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L’affaire du collier de la reine complet
1. L’affaire du collier de la reine est peut-être le plus grand des scandales ayant
touché directement la monarchie française. Pour comprendre cette rocambolesque
histoire d’escroquerie qui a secoué la France de la fin du XVIIIème
siècle jusque dans
l’entourage intime de Louis XVI, il faut tout d’abord remonter en 1772.
A cette date, le roi Louis XV est fou amoureux de celle qui est sa dernière favorite : la
comtesse du Barry. Soutenue par le puissant parti des dévots, Madame du Barry exerce
une influence certaine sur le roi mais se heurte à l’hostilité d’une toute jeune femme :
la Dauphine, la future reine Marie-Antoinette, arrivée à la cour en 1770. La jeune
femme, brutalement arrachée à son Autriche natale, est perdue dans la jungle sauvage
de la cour de Versailles. Très influençable, elle est très vite prévenue que Madame du
Barry n’est pas « reconnue » par le parti lorrain, grand rival des dévots à la cour.
Précisons que Marie-Antoinette, par sa naissance autrichienne, est justement de la
maison de Lorraine. Encouragés par les filles de Louis XV qui exècrent la favorite, les
partisans lorrains dressent pour Marie-Antoinette un portrait des plus noirs de « la du
Barry » : scandaleuse, vulgaire, libertine, sournoise, comploteuse…
Ainsi dûment prévenue, Marie-Antoinette refuse ouvertement, et devant toute la cour,
d’adresser la parole ou même un regard à Madame du Barry, ce qui constitue une
offense grave dans un Versailles où les rumeurs et le qu’en-dira-t-on font et défont les
réputations au grès des plus basses intrigues…
Bref, les deux femmes sont loin d’être les meilleures amies du monde. Bien
évidemment, ce cruel jeu de cour n’a d’autre but que de renforcer l’influence des
joueurs. Plus d’influence à la cour, c’est plus de pouvoir sur le roi. Plus de pouvoir, c’est
plus de faveurs. Plus de faveurs, c’est plus de privilèges. Et plus privilèges, c’est plus
d’argent. Dans ces conditions, il est absolument hors de question de céder un pouce de
terrain à l’ennemi. Madame du Barry et ses partisans se doivent donc de réagir.
Et ils vont très largement aider à propager les pires ragots et rumeurs sur la futur reine
et ses comportements dépensiers, frivoles, voire… déviants… Une ambiance bien
sympathique qui va contribuer plus tard servir de toile de fond dans l’affaire du collier.
Ceci étant posé en petit préambule incontournable, le rideau peut se lever sur le récit
de cette extraordinaire « affaire du collier », qui est restée dans l’histoire comme le
plus gros scandale du XVIIIème
siècle en France.
Dans l’affaire du collier de la reine, il faut un collier…
Louis XV, très amoureux donc, décide d’offrir un cadeau somptueux à la comtesse du
Barry. Il fait venir à Versailles deux joailliers parisiens parmi les plus réputés, ci-
nommés messieurs Boehmer et Bassange. Il leur demande de créer un collier de
2. diamants « inégalable ». Les deux hommes repartent à Paris certes ravis, mais à la
vérité plutôt inquiets. Car dans l’auguste bouche royale, le terme « inégalable » signifie
bien-sûr « absolument hors de prix ». Il va donc leur falloir être à la hauteur des
ambitions démesurées du souverain. Bien évidemment, il n’est pas question à l’époque
de faire signer au roi une quelconque demande écrite, un quelconque devis ou quoi que
ce soit ressemblant de près ou de loin à une commande. Le privilège d’être choisis par
Sa Majesté vaut tous les engagements du monde. Dans les semaines qui suivent, ils se
mettent donc à la tâche et commencent à faire jouer leurs nombreux contacts pour
réunir des pierres d’une qualité exceptionnelle, ne regardant ni au temps ni à la
dépense, quitte à s’endetter assez lourdement.
