Mairies communes du Pays de Fouesnant --php49 j-qiz
Faits divers du Pays de Fouesnant - focfj
1. Annick Le Douget
Le gang des voleurs d’abeille
Voici relatée, à travers un dossier
pénal de la sénéchaussée de Concq, une
histoire véridique qui s'est déroulée au
XVIII ème siècle dans le Pays Fouesnantais
: celle de voleurs d'abeilles. C'était la
spécialité étonnante d'une bande de
délinquants, hélas non exclusive d'autres
méfaits et de violences, puisque trois
d'entre eux n'ont pas hésité à couper la
langue d'un jeune témoin pour le t'aire
taire...
Un contexte de misère
Dans la seconde partie du XVIII ème siècle,
la misère sévit en Bretagne. Le Parlement
y autorise en Mars 1786 tes "généraux" des
paroisses "à prendre dans leurs coffres
forts telles sommes qu'ils jugeront
nécessaires pour subvenir, d'ici à la
prochaine récolte, aux besoins les plus
pressants des pauvres". Le Pays
Fouesnantais n'échappe pas aux vagues
successives de mauvaises récoltes et à la
cherté des blés. La mendicité se développe,
et quelques âmes plus faibles vont basculer
dans la délinquance. C'est ainsi que tes
vols d'animaux se multiplient dans les
campagnes; mais ils ne peuvent être tolérés
dans un contexte de pauvreté générale. La
justice va s'en saisir et prononcer des
peines sévères. Voici l'un de ces dossiers.
Une procédure exemplaire
A partir des pièces de leur procès,
nous allons évoquer ici les exactions de
malfaiteurs ayant sévi en 1785 et 1786
dans l'actuel canton de Fouesnant.
L'instruction de la procédure, menée par le
Sénéchal de Concq, Louis Marie
Dutaureau de La Barre, est exemplaire :
67 témoins ont été entendus, les prévenus
ont été plusieurs fois interrogés "sur la
sellette" (petit siège de bois sur lequel on
taisait asseoir l’accusé), et confrontés entre
eux.
Les larcins avoués sont multiples;
mais la bande s'était surtout spécialisée
dans le vol des ruches et des abeilles.
Les sept malfaiteurs
Ils n'ont pas de chef attitré; il faut plutôt
parler d'une association de malfaiteurs que
les circonstances et l'appât de gains faciles
ont réunis.
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2. Pierre Nédélec, dit ""Pot Peurit"'
Pierre Nédélec, dit "Pot Peurit,"
abréviation de "Pot Peumerit" ce gars de
19 ans est en effet natif de cette paroisse.
Le Sénéchal le décrit ainsi, en avril 1786 :
"taille de 4 pieds 5 pouces (1m 45), visage
allongé, nez assez bien fait, yeux gros bien
fendus et roux, barbe,cheveux et sourcils
châtain, vêtu d’une chemisede toile,
pourpoint
de toile, culotte et guêtres
de toile, sans bas ni sabots, sans
chapeau,ayant seulement un mouchoir sur
la tête."
Pot Peurit traîne derrière lui
mauvaise réputation. Laboureur chez
Guillaume Le Moal au bourg de Pleuven, il
a perdu sa place depuis Noël 1785, "'et
mendie presque toujours son pain dans
plusieurs paroisses". Si l'occasion se
présente, il n’hésite jamais à commettre un
larcin. Ainsi, il a volé douze sous à la
vieille Marie Cabellan, de Keralès, à
Pleuven. Plus tard, il est entré dans la
maison de Yves Le Hélias, à Créac'h an
Allé, paroisse de Fouesnant, pendant
l'absence des propriétaires: ouvrant le
coffre, il a volé la douzaine d ' oeufs et les
deux Livres onze sous qu'il contenait.
Profitant encore de ce que le maréchalferrant de Clohars-Fouesnant, Corentin
Nédellec, de Kervorien, avait le dos tourné,
il lui a subtilisé une "pelle en fer" et n'a pas
hésité à la proposer à Guillaume Le Moal,
son ancien employeur.
