoff", c'est-à-dire le Baron van Imhoff, dont il nous trace ce 
portrait nuancé: "II feroit en sa personne le modèle d'un parfait gouverne 
menst'il sçavoit se faire aimer comme il a sçut se faire craindre soit des hol-landois 
qui dépendent de lui, soit des nations voisines de Batavia". Il nous 
parle de la tentative avortée du Gouverneur pour entreprendre un commerce 
direct transpacifique avec les colonies espagnoles d'Amérique du sud, ainsi 
iZ) Une première biographie de Pierre Poivre a été rédigée par Dupont de Nemours 
et éditée en tête des "Oeuvres complettes", parues à Paris, chez Fuchs, en 1797. Ce 
nom d' "Oeuvres complettes" ne doit pas faire illusion; il subsiste en fait un ttès 
grand nombre d'inédits. 
2*) Ce texte resté longtemps inédit, a été récemment publié par Louis Mallei et: Un 
manuscrit inédit de Pierre Poivre; les mémoires d""un voyageur, texte reconstitué et annoté, 
Publ. de l'EFEO, vol. LXV, Paris, 1968. Sur Poivre, on peut également consulter: 
Madeleine Ly-Tio-Fane, Pierre Poivre et l'expansion française dans r Indo-Pacifique, 
in BF.FEO, tome LUI, 2, Paris 1967, pp. 453-511, avec XIV planches.
153 
que des "bénéfices excessifs" procurés à la Compagnie par le commerce du 
Japon : "Ce qu'il y a de surprenant c'est que les autres Européens abandonnent 
ainsi un commerce aussi lucratif; on devroit tenter d'en partager les profits. . . ". 
Ailleurs, il signale la triste condition de quelques malheureux Français dé 
serteurs qui avaient pris du service à Java : "Au lieu des thresors qu'ils espe-roient, 
ils n'ont trouvé dans le service de ces Républicains que la plus grande 
misère et des coups de bâtons...". Enfin, toujours très intéressé par les 
règnes animal et végétal, Poivre donne une description de plusieurs plantes 
et animaux d'Insulinde; il note en particulier que "les raisins y sont assez 
bons" et qu'ils "ont formé dans tous les environs de Batavia des jardins 
magnifiques dont le coup d'oeil surprend agréablement l'étranger". 
Pierre Sonnerat (1745-1814) était également lyonnais et cousin de Poivre 
qui le fit venir à Bouibon. A partir de 1768, il explora plusieurs régions 
d'Extrême-orient et y recueillit de précieuses collections dont il enrichit le cabi 
net d'histoire naturelle de Paris. Il ne revint en France qu'en 1805. Il nous a 
laissé un Voyage à la Nouvelle Guinée, concernant en fait surtout les Moluques 
du Nord-est (1776, in 4°, 120 fig.), et un Voyage aux Indes orientales et à la 
Chine de 1774 à 1781 (1782, 2 vol. in 4° et 1806, 4 vol. in 8° avec un atlas). 
Un prince de Timor à Lorient 
Citons encore ici un texte curieux, attestant le passage en France d'un 
jeune noble originaire de l'île de Timor. Il s'agit d'un pamphlet de 31 pages, 
adressé "au Roy" en 1768 et rédigé par un avocat de Paris, Me Lethinois; 
le titre en est: Requête au Roy pour Balthazar Pascal Celse , fils aîné du Roy 
et héritier présomptif des royaumes de Timor et de Solor dans les Moluques. 
Converti au catholicisme par un Dominicain portugais, le malheureux Bal 
thazar a été emmené à Macao et réduit en esclavage; après une longue odyss 
ée, il vient d'échouer à Lorient et demande par l'intermédiaire de l'avocat 
que le roi de France lui donne les moyens de s'en retourner dans son pays et 
de récupérer son royaume: "SIRE, le prince de Timor met dans la grandeur 
& dans la bienveillance de VOTRE MAJESTE tout l'espoii qui lui reste après 
tant d'infortunes; il ose croire, il ose s'assurer que son attente ne sera point 
trompée, il se flatte que sa reconnaissance suivra de près sa prière.. .". Il 
ne semble pas que les services de M. de Choiseul aient donné suite. 
L'Insulinde "philosophique" 
A côté de ces voyages individuels, relativement peu nombreux, il con 
vient de signaler la parution d'un certain nombre de publications relatives à 
l'Insulinde, traductions pour la plupart. En France, comme ailleurs en Europe,
154 
les "lumières" se passionnaient pour "les Indes" et cet intérêt était à l'origine 
de plusieurs ouvrages d'envergure. Dès le début du siècle, René Auguste de 
Renneville, un "réformé" réfugié en Hollande puis en Angleterre, publiait 
un Recueil des voyages qui ont servi à rétablissement et aux progrés de la Comp 
agnie des Indes Orientales (Amsterdam, 1702-1705, 5 vol. in 12). En 1706, 
paiaissait à Amsterdam une traduction française du traité d'Argensola inti 
tulé: Histoire de la conquête des Moluques par les Espagnols, par les Portugais 
et par les Hollandais, source importante pour l'histoire des Moluques aux 
XVIème et XVIIème s. Signalons aussi que le Grand Dictionnaire géographi 
quehis,to rique et critique de Bruzen de la Martinière comporte un excellent 
article "Batavia" (éd. de 1748, 1. 1, p. 106), dont la matière a été puisée dans 
des sources hollandaises. 
En 1763, J.P.J. Dubois, secrétaire de l'ambassadeur de Pologne en Hol 
lande, publiait une importante compilation destinée au public francophone : 
Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales avec Vabrégé de l'histoire 
des établissements hollandais (La Haye, in 4°); la matière y est présentée chro 
nologiquement, selon les "règnes" successifs; on y trouve plusieurs cartes et 
plans et, à la fin, une traduction des Réflexions du Gouverneur van Imhoff. 
Citons encore les travaux cartographiques de Danville (sa carte de l'Archipel 
de 1752 aura les éloges de Bougainville) et surtout la célèbre Histoire philo 
sophique et politique de l'Abbé de Raynal (1 ère éd. La Haye, 1774), dont le 
livre second (tome, I, p. 141-258) consacré aux "Etablissemens, guerres, poli 
tique et commerce des Hollandais dans les Indes Orientales", fit sans doute 
plus que tout autre ouvrage pour informer le grand public sur ces 
questions. 
Cet intérêt se maintient jusqu'à l'extrême fin du siècle. En 1796 ("An 
IV"), parait à Paris une traduction des Voyages du botaniste suédois C.P. 
Thunberg, "au Japon, par le Cap et les Isles de la Sonde", avec des comment 
airedsu s aux citoyens L. Langlés et J.B. Lamarck. L'ouvrage comporte un 
gros chapitre sur Java que Langlés avait enrichi de compléments, empruntés 
aux premières publications de la "Société Batave" (fondée en 1778) ainsi que 
de lexiques malais et javanais. En 1798 ("An 6 ème"), H.J. Jansen publiait, 
à Paris également, la traduction qu'il avait faite du Voyage de J.S. Stavori-nus, 
chef d'escadre de la République batave, "à Batavia, à Bantam et au Be 
ngale, en 1768, 69, 70 et 71"; dans sa préface, il envisageait déjà le moment 
où, la paix étant revenue en Europe, il serait possible de s'intéresser à nouveau 
à ces lointaines contrées: "A cette heureuse époque, les vues se porteront 
sans doute vers les grandes spéculations commerciales dans les deux Indes, 
les seules qui soient propres à ramener promptement l'abondance et la pros-
155 
périté " Formule prophétique dont la vérité se vérifiera tout au long du 
XIXème s. 
Un "Jacobin" Gouverneur de Java 
Le rêve, successivement caressé par Caron, par Martin, puis par Poivre, 
de voir la France s'installer de façon durable en lnsulinde, faillit devenir réal 
ité lorsque les guerres "de la Révolution et de l'Empire" eurent remis en 
question, en Asie comme en Europe, l'équilibre incertain qui s'y était jusqu' 
alors maintenu. Ce n'est pas le lieu de reprendre ici dans le détail l'histoire 
des quelque quinze années qui vont de l'expiration du privilège de la Compag 
niedes Indes Orientales (1799) à la rétrocession de la colonie à la couronne 
des Pays-Bas (traité de Vienne, 1815), ni celle des "activités françaises" dans 
l'Archipel à cette époque. On trouvera dans la monographie de O. Collet, 
Ulle de Java sous la domination française (Bruxelles, 1910, 558 p.), grande 
abondance de détails sur la personne et le "règne" du célèbre Daendels, né 
en Gueldre mais acquis aux "idées françaises" et nommé Gouverneur général 
par Louis Bonaparte, lorsque celui-ci eut été promu Roi de Hollande. Parvenu 
à Java au début de 1808, il y prit toute une série de mesures pour défendre 
l'île contre le blocus anglais et n'hésita pas à faire hisser le drapeau français 
lorsque la nouvelle lui fut parvenue du rattachement des Pays-Bas à l'Empire 
(février 1811) (»). 
Durant les quelques années que dura cet "intermède", un grand nombre 
de Français fut amené à passer par Java, ingénieurs, officiers, marins ou sol 
dats, venus pour défendre l'île contre les Anglais. L'un d'entre eux, le capi 
taine du génie Charles François Tombe nous a laissé un intéressant Voyage 
aux Indes Orientales pendant les années 1802-1806 (Paris, Bertrand, 1811, 2 
vol. avec atlas); naufragé en 1805 dans le détroit de Bali, il nous décrit notam 
ment le pénible voyage qu'il dut accomplir par terre "de Bagnouwangui 
à Gressec", à un moment où la fameuse route de Daendels n'était pas encore 
construite. Le tome II comporte (pp. 241 à 348) un "Abrégé des principes de 
la langue malaise", suivi d'un petit vocabulaire. A signaler encore le Journal 
des opérations militaires qui ont eu lieu à Java jusqu'au jour où la colonie capi 
tula, rédigé par le brigadier général Jauffret (26), ainsi que le Précis de la cam 
pagne de Java en 1811 , rédigé en français par Bernard, duc de Saxe Weimar 
Einsenbach (La Haye, 1834). 
28) Signalons ici la récente thèse de J. Eymeret, Herman Willem Daendels général 
napoléonien gouverneur à Java, Paris, 1968, exempl. dactyl. 
*•) Publié dans la Repue militaire indonéerlandaise, 1879, p. 502.
156 
1815-1869. Multiplication des contacts 
Lorsque le Congrès de Vienne eut rétabli l'ordre néerlandais dans les 
Indes, la situation se trouva sensiblement changée. Devenue colonie de la 
couronne, l'Insulinde devint l'objet d'investigations de plus en plus pouss 
ées; d'autre part, le rattachement des Pays-Bas à la Belgique francophone 
eut pour effet immédiat de multiplier pendant quinze ans au moins (de 1815 
à 1830) les publications en langue française sur l'Archipel. Nombreuses les 
traductions qui paraissent alors, afin d'éveiller en pays wallon un certain in 
térêt pour ces îles lointaines, nombreux aussi les textes originaux directement 
écrits en français, tel le célèbre Coup d'oeil sur l'île de Java, publié en 1830 
par le Comte de Hogendorp, qui s'explique ainsi dans sa préface: "Mes con 
citoyens, dans les provinces septentrionales, du moins ceux auxquels cet ou 
vrage peut offrir quelque intérêt, possèdent la langue française, tandis que 
dans quelques unes de nos provinces méridionales, il en est auxquels la langue 
néerlandaise n'est point familière et cependant ce sont ceux-ci qui, ayant eu 
jusqu'à présent des relations moins anciennes et moins intimes avec nos 
colonies orientales, sont par là moins à même d'apprécier ces belles posses 
sionsà leur juste valeur". 
Cette tendance se maintiendra après la partition de 1830, et c'est encore 
en français que le grand naturaliste CJ. Temminck (1770-1858) écrira son 
Coup d'oeil général sur les possessions néerlandaises dans l'Inde Archipélagique 
(Leyde, 1846-1849, 3 vol.), afin, nous dit-il, "d'être mieux compris du monde 
savant". En français aussi, que le Baron P. Melvill de Carnbée, excellent 
géographe et auteur de cartes marines, éditera de 1847 à 1849, à La Haye, 
son Moniteur des Indes Orientales et Occidentales, qui fourmille de rense 
ignements tant ethnographiques qu'économiques. Non seulement les Belges, 
mais aussi les Français vont donc être susceptibles d'en savoir davantage sur 
l'Insulinde. 
La curiosité pour les autres mondes est d'ailleurs en train de faire des 
progrès à Paris. La Société de Géographie y est fondée en 1821 et la Société 
Asiatique en 1822; plusieurs voyageurs, comme Freycinet et Domeny de Rien-zi, 
qui sont passés par l'Archipel au cours de leurs pérégrinations, y font des 
communications. Au cours d'un voyage en Angleterre, l'orientaliste Edouard 
Dulaurier s'intéresse aux manuscrits malais et javanais conservés à Londres; 
il ouvrira en 1841 un cours de malais et de javanais à l'Ecole des Langues 
Orientales. Nous savons d'autre part que le grand peintre javanais Radén 
Saleh se rendit en France, au cours du long séjour d'étude qu'il fit en Hollan 
deil; obtint un certain succès dans les salons parisiens en 1848, puis suivi
157 
Horace Vernet en Algérie (27). Il n'est pas jusqu'à Victor Hugo qui passe 
pour avoir alors traduit quelques pantun (28). 
Mais un fait surtout va multiplier pendant plusieurs décennies les dé 
parts de Français pour l'Insulinde. La guerre qui pendant vingt cinq années 
a fait rage en Europe, cesse, juste au moment ou le gouvernement de Batavia 
*7j Sur Radén Saleh, voit notamment la petite étude de Dr. Soekanto, Dua Raden 
Sa/eh, dua nasionalis dalam àbad ke-19, Djakarta, 1951. Dans son Voyage autour du 
monde, dont nous reparlerons un peu plus loin le Comte de Beauvoir raconte ainsi 
l'entrevue qu'il eut à Batavia, le 13 décembre 1866, avec le grand peintre, revenu à 
Java: "Nos petits poneys galopeurs nous firent de nouveau parcourir les longues 
avenues qui mènent aux glacis de la citadelle, et nous descendîmes au chalet histo 
riéet enluminé du peintre Raden-Saleh, qui a passé nombre d'années dans les cours 
de l'Europe, courant d'aventure en aventure. N'est-ce point pour lui qu'une miss 
anglaise s'est empoisonnée? N'est-ce point lui qui a servi de type à Eugène Sue dans 
les Mystères de Paris ? Il est l'original architecte de sa demeute qu'il a peinte en rose 
tendre; elle est ombragée de tamariniers et de flamboyants et donne sur les enclos 
du jardin botanique où gambadent les panthères noires et les tigres royaux : ce sont 
les modèles qui lui servent pour ses tableaux, dans lesquels il excelle à rendre les 
brillants effets de la nature des tropiques .11 parle un peu français et très bien all 
emand: "Ah 1 nous disait-il dans cette dernière langue, je ne rêve plus qu"à l'Euro 
pec;ar là on est si ébloui qu'on n'a pas temps de penser à la mort ! "Singulier con 
traste que celui d'entendre cet homme de couleur, en veste verte et en tuban rouge, 
armé d'un kriss et d'une palette, parler dans la langue de Goethe de l'art français, 
des beautés anglaises, des souvenirs curieux de sa vie européenne " 
2a) Dans un ouvrage dont nous reparlerons p. 159, Quinze ans de iéjour à Java (Tours, 
1863), on trouve, aux pp. 144-5, le passage que voici: "Voici la traduction presque 
littérale que M. Victor Hugo a faite d'un pantou (sic) malais fort connu, et auquel 
on ne saurait refuser de la grâce et un certain mouvement poétique: 
Les papillons voltigent vers la mer, 
Qui du corail baigne la longue chaîne. 
Depuis longtemps mon coeur sent de la peine, 
Depuis longtemps j'ai le coeur bien amer 
Les papillons voltigent vers la mer, 
î Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; 
Depuis longtemps, belle parmi les belles, 
Plus d'un jeune homme à mon regard fut cher. 
Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; 
Ses plumes, là, tombent sur Patani 
Plus d'un jeune homme à mon coeur fut uni. 
Mais tout le cède à mes amours nouvelles. ..." 
Dans le recueil de Pantun Melaju, publié par Balai Pustaka, on trouve, p. 104, no. 
552, le texte malais d'un pantun dont une variante aurait pu servir de modèle au 
troisième des quatrains reproduits ci-dessus: 
Bu rung nuri terbang ke Padang 
bulunja djatuh ke Patani. 
Banjak muda sudah kupandang, 
tiada sama mudaku ini. 
Après V. Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire, R. Ghil s'essayèrent tour à tour à 
composer des "pantoun" (ou des "pantou m" 1).
