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Concepts éthiques économiques et marchands.
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        Concepts éthiques économiques et marchands.
                                      Jérôme Vacca




1 - L’éthique au cœur de tous les débats.
2 - L’éthique appliquée à l’économie et à la logique marchande.
2.1 - Le développement économique au bénéfice du bien-être de l’humanité.
2.2 - L’éthique et l’entreprise.
2.3 - Les deux conceptions de l’éthique.
3 - Conclusion.




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       1 - L’éthique au cœur de tous les débats.

        L’éthique est au cœur des débats actuels de notre société. Politiques, institutions
financières, sociétés privées, industriels et agents de la publicité, nul ne semble pouvoir
aujourd’hui s’en affranchir ou en être épargné. Dernièrement, ce sont des députés anglais qui se
sont fait épingler pour leurs notes de frais abusives, créant un émoi et une colère sans précédent
parmi la population de Grande-Bretagne. Une affaire qui ne date pourtant pas d’hier et qui en
d’autres temps, n’aurait peut-être pas fait l’objet d’autant de remous.
       Cette affaire n’est qu’un exemple, mais elle revêt quelque chose de particulier en ces
temps de crise où tous nos repères, nos valeurs, paraissent avoir été bousculés de manière
durable et profonde. C’est que l’air du temps a viré à la tempête de grains de sable. «Les




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                                          .
consommateurs se demandent en permanence où ils vont et s’ils ont fait le bon choix», analyse
le sociologue Jean-Claude Kaufmann1.
        Pourtant, ce virage ne date pas d’hier et n’a pas attendu la crise pour se manifester, car
ainsi que l’écrit déjà en 2004 le journaliste Philippe Gavi dans Le Nouvel Observateur2 « Les
recommandations adoptées l’an dernier par le BVP sur les enfants et le développement
durable sont symptomatiques du syndrome du risque zéro ambiant. Elles stigmatisent les pubs
qui valoriseraient, même au second degré, les mauvais comportements alimentaires des petits
et la surconsommation des grands, ainsi que toute conduite contraire à la protection de
l’environnement et à la préservation des ressources naturelles. »
        Jacques Séguéla a beau faire remarquer « qu’il est dans la nature de la langue
publicitaire d’être euphorique et d’exagérer, que la publicité ne peut informer sans
déformer» », tout semble se passer aujourd’hui comme si la publicité avait une influence
décisive sur nos comportements.
      Une publicité éthique peut-elle rendre un produit plus éthique aux yeux des
consommateurs alors que celui-ci est fabriqué par des enfants dans d’autres pays ?
       Pourra-t-on demain encore concevoir de consommer biscuits et gâteaux de
marques connues, mais composés d’huile de palme alors que les plantations dont elle est
issue contribuent largement à la déforestation de l’île de Bornéo3 ?


       Déjà en 2003, Jean-Noël Kapferer écrivait4 : « Finalement, un mouvement de fond est
en train de saisir le monde des marques: l’impatience croissante du public face à des
comportements non éthiques. De partout les signes convergent : si les consommateurs
acceptent le jeu des signes et des imaginaires, ce qui fait que la marque est plus qu’un produit,
en revanche ils n’acceptent plus que la mise en scène créatrice du désir et moteur de la
consommation cache des pratiques que l’on tait sous prétexte qu’elles sont réalisées dans
quelque lointain pays où l’entreprise a délocalisé, voire par des sous-traitants de nos
entreprises désormais sans usines. Elle n’admet plus que son développement se fasse hors
préoccupation environnementale, ou sans contrepartie équitable avec les pays d’accueil et leur
développement durable. »
       La publicité et la confiance que le public lui confère, donc son efficacité, dépend surtout
de la manière dont nous interagissons avec les enjeux et percevons les bouleversements qui
modifient nos modes de vie et notre vision du monde. La publicité n’est évidemment qu’une
partie infime du problème, et ne doit nullement devenir le bouc émissaire d’une crise
1
  Jean-Claude Kaufmann est un sociologue français né en 1948 à Rennes. Spécialiste de la vie quotidienne, il
travaille dans le cadre général de ses recherches au CNRS, sur la socialisation et la subjectivité.
2
  Pub : le retour de l’ordre moral. Philippe Gavi, Le Nouvel Observateur. Nº2060 Avril 2004
3
  Intitulé « Cooking the Climate », le rapport de Greenpeace détaille comment ces multinationales alimentent la
destruction des forêts d’Indonésie pour satisfaire à la demande croissante d’huile de palme, incorporée dans nos
aliments, nos cosmétiques mais également utilisée comme biocarburant. Les forêts tourbières d’Indonésie
comptent parmi les puits de carbone les plus efficaces de la planète.


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profonde du sens et de la confiance dans un modèle d’hyperconsommation qui vacille sur
ses propres certitudes et convictions.
        Pourtant, comme l’écrit Bernard Brochand5, « il y a longtemps qu’elle (la publicité)
n’est plus simplement un pur produit commercial de promotion des ventes, mais un phénomène
culturel, l’expression d’une civilisation, le langage collectif des désirs, des rêves et des modes
de vie. »
        Si, comme le dit Bernard Brochand, la publicité est effectivement le reflet des désirs et
l’expression d’une civilisation, alors ne serait-il pas plus pertinent de ne pas uniquement
l’observer de manière isolée, mais de l’examiner sous le prisme des mutations de la société qui
nous entourent aujourd’hui ? : En effet, Il n’y a pas si longtemps, les stocks options étaient
présentés comme la pointe avancée de l’efficacité gestionnaire, le marché comme un
instrument incomparable, les impôts comme une forme de prédation, le PIB comme l’arbitre
suprême de l’efficacité économique, bref le capitalisme comme l’avenir de l’humanité. Je ne
porte ici aucun de jugement de valeur sur le capitalisme, ce n’est pas mon propos, mais il paraît
aujourd’hui évident, alors que nous vivons sans aucun doute la crise la plus grave depuis la
dernière guerre mondiale (peut-être encore plus grave que celle de 1929) que ce capitalisme a
aujourd’hui bien plus de comptes à rendre à la société qu’auparavant.




         Nous le savons que trop, l’humanité toute entière ne pourra pas accéder au mode de vie
occidental que nous leur souhaitons, en raison du caractère limité des ressources de la planète
qui nous concernent tous6. Ne pas prendre en compte cet enjeu relèverait de l’aveuglement
entêté et à n’y prendre pas garde, nous pourrions rapidement partager le destin des habitants de
l’île de Pâques7.
       De grands changements s’opèrent en matière d’éthique et de responsabilité marchande,
où le mot « confiance » moteur d’une économie stable et sereine, se perd en questionnements
dans un modèle économique à reconstruire.
       Ce propos semble s’éloigner de notre sujet, « l’éthique de la publicité et de son
autorégulation » mais en y regardant de plus prêt, il parait en fait bien plus proche : les
considérations sociales, de solidarité et de développement durable de nos chers
consommateurs sont davantage au cœur de leurs préoccupations et la publicité (je ne
parle ici que de publicité à caractère commercial) qui est au service des biens et des
services ne doit pas devenir le bouc émissaire d’une crise profonde du sens et de la

4
    Jean-Noël KAPFERER, Réinventer la marque ? Revue française de gestion 2003/4, n° 145, p. 119-130.
5
    Préface de Bernard Brochand pour le livre de Bernard Cathelat « Publicité et Société ».


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confiance. Elle-même, malgré ses dérives, ne joue-t-elle pas un rôle important dans le
processus qui permet à un système économique, inspiré par des normes morales et soucieux du
bien commun, de contribuer au développement de l'humanité8 ?

        Elle est un rouage nécessaire au fonctionnement des économies modernes de marché,
qui existent aujourd'hui ou s'établissent dans de nombreux pays du monde, et qui — si elles se
conforment aux normes morales basées sur le développement intégral de la personne humaine
et sur le souci du bien commun — semblent être actuellement « l'instrument le plus approprié
pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins » de nature socio-économique.




.

    ‘Déconnecté de toute visée de civilisation ou d'humanisme, le progrès n'a plus d'autre
    justification que son propre mouvement’. Luc Ferry9.»



   2. L’éthique appliquée à l’économie et à la logique
marchande.
       En économie, depuis longtemps sont débattues les conditions d'une société plus juste.
Pour certains économistes, la société est le théâtre d'un affrontement entre des morales
irréconciliables. Pourtant, la problématique de l'éthique économique ne date pas d'hier. Déjà en
1848, les premières bases d'une l'éthique économique étaient jetés par Stuart Mill10 qui affinait
la pensée de Bentham11 dans ses « Principes d'économie politique ». Il affirmait que la
production et le marché n'avaient pas pour seul but le profit, mais une mission sociale de
maintien du tissu social. Dans son livre, Mill se demande “à quel but définitif la société
marche-t-elle avec ses progrès industriels ?” Il répond que la croissance et la compétition
6
  Denis Clerc. Faire table rase ? Alternatives Economiques n°281 juin 2009
7
  Dans le Film de Yan-Arthus Bertrand, ‘Home’, il est fait référence au destin des habitants de l’île de Pâques, qui
faute de ne pas avoir pu ou su préserver les ressources naturelles de l’île, auraient scellé à jamais la disparition de
leur civilisation.
8
  Conseil pontifical pour les communications sociales. Ethique en publicité.



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permanente ne peuvent pas être un idéal de vie, et qu’au bout du compte, après ce qu’il appelle
“l’état progressif”, il y aura un “état stationnaire”où les progrès ne seront plus économiques,
mais “moraux et sociaux”.
        Qu'est-ce alors une société juste ? Les inégalités de revenus sont-elles justifiées ?
Chacun est-il responsable de ses conditions d'existence, ou bien y a-t-il une responsabilité
collective au bonheur des individus ? De telles questions ont souvent jalonné la réflexion
éthique en économie, mais qui bénéficie aujourd'hui d'un regain d'intérêt aux théories de Mill,
comme en témoigne l'attribution du prix Nobel d'économie 1998 à AmarTya Sen12.


