Mémoire de recherche réalisé dans le cadre de mon Diplôme universitaire de chargé.e de projet en développement durable à l'Université de Nantes en 2019.
Mémoire réalisé sous la direction de M. Oscar Navarro, Maître de conférences en psychologie environnementale à l’Université de Nantes.
Observatoire salariés et entreprises responsables octobre 2015 étude
Les facteurs explicatifs de l'engagement des dirigeants d'entreprise dans le développement durable
1. Diplôme Universitaire Chargé.e de projet en développement durable
Année 2019
MÉMOIRE DE RECHERCHE
présenté par
Amélie Hulin
Les facteurs explicatifs de l’engagement des
dirigeants d’entreprise dans le
développement durable
Sous la direction de M. Oscar Navarro,
Maître de conférences en psychologie environnementale
à l’université de Nantes
2. Avant-propos
Mon parcours et mon projet professionnel
Après 15 années dans le marketing à Paris, je suis partie vivre 4 ans au Canada. C’est là-bas
que ma prise de conscience environnementale s’est faite, impulsée par la naissance de ma
fille aînée en 2016. Pour la prise de conscience sociale, il faudra attendre la formidable
aventure du “DU” en 2019 et son approche à 360° des tenants et aboutissants du
développement durable. Une crise de sens dans mon travail et 12 mois de formation plus
tard, voilà à quoi ressemble mon projet professionnel : continuer à faire du marketing, mais
un marketing responsable qui se la joue collectif et qui prenne en compte l’humain et la
planète.
L’histoire de ce mémoire
Ce mémoire de fin d’études représente pour moi un passage de relai entre le monde
d’avant ma prise de conscience environnementale et sociale et le nouveau monde durable
qui s’ouvre à moi, dans lequel j’ai commencé à me réinventer.
Ma relation avec ce mémoire a été un peu chaotique, notamment au début, lorsque je ne
savais pas quel sens lui donner. Il m’est arrivé de penser à l’abandonner, et puis j’ai vu en lui
l’opportunité de contribuer à ma transition. J’y ai trouvé du sens et puis finalement je me
suis lancée, tête baissée. J’ai choisi de traiter de l’engagement, justement.
Pour moi la transformation de notre société passera par l’engagement de tous, à tous les
niveaux, et en premier lieu des entreprises qui font la pluie et le beau temps avec la mise en
marché des biens de consommation. Je crois aussi beaucoup en l’engagement citoyen pour
déclencher des prises de conscience, chez les dirigeants d’entreprise par exemple qui sont
l’objet d’étude de mon mémoire. C’est la perspective d’échanger avec des dirigeants qui
font bouger les lignes qui m’a fait choisir mon sujet de mémoire. Pour comprendre pourquoi
certains s’engagent dans le développement durable.
Remerciements
Pour réaliser ce travail à caractère exploratoire en tant que novice dans le domaine de la
psychologie sociale, j’ai lu des ouvrages et des articles de recherche en psychologie sociale
et environnementale. Ma réflexion a aussi été largement nourrie par les échanges avec mon
directeur de mémoire, M. Oscar Navarro, Maître de conférences en psychologie
environnementale à l’Université de Nantes. Je le remercie vivement pour le temps qu’il m’a
consacré dans cette aventure. Je remercie aussi chaleureusement ma tutrice professionnelle
Mme Anne Bourdais, consultante RSE, pour sa disponibilité. Enfin, j’adresse un grand merci
aux dirigeants qui ont pris de leur temps précieux pour répondre à mes questions.
1
3. Sommaire
Introduction 3
PARTIE 1 : Le développement durable en entreprise 4
1 - Définition du développement durable
2 - La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) 4
PARTIE 2 : Les facteurs psycho-sociologiques de l’engagement 5
1 - Attitudes 5
2 - Valeurs, croyances environnementales et normes personnelles 6
2 - 1 - Valeurs 6
2 - 2 - Croyances environnementales et prise de conscience 8
2 - 3 - Normes personnelles et intention d’action 8
3 - Motivations 9
PARTIE 3 : Les facteurs contextuels de l’engagement 10
1 - Contexte économique 10
2 - Contexte réglementaire 10
3 - Contexte social 10
PARTIE 4 : Enquête de terrain 11
1 - Méthodologie de l’enquête 11
2 - Analyse des résultats 12
2 - 1 - Niveau de connaissance des enjeux de développement durable 12
2 - 2 - Attitudes 14
2 - 3 - Valeurs environnementales 16
2 - 4 - Croyances environnementales 16
2 - 5 - Normes personnelles 17
2 - 6 - Motivations 19
2 - 7 - Les facteurs contextuels 20
Conclusion 22
Bibliographie 23
Annexes
Annexe 1 : Guide d’entretien 24
Annexe 2 : Analyse des contenus 26
Annexe 3 : Retranscription des entretiens 26
2
4. Introduction
Pour faire face à la crise environnementale et sociétale que nous sommes en train de vivre,
l’entreprise, acteur économique majeur sur son territoire, doit se transformer durablement.