Mais voila, tous ces préparatifs prennent énormément de temps… Beaucoup trop
même, car Louis XV meurt le 10 mai 1774 alors que le collier n’est pas encore terminé.
Le jeune Dauphin accède au trône sous le nom de Louis XVI. Exit la du Barry, place à la
désormais reine Marie-Antoinette…
La toile de fond de l’affaire du collier
Nos deux joailliers se retrouvent donc le bec dans l’eau, avec sur les bras une pièce
rarissime encore inachevée mais dont la valeur est déjà si colossale qu’ils savent
pertinemment qu’ils ne pourront pas la revendre facilement. Endettés jusqu’au cou, les
deux compères n’ont toutefois pas d’autres choix que de terminer leur ouvrage. Au
final, la pièce est d’une somptuosité exceptionnelle de 2840 carats. Mais qui va bien
pouvoir leur acheter cette pièce hors de prix ?
Les deux bijoutiers ont alors une idée. Celle de la dernière chance : voyons… si le roi
est mort…. hé bien… « vive le roi ! » Ou plutôt « vive la reine ! ». Connaissant le goût
prononcé de la jeune nouvelle reine Marie-Antoinette pour le luxe, les deux compères
espèrent bien lui présenter leur collier et arriver à le lui vendre, ou tout le moins à
convaincre le nouveau roi Louis XVI de le lui offrir.
Les deux compères, habiles commerçants, flatteurs invétérés et lobbyistes rusés fort
bien introduits à la cour de part leur prestigieuse profession, parviennent à manœuvrer
correctement leur barque et, en 1778, Louis XVI consent à présenter le collier à Marie-
Antoinette pour solliciter la permission de le lui offrir. Boehmer et Bassange sont ravis.
Ils entendent déjà les pièces sonnantes et trébuchantes remplir leur bourse mise au
supplice par la fabrication du collier. Malheureusement pour eux, ils déchantent très
vite car la Reine refuse purement et simplement de porter un bijou conçu pour une
autre femme… à fortiori quand cette femme est la détestée comtesse du Barry.
Dépités, les deux orfèvres éconduits tentent alors désespérément de vendre le fameux
collier à l’étranger. Mais même après avoir frappé aux portes des plus grandes places
d’Europe, ils ne trouvent aucun preneur. Mais ils n’abandonnent pas. Lorsque le
3. dauphin Louis-Joseph naît en 1781, ils retentent leur chance auprès de la reine… qui
refuse une nouvelle fois.
La toile de fond de l’affaire du collier est donc ainsi posée, avec en son centre une pièce
d’orfèvrerie exceptionnelle au coût faramineux qui reste sur les bras lourdement
endettés de deux orfèvres parisiens bien dépités et au bord de la banqueroute. Un
collier qui va devenir le centre d’une incroyable arnaque. Le tout dans une cour de
Versailles où les sourires de convenance et les couches de fards masquent à peine les
couteaux qu’on aiguise lentement…
Le décor du scandale est dressé. Il faut maintenant que les principaux personnages
entrent en scène…
L’affaire du collier de la reine : les personnages…
C’est à ce stade de notre histoire qu’entre en scène la jeune, jolie et sulfureuse Jeanne
de Valois-Saint-Rémy. Ne nous fions pas à son noble nom car si Jeanne descend par
son père du roi de France Henri II et de sa maîtresse Madame de Savigny, sa famille
issue d’un « bâtard » est depuis longtemps tombée dans une pauvreté misérable. La
jeune fille n’est sauvée de la mendicité que par la compassion de la Marquise de
Boulainvilliers qui se prend d’affection pour elle et entreprend de faire vérifier ses
antécédents pour finir par lui obtenir une maigre pension royale et lui octroyer une
éducation convenable dans un couvent. En 1774, Jeanne épouse un jeune
officier, Nicolas de la Motte, dont le plus grand intérêt pour elle consiste en ce qu’il
sert dans la garde personnelle du frère du Roi, le Comte d’Artois, ce qui lui assure une
solde convenable. Dans l’affaire du collier de la reine, Jeanne va jouer un rôle central…
C’est la Marquise de Boulainvilliers qui va plus tard présenter à Jeanne un ami, le
prince-évêque Louis-Edouard-René de Rohan-Guéméné. Lorsqu’ils se rencontrent,
de Rohan est en poste comme ambassadeur de France à Vienne où ses frasques
libertines, ses nuits de débauche et ses dépenses outrancières scandalisent
l’Impératrice Marie-Thérèse qui a déjà demandé plusieurs fois son rappel à Versailles.