         L a pensée éthique se transforme.
        L’éthique n’est pas une science exacte, c’est une manière de penser, de voir, de faire et
d’accepter les choses qui épousent les contours de nos modes de vie en sociétés. Elle n’est
figée que par la pensée humaniste, mais revêt dans les pratiques, un caractère changeant selon
les cultures et les périodes (guerres – paix – crises – croissance).
        Par exemple : Que dirions-nous aujourd'hui d'un État qui, dans le but de soutenir son
industrie de tabac, organiserait ouvertement la distribution gratuite de cigarettes dans des
écoles ? Scandaleux, inacceptable, inconcevable, seraient sans aucun doute les expressions
employées. Nous n'hésiterions pas une seule seconde à parler de pratiques non éthiques et la
concurrence, elle, parlerait de pratiques déloyales.
        Pourtant, il n’y a pas si longtemps, c’est ce qu’organisait encore l’État français en 1986
et je peux en témoigner : " Jeune appelé militaire de 19ans, j'ai effectué mon service militaire
dans le 11iem bataillon de Chasseurs alpins de Barcelonnette.
         À l'époque, nous recevions tous les mois deux choses très importantes à nos yeux : 400
francs et 2 cartouches de Gauloises sans filtre de 10 paquets de 20 cigarettes ; aux fumeurs
comme non-fumeurs. De quoi tenir un mois. Il est vrai qu'à l'époque la SEITA appartenait
alors encore à l'État, et puisque le service obligatoire permettait de faire passer tous les jeunes
hommes sous son drapeau, l'occasion était vraiment trop bonne d'initier également cette
jeunesse à la prise régulière de nicotine nationale en leur distribuant gratuitement des marques
françaises. A l'époque, en 1986, personne ne semblait s'en offusquer et pourtant la dangerosité
de la cigarette n'était plus ignorée ni des pouvoirs publics, ni du public. "

9
   Luc Ferry, philosophe et ministre de l'éducation de 2003 à 2004. Extrait de « Penser le changement »
10
   Dès le 19ème siècle, l’un des théoriciens de références du libéralisme envisageait déjà ses limites. Il s’agit de
John Stuart Mill, figure très influente de la pensée économique. Il était le défenseur de l’utilitarisme, une théorie
éthique préalablement exposée par son parrain Jeremy Bentham.
11
   Jeremy Bentham est un philosophe et réformateur anglais qui est mort en 1832. Bentham prône une doctrine,
l’utilitarisme et met au point une méthode de calcul du bonheur et des peines, qui tente de déterminer
scientifiquement au travers de sept critères, la quantité de plaisir et de peine générée par nos diverses actions.
L’économie politique lui doit la popularisation de la notion d’utilité, qu’il a étendue au droit (v. notamment la
notion d’arithmétique morale) et aux sciences sociales. (Source Wikipedia)
12
   En 1998, il reçut le "Prix Nobel d’économie" pour son travail sur l’économie du bien-être..


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        Alors pourquoi ce qui n’est pas considéré comme immoral à une époque le devient-il
par la suite ? Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, car nous pourrions aisément invoquer
d’autres sujets tels que celui des enfants, de l’obésité, de la violence, de l’image des femmes,
etc…Ainsi, les époques se suivent et ne se ressemblent pas, tant dans nos mœurs que dans
nos modes de vie et pour bien comprendre la problématique de l’éthique, il faut pouvoir
l’analyser sous le prisme du temps présent.
        Nous vivons aujourd’hui un monde en profonde mutation qui vacille sur ces convictions
les plus capitalistes. Plus de 60 ans après sa mort, l’économiste le plus célèbre et le plus
influent du XXe siècle, Keynes, voit un retour en grâce de ses idées. Vingt ans après la
domination néoclassique et monétaire, la crise actuelle a permis la réhabilitation de ses idées et
également de ses remèdes pour en sortir. Le capitalisme présentera-t-il un autre visage après la
crise ? Pour certains économistes les conditions ne sont pas réunies, mais pour d’autres ils
existent d’autres alternatives qui peuvent bâtir les fondations d’un nouveau capitalisme : La
croissance verte, l’économie de fonctionnalité13, social business14, etc.….




     2.1 Le développement économique au bénéfice du bien-être
de l’humanité.
       Il faut dire que notre vision du monde a longtemps été liée au concept de
développement ou de croissance, un concept qui a longtemps perduré et qui est aujourd’hui
décrié. Il sous-entendait que les pays pauvres devaient obligatoirement connaître un
cheminement identique à ceux des pays riches pour les conduire inexorablement à la société de
consommation. Comme consommation est synonyme d’élévation du bien-être, ce concept
ne pouvait être que moral.
       Ce cheminement en 5 étapes est théorisé par l’économiste américain Walt Rostow 15
dans les années 60 :
        1 - La société traditionnelle sous-développée,
        2 - la mise en place des conditions préalables au décollage,
        3 - le décollage,
        4 - le progrès vers la maturité,
        5- l’ère de la consommation de masse.


13
   L’économie de fonctionnalité est un terme forgé dans le milieu des années 90 pour designer le passage de
l’achat d’un bien à l’utilisation de ce même bien dans le cadre d’une prestation de service. Terme inventé par le
suisse Walter Sahel.
14
   Bi-mensuel des Problèmes Economiques. 29.4.2009. « Les économistes face à la crise, Keynes, grand retour »


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       Ainsi, le Tiers Monde devait obligatoirement rattraper les pays riches selon un modèle
obligé, celui de la société industrielle, référence universelle. Bien entendu, d’autres
économistes comme le Français François Perroux16 livrait une autre définition du
développement prenant déjà en compte un aspect plus humain, mais c’est cependant le modèle
de développement classique qui a toujours prévalu.
        Ainsi aujourd’hui, le concept de « développement » ne renvoie plus à ce que l'on
appelait durant les trente glorieuses l'"économie du développement" - c'est-à-dire un ensemble
d'analyses et de propositions visant à permettre aux pays du tiers monde de rattraper les pays
industrialisés -, mais à une réflexion plus globale, tous pays confondus, sur les finalités ultimes
de la vie et de la pensée économiques.




        Une telle évolution, qui se manifeste notamment par l'apparition et le succès de
néologismes tels que "développement humain" ou "développement durable", résulte en
particulier du fait que toutes les économies, riches ou pauvres, sont désormais confrontées (à
des degrés naturellement variables) aux revers tant écologiques que sociaux du fonctionnement
de la sphère économique.
       Seulement face à la montée démographique des pays pauvres, nos sociétés riches
devront rapidement prendre conscience que les ressources de la Terre sont limitées.
      Une chose est certaine, un monde différent se dessine où l’éthique prendra
davantage de place.
       Ainsi que l’écrit Marie-Josèphe Carrieu-Costa17 dans les Annales des Mines, « C’est à
coup sûr un changement de civilisation, au sens le plus banal du terme, car il porte la
représentation d’une organisation planétaire. C’est une opportunité, pour l’espace
industrie/services/marché, de recentrer ses activités comme un écosystème global dans lequel
humain se débat moins, mais réinterprète sa place, celle de son espèce et de son devenir. »18




15
   Walt Whitman Rostow (1916 - 2003) est un économiste et théoricien politique américain. Il a été conseiller
spécial pour la sécurité nationale du président Johnson dans les années 1960. On doit à W.Rostow une vision
extrêmement linéaire et discutée du développement en cinq grandes étapes des sociétés industrielles (énoncée dans
Les étapes de la croissance économique, 1960)
16
   François Perroux (Décembre 19, 1903 - Juin 2, 1987) était un économiste français. Il était terriblement critique
des politiques financières et économiques envers le tiers-monde pendant le demi-siècle de sa carrière. Il a dit
qu'elles ne tenaient pas suffisamment compte de l'originalité, la culture, et les situations concrètes des pays
concernés et qu’elles étaient trop quantitatives, trop occidentales dans leur concept, et trop centréés sur les intérêts
des pays riches industrialisés.


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        Le management, les affaires, le développement et le commerce sont de plus en plus
étroitement liés par un dénominateur commun : La responsabilité. Il s’agit du souci de
l’autre, du souci de l’écosystème, et du souci de l’avenir.
        Seulement, le monde des affaires s’est perdu dans le désert de l’éthique. Aux États-
Unis, terre du libéralisme par excellence, un sondage mené en 2004 par Gallup a interrogé les
nord-américains sur la perception morale qu’ils se faisaient de certaines professions. Des 21
activités professionnelles identifiées, le métier d’infirmière est perçu comme étant le plus
honnête, alors que celui de dirigeant d’entreprises se classe en avant-dernière position. En mai
200519, un autre sondage de Gallup portant cette fois sur le climat moral et éthique aux États-
Unis, montre que 59% des gens étaient assez insatisfaits du climat moral et éthique, mais que
29% en étaient très insatisfaits. Sur l’échelle éthique proposée par Gallup, les grandes
entreprises se classaient 14e sur 15.
       Ce résultat est quand même très surprenant lorsqu’on sait qu’outre-Atlantique, 90% des
écoles de commerce forment leurs étudiants à l’éthique des affaires20.