C’est à travers le prisme des trois piliers du développement durable (économique, social et
environnement) qu’elle doit désormais prendre les décisions stratégiques et innover sur ses
marchés.
L’acteur principal de cette transformation est le dirigeant de l’entreprise, à travers sa prise
de conscience des enjeux, son niveau d’engagement et sa capacité à embarquer ses parties
prenantes.
Forte de ce constat, je me suis intéressée, pour ce mémoire de fin d’études, à l’engagement
des dirigeants d’entreprise dans le développement durable. La question suivante a guidé ma
recherche : quels sont les facteurs explicatifs de l’engagement des dirigeants dans le
développement durable ?
Après une première partie dédiée au cadre général, la deuxième partie de mon mémoire est
consacrée à la littérature autour de la dimension psychologique de l’engagement. Dans la
troisième partie, je m’intéresse aux facteurs contextuels qui peuvent motiver l’engagement.
Dans la dernière partie, j’utilise cet état de l’art comme grille d’analyse des résultats d’une
enquête de terrain menée auprès de dirigeants nantais.
3
5. PARTIE 1 : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN ENTREPRISE
1 - Définition du développement durable
“Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des
générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre
aux leurs” - Rapport Brundtland, 1987.
La littérature fait état de nombreuses controverses par rapport à cette célèbre définition en
raison de son caractère vague. Pour ma part, voici la définition que je retiens dans le cadre
de mon mémoire : le développement durable est un mode de développement qui doit
conjuguer performance économique, respect de l’environnement et équité sociale, à
l’échelle, à la fois locale et de la planète.
2 - La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE)
L’intégration des impacts des décisions et des activités de l’entreprise sur la société et
l’environnement se résume en entreprise sous le terme de RSE, pour Responsabilité
Sociétale des Entreprises. Cette contribution au développement durable se fait aujourd’hui
sur la base du volontariat, car, hormis pour les très grandes entreprises, il n’existe pas
d’obligation réglementaire à ce sujet. Les entreprises s’appuient en règle générale sur la
norme ISO 26000 et ses lignes directrices pour mettre en place leur stratégie RSE. Cette
norme, issue d’un consensus international regroupant 99 pays dont la France, s’articule
autour de 7 questions centrales : les droits de l’homme, les relations et les conditions de
travail, l’environnement, les bonnes pratiques dans les affaires, les questions relatives aux
consommateurs, le territoire et la gouvernance de l’organisation. Sous le terme de
gouvernance se cache un aspect essentiel de la RSE qui est le dialogue avec les parties
prenantes (salariés, fournisseurs, clients, voisins, ONG…). En associant les parties prenantes
aux décisions stratégiques en toute transparence, les enjeux de chacune d’elles sont ainsi
pris en considération.
Qu’elle soit mise en place par conviction personnelle ou par nécessité économique (lorsque
les appels d’offre intègrent des critères RSE par exemple), la RSE constitue une source de
compétitivité pour les entreprises. Une étude France Stratégie de 2016 démontre que les
entreprises qui se mobilisent sur la RSE seraient plus performantes de 13% par rapport à
celles qui ne s’engagent pas.
En outre, les attentes en terme de responsabilité sociétale et d’éthique sont fortes de la part
des consommateurs. La démarche RSE, intégrée au cœur de la stratégie de l’entreprise,
devient aujourd’hui un enjeu hautement stratégique. En 2018 en France, 65 % des
consommateurs choisissaient d’acheter une marque en fonction de ses prises de position .1
C’est 15 points de plus que l’année précédente.
1
Source : étude Earned Brand 2018 menée par le cabinet Elan Edelman.