Mais de Rohan a aussi un lourd contentieux avec la fille de Marie-Thérèse d’Autriche,
savoir la reine de France Marie-Antoinette. En 1773, il découvre que l’Impératrice
d’Autriche joue un double jeu contre la France en préparant en secret le
démantèlement de la Pologne avec la Prusse et la Russie. Il envoie donc une lettre
secrète à Louis XV pour l’informer du complot, usant à satiété de propos plutôt
désagréables envers l’Impératrice, n’épargnant pas Marie-Antoinette – alors encore
Dauphine – sur un ton très ironique.
Mais le courrier est intercepté par le Duc d’Aiguillon, ministre des Affaires Etrangères de
Louis XV, qui s’empresse de le remettre à la comtesse du Barry. Trop heureuse de
4. jouer un vrai sale tour à la future reine, Madame du Barry profite d’un dîner à la cour
pour lire publiquement la lettre injurieuse. Humiliée et furieuse, Marie-Antoinette garde
une vraie rancœur envers la comtesse mais surtout envers de Rohan qu’elle a
désormais dans le collimateur.
C’est à peu près à la même époque que Jeanne fait la connaissance d’un proche de
Rohan, un dénommé Joseph Balsamo, plus connu sous le nom de… Cagliostro.
Occultiste de bazar, ésotériste de basse-cour, faux mage et mais véritable escroc de la
haute société, le « comte » de Cagliostro gagne facilement les faveurs de la belle et lui
avoue qu’il soutire allègrement de grosses sommes d’argent à de Rohan en échange de
pseudo-miracles. Car c’est bien là le nœud de l’affaire : de Rohan est un homme riche
et particulièrement crédule. Deux raisons pour le faire apprécier de Jeanne qui ne tarde
pas à devenir sa maîtresse et lui soutirer elle aussi de l’argent, avec la bénédiction
complice de son mari. Forts de leurs nouvelles fréquentations, les époux de La Motte
s’autoproclament « comte et comtesse de La Motte-Valois » et se font désormais
appeler comme tels.
En 1777, de Rohan rentre en France où, malgré l’opposition farouche de Marie-
Antoinette devenue reine, il est nommé Cardinal et Grand Aumônier du Royaume. Mais
il reste malgré tout éloigné de la cour de Versailles, justement à cause de l’hostilité de
la reine. Avide de pouvoir entrer dans le cercle fermé du proche entourage du roi et de
profiter allègrement des frasques et des délices de Versailles, de Rohan désespère de
pouvoir revenir un jour dans les bonnes grâces de Marie-Antoinette.
Rajoutons à cette joyeuse distribution un autre amant de la « comtesse » de La Motte,
un ami de son mari, Marc Rétaux de Villette, dont les talents de faussaire vont
s’avérer très utiles par la suite, ainsi qu’une pauvre fille de joie sans le sou qui s’est fait
une solide réputation parmi les prostituées exerçant près du Palais-Royal grâce à une
ressemblance troublante avec la reine, et nous aurons un aperçu à peu près complet
des protagonistes de l’affaire…
L’affaire du collier de la reine : l’intrigue…
Tout ce petit monde se retrouve donc à graviter autour de Versailles et de la cour où
Madame de La Motte tente de se faire admettre. Elle ne doute pas que ses atours
sauront lui ouvrir les lits de princes puissants et riches. Mais elle a sous la main un
pigeon facile en la personne du Cardinal de Rohan et entreprend de commencer à le
manipuler pour lui extorquer de plus en plus d’argent.