158 
éprouve le besoin d'augmenter les effectifs de son Armée coloniale. De plus 
les changements politiques se succèdent en France (1815, 1830, 1848), con 
t"racignhantô meursà" lg'eaxginl enbto nle sn oPmaybsr-eB adse etf asme illaleisss ecnotm spérdoumireis, eslo; rbsqeuau'iclso uspon td ea scseesz 
jeunes, par les promesses des recruteurs : "Là, continua mon interlocuteur — 
c'est un exilé français qui nous rapporte la conversation — s'ouvre pour vous 
une carrière brillante; vous pouvez comme militaire, y obtenir un avancement 
rapide, et en même temps prendre part à des spéculations commerciales qui 
vous conduiront à la fortune; car dans nos colonies, l'état militaire n'est pas 
incompatible avec ces sortes d'opérations " 
L'armée des Indes néerlandaises était au fond une sorte de "légion étran 
gère" et nombreux les Européens de tous grades qui cherchèrent à s'y engag 
er, tout au long du XIXème s. On sait qu'en 1876, Arthur Rimbaud y prit 
du service et fut envoyé à Java; il déserta moins d'un mois après son arrivée 
à Batavia (29) et parvint à regagner l'Europe dans des conditions encore assez 
mal connues; il ne nous a laissé aucun récit de cette aventure, mais certains 
autres engagés n'ont pas observé le même silence (30). 
Un légitimiste dans l'Armée des Indes 
Un certain J.J.E. Roy a recueilli et publié les souvenirs de l'un d'entre 
eux, "ancien officier de la garde royale de Charles X", chassé par la Révolu- 
29; Sur cette "aventure" de l'auteur du Bateau ivre, voir L.C. Damais, A. Rimbaud 
à Java in Bul. Soc. Et. Indoch., XLII, no. 4, 1967, pp. 339-349. 
8o) Nous sommes loins de connaître les noms et les aventures de tous les officiers 
français engagés dans l'armée des Indes et il n'est pas impossible que certains de 
leurs récits dorment encore inédits dans quelque bibliothèque privée. Certains 
d'ailleurs, plus aventureux encore, n'avaient pas hésité à prendre du service auprès 
des souverains "malais" indépendants; à preuve ce colonel Delorme, qui avait 
construit les fortifications de la ville de Boné, à Celebes sud, et dont le Général Ba 
ron Lahure (aide de camp du roi Leopold et belge de naissance) nous conte bri 
èvement l'histoire dans son récit intitulé Utle de Celebes, (Bruxelles, Rotterdam, 1880 
p. 110): "Depuis la restitution des colonies à la Hollande (1815), cette souveraine 
(la reine de Boné) n'avait pas cessé un seul instant de se tenir en communication 
avec les émissaires britanniques. Elle avait reçu des armes, de l'artillerie et des 
munitions nombreuses par cette voie; un colonel français exilé, M. Delorme, avait 
même fortifié à l'européenne la ville de Boni, ainsi que son port de Badjoua 
(Badjo-é), avec une perfection si grande que les Boughinais considéraient leurs 
positions militaires comme capables de défier indéfiniment les moyen? d'attaque 
et les ressources dont peut disposer un corps expéditionnaire dans ces régions 
lointaines . . Une fois ces travaux importants terminés, elle (la reine) avait trouvé 
tout naturel de se débarrasser de l'infortuné colonel par des moyens sommaires; 
elle donna une fête nautique en son honneur; la pirogue qu'il montait était 
conduite par quatre habiles nageurs qui coulèrent l'embarcation et se sauvèrent 
à la côte tandis que Delorme perdait la vie dans les flots .. .." (Nous devons 
cette intéressante référence à Christian Pelras).
159 
tion de 1830 et resté anonyme; le texte s'intitule Quinze ans de séjour à Java et 
dans les principales îles de la Sonde (Tours, Marne, 1863). Engagé comme ca 
pitaine, le jeune homme arrive à Batavia, avec son régiment. La ville n'a guère 
que 60 000 habitants et se remet comme elle peut de la chute démographique 
provoquée par la terrible épidémie de choléra de 1822. Après quelques mois 
passés dans la capitale des Indes, dont il nous décrit avec admiration les 
quartiers alors nouveaux de Weltevreden et de Meester Cornelis, il est 
envoyé en garnison à Java centrale, où l'"ordre" vient d'être rétabli. A 
Surakarta, il est l'hôte d'un certain Tsmaêl Kayam, "lourah de la garde 
du sousounan", qui le reçoit "avec une hospitalité des plus affectueuses", 
tout heureux de voir un Français, c'est-à-dire un compatriote du "grand Na 
poléon". "Est-ce que vous avez été un guerrier de ce grand conquérant ?" 
lui demande avec intérêt le lurah. "Non, lui répond notre légitimiste, j'étais 
trop jeune alors". Et d'ajouter à notre seule intention: "Je ne jugeai pas à 
propos de lui expliquer les autres motifs qui m'auraient empêché, même quand 
j'aurais eu l'âge, de servir sous Napoléon. .." 
Il utilise les loisirs assez nombreux que lui laisse son métier militaire, 
pour se mettre à l'étude du malais et du javanais et au bout de deux à trois 
ans de séjour, est à même "non seulement de converser avec les indigènes de 
Java et les autres Malais, mais de lire et de comprendre les ouvrages écrits en 
djawi et en kawi". Dans son chapitre VII, il nous fait un exposé assez exact 
sur les littératures malaise et javanaise, en y joignant un résumé du sjair Bi-dasari. 
Il visite aussi les principaux sites archéologiques de Java, y compris 
le fameux temple du Sukuh (sur le flanc du Mont Lawu) qu'il nous décrit 
en ces termes: "Une des constructions principales consiste en une pyramide 
tronquée qui s'élève sur le sommet de trois terrasses superposées les unes au 
dessus des autres. Près de la pyramide sont des sculptures, deux obélisques 
et des tougou ou bornes et des piliers en partie renversés .... On distingue 
parmi ces ruines une statue humaine d'une taille gigantesque ayant des bras 
ailés comme les chauves souris (très vraisemblablement une allusion à une 
des effigies de Garuda) Toutes ces sculptures qui semblent appartenir 
à une autre époque que celle de Boro-Bodo (Borobudur), de Malang ou de 
Brambanan (Prambanan), sont exécutées avec moins d'art, moins travaillées . . 
Par un reste de leurs anciennes superstitions quand les naturels du pays veu 
lent se préserver de quelque malheur, ils ont coutume de faire du feu et de 
brûler des parfums dans ce temple". On pourrait citer parallèlement de bon 
nes descriptions concernant les "compositions dramatiques des Javans", leurs 
danses masquées et leurs "scènes ombrées". 
Après ce séjour à Java central, l'officier revient à Batavia et part avec
160 
son régiment "contre les pirates de la côte de Billiton". Après quoi il sillonne 
l'Archipel en tous sens, se rendant à Palembang, à "Benkoulen", à "Sambass" 
(et dans la petite colonie chinoise de "Matrado"), à Pontianak, puis à 
Celebes, à Amboine et pour finir, à Bali, lorsque, en 1844, les Hollandais 
interviennent sur la côte nord de l'île, contre le "radjah de Bliling". 
Le Récit du Comte de Beauvoir 
Dans son Voyage autour du monde, qui connut à l'époque un singulier 
succès (31), le Comte de Beauvoir (dont Mme Simone de Beauvoir nous dit 
dans La Longue Marche qu'il était son grand-oncle) ne consacre pas moins 
de 213 pages à Java. Il ne resta guère plus d'un mois dans l'île (du 10 novemb 
reau 15 décembre 1866) mais eut néanmoins le temps de visiter les princi 
pautés du centre. Les sept chapitres concernant cette partie de son itinéraire 
se trouvent en tête du tome sur Java, Siam et Canton et s'intitulent comme 
suit: I. — Une semaine à Batavia; IL — Chasse aux crocodiles et aux rh 
inocéros; IL — Volcans et marais; IV. — Un Sultan; V. — Djokjokarta et 
Boroboudor; VI. — Le système colonial; VIL — Souvenirs et récits. Son style 
désinvolte est souvent méprisant à l'endroit de l'"indigène", voire même 
irrespectueux à l'égard du colon hollandais. Bien que trahissant un goût 
certain pour l'exotisme, le récit ne manque pourtant jamais d'esprit, ni de 
bon sens. Certains des "thèmes", qui seront repris comme des leitmotiv par 
les voyageurs ultérieurs, figurent déjà ici. 
Beauvoir s'étonne par exemple longuement devant le "rite" du rijstafel 
auquel il est convié le premier soir dans la salle à manger de l'Hôtel "der 
Nederlanden" : "Quarante huit espèces différentes de piments, une montagne 
de riz qui cache un microscopique pilon de poulet-pigeon ....". Même sur-pi 
ise devant l'usage du guling: "un long boudin de deux mètres, fait en nattes, 
gros comme un traversin ordinaire on a eu la complaisance de m'expli-quer 
qu'aucun habitant de Java ne dormait sans ce produit végétal qu'il faut 
garder entre les jambes pour rafraîchir tout le corps ".Sa visite au Musée 
de la Société Batave (qui n'était pas encore aménagé dans le bâtiment où se 
trouve aujourd'hui le Museum) ne témoigne pas non plus d'un esprit très 
objectif: "Le musée est si curieux que le voyageur qui n'est point versé dans 
le sanskrit n'y comprend rien, mais c'est magnifique! Divinités javanaises, 
sundanaises, baliennes, hindoues, à gros ventre, yeux en coulisse, bosses, 
double face, demi-douzaine de bras et de pieds en l'air, poulets à cinq pattes 
8l) Nous avons consulté l'édition de 1878, qui est la douzième (Paris, chez Pion).
"La rade de Bantan" — Voyage du P. Tachard, 1689 (Cf. p. 150)
Voyage du Comte de Beauvoir, 1866 
(Cf. p. 161) 
L'Hôtel français de 
Bogor. 
Voyage de X. Brau de 
Saint-Pol Lias, 1880 
(Cf. p. 164) 
&» fils aîné dtt stilfan <îe SonmknrUi,
It- Zf>~ A6o 
Les établissements "Cger frères" (près du carrefour Harmoni), illustr. du Tour du monde, 1864. (Cf.
Hadji Andi' Bau' Muddaria et sa mère Hadji Andi' Ninnong (les deux premières à gauche 
au deuxième rang; avec leur suite. 
Selon l'usage ancien, tout and1 sengngeng devait se faire accompagner de suivants portant son 
aiguière, son crachoir, ses services à bétel, ainsi que, pour les hommes ou pour les 
femmes revêtues d'un pouvoir politique, par un porteur de lance.
161 
en argent, lampes anciennes et tams-tams sur lesquels nous produisons des 
bruits étourdissants (32), que sais-je ? on en rêverait !" Tout ceci annonce 
bien la condescendance des touristes futurs 
Mais il y a pourtant intérêt à suivre Beauvoir au coeur des "Preanger" 
(-— Priangan) où il se prépare à pénétrer; sa plume va nous faire découvrir 
une Java assez différente de celle que nous pouvons connaître. Partis en chaise 
de poste, attelée de quatre poneys, les voyageurs arrivent à Buitenzorg où on 
leur montre bien sûr le jardin botanique mais aussi le "bois sacré de Battou-toulis" 
(33). Le lendemain l'équipage arrive "au pied de la grande montagne 
de Megamendung" et les poneys essoufflés ne peuvent continuer la route. 
"Dix buffles viennent alors les remplacer et ce changement à vue fait de notre 
rapide carrosse de tout à l'heure, un coche lent et attardé: nous gravissons sous 
un soleil de plomb les quatre mille sept cent quatre vingt pieds du Megamend 
ungen, n ous enfonçant dans la forêt vierge " Beauvoir nous décrit en 
suite son séjour à Bandung, la chasse au rhinocéros qu'organise spécialement 
le Régent (car on chasse encore le monstre à six lieues de la ville), l'ascension 
du "Tangkoubanprahou", qui s'effectue à dos de poney, puis la réception à 
la cour de Surakarta, puis à celle de Djogdjakarta (spectacles, visite de la 
ménagerie), et pour finir une séance de "kedebous" à laquelle il assiste à Bata 
via (transe au cours de laquelle les fervents se piquent avec des pointes de fer). 
Mais à côté de cette "Java des mille et une nuits" qu'il nous décrit com-plaisamment 
avec l'intention manifeste de nous étonner, Beauvoir sait aussi 
saisir les problèmes de fond. Il nous parle de la première ligne de chemin 
de fer que l'on est en train de construire entre Semarang et Surakarta et qui 
supprimera le portage à dos d'homme sur ce tronçon. Il consacre tout un cha 
pitre à analyser le système colonial et plus spécialement le fameux "système 
des cultures" que son libéralisme réprouve: "Ce que je souhaiterais pour Java, 
c'est que l'Etat cessât d'y être cultivateur et marchand". Il définit enfin avec 
perspicacité les motivations de la petite société hollandaise des Indes: "Comm 
ent, après les délices si bien méritées dans une pareille oasis, revenir habiter 
une rue boueuse et brumeuse de Hollande et y vivre sans vingt chevaux et 
sans quatre-vingts serviteurs ? La Hollande n'est plus qu'un drapeau aimé 
82) Probablement quelques uns des fameux tambours de bronze d'époque proio-historique 
qui ornent aujourd'hui la salle de préhistoire! 
83) II s'agit bien tûr du site de Batu tulis cù se trouve encore aujourd'hui une des plus 
anciennes inscriptions en soundanais. Beauvoir ajoute les détails que voici: ,,Une 
déesse est censée avoir tracé des caractères hiéroglyphiques sur une pierre plate 
placée verticalement ; l'empreinte de ses pieds est restée gravée dans le roc puis la 
terre s'entr'ouvrant (la crevasse existe) l'aurait avalée comme une pilule . ..",
162 
passionnément de ces coeurs patriotes; il leur faut de temps à autre l'aller 
revoir mais l'espace, la richesse et le soleil, le commandement y font 
défaut pour les heureux de Java que le monopole a faits ici pachas et rois et 
qui ne sont point tentés de redevenir chez eux contribuables, administrés et 
locataires " (34). 
1869-1900. Hommes d'affaires et "experts" 
Le récit de Beauvoir, ses réflexions sur le "système colonial" surtout, 
laisse entrevoir l'avènement d'un monde nouveau. L'ouverture du canal 
de Suez, en 1869, entraîne la mise en chantier d'un nouveau port, à Tan-djung 
Priok (1877), "rapproche" les Indes de l'Europe et tourne une page 
dans l'histoire de l'Archipel. On abandonne peu à peu le système des cultures 
et le principe du monopole d'état le cède enfin à l'investissement privé; on 
pense non seulement à ouvrir de nouvelles plantations, sur la Oostkust de 
Sumatra par exemple, mais encore à exploiter les richesses du sous-sol. A 
cette mise en valeur ne participent plus seulement des Hollandais, mais aussi 
d'autres Européens et même des Américains (35). 
Le nombre des Français à se rendre dans l'Archipel augmente sens 
iblement, beaucoup écrivent à leur retour l'inévitable "récit" qui souvent 
retrace les mêmes itinéraires et dont les gravures, "d'après les photographies 
prises par l'auteur", reproduisent déjà les mêmes paysages et les mêmes scè 
nes "typiques" Certains, comme le Vicomte de Lenthiolle, le Comte 
de Pina ou Jules Leclercq (36), voyagent encore "pour leur plaisir", mais de 
plus en plus nombreux sont les hommes d'affaires ou les ingénieurs qui se 
trouvent chargés d'une mission d'enquête bien précise, par le gouvernement 
ou par quelque entreprise privée. Une mission "en pays Atchin" (= Atjéh) 
dirigée par l'ingénieur civil Louis Wallon se termine mal, en 1880; deux des 
trois explorateurs français sont mis à mort par les gens d'un panglima "in 
soumis", alors qu'ils essaient de gagner la région du lac de "Poutchout 
laout", c'est-à-dire du Laut Tawar, au coeur du pays Gajo. Achille Raffray 
puis Désiré Charnay sont l'un et l'autre chargés d'une "mission scientifique 
par le ministère de l'Instruction publique" respectivement en 1876-77 et en 
•*) Parmi les autres récits de voyageurs français datant de cette époque, citons encore 
celui du peintre de Molins, Voyage à Java, 1858-1861, paru dans le Tour du Monde, 
1864, II, pp. 231-289. 
w) Cf. James W. Gould, Americans in Sumatra, La Haye, Nijhoff, 1961. 
*•) LDeenutxh iaonllse d, anRse llea tpioayns dd'uens évpoiyceasg,e Pauarxi sI l,e1s8 8de0 ,l a3 2So3n dpe.,; RLoetctleerrdcaqm, ,U n18 7sé6j,o u1r 0d4a nps. ;l 'îPlien dae, 
Java, Paris, 1898.
163 
1878-79 (3r). En 1876, le Dr Gauthier mène des recherches zoologiques dans 
le Nord-ouest de Bornéo et en 1880, le Dr Montano des recherches "anthro 
pologiques et ethnographiques" sur l'ensemble de l'île. 