Ce gaillard sans scrupules, après la
Noël de 1785, a abusé de la confiance de
Yves Piriou, du Saluden, en Gouesnac'h : il
lui a promis d'aller remettre à Marguerite
Le Meur, du Moustoir Bihan, en SaintÉvarzec, "une paire de bas de laine
travaillée à l'éguille et douze poignées de
chanvre paigné" ; au lieu de cela, Pot
Peurit les a portées pour les gager chez la
Demoiselle Hervé, débitante de tabac au
bourg de Pleuven.
Il faut encore mettre au compte de
ses multiples méfaits le vol de toutes les
économies de Jean Bénéat valet chez Jean
Caradec au Guéider, à Fouesnant "La nuit
fermante, il pénétra dans sa petite maison,
et après y avoir rompu la serrure d'un
coffre, il y y vola 36 Livres en argent..."
Enfin, il est convaincu d'avoir
subtilisé une somme identique à François
Le Coz, du Quinquis, à Fouesnant.
François Le Coz lui fit avouer son forfait,
on ne sait d'ailleurs comment: puis, plutôt
que de se plaindre à la maréchaussée, "il
envoya Pot Peurit chez le recteur de la
paroisse de Fouesnant, où le coupable fit
le même aveu et disant qu’il avait dépensé
l’rgent".
Jean Colin, dit "'Casenéis",
et sa femme Françoise Le Meur
Jean Colin, dit Casenéis, a 38 ans.
Il exerce la profession de couvreur de
paille et habite à Kercoréden, paroisse de
Gouesnac'h.
Il est ainsi décrit : "Taille de 4
pieds 10 polices (1 m 59), visage allongé,
bouche grande, lèvres moyennes mais
ayant la supérieure grosse, yeux roux,
barbe et cheveux châtains, gilet croisé
d'étoffe grise, pourpoint bleu dessus ;
culottes et guêtres de toile grise, chapeau
noir à la paysanne, sabots, "
Son épouse, Françoise Le Meur, 36
ans, est originaire de Scaër. Elle mesure 5
pieds (1m 65 ), "visage plat et allongé,
menton pointu, nez long, sourcils et
cheveux noirs ; gilet d'étoffe bleu, jupe
brune, tablier et coiffe de couleur grise,
sans bas, sabots."
Ce couple est très organisé pour
voler sur les marchés et foires de la région:
vêtements, étoffes, chapeaux, sabots, tout
est bon pour eux. Ils revendent ensuite ces
objets dans les auberges du pays.
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3. Le Sénéchal fera une descente chez
eux, et y découvrira "une infinité de
marchandises" : en fait ils avaient ouvert
deux boutiques clandestines de revente des
marchandises volées, l'une à Kercoréden,
et la seconde à Kergouellic, en Pleuven !
Des vols d'animaux sont aussi à
leur actif. Soupçonné d'avoir même volé
une jument à Kergourin, en Pleuven, et de
l'avoir revendue à la foire de Pont-Croix,
Casenéis jure son innocence. La suspicion
était grave, la "Coutume de Bretagne"
punissant de mort le vol de chevaux.
Casenéis déclare au Sénéchal que "ce
mercredi de Pâque, il fut chercher, ses
Pâques au curé de /a paroisse de
Gouesnac'h", et que "le soir du vol, il était
chez luy avec sa femme".
Marie Le Barzic
Maric nc sait pas son âge, 27 ou 28
ans dit-elle au juge. Originaire de
Melgven,"au service aux campagnes" elle
est sans domicile fixe. Sa taille est de 4
pieds 112 (1 m 48) visage allongé, grands
yeux, bleus, nez petit, bouche moyenne,
cheveux châtains, vêtue d'une chemise de
toile, gilet d'étoffe sans manches, jupe
bleue, tablier de toile, coëffe de toi/e sur la
tête, sabots".
Sa réputation n'est pas bonne: elle a
déjà été surprise un soir à voler la vache de
Laurens Furic" à Kerangaou, en Fouesnant.
Elle est acoquinée avec Guillaume Le
Calvez, dit "Patamic".
Jean Gevot
Agé de 36 ans" Jean Gevot est
originaire de Saint-Yvi. Il est garçon charpentier de moulin de profession, mais
il a joué de malchance peu avant son
procès: l'un de ses vols récents, celui d'une
jument à la foire de Pont-Croix, s'est mal
passé. En chemin, près de Plonéis, "la
jument s’est effrayée et l’a jeté à terre".