4
6. C’est dans ce contexte que le dirigeant doit appréhender la question de la RSE. Ses
décisions, prises à travers le prisme de la RSE, vont impacter sur le long terme les résultats
et l’image de marque de l’entreprise. C’est au dirigeant qu’il appartient de faire de la RSE un
projet d’entreprise, une vision commune partagée par tous. Pour que tout le monde se
sente engagé, le dirigeant se doit d’incarner la RSE et d’être exemplaire dans ses pratiques.
L’heure de la fin du greenwashing et du socialwashing a sonné, l’entreprise de demain sera
engagée ou ne sera pas.
PARTIE 2 : LES FACTEURS PSYCHO-SOCIOLOGIQUES DE L’ENGAGEMENT
En psychologie sociale, il y a deux grandes façons d’évoquer le concept de l’engagement . La2
première est d’utiliser ce terme de l'engagement de la même manière que le grand public,
c’est à dire dans le sens de l’implication. Ce type d’engagement, dit interne, va faire
intervenir les attitudes, les valeurs ou encore les croyances propres à l’individu.
L’autre façon d’appréhender l’engagement est de le faire de manière objective, par les actes
comportementaux. Cet engagement est de type externe puisque c’est la situation qui
engage, ou n’engage pas, la personne dans ses actes. Le psychologue Kiesler évoque dans ce
cas des facteurs d’engagement telle la liberté de choix, le caractère explicite de l’acte, son
irrévocabilité.
Nous nous intéresserons dans ce chapitre exclusivement à l’engagement interne,
c’est-à-dire à l’implication des dirigeants d’entreprise dans le développement durable par
des facteurs inhérents à leur personne (attitudes, valeurs, croyances, normes personnelles
et motivations).
Tout au long de ce mémoire nous utiliserons le terme “environnement” selon le sens donné
par la psychologie environnementale, à savoir l’environnement physique et social.
1 - Attitudes et intention d’agir
Il existe en psychologie sociale de nombreuses définitions du concept d’attitude. Je retiens
celle de Mathieu et Thomas (1995) qui désigne l’attitude comme “une prédisposition à agir
dans un certain sens”.
Un des modèles les plus connus de la structure de l’attitude est celui de Rosenberg et
Hovland (1960) qui décompose l’attitude comme suit :
- composante affective : évaluation positive ou négative de l’objet et expression de
l’émotion ou du sentiment induit par l’objet,
- composante comportementale : tendance à se comporter de telle ou telle façon
envers l’objet,
2
Extrait de l’ouvrage La soumission librement consentie de Joule, Robert-Vincent, et Jean-Léon
Beauvois, chapitre 3, page 52.
5
7. - composante cognitive : informations, croyances et représentations en rapport avec
l’objet.
L’objet (par exemple le tri des déchets ou les économies d’énergie) sera évalué par l’individu
sur la base de ces trois dimensions, de là dépendra son attitude. En retour, cette première
réponse évaluative génèrera une tendance psychologique à interagir de façon spécifique
avec l’objet d’attitude dans le futur (Chaiken, Wood & Eagly, 1996).3
La psychologie environnementale fait le lien entre attitudes environnementales et
comportements pro-environnementaux à travers notamment le modèle de l’action
raisonnée ou encore la théorie de l’engagement. Ces approches considèrent que le
comportement d’un individu est planifié en fonction de son intention d’agir. L’ “intention”
est considérée par la psychologie sociale comme un antécédent du comportement, pouvant
servir à prédire l’action (Ajzen, 1991).
2 - Valeurs, croyances environnementales et normes personnelles
Au-delà des attitudes, examinons comment d’autres variables intra-individuelles peuvent
être des facteurs explicatifs de l’engagement dans le développement durable.
Stern et al. (1999) proposent le modèle VBN (Value - Belief - Norm) qui considère trois
déterminants possibles des comportements de protection de l’environnement : les valeurs,
les croyances environnementales et les normes personnelles. Le modèle fait l’hypothèse
d’un lien direct entre les valeurs et les croyances, croyances qui vont venir expliquer les
normes personnelles, elles-mêmes prédictives des comportements.4
2 - 1 - Valeurs
Les valeurs sont, selon une définition du psychologue social Shalom H. Schwartz, “des buts
désirables, trans-situationnels, variant en importance, qui servent de principes guidant la
vie des gens”.
Concernant les valeurs environnementales qui nous intéressent ici, deux grandes approches
existent en psychologie : biocentrée (ou écocentrée) - préservation de la nature pour
elle-même - et anthropocentrée - préservation de la nature pour soi ou pour les humains en
général. Au sein des valeurs anthropocentrées on retrouve des valeurs dites “égoïstes”
(préservation pour soi) et “altruistes” (préservation pour les autres).
