Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse : Éthique du recours aux émotions dans les discours publics des praticiens québécois de la communication d'influence
Communication au colloque Affects numériques dans le cadre du 86ème congrès de l’ACFAS, le 10 mai 2018 #acfasaffects
1. Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse
Éthique du recours aux émotions dans les discours publics
des praticiens québécois de la communication d'influence
Alexandre Coutant, UQAM, Département de communication sociale et publique
Colloque les affects numériques : production, circulation et marchandisation
86ème congrès de l’ACFAS
10 mai 2018
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2. La communication d’influence : un
secteur professionnel peu
documenté
●
Nombreuses techniques ou champs de
connaissance aux enjeux importants en termes
de privation de l’autonomie (Chatriot & al.,
2005; Cossette, 2009; Stiegler, 2013)
– Affects, neuromarketing, attention,
personnalisation/profilage, contenus « natifs », etc
3. Enjeux éthiques abondamment
soulevés
●
Analyse des effets structurants de la
pression publicitaire (Couldry, Turow, 2014)
●
Analyse des effets de l’idéologie
gestionnaires sur les pratiques et métiers
(Lépine & al., 2014; Lépine, Morillon, 2017)
●
Analyse des pratiques discutables
(Beauvisage, Mellet, 2016; Salmon, 2007;
Seligman, 2015)
– Constat : fertilisation dans les milieux de
pratique quasiment nulle
●
D’autant plus étonnant que sensibilisation publique
et fort discrédit social de ces professions
5. Pourquoi si peu d’éthique ?
●
Caractéristiques de ce champ professionnel
– Formations diverses, pas nécessairement
orientées vers éthique de l’influence (Baillargeon
& al., 2017; Coutant, 2007; Seligman, 2015)
●
Peu ou pas de cours, orientation des chartes vers la
responsabilité envers les commanditaires, absence
de sanction
●
Culte du feeling
– Pression à la performance (Duchet, 2003;
Kugler, 2006; Laufer, 1994)
●
Incertitude
●
Finalité commerciale
●
Concurrence
6. Pourquoi si peu d’éthique ?
●
Caractéristiques de ce champ professionnel
– Idéologie gestionnaire (Marchand, 1986;
Özçaglar-Toulouse, Cova, 2008; Lépine & al.,
2014)
●
Praticien a rôle de pilotage
●
Peu d’intérêt pour le consommateur
●
Bonheur consumériste
– Rupture des communications
praticiens/chercheurs (RESIPROC)
●
Syndrome de la « citadelle assiégée »
●
Profession « autoréflexive »
●
Cadrage des fonctions antédiluvien
– Consommateur : Pavlov, Maslow
– Circulation des messages : Shannon et Weaver
7. Une critique très distante
●
Relative rareté des travaux (Drumwright, Murphy,
2004; Gaertner, 2009)
– Visée instrumentale en gestion, théorie critique,
sémiotique… peu de sociologie du secteur professionnel
●
« [La publicité] consiste à transformer le produit en stupéfiant
mineur – ou à lui inoculer la substance droguante, de façon
que son achat-consommation produise immédiatement
l’euphorie-soulagement, et à long terme l’asservissement »
(Morin, 1968)
8.
9. Terrain d’étude longitudinal
●
Étude initiale du secteur (2003-2007)
– Observation participante en agence et chez l’annonceur / entretiens / analyses de
formations / revue de la littérature managériale
●
Suivi au long cours
– Entretiens complémentaires réguliers (agence + métiers) (2009-2010, 2015)
– Enquêtes annuelles associées à un cours de sociologie du marketing (2012-2015)
– Analyse de seconde main d’enquêtes annuelles menées par les CM (2011- ...)
– Observation non participante à découvert (2017)
– Recherches actions avec agences et entreprises (accompagnement d'innovation,
audits de marque, audits ergonomiques) (2009-2015)
– Projet autour de la publicité native (2015-...)
– Veille : blogs, articles de presse spécialisée, littérature professionnelle, livres blancs
10. Myopie et mutisme moraux
(Drumwright, Murphy, 2004)
●
Myopie
– Les consommateurs sont
intelligents
– Passer la responsabilité
à d’autres
– Ce qui est légal est moral
– Liberté d’expression
– S'identifier au client
– Mal poser la question
●
Mutisme
– Compartimenter sa vie
– Le client a toujours
raison
– L’éthique est mauvaise
pour les affaires
– Cogito interruptus
11. Double hypothèse pour
appropriation du Web affectif
●
« Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait
l’ivresse »
– Pragmatisme : recherche d’efficacité, quels que
soient ses ressorts
– Valeurs instrumentales : la fin justifie les moyens
12. Émotion et publicité : une longue
histoire
●
Faible contrôle et authenticité
– Grands créatifs valorisant l’émotion face à la raison :
●
Léo Burnett, Bill Bernbach, Jacques Séguéla
– Contrôle de l’inconscient :
●
Appel à tests projectifs et psychanalyse pour emporter actions des
individus par delà leur sens critique
– Don Juan ou Pavlov (Bonnange, Thomas, 1991) :
●
3 modèles de séduction s’opposant aux modèles comportementalistes
– Marques identitaires
●
Incarner des modes de réalisation de soi
– Neuromarketing / marketing sensoriel
●
Activation des zones émotionnelles du cerveau
– Storytelling
●
"Fact tells, but story sells"
14. Étude de cas
●
Appréhension du Web affectif dans les discours
professionnels au Québec (éléments explicatifs
et éthiques)
– Recherche sur site Infopresse
15. Étude de cas
●
Recherche de présence d’éléments explicatifs et
éthiques dans les discours professionnels au Québec
– Recherche sur site Infopresse