Depuis, il est estropié d’une cusse" et
condamné à "mendier son pain place
Keréon à Quimper". Il regrette amèrement
son dernier forfait qui, pour lui, n'en est
pas tout à fait un : certes"il a eu l'esprit
faible" lorsqu’il s'est emparé de la jument
"dans le dessein de la vendre à Quimper,
mais il avait toujours l’intention de la
rendre à celui qui se déclarerait le
propriétaire".
Hors d'état de marcher, il sera
transporté en "'voiture publique" jusqu'à la
geôle de Concarneau.
François et Marguerite Le Corre
Enfin se distingue tristement la
famille Le Corre, du moulin dc Kerguilly,
à Pleuven, non loin de la chapelle Sainte
Anne. Le meunier, François Le Corre père
est mort depuis peu, fin 1785 ou début
1786, "et par là a expié tous ses crimes",
nous dit le Procureur du Roy: mais sans en
préciser la nature exacte. Il laisse une fille,
Marguerite, voleuse connue sur les
marchés des environs, fugitive au moment
du procès, et un fils de
quinze ans,
François, né à Lestrésivit" à Fouesnant. Le
jeune garçon est désormais livré à lui
même" sans métier, vagabond et
mendiant... Sa description nous est donnée
par le Sénéchal: "3 pieds 9 pouces (1m 23
), visage allongé, menton poinu, bouche
moyenne, lèvres et nez bien faits, yeux
grands et gris, cheveux châtains, chapeau
noir à la paysanne..."
La vie du pauvre orphelin aurait pu
inspirer Victor Hugo ou Hector Malot:
François est souvent battu par sa soeur
Marguerite qui l'oblige à commettre
divers méfaits. Ainsi, sous la contrainte, il
se rendit le 26 avril 1786 à six heures du
matin, dans une prairie de Kervir, paroisse
du Saint-Esprit" à Quimper.
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4. Il fut surpris à couper " les crins de la
queue et du cou d'une jument", ces crins
étant destinés à la vente sur les marchés.
Mais il vole surtout poules et abeilles pour
satisfaire sa soeur et en éviter les
violences. Ainsi "il vola une ruche à Jean
Bodivit, au lieu de Kerangalès Perguet,
avec sa soeur qui le battit tant pour qu'il
aille voler la ruche qu'il fut forcé d’y aller
seul".
Le vol des abeilles ou "mouches à
miel"
Nous en arrivons maintenant au but
de l"association de ces mauvais sujets: c'est
de voler des abeilles, appelées encore ici
"mouches à miel".
Dans les campagnes, l'apiculture est
une source de revenus appréciable.
Lorsqu'on "tue la ruche", tous les deux ans,
on peut récolter 12 à 15livres de miel. Ce
miel et la cire sont vendus sur les marchés,
au cours de 3 sous la livre de miel et 25
sous la livre de cire (en l789).
Mais,
nous dit le Procureur en son réquisitoire du
10 mai l786" cette activité est presque
totalement anéantie par l'importance des
vols commis. "N'est-il pas temps,
Messieurs, d'arrêter les progrès d'un mal
devenu trop commun ? Dans presque tous
les villages de campagne il y a des
abeilles, on les élève et cultive avec soins,
elles forment dans la province une branche
importante du commerce. C'est une
branche considérable du commerce de
cette province qui est presque entièrement
détruite par la quantité immense d'abeilles
volées...".
Comment se préserver des vols ?
Le Procureur du Roy explique
ensuite que les habitants du pays
surveillent pourtant au mieux leurs ruches -
"Quelques uns des habitants de la
campagne, pour les soustraire aux voleurs,
ont porté les abeilles dans leur maison : ils
ont eu la douleur de les y voir mourir... Le
propriétaire est donc forcé de les laisser
de jour Comme de nuit sous la protection
du Roy, de la justice, et des 1ois." Ou
encore : "nos paisants passent les nuits
près de leurs abeilles, ou font faire un lit
où couche leur valet pour garder les
abeilles".
D'autres encore "s'arment pour
leur défense, et plus d'un voleur d'abeilles
a reçu du plomb dans le derrière comme
dans les jambes, telle est alors l'extrémité
dangereuse ou
l'on est réduit pour
conserver ses propriétés".