La Mission de M. Xavier Brau de Saint-Pol Lias (1880) 
Intéressant par ce qu'il nous apprend sur l'Insulinde, mais aussi par ce 
qu'il nous révèle sur la mentalité de ces voyageurs d'un genre nouveau, le ré 
cit de X. Brau de Saint-Pol Lias, chargé en 1880 d'une mission d'enquête sur 
la possibilité d'ouvrir des plantations françaises, en pays Atjéh ou .... en 
Nouvelle-Guinée. Ses impressions parurent en 1884 sous le titre: De France 
à Sumatra (Paris, Oudin, 388 p., 19 gravures, carte) et sont dédiées à Fer 
dinand de Lesseps: "A vous qui ouvrez aux navigateurs les grandes portes 
du monde ! Je dédie ce modeste volume de propagande des idées d'expansion 
française " 
L'auteur est un homme d'affaire et il n'aime pas perdre son temps; ce n'est 
pas lui qui irait faire un tour au Musée de la Société batave ! A peine débar 
qué, il court voir le Consul de France," un arabisant distingué" (qui vient 
d'apprendre qu'il est muté en Chine). Puis il s'intéresse à la petite colonie fran 
çaise de Batavia qui se trouve en partie regroupée dans une grande bâtisse 
"près du club Harmoni"; c'est là que se trouvent "les beaux magasins europé- 
Augé frères et autres, qui appartiennent à une petite colonie française de 
chapeliers, tailleurs, horlogers, modistes, coiffeurs, bottiers très estimés à Bata 
via où ils représentent les modes parisiennes et où ils sont connus pour leur 
vie rangée, honnête, de bons pères de famille, intelligents, sobres et laborieux, 
faisant bien leurs petites affaires. En dehors d'eux, une seule maison française 
de haut commerce, la maison Platon (importation de vins) dont le fondateur 
est retourné en Europe, mais qui continue à porter son nom". (38). 
Ayant appris que le Gouverneur général se trouvait dans sa résidence 
de Buitenzorg, Brau de Saint-Pol Lias se hâte de faire ses malles afin de l'y 
7) A. Raffray, Voyage en Nouvelle-Guinée, in Le Tour du monde XXXVII, 1878 ; D. Char-nay, 
Six semaines à Java, in Le Tour du monde XLI, 1880. 
8) Les établissements "Oger frères" (et non Auge) se sont maintenus jusqu'en 1959 
(au moins) — date â laquelle ils faisaient encore de la publicité dans la revue 
Star Weekly. 
Cf. cet autre témoignage sur la présence de la culture française dans les Indes 
néerlandaises {Annales Extr. Or., 1880, p. 186): "On ne croirait pas qu'on importe 
aux Indes Orientales néerlandaises annuellement pour une somme d'environ cinq 
cent mille francs d'ouvrages français. Après la langue hollandaise, le français 
est la langue la plus répandue Nos compatriotes sont agréablement surpris 
en débarquant à Batavia d'entendre parler leur langue et de voir les dames et les 
jeunes filles hollandaises auxquelles on les présente dans les salons, leur répon 
dreav ec la plus grande facilité".
164 
aller trouver. Plus n'est question de chaise de poste et de poneys, comme au 
temps de Beauvoir; il prend le train à quatre heures et arrive à destination 
à cinq heures cinquante. Autre nouveauté: il y a à Buitenzorg un "Hotel du 
Chemin de fer", tenu par un Français Reçu par le Gouverneur, notre 
auteur expose le motif de sa mission; Son Excellence "ne pense rien de bon 
de la Nouvelle Guinée" et souhaite plutôt voir les capitaux français s'investir 
à Sumatra; pour finir, Elle promet "des lettres de recommandation pour le 
Gouverneur d'Atché". 
Sur la deuxième partie de son séjour, en pays Atjéh, à Penang et à Deli, 
Brau, de Saint-Pol Lias nous donne encore d'intéressantes précisions, telle 
cette description de la forêt vierge qui est en train de reculer devant la hache 
des défricheurs, à deux pas de "Médann", une petite bourgade qui est tout 
juste en train de naître: "Parfois le soir en pleine nuit on entend un bruit 
formidable, la terre tremble sous des chocs répétés, les craquements et les 
sifflements se succèdent. C'est toute une série de grands arbres que les indi 
gènes ont préparés, les entaillant à point et du bon côté pour l'heure où se 
lèvera la brise et qui s'abattent l'un sur l'autre comme des capucins de 
cartes..." 
L'Exposition universelle de Paris (1878) 
Symbole de toute une "reprise" économique, l'Exposition universelle 
de Paris réunit au Champ de Mars en 1878 des productions venues de toutes 
Jes parties du monde. Fait significatif, les Indes néerlandaises sont représent 
éesp,re uve de l'intérêt nouveau que leur portent les hommes d'affaires 
français. Une revue de l'époque (39) nous décrit le "stand" en ces termes: 
"L'Exposition, organisée par les soins du gouvernement hollandais, occupe le 
pavillon d'angle de la grande galerie étrangère. On a formé là un immense 
trophée composé de peaux, d'armes, de bois, d'étoffes provenant de Sumatra, 
de Java, de la Malaisie en général. Autour de ce trophée on se proposait de 
faire une exposition horticole exotique; mais les arbres dont l'envoi avait 
coûté plusieurs centaines de mille francs n'ont pu résister au voyage .... 
On y voit, reproduits dans tous leurs détails de construction et d'aménagement, 
des pagodes et habitations indiennes, des costumes de toutes les peuplades 
des colonies hollandaises, des poteries, tous les ustensiles de pêche et de chass 
e... La librairie des Indes Néerlandaises est aussi dignement représentée 
à l'Exposition. On y voit les collections complètes des oeuvres de la Société des 
Arts et des Sciences de Batavia, ... le bel atlas photographique du temple 
89) Annales de l'Extrême-Orient, 1, 1879, p. 38; sur cette revue, voir page suivante.
165 
de Boro-Boudur à Java, ... des spécimens des journaux publiés aux Indes 
... la collection de livres en langues orientales et épreuve typographique 
des caractères utilisés pour ces publications de M.E.-J. Brill, éditeur de 
Leyde". A signaler encore une collection d'échantillons géologiques, no 
tamment des minerais d'étain en provenance de l'île de "Billiton". 
Lors de l'Exposition universelle de 1889, le gouvernement indonéerlan 
dafiti msieu x encore et envoya à Paris une troupe de danseuses javanaises. 
On sait que Debussy assista au spectacle et qu'il s'intéressa vivement aux 
rythmes du gameian i40). 
Nul doute que ce "trophée" et ces danses, observés et admirés par des 
foules entières, jouèrent un rôle déterminant dans la lente élaboration de 
l'image collective qui, au niveau des mentalités populaires, correspondit long 
temps — et dans une certaine mesure, corespond encore bien — au concept 
de "Monde malais". 
L'Orientalisme engagé et les "Annales de l'Extrême-Orient" (1878-1886) 
A signaler parallèlement, la foimation d'un petit groupe de "malayolo-gues", 
généralement disciples de Ed. Dulaurier (qui lui-même avait délaissé 
les études malaises pour s'intéresser à l'arménien). L.M. Devic et A. Marre 
s'occupèrent à traduire en français certains textes "classiques" (La couronne 
des Rois, le début des Annales malaises), tandis que A. Tugault et l'Abbé 
Favre se spécialisèrent surtout dans des travaux de lexicographie. L'un et 
l'autre publièrent une Grammaire de la langue malaise et un Dictionnaire 
malais-français, ce qui les amena tout naturellement à s'opposer et à s'affron 
ter S'il est permis de sourire de leur querelle, et des pamphlets que, se 
lon la mode du temps, la colère leur fit échanger, on ne doit point oublier 
qu'après eux, aucune tentative tant soit peu sérieuse de lexicographie malaise 
ne fut entreprise et menée à bien par les Français. Le seul Dictionnaire malais-français 
à peu prés digne de ce nom reste encore aujourd'hui celui que l'Abbé 
P. Favre publia à Vienne (Autriche) en 1875 (en deux volumes avec caractè 
reasra bes). 
A noter que ces orientalistes ne se désintéressaient pas de l'actualité, 
comme certains de leurs successeurs ont eu parfois tendance à le faire, et 
l'on retrouve le nom de trois d'entre eux, ceux de Dulaurier, de Marre et du 
Père Favre, dans la liste des "collaborateurs" d'une revue, lancée en 1879 
40; Cf. G.J. Resink, Debussy en de Mustek van de Mangkunegaran, in BKI, 125, II, 1969, 
pp. 267-268.
166 
et dont une part importante était consacrée à des "informations" qu'on quali 
fierait à présent de "journalistiques". Les Annales de V Extrême-Orient, dirigées 
par le Docteur Cte Meyners d'Estrey, se proposaient de s'intéresser à "l'Ar 
chipel Indien et à la Malaisie en général", ainsi qu'à 1' "Inde transgangétique" 
et à l'Indochine, c'est-à-dire, en somme, à ce que nous appelons aujourd'hui 
P"Asie du Sud-est". Leur approche était, si l'on peut dire "totale"; aux ar 
ticles d'archéologie (notes d'Aymonier sur Angkor, étude de Léon Feer sur 
Borobudur), d'ethnographie, de géologie ou de zoologie, s'ajoutaient des 
récits de voyages, des rapports d'expéditions, de très nombreuses notes b 
ibliographiques, des informations et communications diverses sur la situation 
politique et économique, ainsi qu'une précieuse "chronique orientale "qui 
résumait mois par mois les principaux événements survenus en Asie, tels du 
moins qu'on avait pu les centraliser à Paris. En ce qui concernait l'Insulinde, 
une bonne part des informations était empruntée, sous forme d'extraits 
traduits, aux publications néerlandaises. (41). 
La revue se maintint pendant huit années, au cours desquelles la liste 
des collaborateurs évolua sensiblement, mais les livraisons (annuelles) gardè 
rent à peu près le même aspect : 500 pages in 8°, avec de très abondantes i 
llustrations. Cette publication, oeuvre collective, doit être considérée comme 
le signe d'un intérêt tout particulier du monde cultivé français pour les choses 
de l'Archipel (42). 
Les études sur le "système colonial" 
D'un tout autre "esprit" — et d'un esprit combien moins fécond ! — les 
études de "science coloniale" qui se multiplient vers la fin du siècle, après 
la création en 1893 d'un Institut Colonial International (fondé par Léon Say). 
La méthode, toute juridique, consiste à dégager les "systèmes" et à les "comp 
arer". En 1900, J. Chailley-Bert publie son célèbre traité: Java et ses habi 
tants (Paris, Colin, 375 p.) et s'explique nettement dans sa préface des motifs 
qui l'ont poussé à entreprendre cette recherche: "Cette étude sur Java et 
41) L'intérêt des Français pour la Nouvelle-Guinée semble avoir été alors tout parti 
culier, car Meyners d'Estrey compila à partir de sources hollandaises une monog 
raphie qu'il publia à part sous le titre de La Papouasie ou Nouvel le- Guinée Occident 
alePa ris, CAallamel, 1881. Meyners d'Estrey publia également en 1891 une 
"traduction libre", intitulée A. travers Bornéo, aventures de quatre déserteurs de Parmée 
indonéerlandaise par le Colonel M.T.H. Perelaer (Paris, Hachette). 
*a) Autre preuve de la très bonne connaissance que l'on pouvait avoir alors de l'Ar 
chipel en France : l'excellent chapitre sur l'Insulinde compilé par Elisée Reclus au 
tome XIV de sa fameuse Géographie Universelle (Paris, 1889).
167 
la colonisation hollandaise est la suite naturelle de mes études sur la coloni 
sation anglaise. Après Les Anglais à Hong Kong, après Les Anglais en Bir 
manie, Java et ses habitants. Toutes ces études partent d'une même idée: les 
nouveaux venus de la colonisation (et c'est bien ce qu'est la France dont la 
rentrée dans la politique coloniale ne date que de moins de vingt ans) ont 
intérêt à se mettre à l'école de leurs devanciers Anglais et Hollandais". 
C'est du même esprit, mais avec moins de talent, que s'est inspiré P. 
Gonnaud, dans son ouvrage sur La Colonisation hollandaise à Java, ses an 
técédents, ses caractères distinctifs (Paris, Challamel, 1905, 606 p.). Tout com 
me Chailley-Bert, Gonnaud s'est rendu à Java; et il joint même en "appendi 
cesle "te xte des permis de séjour et de voyage qui lui ont été accordés. Il n'a 
vu pourtant qu'une toute petite partie de ce qui lui a été donné d'observer et 
si son analyse des diverses strates de la société "blanche" est assez juste, ce 
qu'il écrit sur la "société indigène" manque de la "sympathie" la plus élément 
aire. 
Poursuivre plus avant, jusqu'à la première guerre mondiale et plus près 
de nous encore, ce serait rappeler les noms de "voyageurs" sans doute mieux 
connus: A. Cabaton, G. Angoulvant, Ch. Robequain, J. Cuisinier, L.-C. 
Damais (^); ce serait aussi évoquer, en marge de cette tendance "noble" et 
proprement scientifique (géographique, ethnographique ou philologique), 
le développement abusif d'un "exotisme" délétère, déjà latent au XIXème s. 
(44), mais désormais nourri d'une imagerie facile, et que contribuent à divul 
guer l'essor du tourisme et le succès des expositions coloniales, telle celle de 
1931 où les Indes Néerlandaises se trouvent "splendidement" représentées. 
Ce serait dresser un bilan difficile et nuancé et nous réservons la chose pour 
une autre étude. 
8) Louis-Charles Damais avait établi, vers I960, une bibliographie des études concer 
nantl'I ndonésie rédigées en français, et l'avait un temps destinée à l'ouvrage col 
lectif édité par Soedjatmoko, Indonesian Historiograùhy; cf. Madjalah Ilmu% Sastra 
Indonesia, 1968,p-135-86. 
A) Le XIXème s. a déjà vu paraître un certain nombre de romans fantaisistes qui pren 
nent pour cadre une Insulinde de pacotille. Nul doute que ces romans ont largement 
contribué à déformer l'esprit des honnêtes gens ; certains voyageurs arrivent même, 
sur place avec une idée complètement fausse dont ils ont beaucoup de mal à se dé 
partir. Mieux valait l'ignorance des siècles piécédents ! Ecoutons par exemple ce 
que nous dit Leclercq, au début de son Séjour à Java (189S) : "Henri Conscience, ce 
grand conteur (écrivain flamand, né en 1812), a écrit un livre dont le titre, Batavia, 
me fascinait dans mon enfance, à cet âge où les noms d'outre-mer éveillent dans 
l'imagination une idée de prodigieux éloignement. Batavia, la Babylone des tro 
piques ( 1) me semblait à une si infranchissable distance que je croyais ne pouvoir 
jamais en fouler le sol et en respirer l'air parfumé. Lorsque je songeais aux belles 
nuits étoilées de Batavia je murmurais ce vers de Louis Tieck, le doux poète all 
emand : Petites étoiles d'or, vous êtes si loin 1"
168 
APPENDICE 
Nous reproduisons, ci-dessous, l'éditorial du premier numéro des Annal 
esd e V Extrême-Orient, lancé en 1879 par le Docteur Cte Meyners d'Estrey 
(voir ci-dessus p. 165-6). 
A NOS LECTEURS 
Nous avons l'honneur d'informer nos lecteurs, que le Directeur 
des Annales de l'Extrême-Orient, membre du conseil et de la comm 
ission de publication de la Société Académique Indo-Chinoise, s'est 
entendu avec ses collègues du Conseil de ladite Société, pour réunir 
en une seule publication les Annales de l'Extrême-Orient et le Bulletin 
de la Société Académique Indo-Chinoise. Cette Société travaillant au 
développement de nos connaissances des pays de l'Inde transgangéti-que, 
la Malaisie, etc., but identique poursuivi par la direction des 
Annales, il a été jugé préférable, plutôt que de diviser les forces par 
la création de deux publications distinctes, de réunir les travaux 
respectifs en une seule revue mensuelle. Le Directeur des Annales 
continuera donc à s'occuper, comme par le passé, de l'Archipel 
Indien et de la Malaisie en général, tandis que les Membres de la 
Société Académique Indo-Chinoise enrichiront les Annales de leurs int 
éressantes communications concernant les pays de l'Extrême-Orient.