– Mots clés du Web affectif (Alloing, Pierre, 2017)
●
Émotion, affect, passion, sentiment, humeur, état d'esprit,
tempérament, attitude, style affectif, préférence, pulsion, sensation,
mood tracking, sentiment analysis, reconnaissance faciale
– Filtres
●
Porter sur la communication d’influence
●
Levier au sein d’une technique visant à affecter
●
Limite temporelle février 2016
17. Méthodologie
●
Grille analyse initiale
– Relevant du numérique ou non
– Domaine d’application
●
Créativité / stratégie / placement / autre
– Rubrique du site
●
Énonciateur et secteur professionnel impliqué
– Mobilisation
●
Évocation / emploi signifiant / définition-réflexion-démonstration
– Modèle affectif
●
Périphérique / universaliste / centraliste / culturaliste
– Enjeux éthiques soulevés ou non
●
Absence / myopie / mutisme / légalité / position techniciste / position
éthique assumée
18. Résultats préliminaires
●
Des difficultés :
– Participation à un registre discursif fortement
marqué par la psychologie comportementale
(Cochoy, 1999)
●
Forte présence d’attitude
– « Je trouve l'initiative réussie et bien en phase avec l'attitude de
la marque »
– « Notre objectif est d'inspirer les gens à adopter une attitude
positive et à s'occuper de leur santé pour vivre une vie à leur
image et réaliser leurs rêves »
19. Résultats préliminaires
●
Des difficultés
– Forte orientation vers une marque
anthropomorphisée (Semprini, 2007)
●
« Les marques avec une identité forte, du charisme et de
l'envergure maîtrisent cet instrument d'une rare
puissance. En travaillant leur ton, leur style, leur attitude
– l'expression même de leur personnalité –, ce qu'elles
cultivent, c'est rien de moins que le sentiment
d'appartenance, voire d'identification. Elles l'ont
compris. »
20. Résultats préliminaires
●
Évocation plus que réflexion (Gaertner, 2007; Coutant, 2008)
– Mobilisation superficielle / buzzword
●
« Une équipe de Bell a visionné chaque émission achetée afin d’y placer les bandeaux
animés au bon moment, liant ainsi le contenu à l’émotion appropriée. » (Grand prix
Exploitation de contenu vidéo existant 2016)
– Questions d’évaluation : évaluation du rationnel et incommensurabilité de l’émotion
●
«Le rationnel nous incite à mesurer les impacts d’une commandite, ses rendements
d'investissement, ses indicateurs de performance, etc. Mais certaines choses font plutôt appel
à l’engagement et sont moins faciles à mesurer. Pourtant, elles donnent autant de résultats.
C’est ce que nous avons fait avec Manuvie et Bixi. Sur le plan rationnel, Bixi a fait ses
preuves: 5200 vélos génèrent des millions et des millions d’impressions en ville. Il manquait
l’engagement, le côté émotif. Pour cette raison, nous avons pensé au service de valets et aux
dimanches gratuits: afin de nourrir l’interaction. Il est important pour ces marques de bâtir des
relations avec leur groupe cible.»
– Promotion de services/compétences
●
http://www.infopresse.com/opinion/audree-lapierre/2016/3/23/la-prochaine-tendance-en-etude
-de-marche-l-emotion
21. Résultats préliminaires
●
Émotions demeurent l’objectif et non le moyen ou la matière
première
– Actions pub » émotions consommateurs
●
« À cette occasion, elle revient sur la manière dont les émoticônes peuvent susciter
l’émotion chez les jeunes consommateurs. »
– Émotions consommateurs » actions pub
– Émotions » actions consommateur
●
« On commence avec une approche plus branding, reconnaissance de marque, et
l'on fait évoluer le partenariat vers l’émotion et l’engagement »
●
Connexion très forte à techniques existantes
– Storytelling et expérientiel notamment
●
« La première fonction du marketing de destination est de mettre en relation des
gens avec des expériences, leur faire vivre des émotions par une offre »
22. Résultats préliminaires
●
Permanence du postulat de la transférabilité et
mobilisation essentiellement en créativité
– Exposition de sentiments/passions/émotions pour
provoquer sentiments/passions/émotions (cf
marques identitaires)
●
« En plaçant le slogan Droit au cœur autour de sa
nouvelle image de marque, TVA Sports souhaite placer
l'émotion au centre de sa programmation. »
23. Résultats préliminaires
●
Éthique absente (Cossette, 2009)
●
Position techniciste – absence – légalité - myopie
– Valeurs instrumentales
●
« Certains artistes évaluent mal l’impact positif d’un titre associé à la bonne marque
ou au bon produit, lui-même associé au bon public. Même pour un cachet modeste,
accepter la diffusion promotionnelle peut se transformer en investissement rentable.
À 16 ans, l’artiste veut refaire le monde. À 26, il veut que le monde le reconnaisse.
L’artiste en montée de carrière a donc tout intérêt à ajuster ses principes s’il veut
progresser, surtout dans un contexte où les ventes d’album constituent aujourd’hui
une portion très marginale des revenus d’édition musicale. »
– Pragmatisme
●
« La commandite, au fond, est comme un décor de cinéma: tu t’en sers pour créer un
environnement, une histoire dans laquelle l’humain participe. La commandite sert à
bâtir des communautés, à être près des gens, en créant un capital conversationnel –
tout en gardant en tête les marques et leur message »
24. Pistes...
●
Premier matériau à compléter avec des
observations et des entretiens
●
Arguments tangibles pour penser encadrement
d’un secteur d’influence majeur
●
Désintermédiation de la profession?