La crainte des voleurs
Toutefois, les voleurs sont craints,
ils sont capables de violences. Souvent, le
propriétaire des ruches n'ose pas intervenir
au moment du vol. Voici, par exemple, la
déposition de l'une des victimes, Jean
Bodivit" laboureur à Kerangalès à Perguet,
transcrite par le Sénéchal :
"Au commencement du Carême
dernier, étant couché chez lui, sur les deux
heures après minuit il entendit son chien
aboyer, qu'il se leva, et cria chez lui pour
faire peur, sans oser sortir, parce qu'il
entendait plusieurs voix au dehors:
qu'après, il n'entendit plus de bruit, que
son chien quitta d'auprès de la maison et
aboyait en allant plus loin ," qu'après, le
chien revint à la maison : que le lendemain
matin dès qu'il fut levé, il fut dans son
jardin ou il vit qu'on lui avait volé une
roche d'abeilles avec la mère, qu’il trois
autres ruches abattues par terre, que la
mère d'abeilles de l'une d'elles était morte
parce qu'on avait tant dérangé la ruche et
placée d'une façon que la mère d'abeilles
ne pouvait plus vivre
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5. : que le même jour, en suivant les traces
des voleurs', il parvint jusqu'au moulin de
Kerguillly, Pleven, chez deffunct François
Le Corre père chez qui il vit et reconnut
une de ses roches ; d'abeilles que les mères
d'abeilles étaient mortes, et que la ruche
sentait le souffre : que le miel et la cire y
étaient encore: qu'il emporta le tout avec
lui: qu'il demanda au dit moulin de
Kerguilly à François Le Corre qui avait
volé la ruche, lequel lui en fit l'aveu."
François Caradec, tisserand au
bourg de Pleuven, n'osa pas davantage
intervenir: il déclare avoir "entendu du
bruit la nuit, le chien aboyer, les poules
perchées dans un arbre crier. Le
lendemain matin, il vit qu'on lui avait volé
deux poules, et une voisine lui dit qu'elle
les avait vues au moulin de Kerguilly…"
La crainte d’intervenir, de se
montrer aux voleurs était-elle justifiée ?
Oui, semble-t-il. Les malfaiteurs connaissaient les peines encourues pour leurs
larcins s»ils venaient à être arrêtés Leur
procès serait alors fondé sur les témoignages : aussi" s'ils venaient à surprendre
un témoin gênant, menaces et violences
étaient employées pour le faire taire.
Où Pot Peurit, Casenéis et Patamic
coupent la langue d'un jeune mendiant
Pour le démontrer" nous avons ici
un exemple édifiant témoignant en outre,
s'il le fallait encore" de la sauvagerie de
l'homme et de toute la cruauté dont il est
capable.
Pierre Nédélec, Guillaume Le
Calvez et Jean Colin viennent encore de
voler une ruche cette nuit de février 1786.
S'étant rendus dans le bois proche de
Créac"h Quétta à Pleuven, ils se partagent
entre eux le butin: ils sont alors surpris
dans leur besogne par un jeune mendiant
de 14 ans appelé Dener, orphelin originaire
de Combrit "cherchant son pain dans le
canton de Fouesnant et dormant dans les
bois".Pour se débarrasser de ce pauvre
témoin, les voleurs n’hésitent pas à lui
couper la langue, et le menacent ensuite de
mort s'il venait à les dénoncer...
Le compte-rendu des déclarations
du jeune mendiant au Sénéchal fait frémir :
"En passant la nuit dans le bois de Créac
'h Quetta, paroisse de Pleuven, il y
reconnut Pierre Nédélec, Guillaume
Calvez et Casenéis qui se partageaient
entre eux une ruche d'abeille, qu'il, fut
surpris de voir Patamic venir à lui,
l'abattre par terre, lui mettant un genou
sur l'estomac et y pesant si fort que son
haleine lui manqua et qu'il vit le moment
où il allait expirer. Que Pot Peurit lui
tenait les deux mains et les lui serrait
extrêmement : que Casenéis lui serra la
main sur la gorge en ... mettant deux doigts
jusqu'au fond, qu'il lui lit sortir la langue
en la grattant avec son couteau : qu’il la
lui perça jusqu’à faire répandre beaucoup
de sang que ces trois mauvaises gens lui
dirent qu'ils lui laisseraient la vie s'il ne
les dénonçait pas, ce qu’il leur promit.