      Si l’éthique du monde des affaires est enseignée dans les écoles de commerce,
pourquoi alors est-elle si peu respectée ?
       Une partie de la réponse se trouve peut-être dans cette autre étude menée en 2006 par la
Josephson Institute of Ethics21 auprès de 36 122 étudiants de grandes écoles de commerce :
       Ainsi, si 94% déclare que l’honnêteté est essentielle dans le monde des affaires et
plus particulièrement dans l’environnement du travail,
       59% pensent que pour réussir (to be succesful), il faut être prêt à faire n’importe
quoi, voire même tricher (cheating).
       42% sont d’ailleurs convaincus que pour réussir dans la vie, mentir et tricher sont
indispensables.
      Ces chiffres sont t-ils en fin de compte aussi surprenants que cela ? Sont-ils
symptomatiques d’une culture américaine tellement différente de la nôtre, où vivons-nous



17
   Auteure de nombreux articles dans diverses revues d’audience nationale, elle collabore comme chef de projet à
des revues ou colloques sur ces sujets mêlant SHS et technologies, en particulier pour les Annales des Mines, étant
co-fondatrice de la série des Annales "Gérer et Comprendre".Depuis 1990, Marie-Josèphe Carrieu-Costa est à la
tête d’une entreprise de conseil qu’elle a fondée, Amble Consultants, au sein de laquelle elle déploie ses multiples
compétences au service de la formation, de l’apprentissage et de l’innovation.
18
   Annales des Mines, l’Eco-conception : vers une nouvelle socio-économie industrielle. 2006»
19
   'Morality Meter' The Gallup Organisation. March 2005. www.galluppol.com
20
   Source: www.managementhelp.org/ethics/ethxgde.htm


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également en Europe, une réalité identique ? Le comportement éthique est-il compatible avec
un management efficace d’une entreprise qui doit être rentable pour survivre ?
       Pourtant, si l'éthique du monde du travail est essentielle aux yeux de tous, elle semble
cependant se heurter à la réalité du monde des affaires, celle de l'efficacité qui doit primer
avant tout. Le monde de l'entreprise ou chaque individu est une pièce dans ensemble complexe
de rouages et d'activités qui tendent toutes vers l'efficacité, nous amènerait-il à nous
désindividualiser, comme le suggérerait l'expérience de Stanford22 ?
        Le pouvoir de l'autorité nous amènerait-il à nous comporter en contradiction de notre
système de valeurs morales et éthiques, comme le démontre l'expérience de Stanford ou bien
celle de Milgram23 ? Sous l'autorité, tombons-nous aussi facilement en état « agentique24 »?




       Il existerait donc une contradiction entre notre désir d’éthique et les moyens à mettre en
œuvre pour réussir dans le monde du travail et des affaires. Si, des étudiants en commerce se
posent de telles interrogations, quand est-il alors de l’entreprise ?


         2.2 L’éthique et l’entreprise.
        L'entreprise est elle-même confrontée aux mêmes interrogations: épuisement des
ressources naturelles, emballement technique, transformation des paysages, disparition
d'emplois substitués par des machines, rupture des liens physiques entre le client et la personne
à son service, les disparités de plus en plus croissantes des émoluments de quelques-uns et le
salaire du citoyen moyen en Europe ou encore en Afrique.
      Les marchés sont planétaires et les questions éthiques sur le monde du travail sont
également les mêmes du Canada à la chine, des États-Unis à la Pologne.

21
   Source : http://www.signonsandiego.com/news/metro/20081006-9999-1m6gross.html ou josephsoninstitute.org
22
   L’expérience de Stanford (Effet Lucifer) est une étude de psychologie expérimentale menée par Philip Zimbardo
en 1971 sur les effets de la situation carcérale. Elle fut réalisée avec des étudiants qui jouaient des rôles de
gardiens et de prisonniers. Elle visait à étudier le comportement de personnes ordinaires dans un tel contexte et eut
pour effet de montrer que c'était la situation plutôt que la personnalité des participants qui était à l'origine de
comportements parfois à l'opposé des valeurs professées par les participants avant le début de l'étude.
23
   L'expérience de Milgram est une expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue
américain Stanley Milgram. De 1960 à 1963, Milgram mène une série d'expériences, avec plusieurs variantes,
permettant d'estimer à quel point un individu peut se plier aux ordres d'une autorité qu'il accepte, même quand cela
entre en contradiction avec son système de valeurs morales et éthiques. Des sujets acceptent de participer, sous
l'autorité d'une personne supposée compétente, à une expérience d'apprentissage où il leur sera demandé
d'appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que « vérifier les capacités
d'apprentissage ». Lors des premières expériences menées par Stanley Milgram, 62,5% (25 sur 40) des sujets
menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises les électrochocs de 450 volts, supposés mortels.
24
   Lorsque l'individu obéit, il délègue sa responsabilité à l'autorité et passe dans l'état que Stanley Milgram
appelle « agentique ». L'individu n'est plus autonome, c'est un « agent exécutif d'une volonté étrangère »


10
Concepts éthiques économiques et marchands.
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                                                        25
       Ce que nous raconte Fabienne Cardot dans son « Que sais-je » est très intéressant. Elle
nous révèle que depuis que les usines sont nées en France et en Angleterre au XVIIIe siècle, les
hommes d'entreprise ont réfléchi à leurs activités. Le monde des affaires européen puis
américain possède une tradition de réflexion sur lui-même et sur ce qui est nécessaire au-delà
du profit.
       Cette longue tradition s'épanouit notamment dans l'utilitarisme de l'anglais John Stuart
Mill et dans la pensée de Max Weber27 sur le capitalisme protestant et dans le « paternalisme »
     26


français. Ainsi la pensée de Max Weber28 qui accompagne l'essor du capitalisme protestant et la
mise en place d'une société moderne, analyse la fin de l'activité rationnelle de l'entreprise et le
sens de l'économie moderne. Il démontre comment le rigoriste entrepreneur calviniste avec
ses qualités éthiques a contribué à la rationalisation de la société.




        Quant au paternalisme français29 nous dit-elle, né en Alsace, est un ancêtre direct de
l'éthique d'entreprise actuelle: Le paternalisme qui était une alternative au syndicalisme et au
socialisme, en faisant du chef d'entreprise la source d'un patronage qui permettait une bonne
organisation du travail, s'est traduit dans les faits dans des entreprises telles que Schneider au
Creusot ou Schlumberger à Mulhouse. Sans obligation légale, mais imprégnés de sentiments
religieux ou francs-maçons et pour que leur usines prospèrent, les patrons du textile ou de la
métallurgie de la seconde moitié du XIXe siècle, décident de prendre en charge la vie de leurs
ouvriers et de les sortir de la misère.
        Les temps et les mœurs ont changé, la référence religieuse s'est estompée, mais des
traditions perdurent encore dans les grandes familles françaises comme les De Dietrich 30, dont
le P.D.G. de la 8ie génération qui nous rappelait lors de son départ à la retraite en 1996: « il
faut garder un sens noble au pouvoir; garder une éthique rigoureuse et l'appliquer à tous les
niveaux; nous avons une fierté partagée concernant l'entreprise, l'Alsace, notre capacité à être
les meilleurs dans notre domaine.. »

25
   Fabienne Cardot est responsable de l'éthique au sein d'un grand groupe français et administrateur du cercle
d'éthique des affaires. Auteur du « Que Sais-je » n°3755 ''éthique d'entreprise ' Bibl Uni Luxembourg.
26
   Voir plus haut.
27
   Max Weber (21 avril 1864-14 juin 1920), sociologue et économiste allemand, est, avec Vilfredo Pareto, Émile
Durkheim, Georg Simmel et Karl Marx, l'un des fondateurs de la sociologie moderne. (wikipedia)
28
   Max Weber « Nous appellerons action économique « capitaliste » celle qui repose sur l'espoir d'un profit par
l'exploitation des possibilités d'échange, c'est-à-dire sur des chances (formellement) pacifiques de profit » (tiré de
son ouvrage L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme,1904).


11
Concepts éthiques économiques et marchands.
                                                .
       Cette éthique paternaliste fait aujourd’hui partie d’une époque révolue mais l'entreprise
est cependant toujours considérée comme un acteur social à fort impact dont on attend
beaucoup. Elle est considérée comme une personne morale dont la responsabilité pénale est
désormais en cause, par exemple depuis 1994 dans le Code pénal français.
        Seulement voilà, les entreprises industrielles ont fait place à des entreprises de services
et le critère de jugement des performances des entreprises n’est plus l’économie « réelle », la
production de biens et services répondant aux besoins de la société, mais la seule « finance », la
capacité de l’entreprise à fournir des rendements financiers importants31.
        Cette financiarisation se voit notamment dans le fait que dans de nombreuses
entreprises, c’est la direction financière qui prime sur la direction de la production. Un exemple
caricatural fera comprendre le risque d’une telle inversion des objectifs de l’entreprise : il suffit
que l’entreprise ne renouvelle pas son stock de capital (n’investisse pas) pour dégager un
bénéfice très important ; on comprend immédiatement qu’au bout d’un très petit nombre
d’années, il n’y aura plus ni bénéfice… ni entreprise32 !