Nous l’avons vu, son amant Rétaux de Villette a un vrai talent de faussaire. Nicolas de
La Motte, le mari de Jeanne, le convainc d’écrire de fausses lettres censée être de la
5. main de Marie-Antoinette et destinées au cardinal. Pour bien ferrer son pigeon, Jeanne
persuade de Rohan qu’elle est devenue l’amie intime de la reine et qu’elle met tout en
œuvre pour le faire revenir en grâce. Et la voila donc en train de mettre en place, en
tant que (fausse) messagère intime, une correspondance secrète totalement fictive
entre la reine et le cardinal, celui-ci recevant des lettres pleines d’amabilités augurant
d’une prochaine réconciliation et signées « Marie-Antoinette de France ».
A ce stade, de Rohan aurait pu facilement comprendre toute la supercherie. Car l’usage
de l’époque veut que la reine ne signe jamais autrement que par son simple prénom.
En outre, le titre « de France » est une erreur grossière car si d’aventure elle avait
utilisé ses titres, Marie-Antoinette aurait signé « de Lorraine d’Autriche ». Oui mais de
Rohan est décidément bien trop crédule et il tombe largement dans le panneau.
L’affaire du collier de la reine : le pigeon…
La « comtesse » de La Motte joue d’abord petit jeu. Grâce aux lettres, « Marie-
Antoinette » demande au cardinal de remettre à sa fidèle amie deux versements de 30
000 livres pour que « ses » dépenses luxueuses « soient plus discrètes ». Bien au fait
de toutes les rumeurs toujours soigneusement alimentées sur le caractère dépensier de
la reine, et trop heureux de cette opportunité inespérée qui s’offre à lui, le Cardinal
accepte sans hésiter et notre « comtesse » empoche la somme avec une facilité
déconcertante. S’ensuivent pour le cardinal des lettres de reconnaissances éperdues
toujours signée par « Marie-Antoinette de France » qui prennent bien soin de repousser
aux calendes grecques les demandes insistantes de rendez-vous de Rohan.
C’est là que notre fille de joie fait son apparition. C’est Cagliostro qui découvre son
existence en apprenant sa ressemblance troublante avec la reine. Il en parle à
Nicolas de La Motte qui lui-même en parle à sa femme. Très intriguée, la « comtesse »
et son mari reçoivent la jeune femme dans l’appartement qu’ils louent à Versailles.
Ladite jeune femme se nomme Nicoles Leguay et, oui, elle ressemble bougrement à
la reine. Suffisamment en tout cas pour qu’une personne crédule qui ne connait pas
bien Marie-Antoinette soit facilement abusée. Or de Rohan ne connait pas
personnellement la reine. Il ne l’a vue qu’en portrait. Et pour sûr, il est plus que
crédule. Pour 15 000 livres, la « comtesse » persuade facilement Nicoles de jouer le
rôle de la reine pour… « faire un bon tour à un ami ».
Enfin, le Cardinal voit son vœu exaucé. Dans une nouvelle lettre, la « reine » lui
accorde un rendez-vous secret le 11 août 1784, à onze heures du soir, dans le bien
nommé « Bosquet de Vénus » du parc du château de Versailles. Au lieu dit et à l’heure
dite, « Marie-Antoinette » alias Nicoles Leguay, déguisée d’une robe de mousseline et
légèrement voilée par une gaze noire, tend une rose à un de Rohan ébahi en lui
6. susurrant un langoureux « Vous savez ce que cela signifie. Vous pouvez compter que le
passé sera oublié… ». Dans la foulée, Jeanne de La Motte, accompagnée par Rétaux de
Villette déguisé en valet de la reine, interrompt la rencontre en prétextant l’approche
soudaine des comtesses de Provence et d’Artois. De Rohan s’éclipse rapidement.
