1. Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Les Midnight Movies: une « espèce »
cinématographique disparue ?
Mémoire de Séminaire
Préparé par Camille Durand
Sous la direction de Jean-Michel Rampon
Soutenu le : 6 septembre 2010
2.
3. Table des matières
Epigraphe . . 5
Introduction . . 6
Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies . . 13
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies . . 13
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le surréalisme.
. . 13
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies . . 16
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un fourmillement créatif . . 18
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes cinématographiques . . 18
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin comme haut lieu
d’épanouissement d’une culture underground . . 20
Partie 2 : Que sont les midnight movies . . 22
A. Une tentative de définition par le genre. . . 22
1/ Le genre expérimental . . 22
2/ Le genre fantastique . . 26
3/ Le mélange des genres . . 27
B. Une convergence thématique : La perversion. . . 29
C. Un midnight movies est un film culte, produit de son audience. . . 30
1/ Description d’un public singulier . . 30
2/ Le film culte : définition et analyse . . 31
Partie 3 : Les midnight movies : une tradition obsolète? . . 36
A. Les midnight movies : chronique d'une mort annoncée. . . 36
1/ Les raisons économiques d’un déclin . . 36
2/ Les raisons culturelles : Hollywood récupère l’esthétique de minuit . . 38
B .La télévision : un rôle néfaste pour la culture de minuit. . . 39
1/ La culture vidéo :l’entrée dans la postmodernité et le non public de la télévision
. . 39
2 / Les talks shows : de l’horreur au voyeurisme . . 41
3/ La série télévisée culte : Twin Peaks , fille de l’esthétique de minuit . . 41
C. The big LEBOWSKI : La résurection du phénomène des midnight movies. R . . 43
1/The big Lebowski : un parcours similaire aux midnight movies . . 43
2/ Analyse de la séquence d’ouverture . . 44
3/ Conclusion : Une « critique postmoderne du rêve hollywoodien »: . . 48
4/ L’ adoption du film par une grande communauté de fans . . 49
D. Une nouvelle approche des fans : une coproduction d'objet de culte. . . 51
1/Les nouvelles formes de participation des fans , fanfictions :des formes de
coproduction du sens . . 51
Conclusion générale . . 57
Bibliographie . . 60
Ouvrages . . 60
Articles . . 60
Issus de revues . . 61
5. Epigraphe
Epigraphe
« Cinéma est un nom de l'art dont la signification traverse les frontières de l'art. »
Jacques Rancière
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6. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Introduction
A minuit, la dernière heure, heure mystique s'il en est, plusieurs événements très différents
prennent place: minuit est l'heure de la messe traditionnelle des catholiques la veille du
vingt-cinq décembre où une grande célébration prend place pour fêter la naissance de
Jésus. C'est aussi le moment, au réveillon de la Saint Silvestre, où l'on s'embrasse et
l'on fête le passage à la nouvelle année, dans le calendrier chrétien. Dans la littérature,
les contes et croyances populaires, minuit est le moment magique de l'irrationnel où les
sabbats de sorcière, sortes d’assemblées nocturnes, prennent place, où les vampires
s’éveillent, les loups garous s’animent, où Mr Jekyll laisse place à Mr Hide, et enfin, dans les
romans policiers, c'est la traditionnelle heure du crime. C'est une heure qui fait fonctionner
l'imaginaire collectif, qui suggère un affranchissement du domaine du rationnel, et donc du
réel.
Cette folie inhérente à l'heure de minuit est le vecteur d'une culture underground,
choisissant l'obscurité pour satisfaire les attentes d'un public avide de produits marginaux,
allant à contre courant de la culture dominante ; parmi ceux là, des films à petits budgets,
parfois dits « peu recommandables » devenus aujourd'hui des films culte grâce à leur
diffusion à minuit dans les années 1970: les « Midnight Movies ». En France , l'expression
n'a pas d'équivalent qui puisse désigner aussi bien ce qui est devenu un genre à part entière
aux Etats Unis, c'est pourquoi j'utiliserai l'expression américaine tout au long de ce mémoire.
L'idée première de ce mémoire m'est venue par la mise en relation de deux réalisateurs
que j'admire beaucoup au nom de leur rejet des conventions hollywoodiennes et de
leur capacité à créer dans leurs films un univers cinématographique très personnel et
pourvu de ses propres codes esthétiques déviants: il s'agit de Alejandro Jodorowsky_ le
réalisateur chilien, créateur avec Fernando Arrabal et Roland Topor du mouvement Panique,
scénariste de bandes dessinées, essayiste et poète_ et de David Lynch , un réalisateur
américain bien difficile à classer. Le caractère « protéiforme » de son art m'intéressait tout
particulièrement, car cet artiste passa de peintre à réalisateur de films, puis de séries, à
designer, photographe et plasticien, musicien, producteur de publicités et inventeur d'une
méthode de méditation transcendantale destinée à lutter contre la violence dans les écoles.
Cette sorte d'universalité artistique, le procédé de recyclage qu'il utilise pour utiliser d'un art
à un autre les mêmes figures et obsessions me plaisaient et m'ont encouragé à approfondir
mes connaissances. Le pont qu'il construit entre les arts m'intéressait particulièrement,
la question de la transversalité dans son esthétique a d’abord monopolisé mon attention.
Ces deux artistes, très influencés par le mouvement surréaliste auquel je me suis toujours
intéressée, et tout particulièrement en littérature, m'ont guidé vers les Midnight Movies.
Eraserhead étant le film que j'estime le plus, je me suis tournée vers ses particularités
esthétiques ; ce premier film de Lynch est quasiment expérimental, fait de manière artisanale
(Lynch assume durant la durée du tournage, soit 5 ans, tous les rôles, de décorateur à
chargé de bruitage, tout comme Jodorowsky, dans El topo, est à la fois acteur, réalisateur,
musicien, décorateur, peintre et costumier) avec un petit budget, et très influencé par
l'esthétique surréaliste. En 2004, Eraserhead a été « déclaré » culte dans l'histoire du
film américain, classé comme tel par le National Film Registry , ce qui suggère qu'il a été
sélectionné pour son « importance culturelle, historique ou esthétique » .
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7. Introduction
Ce film fait figure d’OVNI dans le paysage du film, et j'ai donc étudié, en mettant en
relation les premiers courts métrages de Lynch « the Alphabet », « The grandmother »,
« six men getting sick » avec ses peintures (que j'ai pu analyser grâce au catalogue de
l'exposition de la fondation Cartier qui lui était dédiée en 2007), les principales figures,
obsessions lynchiennes.
Dès lors il m'a fallu me questionner sur la forme du travail que je souhaitais accomplir
sur Lynch: était-ce l'esthétique du cinéma de Lynch, ou, d'un point de vue plus externe,
l'impact de son film le plus culte sur les spectateurs (c’est à dire une analyse plus tournée sur
la réception). Il m'est apparu évident que l'esthétique n'allait pas être l'objet de ce mémoire,
mais que l'enjeu se trouvait justement dans le lien entre les films et le contexte culturel
et social dans lequel ils s’ancraient. J'ai pensé qu'il était intéressant de se focaliser sur le
contexte de réception d'une telle oeuvre et me suis dirigée ainsi vers les conditions qui ont
été celles de la sortie du film: j'ai alors découvert que le film Eraserhead, dont le financement
avait été interrompu en cours par L'American Film Institute en raison de sa singularité, de sa
« bizarrerie », de son caractère hybride dans le style de l'époque , avait été diffusé à petite
échelle dans des conditions uniques: à minuit, et sans aucune publicité , tout comme l'avait
été, six ans auparavant le film de Jodorowsky, El Topo. A ce moment précis, mes intérêts
premiers se sont donc retrouvés unis dans un même cadre de réception.
Le documentaire de Stuart Samuels, « Midnight Movies 1 » a véritablement achevé
de fixer mon sujet, car il m'a aidé à problématiser ce sujet. Sans l'avoir trouvé d'une très
bonne qualité, il a levé le voile sur la singularité du dispositif de réception du premier long
métrage de Lynch: Eraserhead fait partie d'un ensemble de films connus sous le nom des
« midnight movies » qui ont fait date dans l'histoire du cinéma américain, devenus des films
culte. Ces films au contenu généralement « subversif », ont rassemblé des foules dans les
cinémas de grandes agglomérations comme à Manhattan dans la ville de New York. Le
documentaire se limite à l'étude de six des plus marquants de ces midnight movies : The
night of the living dead, de George Romero, Pink Flamingos, de John Waters, Eraserhead,
de Lynch The Harder they come, de Perry Henzell, The Rocky Horror Picture Show, de Jim
Sharman et El Topo , de Jodorowsky.
Ces six films, restant souvent des mois à l'affiche, vus et revus des dizaines voir des
centaines de fois pour certains, rapportant aux cinémas des millions de dollars, avaient donc
un statut unique. Aux Etats Unis, ils ont été l'objet d'étude de plusieurs critiques de cinéma
et de journalistes qui ont voulu se pencher sur un phénomène étonnant, concomitant d'une
période de libération des moeurs.
L' apparition des midnight movies
L'expression « Midnight Movies », apparaît dans les années 50 aux Etats Unis,
désignant à l'origine une pratique courante de quelques chaînes de télévision locale :
diffuser les films de genre à petits budgets, les fameux films de série B, à une heure avancée
dans la nuit, l'heure où l'audience chute, l'heure où une audience différente de celle de la
journée allume sa télévision, prête à y voir plus que de simples émissions de divertissement.
Ainsi en 1954, la télévision locale de Los Angeles (la chaîne KABC) lance la diffusion de
« The Vampira show », les samedis soir à minuit, un show qui diffuse des films d'horreur ou
à suspense, à très petits budgets. Avant le film, le présentateur qui introduit le spectateur au
programme nocturne est caractéristique: souvent adepte de l'humour noir, armé d'une ironie
fracassante et dans le cas de Vampira, très court vêtu. Ces présentateurs sont devenus très
appréciés par l'audience, et leurs noms restent aujourd'hui encore, connus, comme ceux
1 Midnight Movies : from the margin to the mainstream, Stuart Samuels, 2006
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8. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
de Vampira, Zacherley, Cassandra Peterson alias Elvira, « mistress of the dark », adulés
par les jeunes de l'époque.
Au cinéma, certains films des années 30 sont diffusés à minuit, comme Nosferatu ,
de Murnau,où les films surréalistes à Paris comme Un chien Andalou mais ces projections
restent encore des événements isolés, et prennent place aux Etats Unis lors de foires ou
fêtes foraines. Les Midnight Movies au sens donné par Stuart Samuels apparaissent dans
les années 1970: on situe traditionnellement la première, le film pionnier en la matière à El
Topoqui sort dans les salles du Elgin en décembre 1970, s'apprêtant à se maintenir 6 mois
à l'affiche. Comment expliquer ce soudain engouement pour les séances de minuit?
Après une période d'éveil culturel et de libération des moeurs, propice à la diversité
dans l'expression artistique, les Américains connaissent dans les années 1970 l'apparition
de projections à minuit dans certains cinémas de grandes métropoles comme New York,
Philadelphie, Los Angeles, San Francisco, Chicago. Ces projections ont en fait vu le jour
dans les années 1960, en lien avec le développement des mouvements underground de
contre-culture et, dont les avatars, dans le milieu du cinéma sont Andy Warhol, Jonas Mekas
ou Kenneth Anger. Ces cinémas vont initier les séances à minuit, peut être en vue de
découvrir une niche dans l'audience et de pouvoir répondre à un public de plus en plus
réceptif à ces thèmes. Surpris d'observer un accueil aussi favorable pendant ces projections,
qui sont de véritables événements de foules, ils remarquent de curieuses réactions dans
l'auditoire : il semble se dérouler un jeu entre les spectateurs, une connivence se crée,
encouragée par la circulation fréquente de marijuana. Il s'agit alors du commencement
d'un phénomène d'une grande ampleur car ces films, à la base peu commerciaux et dont
la distribution s'avérait problématique restaient parfois six mois à l'affiche, rapportant des
profits insoupçonnés;
Les réalisateurs du documentaire midnight movies délimitent l'étendue du phénomène
aux années 70. Ils sont d'autre part très focalisés sur un cinéma de Chelsea à Manhattan,
le « Elgin theater », qu'ils considèrent, avec son gérant Ben Barenholtz, comme le cinéma
où le phénomène des midnight movies a éclaté et a été le mieux représenté.
Dans le documentaire de Stuart Samuels, mon intérêt s'est porté sur les idées de
cérémonie, de rituel qui sont soulevées, répétées dans les commentaires de la voix off, et
qui m'ont vraiment intrigué. Je me suis demandée quel était le moteur de cette fascination
poussant les spectateurs à revenir encore et encore voir le même film. Etait ce pour profiter
de l'atmosphère festive unique de la salle, qui variait à chaque séance? Il semble que le
simple fait de projeter ce genre de film a eu pour effet de transformer le cinéma lui-même: ce
n'est plus un lieu de diffusion industrialisée mais un site urbain d'activités ritualisées. On voit
donc que la projection dépasse le simple visionnage d'un film et tire vers la représentation
théâtrale: c'est tout l'enjeu que soulève cette tradition iconoclaste, et c'est ce qui constitue
le fil directeur de cette étude et mise en perspective des midnight movies des années 1970.
Ce documentaire traçait une limite temporelle au phénomène, l'orée des années
1980, années qui marquent l'entrée du Midnight Movie dans le « mainstream », dans la
norme hollywoodienne, coïncidant avec l'arrivée de la vidéo. La fin des années 1970 serait
selon eux marquée par la réappropriation des thèmes autrefois subversifs par les grosses
productions hollywoodiennes.
A partir de ce constat d'une disparition du phénomène et des maigres conclusions qui
sont ébauchées dans le documentaire, j'ai décidé d'interroger les raisons de la disparition
du phénomène des Midnight Movies en tâchant de trouver d'autres témoignages, points de
vue afin de confronter les discours et de mener une enquête informée.
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9. Introduction
Méthode et sources bibliographiques:
J'ai donc poursuivi mes recherches, en découvrant que peu avait été écrit en France sur
ce sujet, même si le phénomène avait dépassé ses frontières: La Cinémathèque de Paris,
dans les années 60, avait aussi inauguré les séances à minuit, diffusant certains films , l’Age
d'or de Bunuel, ou l'amour fou de Jacques Rivette, Le roi de coeur de Philippe De Broca et
d'autres de la Nouvelle Vague. Pourtant, en France, les Midnight Movies n'existent pour ainsi
dire pas, car il ne s'agit pas comme aux Etats Unis d'un phénomène à part entière, ayant sa
propre signification. Les projections à minuit, même si elles étaient nombreuses, n'ont pas
eu le même retentissement dans les médias et la culture urbaine, et n’ont pas contribué à
la découverte de tels films cultes, car il s’agissait souvent de rediffusion de classiques du
cinéma ; Ainsi, aucun chercheur ne paraît s'être décidé à étudier le phénomène en France.
C'est donc via la littérature américaine que j'ai trouvé de quoi alimenter mes questions sur
les Midnight Movies: ma bibliographie de base se compose d'un ouvrage qui est voué à mon
sujet, paru en 1983 et réédité dans une version augmentée en 1991, appelé « Midnight
Movies » dont les auteurs sont Jonathan Rosenbaum, journaliste au Chicago Reader et
James Hoberman, critique de film pour The village Voice.
Ce livre m'a été d'une aide précieuse, car peu d'ouvrages se consacrent à l'analyse de
ce phénomène, qui est somme toute très peu connu. Néanmoins, les difficultés ont été d'une
nature double: d'une part, la langue anglaise , qui est tout de même un facteur ralentissant
la compréhension, d 'autre part, le fond même du livre: les détails et la description prennent
souvent une place trop importante, au détriment de l'analyse, de plus les auteurs digressent
beaucoup sur l'époque et ses acteurs, et ont aussi tendance à embellir l'époque par un
ton nostalgique, ce qui m'a poussé à procéder à un tri. A partir de là, j'ai voulu étayer ma
recherche en puisant dans les archives de la presse nationale, qui sont assez rares, mais
j'ai tout de même déniché dans les archives du New York Times deux articles traitant de
l'évènement sous un angle sociologique, c'est à dire de la fréquentation de ces séances de
minuit, et du regard des journalistes, contemporains de l’époque. Ils m'ont servi, confrontés à
l'ouvrage, à cerner une des clés du succès des midnight movies: les jeunes de l'époque. J'ai
obtenu grâce à eux une représentation mentale plus précise de l'audience. Ces articles sont
fondamentaux: le regard amusé et critique des journalistes, les témoignages des jeunes,
et la confrontation de plusieurs points de vue rapportés ont orienté mes recherches dans
le champ de la sociologie.
Il me manquait tout de même un point de vue plus interne sur le phénomène, même si
le documentaire de Stuart Samuels contenait des extraits d'interview de David Lynch , John
Waters et Jodorowsky, ces acteurs n'étaient pas vraiment bien placés pour rendre compte
de l'ambiance de ces séances de minuit.
C'est alors que j'ai eu accès à une interview des gérants du Elgin Theatre, ayant pour
titre « children of the sixties », faite en 1996 par un journaliste et écrivain, Ben Davis.
Celle ci a été capitale dans mon travail, car elle fournit une description sociologique du
phénomène, d'un point de vue moins « formel » que celui de l'ouvrage de Hoberman et
Rosenbaum. Le ton est volontiers empreint d'humour et peu sujet à l'auto censure, c'est une
chose importante pour comprendre le phénomène.
Afin de mettre en perspective ce qui se jouait parmi l'audience des midnight movies, j'ai
aussi puisé dans la littérature du domaine de la sociologie du cinéma , notamment autour
de la figure du fan , qui a été très peu étudiée jusqu'ici, ne bénéficiant pas d'une véritable
légitimité académique. Deux auteurs fondamentaux font figures de pionniers : John Fiske
et Henry Jenkins.
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10. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Philippe Leguern, maître de conférence en sociologie à l' IUT d' Angers et chercheur au
CNRS à Paris, a publié dans la revue « réseaux » une étude portant sur ces « ex fans des
seventies » , dans lequel il explique les enjeux de la métaphore religieuse qui est associée
au comportement de fan. Cette étude a donné de l'ampleur à ma réflexion sur les midnight
movies, et m'a permis de chercher, dans la culture contemporaine, des équivalents, des
manifestations voisines, comparables dans leur ferveur dédiée un objet de culte.
Néanmoins, ma démarche n'en est pas pour autant de nature sociologique, je n'ai
pas procédé à une enquête sociologique avec des entretiens, il n'y a pas d’enquête,
mais davantage une mise en perspective du phénomène, une étude de la réception et de
l'évolution de l'emploi qui est fait des séances de minuit dans les cinémas d'aujourd'hui.
Cette étude n'est pas dévolue à un descriptif esthétique des films de minuit, nous ne sommes
pas dans l'hagiographie de films devenus cultes mais dans la recherche d'une signification
culturelle et sociale de ce phénomène et du retentissement qu'il a connu.
Le corpus de films étudiés :
Je n'ai pas l'intention de dresser l'inventaire des films concernés par la diffusion à minuit
dans les années 1970 aux Etats Unis, ce qui ne dirait rien du sens à dégager du phénomène,
tant les films sont divers, c'est pourquoi je choisis de me focaliser sur quatre en particulier,
qui selon moi illustrent chacun des traits forts caractéristiques de l’esthétique des midnight
movies.
Au nom de mon attachement à une clarté et une concision essentielles à un travail de
cette ampleur, je ne parlerai que très peu de films qui pourtant ont connu une trajectoire de
midnight movies semblable à celle des films étudiés, comme « liquid eye » « showgirls »,
« reefer madness » « harold et maude », « the texas chainsaw massacre », « Mondo
Trasho », « The harder they come » et autres films cultes découverts par l'audience à minuit.
Eraserhead, d'abord, a été un déclic initial, car je fais partie des fans de David Lynch,
et parce que c'est un film pivot dans l'oeuvre de Lynch, contenant tous les thèmes qu
il développe encore maintenant dans ses films. De tous, c'est incontestablement le plus
expérimental, réalisé sur 5 ans dans des conditions extrêmes avec un budget minimal,
le plus hybride, car une légende disait que la bande son était dangereuse et nocive .
Eraserhead, sorti en 1977, relate la naissance d'un bébé monstrueux et déformé, image
de l'univers industriel glauque dans lequel il naît, dans un couple peu uni et qui est effrayé
par son propre rejeton. Après ce film, David Lynch connaît le succès avec Elephant Man,
film avec lequel il quitte le cinéma dit expérimental et adopte les codes hollywoodiens ; El
Topo est une oeuvre inclassable se situant entre le western, le film esthétique surréaliste,
l’épopée, la quête mystique, le film underground et la parodie, retraçant la recherche de la
sainteté par un homme, un pistolero, qui est mis au défi de tuer les quatre grands maîtres du
désert. Il est devenu l'emblème de l'idéologie des hippies, se regardant à l'époque volontiers
sous l'effet de stupéfiants. Il a achevé sa diffusion au Elgin à cause de l'achat de ses droits
par John Lennon, qui voyait en ce film un chef d'oeuvre, un poème sur la recherche de la
sainteté et de la sublimation.
The Rocky Horror Picture Show, de Jim Scharman, sorti en 1975, raconte l'entrée
d'un couple rangé, Janet et Brad, dans un château habité par les étranges habitants de
la planète Transexual Transylvania, dont le propriétaire, Frank N Furter, un transsexuel
travesti, séducteur et créateur d'un objet sexuel, Rocky, va travailler à les pervertir toujours
plus et leur faire découvrir les plaisirs sexuels. Ce film à petit budget est devenu l'emblème
suprême du film culte, car il a amassé durant trente ans des foules travesties imitant les
personnages du film, toutes plus érudites, capables de réciter réplique par réplique le film
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11. Introduction
dans son intégralité. Cette comédie musicale est déjantée, c'est un hymne à la libération
sexuelle et au vice, à la circulation des genres, un film qui fait exploser la morale chrétienne
et hétérosexuelle.
Enfin, Pink Flamingos, de John Waters, datant de 1972, est , si je puis dire, le plus
trash, celui dont les images figurent au dernier degré de la provocation. Il raconte les
pérégrinations de Divine, la femme la plus dégoûtante, repoussante du monde, reconnue
comme telle « the filthiest person alive », luttant pour maintenir son statut face à un
couple de concurrents, dont l'activité consiste à kidnapper des jeunes femmes qu'il font
féconder par leur majordome afin ensuite de leur enlever leur bébé, qu'ils revendent à des
couples lesbiens. Ce film est très important à prendre en compte, car c’est par lui, et donc
par les séances de minuit, que John Waters s'est fait connaître dans le milieu du cinéma
underground.
Ces films, tout en étant très différents les uns des autres, sont tous le reflet à la fois
d'une évolution des moeurs et sont devenus le miroir d'une expérience sociale inédite : une
communion des spectateurs autour de l'écran, et les documents d'époque, l’interview des
propriétaires du Elgin Theatre que j'ai pu rassembler confirment cette vision du midnight
movie comme un rituel, une tradition et une fête à la fois.
Afin de mettre en perspective le phénomène des Midnight Movies, je me suis penché
sur l'héritage , les illustrations plus récentes du pouvoir des cultes médiatiques. Certains
films ont connu le même sort nocturne, se sont faits connaître par le créneau de minuit; et
sont aujourd'hui cultes. J'ai choisi d'étudier le cas de The Big Lebowski, un des films des
frères Coen, sorti en 1998 qui, à défaut d'avoir connu un succès au box office, est le seul
ayant déferlé un mouvement de fans sans précédent, qui font aujourd'hui des kilomètres
pour se réunir afin de célébrer le film et la pensée forte qui en émane. Le Duc, « the dude »,
héros du film, est un magistral fainéant, que l’on qualifierait en France de paresseux, passant
son temps au bowling avec ses amis,et se trouve impliqué soudain dans une affaire d'argent
et de rançon qui est le fruit d'un quiproquo onomastique.
Ce film des frères Coen est un véritable pamphlet sur les valeurs diffusées dans la
culture hollywoodienne, et se plaît à déconstruire un à un les clichés du film hollywoodien.
Serait-il un descendant direct des midnight movies? J'ai analysé le film pour y répondre.
Il sera également question, dans une moindre mesure cependant, de la série de
David Lynch, « Twin Peaks », réalisée en 1986, reprenant les thèmes subversifs , la veine
transgressive des midnight movies et qui révolutionne les codes du genre de la série. Celle-ci
offre, en un sens, une adaptation télévisuelle de l'esprit des Midnight Movies.
Définitions
Un film culte est un film qui réunit une communauté de fans:
Un film culte est un concept difficile à définir, cependant sa caractéristique majeure
reste ses fans. L'esthétique, en effet, ne joue pas le premier rôle, ce sont d'autres éléments
qui sont capitaux: ce film doit avoir eu une influence sur son temps, il jouit la plupart du
temps d'un faible succès commercial, est reconnu souvent dans la durée, restant longtemps
à l'affiche, tirant son effet par la répétition, l'accumulation. Le film culte est donc un film
qui obsède, se différencie sur ce point des films qui ne se regardent qu’une seule fois et
se consomment sans plus de réflexion: une certaine fascination, une adoration émanent
de cette catégorie de films. J'ai voulu approfondir cette thématique, qui est au coeur des
enjeux soulevés dans mon séminaire « récits, fictions et médias: les clés d'interprétation
du réel ». Un film culte est un film où l'illusion du cinéma continue à opérer, même une fois
sorti de la salle.
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12. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
La figure du fan:
Comme nous le savons, le terme « fan » est un anglicisme, une abréviation de fanatique
à l'origine. L'attitude de dévouement et de vénération d'un fervent croyant et d'un fan serait
donc pertinente à mettre en parallèle, de même que les séances rituelles des midnight
movies sont un lointain écho de la célébration de la messe.
Les films de minuit sont dits cultes, sans exception, et c'est la réalité que cache se
concept de culte qui focalise mon attention tout au long de ce mémoire. Pourquoi utiliser
un tel terme, qui emprunte à la religion? Y a t'il d'autres films cultes par la suite qui se sont
fait connaître à minuit ? Si oui, qu'ont ils en commun avec les midnight movies des années
1970?
Mon étude se développera donc en trois temps successifs:
Dans un premier temps, il sera question d'étudier les conditions d'apparition du
phénomène des midnight movies, de définir son ancrage spatio-temporel: les films cultes
des années 70 sont irrigués de toute la contre culture des années 60 et s'inscrivent dans
un espace urbain propice au mouvements underground.
Il sera ensuite temps de décrire et expliquer le phénomène des midnight movies en lui
même, à travers une étude des films et de leurs points de convergence. Nous mobiliserons
à ce titre plusieurs concepts, outils de taxinomie: une approche thématique qui s'intéresse
à rechercher des thèmes communs aux films comme la transgression sexuelle, la violence
comme revanche sur la société, les pulsions de vie et de morts « eros et thanatos »; une
tentative de définition par le genre, avec le genre du film d'horreur notamment, le genre
expérimental et le genre fantastique, ou par l'esthétique, avant d'avoir une approche plus
centrée sur la réception, qui sera l'occasion d’analyser le sens à donner aux rituels qui se
déroulaient pendant les midnight movies .
Enfin, nous partirons en quête de possibles résurgences du phénomène et
d'explications de l'évolution du film culte, qui est déplacé du lieu du cinéma à la maison,
apprivoisé et du même coup modifié dans son essence. Nous analyserons les objets
« héritiers » des midnight movies qui témoignent, en même temps d'une parenté, et d'une
mutation, en nous focalisant sur la série Twin Peaks et sur le film des frères Coen The big
Lebowski . Nous nous pencherons sur le phénomène de culte chez les fans et tenterons de
dépasser une lecture bourdieusienne qui tend à dévaloriser la figure du fan.
Nous tenterons aussi de chercher l'emploi actuel qui est fait du créneau de minuit dans
les salles, et ce qu'il nous dit sur l'évolution de la figure du fan.
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13. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Partie 1: Origines et contexte
d'apparition des midnight movies
Il serait regrettable, pour une étude sur les Midnight Movies, de tenir ces films comme un
phénomène isolé de son contexte, un phénomène ex-nihilo, alors que leurs problématiques
ne se comprennent qu'à la lumière des soubassements historiques, idéologiques et sociaux
de l’époque, ainsi que des lieux qui ont favorisé leur diffusion.
Les Midnight Movies se révèlent être de véritables encéphalogrammes, mesurant le
pouls de la contre culture qui se développe à l'époque.
Parmi ces facteurs nécessaires à l'épanouissement des Midnight Movies, je
m'attarderai dans cette partie en premier lieu sur les mouvements artistiques qui sont
propédeutiques à l'avènement des Midnight Movies, à savoir l'expressionnisme allemand et
le surréalisme, ensuite sur l'oeuvre matrice des Midnight Movies, Freaks, de Tod Browning,
avant de faire un aperçu nécessaire du paysage culturel et cinématographique américain
des années 1960-70 , pour enfin effectuer un zoom sur un cinéma , le Elgin, qui est très
représentatif du brassage social et de l’ampleur inédite du phénomène des Midnight Movies,
mais aussi d’un esprit hippie et d’un climat favorable à la participation des spectateurs.
A. Les années 1390 : l'incubation des midnight movies
1/ les mouvements fondateurs: L’expressionnisme allemand et le
surréalisme.
a. L’expressionnisme allemand : définition
Le film d'horreur d'aujourd'hui s'est développé sur les bases des premiers films cultes des
années 1920 comme Nosferatu le vampire, de Murnau, Le cabinet du docteur Caligari,
de Robert Wiene (qui est, selon Hoberman et Rosenbaum le premier film culte, né à
Paris où il est diffusé durant 7 ans dans le même cinéma ), ou Docteur Mabuse de Fritz
Lang. Ce cinéma était très marqué par les atrocités , l'horreur au quotidien vécues par l'
Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale, et met en scène le crime et la culpabilité
pesant sur des personnages denses, pétris de contradictions , le tout étant souligné par
l'esthétique expressionniste devenue très célèbre. Les personnages de ces films, dont
le maquillage épais exalte et exagère les traits, sont filmés sous l'angle de la contre-plongée,
la lumière venant du dessous éclairer le visage de manière effrayante, menaçante.
Ces personnages grimaçants sont, selon le critique Siegfried Kracauer2, critique de cinéma
2 Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Une histoire psychologique de cinéma allemand 1947 p 32 et 36
DURAND Camille_2010 13
14. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
au journal Frankfurter Zeitung, le reflet des troubles psychologiques profonds du peuple
allemand, et annoncent les prémisses du régime totalitaire nazi.
Dans M le Maudit ,3, qui devait originellement s'appeler « Mörder ist unter uns », le
meurtrier est parmi nous, Fritz Lang met en scène un kidnappeur de petites filles qui sévit
dans la ville de Dusseldorf, semant la discorde entre la police et la pègre qui se disputent sa
poursuite. La dernière scène illustrerait , par le procès de la Pègre qui est fait au meurtrier,
procès acclamé par la foule en délire, la montée du nazisme qui est un mal intérieur
du peuple allemand. Cette scène est aussi marquée par l'esthétique expressionniste: les
visages de la foule apparaissent déformés par le peu de lumière qui les distingue de la
pénombre, et le meurtrier, piégé, avoue alors sa schizophrénie, en pleine lumière des
projecteurs braqués sur lui: cette scène finale renverse les rôles, et fait du meurtrier une
victime des bourreaux qui l'entourent, comprenant les bandes criminelles et les familles
avides de vengeance de la ville. Ainsi, l’expressionnisme se nourrit des malaises profonds
des individus pour styliser leurs images qui sont, par leur esthétique, l’extériorisation de
leur psychologie. Le personnage principal du film Eraserhead, Henry Spencer, interprété
par Jack Nance, pourrait être un personnage influencé de l'expressionnisme allemand, par
exemple: c'est un personnage dont les traits sont marqués, montrés toujours au travers
d'une lumière très faible, parcouru par les ombres d'une ville sans vie, parcourue de détritus.
Son costume noir, terne et élimé est proche de celui de Chaplin, son visage, comme celui
du Docteur Caligari est très blanc et les cheveux très noirs. C'est un personnage ambigu
dont on ne connaît pas les désirs, mais qui semble torturé , tout le long du film, par cette
faute originelle, ce péché de la chair qu'il a commis, donnant naissance à un bébé reptile
monstrueux. Henry semble travaillé par sa culpabilité vis à vis de son enfant, partagé
entre son dégoût pour la créature criarde et son sentiment d'humanité, de paternité qui lui
chuchote de prendre soin de son bébé, et par la culpabilité vis à vis de celle qui est la mère
de son enfant, qui a fui le foyer mais qui n'est pas l'objet de ses fantasmes, occupés par
la mystérieuse voisine.
De même, The Rocky Horror Picture Show, qui est une parodie des films adaptés
du roman de Mary Shelley « Frankenstein ou le Prométhée moderne», au moins pour les
deux premières versions de James Whale en 1931, « Frankenstein » et « la Fiancée
de Frankenstein ». Frank N Furter est un personnage complexe qui doit sa richesse
et son intensité à son esthétique, elle aussi inspirée des avatars de l'expressionnisme
allemand, avec son maquillage épais et son jeu très porté dans l’excès. Quant aux
personnages secondaires du film, inutile de dire qu'ils s'apparentent tous de près ou de loin
au Docteur Mabuse, à Nosferatu ou à Frankenstein. Le personnage de Riff Raff est d'ailleurs
directement inspiré par Nosferatu, de Murnau, avec sa figure blême et triste et ses cheveux
longs filasses jaunes. Magenta, la servante, est aussi un avatar moderne du personnage
de la fiancée de Frankenstein.
Les Midnight Movies sont donc nés sur les bases esthétiques de l’expressionnisme
allemand, puisqu’ils en ont non seulement repris les thèmes, mais aussi l’esthétique, qui
dessert la dimension fantastique des films.
b. Le surréalisme au cinéma
3 Ein Stadt sucht einen Mörder, Fritz Lang , 193
14 DURAND Camille_2010
15. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
« L'un des points de départs du surréalisme est l'observation selon laquelle tout ce qui
jaillit de l'esprit, même dénué de forme logique, révèle inévitablement la singularité de cet
esprit »4.
A travers cette citation célèbre, l’on saisit l’importance prise par l’imaginaire individuel
sur la raison collective et la victoire de l’irrationnel sur le plausible, ce qui permet mieux de
comprendre pourquoi un surréaliste comme Breton s’est essayé à l’écriture automatique
et à un style très peu soucieux du cadre spatio-temporel, à l’opposé du roman réaliste, à
l’oeuvre dans Nadja.
La source d'inspiration première des Midnight Movies, qui est la plus fréquemment citée,
reste celle des films surréalistes français, mouvement situé généralement dans l'entre-deux
guerres qui a inspiré de nombreux cinéastes comme Jodorowsky et Lynch. Aragon définit
le concept de cette façon : « Le vice appelé surréalisme: emploi déréglé et passionnel du
stupéfiant image ».
Ce mouvement, qui refusait pourtant de se revendiquer comme tel, déploie dans ses
films une logique onirique de métaphores, d'associations libres de figures mythiques et de
rêves, souvenirs parfois, enchaînés, comme dans Un chien andalou, dont l'histoire est le
fruit d'une conversation entre Bunuel et Dali portant sur leurs rêves respectifs.
Les figures maîtresses sont Cocteau (Le sang d'un poète de Cocteau, sorti en 1930,
la belle et la bête, de 1946, mais surtout Orphée, de 1950.) Bunuel et Dali, dans des films
comme Un chien Andalou, 1929, l'Age d'Or qui, en 1930 dont la projection fait scandale à
l’époque.
Au tout début d’Un chien Andalou, une femme se fait trancher l'oeil à l'aide d'une lame
de rasoir, scène très choquante, même aujourd'hui où nos moeurs sont plus habitués à la
violence visuelle. Les allusions à la masturbation dans l'Age d'Or sont claires, d'autant que
le film s'attaque aux institutions qui sont le fondement de la société: la famille, la patrie et
la religion.
Le film crée le scandale à Paris, donnant lieu à des évanouissements, avortements
et dénonciations au commissariat, et ensuite à un véritable lynchage de la part de ligues
d'extrême droite qui saccagent le cinéma où avait lieu la projection. Par la suite, elles se
dérouleront sous contrôle de la police, avant d'être complètement interdites. La censure du
film ne prend fin qu'en 1981, cinquante ans plus tard.
Ces films illustrent tous d'une certaine façon le célèbre aphorisme de Breton « la
beauté sera convulsive », et incarnent un véritable rejet de la tradition française du réalisme
poétique, incarnée par Renoir, Carné ou Clair, très focalisée sur les dialogues et les
personnages populaires. Ainsi, Un chien Andalou est un film muet sans personnages, et il
n'y a pour ainsi dire pas d'intrigue. Maya Deren est celle qui a officiellement importé aux
Etats Unis le surréalisme et l’avant-garde au cinéma. Son film le plus connu, « Meshes of
the afternoon », est un film muet qui instaure une poésie basée sur des images suggestives
et remplies de mystère : une femme rêve et poursuit dans son songe une femme toute
voilée de noir, sans visage, qui promène une fleur. Puis son mari apparaît, mais le rêve
ne s’achève que lorsqu’il rentre dans la maison et la découvre morte recouverte d’éclats
de miroirs. Le court métrage multiplie les gros plans , une caméra nichée dans des angles
anormaux, des effets de disparitions créés au montage qui réussissent à recréer l’ambiance
du rêve : une atmosphère instable pour une réalité fuyante et la puissance surréelle des
objets, symboles oniriques.
4 Goudal Jean, surréalisme et cinéma, 1925
DURAND Camille_2010 15
16. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Eraserhead est basé sur cette logique du rêve, qui est en fait un principe qui va guider
Lynch tout au long de sa filmographie, de ses courts métrages également: le réel est toujours
contaminé par le rêve, et sa logique irrationnelle. Les scènes dites réalistes sont en vérité
de véritables pastiches des impératifs de clarté et de réalisme hollywoodiens, comme dans
Mulholland Drive, son film le plus populaire, où la première partie du film, centrée sur l'arrivée
du personnage de Naomi Watts à Hollywood est à interpréter au second degré, tandis que
le rêve des jeunes femmes prend la conduite de la narration. Le rêve, l'aspect illogique sont
le moteur même de l'intrigue dans Lost Highway .
Ainsi, le surréalisme et sa volonté de rompre avec les codes du cinéma réalistes, de se
focaliser sur les mouvements de l’imaginaire, du rêve, d’utiliser la logique de l’association et
de la métaphore libres plutôt que le rythme canonique de la narration est un état d’esprit qui
a eu un impact sur l’idéologie des Midnight Movies, autant sur les films que sur la manière
de les regarder.
2/ L'exemple de Freaks: la matrice des Midnight Movies
A mains égards, l'on peut considérer Freaks comme l'ancêtre, le parent de tous les midnight
movies réalisés pendant les seventies. Son statut est assez complexe, pourtant, car il a fait
partie des films diffusés à minuit dans les années 1970, alors même que c'est un film réalisé
en 1931. Tod Browning, son réalisateur, a été victime d'une censure impitoyable, puisque
sa diffusion a été interdite au Royaume Uni jusqu'au années 1950. Tourné dans un cirque
à l'aide d'acteurs non professionnels qui jouent leur propre rôle, il va au plus près de la
monstruosité, ce qui en fait un film très novateur pour l'époque. Elephant Man, le célèbre film
de David Lynch, est un hommage à Freaks, tout en retournant le thème de la monstruosité,
car le film est moins provocateur, et surtout beaucoup plus moral.
Avant sa sortie définitive, Freaks sera corrigé, car les tests effectués sur les spectateurs
sont catastrophiques, ces derniers partent avant la fin, et l'on raconte même qu'une femme
a menacé d'attaquer la production MGM en justice car le film avait déclenché sa fausse
couche. Ces premiers incidents passés et le public désertant les salles, on décide de couper
au montage les scènes les plus choquantes, notamment celles de la castration de Hercule
et de l'attaque de Cleopatra par les monstres, suggérant son viol, suivie de sa mutation
en poulet. Un nouvel épilogue est tourné, plus gai que l'autre. Mais ces modifications
n'augmentent guère les entrées en salle, si bien que même à Los Angeles, le film ne reste
à l'affiche que deux semaines. Comment expliquer qu'un film connaissant un tel échec
commercial soit considéré culte dans les années 1960, regardé comme une sorte de matrice
des Midnight Movies ?
Freaks est un film très violent, une sorte de pamphlet sur les valeurs maîtresses à
Hollywood: le culte de la beauté alliée à la vertu (cela correspond au célèbre concept grec,
kalos kagathos, allier le beau et le bon). L'intrigue se noue autour de l'opposition entre deux
camps au sein du cirque: les normaux, en minorité, composés d'Hercule et Cleopatra, et
les monstres, les Freaks. Ces groupes entrent en collision lorsque Cleopatra décide de
séduire le lilliputien Hans afin de réaliser un plan machiavélique avec Hercule, son amant:
lui dérober sa fortune. Celui ci se sépare de sa promise, Frieda, une autre freaks, séduit par
la beauté de la trapéziste Cleopatra qu'il décide finalement d'épouser. Néanmoins, celle ci,
dégoûtée par tous les monstres qui l'entourent durant le repas du mariage, finit par céder à
son horreur, et les insulte tous. Cette scène constitue le climax de l'intrigue, l'acmé, c'est à
dire le point où la tension dramatique se fait la plus forte: tous attablés autour du mariage de
Cleopatra et de Hans, les Freaks entonnent une chanson, un hymne triomphal (We accept
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17. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
her, we accept her, one of us, one of us, Nous l'acceptons, elle est des nôtres), qui sous
l'effet de l'alcool, rompt de calme de Cleo, incapable de se contenir davantage. Celle ci se
lève et se retourne contre eux, les congédiant et dévoilant par là même son mépris pour eux.
A ce moment du film, l'équilibre des forces se retourne, et la vengeance des Freaks
commence, telle une révolution.
Freaks est un film d'une étrange contemporanéité, doté d'une résonance politique
indéniable. Le film est basé sur le motif de l'inversion entre la monstruosité physique des
freaks qui est plus humaine que la monstruosité morale de deux êtres hypocrites comme
Hercule et Cleo. Ce retournement vient dénoncer les valeurs à la base de l'institution
hollywoodienne comme le culte de la beauté et du glamour, par une mise en avant de la
difformité physique. Le message est clair: la machine à rêves d'Hollywood n'est qu'une vaste
mascarade.
Dans un pays encore très conservateur, dans les années 1930, certaines organisations
puritaines, comme la National Association of Women appellent à boycotter le film qui, selon
eux, véhicule des clichés dégradants. En Grande Bretagne, le film est tout simplement
interdit pour trente ans. Au moment où la crise de 1929 touche les Américains et les contraint
à revenir à un niveau de vie archaïque, et pour les plus touchés à faire la queue pour
les soupes populaires, l'intrigue suggère aux spectateurs de ne pas s'identifier aux stars
d’Hollywood mais aux « petites gens », à des êtres qui, dans l'ombre, font preuve de plus
d'humanité que les autres. C'est une morale très singulière et novatrice pour l'époque.
Après sa sortie des affiches, le film est utilisé à des fins scientifiques, intégré dans des
publicités pour des remèdes scientifiques. La MGM va jusqu'à re-baptiser le film « Nature's
mistakes », un titre qui va à contresens de l'argumentation du film, occultant ce qu'il promeut
vraiment: l'égalité fondamentale entre tous les hommes.
La réédition du film, après la seconde guerre mondiale, sonne le début de sa re
légitimation fulgurante: le film est diffusé dans de prestigieux festivals comme Venise ou
Cannes, reconnu par la critique et le cinéma underground comme une inépuisable source
d'inspiration du cinéma fantastique. A partir des années 1960, il est diffusé régulièrement
dans les cinémas new-yorkais, et c’est parmi les cercles intellectuels, une référence
indiscutable, un film culte qu'il faut avoir vu.
Ce film va aussi être une référence commune pour Jodorowsky et Lynch, dans El Topo,
qui présente dans son casting de nombreux êtres difformes, et Eraserhead , qui transpose
la monstruosité dans la cellule familiale. Au delà de nos Midnight Movies, le film innerve la
veine fantastique chez des réalisateurs comme David Cronenberg ou Tim Burton.
Mais la réussite de Tod Browning tient dans son refus de recourir à la science-fiction,
puisqu'il utilise de vraies personnes handicapées, et s'inscrit dans leur milieu, le cirque. On
raconte d'ailleurs que le tournage a été parfois douloureux pour certains, qui ne supportaient
pas de dîner à table avec des êtres difformes.
C'est tout le réalisme de Freaks qui fait horreur et qui l’a consacré comme culte, et
c’est pour ces raisons qu’il a été diffusé, redécouvert dans les années 1960. Sa dimension
subversive vaut par son extrême réalisme. Les films de minuit ont tous plus tard exploité le
choc, le sens implicite de ce film très dissident pour l’époque .
DURAND Camille_2010 17
18. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
B. Les sixties et seventies aux Etats-Unis : un
fourmillement créatif
1/ Un climat de contestation propice aux avant-gardes
cinématographiques
La société Américaine des années 1960 connaît, comme nous le savons, des
bouleversements sociaux importants, dont les films des années 1970 sont le reflet.
Parmi ces mutations, la commercialisation de la pilule contraceptive en 1960, emblème
de l'éveil d'une sexualité libérée de tout impératif moral, le climat de contestation parmi
les étudiants qui naît d'un rassemblement autour de l'opposition à la guerre du Vietnam,
symbole du l'impérialisme américain qui est décrié, relayé par le mouvement Hippie, les
émeutes de Watts, et la lutte contre la ségrégation entreprise par Martin Luther King. Les
premiers pas sur la Lune, l'avènement d'une culture rock qui incite à la circulation de
drogues : tous ces enjeux culturels, sociaux sont en quelque sorte digérés par des films
emblématiques qui deviennent le miroir des évolutions en cours.
Psychose, de Hitchcock, sorti en 1960, provoque des réactions houleuses, en partie à
cause d'une scène, devenue mythique, qui défit la morale puritaine de l'époque, dans un
pays dont la production cinématographique reste sous contrôle du code Hays.
Cette scène conjuguait à l'époque deux éléments très subversifs: une violence visuelle
au premier plan: Janet Leigh, filmée en plan rapproché, meurt poignardée sous les multiples
coups de couteau de son agresseur, qui est à la place du spectateur, en caméra subjective.
De surcroît, Janet Leigh est nue, sous la douche : l’alliance entre sexualité suggérée et
violence est rarement portée à l'écran, condamnée par le code Hays.
Ce code de censure régissait la production des films, et fut adopté en 1934 par William
Hays5, un sénateur, et le texte rédigé par deux ecclésiastiques comprenant un prêtre Jésuite,
Daniel Lord et un éditeur catholique Martin Quigley.
Imposé à Hollywood suite à des scandales d'acteurs filmés en état d'ébriété, il a pour
ambition de diffuser une rigueur morale dans le paysage hollywoodien: ainsi, dans les
scénarios, la représentation du crime, de la sexualité de la patrie et de la religion font l'objet
d'une attention particulière. Les réalisateurs sont tenus de ne pas tourner en dérision la loi
et le drapeau américain, de maintenir une certaine décence (le blasphème, l'obscénité et
la nudité sont interdits) et de promouvoir les institutions sociales traditionnelles comme le
mariage et la famille. Le crime ne doit jamais être représenté d'une façon élogieuse, tout
comme le péché de manière générale (« the sympathy of the audience should never be
thrown to the side of crime, wrongdoing, evil or sin »6).
De 1934 à 1954, le très conservateur Joseph Breen, alors président de l' administration
du code de production, fait régner l'austérité, avant que son successeur ne relâche quelque
peu sa surveillance, jusqu'à la suppression totale du code Hays en 1966.
Le moment va être propice à la création, à l'exploration de tabous à l'écran, d'autant
plus que la fameuse règle du happy ending disparaît elle aussi en 1970.
5 Horwath, King , Elsaesser, Last great american picture show: New Hollywood cinema in the 1970s, p. 67.
6 The Motion Picture Code of 1930, www.artsreformation.com
18 DURAND Camille_2010
19. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Le Lauréat (the Graduate), sorti en 1967, de Mike Nichols illustre bien la libération des
tabous à l'écran. Il montre une histoire d'amour entre un jeune homme et une femme mûre,
et la rivalité entre une femme et sa propre fille, toutes les deux éprises de ce même jeune
homme. Ce motif quasi incestueux est très provocateur et illustre en outre deux petites
révolutions: celle du sexe en dehors du mariage et celle du démantèlement de la famille,
unité qui se désintègre complètement dans le film.
Robin Wood établit un lien entre ce phénomène de crise de l'unité familiale et le genre
fantastique. Selon lui, c'est à partir du film Psychose en 1960 que le genre fantastique
familial se développe, genre dans lequel s'inscrivent Eraserhead et La nuit des morts
vivants, de George Romero.
Eraserhead aborde le tabou de la monstruosité qui se développe au sein d'un couple,
dont la femme met au monde un bébé reptile repoussant. Nous traiterons cependant du
genre fantastique dans la seconde partie.
Les films des années 1960 et 70 vont puiser dans la richesse des évolutions sociales
pour nourrir de nouvelles problématiques cinématographiques. Les genres du fantastique
et de l'horreur sont en pleine expansion, influencés par un contexte économique et politique
singulier. Parmi des événements significatifs on trouve la récession, qui est la conséquence
des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979, portant la peur et l'angoisse économique à
leur apogée, d'autre part la reconnaissance de la maladie du Sida, qui explose durant cette
décennie, et enfin le scandale de Watergate qui éclate au grand jour en 1974, instaurant
une nouvelle forme de méfiance envers les arcanes du pouvoir et le sentiment d'insécurité.
La violence, la crainte de l'autorité corrompue deviennent des thèmes centraux, et la
provocation est au menu des avant-gardes au cinéma.
Andy Warhol et sa factory, Stan Brakhage et Jonas Mekas trouvent à New York
un terrain fertile pour la production de films expérimentaux, films qui passaient dans
certains cinémas underground, et qui ouvrent la voie aux Midnight Movies. Eraserhead est
particulièrement influencé par les expériences cinématographiques menées par les avant-gardes
des sixties, par des réalisateurs comme Brakhage qui utilisent les techniques de
superposition dans l’image, comme dans la séquence d’ouverture ou le visage d’ Henry
Spencer, à l’horizontal, apparaît superposé à ce qui ressemble à une planète, placée juste
à l’endroit de son cerveau.
Ce qui réunit cette « nouvelle vague »de réalisateurs expérimentaux, c'est la volonté
d'instituer un contre cinéma qui bouleverse les habitudes bourgeoises des spectateurs, leur
style de vie citadin: ils sont influencés par le surréalisme et le situationnisme dont l'avatar
le plus connu est Guy Debord. La ville est pour eux le lieu du merveilleux, de la licence et
de la poésie.
New York est alors le berceau d'une jeunesse qui se délecte de films provocateurs,
comme le célèbre Chelsea Girls de Andy Warhol, tourné dans un hôtel new-yorkais situé
dans le quartier de Chelsea. Le film montre, pendant trois heures, un écran séparé en deux,
filmant des moments de vie, discussions de jeunes hommes et femmes de l'hôtel ou de la
factory, jouant pour la plupart leur propre rôle. L'expérimentation touche autant à la forme,
car le dédoublement est une technique nouvelle, que la narration, qui est décousue et très
minimaliste.
Un autre film symbolique d' Andy Warhol, représentant l'avant garde new yorkaise
par excellence est Blow Job, qui, comme son nom l'indique représente en noir et blanc,
durant trente-cinq minutes un homme recevant une fellation. Tourné en 16 images par
seconde, c'est à dire à une vitesse un tiers plus lente que la norme, on ne verra dans ce
DURAND Camille_2010 19
20. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
court métrage muet que l'expression de l'homme, sans jamais apercevoir celui ou celle
qui lui fait. C'est donc une réflexion sur le voyeurisme au cinéma, car l'objectif, immobile,
frustre le spectateur, toujours désireux d'embrasser par la vue la totalité d'une scène afin
de la dominer et d'en comprendre l'économie. L'immobilité de l'objectif est accentuée par la
tension toujours grimpante de la montée vers l'orgasme, qui fait que le spectateur, n'ayant
rien d'autre à observer dans le plan, attend lui aussi la délivrance de l'acteur, sentiment
embarrassant pour le spectateur.
Dans des quartiers comme East village, Greenwich village, le Warehouse district à
Chicago, le South of market era à San Francisco, Chelsea, à l'ouest de Manhattan7, le
fameux 'funky chelsea neighborhood8, où les restaurants sont bon marché, où l'on trouve
des boutiques de nourriture diététique, bar à ambiance, où les artistes ne peinent pas à
trouver des studios bon marché ; s'épanouit la production de films expérimentaux, car les
studios y sont souvent très peu onéreux. Certains lieux deviennent des repères de la culture
underground, comme le Mini Cinema à Unionsdale, à Long Island qui a initié les séances
de minuit en 1971, ou comme Le Elgin.
Il est donc capital de saisir les Midnight Movies dans l’univers topographique,
sociologique et culturel qui a préparé leur émergence. Car ce phénomène était unique aux
quartiers alternatifs des grandes métropoles américaines, et il me serait impossible de le
relativiser dans l’espace.
2/ Une culture urbaine foisonnante : l’exemple du cinéma Elgin
comme haut lieu d’épanouissement d’une culture underground
Le cinéma Elgin, sur lequel se focalise le documentaire de Stuart Samuels, illustre à lui seul
cette ambiance typique des « revival movie houses », des sortes de cinémathèques diffusant
d'anciens classiques hollywoodiens, ou des films d'avant garde européens, endroits qui ont
souvent été les lieux de tournage des films de Woody Allen, comme dans Manhattan et
Annie Hall.
Au sein de ces lieux, le Elgin était un des cinémas les plus connus dans les années
1970.
Au départ , dans les années 1950, le Elgin était un cinéma espagnol, détenu par une
compagnie mexicaine « Azteca films », diffusant des films en version originale espagnole
car le quartier, à l'époque était habité en majorité par des Espagnols. Le Elgin prit ensuite sa
forme la plus connue à la fin des années 60, lorsque Ben Barenholtz rachète l'établissement,
et opère la transition en diffusant un film symbolique, Chelsea Girls dont nous parlions plus
haut, faisant du lieu un des bastions de la culture underground de New York. Sa devanture
un peu délabrée, son côté alternatif et la diversité culturelle de ses usagers en faisaient un
lieu hippie qui correspondait à l'état d'esprit du quartier qui, dans le passé, était un endroit
de mixité sociale.
Avec Chelsea Girls, le Elgin se lance finalement dans les séances de minuit avec El
Topo, le premier succès de ce qui deviendra au fil des années une tradition attirant des
spectateurs venus de toute la ville, tous avides de l’ambiance qui y règne. Le gérant du
7 Hawkins Joan “ Midnight sex horror movie and the downtown avant-garde”in Jancovitch Marc, defining cult movies: the cultural
politics of oppostitional taste, ,
8 Hoberman et Rosenbaum , Midnight Movies, p 193
20 DURAND Camille_2010
21. Partie 1: Origines et contexte d'apparition des midnight movies
Elgin en témoigne lui même: « We had an underground opening...and it was like the entire
60s was invited to be there »9, c'est toute une culture urbaine qui se rejoignait au Elgin.
L'article du New York Times interroge un des responsables de la distribution de ces
films qui parle cependant d'une audience très jeune et désoeuvrée qui n'a rien à faire de
mieux que de traîner en ville le soir et d'aller voir des films à minuit. Selon lui, les jeunes
de 18 à 25 ans forment le public privilégié de ces films, qui en soi n'ont rien d'original, mais
que leur diffusion à minuit rend spéciaux, attirants et mystérieux pour les jeunes citadins en
recherche de l'esprit de leur génération, de la culture des sixties.
Le cinéma Elgin était donc un lieu alternatif, et bien intégré dans son quartier, considéré
depuis déjà de longues années comme un lieu dédié au cinéma et favorable au mixage
des cultures. Il n’est pas anodin de savoir l’histoire d’un lieu qui a été le théâtre d’un
tel phénomène, car l’espace urbain est rempli de connotations que la mémoire collective
entretient comme des légendes, de bouche à oreille, le média même qui a servi les Midnight
Movies. Dans ce quartier à l’identité forte, la reconnaissance du lieu et de son emploi a
encouragé une intimité, une connivence entre les commerçants et résidents qui procuraient
au cinéma son côté familial et réconfortant. C’est dans cette inimité que naissent les cultes.
Nous avons donc vu, à travers cette première partie, que les Midnight Movies sont
le produit d’une effervescence culturelle qui se retrouve à la fois dans les avant-gardes
cinématographiques, le climat socio-politique, le phénomène de baby boomers et le
développement d’interstices alternatifs au sein des grandes métropoles américaines.
9 Ben Davis, Children of the sixties : an interview with the owners of the Elgin, , voir annexe
DURAND Camille_2010 21
22. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Partie 2 : Que sont les midnight movies
« Le réalisme n'est pas en soi une forme d'art10 »
“ A midnight movie has to be a personal vision, it has to be a total critique of society and it
has to be discovered by the audience11”
Qu’est ce qui fait d’un film un film de minuit? Comment le définir et peut-on même le
définir ? C’est la question que pose le journaliste du New York Times du 7 septembre 1975,
dans son article intitulé « So what do you do at midnight ? You see a trashy movie »,
à Jim Dudelson, de New Line Cinema, la compagnie de distribution de Pink Flamingos.
Celui-ci, troublé, lui répond « You can’t really put your finger right on it”, (tu ne peux pas
vraiment mettre le doigt dessus). Là est toute la problématique des Midnight Movies qui, bien
qu’unis dans la même catégorie par cette expression, reflètent des diversités stylistiques,
thématiques indéniables.
Nous tenterons dans cette partie de capter, en confrontant à la fois ce qui relève de la
forme et ce qui appartient au fond de ces films, ce qui les réunit et scelle leur appartenance
au même groupe, justifie leur projection à minuit.
A. Une tentative de définition par le genre.
Les Midnight Movies appartiennent ils au même genre ?
Un genre au cinéma est ce qui permet de catégoriser les films entre eux selon
leur caractères propres : l’esthétique des images, l’intrigue, le recours ou non aux effets
spéciaux, au surnaturel, les thèmes abordés et bien d’autres paramètres rentrent en compte
pour déterminer un genre.
Selon Stuart Samuels, une des caractéristiques communes des Midnight Movies est
qu’ils proposent tous une vision très personnelle. Comment comprendre cette expression
vague ?
1/ Le genre expérimental
Ces films sont souvent jugés excentriques, illustrant une déviance thématique ou esthétique,
donc classés comme expérimentaux et avant-gardistes, car ils utilisent des techniques
narratives et matérielles nouvelles visant à faire parler la forme même de l’oeuvre. On cite
souvent parmi leurs sources d’inspiration, leurs précurseurs, Andy Warhol ou Maya Deren.
La terme avant-garde a été importé de l’armée, où il désigne la première ligne de
combattants, celle qui affronte en premier l’inconnu. Dans le domaine artistique, on distingue
10 Carl Theodor Dreyer, Réflexions sur mon métier, cahiers, 1983, p 97.
11 Stuart Samuels in « a new time for midnight movies », International Herald Tribune,22.06.05, Lewis Beale.
22 DURAND Camille_2010
23. Partie 2 : Que sont les midnight movies
selon Paul Young12 le film expérimental de la production commerciale grand public par sa
dimension esthétique, idéologique et/ou politique, sa capacité à contester la tendance à la
stabilité, au réalisme et à la clarté qui est à l’oeuvre dans les films et surtout à « contester
les limites du symbolique ». Ainsi Le Grice13 délimite huit caractéristiques permettant, dans
un film, d’explorer les différentes possibilités du cinéma, et donc d’entrer dans le genre
expérimental : le travail sur le dispositif de la caméra, l’invention de nouvelles formes
narratives, la création de nouvelles formes d’organisation du discours, la diffusion d’images
occultées par la société, l’engagement politique, la capacité à articuler le cinéma avec
d’autres arts comme la philosophie ou la peinture, et le fait d’établir, créer par le cinéma un
autre monde, une altérité qui répond à ses propres codes.
Les Midnight Movies illustrent-ils la prise en compte, le travail d’une ou plusieurs de
DURAND Camille_2010 23
ces perspectives ?
El Topo joue avec les codes du cinéma et a une vision très poétique du scénario,
car l’intrigue n’est qu’un prétexte aux images, qui se succèdent les unes aux autres, non
selon une logique narrative, mais plutôt au gré des métaphores et du visuel, comme dans
la tradition surréaliste de Dali, Bunuel qui ont révolutionné le genre expérimental. Il s’agit
pour lui de briser l’idée de rationalité qui conduit l’intrigue en mettant en place une forme
mythique, poétique de dramaturgie. Le début du film nous introduit bien à la décadence
narrative du film, car il frise l’absurde. Après avoir tué, de la main de son fils, le dernier
survivant d’un massacre de sanguinaires dans une ville, el Topo arrive dans une contrée
désertique où trois bandits vivent. Ces derniers passent leur temps à deux activités très
loufoques compte tenu du contexte : manger des bananes et caresser avidement des
chaussures à haut talons, qu’ils collectionnent. Cette caractéristique est complètement
invraisemblable : le spectateur s’attend, au lieu de trois fétichistes, à trouver en de tels
bandits des hommes aux moeurs dures et viriles.
Dépourvu de sens, d’ancrage spatio-temporel, cet incipit fait la belle part au gratuit et
à l’absurde. La violence visuelle est très présente dans le film, vraiment gore, et surtout
non légitime : il n’y a pas de morale dans le film, et on nous montre le pire sans aucune
explication, sans aucune excuse. Le personnage principal ne semble d’ailleurs pas affecté
par ce qu’il voit, et demande à son fils d’achever le massacre, et ce alors même qu’un
survivant fait appel à sa pitié. C’est un anti-héros : il abandonne son fils, qu’il a initié
et éduqué à la violence, pour poursuivre son chemin avec une femme. Le film est dans
le sillage du surréalisme et de Maya Deren, une des précurseurs aux Etats-Unis du
surréalisme au cinéma.
Eraserhead constitue un des- sinon le- films les plus expérimentaux de Lynch, c’est
pourquoi je m’attarderai plus sur cet exemple.
Le modèle de narrativité est complètement déviant, car il est sans cesse contaminé par
le rêve, qui est la seule porte de sortie d’un environnement hostile où le végétal est absent,
où la couleur, la vie, l’animation paraissent à jamais perdus. Les errances de Henry dans
son quartier sont marquées par la solitude la plus totale, le passage de longs tunnels dans
l’ombre.
Lynch dira dans son interview avec Chris Rodley qu’il a voulu recréer le Philadelphie
de son enfance, sa banlieue et ses usines, ses fumées industrielles et parvient ainsi à créer
un univers totalement autre, presque futuriste, où le soleil ne brille jamais, où le vent siffle
12 Le cinéma expérimental, Paul Young, Taschen
13 Cinémas d’avant-garde, Nicole Brenez
24. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
en continu tel un murmure de fin du monde. La scène du songe dans le radiateur montre
comment la logique du rêve, de l’irrationnel conduit le récit, et occulte les principales normes
narratives d’un film. La définition des personnages est floue, dès le départ, on ne saura
jamais qui est Henry Spencer et ce qu’il éprouve pour Mary , la mère de leur enfant qui
le quitte peu après le début de leur vie commune. De leur histoire commune, rien n’est
dit, si bien que le spectateur est aussi surpris que l’est Henry d’apprendre que Mary a
mis au monde un bébé. On devine qu’il éprouve une forte attirance pour sa mystérieuse
voisine,avec qui il a eu une relation sexuelle, mais celle-ci reste dans l’ombre, comme c’est le
cas des autres personnages du film, qui sont des ombres fuyantes, des fantômes dans cette
cité industrielle désaffectée. Puisque Henry essaie de se réfugier dans le rêve, dans le songe
du radiateur, qui est une sorte d’Eden où Henry est apaisé par la présence d’une femme aux
joues démesurément grosses, qui chante en souriant « In heaven, everything is fine.. », tout
le reste, le morne quotidien reste de l’ordre de l’implicite. Le spectateur est invité à faire ses
propres suppositions, à se servir de son imagination pour comprendre ce qui se passe entre
la voisine et Henry, lorsque le bain lacté, qui est la transformation fantasmatique des draps
du lit de Henry les happe sous la surface : le liquide laiteux dans lequel le couple s’enfonce
suggère l’acte sexuel. Lynch rompt totalement avec le modèle traditionnel de narration. Dès
le prologue, où nous est montrée une planète qui est la métaphore du cerveau, le film est
placé sous le signe de l’imagination et du rêve.
Plus que les personnages, les dialogues et l’action, ce sont les matières et les sons
qui permettent de mieux comprendre ce qui est en jeu dans Eraserhead. Le film bouleverse
complètement nos habitudes perceptives.
Après la sortie du film, une rumeur circulait sur la bande son du film, qui affecterait
le subconscient du spectateur par un bourdonnement de très basse fréquence, presque
inaudible, donnant la nausée14.
Le son donne, il faut bien le reconnaître, un sentiment de malaise continu, car il n’est
composé que de rumeurs d’usines, sifflements de trains, murmures de machines, sortes de
leitmotiv sonores qui contribuent à faire ressentir le silence du film, très avare en dialogue,
et faire par le même coup ressortir les cris assourdis du bébé montres.
Par exemple, lorsque Henry rentre dans son hôtel, le son n’est composé que du bruit
de fonctionnement de l’ascenseur et de ses portes s’ouvrant et se refermant, alors qu’en
arrivant près de sa porte se fait entendre une musique de jazz, suggérant l’univers subversif
de sa sulfureuse voisine. Le son est comparable à une voix off, expliquant au spectateur ce
qu’il ne peut deviner par les dialogues, et par sa richesse, le son comble le vide des images.
Le son qui représente le bébé monstre est un son d’eau qui boue : c’est un son
ronronnant, qui fait sentir au spectateur la présence du bébé, car il imite en quelque sorte
sa gêne respiratoire. Eric Dufour15 donne une fonction sensitive au son, qui selon lui donne
une image de la matière des choses, et, dans cette scène, du bébé : « A l’image du bébé
couvert de pustules et secoué par des spasmes correspond le bruit de l’eau qui boue, le
halètement et le bruit du vent. »
Ainsi, l’expérimentation par le son dans Eraserhead est vouée à suppléer au langage
du champ visuel, qui est évasif et incomplet.
Eric Dufour explique ainsi : « à la raréfaction de l’image s’oppose la saturation du son
qui grouille d’un monde qu’on ne voit pas et dont il ne se contente pas d’indiquer la présence
14 Zizek Slavoj, Lacrimae rerum p 89
15 Eric Dufour, David Lynch : matière, temps et image, p 27
24 DURAND Camille_2010
25. Partie 2 : Que sont les midnight movies
puisqu’il la représente au ses littéral du mot. Le vide des zones visuelles traversées par
Henry s’oppose à la plénitude des zones sonores (…) ».
Le monde que crée David Lynch de toute pièce travaille également la matière, dans
un monde industriel composé de trous, de tas de terres, de flaques et de boue sans trace
de verdure, qui est un entre deux. Durant la scène du repas chez les parents de Mary, au
moment où Henry tente de découper le poulet, un liquide sombre s’échappe du postérieur ,
suggérant , comme un présage le fluide vaginal monstrueux qui symbolise la naissance du
monstre. Il trace par là un pont entre son cinéma et l’art plastique.
Mais que penser de Pink Flamingos ou du Rocky Horror Picture show, si l’on considère
les exigences du cinéma expérimental ? Ces films sont loin d’illustrer une recherche
esthétique, iconique typique au genre expérimental, même s’ils diffusent des images d’une
société qui sont traditionnellement occultées. The Rocky Horror Picture Show expose le
tabou de la transsexualité, et celui de l’adultère, dans une moindre mesure : Frank N Furter
parvient à séduire Janet autant que Brad, dans deux scènes parallèles avant que Rocky
soit découvert par toute l’assistance avec Janet, nus, après consommation de l’acte sexuel.
Mais on ne peut pas pour autant parler d’expérimentation visuelle ou dramaturgique, car
rien ne sort des canons de la parodie, qui par définition recycle des situations, des clichés,
un cadre d’une oeuvre pour la tourner en dérision. Naturellement, on pourrait considérer
la parodie en elle-même comme une forme d’expérimentation, en tant qu’elle pervertit
un genre établi, mais sur le plan formel, le film ne présente aucune trace de recherche
cinématographique.