        Ainsi que nous l’explique Hugues Puel33, « La mondialisation financière a des effets
considérables sur la conception de l’entreprise. Il assure le triomphe de l’actionnaire sur le
partenaire (shareholder versus stakeholder) et prône un gouvernement d’entreprise
entièrement orienté vers ce que l’on appelle aujourd’hui la création de valeur pour
l’actionnaire, c’est-à-dire le profit maximum. Ces partenaires naturels de l’entreprise que sont
le salarié, le client, le fournisseur, la communauté locale passent au second plan. Le
rendement financier à court terme (résultats trimestriels) l’emporte sur les projets à long
terme, selon la temporalité de l’urgence caractéristique de la globalisation financière ».
        Cependant, cette financiarisation semble avoir atteint sa limite et le temps des valeurs
morales et éthiques semble, lui, faire son grand retour devant la scène, comme nous l’explique
Daniel Lebègue34 : Il nous dit que le monde de l’entreprise est aujourd’hui meut par
l’émergence d’un nouveau révérenciel qui serait le produit d’un mix de valeurs pour
l’entreprise du 21ième siècle. Ce nouveau révérenciel qui n’a cependant pas émergé du jour au
lendemain sous l’effet d’une crise, serait le fait d’un développement logique d’un besoin plus
fort de valeurs morales tant citoyennes qu’environnementales et largement galvanisées par des
pratiques mercantiles peu éthiques (voire frauduleuses) et qui datent d’avant la crise.
29
   Inspiré de la pensée de Frédéric Leplay « La réforme sociale en France », 1872.
30
   L’histoire du groupe De Dietrich Thermique débute en 1684. Le logo, symbole de qualité depuis 1778, De
Dietrich est le plus ancien sigle industriel connu. Le Groupe s’est toujours affirmé comme un acteur essentiel de la
vie économique et sociale. Pionnière dans la protection des droits des ouvriers, l’entreprise a participé aux grands
projets industriels dès le début du XXe siècle.
31
   De Hugues Puel « Les activités financières au défi de l'éthique ». Actes de la conférence tenue le 27 avril 2000
au Centre Universitaire à Luxembourg P17. Auteur de « Les Paradoxes de L'economie - L'éthique Au Défi. »
32
   Le cas Enron, Notice à l'intention des enseignants. http://www.lyon-
ethique.org/IMG/pdf/Enron_notice_enseignants.pdf


12
Concepts éthiques économiques et marchands.
                                               .
       Nous avons peut-être atteint notre le seuil de tolérance à partir duquel nous prenons
conscience que la qualité de notre vie en société ne pourra désormais plus progresser sans un
autre modèle.
       La plupart des grandes sociétés d'envergure internationale ont développé des codes
éthiques en interne. Mais que dirions-nous d’une société dont le code de déontologie à
destination des employés et des cadres dirigeants, nous disait ceci ? :
        « Les employés du ... ... ... sont chargés de mener leurs affaires conformément aux
normes éthiques les plus élevées. Un employé ne doit pas se conduire d'une manière qui,
directement ou indirectement, serait préjudiciable à l'intérêt supérieur de la Société ou de la
manière à apporter un gain financier qui ne soit pas directement la conséquence de son travail
de salarié au sein de la Société. Les obligations morales ainsi que légales seront remplies
ouvertement, sans délai, et d’une manière qui reflétera la fierté de la Société. La publicité et la
promotion devront être véridiques, non exagérées ou trompeuses. Les accords passés au nom
de la Société, qu'ils soient contractuels ou verbaux, seront toujours honorés. Aucuns pots de
vin, primes, commissions occultes, divertissements luxueux, ou cadeaux, ne seront donnés ou
reçus en échange d'une position particulière35.

         Il s’agit pourtant ici du code éthique de la société Enron, la deuxième plus grande
faillite jamais enregistrée aux États-Unis36. Ce qui est emblématique chez Enron, société
finalement à caractère très industriel, est cette financiarisation à outrance dont l’objectif ultime
ne consiste plus « simplement » à générer des profits par le fait de la production et la vente de
produits ou services mais plus spécifiquement à maximiser la valeur de l’entreprise par le biais
de produits financiers et de jeux comptables. La politique d’Enron l’a conduite à développer
plus de 2100 produits financiers, offerts en 15 devises, en passant par des prises de
participations dans des infrastructures de télécommunications.
       Malgré ce code éthique, cela n’a pas empêché les dirigeants de cette société à maquiller
ses comptes pour faire croire que ses bénéfices excellents ne se faisaient pas au détriment de sa
substance.
        Mais alors que nous écrivons des codes éthiques, pourquoi ne parvenons-nous pas
à les respecter ? Notre conception de l’éthique peut-elle être différente selon la situation ?


        2.3 Les deux conceptions de l’éthique.

33
   Hugues Puel (né en 1932) est un économiste, enseignant et prêtre dominicain. Il a dirigé l’association Économie
et Humanisme.
34
   Daniel Lebègue préside l’Institut du développent durable et des relations internationales et co-président
d’Eurofi. Préface du livre « Responsabilté, éthique et logique marchande » dirigé par Jean-François Trinquecoste.
2008.
35
   Il s’agit de ma propre traduction. Veuillez m’excuser si cette traduction n’est pas du meilleur français mais le
texte original y est respecté.
36
   En fait, première en 2001 avec 63Milliards de dettes mais battue un an après avec la faillite de la WorldCom Inc
qui enregistra 102Milliards de dettes.


13
Concepts éthiques économiques et marchands.
                                            .
       Selon Kevin Gibson , il existerait deux conceptions de l'éthique38 dans le monde
                                   37


des affaires.
        Selon lui, le terme de l'éthique des affaires (En anglais: « Business ethics ») est ambigu,
car il renvoie à deux conceptions différentes dont des implications sont distinctes selon l'usage:
        1 - La première de ces conceptions concerne « les règles du jeu » ou les pratiques dans
un domaine limité. Dans le sport ou les jeux de compétition en général, chacun sait reconnaître
que tel comportement est acceptable et que tel autre ne l'est pas. Il est acceptable de « bluffer »
ou de mentir au poker, mais pas de marquer les cartes. Ce terme d'éthique est également utiliser
pour parler « d'éthique des bandes » ou tuer un rival d'une autre bande est acceptable, mais pas
de dénoncer ce même rival à la police.
        Cette notion de «l' éthique » se réfère davantage à une série de règles acceptées par tous
en fonction d'un rôle professionnel ou d'un domaine d'activités précis plutôt qu'à l’idée de ce
qui est perçu comme décent et moral selon notre propre jugement.




        Ce que nous explique Kevin Gibson39 c'est que la première conception de l'éthique dans
le monde de l'entreprise, s'applique au travers d'individus ayant un sens fort de la moralité
dans un domaine précis de leurs activités professionnelles, plutôt que de faire appel à un
jugement personnel. Ainsi, si le jeu consiste à maximiser les profits, pour beaucoup, le
seuil du comportement éthique des affaires à ne pas dépasser, serait alors celui fixé par la
loi. D'ailleurs, lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes éthiques, ceux qui partagent cette
conception de l'éthique, affirment souvent qu'ils n'ont rien fait de mal puisqu'ils n'ont rien fait
d'illégal.
.
        2 - La deuxième conception de l'éthique des affaires, quant à elle, ne fait aucune
différence entre les différentes fonctions ou domaines d'activités endossés par les individus.
Elle rejette l'idée qui consisterait à subdiviser l'éthique selon des catégories telles que de
« famille », « maison », « travail » « amour », chacune comportant ses propres règles ou sa propre
échelle de valeurs.
        Au contraire, cette deuxième notion renvoie à l'idée même que nous avons des
standards éthiques qui s'appliqueraient uniformément tout au long de notre vie. Ainsi, si nos
relations avec un consommateur ou celui d’un fabricant peuvent évoluer dans le temps, en


37
   Kevin Gibson est professeur agrégé de gestion et de philosophie à l'Université Marquette (US), et le Directeur
du Centre d'études sur l’éthique. Il a été cinq fois lauréat de l'excellence en Executive Education Award de l'Ecole
de Commerce Marquette.
38
   Ethics and Business. Kevin Gibson. Cambridge University Press. 2007. Bibl de l'Université de Luxembourg.
39
   Ethics and Business. Kevin Gibson.P.7


14
Concepts éthiques économiques et marchands.
                                                .
revanche nos principes de la décence morale40 ont un caractère plus permanent, nous
permettant de juger de ce qui est bon ou juste.




           3 - Conclusion.
        L'éthique ou philosophie morale, est une branche de la philosophie qui s’intéresse à la
manière dont nous devons vivre. L'éthique consiste à établir des principes de bon
comportement dans la vie de tous les jours ainsi qu’au travail. Pourtant, l’éthique de doit pas
toujours être confondue avec la morale, car ces deux termes qui ont deux racines différentes
l’une grecque, l’autre latine, ont au fond la même signification. Pourtant, il y a au moins deux
façons de distinguer l’éthique et la morale .La première consiste à opposer des normes, des
obligations et des interdits alors que la morale est davantage liée aux valeurs, aux aspirations et
aux principes.
        Cependant, l'éthique telle qu’on la conçoit en entreprise consiste également en
l'application des croyances morales et des principes éthiques aux problèmes et aux demandes
spécifiques d'une profession. De nombreux professionnels promulguent des «codes de
déontologie» des normes spécifiques pour un comportement éthique. Mais ces codes sont
limités. Ils sont cependant nécessaires, mais pas suffisants. Tout comme les lois, les codes
d'éthique sont souvent concernés par des normes minimales de la pratique, et comme les lois,
ils varient selon les juridictions et les professions.


40
     Kevin Gibson utilise le terme de « Baseline moral decency ».


15
Concepts éthiques économiques et marchands.
                                             .
       L'histoire de l'éthique pour les professionnels commence avec l’intégrité. Un
engagement à l'éthique doit commencer par la décision de vivre et de travailler en
conformité avec un ensemble de principes moraux. Nos actions doivent être conformes à ces
principes en tout temps et dans tous les contextes. Intégrité parle de cohérence dans son
comportement et d'adhésion à un ensemble de principes.
        Aujourd’hui, au beau milieu de cette crise, dans tous les pays du monde, des niveaux
records de pessimisme ont été atteints, faisant émerger parmi les populations, une quête de
points de repère, de retour à des valeurs structurantes. Altruisme, respect d’autrui, sens du
collectif et de la famille, sont des concepts porteurs qui viennent s’opposer à la course à la
performance et au profit, aux impasses de l’hyper individualisme.
       Fort heureusement, la plupart des entreprises ont compris ce nouveau paradigme et se
sont mis au travail pour apporter de nouvelles idées, plus respectueuses de l’environnement
écologique et social ; des idées plus éthiques.
        Cette nouvelle donne a déjà un impact sur les produits et marques que nous choisissons
et la publicité qui les promeut, subit également de plus en plus cette pression. Cette pression, se
concrétise d’ailleurs de plus en plus dans les lois nationales et les directives européennes, ce
qui inquiète une profession qui a toujours défendu l'autodiscipline et l'autorégulation. Mais les
faits sont là : le secteur de la publicité est de plus en plus encadré.