Complètement abusé et conquis par la « reine » au terme de ce vaudeville incroyable
et semi-improvisé dans les jardins de Versailles, sa confiance aveugle dans sa très
chère amie de La Motte est définitivement acquise.
Le pigeon est bien accroché, il est temps de passer aux choses sérieuses…
L’affaire du collier de la reine : l’escroquerie…
La passion de la Reine pour les bijoux est largement connue de tous et même très
largement exagérée par les ragots et les rumeurs qui se murmurent partout
à Versailles et dans Paris. Sur ce postulat facile, Jeanne de La Motte décide
d’entreprendre maintenant le coup le plus fabuleux de sa vie. Nous sommes alors à la
fin de l’année 1784…
Comme tout le monde, elle a beaucoup entendu parler du fameux collier commandé
plus de 10 ans auparavant par le feu roi Louis XV pour Madame du Barry et refusé
plusieurs fois par Marie-Antoinette. On ne change pas une recette à succès : elle décide
de continuer la comédie qui a si bien abusé le cardinal de Rohan. Se faisant donc
toujours passer pour une amie très intime de la reine, elle rencontre nos deux joailliers,
messieurs Boehmer et Bassange. Les compères sont évidemment bien pressés de
vendre, car les dettes qu’ils ont contractées pour fabriquer le fameux bijou courent
toujours sur leurs têtes et la réputation de leur maison. La « comtesse » leur assure
qu’elle va tout faire pour convaincre la reine d’acheter ce si magnifique objet. Le prix ?
Peu importe le prix ! Comment ? 1 600 000 livres ? Mais voyons, ce n’est pas un
problème messieurs… Il suffira juste de passer par un intermédiaire pour assurer à la
reine toute la discrétion qui s’impose…
1 600 000 livres… Une véritable fortune. Déjà à l’époque, c’est le prix de trois luxueux
châteaux avec au moins 500 ha de terre autour…
C’est ainsi qu’en janvier 1785, le Cardinal de Rohan, le pigeon, reçoit une nouvelle
lettre signée « Marie-Antoinette de France » dans laquelle la « reine » s’ouvre de son
désir ardent pour le collier mais explique qu’elle ne peut acheter le bijou au grand jour
de la cour. « Elle » demande au Cardinal de jouer l’intermédiaire discret et de se porter
caution, lui promettant de s’engager par contrat à le rembourser en quatre versements
d’un montant de 400 000 livres chacun.
7. Pour parfaire l’escroquerie, Cagliostro achève d’enfumer l’esprit du cardinal. Dans une
séance de spiritisme soigneusement mise en scène, un enfant avec des dons de
médium « certains » délivre au cardinal médusé un oracle lui promettant un destin
fabuleux pour peu qu’il négocie habilement cette affaire. Se rêvant déjà premier des
ministres du roi, de Rohan signe, le 1er février 1785, un document officiel des deux
joailliers que lui présente sa chère « comtesse » l’engageant comme caution de la reine
sur l’achat du collier pour un montant de 1 600 000 livres. Dans la marge, Rétaux de
Villette, le faussaire, a même ajouté une signature d’accord de la « reine ». La
première échéance de paiement est fixée au 1er août 1785. Les deux joailliers
reçoivent le papier et livrent le collier au cardinal. Le soir même, celui-ci l’apporte en
personne à la « comtesse ». Devant lui, elle le remet à un « valet de la reine » qui n’est
autre que Rétaux de Villette, encore lui…
Enchantés par la conclusion inespérée de l’affaire, les deux joailliers offrent de
splendides bijoux en cadeau de remerciement à leur chère intermédiaire, Madame de
La Motte… Pendant ce temps, notre bande d’escrocs a commencé bien maladroitement
à dépecer le collier pour mieux revendre les pierres desserties qu’ils se partagent
rapidement. Mais bien-sûr, ils ont oublié de compter avec l’exceptionnelle qualité des
diamants volés. Rétaux de Villette a par exemple beaucoup de mal à négocier les siens.
