2. 2
Kaïros, sisyphes et zombies
C O N C E P T I O N E T M I S E E N S C E N E O S K A R G O M E Z M A T A
A V E C L A C O L L A B O R A T I O N D E E S P E R A N Z A L O P E Z - L ’ A L A K R A N
Textes Perú C. Sabán et Oskar Gómez Mata
Assistante mise en scène Delphine Rosay
Dispositif scénique, vidéos, photographies Chine Curchod, Régis Golay, Oskar Gómez Mata
Construction machines Stéphane Golay
Construction maison d’oiseau Philippe Joner
Coordination scénographique Claire Peverelli
Direction technique Philippe Maeder
Création son Serge Amacker
Création lumières Michel Faure
Régie lumières Loïc Rivoalan
Régie son Christophe Bollondi
Costumes Isa Boucharlat
Production et diffusion Barbara Giongo
Administration Sylvette Riom
Avec M a r i a D a n a l e t , O s k a r G ó m e z M a t a , M i c h è l e G u r t n e r , E s p e r a n z a L ó p e z , O l g a O n r u b i a ,
V a l e r i o S c a m u f f a
Coproduction : Compagnie L’Alakran, Comédie de Genève – centre dramatique, Espace Malraux,
scène nationale de Chambéry et de la Savoie.
avec le soutien du Festival BAD de Bilbao, du Grand Marché – centre dramatique de l’Océan
indien, de L’Arsenic – centre d’Art scénique contemporain (Lausanne) et du Théâtre du Grütli
Et l'aide de l'Organe genevois de répartition des bénéfices de la Loterie Romande, de Pro Helvetia
- Fondation suisse pour la culture, du Pour-Cent culturel Migros et de la Fondation Ernst Göhner.
La Compagnie L’Alakran bénéficie du soutien de la République et Canton de Genève et du
Département de la culture de la Ville de Genève. La tournée 2011 reçoit l’aide de Pro Helvetia –
Fondation suisse pour la culture.
L e s p e c t a c l e e s t d é d i a à S e r g e A m a c k e r , n o t r e a m i e t c o m p a g n o n d e t r a v a i l
4. 4
Mais que fait L’Alakran ?
Par sa manière particulière de travailler et de
concevoir ses projets, la Compagnie L’Alakran
produit des spectacles immédiatement
identifiables. Elle crée son propre répertoire,
à la façon des chorégraphes en danse
contemporaine.
Les projets de l’Alakran se construisent à
partir d’une idée, d’un thème, autour duquel
Oskar Gómez Mata organise le travail; ces
thèmes sont le point de départ d’une chaîne
qui s’alimente d’éléments dramaturgiques, des
répétitions également, et aussi des tournées,
des stages et des ateliers. Toutes les étapes
de la création sont des pièces indépendantes,
des objets finis, mais qui font partie d’un
processus de réflexion plus global qui les lie.
Dans l’histoire de la Compagnie, il y a eu des
spectacles basés sur des textes (¡Ubu! d’après
Alfred Jarry, Construis ta Jeep de Marielle
Pinsard ou La Maison d’Antan, conte de R. L.
Stevenson), mais celui-ci est toujours
considéré avant tout comme une matière, une
proposition ; car ce qui est le plus important
pour l’Alakran, c’est le présent de la
représentation. Cela suppose une autre
relation entre la matière textuelle et la scène,
entre l’interprète et le plateau, entre l’œuvre
théâtrale et le public. C’est pendant la
représentation que la pièce est achevée. Ainsi,
la Compagnie L’Alakran propose un nouveau
mode de représentation de la réalité qui
correspond à une nouvelle façon de concevoir
les relations entre l'observateur et l'objet
artistique: l’œuvre d’art n’est pas finie tant
qu’elle ne se construit pas chez le spectateur.
C’est tout l’art du présent, tel que se définit
classiquement l’art théâtral, qui prend forme
dans cette manière “contemporaine” de faire
du théâtre.
Le public de l’Alakran sait qu’il va voir quelque
chose de différent, quelque chose de ludique,
de poétique et philosophique et souvent de
politique.
La dynamique intellectuelle est toujours soit
parallèle, soit provoquée par la dynamique
sensorielle, jamais le contraire.
C’est grâce à ce projet artistique et à cette
manière de fonctionner que L’Alakran a pu se
développer et que son travail est reconnu
dans le panorama théâtral national et
international.
Q u e l q u e s l i e u x q u e l a C i e L ’ A l a k r a n a i n v e s t i s :
Les Subsistances de Lyon, Espace Malraux – Chambéry, Centre Culturel Suisse de Paris, Far, Festival
des Arts vivants-Nyon, La Fundición – Bilbao, Le lieu unique – Nantes, L’Arsenic – Lausanne, Festival
Est-Ouest, Dampfzentrale – Berne, L’ABC, La Chaux-de-Fonds, Festival Escena Contemporanea – Sala
Cuarta Pared-Madrid, Teatro Central – Sevilla, Cargo – Grenoble, Théâtre National de Toulouse, Théâtre
St-Gervais – Genève, Théâtre des 13 Vents – Montpellier, Comédie de Béthune, La Croix Rousse – Lyon,
Bonlieu, Scène Nationale – Annecy, Théâtre Antoine Vitez – Aix-en-Provence, Le Trioletto – Montpellier,
Théâtre-Scène nationale de Poitiers, La Coupole – Scène nationale de Sénart-Combs-la-Ville, Théâtre de
Privas, Théâtre de la Cité internationale – Paris, Le Dôme – Albertville, Théâtre des Ateliers – Lyon,
Festival des 7 Collines – Saint-Etienne, etc…
5. 5
A comme Alakran
entretien avec Oskar Gómez Mata et Esperanza López
par Eva Cousido
L’Alakran s’est forgé une solide renommée
internationale, grâce à une démarche
personnelle et une esthétique débridée qui
cache une minutie d’horloger.
C'est à Genève, en 1997, que Oskar Gómez
Mata crée l'Alakran suite à une rencontre
déterminante avec Philippe Macasdar,
directeur du Théâtre Saint-Gervais. L'Alakran
est une compagnie comme il en existe peu en
Suisse, avec un système de production à part
et une esthétique reconnaissable les yeux
fermés: un art salutaire de transgresser les
codes de la représentation. Si elle a décidé
de s’installer en Suisse, c’est en Espagne
qu’elle prend sa source. Au milieu des années
1980, Oskar et trois amis fondent Legaleón.
Parmi eux, Esperanza López, qui aujourd’hui
encore est une compagne privilégiée du
metteur en scène. Quand ils ne conçoivent
pas ensemble des projets, elle est
comédienne ou assistante, mais elle est
toujours là. Elle se joint à nous, pour cet
entretien croisé qui tente de cerner
l’estampille Alakran.
E C : E s p e r a n z a L ó p e z e t O s k a r , v o u s
a v e z f o n d é v o t r e p r e m i è r e c o m p a g n i e
e n E s p a g n e , p e u d e t e m p s a p r è s l a
m o r t d e F r a n c o . L ' h i s t o i r e d e v o t r e
p a y s a - t - e l l e i n f l u e n c é v o t r e d é m a r c h e
a r t i s t i q u e ?
E S P E R A N Z A L Ó P E Z : Pendant la dictature de
Franco, il n’y avait rien. A sa chute, on a vécu
une véritable euphorie et l’éclosion de plein
de compagnies indépendantes, avec le
sentiment que nos envies n’avaient aucune
limite.
O G M : On avait entre 18 et 20 ans et tout à
faire. C’était une époque de transition et
d’espoir. Il n’y avait ni précédent ni
référence. Par contre, on connaissait le
travail de la Fura dels Baus et de Carlos
Marquerie – qui est aujourd'hui l'éclairagiste
de Rodrigo Garcia-, d’Eugenio Barba, de
Kantor. Tous développaient un théâtre très
physique qui nous parlait.
E C : L e f a i t d ’ a n c r e r v o s s p e c t a c l e s
d a n s l ’ a c t u a l i t é v i e n t d e l à ?
O G M : Oui, on avait besoin d’être en prise
avec le monde. Le sens de ce qu’on faisait
était fondamental. On tournait partout. Pas
seulement dans les théâtres mais aussi dans
les écoles, les fêtes de quartier, pour des
associations. On utilisait les techniques de
clown qui faisaient partie de nos formations.
E L : Il y avait une urgence. L'art pour l'art
n'avait pas de sens pour nous.
O G M : Je vois le théâtre comme un exercice
symbolique pour la vie. Notre objectif est de
planter des graines dans la tête des
spectateurs, qu’ils prennent position
intellectuellement et physiquement.
E C : V o u s é l a b o r e z u n e e s t h é t i q u e d u
b r i c o l a g e e t d u m a u v a i s g o û t a s s u m é .
Q u e l r ô l e j o u e - t - e l l e d a n s c e t t e
p e r s p e c t i v e ?
O G M : Elle nous permet de ne jamais devenir
moralisateurs. C’est une manière de fragiliser
notre image. A partir de là, on peu tout dire.
Ça fait rire ou grincer des dents, mais ça
reste ludique.
E C : C ' e s t v r a i q u e l e r i r e e s t t r è s
p r é s e n t c h e z v o u s .
E L : Le rire détend le spectateur et le rend
disponible à ce qu'on voudrait lui
transmettre.
O G M : Rire ou ne pas rire est aussi une façon
très manifeste de prendre position. Ce n’est
pas parce que le spectateur est assis qu’il ne
bouge pas. Son attitude, son point de vue sur
la réalité peuvent changer au fil d’une
représentation ou après coup.
6. 6
E C : S u r s c è n e , o n a s o u v e n t
l ’ i m p r e s s i o n q u e v o u s i m p r o v i s e z .
C ’ e s t t r o u b l a n t .
O G M : Tout est écrit et répété à la seconde
près quasiment. En revanche, pendant la
période de création, on improvise beaucoup.
Puis, en tant que metteur en scène, je trie et
ne garde que ce qui fait sens. Mais ces
improvisations forment les strates invisibles
du spectacle.
E L : C’est un entraînement rigoureux qui
prépare le comédien à être entièrement
disponible au moment présent de la
représentation et à donner l’impression que
c’est facile à faire. Selon les réactions de la
salle, on placera notre réplique un peu
différemment.
E C : M a i s c o m m e n t c o n s t r u i t - o n u n
s p e c t a c l e q u i t i e n t a u t a n t c o m p t e d u
s p e c t a t e u r , v é r i t a b l e i n c o n n u e ?
O G M : Les comédiens sont présents en
permanence pendant les répétitions. Alors
que certains répètent, les autres regardent.
Ils deviennent les spectateurs dont on doit
susciter l’intérêt.
Les représentations ne sont pas mécaniques :
qu’un spectateur m’insulte ou s’endorme aura
une influence sur le jeu. Je demande aux
comédiens de faire du public un partenaire et
d'être synchrone avec lui. Le titre Kaïros a à
voir avec le contenu de la pièce, mais c’est
aussi une synthèse de la démarche que nous
menons depuis toujours. La notion d’imprévu
est complètement intégrée dans notre travail,
tout comme l’effet de surprise, qui maintient
dynamique l’attention du public.
E C : C e s e n t i m e n t d ’ i m p r o v i s a t i o n a
p o u r c o n s é q u e n c e d e r e n d r e p o r e u s e
l a f r o n t i è r e e n t r e r é a l i t é e t f i c t i o n .
D ’ a i l l e u r s d a n s K a ï r o s , l e s c o m é d i e n s
s ’ a p p e l l e n t p a r l e u r p r é n o m .
E L : Il y a longtemps qu’on a abandonné l’idée
classique du personnage au profit d’un
personnage qui est à la fois l’acteur et
l’acteur en jeu. L’acteur est à nu. Du coup, le
rapport au spectateur est plus direct et celui-
ci a moins tendance à se distancer de la
parole du comédien.
O G M : Ce jeu ambigu vise à nouveau à ce que
le spectateur se positionne et qu’il décide de
prendre ou de rejeter ce qu’il voit. Pour moi,
il est capital que le spectateur se demande :
« C’est lui, c’est Oskar qui pense ça ? Il parle
sincèrement ou il joue ? ».
E C : A u f o n d , v o u s c o n c e v e z u n t h é â t r e
q u i r e f u s e d e f a s c i n e r l e s p e c t a t e u r .
O G M : Je dirais plutôt que notre esthétique ne
cherche pas à impressionner le public ni à
jouer sur l’effet émotionnel. C’est pour cela
que nous montrons les ficelles du théâtre.
E C : Pour finir, une des caractéristiques de
l’Alakran est de constituer son propre
répertoire, autrement dit vous ne travaillez
pas – ou rarement – à partir de textes. Quelle
place donnez-vous au texte par rapport à
l’action théâtrale ?
E L : Le texte n’a pas un statut privilégié.
Quand on travaille à partir de textes d’auteur,
on les retravaille toujours pour ne garder que
ce qui fait sens pour nous. . Il y a aussi des
textes qui sont issus d’improvisations et
réécrits par Oskar, ou complètement imaginés
par lui.
O G M : Le texte est un matériau, comme le
corps de l’acteur, la lumière ou le décor. Plus
que l’action, ce qui compte c’est la manière
de l’exécuter. En fait, on interprète l’action
comme on interprète un texte.
7. 7
Que faisons-nous ici ?
Propos recueillis par Eva Cousido
Mélange truculent de philosophie et de
physique, la dernière création de l’Alakran
arpente notre temps et nos contradictions
avec une vitalité décapante. Entretien avec
son concepteur, le metteur en scène et acteur
Oskar Gómez Mata.
Autour de l’idée du « bon timing », K a ï r o s ,
s i s y p h e s e t z o m b i e s élabore une série de
concepts libres et rigoureux, inspirés par la
physique quantique et l’état du monde. Objet
affranchi et singulier, le spectacle se compose
d’instantanés comiques surprenants, véritable
feu de joie qui chatouille vigoureusement la
capacité d’inertie de chacun de nous. Sous ses
airs clownesques et son esthétique
dévergondée, cette création propose une
pause dans la course effrénée du temps
l’instant d’une question fondamentale : « Que
faisons-nous ici ? ». Une invitation à revisiter
notre manière de concevoir la réalité, nos
désirs et nos besoins essentiels.
E V A C O U S I D O : O s k a r G ó m e z M a t a ,
c o m m e n t v o u s a p p r o p r i e z - v o u s l a
n o t i o n d e k a ï r o s ?
O S K A R G Ó M E Z M A T A : Kaïros est un temps
hors du temps linéaire et chronologique, c'est-
à-dire hors du temps régi par Cronos qui est
celui de la répétition. C’est le temps opportun
à l’action. Je suis arrivé à ce concept par la
physique quantique et par Jung, avec ses
recherches sur l’inconscient et les archétypes.
Il montre que tout individu est relié à un
substrat collectif. En amont encore, c'est
l'artiste français Robert Filliou qui m'a inspiré
le mélange de physique et de philosophie
orientale. Je me suis aussi nourri d’études
scientifiques qui traitaient de la synchronicité.
Il s’agit de comprendre comment des
événements qui ne sont pas soumis à la loi de
« cause à effet » prennent un sens dans notre
vie. Être en kaïros est être dans un état
d’acuité où l’on perçoit le tout. Dans le
spectacle nous utilisons d'ailleurs le Yi-King,
la méthode de divination chinoise.
E C : E n s o m m e , v o u s v o u s ê t e s i n t é r e s s é
à t o u s c e s p h é n o m è n e s q u i s u r v i e n n e n t
d a n s n o t r e e x i s t e n c e e t q u ’ o n n e p e u t
p a s e x p l i q u e r , c e s p r e s s e n t i m e n t s o u
é t r a n g e s c o ï n c i d e n c e s . M a i s p o u r q u o i
l a p h y s i q u e q u a n t i q u e ?
O G M : La physique quantique explique le
double état de la matière. Une particule de
matière peut avoir deux états simultanément :
être à la fois solide et être aussi une onde,
donc visible et invisible. C’est notre
observation qui lui donne une position dans le
temps et dans l’espace. Autrement dit, la
réalité est construite par celui qui l’observe.
Et les réalités se superposent. La vie est un
point de vue que chacun peut modifier.
E C : Q u e v i s e z - v o u s p a r c e p r o p o s ?
O G M : A refuser la fatalité, à éviter de tomber
dans le fatalisme de la peur, qui peut être un
moteur terrible en politique notamment.
L’important est de rappeler que chacun peut
choisir.
E C : P o u r q u o i a v o i r a c c o l é l e s t e r m e s
« s i s y p h e s e t z o m b i e s » à K a ï r o s ?
O G M : Sisyphe est celui qui répète les mêmes
actions à l’infini. Il est enfermé dans un
cercle. Le zombie est un être entre deux
mondes, entre la vie et la mort, tout comme
kaïros est un temps intermédiaire, entre deux
moments du temps linéaire.
E C : D o n c m ê m e s i n o u s s a i s i s s o n s
K a ï r o s , n o u s r e s t o n s d e s s i s y p h e s ?
O G M : Sauf si nous devenons des zombies
conscients et utilisons notre esprit critique. On
peut alors trouer la réalité et sortir de cette
boucle, ou du moins reprendre notre vie en
mains.
E C : Le motif du trou dans la réalité revient
souvent dans Kaïros. Qu’entendez-vous par
là ?
9. 9
KAÏROS : les escargots et le bouffon
par José Antonio Sánchez
Professeur à l’Université Alcalá de Henares (Madrid)
Kaïros, c’est le temps du vécu. Il n’existe
jamais seul, mais toujours en compagnie de
Chronos, le temps linéaire, le temps de
l’histoire, de l’économie, le temps qui fuit
continuellement. Kaïros est un temps que l’on
peut arrêter à condition d'être attentif, que
l’on peut dilater en s'opposant à la succession
inexorable des secondes et des minutes.
L’intensité, le vide, la mémoire ou le désir
permettent cette dilatation. Nous nous
souvenons de certains moments de la vie
comme des moments dilatés. Et ces moments
reviennent: ils ont alors affronté Chronos et le
prolongent en l’affrontant. Pourtant, Kaïros
est condamné à succomber aux pieds de
Chronos. Sa résistance est une résistance
illusoire, et en même temps mélancolique.
C’est peut-être pour cela qu'Oskar Gómez Mata
dans un des moments les plus hilarants de la
pièce parle d’escargots, ces animaux qui
passent la moitié de leur vie cachés, qui se
déplacent avec une lenteur désespérante, et
qui semblent totalement anachroniques avec
leur rythme vital languissant et leurs défenses
fragiles et obsolètes. Les escargots perçoivent
la réalité aussi lentement qu’ils la vivent,
raison pour laquelle il est facile de les
tromper. Mais ne sommes-nous pas tous des
escargots ? Nous protégeons tellement notre
individualité sous une coquille que n’importe
quel allié de Chronos peut nous écraser sans
problème, ou n’importe quel capteur
électronique nous transpercer. Nous avançons
si prudemment et clandestinement sur notre
chemin que la vie nous échappe et que, pour
nous protéger de Chronos, nous sommes
incapables d’attraper Kaïros.
C'est précisément le thème de Kaïros. Oskar
Gómez l’introduit dans la vidéo qui précède la
pièce. Là il se définit comme un être
intermédiaire : un être dont on ne parle pas en
mal parce qu’il n’est pas un criminel, ni en
bien parce qu’il n’est pas mort. Les êtres
intermédiaires sont des zombies, c’est la
classe moyenne « narcotisée » par la peur, par
les désirs préfabriqués, par l’impuissance et la
conscience de sa propre faiblesse. Et ce
qu’Oskar propose n’est pas de perdre notre
condition de zombies, mais au moins de nous
reconnaître comme tels, d'en avoir conscience.
Comment ? En trouant la réalité.
Trouer la réalité implique aussi d'affronter
Chronos, de trouver le temps du vécu, le
temps sphérique qui, dans la pièce, est
représenté par des globes blancs. Il est
également représenté par des vides dans la
structure narrative et dans le dispositif
spectaculaire: à un moment donné du
spectacle, les spectateurs sont invités à
abandonner la salle et à pratiquer dix minutes
de silence et de méditation en répondant à un
questionnaire simple et en composant un
haïku.
Trouer la réalité s'accomplit en premier lieu en
trouant le spectacle: Oskar présente sa mère,
déguisée avec perruque et chaussons
ethniques, qu’il invite sur scène à être
spectatrice de la pièce; comme souvent avec
L’Alakran, les discours sont à certains
moments adressés directement aux
spectateurs, tandis qu'à d'autres les acteurs
semblent quitter leur personnage – pour
autant que l'élaboration de leur propre
personnalité soit véritablement un personnage
– pour entrer dans un terrain quasi colloquial.
Ce qui est nouveau c’est l’introduction de
quelques piques politiques: la séquence dans
laquelle on met en scène les budgets et les
remerciements: 30 euros pour le figurant,
3’900 pour la compagnie, 21’0000 pour le
festival, 430’00000 pour le ministère de la
culture. Chacun remet à l’autre un chèque
symbolique – à genoux et avec la tête baissée
– et le représentant de la mairie remercie le
public. Ou la séquence qui se relie à l’histoire
des escargots dans laquelle on découvre les
négoces honteux de la Banque de Bilbao….
Dans Kaïros se révèle de manière nouvelle la
bouffonnerie des Lumières. Celle du bouffon
11. 11
Les arts vivants, laboratoire de vie
Par Oskar Gómez Mata
L’art est nécessaire parce qu’il est
l’observatoire du monde et de nos
comportements. Les arts vivants ajoutent à
cette idée la dimension humaine dans un
présent absolu et public. Un temps où se
mélangent le passé, le présent et l’avenir. Les
arts vivants, comme forme de représentation
et description de la réalité, rejoignent ainsi la
recherche fondamentale en physique: ils
deviennent l’espace où le temps classique
disparaît.
L’interprète contemporain est celui qui assume
la responsabilité symbolique que l’acte
théâtral porte en soi. Le théâtre n’est plus un
lieu de refuge intellectuel dans une société de
confort, mais paradoxalement, il devient le lieu
où un nouveau type d’être manifeste son
attitude. C’est là qu’en tant qu’êtres humains
nous acceptons notre échec et c’est là que
nous pouvons projeter un espoir d’avenir. Ce
n’est plus l’endroit des justifications, mais
l’espace symbolique où l’on transforme les
circonstances ordinaires en expériences
extraordinaires, c’est là où modestement on
accepte notre fragilité ; celle-ci est la fonction
collective et sociale des arts de la scène.
Ceci implique un changement d’attitude, «il
faut changer la tête», il faut penser autrement,
car il nous faut une nouvelle représentation de
l’être humain, quelque chose de plus équilibré
qui nous permette de penser que nous
pouvons encore éviter la catastrophe.
Pour faire autrement, il faut voir et percevoir
autrement, il faut repenser l’espace, nos actes
et actions, ainsi que la manière de les lier.
Aujourd’hui la science nous dit que la vie n’est
pas quelque chose de figé, et que le
mouvement est l’essence de notre univers.
Cette idée est aussi le caractère primordial
des arts de la scène.
La réalité est un champ de possibilités et les
interprètes se connectent entièrement au
présent et choisissent la meilleure option à
prendre dans une situation avec des
paramètres prédéfinis.
Ces deux idées associées : l’idée du
mouvement et du choix sont les fondements
qui lient la recherche fondamentale et les arts
de la scène.