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  • 1. Denys Lombard Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168. Citer ce document / Cite this document : Lombard Denys. Voyageurs français dans l'Archipel insulindien, XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles. In: Archipel. Volume 1, 1971. pp. 141-168. doi : 10.3406/arch.1971.929 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1971_num_1_1_929
  • 2. ringkasan 3) Karena begitu pentingnja sumber2 dalam bahasa Belanda dan Inggris, kita sering melupakan bahwa ada djuga tjatatan2 perdja- lanan, ditulis oleh pengelana Perantjis dan dapat dipergunakan oleh para achli sedjarah Nusantara. Denys Lombard mentjatat perdjalanan2 jang paling menarik dengan memberi referensi2 biblio- grapik; Lombard menghidupkan kembali tokoh2 pemuka, kakak beradik Parmentier, Sieur Vincent Leblanc (abad ke 16), kemudian ekspedisi2 jang dilakukan oleh Laksamana de Beaulieu, tjerita2 dari Ta vernier dan Gervaise (abad ke 17). Abad ke 18 melihat lewat- nja terutama Poivre, kemudian Sonnerat, serta terdjemahan bebe- rapa karja penting ("Kehidupan para Gubernur Djenderal Hin- dia Timur" oleh Dubois, Den Haag 1763). Pada awal abad ke 19 tidak dapat disangkal lagi ditandai oleh datangnja Daendels, tetapi djuga kedatangannja beberapa perwira Perantjis, setelah bebas tugas pada achir perang Napoleon dan ditarik kedalam tentara Hindia Belanda. Penjatuan Negeri Belanda dan Belgia (1815-1830) menjebabkan pula terbitnja koleksi dalam Bahasa Perantjis tentang Nusantara. Tjerita dari Comte de Beauvoir jang muda, jang datang dipulau Djawa pada tahun 1866, ditjetak ulang beberapa kali. Dengan dibukanja terusan Suez (1869) ,,mendjadi dekatlah" ne- gara2 Hindia dan makin meningkatlah djumlah perdjalanan ke Timur (antara lain X. Brau de Saint-Pol Lias); pada tahun 1878, Pameran Internasional di Paris mempunjai satu bagian chusus tentang kepulauan Nusantara dan pada tahun berikutnja suatu kelompok kerdja ketjil jang terdiri dari achli2 negara Timur diba- wah pimpinan Cte Meyners d'Estrey menerbitkan "Les Annales d'Extrême-Orient" jang memberikan tempat jang besar bagi "Monde Malais" (dunia Melaju). Mendjelang achir abad ke 19, kita melihat adanja kemunduran dalam bidang pengetahuan ini: "Les Annales" terhenti setelah terbit selama delapan tahun, penje-lidikan ilmiah tentang ,,hukum" (perbandingan sistim kolonial) dan eksotisme timbul dengan datangnja para wisatawan jang pertama. Abstract 3)The importance of sources in Dutch and English has often caused people to forget that there also exist important accounts written by French travellers, useful to the historians of the Archipelago. Denys Lombard here passes in review the most important of these Voyages, giving for each the bibliographical references. He evokes the figures of the great precursors, the brothers Parmentier, and Vincent Leblanc (XVIth century), then the expeditions of Admiral Beaulieu, the accounts of Tavernier and Gervaise (XVII th century). The XVIII th. century sees the passage notably of Poivre, then Sonnerat, as well as the translation of several important works (Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales, by Dubois, La Haye, 1763). The beginning of the XIXth century is marked, of course, by the passage of Daendels, but also by the arrival of several French officers out of work following the end of the Napoleonic wars and later employed in the Army of the Indies. The uniting of the Netherlands to Belgium (1815-1830) also provoked a series of publications in French on the Archipelago. The account of the young Count of Beauvoir who passed through Java in 1866, know numerous re-editions, and marked a certain increased awareness of Indonesia in French consciousness. The opening of the Suez canal (1869) "brought together" the Indies and multiplied the voyages (X. Brau de Saint-Pol Lias). In 1878 the Universal Exposition in Paris contained a section on the "Iles de la Sonde", and the following year a small team of orientalists lead by Count Meyners d'Estrey started the Annales d'Extrême-Orient which gave a considerable attention to the "Malay world". Towards the end of the century, one witnesses a certain regression in knowledge : the Annales cease appearing after eight years, the "juridical" studies (comparison of colonial systems) appear and exoticism is awakened with the coming of the first "tourists".
  • 3. 141 VOYAGEURS FRANÇAIS DANS L'ARCHIPEL INSULINDIEN XVIIème, XVfflème et XIXème s. par Denys LOMBARD Le rôle joué par les Hollandais et, à un moindre titre, par les Britanniques dans l'histoire moderne de l'Archipel insulindien a fait que l'immense major ité des sources étrangères dont nous disposons pour étudier cette histoire se trouvent aujourd'hui rédigées en néerlandais ou en anglais. On en vient naturellement à considérer comme quantité négligeable les documents rédi gés en une autre langue. Nous voudrions attirer ici l'attention sur quelques récits de voyageurs français, non pas inédits ou inconnus, mais souvent oubliés et qui mériteraient néanmoins d'être mieux exploités. Une des raisons de ce relatif "oubli" est que la plupart d'entie ces récits n'ont jamais fait l'objet d'une réédition, faute peut-être d'une société savante, qui telle la Hakluyt Society de Londres ou la Linschoten Vereeniging de La Haye (*), eût entre pris en France de les mettre à la disposition d'un plus large public. En ce qui concerne certains de ces Voyages, ceux du XVIIème s. notamment, les quel ques rares exemplaires qui sont parvenus jusqu'à nous, ont depuis longtemps rejoint les rayons des bibliothèques spécialisées, lorsque ce n'est pas la ré serve de ces bibliothèques, et seul le bibliophile aux aguets peut avoir la chan cede les voir parfois paraître dans quelque catalogue de Brill ou de Nabrink. Nous évoquerons ici ceux qui nous paraissent les plus intéressants, ce qui nous conduira, chemin faisant, à préciser quelques étapes dans la longue histoire des relations entre la France et l'Archipel (2). 1529. Les frères Parmentier Dès les premières années du XVIème s. plusieurs expéditions françai semsir ent à la voile en direction des "Indes", mais la première à avoir atteint l'Archipel et à en être revenue, est sans doute celle des frères Jehan et Raoul *) Fondée vers 1840, la Hakluyt Society (du nom du géographe Richard Hakluyt, -1533 1616, qui publia en 1589 les Principales navigations et principaux voyages de la Nation anglaise) a réédité un grand nombre de Voyages anglais et quelques Voyages étrangers, avec traductions anglaises. Conçue sur le même modèle, la Linschoten Vereeniging (ou "Société Linschoten", du nom du grand pionnier J.H. van Linschoten, 1563-1611, auteur d'un précieux Itinerario, ou "Itinéraire" à travers l'Océan indien) a été fondée en 1908 et avait réédité LX volumes en 1957 (tous récits de voyageurs néerlandais). *) On trouvera un exposé succinct de ces relations dans l'article intitulé Franschen in den Maleischen Archipel (de), "Les Français dans l'Archipel malais", paru dans i'Encyclopaedie van Nederlandsch-Indiê, 1917, t.I, p. 723.
  • 4. 142 Parmentier, de Dieppe; c'est en tout cas la première dont le souvenir nous soit resté et dont nous ayons conservé un récit, rédigé par un des membres de l'expédition, Pierre Crignon (3). Partis au printemps de 1529 avec deux vaisseaux, la Pensée et le Sacre, équipés par le fameux armateur Ango, les Dieppois s'arrêtèrent un temps à Madagascar et parvinrent le 2 octobre en vue des îles qui bordent la côte occidentale de Sumatra ; ils reconnurent le groupe des îles Batu et baptisèrent deux d'entre elles, île Louise et île Marg uerite, en l'honneur de Louise de Savoie et de Marguerite d'Angoulême mère et soeur de François 1er; quant à l'île Pini — où l'on est en train de mener des recherches pétrolières — elle fut nommée "île Parmentière". On aborda bientôt à Tiku (au nord de Tact. Padang), avec l'espoir de se procurer le précieux poivre, mais les tractations avec le radja et le sjahbandar n'aboutirent pas et l'on dut mettre à la voile après une sanglante collision. Peu de jours après et tandis que les vaisseaux faisaient route vers Indrapura (plus au sud), Jehan Parmentier "commença la danse", selon l'expression de P. Crignon, et "trépassa de ce siècle, la vigile Sainte Barbe, troisième jour de décembre"; son frère Raoul mourut aussi peu après. Privés de leurs chefs, les équipages quittèrent Indrapura le 30 juin 1530 et purent regagner Dieppe; ils n'avaient point obtenu le succès que Ango et ses "parsonniers" avaient escompté, mais ils avaient inquiété au plus haut point les Portugais, qui sou cieux de maintenir leur monopole, firent tout ce qui était en leur pouvoir pour décourager les Français (4). Outre le récit fort intéressant de Crignon, nous avons conservé le Traictê en forme d'exhortation, que Jehan Parmentier composa en vers, peu de temps avant sa mort, pour redresser le moral de ses hommes, quelque peu affaibli par les fièvres; le capitaine y chante "les merveilles de Dieu et la dignité de l'homme", avec la ferveur d'un pionnier et son poème mériterait de figurer dans nos "anthologies du XVIème s.", afin de faire contrepoids aux sonnets un peu mièvres de la Pléiade. Nous ne citerons ici qu'un pasage: "Quand ce vouloir t'esprit De te donner tant curieuse peine, Cela tu feis afin qu'honneur te prit Comme François qui premier entreprit •) Edité par Ch. Schefer , Le discours de la navigation de Jean tt Raoul Parmenlier de Diep pe,P aris, Leroux, 1883. *) C'est ainsi que le roi Jean III de Portugal fit circonvenii à prix d'or le pilote Leone Pancaldo qui avait accompagné Magellan et que les Français essayaient de piendre à leur service.
  • 5. 143 De parvenir à terre si lointaine. Et pour te donner conclusion certaine, Tu l'entrepris à la gloire du Roy Pour faire honneur au pays et à toi " Les pérégrinations d'an Marseillais D'autres voyageurs isolés durent parvenir jusque dans l'Archipel, au cours du XVIème s. ; l'un d'entre eux fut sans doute le Sieur Vincent Leblanc, natif de Marseille, qui, parti à quatorze ans (en 1567) voyagea "jusqu'à l'âge de soixante" à travers les "quatre parties du monde". Ses notes de voyage re cueillies par le célèbre érudit Peiresc, furent publiées, avec des compléments, par P. Bergeron en 1649 (5). Il est moins célèbre que Mendes Pinto, et pour tant sa verve méridionale, et son imagination, ne le cèdent guère à celles du fameux Portugais. Il se rendit aux Royaumes de Fez, de Maroc et de Guinée "et dans toute l'Afrique intérieure, depuis le Cap de Bonne Espérance jus-ques en Alexandrie, par les terres de Monomotapa, du prestre Jean et de l'Egypte"; il alla en Amérique et "aux Indes orientales, en Perse et Pegu". Deux chapitres de sa première partie (pp. 135-153) concernent "les isles de FArchipelague de Sainct Laurens" et traitent, l'un "de l'isle de Sumatra, des elefans et autres partcularitez", l'autre "de l'isle de lave, des moeurs des habitans et des richesses du pais". Son récit se fait l'écho de nombreuses l égendes et invraisemblances et il est clair qu'il ne visita pas ces îles en détail mais il fit au moins escale à Pedir (act. Sigh', en pays Atjéh, au nord de Sumatra) et à Banten (dans l'ouest de Java), qu'il orthographie correctement: "Bantan" et non "Bantam", comme beaucoup le feront après lui. A Pedir, régnait alors le roi "Ayoufar"; notre marseillais décrit la monnaie qui y avait cours ainsi que la façon dont on capturait les éléphants dans l'arrière-pays; chose curieuse, il raconte à propos de ce comptoir, l'histoire" d'un simple pêcheur qui était parvenu à se faire accepter pour roi", tradition que d'autres voyageurs rapporteront après lui à propos d' Atjéh. Puis il nous décrit Banten, en quelques lignes et nous dit que la ville était "grande comme Rouen". Il nous parle aussi du royaume de "Demaa" (Demak) et de la malheureuse expédition de son roi (Trenggana) contre Balambangan (un événement que les sources portugaises permettent de situer en 1546). 8) Les Voyages Jameux du Sieur Vincent Leblanc marseillois qu'il a faits .... aux quatre parties du monde, rédigez sur ses Mémoires, tirez de la bibliothèque de Mr de Peiresc, par P. Bergeron, A Paris, chez Gervais Clousier, au Palais, sur les degrez de la Saincte Chappelle, MDCXLIX, avec privilège du Roy.
  • 6. 144 XVIIème s. A la recherche du poivre II fallut néanmoins attendre la fin des guerres de religion et l'avènement de Henri IV, pour qu'on songe à nouveau à envoyer vers l'Archipel des flot tes chargées de se procurer du poivre. La première partit de Saint-Malo, le 18 mai 1601; elle comprenait deux vaisseaux, le Croissant (400 tonneaux), com mandé parle Sieur Frottet de La Bardeliere, et le Corbin, commandé par François Grou du Closneuf. Le Corbin se perdit aux Maldives et seul le Crois sant put atteindre la pointe nord de Sumatra. Le capitaine fut reçu en audi ence par le Sultan d'Atjéh, qui était alors Ala ud-Din Riajat Sjah et obtint l'autorisation d'acheter du poivre. Mais les Poitugais, toujours inquiets, usèrent de leur infuence auprès des Atjihais; les choses se gâtèrent et les Français durent bientôt îembaiquer. La Bardeliere mourut pendant le retour et son vaisseau fut capturé par des Hollandais, alors qu'il avait déjà regagné l'Atlantique. De cette expéditon malheureuse, nous avons conservé deux récits. Le premier fut rédigé par François Martin, de Vitré, un rescapé du Croissant, et parut en 1604 sous le titre de Description du premier voyage que les marchands français de Saint-Malo, de Vitré et de Laval ont fait aux Indes orientales. (6) II comporte une intéressante description de la cour et du commerce d'Atjéh ainsi qu'un premier petit lexique "du langage malaique", qui, quoique beaucoup moins riche que celui de Frederick de Houtman (7), mériterait l'attention des linguistes; on y trouve aussi des indications sur le scorbut, dédiées "à M. de Laurens, chancelier de l'Université de Montpellier". Le deuxième fut rédigé par François Pyrard, de Laval, un rescapé du Corbin, et parut en 1615 sous le titre de Discours du Voyage des Français aux Indes orientales (8). Naufragé aux Maldives, Pyrard fut fait esclave du roi de Malé; cinq ans plus tard, une flotte bengalaise débarquait aux Maldives, triomphait de la résistance locale et capturait le roi (7 février 1607); rendu •) L'ouvrage se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris; cote: Rés. 02 K 23. *) Frederick de Houtman, natif de Gouda, profita de son séjour forcé à Atjéh, où il avait été fait prisonnier en 1599, pour rédiger une série de douze conversations en malais et un gros lexique néerlandais-malais d'environ deux mille mots; il le publia après son îetour en Hollande, à Amsterdam, en 1603. Voir la réédition que nous en avons faite récemment, avec la collaboration de Mmes W. Arifin et M. Wibi-sono: Le "Spraeck- ende Woord-boek" de Frederick de Houtman, Première méthode de malais parlé (fin de XVIème s.), Publ. de l'EFEO, vol. LXXIV, Paris, 1970. 8) II existe une réédition de 1679.
  • 7. 145 à la liberté par ces sauveteurs inattendus, le Français gagna les Indes, où il visita Cananor et Calicut (1608); puis il tomba entre les mains des Portugais alors qu'il faisait route vers Cochin; emmené à Goa et incorporé de force dans les troupes portugaises, il participa à plusieurs expéditions dans l'Archi peinls ulindien et fit ainsi escale à Malaka, à Sumatra et à Java. Rendu enfin à la liberté en janvier 1610, il décida de rentrer en Europe et parvint à Laval un an plus tard. Son récit, qui ne concerne que partiellement l'Insulinde, passe pour un des plus précis et des mieux documentés de cette époque. Il l'a fait suivre d'un très intéiessant Traité et description des animaux, arbres et fruits des Indes orientales. Les "Mémoires" du Général de Beaulieu Nous ne reprendrons pas ici dans le détail l'histoire des tentatives avor tées et des voyages qui suivirent (9). Mieux vaut insister sur le singulier récit d'un capitaine normand qui se rendit dans l'Archipel à deux reprises et séjourna notamment à Atjéh en 1619-1620. Il s'agit de la Relation de Vestat présent du commerce des Hollandais et des Portugais dans les Indes Orientales ; Mémoires du voyage aux Indes Orientales du Général de Beaulieu, texte qui fut publié au XVIIème s. par Melchisedech Thévenot, éditeur de nombreux Voyages et lui même voyageur célèbre (10). Né à Rouen en 1589, Augustin de Beaulieu s'était embarqué une première fois pour l'Afrique, afin d'y fonder une colonie "en la rivière Gambie" ; puis en 1616, il était parti pour Banten, sur l'un des deux vaisseaux de la "Flotte de Montmorency"; il s'y était chargé en poivre et y avait acquis" une des belles, voire des plus belles maisons" de la ville afin d'y installer une loge. Cette loge française parviendra à se maintenir, en dépit des nombreuses difficultés que lui feront les Hollandais jusqu'en 1682. Revenu en France, "avec pleine char ge", Beaulieu se vit confier en 1619 le commandement d'une nouvelle flotte. Celle-ci comprenait trois navires: le Montmorency (450 t, 162 hommes et 22 canons), Y Espérance (400 t., 117 hommes et 26 canons) et la "patache" Y Hermitage (75t. et 30 hommes). •; Voir O. Collet, L'île de Java sous la domination française, Bruxelles, 1910, Livre I, chap I. et T. Barassin, Compagnies de navigation et expéditions françaises dans l'Océan indien au Xi/Ilème s., in Océan indien et Méiiterranée (6ème colloque intern. d'Hist. marit.) SEVPEN, 1964, pp. 373-389. 10) Les Mémoires de Beaulieu se trouvent au tome II des Relations de divers voyages curieux Paris, 2 vol., 1664-1666.