Pressé par le temps, il est contraint d’en demander un prix très inférieur à leur valeur
réelle, ce qui attire les soupçons des diamantaires avec qui il traite. Convaincus d’avoir
affaire à un voleur, ils le dénoncent. Mais il parvient in extremis à partir pour Bruxelles
pour finalement écouler, mais plus qu’au rabais, sa précieuse marchandise. De son
côté, le « comte » Nicolas de La Motte part chez l’ennemi juré de la France, en
Angleterre. Il se rend auprès de deux bijoutiers londoniens réputés. Eux aussi flairent
un mauvais coup. Mais à ce moment là, l’escroquerie n’est pas connue et, de fait,
aucun vol de bijoux d’une telle valeur n’a été signalé. Et les anglais achètent les
pierres, mais à un prix là encore très largement en deçà de leur valeur réel.
En France, les deux joailliers et le cardinal commencent à s’étonner d’un fait très
étrange : à Versailles, la reine ne porte pas le collier… Evidemment, la « comtesse »
s’empresse de les rassurer pour gagner du temps : la reine attend une grande occasion
digne du bijou. Bien-sûr, la vente doit rester absolument secrète… Juillet 1785 arrive.
La première échéance approchant, Jeanne de La Motte veut encore gagner du temps.
Elle annonce au cardinal que la reine a des difficultés pour le rembourser mais souhaite
évidemment s’acquitter de sa dette. « Elle » demande qu’on lui trouve des prêteurs
dignes de confiance. Toujours aussi incroyablement naïf, de Rohan ne s’inquiète de
rien. Et tout aurait pu tranquillement continuer ainsi pour nos escrocs.
8. Seulement voila, l’un de nos joailliers, en l’occurrence Boehmer, tient à couvrir ses
arrières. Profitant de ses entrées à la cour, il se rend chez la première femme de
chambre de la reine, madame Campan, pour s’assurer que le premier versement lui
sera bien remis dans les temps. Complètement interloquée, madame Campan en parle
aussitôt à Marie-Antoinette qui, bien-sûr, ne comprend rien à l’affaire et charge alors le
baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, de se renseigner plus avant. Breteuil
enquête et découvre rapidement l’escroquerie dans laquelle l’un de ses plus
farouches ennemis – le cardinal de Rohan est mouillé jusqu’au coup…
L’affaire du collier de la reine : le scandale…
Entretemps, la « comtesse » de La Motte a réussi à amasser près de 300 000 livres de
la vente de pierres. Un argent qu’elle a en grande partie transformé en investissant
dans l’immobilier. Mais elle sent que le vent commence à tourner. Pour continuer à
embrouiller son monde, elle donne à de Rohan un versement symbolique de la part de
la « reine » d’un montant de 35 000 livres. Dans le même temps, elle informe les deux
joailliers que la signature de la « reine » est sûrement un faux… Elle espère que les
deux hommes vont se retourner sur de Rohan puisque celui-ci, par le document qu’il a
signé, est finalement leur vrai client et débiteur. Jeanne espère que la peur du
scandale forcera le cardinal à payer intégralement la somme due sans faire de bruit. Et
toujours dans le même temps, la bande continue d’essayer d’écouler les pierres et
parvient, dans des conditions restées assez floues, à escroquer quelques dizaines de
milliers de livres supplémentaires à d’autres bijoutiers trop crédules ou trop véreux.
Le baron de Breteuil tient l’affaire de sa vie. Il va pouvoir tailler en pièce de Rohan qu’il
déteste depuis bien longtemps. Il informe l’entourage du roi qui comprend
immédiatement l’ampleur de l’affaire. Le 14 août, Louis XVI est mis au courant de toute
l’escroquerie. Le 15 août, alors que de Rohan doit célébrer la messe de l’Assomption
dans la chapelle de Versailles, il reçoit une convocation du roi. Alors qu’il se rend dans
les appartements royaux, il est arrêté par les gardes dans la galerie des glaces, en
plein milieu des courtisans, comme un vulgaire voleur.