Mais Pink Flamingos va bien plus loin dans son traitement du tabou, car il le pousse
jusqu’à la perversion, et met des images sur des travers sexuels encore jamais portés à
l’écran : la coprophagie, la zoophilie, l’inceste et l’exhibitionnisme. Raymond Marble s’amuse
à exhiber son sexe devant les jeunes filles qu’il rencontre, tandis que le fils de Divine invite
une poule et la tue lors d’un rapport sexuel avec une femme espionne, qui se trouve couverte
du sang de la bête. Ces deux scènes sont encore, quarante ans après , très choquantes
pour le spectateur.
Pink Flamingos est une comédie sur le mauvais goût, que John Waters érige en principe
originel du divertissement « To me bad taste is what entertainment is all about »16, et
l’explique dan son essai Shock value, publié en 1981 : « if someone vomits watching
one of my films, it’s like getting a standing ovation ». Plus qu’une recherche d’un nouveau
langage esthétique au cinéma, le film se singularise par son extrême provocation. Pourtant,
à sa sortie, le film est très remarqué par les avant-gardes et les critiques de cinéma.
Le New Yorker va jusqu’à le comparer à Un Chien Andalou, tandis qu’ Andy Warhol l’a
personnellement recommandé à Fellini, ce qui peut surprendre un peu. Pink Flamingos
n’est pas un chef d’oeuvre ayant des qualités esthétiques intrinsèques, ne révolutionne pas
le style de narration. Le film est au contraire, comme l’Urinoir de Duchamp, une insulte
à l’art bourgeois classique , une provocation , comme une blague qui secoue les grilles
d’interprétation filmique des spectateurs . Montrer aux spectateurs un acteur ingérer les
excréments d’un chien, c’est un moyen de faire ce qu’on appellerait aujourd’hui du « buzz
médiatique », et donc d’avoir un impact sur les consciences individuelles.
Il est donc difficile, après avoir examiné notre corpus de rassembler les Midnight Movies
dans le genre expérimental, car si les images de Eraserhead et El Topo dénotent une
préoccupation formelle, une recherche plastique indéniables, les autres films ne sont pas
dans le même cas et arborent une esthétique plus canonique.
16 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum p 327
DURAND Camille_2010 25
26. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
2/ Le genre fantastique
Pour essayer de comprendre ce qui fait la cohérence des Midnight Movies, nous posons
maintenant l’hypothèse du genre fantastique qui, selon rené Prédal,17 se définit par
l’absence d’opposition, « le constant balancement entre le réel et l’imaginaire ».
Robin Wood18, critique de cinéma, rattache le genre fantastique à des problématiques
psychanalytiques, car les films fantastiques « reflètent spontanément certaines attitudes
symptomatiques du malaise collectif ». Il se représente le film d’horreur (compris en anglais
comme genre fantastique, car « horror movie » se traduit comme film fantastique), comme
« l’expression dramatisée d’un cauchemar collectif ». Celui si se concrétiserait par la
présence récurrente de formes d’altérité par rapport à la norme, se manifestant tantôt sous
forme du monstre, comme dans Eraserhead, tantôt sous forme d’êtres provenant d’un
monde différent, comme le monde de l’au-delà dans La nuit des morts vivants, la planète
« transexual transylvania » pour les proches de Frank N Furter dans The Rocky Horror
Picture Show, le monde du désert, irrationnel, dans EL Topo et, dans une moindre mesure,
le monde de Divine de Pink Flamingos, situé dans sa caravane. Cette altérité symbolise la
non-conformité, le rejet des normes sociopolitiques (le refus de l’ordre dominant, patriarcal
et hétérosexuel) et l’affirmation d’une contestation de leur légitimité. Selon Robin Wood, le
noyau dur du fantastique dans les films des années 1960 -70 se situerait dans le thème de la
famille, un espace privilégié pour le développement de l’altérité, du fameux « unheimlich »,
cette inquiétante étrangeté qui rompt avec un sentiment de confort quotidien . Ce concept
freudien à l’origine est bien illustré dans Eraserhead, puisque l’intrigue se déploie autour
d’un monstre né d’un couple, né de la chair d’une femme biologiquement normale.
Une scène importante du film éclaire bien le concept de unheimliche. C’est donc la
scène du repas, où Henry arrive chez ses beaux parents pour partager le dîner. Cette
situation est un topos du cinéma : la présentation du futur gendre aux parents est un
archétype, une sorte de déjà vu au cinéma. Pourtant, la scène est inquiétante : dans le
foyer sombre, seule une lumière basse nous donne à voir les visages froids et gênés
des convives, qui se taisent tous excepté le père et la configuration des places donne le
sentiment qu’ Henry passe un interrogatoire, épaulé à sa gauche par le père, qui préside
la table, face à la mère et la fille.
La scène bascule alors à la fois dans le grotesque et l’étrange, lorsque Henry, sur la
demande pressante du père, qui lui fait subir une sorte de mise à l’épreuve par cet acte,
commence à découper une des cailles qui sont présentées sur la table. A peine la fourchette
plantée, un liquide sombre commence à s’échapper de la caille par son derrière, dont le
flot est activé par les mouvements des cuisses arrières. Henry, stupéfait, seul dans le plan,
sous une lumière criarde, observe alors la réaction des deux femmes, en contre champ,
comme si l’événement avait un rapport avec elles, avec la féminité en général. Sa belle
mère, médusée, est soudain transportée, les yeux révulsés, comme prise de convulsions
légères , puis graduellement plus marquées, comme si elle était proche de l’orgasme, avant
finalement de quitter la table, suivie de peu par sa fille qui semble paralysée par la honte.
Juste après, Henry apprendra que Mary était enceinte de lui, et qu’elle a mis au monde
un bébé pas très normal (elle prononce cette phrase énigmatique mythique : « They don’t
know yet if it is a baby »). Cette scène qui passe des topos au grotesque et à l’angoisse
confirme cette importance du motif de la famille dans le cinéma fantastique qui est le théâtre
de la monstruosité.
17 René Prédal, Le cinéma Fantastique, 1970, Seghers
18 Robin Wood in Cauchemars Américains: le fantastique et l’horreur dans le cinéma moderne, Franck Lafond p. 25.
26 DURAND Camille_2010
27. Partie 2 : Que sont les midnight movies
Robin Wood19 rattache cette caractéristique aux phénomènes sociaux qui fragilisent les
traditions patriarcales, comme l’émergence du féminisme. Il explique que le film fantastique
est, depuis les années 1960, dominé par cinq motifs, que l’on retrouve dans les Midnight
Movies : le monstre comme être humain psychotique ou schizophrène, la vengeance de la
nature, la satanisme, l’enfant comme objet terrifiant, dont eraserhead est l’illustration la plus
célèbre, et enfin le cannibalisme, qui est à l’oeuvre dans La nuit des morts vivants de George
Romero. Néanmoins, en dépit de la présence de ces deux dernières caractéristiques , on
se rend compte que les autres ne sont pas représentées , et par conséquent que le genre
fantastique ne suffit pas à rendre compte de ce qui fait l’essence des Midnight Movies .
3/ Le mélange des genres
Comment classer El Topo dans le genre fantastique ? L’errance du cow-boy est davantage
une quête métaphysique, qui fait appel à l’horreur autant qu’à l’humour, sans se soucier de
situer son intrigue au sein de la famille, sans même établir de séparation entre le monde
normal et l’altérité, qui s’interpénètrent constamment. Il n’y a pas de normalité dans El topo,
tout y est métaphorique et illogique.
Quant au Rocky Horror Picture Show, même si son intrigue initiale répond aux codes
du genre fantastique, par la présence d’un monde parallèle, celui de la planète « transexual
transylvania », qui est contenu dans le château, qui en est la métonymie, le motif de la
comédie musicale met en exergue le dispositif ironique du film, et désamorce la portée
de l’imaginaire et de l’irrationnel du film. L’altérité n’est donc pas physique comme dans
Eraserhead mais de nature sexuelle car ce sont des êtres transsexuels, et il n’y a pas
de différence fondamentale entre le couple de normaux que forment Janet et Brad et les
prétendus extra terrestres de la planète Transylvania. Même la créature crée par Frank,
Rocky, n’est pas étrange en tant qu’il est très humain, bien que naïf, et cède à la pulsion
hétérosexuelle avec Janet. Dès lors, ne restent de fantastique que le maquillage, les
déguisements, le château et leur origine, qui sont davantage les attributs de la comédie
musicale que ceux du genre fantastique.
Pink Flamingos, tout en décrivant l’altérité fondamentale d’une famille à travers sa
perversité, montre combien cette qualité est plus répandue que l’on ne le pense, puisque
l’intrigue est basée sur la rivalité entre la perversité de Divine et celle du couple qui capture
des jeunes femmes pour les faire féconder par leur majordome et revendre leur bébé aux
couples lesbiens.
Malgré le dégoût que l’on éprouve devant des scènes comme celle où Divine ingère
les excréments d’un chien, le cinéma nous rend toujours sympathiques les héros qu’il met
en scène, et Divine, ainsi que sa famille, n’y échappent pas. Les scènes dans la caravane
nous inspirent un sentiment de « heimlich », de normalité et de familier, malgré tout le
grotesque et la laideur de la mère de Divine, qui passe son temps dans un parc pour bébé
à manger des oeufs, elle nous inspire de la sympathie et surtout le sourire. John Waters,
à partir d’un film trash et très choquant, parvient à rendre humains des êtres déviants et
psychologiquement déficients, par le détour du grotesque et du rire. Là encore, c’est le
réalisme qui fait obstacle au fantastique, car la nécessaire altérité sur laquelle repose le
dispositif fantastique qui, selon la formule de Todorov, est une hésitation entre l’étrange et
le merveilleux, n’est qu’allégorique : elle n’est pas physique mais morale, car ce sont des
19 Robin Wood, le retour du refoulé , danscauchemars américains : fantastique et horreur dans le cinéma moderne, Franck
DURAND Camille_2010 27
Lafond p 20
28. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
gens aux moeurs différents. Malgré le maquillage outrancier de Divine, celle-ci n’est pas
considérée comme un monstre, malgré sa grosseur.
Dans ces deux derniers films (le Rocky Horror et Pink Flamingos), il y a une autre
caractéristique, plus évidente, qui vient ajouter à la complexité du genre et ne s’accorde
pas tout à fait avec le fantastique: c’est la présence soutenue d’une musique Rock ‘n roll,
du style musical né des sixties, qui accompagne l’action des protagonistes et la commente.
Dans le Rocky Horror, il s’agit d’une musique qui est dans le champ, car les acteurs
chantent et dansent à son rythme, le tout aboutissant à un dispositif théâtral. Le maquillage
exagéré, l’arrière plan sexuel, le jeu avec la circulation des genres et des identités sexuelles,
l’ambiance festive et encline à la rêverie, toute la philosophie du rock ‘n roll est là. ( « Rocky
Horror did make a rich connection between movies and rock ‘n roll- so much that it could
remain meaningful for successive generation of American kids »20)
Dans Pink Flamingos, la musique est hors champ, elle se fait caution d’un univers
comique et grotesque, invitant à prendre au second degré des scènes qui seraient
choquantes. Les chansons commentent même les images, guidant le spectateur dans sa
recherche de cohérence, comme dans la scène où Divine sort en ville de sa voiture, très
apprêtée et, d’un pas coquet, gardant la tête haute se dirige vers le centre , accompagnée
d’une musique pop pour adolescents qui dit : « Girls can’t help it if they are born to
please » ( les filles ne peuvent rien au fait qu’elles sont nées pour plaire). La musique
introduit une distance ironique qui adoucit la violence des images.
On voit donc que la définition d‘un genre d’appartenance aux Midnight Movies est
sujette à débat car ils sont un mélange, une association de sensibilités et d’éléments
très divergents. On pourrait tout simplement postuler que les Midnight Movies sont
essentiellement éclectiques, mélangeant et recyclant les genres de façon ludique pour
ensuite en dresser la critique : ce sont des films hybrides qui se jouent des conventions
propres aux genres.
Par exemple, El topo est un mélange entre western spaghetti, film gore, film
métaphysique liturgique et film surréaliste. Le dispositif est celui du western, le héros
est un cow-boy qui enlève une belle femme, mais l’histoire ressemble davantage à une
quête mystique, et le traitement visuel correspond au genre surréaliste, qui a le souci des
symboles.
Eraserhead concentre en lui le genre fantastique, le film d’horreur et le voyage
métaphysique intérieur, le film ayant souvent été rapproché du célèbre film de Kubrick,
2001 : A space oddity, en particulier la scène du songe dans le radiateur, selon Olivier
Smolders21 en ce qu « ’elle inscrit le destin de l’homme dans sa dimension cosmique et
métaphysique ».
Pink Flamingos rassemble autour de lui aussi bien les profanes avides d’un spectacle
comique qui repousse les limites du gore que les érudits se gaussant du mauvais goût et
de la provocation du spectacle : le film réunit les couches populaires autant que les snobs.
Néanmoins, il ne présente pas les caractéristiques du film d’horreur. Selon Hoberman,
« Waters sets out to test te limits of hippie tolerance », c’est donc bien un défi pour les
spectateurs et non un film crée pour les fasciner.
20 Midnight Movies, Hoberman et Rosenbaum
21 Olivier Smolders, Eraserhead, Yellow Now 2005
28 DURAND Camille_2010
29. Partie 2 : Que sont les midnight movies
The Rocky horror n’a pas bénéficié de cette caution des avant-gardes mais réunit des
éléments très divergents de la culture moderne22 : il fait appel à un dispositif de film d’horreur,
mais par le jeu médiocre des acteurs, l’omniprésence de la musique rock et le décor un
peu « carton pâte », invite au rire. Selon Hoberman, le film est un concentré de la culture
anglo-américaine d’après guerre : le goût pour les vieux films de montres, la naissance du
rock’n roll, Elvis Presley, les Hippies, les drogues et même un soupçon de punk : tous ces
éléments en ont fait un film indémodable à l’image du rock n’ roll qui ne l’est jamais devenu.
Nous voyons donc bien, après avoir constaté la pluralité des genres auxquels les
midnight movies font appel, que le concept stable de genre ne suffit pas entièrement pour
décrire et rassembler les midnight movies , car ces films sont chacun des « melting pot »
culturels, des creusets réunissant des genres différents .
B. Une convergence thématique : La perversion.
Il serait alors plus pertinent de saisir la cohérence des Midnight Movies par les sujets qui les
traversent. Selon Stuart Samuels, la deuxième caractéristique qui unit ces films est qu’ils
constituent tous une critique totale de la société, ce qui signifie qu’ils attaquent tous une
critique totale de la société.
Le premier outil de critique est l’utilisation d’un héros marginal, un héros de la contre
culture, excentrique, qui est vecteur de la critique. C’est le cas du héros d’ El topo, interprété
par Jodorowsky lui-même qui est l’image de la rébellion face à la morale, puisqu’il est cruel,
sanguinaire et sans pitié.
L’héroïne de Pink Flamingos est dès le début singularisée et pointée du doigt comme
« the filthiest woman alive », elle est donc à l’encontre des normes sociales et brise les
tabous les plus ancrés dans la société, comme celui de l’inceste, car le film la montre
procédant à une fellation sur son fils, un fait hautement blâmé dans la plupart des sociétés.
Tous les tabous de la société sont représentés, exposés afin de faire exploser les limites
du représentable et la morale bourgeoise. John Waters attaque les normes sociales en
montrant que la perversion, la déviance sexuelle peuvent être un idéal de vie, celui de
Divine qui l’assume avec fierté, prête à tout pour défendre son titre de femme la plus
dégoûtante sur Terre. Gary Edgerton voit à travers les midnight movies23, la cristallisation
du cas de la perversité féminine. Celle-ci serait une attaque directe à la tradition patriarcale,
au stéréotype de la femme soumise.
Dans les Midnight Movies, on remarque en effet une représentation complexe et parfois
même menaçante de la sexualité féminine. Dans Eraserhead, par exemple, la féminité est
effrayante, que ce soit celle de la mère, prise de sursauts extatiques lorsque Henry découpe
le poulet à table, puis essayant d’aguicher Henry un peu plus tard, ou la fille qui accouche
d’un bébé reptile alors même qu’Henry croyait que leur relation était finie depuis longtemps.
Dans le Rocky Horror, Janet est celle qui franchit le plus facilement, le plus tôt le pas
de l’adultère, ne résistant ni aux charmes du transsexuel Frank, ni au charme juvénile de
sa créature avec qui elle consomme l’acte sexuel.La sexe est un jeu de rôle dans Rocky
Horror, et Frank est le chef d’orchestre de cet hymne, de cette symphonie. Le personnage de
22 Aude Weber-Houde, Le Panoptique, 2007
23 In the eye of the Beholder: Critical perspective in popular film and television, Gary edgerton, Michael Marsden, Jack Nachbar
DURAND Camille_2010 29
30. Les Midnight Movies: une « espèce » cinématographique disparue ?
Frank est profondément paradoxal : il assume et affiche sa féminité mais a un comportement
entreprenant, viril, ce qui fait de lui un personnage hermaphrodite, androgyne, un héros qui
transcende les genres. Cet arrière plan sexuel subversif se retrouve même dans El Topo,
mais dans une moindre mesure. Les bandits rencontrés dans le désert sont fétichistes et
procèdent à des attouchements sur des chaussures à talons qu’ils collectionnent comme
autant de métonymies de la féminité.
Les Midnight Movies sont donc marqués par une problématique culturelle de plus en
plus visible dans la société, qui est la question de la différence en sexualité, et apparaissent
révolutionnaires sur ce plan. Marcuse24 montre que la perversion défie le fondement de
la société capitaliste en faisant de la sexualité un acte autotélique, en ne le soumettant
pas au principe de performance qui structure et régit la société ». Cet engagement critique
contre les normes sexuelles, à travers la représentation d’un héros déviant et de son attitude
excessive est donc un élément clé du succès des Midnight Movies, et une des raisons du
culte dont ils sont l’objet.
C. Un midnight movies est un film culte, produit de
son audience.
1/ Description d’un public singulier
La troisième caractéristique des Midnight Movies, citée par Stuart Samuels, n’est pas un
facteur interne aux films mais une spécificité externe : ce sont les spectateurs qui consacrent
les films de minuit pour en faire des films cultes. Autrement dit, les Midnight Movies se
doivent d’être découverts par l’audience pour devenir cultes.
Il n’y a pas à proprement parler d’études sur l’audience des midnight movies, mais
certains documents d’archive, comme ceux que j’ai pu retrouver dans les archives du
New York Times, nous aident à cerner ce qui se déroulait vraiment durant ces projections
nocturnes. Un article du 7 juillet 1995 revient sur le sujet : « the midnight movies have
attracted inexplicably large and loyal cult followings that make what happens in the audience
as interesting as what happens on screen or on stage ; whether it’s water pistols suirted
into the crowd during the rain scene or fans playing catch and response with the screen, the
rocky horros picture show is a movie experience ».
Ainsi, les séances de minuit étaient de véritables shows où la scène était ce qui se
jouait parmi les spectateurs qui interagissaient, s’arrosaient d’eau avec des pistolets à eau
pendant la scène de la tempête, jouent à des questions réponses pour se faire deviner les
répliques. A cet égard, on peut considérer le Rocky Horror comme le film le plus culte de
tous les midnight movies, car c’est le seul à avoir attiré des foules déguisées , en délire,
revenant après des dizaines et des dizaines de fois . Ces séances étaient de véritables
événements sociaux , « like a party », selon les mots d’ Andy Warhol25 ,où les spectateurs
se lèvent, crient, reprennent à pleine voix les chansons entraînantes du film, une audience
qui , selon la critique de cinéma Pauline Kael , est « excitée, satisfaite par les images les
24 Marcuse, Eros et Civilisation
25 Cutting Edge
30 DURAND Camille_2010
31. Partie 2 : Que sont les midnight movies
plus choquantes et révoltantes », un public qualifié par les journaux de l’époque comme
le New York Times de « rock’n’roll film type audience », qui prend de la drogue, envoie
des projectiles et de la nourriture dans la salle, s’esclaffe ouvertement, drague son voisin
et même parfois vomit.
Dans The cultural economy of fandom , John Fiske donne une analyse précise du
phénomène de participation, d’interaction entre les spectateurs et la salle .
L’objet de culte, le film passe d’un objet d’art à un événement social. Selon lui, le Rocky
Horror inaugure un spectacle qui se trouve dans la salle, une sorte de carnaval de fans,
déguisés à l’image de personnages du film, inventant de nouvelles répliques ou changeant
complètement le texte principal en le pervertissant : à travers cette participation, la distance
séparant un objet de fiction de l’audience est abolie, et les spectateurs sont immergés dans
la fiction.
Par exemple, quand le narrateur du Rocky horror, cette voix off, décrit les nuages de
l’orage qui sont « lourds, noirs et tombants », le silence précédant cette réplique est remplit
par la voix des spectateurs qui s’écrient « décrit tes testicules ». Ceci montre ce processus
d’appropriation du film par les fans qui développent les dialogues, leur donnent un nouveau
sens plus comique, cette activité contribuait à souder les communautés de fans, émetteurs,
producteurs d’une culture secondaire et co-constructeurs de l’objet de culte.
2/ Le film culte : définition et analyse
Umberto Eco26 explique qu’un film culte doit apporter un monde assez riche pour que ses
fans puissent en citer les passages, en imiter les personnages et épisodes, créer des quizz
et jouer à des jeux basés sur lui. C’est un film qui rassemble tous les autres, qui peut être
divisé en parties, scènes qui sont auto suffisantes et qui résument à elles seules l’esprit de
la totalité. « to transform a work into a cult object, one must be able to break, dislocate,
unhinge it so that one can remember only parts of it, irrespective of their original relationship
with the whole”. Pour transformer un film en un objet de culte, on doit être en mesure de la
casser, de le disloquer, de le diviser de telle façon qu’on se rappelle seulement des parties,
sans prendre en compte leur relation avec l’ensemble.
Ce programme est bien respecté par tous nos Midnight Movies, même dans
Eraserhead, qui pourtant encourage moins à une participation orale que les autres, la
narration passe au second plan derrière les images. Les scènes comme celles du songe
dans le radiateur ou celle du repas de Henry chez les parents de Mary restent plus
en mémoire , quand on évoque le film, que l’intrigue générale, qui n’a pas une grande
signification.
Les séances de minuit apparaissent effectivement comme de véritables rituels dotés
de leur propres codes : fumer, se lever, crier, protester, rituels qui se répètent, deviennent
des habitudes de fans et rythment leur soirée. L’historien Adams Sitney27 a même comparé
l’audience des midnight movies à celle de la messe, pour qui ces films sont des ersatz de
religion.
26 Umberto Eco, Casablanca ou la renaissance des dieux (1975) in La guerre du faux
27 Hoberman et Rosenbaum, Midnight Movies, p 32
DURAND Camille_2010 31