Le champ culturel est en perpétuel mouvement et a fait de l’émergence un de ses traits d’identité les plus caractéristiques. Mais plusieurs facteurs contribuent à rendre le repérage de l’émergence plus complexe qu’autrefois : les frontières du domaine culturel s’élargissent, le public change de place, les nouvelles technologies modifient le rapport à l’œuvre, alors que les disciplines identifiées continuent à se renouveler et à pratiquer l’émergence… Aussi, la question de la nature du regard à porter devient-elle centrale, puisqu’il faut embrasser un panorama très large couvrant différentes pratiques qui ne sont pas encore admises dans le champ artistique, mais qui ne peuvent en être exclues, toutes sortes de technologies, toutes sortes d’attitudes… Cette séance dédiée aux « Nouvelles disciplines, nouvelles pratiques individuelles : les chemins variés de l’émergence culturelle », se propose de faire le point sur les jeunes pousses identifiées ou en passe de l’être, manière d’insister sur la nécessité d’en faire un repérage plus systématisé et mieux capitalisé.
1. Les chemins variés
de l’émergence
culturelle
Nouvelles disciplines,
nouvelles pratiques
2. I – Pratiques émergentes :
quel sens donner aux usages
des individus ?
3. L’individu impliqué dans la
réalisation :
• Créer dans un atelier de pratique
artistique
• Réaliser des objets en collaboration
4. L’impact du numérique
grand public
• Des plateformes et des blogs aux
contenus pour partie artistiques
• Se produire soi-même via le Net
5. Les usages réinventés des
œuvres et des médias
• S’approprier une production pour la
remixer
• Allers retours entre le pixel et le réel
• Les usages artistiques des nouveaux
médias
8. La circulation de l’information
et l’attraction d’un public
nouveau
• Devenir producteur d’information
• Réseaux sociaux et plateformes
peuvent-il attirer un public nouveau ?
9. Repenser l’institution culturelle
• L’institution culturelle redimensionnée
par le Net
• Élargir la diffusion et s’affranchir des
contraintes du temps
11. Le cas des cultures urbaines et
immigrées
• La danse hip hop et son assimilation à
la danse contemporaine
• Le slam, prochaine discipline
émergée ?
• Le graff va-t-il percer ou est-il
définitivement encalminé ?
• La place intermédiaire des musiques
issues de l’immigration
12. Emerger par un nouveau
médium, le cas des cultures
électroniques
• Les musiques électroniques
• Les jeux vidéo
18. Comment l’écrit se reformule
• Tous auteurs ?
• Un renouveau de la diffusion de l’écrit
Notas del editor
Dans un paysage culturel en recomposition, le « public » occupe une place nouvelle : il n’est plus seulement assis dans une salle, mais s’implique dans la réalisation d’objets ayant une composante artistique. Ainsi, certains « spectateurs » participent à des ateliers de création artistique en présence d’un artiste professionnel, d’autres s’investissent dans la réalisation et la diffusion d’objets mis à disposition sur des plateformes d’échanges sur Internet. Cela entraîne un usage nouveau des médias et a des conséquences sur ce qui est, ou non, considéré comme une œuvre d’art.
Plusieurs dispositifs apparus depuis une quinzaine d’années cherchent à faire participer le public pour qu’il contribue à la réalisation d’un objet artistique. Ces ateliers de pratique artistique concernent aujourd’hui de nombreuses disciplines. En parallèle, on assiste à l’émergence d’une multitude d’initiatives individuelles ou collectives, au cours desquelles les individus réalisent une production à composante créative.
Les nouveaux outils numériques grand public caméra, appareil photo, logiciel de programmation, comme les nouveaux médias numériques, ont suscité un engouement populaire massif. Aujourd’hui, de très nombreux individus réalisent des sons, des images, des films qu’ils postent ensuite sur des plateformes d’échange. L’amateurisme se développe, se diffuse et se « professionnalise » tant les critères d’exigence augmentent : le public, souvent jeune, qui s’intéresse à ces objets, est de plus en plus aguerri et sait distinguer les productions les plus abouties.
Le numérique a introduit un rapport nouveau à la réception des œuvres : il ne s’agit plus seulement de contempler, mais de s’approprier le travail artistique. Cette appropriation se traduit par une multitude de sons, d’images et de films qui interprètent, commentent, traduisent, parodient des productions artistiques. D’autres appropriations consistent à convertir une production virtuelle en une réalisation « physique », ou encore à détourner les usages de fonctionnalités mondialement partagées comme celles proposées par Google.
Dans un domaine où la constitution de valeur symbolique occupe une place prépondérante, l’apparition de nouveaux médias provoque nécessairement un bouleversement des modalités de constitution des objets artistiques. Avec les nouveaux médias que sont les plateformes d’échange ou les sites communautaires, sont apparues de nouvelles manières de faire circuler l’information culturelle et probablement de nouvelles manières d’accéder au statut – convoité – d’œuvre d’art. Ces évolutions majeures court-circuitent les médias classiques mais aussi les institutions culturelles qui pourraient à leur tour imaginer des répliques adaptées.