Sommé de s’expliquer, le prélat pigeonné ne tarde pas à comprendre l’escroquerie dans
laquelle de La Motte l’a fait tomber. Il tente de se justifier et envoie chercher les
fameuses lettres signées de la main de la reine ». En découvrant les faux pourtant
grossiers, le roi s’emporte : « Comment un prince de la maison de Rohan, grand-
aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de
France ? ». Le Cardinal tente encore de s’expliquer. Mais le roi persiste : « Mon cousin,
je vous préviens que vous allez être arrêté ! » De Rohan gémit, fond en larmes et
supplie qu’on lui épargne l’humiliation d’une mise au cachot. Tout y passe, sa
réputation, la dignité de l’Eglise et même le souvenir de sa cousine Madame de Marsan
9. qui a élevé Louis XVI. Rien à faire. Le roi reste inflexible : « Je fais ce que je dois, et
comme roi, et comme mari. Sortez. »
De Rohan est emprisonné sur l’heure à la Bastille. Grave erreur du roi, qui avait
pourtant toutes les cartes en main pour étouffer le scandale dans l’oeuf. Car avant la
fin de la journée, la nouvelle a déjà fait le tour la cour qui connait tout de l’affaire. La
boîte de Pandore est ouverte et rien n’arrêtera plus la propagation du récit graveleux
de l’incroyable arnaque. La « comtesse » de La Motte est rapidement arrêtée. Son mari
a déjà filé en Angleterre et son amant, Rétaux de Villette, en Suisse. Cagliostro est lui
aussi interpelé. Fin octobre, on met également la main sur Nicoles Leguay, à Bruxelles
où, enceinte, elle s’est expatriée avec son amant.
L’affaire du collier de la reine : le procès, l’épilogue…
Magnanime, ou plutôt une fois de plus très maladroit, Louis XVI choisit de laisser à de
Rohan le choix de la méthode de jugement au lieu de l’imposer d’autorité. Soit le
cardinal s’en remet discrètement à un jugement décidé par le seul roi, dans le huis clos
du cabinet de Versailles, soit il est traduit en public devant le parlement de Paris. Louis
XVI compte bien-sûr que le Cardinal choisira la discrétion… Raté. De Rohan préfère
tenter sa chance avec le parlement qu’il sait toujours en opposition à l’autorité du roi.
Le procès de l’affaire du collier débute le 22 mai 1786, devant pas moins de 64
magistrats. Attiré par l’odeur du scandale royal, le public afflue en masse et tous les
journaux et pamphlets de Paris s’apprêtent à donner le compte rendu précis des
débats.
Le 31 mai 1786, les juges rendent leur verdict. Malgré un réquisitoire particulièrement
à charge de la part du procureur, le cardinal est acquitté des crimes d’escroquerie et de
lèse-majesté envers la reine. La soi-disant comtesse de La Motte est condamnée à la
prison à perpétuité. Avant d’être enfermée, elle est fouettée au sang et marquée au fer
rouge de deux « V » – pour « voleuse ». Son mari le « comte » est condamné par
contumace aux galères à perpétuité. Rétaux de Villette est définitivement banni du
royaume. Nicole Leguay a réussi à émouvoir les juges avec son tout jeune bébé dans
les bras. Elle est mise hors de cause. Cagliostro est lui aussi embastillé.
Pendant toute la durée du procès, la « comtesse » de La Motte niera crânement toute
participation à l’escroquerie, reconnaissant uniquement une liaison avec de Rohan. Elle
parviendra plus tard à s’évader de sa prison de la Salpêtrière sans qu’on découvre
jamais ses complices qu’elle avait du grassement soudoyer. Elle se réfugiera à Londres,
d’où elle écrira sa version de l’affaire, allant jusqu’à inventer une liaison plus qu’intime
entre elle et la reine, impliquant complètement la reine dans toute l’affaire et même
dans sa propre évasion.