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  • 1. Concepts éthiques économiques et marchands. . Concepts éthiques économiques et marchands. Jérôme Vacca 1 - L’éthique au cœur de tous les débats. 2 - L’éthique appliquée à l’économie et à la logique marchande. 2.1 - Le développement économique au bénéfice du bien-être de l’humanité. 2.2 - L’éthique et l’entreprise. 2.3 - Les deux conceptions de l’éthique. 3 - Conclusion. 1
  • 2. Concepts éthiques économiques et marchands. . 1 - L’éthique au cœur de tous les débats. L’éthique est au cœur des débats actuels de notre société. Politiques, institutions financières, sociétés privées, industriels et agents de la publicité, nul ne semble pouvoir aujourd’hui s’en affranchir ou en être épargné. Dernièrement, ce sont des députés anglais qui se sont fait épingler pour leurs notes de frais abusives, créant un émoi et une colère sans précédent parmi la population de Grande-Bretagne. Une affaire qui ne date pourtant pas d’hier et qui en d’autres temps, n’aurait peut-être pas fait l’objet d’autant de remous. Cette affaire n’est qu’un exemple, mais elle revêt quelque chose de particulier en ces temps de crise où tous nos repères, nos valeurs, paraissent avoir été bousculés de manière durable et profonde. C’est que l’air du temps a viré à la tempête de grains de sable. «Les 2
  • 3. Concepts éthiques économiques et marchands. . consommateurs se demandent en permanence où ils vont et s’ils ont fait le bon choix», analyse le sociologue Jean-Claude Kaufmann1. Pourtant, ce virage ne date pas d’hier et n’a pas attendu la crise pour se manifester, car ainsi que l’écrit déjà en 2004 le journaliste Philippe Gavi dans Le Nouvel Observateur2 « Les recommandations adoptées l’an dernier par le BVP sur les enfants et le développement durable sont symptomatiques du syndrome du risque zéro ambiant. Elles stigmatisent les pubs qui valoriseraient, même au second degré, les mauvais comportements alimentaires des petits et la surconsommation des grands, ainsi que toute conduite contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles. » Jacques Séguéla a beau faire remarquer « qu’il est dans la nature de la langue publicitaire d’être euphorique et d’exagérer, que la publicité ne peut informer sans déformer» », tout semble se passer aujourd’hui comme si la publicité avait une influence décisive sur nos comportements. Une publicité éthique peut-elle rendre un produit plus éthique aux yeux des consommateurs alors que celui-ci est fabriqué par des enfants dans d’autres pays ? Pourra-t-on demain encore concevoir de consommer biscuits et gâteaux de marques connues, mais composés d’huile de palme alors que les plantations dont elle est issue contribuent largement à la déforestation de l’île de Bornéo3 ? Déjà en 2003, Jean-Noël Kapferer écrivait4 : « Finalement, un mouvement de fond est en train de saisir le monde des marques: l’impatience croissante du public face à des comportements non éthiques. De partout les signes convergent : si les consommateurs acceptent le jeu des signes et des imaginaires, ce qui fait que la marque est plus qu’un produit, en revanche ils n’acceptent plus que la mise en scène créatrice du désir et moteur de la consommation cache des pratiques que l’on tait sous prétexte qu’elles sont réalisées dans quelque lointain pays où l’entreprise a délocalisé, voire par des sous-traitants de nos entreprises désormais sans usines. Elle n’admet plus que son développement se fasse hors préoccupation environnementale, ou sans contrepartie équitable avec les pays d’accueil et leur développement durable. » La publicité et la confiance que le public lui confère, donc son efficacité, dépend surtout de la manière dont nous interagissons avec les enjeux et percevons les bouleversements qui modifient nos modes de vie et notre vision du monde. La publicité n’est évidemment qu’une partie infime du problème, et ne doit nullement devenir le bouc émissaire d’une crise 1 Jean-Claude Kaufmann est un sociologue français né en 1948 à Rennes. Spécialiste de la vie quotidienne, il travaille dans le cadre général de ses recherches au CNRS, sur la socialisation et la subjectivité. 2 Pub : le retour de l’ordre moral. Philippe Gavi, Le Nouvel Observateur. Nº2060 Avril 2004 3 Intitulé « Cooking the Climate », le rapport de Greenpeace détaille comment ces multinationales alimentent la destruction des forêts d’Indonésie pour satisfaire à la demande croissante d’huile de palme, incorporée dans nos aliments, nos cosmétiques mais également utilisée comme biocarburant. Les forêts tourbières d’Indonésie comptent parmi les puits de carbone les plus efficaces de la planète. 3
  • 4. Concepts éthiques économiques et marchands. . profonde du sens et de la confiance dans un modèle d’hyperconsommation qui vacille sur ses propres certitudes et convictions. Pourtant, comme l’écrit Bernard Brochand5, « il y a longtemps qu’elle (la publicité) n’est plus simplement un pur produit commercial de promotion des ventes, mais un phénomène culturel, l’expression d’une civilisation, le langage collectif des désirs, des rêves et des modes de vie. » Si, comme le dit Bernard Brochand, la publicité est effectivement le reflet des désirs et l’expression d’une civilisation, alors ne serait-il pas plus pertinent de ne pas uniquement l’observer de manière isolée, mais de l’examiner sous le prisme des mutations de la société qui nous entourent aujourd’hui ? : En effet, Il n’y a pas si longtemps, les stocks options étaient présentés comme la pointe avancée de l’efficacité gestionnaire, le marché comme un instrument incomparable, les impôts comme une forme de prédation, le PIB comme l’arbitre suprême de l’efficacité économique, bref le capitalisme comme l’avenir de l’humanité. Je ne porte ici aucun de jugement de valeur sur le capitalisme, ce n’est pas mon propos, mais il paraît aujourd’hui évident, alors que nous vivons sans aucun doute la crise la plus grave depuis la dernière guerre mondiale (peut-être encore plus grave que celle de 1929) que ce capitalisme a aujourd’hui bien plus de comptes à rendre à la société qu’auparavant. Nous le savons que trop, l’humanité toute entière ne pourra pas accéder au mode de vie occidental que nous leur souhaitons, en raison du caractère limité des ressources de la planète qui nous concernent tous6. Ne pas prendre en compte cet enjeu relèverait de l’aveuglement entêté et à n’y prendre pas garde, nous pourrions rapidement partager le destin des habitants de l’île de Pâques7. De grands changements s’opèrent en matière d’éthique et de responsabilité marchande, où le mot « confiance » moteur d’une économie stable et sereine, se perd en questionnements dans un modèle économique à reconstruire. Ce propos semble s’éloigner de notre sujet, « l’éthique de la publicité et de son autorégulation » mais en y regardant de plus prêt, il parait en fait bien plus proche : les considérations sociales, de solidarité et de développement durable de nos chers consommateurs sont davantage au cœur de leurs préoccupations et la publicité (je ne parle ici que de publicité à caractère commercial) qui est au service des biens et des services ne doit pas devenir le bouc émissaire d’une crise profonde du sens et de la 4 Jean-Noël KAPFERER, Réinventer la marque ? Revue française de gestion 2003/4, n° 145, p. 119-130. 5 Préface de Bernard Brochand pour le livre de Bernard Cathelat « Publicité et Société ». 4
  • 5. Concepts éthiques économiques et marchands. . confiance. Elle-même, malgré ses dérives, ne joue-t-elle pas un rôle important dans le processus qui permet à un système économique, inspiré par des normes morales et soucieux du bien commun, de contribuer au développement de l'humanité8 ? Elle est un rouage nécessaire au fonctionnement des économies modernes de marché, qui existent aujourd'hui ou s'établissent dans de nombreux pays du monde, et qui — si elles se conforment aux normes morales basées sur le développement intégral de la personne humaine et sur le souci du bien commun — semblent être actuellement « l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins » de nature socio-économique. . ‘Déconnecté de toute visée de civilisation ou d'humanisme, le progrès n'a plus d'autre justification que son propre mouvement’. Luc Ferry9.» 2. L’éthique appliquée à l’économie et à la logique marchande. En économie, depuis longtemps sont débattues les conditions d'une société plus juste. Pour certains économistes, la société est le théâtre d'un affrontement entre des morales irréconciliables. Pourtant, la problématique de l'éthique économique ne date pas d'hier. Déjà en 1848, les premières bases d'une l'éthique économique étaient jetés par Stuart Mill10 qui affinait la pensée de Bentham11 dans ses « Principes d'économie politique ». Il affirmait que la production et le marché n'avaient pas pour seul but le profit, mais une mission sociale de maintien du tissu social. Dans son livre, Mill se demande “à quel but définitif la société marche-t-elle avec ses progrès industriels ?” Il répond que la croissance et la compétition 6 Denis Clerc. Faire table rase ? Alternatives Economiques n°281 juin 2009 7 Dans le Film de Yan-Arthus Bertrand, ‘Home’, il est fait référence au destin des habitants de l’île de Pâques, qui faute de ne pas avoir pu ou su préserver les ressources naturelles de l’île, auraient scellé à jamais la disparition de leur civilisation. 8 Conseil pontifical pour les communications sociales. Ethique en publicité. 5