  • 8. 146 Parvenu au Cap de Bonne espérance, Beaulieu se sépara de V Espérance dont il chargea le commandant, Robert Gravé, de gagner Banten; lui-même se proposait d'aller à Atjéh; c'était une sage façon de diviser les risques et de se protéger d'un éventuel coup de main hollandais. L'événement lui donna raison. Gravé gagna "Jacatra" sans encombre et parvint à réunir une car gaison, mais "comme il estoit sur le point de son retour avec sa charge, les Hollandois mirent le feu à son navire "; à Atjéh cependant, Beaulieu put acheter son poivre. Il rentra au Havre, le 1er décembre 1622, avec 75 hommes d'équipage seulement, mais "avec de quoy payer les frais du voyage, qui aurait esté de grand proffit, si l'autre vaisseau fut revenu". Le récit publié par Thévenot, extrêmement détaillé, compte 123 pages in folio et compend trois parties: 1°) le voyage jusqu'à Atjéh (pp. 1 à 45); 2°) le séjour à Atjéh (pp. 45 à 96); 3°) une "description de l'isle de Sumatra", c'est-à-dire surtout de sa moitié septentrionale, qui se trouvait alors sous la suzeraineté du Sultan d'Atjéh, Iskandar Muda (pp. 96 à 123). "Entre un grand nombre de différentes relations de voyages aux Indes orientales, qui m'ont passé par les mains, commente l'éditeur, je n'en ay point vu de meilleure que celle de Beaulieu"; on ne peut que soucrire à ce jugement et ces Mémoires constituent de nos jours la meilleure source pour qui veut étudier l'histoire sociale et culturelle du grand Sultanat (u). Pilote, Carme et martyr C'est ici le lieu d'évoquer une figure peu banale de ce premier XVIIème s., celle de l'aventurier français Pierre Berthelot; d'origine normande, il était devenu pilote et cartographe au service du Portugal, puis après avoir bourlin guséur toutes les mers des Indes, était entré dans l'ordre des Carmes dé chaux, sous le nom de Père Denis de la Nativité. Cette tardive conversion ne le détourna point du siècle et lorsque, en 1638, les Portugais de Goa pensè rent à envoyer une ambassade à Atjéh afin de rétablir des relations plus cor diales avec le Sultanat, le vice-roi Dom Pedro de Silva demanda au Père Denis de se joindre à l'expédition. Lorsque la petite flotte arriva en vue de 1' "île des exilés" (c'est-à-dire l'île de Sabang), elle fut reçue à coups de canon par des vaisseaux hollandais, qui tâchèrent de lui interdire l'accès de la baie d'Atjéh. Après un furieux combat, au cours duquel l'ambassadeur Soza de Castro fut u) Nous en avons fait abondamment usage dans notre Sultanat a" Atjeh au temps d'Is-kandar Muda, 1607-1636, Publ. de l'EFEO, vol. LXI, Paris, 1967.
  • 9. 147 grièvement blessé, les Portugais parvinrent à forcer le barrage, mais dès qu'ils eurent touché terre, ils furent conduits au palais du Sultan et capturés. Plusieurs d'entre eux, dont Pierre Berthelot, furent mis à mort, pour avoir refusé de se convertir à l'Islam, et dans des conditions qui leur firent obtenir par la suite la palme du martyre. Nous n'avons pas conservé de récit rédigé par Berthelot lui-même mais plusieurs documents relatifs à sa vie, à sa mort et à sa béatification (12). Compagnies et "grand projet'9. La création d'une "Compagnie générale du commerce" par Richelieu, en 1629, puis celle d'une "Compagnie royale" par Colbert, en 1664, faillirent amener certains marchands et armateurs français à s'intéresser sérieusement à l'Océan indien. Aux entreprises individuelles viennent s'ajouter pour un temps les projets collectifs. La loge de Banten se maintint non sans succès jusqu'en 1682 et quelques marchands français parvinrent même à s'établir à Batavia. François Caron, un Hollandais d'origine française, qui après avoir commercé au Japon, était passé au service de Colbert, envisagea même un temps d'ouvrir des "loges" françaises à Djambi, à Palembang ou "dans le détroit de Banka", voire même à Makasar. En 1670, on envoya une forte escadre, commandée par de la Haye, pour appuyer sur place cette politique (13). Pourtant rien ne se réalisa de ces beaux projets d'installation; accusé de malversations par des collègues jaloux et soupçonné par Colbert, Caron mourut accidentellement en 1674, dans le port de Lisbonne; quant à la loge de Banten, elle finit par tomber en 1682, entre les mains des Bataves, qui y envoyèrent un détachement commandé par Isaac de Saint-Martin, un genti lhomme béarnais qui était entré au service de la Compagnie hollandaise. Les visées fiançaises se reportèrent sur le Siam (célèbre ambassade siamoise à Versailles) et les Hollandais eurent le champ libre dans l'Archipel. Plusieurs récits nous sont parvenus, rédigés par certains des Français qui participèrent à cette âpre concurrence. Nous signalerons d'abord les Voyages de Jean-Baptiste Tavernier, "écuyer baron d'Aubonne" (u), surtout cités pour ce qu'ils nous apprennent sur l'Inde des Mogols et l'empire du Grand 12) Notamment un Voyage d'Orient, par le R.P. Philippe de la Très Sainte Trinité (Lyon, Juilleron, 1652). Consulter surtout la biographie du P. Denis par Ch. Bréard, Hist oire de Pierre Berthelol, Paris, 1889. l8) Voir notamment: Collet, op. cit., p. 81 sqq. 14) Les six Voyages de Jean Baptiste Tavernier, Ecuyer Baron d'Aubonne, en Turquie, en Perse et aux Indes, pendant l'espace de quarante ans <& par toutes les routes que Von peut tenir, 3 vol. Paris, 1679.
  • 10. 148 Turc, mais dont plusieurs chapitres (tome II, livre 3, chap. XXI à XXIX, et tome III, livre 5, intitulé: "Histoire de la conduite des Hollandais en Asie") concernent particulièrement l'Insulinde. Tavernier fut à Batavia et à Banten (qu'il orthographie "Bantam", selon l'habitude de l'époque) en 1648-49; son frère cadet l'y avait précédé dès 1638 et avait appris parfaitement le malais; il avait su si bien gagner les bonnes grâces du "Général Vandime" (le Gouv erneur Van Diemen) qu'il en avait obtenu l'autorisation d'acquérir un gros vaisseau de 14 canons et de se livrer au commerce, au Siam, au Tonkin et jusqu'à Makasar. Les doléances de J.B. Tavernier Ce frère mcurut à Batavia, "d'un flux de sang qui provenoit des débau ches qu'il avoit eu la complaisance de faire avec le roy de Bantam", alors que Jean-Baptiste se trouvait de passage dans la ville, et celui-ci nous raconte, non sans amertume, tout ce que les funérailles lui coûtèrent : "Pour le faire enterrer il me fallut suivre d'assez étranges coutumes que les Hollandois ont inventé pour faire dépenser de l'argent aux héritiers des deffunts. . .". D'une façon générale, Tavernier est fort mal disposé à l'endroit des Hollandais et il ne manque jamais une occasion d'en dire du mal; il suffira de citer ici les titres de quelques uns des chapitres du tome III: "Du peu de scrupule que font les Hollandois de ne pas tenir leur parole dans leurs capitulations et de plusieurs autres injustices," "Du peu de zèle des Hollandois pour l'avancement du christianisme aux Indes, du mauvais ordre de leurs Hospitaux et de leur défaut de charité", "De l'orgueil des femmes de Batavia, de leur crédit et de .leurs amourettes", etc .... En dépit de cette partialité haineuse à l'égard des Bataves, le récit reste néanmoins précieux, par la pertinence des remarques et par la finesse des anal yses. Ici, Tavernier signale l'importance du malais, comme langue parlée: "Depuis qu'on a passé les terres de l'obéissance du grand Mogol, la langue que l'on appelle malaye est parmi les Orientaux, ce que la langue latine est dans notre Europe" (t. II, p. 525); là, il indique les directions des principaux flux de métal blanc et nous apprend que les Chinois "aimant mieux l'argent que l'or, transportent en la Chine autant qu'ils peuvent de la monnoye d'argent qui se battoit à Batavia" (t. II, p. 541); ailleurs, il signale le préjudice porté à la Compagnie batave par le Sultan de Makasar, qui autorise le commerce de la girofle dans son port, "les Hollandois avec toute leur adresse ne pouvant empescher que le peuple de cette Isle ne trafique aux autres Isles où croissent les épiceries ".
  • 11. 149 Une "Description du Royaume de Macaçar" Plus intéressant peut-être encore pour l'historien, quoique également marqué du même parti-pris anti-batave, le récit paru sous le titre de Descript iondu R oyaume de Macaçar (Paris, 1688, rééd. Ratisbonne, 1700). L'auteur, Nicolas Gervaise, né à Paris en 1662, fut attaché pendant quatre ans à la mis sion de Siam et l'on a de lui une Histoire naturelle et politique du Royaume de Siam (1688), bien connue des orientalistes; parti en 1724 pour la mission de la Guinée espagnole, il fut massacré en 1729 sur les bords de l'Orénoque. On ne dispose pour l'instant d'aucun document prouvant de façon irréfutable qu'il ait séjourné à Celebes et en 1918, un critique hollandais a pu prétendre qu'il n'y avait jamais mis les pieds (15). La Description n'en est pas moins un chef-d'oeuvie et si Gervaise n'est pas allé lui-même à Makasar, c'est qu'il a publié sous son nom le récit d'un témoin oculaire; ce qui pour nous revient au même. Outre une excellente analyse des ressources du pays, du système polit ique et social et des rapports (plutôt hostiles !) avec les "Toraja", réfractaires à l'Islam et redoutés "pour leurs subtils poisons", on trouve de pertinentes remarques sur la religion musulmane et la façon dont elle s'adapte à ce que les ethnologues appellent aujourd'hui le "substrat". La dernière partie est une longue description des principaux rituels observés au cours de la vie d'un homme, depuis sa naissance jusqu'à sa mort: purification, circoncision, mar iage, funérailles. On y trouve notamment mention de la coutume, qui est d'ailleurs toujours en usage, de ne pas poser "les enfants de qualité" à terre avant qu'ils aient atteint huit ou neuf mois; "c'est pourquoi leurs nourrices ou leur gouvernantes les portent toujours entre leur bras ou sur leur épaules". Très précise aussi la description de la cérémonie de la circoncision, au cours de laquelle on fait asseoir le jeune garçon sur une tête de buffle fraîch ement tranchée: "L'enfant s'assied dessus entre ses deux cornes et s'y tient modestement pendant l'exhortation que le grand Agguy (Gervaise tra duit un peu plus haut par "grand prêtre") luy fait. L'exhortation finie, il teint son front du sang qui coule de la tête sur laquelle il est assis et luy prenant la main droite, il fait pour luy la profession de foy ... ". On ne saurait H.T. Damsté, dans un article intitulé Een Franschman over Celebes in 1688, "Ecrit d'un Français sur Celebes en 1688", in Koloniaal Tijdscbrift, 7, 1918, pp. 1383- 1398.
  • 12. 150 trop insister sur la richesse de ce texte, dont la réédition s'imposerait en priorité (16). A noter que dans plusieurs des Voyages à Siam, rédigés par des mission naires ou des diplomates français entre 1684 et 1688 (notamment dans celui de l'Abbé de Choisy et dans celui du Père Tachard), on trouve généralement plusieurs pages consacrées à l'escale à Batavia (l7). XVIlIème s. — Relative rareté des contacts Au cours des premières décennies du XVIlIème s., les intérêts commerc iauxfr ançais se trouvent concentrés surtout dans l'Inde propre (Pondichéry) et l'attention des autorités et des marchands ne se porte qu'accidentellement sur l'Archipel. François Martin envisage bien en 1700 d'enlever Batavia à la Hollande ("L'on serait les maistres après, de ce qu'elle a de meilleur dans les Indes . . . "), mais à aucun moment il ne lui est possible d'exécuter ce projet. La communauté française, toute huguenote, de Batavia ne compte en 1721 que trente-deux personnes Ç*) et c'est surtout un hasard si Abraham 16) Une réédition de la traduction anglaise (Nicholas Gervaise, An historical description opfr etphae raktiniogndo"m doafn sM laec aSsuabrj eicnt thCea tEalaosgtu eIn d1i9e6s 9L/o7n0 dodne , G17r0eg1g) eIsntt aenrnnoatnicoénea lc Poumbmliseh "eirns Limited (p. 12). Ajoutons que le petit traité de Gervaise présente encore un autre intérêt; dans la dédicace adressée au R.P. de La Chaise, il est fait mention de deux jeunes princes makasarais envoyés en France pour y faire leurs études sous la surveillance des Jésuites. Exilé de Makasar, leur père se serait réfugié d'abord à Java, puis au Siam, et c'est à Ayuthia qu'il aurait trouvé la mort au coûts d'une ré volte; ses deux, fils devenus orphelins auraient été recueillis par les missionnaires français, convertis au christianisme et expédiés à Paris. On a d'autre part des lettres, en français, adressées par le célèbre aventurier Constantin Phaulkon, favori du roi de Siam, Narai, à des étudiants faisant leurs études en France. Il est à penser qu'une étude plus poussée permettra de retrouver la trace du passage de ces deux jeunes princes à Paris. 17) A signaler aussi le séjour à Batavia en 1696-7, de François Léguât, huguenot ré fRugié odrigauox" dPea y1s6-9B1a sà e1n6 9136, 8t9r,a npsafrétri ép oà uli'î lle'O Mcéaaunr icine dpieunis, nà auJfarvaag; é soenn "llé'ciistl,e pDuiebglioé à Amsterdam en 1708, s'intitule : Voyage et avantures de François Léguât et de ses com pagnons en deux isles désertes des Indes Orientales, avec h Relation des choses les plus r emarquables qu'ils ont observées dans Visle Maurice, à Batavia, au Cap de Bonne Espérance, le tout enrichi de cartes et de figures (2 tomes) ; le passage concernant Batavia est au tome II, pp. 79 à 137, et comporte une bonne description de la société hollandaise et chinoise et pour finir des Javanais, "qui pourroient se plaindre de n'avoir pas été nommez les premiers si l'usage ne vouloit pas que les riches allassent devant . . . .". 18) Cf. Nederlandsch-indisch Plakaatboek, éd. J.A. van der Chijs tome IV, 1887; en date du 2 septembie 1721 (p. 153): "Aanstelïing van een voorlezer bij de Fransche ge-meente te Batavia; die gemeente was weder tot 32 koppen engegroeid". (Nomin ation d'un "lecteur" dans la communauté française; cette communauté s'est de nouveau augmentée et se monte à 32 personnes).