Afin de comprendre à quoi correspondent ces valeurs environnementales dans le panel des
grandes valeurs humaines, je vous propose d’utiliser les conclusions de Schultz et Zelezny
dans le cadre de leur étude “Values as predictors of environmental attitudes” de 2009.
3
Extrait de l’ouvrage Psychologie et environnement de Ghozlane Fleury-Bahi, chapitre 5, page 77.
4
Extrait de l’ouvrage Psychologie et environnement de Ghozlane Fleury-Bahi, chapitre 5, page 85.
6
8. Conclusions elles-mêmes formulées par Sylvie Kergreis en 2009 dans le cadre de son article
“Les valeurs et les actes : une perspective transdisciplinaire pour l’éducation à
l’environnement” .5
Les auteurs concluent leur travail de recherche en disant que les valeurs anthropocentrées
sont corrélées positivement avec celles du “pouvoir” (statut social prestigieux, contrôle des
ressources et domination des personnes), de la “sécurité” (sûreté, harmonie et stabilité de
la société, des relations entre groupes et entre individus, et de soi-même), de la
“conformité” (modération des actions, des goûts, des préférences, et des impulsions
susceptibles de déstabiliser ou de blesser les autres, ou encore de transgresser les attentes
ou les normes sociales) et de la “tradition” (respect, engagement et acceptation des
coutumes et des idées soutenues par la culture ou la religion). Ils ajoutent que les valeurs
anthropocentrées sont corrélées négativement avec celles de la “bienveillance” (la
préservation ou l’amélioration du bien-être des personnes avec lesquelles on se trouve
fréquemment en contact).
Les valeurs biocentrées sont quant à elles corrélées positivement avec celles de
“l’universalisme” qui correspondent à des objectifs de compréhension, d’estime, de
tolérance et de protection du bien-être de tous et de la nature. Elles sont corrélées
négativement avec le “pouvoir” et la “tradition”.
Vous trouverez sur le modèle des 10 valeurs de base et universelles de Schwartz (1992)
ci-dessous la correspondance entre valeurs environnementales (en bleu) et valeurs
humaines.
5
Extrait de l’article de recherche “Les valeurs et les actes : une perspective transdisciplinaire pour
l’éducation à l’environnement” de Sylvie Kergreis.
7
9. Il a été démontré que l'orientation des valeurs individuelles influencent les attitudes
spécifiques des individus, lesquelles ont à leur tour un impact sur le comportement
spécifique ou général des sujets envers l’environnement. Cela nous amène à dire que6
l’engagement des dirigeants dans le développement durable serait alors influencé par leurs
valeurs intrinsèques.
2 - 2 - Croyances environnementales et prise de conscience
Une croyance désigne “l'attitude intellectuelle d'une personne qui tient pour vrai un énoncé
ou un fait sans qu'il y ait nécessairement une démonstration objective et acceptable de
cette attitude” (Bloch et al., 2002, cités dans Morin et Aubé, 2007, page 60).
Parmi les grandes familles de croyances, nous trouvons les croyances environnementales
qui décrivent, selon Bechtel et al. (2006), “la façon dont les gens conçoivent les relations
entre l’homme et la nature”.
Elles se structurent elles aussi selon les trois types de croyances élaborées par le
psychologue Rokeach en 1973 :7
- croyances descriptives ou existentielles : ce qui est considéré comme vrai ou faux,
- croyances évaluatives : l’objet de croyance est jugé plus ou moins positivement ou
négativement,
- croyances prescriptives : intentions d’action ou actions jugées désirables ou
indésirables.
En intégrant l’importance que l’individu porte à l’environnement, les croyances
environnementales vont permettre la prise de conscience environnementale. C’est cette
prise de conscience qui permettrait, entre autres, d’expliquer l’implication des individus
dans le développement durable.
2 - 3 - Normes personnelles et intention d’action
Une norme personnelle pourrait être définie comme un “sentiment d’obligation morale”
(Schwartz, 1977) à s'engager dans un comportement particulier, soit, “ce que je pense que
je devrais faire” (Schwartz, 1977). Ce comportement est cohérent avec son propre système
de valeurs et de conception de bien et de mal (Thøgersen, 2006).