Qu’étant relevé, ils lui redirent que
s'il allait les déclarer,ils le trouveraient
bientôt et le tueraient: que Casenéis, en le
quittant, lui recommanda de faire le bègue,
sans quoi il aurait affaire à lui".
Un crime jamais puni
Le pauvre garçon vivra dans la terreur
pendant trois mois" jusqu"à sa rencontre
avec un brave matelot du bourg de
Fouesnant, Noël Perrot. Celui-ci le reçut
un jour chez lui, lui fit manger de la
bouillie et reçut ses confidences : "il
l'entendit bégayer et comprit qu’il lui
disait que Casenéis lui avait coupé la
langue".
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6. Ces faits atroces furent alors
dénoncés aux autorités, mais les bandits
n’eurent jamais à répondre de ce crime. Le
Procureur du Roy insista sur cet "excès de
cruauté", mais comme le jeune garçon
"avait eu le bonheur de se guérir luimême", aucune poursuite ne pouvait avoir
lieu de ce chef... C'est ainsi que Patamic ne
fut pas inquiété davantage et n'eut pas à
être jugé :surprenante législation, où les
atteintes aux biens étaient beaucoup plus
sévèrement réprimées que les atteintes aux
personnes...
Comment opéraient les voleurs de
ruches ?
Après cette tragique parenthèse,
revenons au vol des abeilles : quelle était la
méthode utilisée pour dérober et exploiter
les ruches ? On pouvait, soit tuer l'essaim
sur place avant d'emporter la ruche, soit
transporter l'essaim vivant dans sa ruche
s'aidant d'une"poche" (un sac). Les voleurs
se rendaient ensuite dans un lieu isolé.
Leur repaire habituel était ici le moulin de
Kerguillv.
Françoise Le Meur, épouse Colin, utilise
les
deux méthodes. Elle avoue,
lorsqu'elle est confrontée à un complice,
"qu'elle n'a pas dit la vérité lorsqu'elle a
nié avoir volé une ruche d’abeilles dans la
paroisse de Pleuven, tandis que rien n'est
plus vrais... Qu'elle porta avec le dit
François Le Corre la ditte ruche d'abeilles
au moulin de Kerguilly, paroisse de
Pleuven, où elle-même et le dit Le Corre
firent mourir les abeilles avec des
morceaux de toille souffrée qu’ils mirent
dessous les ruches et qu’elle même aida le
dit Ie Corre à presser et travailler le miel
et la cire…"
Plus loin, elle rapporte le vol des
ruches au préjudice de Corentin Caradec,
de Kergoff à Pleuven : "ce fut elle-même
qui mit le feu avec deux morceaux de toille
souffrée sous la ruche d'abeilles à Kergoff
: afin de faire mourir plus tôt les abeilles:
qu'elle transporta la dite ruche avec le fils
Le Corre au moulin de Kerguilly ou elle
distilla et pressa avec la ditte Marguerite
le Corre le miel et la cire".
Le Procureur du Roy précise la
méthode habituellement employée: les
voleurs "s’introduisent la nuit dans les
jardins et étouffent les abeilles au moyen
d'un morceau de toille souffrée placée à
l'extrémité d’un bâton qu’ils allument et
introduisent dans le trou de vol. Le miel et
la cire sont prélevés sur place ou au
domicile des voleurs: le produit obtenu est
pressé et distillé et vendu aux particuliers
aux foires et marchés".
Les pièces à conviction
Elles ont été déposées à la
Sénéchaussée de Concq. En voici la
description :
"Une poche et un pochon avec y renfermés
deux petits morceaux de bois fendus en l'un
de leurs bouts, ayant chaque dans leurs
fentes un petit morceau de toille souffrée.
La grande poche de toile grise
mesure 2 pieds la de long sur 2 pieds 2
pouces de largeur; le petit pochon de
même toile mesure 10 pouces sur quatre de
large. Quant aux deux petits morceaux de
bois et toille souffrée dans leurs fentes,
l’un d’eux a cinq pouces de long et l’autre
quatre pouces."
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7. Verdict
Après plusieurs mois d'instruction
au cours desquels les délinquants resteront
incarcérés dans la prison de Concarneau, la
sentence définitive est rendue le 21 août
1787 par le juge Dutaureau de la Barre,
Conseiller du Roy au siège royal de
Concarneau. Ses assesseurs sont
Charles Demalherbe et Joseph Guillou de
Pennanros (ce dernier fera partie du comité
Permanent de Quimper pendant la
Révolution, et sera l'un des dirigeants du
parti contre révolutionnaire).
Voici les peines prononcées à
l'encontre de chacun de nos malfaiteurs :
Jean Gevot : Pourtant soupçonné de
multiples vols d'abeilles à Fouesnant, dans
la trêve de La Forêt, à Clohars-Fouesnant,
Perguet, Pleuven et Gouesnac'h, Jean
Gevot a toujours nié, assurant "On ne
prouvera jamais rien de cela contre moi".
Le Procureur réclame cependant qu'il soit
banni pendant cinq ans. Mais le juge l'a
"renvoyé
hors d’instance", c'est-à-dire
relaxé, estimant que "les preuves ne sont
pas duement acquises "
François Le Corre : Il a été admonesté
par le juge, "sous plus grande peine en cas
de récidive". Le magistrat, sans doute
sensible à sa détresse, n'a pas suivi les
dures réquisitions du Procureur qui
réclamait la mise au carcan du jeune
garçon et son exposition trois jours de
marché à Concarneau, avec près de lui un
écriteau ainsi rédigé: "voleur d'abeilles et
coupeur de crins de cheveaux ".
Jean Collin dit Casenéis : Ce voleur
professionnel a été condamné "à servircir
le Roy dans ses galères pendant cinq ans
étant préalablement flétri (c’est-à-dire
marqué au fer rouge), sur l’épau/e dextre
des trois lettres G.A.L (premières lettres de
Galérien). Le Procureur avait requis contre
lui les galères perpétuelles.
Françoise Le Meur, épouse Colin: Elle
est condamnée "à être fouettée un jour de
marché dans les carfours, faubourgs et
places publiques de cette ville par
l'exécuteur de la haute justice, et bannie
ensuite du ressort de cette Sénéchaussée
pendant dix ans"'.
Marie Le Barzic : Elle aussi condamnée à
être fouettée, mais sans bannissement.
Pierre Nédélec dit Pot Peurit : Le plus
lourdement sanctionné: ..Condamné à
servir le Roy dan ses galères pendant
quinze ans, étant préalablement flétri sur
l'épaule dextre des lettres G.A.L."
Marguerite Le Corre : Fugitive, elle est
condamnée par contumace, ses biens étant
saisis, à être fouettée publiquement "et
sera la présente sentence, pour son
respect, écrite dans un tableau attaché
dans la place publique de cette ville ".
Les délinquants sont en outre
condamnés chacun "' à une amende de dix
Livres au profit du Roy et aux dépens du
procès," : Ces "épices" se montent à 200
Livres, et sont réparties entre les six
prévenus, y compris Gevot relaxé, à raison
de 33 Livres chacun.
On ne sait pas si nos voleurs purent
s'acquitter des amendes et des frais du
procès ; on ne sait pas si Marguerite Le
Corre fut retrouvée- Deux ans plus tard, la
Révolution va éclater, et la justice du Roy
aura sans doute d'autres soucis. . .
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8. Pour nous- il est frustrant d'abandonner
ainsi ces personnages dont une tranche de
vie nous a été révélée par le procès, sans
savoir ce qu'ils sont devenus, et donc sans
épilogue...
La Sénéchaussée de Concq
La Sénéchaussée a à sa tête un
magistrat le Sénéchal qui s’intitule
"seul juge civil, criminel et de police,
opère les constats,
dirige les
instructions et les informations, juge
avec le concours de deux assesseurs,
rend les sentences, ordonne les
exécutions en son nom, sur requête et
conclusions d'un Procureur du Roy".
La Sénéchaussée connaissait
aussi en premier ressort les
affaires criminelles" à l'exception des
cas dits "prévôtaux".
Fouesnant était une ancienne
barre ducale, comme Concarneau et
Rosporden. La Cour Royale de Concq
(ou
Concarneau)
étendait
sa
compétence dans le ressort de ces trois
anciennes
barres.
L'édit
de
Châteaubriant avait vainement ordonné
l'union du siège de Concarneau à celui
de Quimper: leur séparation subsistera
jusqu'à la Révolution.
N-B: Un pied vaut 33 cm" un pouce 2,7
cm.
Nous avons respecté l'orthographe des
documents, bien qu'elle soit souvent
fautive; il faudrait, par exemple, écrire ""
Paotr Peurit" : le gars de Peumerit.
A propos d'abeilles...
Extraite de "la vie des Bretons
d'Armorique", d'Alexandre Bouët Olivier
Perrin (1844), l'illustration ci-contre et son
commentaire nous apportent quelques
éléments anecdotiques sur l'élevage des
abeilles, et les superstitions qui
l'accompagnent :
Corenlin (le jeune garçon) soupire
après le moment ou il possèdera quelque
chose à lui, el son père, qui a de
nombreuses, ruches, d'abeilles rangées
comme en bataille sur l'un des fossés du
courtil, l'a comblé de joie en lui promettant
le premier essaim qu'un surcroît de
population pousserait à s'expatrier.
Corentin s'est mis aussitôt à construire,
pour le recevoir, un de ces palais de paille
qui sont à la fois les "meilleurs et les plus
économiques, et que les abeilles
lambrissent de miel et de cire avec plus
d'ardeur qu'aucune autre espèce de ruche.
Un heureux hasard est, venu lui procurer
ce qu'il ne devait obtenir que du temps. Un
matin que Corentin menait paître les
chevaux dans les champs en jachère de la
ferme, il aperçoit tout-à-coup un essaim
ramassé et suspendu comme une grappe
d'or à la branche d'un châtaignier. Il
appelle Soizic (la servante) à grands cris,
et, la prenant à témoin qu’il a trouvé cet
essaim sans maître et que par conséquent
il en est désormais l'unique propriétaire, il
la prie de le garder pendant qu’il ira
chercher sa ruche. Il a bientôt été de
retour, et, avec une légère baguette, a fait
tomber l'essaim dans la roche, dont il a
frotté les parois de crème, comme d'un
appât qui puisse retenir les abeilles
vagabondes. Il s'est ensuite dirigé vers le
courtil, accompagné de sa mère, de sa
jeune soeur et de Soizic qui, armées de
clefs ou de marteaux, frappent à coups
redoublés sur des poëlons et des trépieds :
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9. cet espèce de charivari produirait sur les
abeilles le même effet que le tonnerre, qui
les fait rentrer tout effrayées dans leurs
ruches, et tant qu’il dure, les empêche d'en
sortir", Corentin indique l'endroit ou la
large pierre qu'apporte le premier valet
servira de support à sa ruche,
provisoirement déposée sur une nappe
blanche, Son père revient de la foire.
Informé de ce qui se passe, il fait admirer
à son compagnon de route l'heureux esprit
d'ordre et de propriété qui se révèle chez
Corentin...
Nos fermiers les plus soigneux
élèvent beaucoup d'abeilles, ils en ont
parfois jusqu’à 25 et 30 ruches. Outre le
bénéfice qu’ils en retirent, quelques-uns,
dans les années où le cidre manque, font
de l'hydromel, cette boisson des anciens
temps. Plus d'une idée bizarre a cours
parmi eux sur les abeilles, comme à peu
près sur tout ce qui les environne. Ils
croient par exemple, que vendre une ruche
à son voisin c'est porter malheur aux
abeilles des ruches qu'on ne vend pas, et
presque les condamner à mort. Lorsqu'on
prend le deuil du chef de la famille, il faut
mettre dans les ruches un morceau de drap
noir, ou toutes les abeilles périssent.
Enfin, des abeilles ont-elles été
volées ? Si leur propriétaire est assez
matinal pour aller avant le lever du soleil
uriner sur l'emplacement de la ruche, il lui
deviendra facile d'en reconnaître le voleur
: aussitôt en effet les cheveux lui
rougiront !
9/9