10. Le faussaire Rétaux de Villette finira sa vie à Venise où il écrira lui aussi son récit
personnel de l’affaire.
Le « comte » de La Motte, on l’a vu, s’est donc refugié à Londres… en prenant bien soin
d’emporter et de négocier les derniers diamants. Il disparait ensuite totalement de
l’histoire. Peut-être le seul vrai bénéficiaire de l’affaire du collier de la reine.
Cagliostro ne restera pas enfermé très longtemps. Il sera expulsé du royaume dans le
courant de l’année 1786, l’affaire du collier de reine ayant mis fin à sa lucrative carrière
d’escroc ésotérique auprès de la haute société française. En 1791, il sera arrêté en
Italie par la Sainte Inquisition pour « pratique de la Franc-maçonnerie ». Il sera
condamné à la prison à perpétuité et mourra dans sa cellule en 1795.
L’histoire ne dit pas ce qu’il est advenu de jeune Nicoles Leguay dont on ne peut
qu’espérer qu’elle ait eu une vie plus vertueuse et plus heureuse.
Le Cardinal de Rohan sera donc ressorti totalement blanchi et libre de cette affaire du
collier de la reine. Libre de corps, mais pas de son engagement comme caution lors de
l’achat du collier. Il devra donc bien payer les 1 600 000 livres à messieurs les joailliers
Boehmer et Bassange. Il s’acquittera avec difficulté de la plus grande partie de sa dette
en vendant des biens et des terres. Mais ce sont ses descendants qui finiront de payer
les derniers reliquats d’intérêts aux descendants des joailliers… à la fin du XIXème
siècle. Député du Clergé aux Etats Généraux, il sera brièvement membre de la
Constituante avant de devoir s’exiler. Il mourra tranquillement en 1803 dans les
territoires allemands.
Malgré une conclusion relativement rapide du procès, l’affaire du collier de la reine
restera un scandale énorme et absolument retentissant, d’un ampleur que l’on aurait
du mal à imaginer aujourd’hui.
Déjà très lourdement entachée, la réputation de Marie-Antoinette, pourtant
complètement innocente à l’affaire, va être gravement compromise à la cour et
définitivement dans l’opinion publique. En acquittant le cardinal de Rohan de toute
faute, les juges n’ont pas cru devoir le condamner pour avoir porté crédit à des billets
doux de la reine qui lui donnait un rendez-vous en secret, la nuit, en cachette du roi,
dans un bosquet, par l’intermédiaire d’une femme peu recommandable. Sous entendu
évident que la reine, telle qu’on la connait en sa réputation, aurait très bien pu se
commettre dans de telles frasques. Une humiliation suprême pour Marie-Antoinette.
L’image de la reine restera donc salie à jamais par l’ampleur du scandale et de
l’incroyable vague de pamphlets, de chansons grivoises, de calomnies, de caricatures et
de rumeurs qu’il va engendrer. Déjà largement accusée de creuser le déficit du budget
du pays par des dépenses aussi futiles qu’excessives, Marie-Antoinette va subir un
11. torrent d’insultes et de calomnies, jusqu’aux plus crues. Pour les caricaturistes et le
peuple, la chose est sûre : « L’Autrichienne » offrait son cul au cardinal pour des
diamants hors de prix.
Plus indirectement, mais tout aussi sûrement, le discrédit jeté par l’affaire sur la cour
de Versailles aura des répercussions populaires qui rencontreront un très large écho,
lors de la révolution, dans les sentiments haineux du peuple à l’encontre de la noblesse
en général et de la famille royale en particulier.
Même lors de son procès qui la conduira droit à l’échafaud révolutionnaire, Marie-
Antoinette se verra reprocher « l’affaire du collier de la reine ».