On appelle nouveaux médias les plateformes qui permettent de partager des vidéos ou du son, les réseaux sociaux qui interconnectent les individus, les blogs, les sites… Tous ces outils fonctionnent sur un principe de libre contribution des internautes, qui en sont à la fois les fournisseurs de contenu et les premiers spectateurs. Cette nouvelle configuration change la relation aux médias traditionnels que sont la télévision, la radio et la presse écrite.
Avec les nouveaux médias, il est devenu possible de contourner les canaux d’information traditionnels. Dans un milieu culturel attentif à faire connaître ses productions, l’usage cumulé de blogs, de sites, de plateformes de partage et de réseaux sociaux permet de diffuser largement et de manière crédible des informations.
Avec la montée en puissance de médias nouveaux, les institutions culturelles se trouvent concurrencées sur un flanc inédit : elles qui pratiquent l’hyper sélectivité, doivent affronter des lieux (plateformes d’échange notamment) hyper ouvertes, où toutes les productions ou presque peuvent être montrées. Cependant, comme elles sont spécialisées dans la production et la diffusion, elles pourraient ouvrir des plateformes de partage et accueillir les productions qu’elles ne montrent pas physiquement, solliciter les internautes et les artistes et démultiplier ainsi leurs « plateaux d’exposition ».
Au cours des trente dernières années, plusieurs disciplines artistiques sont apparues, si bien que l’on parle à leur propos de disciplines émergentes. Il s’agit notamment du hip hop, des arts de la rue, du nouveau cirque, de la danse contemporaine… Mais qu’elles ont été les conditions qui leur ont permis d’accéder à ce statut ? On constate qu’outre l’indispensable renouvellement esthétique, plusieurs chemins sont possibles : toucher le public différemment, renouveler la base sociologique des pratiquants, utiliser les nouveaux médias, combiner l’art avec un autre domaine… Toutes démarches nécessaires, mais qui ne garantissent pas le succès.
Les cultures urbaines et immigrées désignent notamment la danse hip hop, le rap, le graff et plus récemment, on leur associe le slam ou encore les cultures « du monde » ou issues de l’immigration. Mais toutes ces disciplines n’ont pas connu la même fortune et si le hip hop et le rap sont bien installés dans le paysage, il n’en va pas de même pour le slam et le graff.
L’invention d’un nouveau médium est souvent à l’origine de nouvelles disciplines artistiques, comme ce fût le cas pour la photographie ou le cinéma. Avec l’émergence du numérique, une multitude de possibilités d’expression a vu le jour. Parmi elles, les musiques électroniques ont réussi à s’imposer, alors que les jeux vidéo offrent des perspectives prometteuses, sans avoir à ce jour, acquis le statut de discipline artistique à part entière.
Autre option pour s’assurer d’une visibilité : pratiquer le croisement de deux champs ordinairement distincts. De nombreux événements ont adopté cette stratégie en s’appuyant sur plusieurs domaines. Exemples : Biennale du design de Saint-Étienne la Fête des Lumières de Lyon qui croisent art, industrie, préoccupation économiques et environnementales. D’autres expériences plus modestes, témoignent aussi de ce mode nouveau d’expression. Sport et danse par exemple
L’émergence concerne tous les acteurs du champ culturel, et les disciplines les mieux identifiées n’échappent pas à ce processus qui tout à la fois les régénère et les met en danger. Mais toutes n’ont pas adopté une attitude similaire, certaines en ont fait la colonne vertébrale de leur fonctionnement : art contemporain, d’autres y attachent une importance moins grande : théâtre, d’autres encore y sont attentives sans la mettre en avant : musique classique, d’autres enfin connaissent des transformations aussi importantes qu’inattendues : livre / littérature.
L’art contemporain est l’idéal type d’une attention particulièrement active à l’égard de l’émergence. De fait, il organise son fonctionnement sur un renouvellement constant de ses productions et est capable d’accueillir en son sein des œuvres a priori très éloignées de ses fondamentaux comme la performance ou les installations.
Le théâtre est une discipline qui connaît de nombreux questionnements via les œuvres qu’il produit, mais qui a du mal à intégrer la novation lorsqu’elle sort de ses cadres. Ainsi, les arts de la rue se sont en partie construits contre le théâtre en salle, cherchant à renouveler le public et les modes d’expression. Ce faisant, les arts de la rue ont conquis une autonomie par rapport à leur discipline d’origine. Le cas du thé âtre jeune public.
Contrairement aux idées communément admises, la musique classique est ouverte aux renouvellements esthétiques. Après avoir défriché des pans entiers du répertoire avec notamment la redécouverte de la musique ancienne ratiqué le métissage musical, Elle s’ouvre aux musiques mises en scène, expérience pluridisciplinaire qui atténue la solennité du concert.
L’écrit connaît de profonds bouleversements, dans son contenu comme dans ses modes de diffusion. S’agissant du contenu, on remarque que de très nombreuses personnes écrivent via des blogs, d’autres participent à des récits collaboratifs, d’autres encore font des lectures publiques de leurs écrits. Par ailleurs, les renouvellements technologiques promettent de modifier la diffusion des livres : téléchargeables sur des lecteurs spécialisés, imprimables à la demande…