La norme personnelle se distingue de la norme sociale. Cette dernière étant liée aux
attentes définies par le groupe auquel appartient l’individu. La différence entre norme
6
Référence au modèle explicatif des comportements d'engagement dans le cadre de l'activisme
environnemental (McFarlane et Boxall, 2003) extrait de l’ouvrage Psychologie environnementale, les
relations homme-environnement de Gabriel Moser, chapitre 9, page 218.
7
Extrait de l’ouvrage Psychologie et environnement de Ghozlane Fleury-Bahi, chapitre 5, page 81.
8
10. sociale et norme personnelle repose donc fondamentalement sur le degré d’intériorisation
de la norme par l’individu.8
Les normes personnelles sont activées par 4 variables clés :
- conscience des conséquences : conscience des conséquences négatives de ne pas agir,
- attribution de responsabilité : se sentir responsable pour les conséquences négatives de ne
pas agir,
- efficacité de l'action ; identification des actions pour réduire les problèmes (→ niveau de
connaissances),
- efficacité personnelle : reconnaissance de sa propre habileté à apporter son soutien aux
problèmes (→ compétences).
La norme personnelle est une variable importante pour analyser la motivation individuelle à
contribuer au bien public environnemental (Frey and Stutzer, 2006; Stern, 2000; Turaga et
al., 2010). La norme personnelle est supposée être corrélée avec les intentions d’adopter un
comportement, si celui-ci a un effet important sur le niveau de bien-être des autres et a
donc une connotation morale (Rivis et al., 2009). L’intention servant à prédire l’action (voir
section 1 - Attitudes), il est donc légitime de s’attendre à ce que les normes personnelles
d’un individu influencent son engagement dans le développement durable. Notamment par
les variables de l’efficacité de l’action et de l’efficacité personnelle qui renvoient
respectivement au niveau de connaissances et aux compétences de ces individus dans le
domaine du développement durable.
3 - Motivations
Les scientifiques distinguent deux types de motivation : motivation intrinsèque et
motivation extrinsèque. Nous nous intéresserons, dans ce chapitre dédié aux facteurs
intrapersonnels, exclusivement au premier type.
Dans le cas de la motivation intrinsèque, l’action est conduite uniquement par l’intérêt et le
plaisir que l’individu trouve à l’action, sans attente de récompense externe comme c’est le
cas dans la motivation extrinsèque. Le sujet est “motivé pour” l’activité elle-même (Pierre
Vianin, 2007). La motivation s’ajoute donc aux variables psycho-sociologiques qui nous9
permettent de mieux comprendre l’”intention” d’action, soit ici l’intention d’engagement
dans le développement durable.
8
Extrait de l’article de recherche “Tenir compte des normes personnelles dans les politiques agro
environnementales : une « obligation morale » ?” de Clara Pailleux et Philippe Le Coënt.
9
Extrait de l’article de recherche “Dans quelle mesure la motivation et la dimension psychoaffective
jouent-elles un rôle déterminant dans l’apprentissage de l’interprétation de conférence ?”, S. Bordes.
9
11. PARTIE 3 : LES FACTEURS CONTEXTUELS DE L’ENGAGEMENT
Au-delà des facteurs psycho-sociologiques inhérents à la personne, intéressons-nous
maintenant au contexte dans lequel le dirigeant d’entreprise évolue. Plusieurs facteurs
contextuels sont susceptibles de favoriser son engagement dans le développement durable.
1 - Contexte économique
Du fait de sa dimension globale et transverse, une démarche RSE représente un coût, tant
en termes de temps et de capital humain qu’en termes financiers. Même s’il est préférable
de penser la RSE comme un investissement plutôt qu’un coût, la mise en place d’actions RSE
semble par conséquent plus aisée dans une entreprise au contexte économique favorable.
Pour des questions de capacité d’investissement d’une part, et de disponibilité du dirigeant
d’autre part. En effet, il peut s’avérer plus difficile de prendre du recul pour réfléchir à sa
stratégie RSE dans un contexte où la pérennité de l’entreprise est menacée.
D’autres facteurs économiques peuvent intervenir dans le processus d’engagement des
dirigeants dans le développement durable, il s’agit des attentes émanants des parties
prenantes. Par exemple, de la part des collectivités qui intègrent dans leurs appels d’offre
des critères RSE auxquels les entreprises doivent se soumettre. Ou encore de la part du
consommateur qui demande plus de transparence et qui souhaite consommer de plus en
plus responsable.
2 - