Mairies communes du Pays de Fouesnant --phpba qzou
100 ans à Fouesnant
1. Jean Le Foll
Il y a cent ans :
Le séjour de Marcel Proust à Beg Meil
"J'étais venu passer avec un de mes
amis le mois de septembre à Kerengrimen
qui n'était alors (en 1895) qu'une ferme,
loin de tout village, dans les pommiers au
bord de la baie de Concarneau "
Ce sont les premières lignes de
"Jean Santeuil", l'oeuvre de Marcel
Proust: on convient aujourd'hui que la
première partie du manuscrit fut rédigée à
Beg Meil en septembre-octobre 1895, sur
un papier de médiocre qualité dont il a
parlé dans ses lettres et qui a permis de
situer et de dater ce début du roman.
Il nous faut d'abord préciser que les
noms de lieux dont il est question dans
l'ouvrage existent réellement à Beg Meil,
mais qu'ils ne correspondent nullement à
ceux où il a séjourné ou qu'il a fréquentés.
Toute l'oeuvre de Proust est ainsi conçue ;
il ne faut prendre à la lettre ni les noms de
lieux ni ceux des personnages, qu'il semble
avoir mêlés et embrouillés à plaisir.
Comme l'atteste le registre de 1'hôtel,
Proust et son ami
Reynaldo
Hahn
arrivaient de Belle-île, résidence d'été de
Sarah Bernard.
C'est vers le 6 septembre qu'ils
vinrent s'installer à Beg Meil. Proust en
avait entendu parler par un ami de ses
parents, André Bénac, qui y possédait une
belle villa, et qui lui avait vanté la douceur
du climat et la beauté du site: un pays
enchanteur, et la famille Bénac "n'hésitait
pas à faire deux cents lieues pour passer
deux jours à Beg Meil où ils avaient un
bateau, une voiture, et un cheval de selle
sur lequel monsieur Bénac parcourait ces
landes où toute la journée les ajoncs et les
bruyères mettaient déjà sur la terre un peu
de la couleur des reflets du coucher du
soleil."
Où descendit-il à Beg Meil ? Il est
probable, comme l'atteste le registre de
l'hôtel, qu'il s'arrêta à la pension Rousseau,
vieux manoir dont les propriétaires avaient
commencé l'aménagement depuis quelques
années déjà, et qu'a remplacé de nos jours
l'Hôtel de la Plage. Nous sommes ici à
proximité du village de Kerengrimen, ce
qui expliquerait l'utilisation de ce nom au
début de "Jean Santeuil".
L'une de ses premières lettres porte
l'en-tête : "Beg Meil, septembre 1895". Il
vient sans doute d'arriver, car il n'a pas
encore pu se procurer de quoi écrire: " Je
suis dans un pays ou il n y a pas de papier,
cela s'appelle Beg Meil, les pommiers y
descendent jusqu'à la mer et l'odeur du
cidre se mêle à celle des goémons. Ce
mélange de poésie et de sensibilité est
assez à ma dose, mais je le goûte mal."
Une autre lettre porte "Hôtel Fermont, Beg
Meil : Comme je changeais chaque jour
d'adresse on ne m’avait fait suivre
aucune lettre dans ce pèlerinage aux
demeures illustres puisque j'ai commencé
par Belle-Ile et que je suis maintenant à
Beg Meil, lieu charmant où les pommes
normandes mûrissent presque sur les
rochers, mêlant l'odeur de cidre au parfum
des goémons.
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2. au bord d'un lac de Genève fantastique
mais où n'existent même pas de cabinets,
aussi n 'est-ce pas ici qu'on propagerait le
vers de Vigny :
"Ne me laisse jamais seul avec la nature
car c'est à elle que nous devons tout
confier, et je vous assure que rien n'est
irritant comme l'excès de zèle des orties
qui veulent faire les indispensables, si ce
calembour est ici permis, et s'en acquittent
d'une manière piquante mais sèche. C'est
dans cet endroit primitif et rare que votre
souvenir vient me toucher. "
L'hôtel Fermont, qui deviendra le
Grand Hôtel, n'était encore qu'une modeste
pension de famille, installée aussi dans une
ancienne ferme (Le Penquer Lanroz). Les
chambres étaient dans une annexe,
construction plus récente et qui existe
toujours, à une centaine de mètres de la
pension; (aujourd'hui le rez-de-chaussée en
est occupé par le Crédit Agricole). La
pension complète coûtait deux francs par
Jour...
En octobre, "malgré le froid et le
vent, couvert d'une couverture, il lisait et
écrivait dans le clos de pommiers qui
s'étend devant l'auberge et qui par un petit
escalier de pierre descend à la mer. Ce
petit escalier était à un angle, tout le
devant formant terrasse, et il v avait là de
petites tables rondes où l'on venait boire
en été." Nous reconnaissons dans cette
description la terrasse du Grand Hôtel
devenue aujourd'hui la petite esplanade
dominant la baie.
"Venez, nous ferons de grandes
marches, vous irez à la pêche et le soir
vous verrez si vous dormez !... Vous verrez
l'air qu'il fait là-bas, je vous garantis que
là-bas vous respirerez! " C'est ainsi que lui
parlait Monsieur Bénac, il croyait
volontiers qu'il n’y serait plus malade et
que, en dehors du monde, c'était une terre
de beauté.
Ce séjour serait la réalisation d'un
désir d'enfance : il avait toujours rêvé de
connaître "ce pays des Cimmériens bons et
vertueux qui habitent au bord d'une mer
sombre, hérissée de rochers, toujours
battue par les orages... de voir ses jeunes
filles avec des yeux comme ces vertes
fontaines où, sur des fonds d’herbes ondulées, se
mire le soleil," comme le décrivait Renan.
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3. Une lettre d'octobre 1895 à son ami Pierre
Lavallée est encore écrite sur "cet absurde
papier, le seul qu'on trouve dans ce pays
sauvage", un papier écolier quadrillé à
rayures bleues de même format et qualité
que celui dont il s'est servi pour une partie
de son roman "Jean Santeuil". Dans cette
lettre, Proust regrette de devoir quitter la
Bibliothèque Mazarine où son poste venait
d'être supprimé, mais il espère pouvoir y
être réintégré.
" rencontre Jamais personne; on entend
seulement le doux reflux ou de la baie ou
de la mer aussi calme que la baie." Une de
ses promenades préférées le conduit au
sémaphore où il semble s'être lié au
gardien: "A cinquante mètres du
sémaphore, c'est-à-dire à l'extrémité de la
presqu'île, les pommiers cessent, le sol
déjà couvert du sable de la grève et d'une
herbe courte étouffe le bruit des pas.
Partout des fougères et des chardons
brûlés par le soleil..."
Proust semble apprécier son séjour
à Beg Meil, car il sollicite une
prolongation de congé. Il écrit au ministre
pour demander "'un congé d'un mois (du
15 octobre au 15 novembre pour achever
de guérir un asthme nerveux dont je suis
presque entièrement remis grâce au congé
de deux mois que vous avez déjà bien
voulu m'accorder". Congé qu'il obtint sans
doute, car dans une lettre du 10 octobre
1895 adressée à "Marcel Proust, Hôtel
Fermont, Beg Meil, l'Inspecteur principal
des Chemins de fer de Paris à Orléans lui
signale que "sur la demande de Mr Bénac,
je donne des instructions à la station de
Quiberon pour que vos billets de Bains de
Mer de Paris à Quiberon soient prolongés
de 10 jours, et j'invite cette station à les
adresser à la gare de Quimper où vous
pourrez les retirer". (Monsieur André
Bénac, dont il a déjà été question, docteur
en droit, Administrateur de la Banque de
Paris et des Pays-Bas, Secrétaire du
Conseil d'Administration des Chemins de
fer de l'État, était un vieil ami des parents
de l'écrivain).
Les jours passent et c'est toujours
un enchantement pour Proust. Il aime
flâner par les chemins silencieux où l’on ne
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4. Après le déjeuner" Proust et son ami vont
s'étendre et lire sur de petites dunes de
sable à l'ouest de la plage. Le soir" ils
suivent "le long de la baie un sentier tracé
dans les fougères, le genêt, la bruyère et
l'ajonc, qui suit la baie à pic comme un
talus fleuri qui longe un chemin creux. Du
sentier, ils admirent "les barques qui
entrent à la file comme les vaches,
s’arrêtant çà et là pour paître encore..."
Parfois aussi, le soir, par les beaux
clairs de lune, ils allaient tous deux,
s’allonger sur le sable.
Proust s'était lié d'amitié avec un
jeune pêcheur qui l'emmenait le soir au
milieu de la baie et gardait dans son bateau
une bouteille d'encre pour le cas où son
passager aurait décidé d'écrire. Ils
répondaient dans la nuit au bonsoir des
autres pêcheurs qu'ils croisaient.
Une des grandes randonnées de
Proust et de son ami Reynaldo Hahn fut
leur promenade à Penmarc'h" que leur
avait conseillée le peintre franco-américain
Harrisson l’un des pensionnaires de
l'hôtel, avec qui ils s'étaient liés.
Lorsqu'une tempête fut annoncée, ils s'en
allèrent en voiture, après bien des
recommandations, affronter les éléments.
Proust relata cette promenade avec
beaucoup d'exagération quant à la force du
vent et à l'état de la mer. Plus tard, il
retournera à Penmarc'h" mais en empruntant cette fois le petit train à partir de Pont
l'Abbé.
La "saison" se terminait, il fut
bientôt seul à 1'hôtel où il était considéré
comme faisant partie de la famille ; il
accompagnait souvent le maître en voiture
et parcourait la campagne fouesnantaise"
répondant lui aussi au salut des paysans.
Puis ce furent les adieux" vers le 25
octobre 1895. Il promit à l'aubergiste de
revenir l'année suivante pour un plus long
séjour" mais cela ne se produira pas.
Nous retrouvons plus loin dans son
oeuvre des indices qui témoignent combien
il a été imprégné de ce petit coin de terre
bretonne: ce fut Beg Meil qui donna à
Balbec, petite plage normande fréquentée
par Jean Santeuil "en dehors d'une des
Sy1labes de son nom, le mystère celtique
de son emplacement".
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5. L'année qui suivit son séjour à Beg
Meil il accompagna sa mère dans les
Alpes.
Il regrettera bien souvent de ne plus
assister le soir au retour des barques, "l'une
suivant l'autre, ayant sur leur petit bateau
leur grande voile levée comme la grande
aile du papillon sur son petit corps Oh!
C'est l'instant, se disait-il. Il faudrait
qu'avant cinq minutes je puisse y être..." Et
tandis qu'il se figurait les voiles passant
une à une, il voyait "les eaux éblouissantes
s'éteindre peu à peu "
Il se revoyait "dans la barque de
Pierre, (son ami le marin), écrivant au
soleil malgré le vent, ou regardant la mer
sur la petite terrasse où le soleil éclairait
les feuilles déjà rouges et les feuilles
encore vertes de la vigne".
"Le désir qu'il se sentait encore pour ces
choses était pour lui un assez grand signe
qu’il ne les avait pas aimées en vain. "
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