Les arts de la scène se tournent et prennent
appui dans la recherche fondamentale et
deviennent ainsi le laboratoire pour une
nouvelle représentation des êtres dans une
nouvelle réalité.
13. 13
C r é a t i o n s C i e L ’ A l a k r a n
1997 : B o u c h e r E s p a g n o l d’après Rodrigo
García au Théâtre Saint-Gervais Genève. Entre
1997 et 2003, le spectacle totalise plus de
150 représentations en Suisse et à l’étranger.
En 2001, au Zuercher Theater Spektakel, il
remporte le Prix d’Encouragement de la
Banque Cantonale de Zurich.
1998 : T o m b o l a L e a r d’après Rey Lear de
Rodrigo García au Théâtre Saint-Gervais
Genève. Le spectacle partira en tournée en
Suisse, France et Espagne jusqu’en 1999.
2000 : ¡ U b u ! d’après Alfred Jarry au Théâtre
Saint-Gervais Genève dans le cadre de La
Bâtie – Festival de Genève ; suivra une
tournée en Suisse, France et Espagne jusqu’en
2002.
2001, le Théâtre Saint-Gervais Genève offre à
la compagnie u n e c a r t e b l a n c h e ; pendant
trois jours, L’Alakran invite différents artistes
représentatifs des nouvelles tendances de la
création contemporaine, en théâtre, danse,
performances, vidéo et musique.
Création de N o t e s d e c u i s i n e de Rodrigo
García avec une équipe de jeunes comédiens
issus de l’école Serge Martin,.
2002 : P s y c h o p h o n i e s d e l ’ â m e au Théâtre
Saint-Gervais Genève dans le cadre de La
Bâtie – Festival de Genève ; le spectacle
continue de tourner encore aujourd’hui, dans
ses versions françaises et espagnoles.
C e r v e a u C a b o s s é 2 : K i n g K o n g F i r e
d’après des textes d’Antón Reixa et Oskar
Gómez Mata au Théâtre Saint-Gervais Genève;
après de nombreuses dates en tournée (dont
presque 7 semaines de représentations au
Théâtre du Rond-Point à Paris), le spectacle
continuera de parcourir les routes de Suisse,
de France et d’Espagne jusqu’en avril 2005,
totalisant près d’une centaine de dates en
tournée, et se terminera lors de
représentations au festival Ouest-Est à la
Dampfzentrale de Berne. Le spectacle a été
coproduit par Le Cargo, Maison de la Culture
de Grenoble.
2004 : L a M a i s o n d ’ A n t a n d’après un conte
de R.L. Stevenson dans le cadre de La Bâtie –
Festival de Genève.
2005 : O p t i m i s t i c v s P e s s i m i s t i c au
Théâtre Saint-Gervais Genève ; coproduit par
l’Espace Malraux, Scène nationale de
Chambéry et de la Savoie, il continue de
tourner en Europe et aussi en Amérique latine
(Mexique, été 2007), dans ses versions
françaises et espagnoles.
2006 : C o n s t r u i s t a J e e p de Marielle
Pinsard, au Théâtre Saint-Gervais Genève,
coproduit par le far° - Festival des Arts
Vivants de Nyon.
E p i p h a n e ï a au Théâtre du Grütli, coproduit
par les Subsistances de Lyon ; le spectacle est
parti en tournée à Lausanne, La Chaux-de-
Fonds et à Lyon en septembre 2007.
2008 : Kaïros, sisyphes et zombies, est une
coproduction de La Comédie de Genève et de
l'Espace Malraux de Chambéry. Créé en
octobre 2008 pendant le festival BAD de
Bilbao, le spectacle a été invité au Festival
d’Avignon 2009 et sera présenté au Centre
Pompidou du 28 au 30 avril 2010, puis en
Italie et en France pendant la saison 2010-
2011.
Du 23 novembre au 5 décembre 2010 il
présentera au Théâtre du Grütli à Genève sa
nouvelle création, S u i s à l a m e s s e ,
r e v i e n s d e s u i t e .