  • 13. 151 Patras, natif de Grenoble mais émigré aux Pays-Bas lors de la Révocation de l'Edit de Nantes, se trouve occuper de 1735 à 1737 le poste suprême de Gouverneur général des Indes. De Voyage, nous ne voyons guère à signaler alors, que celui du Portugais d'origine française, Innigo de Biervillas (son père se nommait Bierville !), paru à Paris en 1736 (19). La Guerre de sept ans est à l'origine d'un exploit isolé et sans lendemain : l'apparition en 1760, au large de Sumatra de la frégate de la Compagnie des Indes, la Boullogne; l'équipage, commandé par le Comte d'Estaing, se rend maître des comptoirs anglais de la côte occidentale (dont Fort Marlborough, c'est-à-dire Bengkulu); mais les "Forts et Etablissements français à la Côte de Sumatra" seront bientôt rétrocédés à la Compagnie de Batavia, faute de garnisons pour pouvoir en assurer la défense. Séjour bref également et sans conséquence que celui de la flotte du Bailli de Suffren dans la rade d'Atjéh en 1782 (2°). La deuxième moitié du XVIIIème s. voit la réalisation de plusieurs vo yages de circumnavigation entrepris dans un but surtout scientifique. Louis Antoine de Bougainville, envoyé par Choiseul en 1766, atteint les Moluques par le Grand Océan, longe la côte nord-ouest de la Nouvelle Guinée, fait voile vers Ceram et relâche à Batavia en 1768 (21); d'Entrecasteaux, parti en 1791 à la recherche de Lapérouse, passe par les Moluques, mais meurt au large de Java; son second, d'Auribeau, vient mouiller à Surabaja (19 oc tobre 1793) («). Pierre Poivre et Pierre Sonnerat Deux voyageurs, lyonnais l'un et l'autre, méritent plus spécialement de retenir ici notre attention. L'un d'eux est Pierre Poivre (1719-1786), resté cé lèbre pour avoir introduit aux Mascareignes la culture de la muscade et de la girofle, jusqu'alors "monopolisée" par la Compagnie hollandaise. Sa bio- 19) Voyage d' Innigo de Biervillas, portugais, à la côte de Malabar, Goa, Batavia et autres lieux des Indes Orientales, Paris, 1736. 20) Cf. Morls, Journal de bord du Bailli de Suffren dans l'Inde 1781-1784, Paris, 1888. al) Voir son célèbre Voyage autour du monde par la frégate du Roi "la Boudeuse" et la flûte "l'Etoile", 1766-1769, 2 vol., 1771-1772. Sï) C'est pour y apprendre que Louis XVI a été exécuté ; d'Auribeau fait hisser le drapeau blanc en dépit de l'opposition des officiers républicains ; sur ces événe ments et les troubles qui s'ensuivirent, voir La Billardière, Relation du voyage à la recherche de La Pirouse fait par ordre de Assemblée constituante, Paris, an VII,
  • 14. 152 graphie comporte encore plusieurs incertitudes (23). En 1741, il était à Macao et en 1745 se rembarquait pour l'Inde. Parvenu dans le détroit de Malaka, le vaisseau qui le portait fut attaqué par une escadre anglaise et il perdit l'avant-bras droit au cours du combat qui suivit. Fait prisonnier par les Anglais, Poivre fut transféré à Batavia où on le soigna; trois mois plus tard, il pouvait continuer son voyage vers Pondichery. Entré par la suite au service de la Compagnie française des Indes, il fit ouvrir un comptoir à Fai-fo (près de l'actuelle ville de Hué au Vietnam). Devenu Gouverneur de Bourbon en 1767, il y introduisit les précieuses épices. Rentré dans la vie privée en 1773, il s'installa à la Fréta, une propriété qu'il avait près de Lyon, et passa le reste de sa vie à dicter ses mémoires. De ses écrits, seule une petite partie parut de son vivant sous le titre de Voyages d'un philosophe (Yverdun, 1768, in 12). On y trouve des réflexions très générales sur les sociétés asiatiques et notamment ce passage curieux sur le "système féodal des malais" (rééd. 1797, pp. 118-119): "Les malais sont gouvernés par les lois féodales; par ces lois bizarres imaginées pour défendre contre le pouvoir d'un seul la liberté de quelques uns en livrant la multitude à l'esclavage Une petite partie de la nation vit indépendante sous le titre d'orang-caïo (= orang kaja) ou noble et vend ses services à celui qui les paye le mieux le corps de la nation est composé de serfs et vit dans l'esclavage". Plus utiles pour notre connaissance de l'Insulinde au XVIIIème s., les pages qu'il rédige après son séjour forcé à Batavia (24). On y trouve d'inté ressants développements sur l'état de la Compagnie (plutôt mauvais, à la suite des "troubles" de 1740!) et sur la personne de son Gouverneur général, "M. le Baron Dimenoff", c'est-à-dire le Baron van Imhoff, dont il nous trace ce portrait nuancé: "II feroit en sa personne le modèle d'un parfait gouverne menst'il sçavoit se faire aimer comme il a sçut se faire craindre soit des hol-landois qui dépendent de lui, soit des nations voisines de Batavia". Il nous parle de la tentative avortée du Gouverneur pour entreprendre un commerce direct transpacifique avec les colonies espagnoles d'Amérique du sud, ainsi iZ) Une première biographie de Pierre Poivre a été rédigée par Dupont de Nemours et éditée en tête des "Oeuvres complettes", parues à Paris, chez Fuchs, en 1797. Ce nom d' "Oeuvres complettes" ne doit pas faire illusion; il subsiste en fait un ttès grand nombre d'inédits. 2*) Ce texte resté longtemps inédit, a été récemment publié par Louis Mallei et: Un manuscrit inédit de Pierre Poivre; les mémoires d""un voyageur, texte reconstitué et annoté, Publ. de l'EFEO, vol. LXV, Paris, 1968. Sur Poivre, on peut également consulter: Madeleine Ly-Tio-Fane, Pierre Poivre et l'expansion française dans r Indo-Pacifique, in BF.FEO, tome LUI, 2, Paris 1967, pp. 453-511, avec XIV planches.
  • 15. 153 que des "bénéfices excessifs" procurés à la Compagnie par le commerce du Japon : "Ce qu'il y a de surprenant c'est que les autres Européens abandonnent ainsi un commerce aussi lucratif; on devroit tenter d'en partager les profits. . . ". Ailleurs, il signale la triste condition de quelques malheureux Français dé serteurs qui avaient pris du service à Java : "Au lieu des thresors qu'ils espe-roient, ils n'ont trouvé dans le service de ces Républicains que la plus grande misère et des coups de bâtons...". Enfin, toujours très intéressé par les règnes animal et végétal, Poivre donne une description de plusieurs plantes et animaux d'Insulinde; il note en particulier que "les raisins y sont assez bons" et qu'ils "ont formé dans tous les environs de Batavia des jardins magnifiques dont le coup d'oeil surprend agréablement l'étranger". Pierre Sonnerat (1745-1814) était également lyonnais et cousin de Poivre qui le fit venir à Bouibon. A partir de 1768, il explora plusieurs régions d'Extrême-orient et y recueillit de précieuses collections dont il enrichit le cabi net d'histoire naturelle de Paris. Il ne revint en France qu'en 1805. Il nous a laissé un Voyage à la Nouvelle Guinée, concernant en fait surtout les Moluques du Nord-est (1776, in 4°, 120 fig.), et un Voyage aux Indes orientales et à la Chine de 1774 à 1781 (1782, 2 vol. in 4° et 1806, 4 vol. in 8° avec un atlas). Un prince de Timor à Lorient Citons encore ici un texte curieux, attestant le passage en France d'un jeune noble originaire de l'île de Timor. Il s'agit d'un pamphlet de 31 pages, adressé "au Roy" en 1768 et rédigé par un avocat de Paris, Me Lethinois; le titre en est: Requête au Roy pour Balthazar Pascal Celse , fils aîné du Roy et héritier présomptif des royaumes de Timor et de Solor dans les Moluques. Converti au catholicisme par un Dominicain portugais, le malheureux Bal thazar a été emmené à Macao et réduit en esclavage; après une longue odyss ée, il vient d'échouer à Lorient et demande par l'intermédiaire de l'avocat que le roi de France lui donne les moyens de s'en retourner dans son pays et de récupérer son royaume: "SIRE, le prince de Timor met dans la grandeur & dans la bienveillance de VOTRE MAJESTE tout l'espoii qui lui reste après tant d'infortunes; il ose croire, il ose s'assurer que son attente ne sera point trompée, il se flatte que sa reconnaissance suivra de près sa prière.. .". Il ne semble pas que les services de M. de Choiseul aient donné suite. L'Insulinde "philosophique" A côté de ces voyages individuels, relativement peu nombreux, il con vient de signaler la parution d'un certain nombre de publications relatives à l'Insulinde, traductions pour la plupart. En France, comme ailleurs en Europe,
  • 16. 154 les "lumières" se passionnaient pour "les Indes" et cet intérêt était à l'origine de plusieurs ouvrages d'envergure. Dès le début du siècle, René Auguste de Renneville, un "réformé" réfugié en Hollande puis en Angleterre, publiait un Recueil des voyages qui ont servi à rétablissement et aux progrés de la Comp agnie des Indes Orientales (Amsterdam, 1702-1705, 5 vol. in 12). En 1706, paiaissait à Amsterdam une traduction française du traité d'Argensola inti tulé: Histoire de la conquête des Moluques par les Espagnols, par les Portugais et par les Hollandais, source importante pour l'histoire des Moluques aux XVIème et XVIIème s. Signalons aussi que le Grand Dictionnaire géographi quehis,to rique et critique de Bruzen de la Martinière comporte un excellent article "Batavia" (éd. de 1748, 1. 1, p. 106), dont la matière a été puisée dans des sources hollandaises. En 1763, J.P.J. Dubois, secrétaire de l'ambassadeur de Pologne en Hol lande, publiait une importante compilation destinée au public francophone : Vies des gouverneurs généraux des Indes orientales avec Vabrégé de l'histoire des établissements hollandais (La Haye, in 4°); la matière y est présentée chro nologiquement, selon les "règnes" successifs; on y trouve plusieurs cartes et plans et, à la fin, une traduction des Réflexions du Gouverneur van Imhoff. Citons encore les travaux cartographiques de Danville (sa carte de l'Archipel de 1752 aura les éloges de Bougainville) et surtout la célèbre Histoire philo sophique et politique de l'Abbé de Raynal (1 ère éd. La Haye, 1774), dont le livre second (tome, I, p. 141-258) consacré aux "Etablissemens, guerres, poli tique et commerce des Hollandais dans les Indes Orientales", fit sans doute plus que tout autre ouvrage pour informer le grand public sur ces questions. Cet intérêt se maintient jusqu'à l'extrême fin du siècle. En 1796 ("An IV"), parait à Paris une traduction des Voyages du botaniste suédois C.P. Thunberg, "au Japon, par le Cap et les Isles de la Sonde", avec des comment airedsu s aux citoyens L. Langlés et J.B. Lamarck. L'ouvrage comporte un gros chapitre sur Java que Langlés avait enrichi de compléments, empruntés aux premières publications de la "Société Batave" (fondée en 1778) ainsi que de lexiques malais et javanais. En 1798 ("An 6 ème"), H.J. Jansen publiait, à Paris également, la traduction qu'il avait faite du Voyage de J.S. Stavori-nus, chef d'escadre de la République batave, "à Batavia, à Bantam et au Be ngale, en 1768, 69, 70 et 71"; dans sa préface, il envisageait déjà le moment où, la paix étant revenue en Europe, il serait possible de s'intéresser à nouveau à ces lointaines contrées: "A cette heureuse époque, les vues se porteront sans doute vers les grandes spéculations commerciales dans les deux Indes, les seules qui soient propres à ramener promptement l'abondance et la pros-
  • 17. 155 périté " Formule prophétique dont la vérité se vérifiera tout au long du XIXème s. Un "Jacobin" Gouverneur de Java Le rêve, successivement caressé par Caron, par Martin, puis par Poivre, de voir la France s'installer de façon durable en lnsulinde, faillit devenir réal ité lorsque les guerres "de la Révolution et de l'Empire" eurent remis en question, en Asie comme en Europe, l'équilibre incertain qui s'y était jusqu' alors maintenu. Ce n'est pas le lieu de reprendre ici dans le détail l'histoire des quelque quinze années qui vont de l'expiration du privilège de la Compag niedes Indes Orientales (1799) à la rétrocession de la colonie à la couronne des Pays-Bas (traité de Vienne, 1815), ni celle des "activités françaises" dans l'Archipel à cette époque. On trouvera dans la monographie de O. Collet, Ulle de Java sous la domination française (Bruxelles, 1910, 558 p.), grande abondance de détails sur la personne et le "règne" du célèbre Daendels, né en Gueldre mais acquis aux "idées françaises" et nommé Gouverneur général par Louis Bonaparte, lorsque celui-ci eut été promu Roi de Hollande. Parvenu à Java au début de 1808, il y prit toute une série de mesures pour défendre l'île contre le blocus anglais et n'hésita pas à faire hisser le drapeau français lorsque la nouvelle lui fut parvenue du rattachement des Pays-Bas à l'Empire (février 1811) (»). Durant les quelques années que dura cet "intermède", un grand nombre de Français fut amené à passer par Java, ingénieurs, officiers, marins ou sol dats, venus pour défendre l'île contre les Anglais. L'un d'entre eux, le capi taine du génie Charles François Tombe nous a laissé un intéressant Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802-1806 (Paris, Bertrand, 1811, 2 vol. avec atlas); naufragé en 1805 dans le détroit de Bali, il nous décrit notam ment le pénible voyage qu'il dut accomplir par terre "de Bagnouwangui à Gressec", à un moment où la fameuse route de Daendels n'était pas encore construite. Le tome II comporte (pp. 241 à 348) un "Abrégé des principes de la langue malaise", suivi d'un petit vocabulaire. A signaler encore le Journal des opérations militaires qui ont eu lieu à Java jusqu'au jour où la colonie capi tula, rédigé par le brigadier général Jauffret (26), ainsi que le Précis de la cam pagne de Java en 1811 , rédigé en français par Bernard, duc de Saxe Weimar Einsenbach (La Haye, 1834). 28) Signalons ici la récente thèse de J. Eymeret, Herman Willem Daendels général napoléonien gouverneur à Java, Paris, 1968, exempl. dactyl. *•) Publié dans la Repue militaire indonéerlandaise, 1879, p. 502.
  • 18. 156 1815-1869. Multiplication des contacts Lorsque le Congrès de Vienne eut rétabli l'ordre néerlandais dans les Indes, la situation se trouva sensiblement changée. Devenue colonie de la couronne, l'Insulinde devint l'objet d'investigations de plus en plus pouss ées; d'autre part, le rattachement des Pays-Bas à la Belgique francophone eut pour effet immédiat de multiplier pendant quinze ans au moins (de 1815 à 1830) les publications en langue française sur l'Archipel. Nombreuses les traductions qui paraissent alors, afin d'éveiller en pays wallon un certain in térêt pour ces îles lointaines, nombreux aussi les textes originaux directement écrits en français, tel le célèbre Coup d'oeil sur l'île de Java, publié en 1830 par le Comte de Hogendorp, qui s'explique ainsi dans sa préface: "Mes con citoyens, dans les provinces septentrionales, du moins ceux auxquels cet ou vrage peut offrir quelque intérêt, possèdent la langue française, tandis que dans quelques unes de nos provinces méridionales, il en est auxquels la langue néerlandaise n'est point familière et cependant ce sont ceux-ci qui, ayant eu jusqu'à présent des relations moins anciennes et moins intimes avec nos colonies orientales, sont par là moins à même d'apprécier ces belles posses sionsà leur juste valeur". Cette tendance se maintiendra après la partition de 1830, et c'est encore en français que le grand naturaliste CJ. Temminck (1770-1858) écrira son Coup d'oeil général sur les possessions néerlandaises dans l'Inde Archipélagique (Leyde, 1846-1849, 3 vol.), afin, nous dit-il, "d'être mieux compris du monde savant". En français aussi, que le Baron P. Melvill de Carnbée, excellent géographe et auteur de cartes marines, éditera de 1847 à 1849, à La Haye, son Moniteur des Indes Orientales et Occidentales, qui fourmille de rense ignements tant ethnographiques qu'économiques. Non seulement les Belges, mais aussi les Français vont donc être susceptibles d'en savoir davantage sur l'Insulinde. La curiosité pour les autres mondes est d'ailleurs en train de faire des progrès à Paris. La Société de Géographie y est fondée en 1821 et la Société Asiatique en 1822; plusieurs voyageurs, comme Freycinet et Domeny de Rien-zi, qui sont passés par l'Archipel au cours de leurs pérégrinations, y font des communications. Au cours d'un voyage en Angleterre, l'orientaliste Edouard Dulaurier s'intéresse aux manuscrits malais et javanais conservés à Londres; il ouvrira en 1841 un cours de malais et de javanais à l'Ecole des Langues Orientales. Nous savons d'autre part que le grand peintre javanais Radén Saleh se rendit en France, au cours du long séjour d'étude qu'il fit en Hollan deil; obtint un certain succès dans les salons parisiens en 1848, puis suivi
  • 19. 157 Horace Vernet en Algérie (27). Il n'est pas jusqu'à Victor Hugo qui passe pour avoir alors traduit quelques pantun (28). Mais un fait surtout va multiplier pendant plusieurs décennies les dé parts de Français pour l'Insulinde. La guerre qui pendant vingt cinq années a fait rage en Europe, cesse, juste au moment ou le gouvernement de Batavia *7j Sur Radén Saleh, voit notamment la petite étude de Dr. Soekanto, Dua Raden Sa/eh, dua nasionalis dalam àbad ke-19, Djakarta, 1951. Dans son Voyage autour du monde, dont nous reparlerons un peu plus loin le Comte de Beauvoir raconte ainsi l'entrevue qu'il eut à Batavia, le 13 décembre 1866, avec le grand peintre, revenu à Java: "Nos petits poneys galopeurs nous firent de nouveau parcourir les longues avenues qui mènent aux glacis de la citadelle, et nous descendîmes au chalet histo riéet enluminé du peintre Raden-Saleh, qui a passé nombre d'années dans les cours de l'Europe, courant d'aventure en aventure. N'est-ce point pour lui qu'une miss anglaise s'est empoisonnée? N'est-ce point lui qui a servi de type à Eugène Sue dans les Mystères de Paris ? Il est l'original architecte de sa demeute qu'il a peinte en rose tendre; elle est ombragée de tamariniers et de flamboyants et donne sur les enclos du jardin botanique où gambadent les panthères noires et les tigres royaux : ce sont les modèles qui lui servent pour ses tableaux, dans lesquels il excelle à rendre les brillants effets de la nature des tropiques .11 parle un peu français et très bien all emand: "Ah 1 nous disait-il dans cette dernière langue, je ne rêve plus qu"à l'Euro pec;ar là on est si ébloui qu'on n'a pas temps de penser à la mort ! "Singulier con traste que celui d'entendre cet homme de couleur, en veste verte et en tuban rouge, armé d'un kriss et d'une palette, parler dans la langue de Goethe de l'art français, des beautés anglaises, des souvenirs curieux de sa vie européenne " 2a) Dans un ouvrage dont nous reparlerons p. 159, Quinze ans de iéjour à Java (Tours, 1863), on trouve, aux pp. 144-5, le passage que voici: "Voici la traduction presque littérale que M. Victor Hugo a faite d'un pantou (sic) malais fort connu, et auquel on ne saurait refuser de la grâce et un certain mouvement poétique: Les papillons voltigent vers la mer, Qui du corail baigne la longue chaîne. Depuis longtemps mon coeur sent de la peine, Depuis longtemps j'ai le coeur bien amer Les papillons voltigent vers la mer, î Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; Depuis longtemps, belle parmi les belles, Plus d'un jeune homme à mon regard fut cher. Et vers Bandan un vautour tend ses ailes; Ses plumes, là, tombent sur Patani Plus d'un jeune homme à mon coeur fut uni. Mais tout le cède à mes amours nouvelles. ..." Dans le recueil de Pantun Melaju, publié par Balai Pustaka, on trouve, p. 104, no. 552, le texte malais d'un pantun dont une variante aurait pu servir de modèle au troisième des quatrains reproduits ci-dessus: Bu rung nuri terbang ke Padang bulunja djatuh ke Patani. Banjak muda sudah kupandang, tiada sama mudaku ini. Après V. Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire, R. Ghil s'essayèrent tour à tour à composer des "pantoun" (ou des "pantou m" 1).
  • 20. 158 éprouve le besoin d'augmenter les effectifs de son Armée coloniale. De plus les changements politiques se succèdent en France (1815, 1830, 1848), con t"racignhantô meursà" lg'eaxginl enbto nle sn oPmaybsr-eB adse etf asme illaleisss ecnotm spérdoumireis, eslo; rbsqeuau'iclso uspon td ea scseesz jeunes, par les promesses des recruteurs : "Là, continua mon interlocuteur — c'est un exilé français qui nous rapporte la conversation — s'ouvre pour vous une carrière brillante; vous pouvez comme militaire, y obtenir un avancement rapide, et en même temps prendre part à des spéculations commerciales qui vous conduiront à la fortune; car dans nos colonies, l'état militaire n'est pas incompatible avec ces sortes d'opérations " L'armée des Indes néerlandaises était au fond une sorte de "légion étran gère" et nombreux les Européens de tous grades qui cherchèrent à s'y engag er, tout au long du XIXème s. On sait qu'en 1876, Arthur Rimbaud y prit du service et fut envoyé à Java; il déserta moins d'un mois après son arrivée à Batavia (29) et parvint à regagner l'Europe dans des conditions encore assez mal connues; il ne nous a laissé aucun récit de cette aventure, mais certains autres engagés n'ont pas observé le même silence (30). Un légitimiste dans l'Armée des Indes Un certain J.J.E. Roy a recueilli et publié les souvenirs de l'un d'entre eux, "ancien officier de la garde royale de Charles X", chassé par la Révolu- 29; Sur cette "aventure" de l'auteur du Bateau ivre, voir L.C. Damais, A. Rimbaud à Java in Bul. Soc. Et. Indoch., XLII, no. 4, 1967, pp. 339-349. 8o) Nous sommes loins de connaître les noms et les aventures de tous les officiers français engagés dans l'armée des Indes et il n'est pas impossible que certains de leurs récits dorment encore inédits dans quelque bibliothèque privée. Certains d'ailleurs, plus aventureux encore, n'avaient pas hésité à prendre du service auprès des souverains "malais" indépendants; à preuve ce colonel Delorme, qui avait construit les fortifications de la ville de Boné, à Celebes sud, et dont le Général Ba ron Lahure (aide de camp du roi Leopold et belge de naissance) nous conte bri èvement l'histoire dans son récit intitulé Utle de Celebes, (Bruxelles, Rotterdam, 1880 p. 110): "Depuis la restitution des colonies à la Hollande (1815), cette souveraine (la reine de Boné) n'avait pas cessé un seul instant de se tenir en communication avec les émissaires britanniques. Elle avait reçu des armes, de l'artillerie et des munitions nombreuses par cette voie; un colonel français exilé, M. Delorme, avait même fortifié à l'européenne la ville de Boni, ainsi que son port de Badjoua (Badjo-é), avec une perfection si grande que les Boughinais considéraient leurs positions militaires comme capables de défier indéfiniment les moyen? d'attaque et les ressources dont peut disposer un corps expéditionnaire dans ces régions lointaines . . Une fois ces travaux importants terminés, elle (la reine) avait trouvé tout naturel de se débarrasser de l'infortuné colonel par des moyens sommaires; elle donna une fête nautique en son honneur; la pirogue qu'il montait était conduite par quatre habiles nageurs qui coulèrent l'embarcation et se sauvèrent à la côte tandis que Delorme perdait la vie dans les flots .. .." (Nous devons cette intéressante référence à Christian Pelras).
  • 21. 159 tion de 1830 et resté anonyme; le texte s'intitule Quinze ans de séjour à Java et dans les principales îles de la Sonde (Tours, Marne, 1863). Engagé comme ca pitaine, le jeune homme arrive à Batavia, avec son régiment. La ville n'a guère que 60 000 habitants et se remet comme elle peut de la chute démographique provoquée par la terrible épidémie de choléra de 1822. Après quelques mois passés dans la capitale des Indes, dont il nous décrit avec admiration les quartiers alors nouveaux de Weltevreden et de Meester Cornelis, il est envoyé en garnison à Java centrale, où l'"ordre" vient d'être rétabli. A Surakarta, il est l'hôte d'un certain Tsmaêl Kayam, "lourah de la garde du sousounan", qui le reçoit "avec une hospitalité des plus affectueuses", tout heureux de voir un Français, c'est-à-dire un compatriote du "grand Na poléon". "Est-ce que vous avez été un guerrier de ce grand conquérant ?" lui demande avec intérêt le lurah. "Non, lui répond notre légitimiste, j'étais trop jeune alors". Et d'ajouter à notre seule intention: "Je ne jugeai pas à propos de lui expliquer les autres motifs qui m'auraient empêché, même quand j'aurais eu l'âge, de servir sous Napoléon. .." Il utilise les loisirs assez nombreux que lui laisse son métier militaire, pour se mettre à l'étude du malais et du javanais et au bout de deux à trois ans de séjour, est à même "non seulement de converser avec les indigènes de Java et les autres Malais, mais de lire et de comprendre les ouvrages écrits en djawi et en kawi". Dans son chapitre VII, il nous fait un exposé assez exact sur les littératures malaise et javanaise, en y joignant un résumé du sjair Bi-dasari. Il visite aussi les principaux sites archéologiques de Java, y compris le fameux temple du Sukuh (sur le flanc du Mont Lawu) qu'il nous décrit en ces termes: "Une des constructions principales consiste en une pyramide tronquée qui s'élève sur le sommet de trois terrasses superposées les unes au dessus des autres. Près de la pyramide sont des sculptures, deux obélisques et des tougou ou bornes et des piliers en partie renversés .... On distingue parmi ces ruines une statue humaine d'une taille gigantesque ayant des bras ailés comme les chauves souris (très vraisemblablement une allusion à une des effigies de Garuda) Toutes ces sculptures qui semblent appartenir à une autre époque que celle de Boro-Bodo (Borobudur), de Malang ou de Brambanan (Prambanan), sont exécutées avec moins d'art, moins travaillées . . Par un reste de leurs anciennes superstitions quand les naturels du pays veu lent se préserver de quelque malheur, ils ont coutume de faire du feu et de brûler des parfums dans ce temple". On pourrait citer parallèlement de bon nes descriptions concernant les "compositions dramatiques des Javans", leurs danses masquées et leurs "scènes ombrées". Après ce séjour à Java central, l'officier revient à Batavia et part avec
  • 22. 160 son régiment "contre les pirates de la côte de Billiton". Après quoi il sillonne l'Archipel en tous sens, se rendant à Palembang, à "Benkoulen", à "Sambass" (et dans la petite colonie chinoise de "Matrado"), à Pontianak, puis à Celebes, à Amboine et pour finir, à Bali, lorsque, en 1844, les Hollandais interviennent sur la côte nord de l'île, contre le "radjah de Bliling". Le Récit du Comte de Beauvoir Dans son Voyage autour du monde, qui connut à l'époque un singulier succès (31), le Comte de Beauvoir (dont Mme Simone de Beauvoir nous dit dans La Longue Marche qu'il était son grand-oncle) ne consacre pas moins de 213 pages à Java. Il ne resta guère plus d'un mois dans l'île (du 10 novemb reau 15 décembre 1866) mais eut néanmoins le temps de visiter les princi pautés du centre. Les sept chapitres concernant cette partie de son itinéraire se trouvent en tête du tome sur Java, Siam et Canton et s'intitulent comme suit: I. — Une semaine à Batavia; IL — Chasse aux crocodiles et aux rh inocéros; IL — Volcans et marais; IV. — Un Sultan; V. — Djokjokarta et Boroboudor; VI. — Le système colonial; VIL — Souvenirs et récits. Son style désinvolte est souvent méprisant à l'endroit de l'"indigène", voire même irrespectueux à l'égard du colon hollandais. Bien que trahissant un goût certain pour l'exotisme, le récit ne manque pourtant jamais d'esprit, ni de bon sens. Certains des "thèmes", qui seront repris comme des leitmotiv par les voyageurs ultérieurs, figurent déjà ici. Beauvoir s'étonne par exemple longuement devant le "rite" du rijstafel auquel il est convié le premier soir dans la salle à manger de l'Hôtel "der Nederlanden" : "Quarante huit espèces différentes de piments, une montagne de riz qui cache un microscopique pilon de poulet-pigeon ....". Même sur-pi ise devant l'usage du guling: "un long boudin de deux mètres, fait en nattes, gros comme un traversin ordinaire on a eu la complaisance de m'expli-quer qu'aucun habitant de Java ne dormait sans ce produit végétal qu'il faut garder entre les jambes pour rafraîchir tout le corps ".Sa visite au Musée de la Société Batave (qui n'était pas encore aménagé dans le bâtiment où se trouve aujourd'hui le Museum) ne témoigne pas non plus d'un esprit très objectif: "Le musée est si curieux que le voyageur qui n'est point versé dans le sanskrit n'y comprend rien, mais c'est magnifique! Divinités javanaises, sundanaises, baliennes, hindoues, à gros ventre, yeux en coulisse, bosses, double face, demi-douzaine de bras et de pieds en l'air, poulets à cinq pattes 8l) Nous avons consulté l'édition de 1878, qui est la douzième (Paris, chez Pion).
  • 23. "La rade de Bantan" — Voyage du P. Tachard, 1689 (Cf. p. 150)
  • 24. Voyage du Comte de Beauvoir, 1866 (Cf. p. 161) L'Hôtel français de Bogor. Voyage de X. Brau de Saint-Pol Lias, 1880 (Cf. p. 164) &» fils aîné dtt stilfan <îe SonmknrUi,
  • 25. It- Zf>~ A6o Les établissements "Cger frères" (près du carrefour Harmoni), illustr. du Tour du monde, 1864. (Cf.
  • 26. Hadji Andi' Bau' Muddaria et sa mère Hadji Andi' Ninnong (les deux premières à gauche au deuxième rang; avec leur suite. Selon l'usage ancien, tout and1 sengngeng devait se faire accompagner de suivants portant son aiguière, son crachoir, ses services à bétel, ainsi que, pour les hommes ou pour les femmes revêtues d'un pouvoir politique, par un porteur de lance.
  • 27. 161 en argent, lampes anciennes et tams-tams sur lesquels nous produisons des bruits étourdissants (32), que sais-je ? on en rêverait !" Tout ceci annonce bien la condescendance des touristes futurs Mais il y a pourtant intérêt à suivre Beauvoir au coeur des "Preanger" (-— Priangan) où il se prépare à pénétrer; sa plume va nous faire découvrir une Java assez différente de celle que nous pouvons connaître. Partis en chaise de poste, attelée de quatre poneys, les voyageurs arrivent à Buitenzorg où on leur montre bien sûr le jardin botanique mais aussi le "bois sacré de Battou-toulis" (33). Le lendemain l'équipage arrive "au pied de la grande montagne de Megamendung" et les poneys essoufflés ne peuvent continuer la route. "Dix buffles viennent alors les remplacer et ce changement à vue fait de notre rapide carrosse de tout à l'heure, un coche lent et attardé: nous gravissons sous un soleil de plomb les quatre mille sept cent quatre vingt pieds du Megamend ungen, n ous enfonçant dans la forêt vierge " Beauvoir nous décrit en suite son séjour à Bandung, la chasse au rhinocéros qu'organise spécialement le Régent (car on chasse encore le monstre à six lieues de la ville), l'ascension du "Tangkoubanprahou", qui s'effectue à dos de poney, puis la réception à la cour de Surakarta, puis à celle de Djogdjakarta (spectacles, visite de la ménagerie), et pour finir une séance de "kedebous" à laquelle il assiste à Bata via (transe au cours de laquelle les fervents se piquent avec des pointes de fer). Mais à côté de cette "Java des mille et une nuits" qu'il nous décrit com-plaisamment avec l'intention manifeste de nous étonner, Beauvoir sait aussi saisir les problèmes de fond. Il nous parle de la première ligne de chemin de fer que l'on est en train de construire entre Semarang et Surakarta et qui supprimera le portage à dos d'homme sur ce tronçon. Il consacre tout un cha pitre à analyser le système colonial et plus spécialement le fameux "système des cultures" que son libéralisme réprouve: "Ce que je souhaiterais pour Java, c'est que l'Etat cessât d'y être cultivateur et marchand". Il définit enfin avec perspicacité les motivations de la petite société hollandaise des Indes: "Comm ent, après les délices si bien méritées dans une pareille oasis, revenir habiter une rue boueuse et brumeuse de Hollande et y vivre sans vingt chevaux et sans quatre-vingts serviteurs ? La Hollande n'est plus qu'un drapeau aimé 82) Probablement quelques uns des fameux tambours de bronze d'époque proio-historique qui ornent aujourd'hui la salle de préhistoire! 83) II s'agit bien tûr du site de Batu tulis cù se trouve encore aujourd'hui une des plus anciennes inscriptions en soundanais. Beauvoir ajoute les détails que voici: ,,Une déesse est censée avoir tracé des caractères hiéroglyphiques sur une pierre plate placée verticalement ; l'empreinte de ses pieds est restée gravée dans le roc puis la terre s'entr'ouvrant (la crevasse existe) l'aurait avalée comme une pilule . ..",
  • 28. 162 passionnément de ces coeurs patriotes; il leur faut de temps à autre l'aller revoir mais l'espace, la richesse et le soleil, le commandement y font défaut pour les heureux de Java que le monopole a faits ici pachas et rois et qui ne sont point tentés de redevenir chez eux contribuables, administrés et locataires " (34). 1869-1900. Hommes d'affaires et "experts" Le récit de Beauvoir, ses réflexions sur le "système colonial" surtout, laisse entrevoir l'avènement d'un monde nouveau. L'ouverture du canal de Suez, en 1869, entraîne la mise en chantier d'un nouveau port, à Tan-djung Priok (1877), "rapproche" les Indes de l'Europe et tourne une page dans l'histoire de l'Archipel. On abandonne peu à peu le système des cultures et le principe du monopole d'état le cède enfin à l'investissement privé; on pense non seulement à ouvrir de nouvelles plantations, sur la Oostkust de Sumatra par exemple, mais encore à exploiter les richesses du sous-sol. A cette mise en valeur ne participent plus seulement des Hollandais, mais aussi d'autres Européens et même des Américains (35). Le nombre des Français à se rendre dans l'Archipel augmente sens iblement, beaucoup écrivent à leur retour l'inévitable "récit" qui souvent retrace les mêmes itinéraires et dont les gravures, "d'après les photographies prises par l'auteur", reproduisent déjà les mêmes paysages et les mêmes scè nes "typiques" Certains, comme le Vicomte de Lenthiolle, le Comte de Pina ou Jules Leclercq (36), voyagent encore "pour leur plaisir", mais de plus en plus nombreux sont les hommes d'affaires ou les ingénieurs qui se trouvent chargés d'une mission d'enquête bien précise, par le gouvernement ou par quelque entreprise privée. Une mission "en pays Atchin" (= Atjéh) dirigée par l'ingénieur civil Louis Wallon se termine mal, en 1880; deux des trois explorateurs français sont mis à mort par les gens d'un panglima "in soumis", alors qu'ils essaient de gagner la région du lac de "Poutchout laout", c'est-à-dire du Laut Tawar, au coeur du pays Gajo. Achille Raffray puis Désiré Charnay sont l'un et l'autre chargés d'une "mission scientifique par le ministère de l'Instruction publique" respectivement en 1876-77 et en •*) Parmi les autres récits de voyageurs français datant de cette époque, citons encore celui du peintre de Molins, Voyage à Java, 1858-1861, paru dans le Tour du Monde, 1864, II, pp. 231-289. w) Cf. James W. Gould, Americans in Sumatra, La Haye, Nijhoff, 1961. *•) LDeenutxh iaonllse d, anRse llea tpioayns dd'uens évpoiyceasg,e Pauarxi sI l,e1s8 8de0 ,l a3 2So3n dpe.,; RLoetctleerrdcaqm, ,U n18 7sé6j,o u1r 0d4a nps. ;l 'îPlien dae, Java, Paris, 1898.
  • 29. 163 1878-79 (3r). En 1876, le Dr Gauthier mène des recherches zoologiques dans le Nord-ouest de Bornéo et en 1880, le Dr Montano des recherches "anthro pologiques et ethnographiques" sur l'ensemble de l'île. La Mission de M. Xavier Brau de Saint-Pol Lias (1880) Intéressant par ce qu'il nous apprend sur l'Insulinde, mais aussi par ce qu'il nous révèle sur la mentalité de ces voyageurs d'un genre nouveau, le ré cit de X. Brau de Saint-Pol Lias, chargé en 1880 d'une mission d'enquête sur la possibilité d'ouvrir des plantations françaises, en pays Atjéh ou .... en Nouvelle-Guinée. Ses impressions parurent en 1884 sous le titre: De France à Sumatra (Paris, Oudin, 388 p., 19 gravures, carte) et sont dédiées à Fer dinand de Lesseps: "A vous qui ouvrez aux navigateurs les grandes portes du monde ! Je dédie ce modeste volume de propagande des idées d'expansion française " L'auteur est un homme d'affaire et il n'aime pas perdre son temps; ce n'est pas lui qui irait faire un tour au Musée de la Société batave ! A peine débar qué, il court voir le Consul de France," un arabisant distingué" (qui vient d'apprendre qu'il est muté en Chine). Puis il s'intéresse à la petite colonie fran çaise de Batavia qui se trouve en partie regroupée dans une grande bâtisse "près du club Harmoni"; c'est là que se trouvent "les beaux magasins europé- Augé frères et autres, qui appartiennent à une petite colonie française de chapeliers, tailleurs, horlogers, modistes, coiffeurs, bottiers très estimés à Bata via où ils représentent les modes parisiennes et où ils sont connus pour leur vie rangée, honnête, de bons pères de famille, intelligents, sobres et laborieux, faisant bien leurs petites affaires. En dehors d'eux, une seule maison française de haut commerce, la maison Platon (importation de vins) dont le fondateur est retourné en Europe, mais qui continue à porter son nom". (38). Ayant appris que le Gouverneur général se trouvait dans sa résidence de Buitenzorg, Brau de Saint-Pol Lias se hâte de faire ses malles afin de l'y 7) A. Raffray, Voyage en Nouvelle-Guinée, in Le Tour du monde XXXVII, 1878 ; D. Char-nay, Six semaines à Java, in Le Tour du monde XLI, 1880. 8) Les établissements "Oger frères" (et non Auge) se sont maintenus jusqu'en 1959 (au moins) — date â laquelle ils faisaient encore de la publicité dans la revue Star Weekly. Cf. cet autre témoignage sur la présence de la culture française dans les Indes néerlandaises {Annales Extr. Or., 1880, p. 186): "On ne croirait pas qu'on importe aux Indes Orientales néerlandaises annuellement pour une somme d'environ cinq cent mille francs d'ouvrages français. Après la langue hollandaise, le français est la langue la plus répandue Nos compatriotes sont agréablement surpris en débarquant à Batavia d'entendre parler leur langue et de voir les dames et les jeunes filles hollandaises auxquelles on les présente dans les salons, leur répon dreav ec la plus grande facilité".
  • 30. 164 aller trouver. Plus n'est question de chaise de poste et de poneys, comme au temps de Beauvoir; il prend le train à quatre heures et arrive à destination à cinq heures cinquante. Autre nouveauté: il y a à Buitenzorg un "Hotel du Chemin de fer", tenu par un Français Reçu par le Gouverneur, notre auteur expose le motif de sa mission; Son Excellence "ne pense rien de bon de la Nouvelle Guinée" et souhaite plutôt voir les capitaux français s'investir à Sumatra; pour finir, Elle promet "des lettres de recommandation pour le Gouverneur d'Atché". Sur la deuxième partie de son séjour, en pays Atjéh, à Penang et à Deli, Brau, de Saint-Pol Lias nous donne encore d'intéressantes précisions, telle cette description de la forêt vierge qui est en train de reculer devant la hache des défricheurs, à deux pas de "Médann", une petite bourgade qui est tout juste en train de naître: "Parfois le soir en pleine nuit on entend un bruit formidable, la terre tremble sous des chocs répétés, les craquements et les sifflements se succèdent. C'est toute une série de grands arbres que les indi gènes ont préparés, les entaillant à point et du bon côté pour l'heure où se lèvera la brise et qui s'abattent l'un sur l'autre comme des capucins de cartes..." L'Exposition universelle de Paris (1878) Symbole de toute une "reprise" économique, l'Exposition universelle de Paris réunit au Champ de Mars en 1878 des productions venues de toutes Jes parties du monde. Fait significatif, les Indes néerlandaises sont représent éesp,re uve de l'intérêt nouveau que leur portent les hommes d'affaires français. Une revue de l'époque (39) nous décrit le "stand" en ces termes: "L'Exposition, organisée par les soins du gouvernement hollandais, occupe le pavillon d'angle de la grande galerie étrangère. On a formé là un immense trophée composé de peaux, d'armes, de bois, d'étoffes provenant de Sumatra, de Java, de la Malaisie en général. Autour de ce trophée on se proposait de faire une exposition horticole exotique; mais les arbres dont l'envoi avait coûté plusieurs centaines de mille francs n'ont pu résister au voyage .... On y voit, reproduits dans tous leurs détails de construction et d'aménagement, des pagodes et habitations indiennes, des costumes de toutes les peuplades des colonies hollandaises, des poteries, tous les ustensiles de pêche et de chass e... La librairie des Indes Néerlandaises est aussi dignement représentée à l'Exposition. On y voit les collections complètes des oeuvres de la Société des Arts et des Sciences de Batavia, ... le bel atlas photographique du temple 89) Annales de l'Extrême-Orient, 1, 1879, p. 38; sur cette revue, voir page suivante.
  • 31. 165 de Boro-Boudur à Java, ... des spécimens des journaux publiés aux Indes ... la collection de livres en langues orientales et épreuve typographique des caractères utilisés pour ces publications de M.E.-J. Brill, éditeur de Leyde". A signaler encore une collection d'échantillons géologiques, no tamment des minerais d'étain en provenance de l'île de "Billiton". Lors de l'Exposition universelle de 1889, le gouvernement indonéerlan dafiti msieu x encore et envoya à Paris une troupe de danseuses javanaises. On sait que Debussy assista au spectacle et qu'il s'intéressa vivement aux rythmes du gameian i40). Nul doute que ce "trophée" et ces danses, observés et admirés par des foules entières, jouèrent un rôle déterminant dans la lente élaboration de l'image collective qui, au niveau des mentalités populaires, correspondit long temps — et dans une certaine mesure, corespond encore bien — au concept de "Monde malais". L'Orientalisme engagé et les "Annales de l'Extrême-Orient" (1878-1886) A signaler parallèlement, la foimation d'un petit groupe de "malayolo-gues", généralement disciples de Ed. Dulaurier (qui lui-même avait délaissé les études malaises pour s'intéresser à l'arménien). L.M. Devic et A. Marre s'occupèrent à traduire en français certains textes "classiques" (La couronne des Rois, le début des Annales malaises), tandis que A. Tugault et l'Abbé Favre se spécialisèrent surtout dans des travaux de lexicographie. L'un et l'autre publièrent une Grammaire de la langue malaise et un Dictionnaire malais-français, ce qui les amena tout naturellement à s'opposer et à s'affron ter S'il est permis de sourire de leur querelle, et des pamphlets que, se lon la mode du temps, la colère leur fit échanger, on ne doit point oublier qu'après eux, aucune tentative tant soit peu sérieuse de lexicographie malaise ne fut entreprise et menée à bien par les Français. Le seul Dictionnaire malais-français à peu prés digne de ce nom reste encore aujourd'hui celui que l'Abbé P. Favre publia à Vienne (Autriche) en 1875 (en deux volumes avec caractè reasra bes). A noter que ces orientalistes ne se désintéressaient pas de l'actualité, comme certains de leurs successeurs ont eu parfois tendance à le faire, et l'on retrouve le nom de trois d'entre eux, ceux de Dulaurier, de Marre et du Père Favre, dans la liste des "collaborateurs" d'une revue, lancée en 1879 40; Cf. G.J. Resink, Debussy en de Mustek van de Mangkunegaran, in BKI, 125, II, 1969, pp. 267-268.
  • 32. 166 et dont une part importante était consacrée à des "informations" qu'on quali fierait à présent de "journalistiques". Les Annales de V Extrême-Orient, dirigées par le Docteur Cte Meyners d'Estrey, se proposaient de s'intéresser à "l'Ar chipel Indien et à la Malaisie en général", ainsi qu'à 1' "Inde transgangétique" et à l'Indochine, c'est-à-dire, en somme, à ce que nous appelons aujourd'hui P"Asie du Sud-est". Leur approche était, si l'on peut dire "totale"; aux ar ticles d'archéologie (notes d'Aymonier sur Angkor, étude de Léon Feer sur Borobudur), d'ethnographie, de géologie ou de zoologie, s'ajoutaient des récits de voyages, des rapports d'expéditions, de très nombreuses notes b ibliographiques, des informations et communications diverses sur la situation politique et économique, ainsi qu'une précieuse "chronique orientale "qui résumait mois par mois les principaux événements survenus en Asie, tels du moins qu'on avait pu les centraliser à Paris. En ce qui concernait l'Insulinde, une bonne part des informations était empruntée, sous forme d'extraits traduits, aux publications néerlandaises. (41). La revue se maintint pendant huit années, au cours desquelles la liste des collaborateurs évolua sensiblement, mais les livraisons (annuelles) gardè rent à peu près le même aspect : 500 pages in 8°, avec de très abondantes i llustrations. Cette publication, oeuvre collective, doit être considérée comme le signe d'un intérêt tout particulier du monde cultivé français pour les choses de l'Archipel (42). Les études sur le "système colonial" D'un tout autre "esprit" — et d'un esprit combien moins fécond ! — les études de "science coloniale" qui se multiplient vers la fin du siècle, après la création en 1893 d'un Institut Colonial International (fondé par Léon Say). La méthode, toute juridique, consiste à dégager les "systèmes" et à les "comp arer". En 1900, J. Chailley-Bert publie son célèbre traité: Java et ses habi tants (Paris, Colin, 375 p.) et s'explique nettement dans sa préface des motifs qui l'ont poussé à entreprendre cette recherche: "Cette étude sur Java et 41) L'intérêt des Français pour la Nouvelle-Guinée semble avoir été alors tout parti culier, car Meyners d'Estrey compila à partir de sources hollandaises une monog raphie qu'il publia à part sous le titre de La Papouasie ou Nouvel le- Guinée Occident alePa ris, CAallamel, 1881. Meyners d'Estrey publia également en 1891 une "traduction libre", intitulée A. travers Bornéo, aventures de quatre déserteurs de Parmée indonéerlandaise par le Colonel M.T.H. Perelaer (Paris, Hachette). *a) Autre preuve de la très bonne connaissance que l'on pouvait avoir alors de l'Ar chipel en France : l'excellent chapitre sur l'Insulinde compilé par Elisée Reclus au tome XIV de sa fameuse Géographie Universelle (Paris, 1889).
  • 33. 167 la colonisation hollandaise est la suite naturelle de mes études sur la coloni sation anglaise. Après Les Anglais à Hong Kong, après Les Anglais en Bir manie, Java et ses habitants. Toutes ces études partent d'une même idée: les nouveaux venus de la colonisation (et c'est bien ce qu'est la France dont la rentrée dans la politique coloniale ne date que de moins de vingt ans) ont intérêt à se mettre à l'école de leurs devanciers Anglais et Hollandais". C'est du même esprit, mais avec moins de talent, que s'est inspiré P. Gonnaud, dans son ouvrage sur La Colonisation hollandaise à Java, ses an técédents, ses caractères distinctifs (Paris, Challamel, 1905, 606 p.). Tout com me Chailley-Bert, Gonnaud s'est rendu à Java; et il joint même en "appendi cesle "te xte des permis de séjour et de voyage qui lui ont été accordés. Il n'a vu pourtant qu'une toute petite partie de ce qui lui a été donné d'observer et si son analyse des diverses strates de la société "blanche" est assez juste, ce qu'il écrit sur la "société indigène" manque de la "sympathie" la plus élément aire. Poursuivre plus avant, jusqu'à la première guerre mondiale et plus près de nous encore, ce serait rappeler les noms de "voyageurs" sans doute mieux connus: A. Cabaton, G. Angoulvant, Ch. Robequain, J. Cuisinier, L.-C. Damais (^); ce serait aussi évoquer, en marge de cette tendance "noble" et proprement scientifique (géographique, ethnographique ou philologique), le développement abusif d'un "exotisme" délétère, déjà latent au XIXème s. (44), mais désormais nourri d'une imagerie facile, et que contribuent à divul guer l'essor du tourisme et le succès des expositions coloniales, telle celle de 1931 où les Indes Néerlandaises se trouvent "splendidement" représentées. Ce serait dresser un bilan difficile et nuancé et nous réservons la chose pour une autre étude. 8) Louis-Charles Damais avait établi, vers I960, une bibliographie des études concer nantl'I ndonésie rédigées en français, et l'avait un temps destinée à l'ouvrage col lectif édité par Soedjatmoko, Indonesian Historiograùhy; cf. Madjalah Ilmu% Sastra Indonesia, 1968,p-135-86. A) Le XIXème s. a déjà vu paraître un certain nombre de romans fantaisistes qui pren nent pour cadre une Insulinde de pacotille. Nul doute que ces romans ont largement contribué à déformer l'esprit des honnêtes gens ; certains voyageurs arrivent même, sur place avec une idée complètement fausse dont ils ont beaucoup de mal à se dé partir. Mieux valait l'ignorance des siècles piécédents ! Ecoutons par exemple ce que nous dit Leclercq, au début de son Séjour à Java (189S) : "Henri Conscience, ce grand conteur (écrivain flamand, né en 1812), a écrit un livre dont le titre, Batavia, me fascinait dans mon enfance, à cet âge où les noms d'outre-mer éveillent dans l'imagination une idée de prodigieux éloignement. Batavia, la Babylone des tro piques ( 1) me semblait à une si infranchissable distance que je croyais ne pouvoir jamais en fouler le sol et en respirer l'air parfumé. Lorsque je songeais aux belles nuits étoilées de Batavia je murmurais ce vers de Louis Tieck, le doux poète all emand : Petites étoiles d'or, vous êtes si loin 1"
  • 34. 168 APPENDICE Nous reproduisons, ci-dessous, l'éditorial du premier numéro des Annal esd e V Extrême-Orient, lancé en 1879 par le Docteur Cte Meyners d'Estrey (voir ci-dessus p. 165-6). A NOS LECTEURS Nous avons l'honneur d'informer nos lecteurs, que le Directeur des Annales de l'Extrême-Orient, membre du conseil et de la comm ission de publication de la Société Académique Indo-Chinoise, s'est entendu avec ses collègues du Conseil de ladite Société, pour réunir en une seule publication les Annales de l'Extrême-Orient et le Bulletin de la Société Académique Indo-Chinoise. Cette Société travaillant au développement de nos connaissances des pays de l'Inde transgangéti-que, la Malaisie, etc., but identique poursuivi par la direction des Annales, il a été jugé préférable, plutôt que de diviser les forces par la création de deux publications distinctes, de réunir les travaux respectifs en une seule revue mensuelle. Le Directeur des Annales continuera donc à s'occuper, comme par le passé, de l'Archipel Indien et de la Malaisie en général, tandis que les Membres de la Société Académique Indo-Chinoise enrichiront les Annales de leurs int éressantes communications concernant les pays de l'Extrême-Orient.