  • 6. Concepts éthiques économiques et marchands. . permanente ne peuvent pas être un idéal de vie, et qu’au bout du compte, après ce qu’il appelle “l’état progressif”, il y aura un “état stationnaire”où les progrès ne seront plus économiques, mais “moraux et sociaux”. Qu'est-ce alors une société juste ? Les inégalités de revenus sont-elles justifiées ? Chacun est-il responsable de ses conditions d'existence, ou bien y a-t-il une responsabilité collective au bonheur des individus ? De telles questions ont souvent jalonné la réflexion éthique en économie, mais qui bénéficie aujourd'hui d'un regain d'intérêt aux théories de Mill, comme en témoigne l'attribution du prix Nobel d'économie 1998 à AmarTya Sen12. L a pensée éthique se transforme. L’éthique n’est pas une science exacte, c’est une manière de penser, de voir, de faire et d’accepter les choses qui épousent les contours de nos modes de vie en sociétés. Elle n’est figée que par la pensée humaniste, mais revêt dans les pratiques, un caractère changeant selon les cultures et les périodes (guerres – paix – crises – croissance). Par exemple : Que dirions-nous aujourd'hui d'un État qui, dans le but de soutenir son industrie de tabac, organiserait ouvertement la distribution gratuite de cigarettes dans des écoles ? Scandaleux, inacceptable, inconcevable, seraient sans aucun doute les expressions employées. Nous n'hésiterions pas une seule seconde à parler de pratiques non éthiques et la concurrence, elle, parlerait de pratiques déloyales. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, c’est ce qu’organisait encore l’État français en 1986 et je peux en témoigner : " Jeune appelé militaire de 19ans, j'ai effectué mon service militaire dans le 11iem bataillon de Chasseurs alpins de Barcelonnette. À l'époque, nous recevions tous les mois deux choses très importantes à nos yeux : 400 francs et 2 cartouches de Gauloises sans filtre de 10 paquets de 20 cigarettes ; aux fumeurs comme non-fumeurs. De quoi tenir un mois. Il est vrai qu'à l'époque la SEITA appartenait alors encore à l'État, et puisque le service obligatoire permettait de faire passer tous les jeunes hommes sous son drapeau, l'occasion était vraiment trop bonne d'initier également cette jeunesse à la prise régulière de nicotine nationale en leur distribuant gratuitement des marques françaises. A l'époque, en 1986, personne ne semblait s'en offusquer et pourtant la dangerosité de la cigarette n'était plus ignorée ni des pouvoirs publics, ni du public. " 9 Luc Ferry, philosophe et ministre de l'éducation de 2003 à 2004. Extrait de « Penser le changement » 10 Dès le 19ème siècle, l’un des théoriciens de références du libéralisme envisageait déjà ses limites. Il s’agit de John Stuart Mill, figure très influente de la pensée économique. Il était le défenseur de l’utilitarisme, une théorie éthique préalablement exposée par son parrain Jeremy Bentham. 11 Jeremy Bentham est un philosophe et réformateur anglais qui est mort en 1832. Bentham prône une doctrine, l’utilitarisme et met au point une méthode de calcul du bonheur et des peines, qui tente de déterminer scientifiquement au travers de sept critères, la quantité de plaisir et de peine générée par nos diverses actions. L’économie politique lui doit la popularisation de la notion d’utilité, qu’il a étendue au droit (v. notamment la notion d’arithmétique morale) et aux sciences sociales. (Source Wikipedia) 12 En 1998, il reçut le "Prix Nobel d’économie" pour son travail sur l’économie du bien-être.. 6
  • 7. Concepts éthiques économiques et marchands. . Alors pourquoi ce qui n’est pas considéré comme immoral à une époque le devient-il par la suite ? Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, car nous pourrions aisément invoquer d’autres sujets tels que celui des enfants, de l’obésité, de la violence, de l’image des femmes, etc…Ainsi, les époques se suivent et ne se ressemblent pas, tant dans nos mœurs que dans nos modes de vie et pour bien comprendre la problématique de l’éthique, il faut pouvoir l’analyser sous le prisme du temps présent. Nous vivons aujourd’hui un monde en profonde mutation qui vacille sur ces convictions les plus capitalistes. Plus de 60 ans après sa mort, l’économiste le plus célèbre et le plus influent du XXe siècle, Keynes, voit un retour en grâce de ses idées. Vingt ans après la domination néoclassique et monétaire, la crise actuelle a permis la réhabilitation de ses idées et également de ses remèdes pour en sortir. Le capitalisme présentera-t-il un autre visage après la crise ? Pour certains économistes les conditions ne sont pas réunies, mais pour d’autres ils existent d’autres alternatives qui peuvent bâtir les fondations d’un nouveau capitalisme : La croissance verte, l’économie de fonctionnalité13, social business14, etc.…. 2.1 Le développement économique au bénéfice du bien-être de l’humanité. Il faut dire que notre vision du monde a longtemps été liée au concept de développement ou de croissance, un concept qui a longtemps perduré et qui est aujourd’hui décrié. Il sous-entendait que les pays pauvres devaient obligatoirement connaître un cheminement identique à ceux des pays riches pour les conduire inexorablement à la société de consommation. Comme consommation est synonyme d’élévation du bien-être, ce concept ne pouvait être que moral. Ce cheminement en 5 étapes est théorisé par l’économiste américain Walt Rostow 15 dans les années 60 : 1 - La société traditionnelle sous-développée, 2 - la mise en place des conditions préalables au décollage, 3 - le décollage, 4 - le progrès vers la maturité, 5- l’ère de la consommation de masse. 13 L’économie de fonctionnalité est un terme forgé dans le milieu des années 90 pour designer le passage de l’achat d’un bien à l’utilisation de ce même bien dans le cadre d’une prestation de service. Terme inventé par le suisse Walter Sahel. 14 Bi-mensuel des Problèmes Economiques. 29.4.2009. « Les économistes face à la crise, Keynes, grand retour » 7
  • 8. Concepts éthiques économiques et marchands. . Ainsi, le Tiers Monde devait obligatoirement rattraper les pays riches selon un modèle obligé, celui de la société industrielle, référence universelle. Bien entendu, d’autres économistes comme le Français François Perroux16 livrait une autre définition du développement prenant déjà en compte un aspect plus humain, mais c’est cependant le modèle de développement classique qui a toujours prévalu. Ainsi aujourd’hui, le concept de « développement » ne renvoie plus à ce que l'on appelait durant les trente glorieuses l'"économie du développement" - c'est-à-dire un ensemble d'analyses et de propositions visant à permettre aux pays du tiers monde de rattraper les pays industrialisés -, mais à une réflexion plus globale, tous pays confondus, sur les finalités ultimes de la vie et de la pensée économiques. Une telle évolution, qui se manifeste notamment par l'apparition et le succès de néologismes tels que "développement humain" ou "développement durable", résulte en particulier du fait que toutes les économies, riches ou pauvres, sont désormais confrontées (à des degrés naturellement variables) aux revers tant écologiques que sociaux du fonctionnement de la sphère économique. Seulement face à la montée démographique des pays pauvres, nos sociétés riches devront rapidement prendre conscience que les ressources de la Terre sont limitées. Une chose est certaine, un monde différent se dessine où l’éthique prendra davantage de place. Ainsi que l’écrit Marie-Josèphe Carrieu-Costa17 dans les Annales des Mines, « C’est à coup sûr un changement de civilisation, au sens le plus banal du terme, car il porte la représentation d’une organisation planétaire. C’est une opportunité, pour l’espace industrie/services/marché, de recentrer ses activités comme un écosystème global dans lequel humain se débat moins, mais réinterprète sa place, celle de son espèce et de son devenir. »18 15 Walt Whitman Rostow (1916 - 2003) est un économiste et théoricien politique américain. Il a été conseiller spécial pour la sécurité nationale du président Johnson dans les années 1960. On doit à W.Rostow une vision extrêmement linéaire et discutée du développement en cinq grandes étapes des sociétés industrielles (énoncée dans Les étapes de la croissance économique, 1960) 16 François Perroux (Décembre 19, 1903 - Juin 2, 1987) était un économiste français. Il était terriblement critique des politiques financières et économiques envers le tiers-monde pendant le demi-siècle de sa carrière. Il a dit qu'elles ne tenaient pas suffisamment compte de l'originalité, la culture, et les situations concrètes des pays concernés et qu’elles étaient trop quantitatives, trop occidentales dans leur concept, et trop centréés sur les intérêts des pays riches industrialisés. 8
  • 9. Concepts éthiques économiques et marchands. . Le management, les affaires, le développement et le commerce sont de plus en plus étroitement liés par un dénominateur commun : La responsabilité. Il s’agit du souci de l’autre, du souci de l’écosystème, et du souci de l’avenir. Seulement, le monde des affaires s’est perdu dans le désert de l’éthique. Aux États- Unis, terre du libéralisme par excellence, un sondage mené en 2004 par Gallup a interrogé les nord-américains sur la perception morale qu’ils se faisaient de certaines professions. Des 21 activités professionnelles identifiées, le métier d’infirmière est perçu comme étant le plus honnête, alors que celui de dirigeant d’entreprises se classe en avant-dernière position. En mai 200519, un autre sondage de Gallup portant cette fois sur le climat moral et éthique aux États- Unis, montre que 59% des gens étaient assez insatisfaits du climat moral et éthique, mais que 29% en étaient très insatisfaits. Sur l’échelle éthique proposée par Gallup, les grandes entreprises se classaient 14e sur 15. Ce résultat est quand même très surprenant lorsqu’on sait qu’outre-Atlantique, 90% des écoles de commerce forment leurs étudiants à l’éthique des affaires20. Si l’éthique du monde des affaires est enseignée dans les écoles de commerce, pourquoi alors est-elle si peu respectée ? Une partie de la réponse se trouve peut-être dans cette autre étude menée en 2006 par la Josephson Institute of Ethics21 auprès de 36 122 étudiants de grandes écoles de commerce : Ainsi, si 94% déclare que l’honnêteté est essentielle dans le monde des affaires et plus particulièrement dans l’environnement du travail, 59% pensent que pour réussir (to be succesful), il faut être prêt à faire n’importe quoi, voire même tricher (cheating). 42% sont d’ailleurs convaincus que pour réussir dans la vie, mentir et tricher sont indispensables. Ces chiffres sont t-ils en fin de compte aussi surprenants que cela ? Sont-ils symptomatiques d’une culture américaine tellement différente de la nôtre, où vivons-nous 17 Auteure de nombreux articles dans diverses revues d’audience nationale, elle collabore comme chef de projet à des revues ou colloques sur ces sujets mêlant SHS et technologies, en particulier pour les Annales des Mines, étant co-fondatrice de la série des Annales "Gérer et Comprendre".Depuis 1990, Marie-Josèphe Carrieu-Costa est à la tête d’une entreprise de conseil qu’elle a fondée, Amble Consultants, au sein de laquelle elle déploie ses multiples compétences au service de la formation, de l’apprentissage et de l’innovation. 18 Annales des Mines, l’Eco-conception : vers une nouvelle socio-économie industrielle. 2006» 19 'Morality Meter' The Gallup Organisation. March 2005. www.galluppol.com 20 Source: www.managementhelp.org/ethics/ethxgde.htm 9
  • 10. Concepts éthiques économiques et marchands. . également en Europe, une réalité identique ? Le comportement éthique est-il compatible avec un management efficace d’une entreprise qui doit être rentable pour survivre ? Pourtant, si l'éthique du monde du travail est essentielle aux yeux de tous, elle semble cependant se heurter à la réalité du monde des affaires, celle de l'efficacité qui doit primer avant tout. Le monde de l'entreprise ou chaque individu est une pièce dans ensemble complexe de rouages et d'activités qui tendent toutes vers l'efficacité, nous amènerait-il à nous désindividualiser, comme le suggérerait l'expérience de Stanford22 ? Le pouvoir de l'autorité nous amènerait-il à nous comporter en contradiction de notre système de valeurs morales et éthiques, comme le démontre l'expérience de Stanford ou bien celle de Milgram23 ? Sous l'autorité, tombons-nous aussi facilement en état « agentique24 »? Il existerait donc une contradiction entre notre désir d’éthique et les moyens à mettre en œuvre pour réussir dans le monde du travail et des affaires. Si, des étudiants en commerce se posent de telles interrogations, quand est-il alors de l’entreprise ? 2.2 L’éthique et l’entreprise. L'entreprise est elle-même confrontée aux mêmes interrogations: épuisement des ressources naturelles, emballement technique, transformation des paysages, disparition d'emplois substitués par des machines, rupture des liens physiques entre le client et la personne à son service, les disparités de plus en plus croissantes des émoluments de quelques-uns et le salaire du citoyen moyen en Europe ou encore en Afrique. Les marchés sont planétaires et les questions éthiques sur le monde du travail sont également les mêmes du Canada à la chine, des États-Unis à la Pologne. 21 Source : http://www.signonsandiego.com/news/metro/20081006-9999-1m6gross.html ou josephsoninstitute.org 22 L’expérience de Stanford (Effet Lucifer) est une étude de psychologie expérimentale menée par Philip Zimbardo en 1971 sur les effets de la situation carcérale. Elle fut réalisée avec des étudiants qui jouaient des rôles de gardiens et de prisonniers. Elle visait à étudier le comportement de personnes ordinaires dans un tel contexte et eut pour effet de montrer que c'était la situation plutôt que la personnalité des participants qui était à l'origine de comportements parfois à l'opposé des valeurs professées par les participants avant le début de l'étude. 23 L'expérience de Milgram est une expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 par le psychologue américain Stanley Milgram. De 1960 à 1963, Milgram mène une série d'expériences, avec plusieurs variantes, permettant d'estimer à quel point un individu peut se plier aux ordres d'une autorité qu'il accepte, même quand cela entre en contradiction avec son système de valeurs morales et éthiques. Des sujets acceptent de participer, sous l'autorité d'une personne supposée compétente, à une expérience d'apprentissage où il leur sera demandé d'appliquer des traitements cruels (décharges électriques) à des tiers sans autre raison que « vérifier les capacités d'apprentissage ». Lors des premières expériences menées par Stanley Milgram, 62,5% (25 sur 40) des sujets menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises les électrochocs de 450 volts, supposés mortels. 24 Lorsque l'individu obéit, il délègue sa responsabilité à l'autorité et passe dans l'état que Stanley Milgram appelle « agentique ». L'individu n'est plus autonome, c'est un « agent exécutif d'une volonté étrangère » 10
  • 11. Concepts éthiques économiques et marchands. . 25 Ce que nous raconte Fabienne Cardot dans son « Que sais-je » est très intéressant. Elle nous révèle que depuis que les usines sont nées en France et en Angleterre au XVIIIe siècle, les hommes d'entreprise ont réfléchi à leurs activités. Le monde des affaires européen puis américain possède une tradition de réflexion sur lui-même et sur ce qui est nécessaire au-delà du profit. Cette longue tradition s'épanouit notamment dans l'utilitarisme de l'anglais John Stuart Mill et dans la pensée de Max Weber27 sur le capitalisme protestant et dans le « paternalisme » 26 français. Ainsi la pensée de Max Weber28 qui accompagne l'essor du capitalisme protestant et la mise en place d'une société moderne, analyse la fin de l'activité rationnelle de l'entreprise et le sens de l'économie moderne. Il démontre comment le rigoriste entrepreneur calviniste avec ses qualités éthiques a contribué à la rationalisation de la société. Quant au paternalisme français29 nous dit-elle, né en Alsace, est un ancêtre direct de l'éthique d'entreprise actuelle: Le paternalisme qui était une alternative au syndicalisme et au socialisme, en faisant du chef d'entreprise la source d'un patronage qui permettait une bonne organisation du travail, s'est traduit dans les faits dans des entreprises telles que Schneider au Creusot ou Schlumberger à Mulhouse. Sans obligation légale, mais imprégnés de sentiments religieux ou francs-maçons et pour que leur usines prospèrent, les patrons du textile ou de la métallurgie de la seconde moitié du XIXe siècle, décident de prendre en charge la vie de leurs ouvriers et de les sortir de la misère. Les temps et les mœurs ont changé, la référence religieuse s'est estompée, mais des traditions perdurent encore dans les grandes familles françaises comme les De Dietrich 30, dont le P.D.G. de la 8ie génération qui nous rappelait lors de son départ à la retraite en 1996: « il faut garder un sens noble au pouvoir; garder une éthique rigoureuse et l'appliquer à tous les niveaux; nous avons une fierté partagée concernant l'entreprise, l'Alsace, notre capacité à être les meilleurs dans notre domaine.. » 25 Fabienne Cardot est responsable de l'éthique au sein d'un grand groupe français et administrateur du cercle d'éthique des affaires. Auteur du « Que Sais-je » n°3755 ''éthique d'entreprise ' Bibl Uni Luxembourg. 26 Voir plus haut. 27 Max Weber (21 avril 1864-14 juin 1920), sociologue et économiste allemand, est, avec Vilfredo Pareto, Émile Durkheim, Georg Simmel et Karl Marx, l'un des fondateurs de la sociologie moderne. (wikipedia) 28 Max Weber « Nous appellerons action économique « capitaliste » celle qui repose sur l'espoir d'un profit par l'exploitation des possibilités d'échange, c'est-à-dire sur des chances (formellement) pacifiques de profit » (tiré de son ouvrage L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme,1904). 11
  • 12. Concepts éthiques économiques et marchands. . Cette éthique paternaliste fait aujourd’hui partie d’une époque révolue mais l'entreprise est cependant toujours considérée comme un acteur social à fort impact dont on attend beaucoup. Elle est considérée comme une personne morale dont la responsabilité pénale est désormais en cause, par exemple depuis 1994 dans le Code pénal français. Seulement voilà, les entreprises industrielles ont fait place à des entreprises de services et le critère de jugement des performances des entreprises n’est plus l’économie « réelle », la production de biens et services répondant aux besoins de la société, mais la seule « finance », la capacité de l’entreprise à fournir des rendements financiers importants31. Cette financiarisation se voit notamment dans le fait que dans de nombreuses entreprises, c’est la direction financière qui prime sur la direction de la production. Un exemple caricatural fera comprendre le risque d’une telle inversion des objectifs de l’entreprise : il suffit que l’entreprise ne renouvelle pas son stock de capital (n’investisse pas) pour dégager un bénéfice très important ; on comprend immédiatement qu’au bout d’un très petit nombre d’années, il n’y aura plus ni bénéfice… ni entreprise32 ! Ainsi que nous l’explique Hugues Puel33, « La mondialisation financière a des effets considérables sur la conception de l’entreprise. Il assure le triomphe de l’actionnaire sur le partenaire (shareholder versus stakeholder) et prône un gouvernement d’entreprise entièrement orienté vers ce que l’on appelle aujourd’hui la création de valeur pour l’actionnaire, c’est-à-dire le profit maximum. Ces partenaires naturels de l’entreprise que sont le salarié, le client, le fournisseur, la communauté locale passent au second plan. Le rendement financier à court terme (résultats trimestriels) l’emporte sur les projets à long terme, selon la temporalité de l’urgence caractéristique de la globalisation financière ». Cependant, cette financiarisation semble avoir atteint sa limite et le temps des valeurs morales et éthiques semble, lui, faire son grand retour devant la scène, comme nous l’explique Daniel Lebègue34 : Il nous dit que le monde de l’entreprise est aujourd’hui meut par l’émergence d’un nouveau révérenciel qui serait le produit d’un mix de valeurs pour l’entreprise du 21ième siècle. Ce nouveau révérenciel qui n’a cependant pas émergé du jour au lendemain sous l’effet d’une crise, serait le fait d’un développement logique d’un besoin plus fort de valeurs morales tant citoyennes qu’environnementales et largement galvanisées par des pratiques mercantiles peu éthiques (voire frauduleuses) et qui datent d’avant la crise. 29 Inspiré de la pensée de Frédéric Leplay « La réforme sociale en France », 1872. 30 L’histoire du groupe De Dietrich Thermique débute en 1684. Le logo, symbole de qualité depuis 1778, De Dietrich est le plus ancien sigle industriel connu. Le Groupe s’est toujours affirmé comme un acteur essentiel de la vie économique et sociale. Pionnière dans la protection des droits des ouvriers, l’entreprise a participé aux grands projets industriels dès le début du XXe siècle. 31 De Hugues Puel « Les activités financières au défi de l'éthique ». Actes de la conférence tenue le 27 avril 2000 au Centre Universitaire à Luxembourg P17. Auteur de « Les Paradoxes de L'economie - L'éthique Au Défi. » 32 Le cas Enron, Notice à l'intention des enseignants. http://www.lyon- ethique.org/IMG/pdf/Enron_notice_enseignants.pdf 12
  • 13. Concepts éthiques économiques et marchands. . Nous avons peut-être atteint notre le seuil de tolérance à partir duquel nous prenons conscience que la qualité de notre vie en société ne pourra désormais plus progresser sans un autre modèle. La plupart des grandes sociétés d'envergure internationale ont développé des codes éthiques en interne. Mais que dirions-nous d’une société dont le code de déontologie à destination des employés et des cadres dirigeants, nous disait ceci ? : « Les employés du ... ... ... sont chargés de mener leurs affaires conformément aux normes éthiques les plus élevées. Un employé ne doit pas se conduire d'une manière qui, directement ou indirectement, serait préjudiciable à l'intérêt supérieur de la Société ou de la manière à apporter un gain financier qui ne soit pas directement la conséquence de son travail de salarié au sein de la Société. Les obligations morales ainsi que légales seront remplies ouvertement, sans délai, et d’une manière qui reflétera la fierté de la Société. La publicité et la promotion devront être véridiques, non exagérées ou trompeuses. Les accords passés au nom de la Société, qu'ils soient contractuels ou verbaux, seront toujours honorés. Aucuns pots de vin, primes, commissions occultes, divertissements luxueux, ou cadeaux, ne seront donnés ou reçus en échange d'une position particulière35. Il s’agit pourtant ici du code éthique de la société Enron, la deuxième plus grande faillite jamais enregistrée aux États-Unis36. Ce qui est emblématique chez Enron, société finalement à caractère très industriel, est cette financiarisation à outrance dont l’objectif ultime ne consiste plus « simplement » à générer des profits par le fait de la production et la vente de produits ou services mais plus spécifiquement à maximiser la valeur de l’entreprise par le biais de produits financiers et de jeux comptables. La politique d’Enron l’a conduite à développer plus de 2100 produits financiers, offerts en 15 devises, en passant par des prises de participations dans des infrastructures de télécommunications. Malgré ce code éthique, cela n’a pas empêché les dirigeants de cette société à maquiller ses comptes pour faire croire que ses bénéfices excellents ne se faisaient pas au détriment de sa substance. Mais alors que nous écrivons des codes éthiques, pourquoi ne parvenons-nous pas à les respecter ? Notre conception de l’éthique peut-elle être différente selon la situation ? 2.3 Les deux conceptions de l’éthique. 33 Hugues Puel (né en 1932) est un économiste, enseignant et prêtre dominicain. Il a dirigé l’association Économie et Humanisme. 34 Daniel Lebègue préside l’Institut du développent durable et des relations internationales et co-président d’Eurofi. Préface du livre « Responsabilté, éthique et logique marchande » dirigé par Jean-François Trinquecoste. 2008. 35 Il s’agit de ma propre traduction. Veuillez m’excuser si cette traduction n’est pas du meilleur français mais le texte original y est respecté. 36 En fait, première en 2001 avec 63Milliards de dettes mais battue un an après avec la faillite de la WorldCom Inc qui enregistra 102Milliards de dettes. 13
  • 14. Concepts éthiques économiques et marchands. . Selon Kevin Gibson , il existerait deux conceptions de l'éthique38 dans le monde 37 des affaires. Selon lui, le terme de l'éthique des affaires (En anglais: « Business ethics ») est ambigu, car il renvoie à deux conceptions différentes dont des implications sont distinctes selon l'usage: 1 - La première de ces conceptions concerne « les règles du jeu » ou les pratiques dans un domaine limité. Dans le sport ou les jeux de compétition en général, chacun sait reconnaître que tel comportement est acceptable et que tel autre ne l'est pas. Il est acceptable de « bluffer » ou de mentir au poker, mais pas de marquer les cartes. Ce terme d'éthique est également utiliser pour parler « d'éthique des bandes » ou tuer un rival d'une autre bande est acceptable, mais pas de dénoncer ce même rival à la police. Cette notion de «l' éthique » se réfère davantage à une série de règles acceptées par tous en fonction d'un rôle professionnel ou d'un domaine d'activités précis plutôt qu'à l’idée de ce qui est perçu comme décent et moral selon notre propre jugement. Ce que nous explique Kevin Gibson39 c'est que la première conception de l'éthique dans le monde de l'entreprise, s'applique au travers d'individus ayant un sens fort de la moralité dans un domaine précis de leurs activités professionnelles, plutôt que de faire appel à un jugement personnel. Ainsi, si le jeu consiste à maximiser les profits, pour beaucoup, le seuil du comportement éthique des affaires à ne pas dépasser, serait alors celui fixé par la loi. D'ailleurs, lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes éthiques, ceux qui partagent cette conception de l'éthique, affirment souvent qu'ils n'ont rien fait de mal puisqu'ils n'ont rien fait d'illégal. . 2 - La deuxième conception de l'éthique des affaires, quant à elle, ne fait aucune différence entre les différentes fonctions ou domaines d'activités endossés par les individus. Elle rejette l'idée qui consisterait à subdiviser l'éthique selon des catégories telles que de « famille », « maison », « travail » « amour », chacune comportant ses propres règles ou sa propre échelle de valeurs. Au contraire, cette deuxième notion renvoie à l'idée même que nous avons des standards éthiques qui s'appliqueraient uniformément tout au long de notre vie. Ainsi, si nos relations avec un consommateur ou celui d’un fabricant peuvent évoluer dans le temps, en 37 Kevin Gibson est professeur agrégé de gestion et de philosophie à l'Université Marquette (US), et le Directeur du Centre d'études sur l’éthique. Il a été cinq fois lauréat de l'excellence en Executive Education Award de l'Ecole de Commerce Marquette. 38 Ethics and Business. Kevin Gibson. Cambridge University Press. 2007. Bibl de l'Université de Luxembourg. 39 Ethics and Business. Kevin Gibson.P.7 14
  • 15. Concepts éthiques économiques et marchands. . revanche nos principes de la décence morale40 ont un caractère plus permanent, nous permettant de juger de ce qui est bon ou juste. 3 - Conclusion. L'éthique ou philosophie morale, est une branche de la philosophie qui s’intéresse à la manière dont nous devons vivre. L'éthique consiste à établir des principes de bon comportement dans la vie de tous les jours ainsi qu’au travail. Pourtant, l’éthique de doit pas toujours être confondue avec la morale, car ces deux termes qui ont deux racines différentes l’une grecque, l’autre latine, ont au fond la même signification. Pourtant, il y a au moins deux façons de distinguer l’éthique et la morale .La première consiste à opposer des normes, des obligations et des interdits alors que la morale est davantage liée aux valeurs, aux aspirations et aux principes. Cependant, l'éthique telle qu’on la conçoit en entreprise consiste également en l'application des croyances morales et des principes éthiques aux problèmes et aux demandes spécifiques d'une profession. De nombreux professionnels promulguent des «codes de déontologie» des normes spécifiques pour un comportement éthique. Mais ces codes sont limités. Ils sont cependant nécessaires, mais pas suffisants. Tout comme les lois, les codes d'éthique sont souvent concernés par des normes minimales de la pratique, et comme les lois, ils varient selon les juridictions et les professions. 40 Kevin Gibson utilise le terme de « Baseline moral decency ». 15
  • 16. Concepts éthiques économiques et marchands. . L'histoire de l'éthique pour les professionnels commence avec l’intégrité. Un engagement à l'éthique doit commencer par la décision de vivre et de travailler en conformité avec un ensemble de principes moraux. Nos actions doivent être conformes à ces principes en tout temps et dans tous les contextes. Intégrité parle de cohérence dans son comportement et d'adhésion à un ensemble de principes. Aujourd’hui, au beau milieu de cette crise, dans tous les pays du monde, des niveaux records de pessimisme ont été atteints, faisant émerger parmi les populations, une quête de points de repère, de retour à des valeurs structurantes. Altruisme, respect d’autrui, sens du collectif et de la famille, sont des concepts porteurs qui viennent s’opposer à la course à la performance et au profit, aux impasses de l’hyper individualisme. Fort heureusement, la plupart des entreprises ont compris ce nouveau paradigme et se sont mis au travail pour apporter de nouvelles idées, plus respectueuses de l’environnement écologique et social ; des idées plus éthiques. Cette nouvelle donne a déjà un impact sur les produits et marques que nous choisissons et la publicité qui les promeut, subit également de plus en plus cette pression. Cette pression, se concrétise d’ailleurs de plus en plus dans les lois nationales et les directives européennes, ce qui inquiète une profession qui a toujours défendu l'autodiscipline et l'autorégulation. Mais les faits sont là : le secteur de la publicité est de plus en plus encadré. 16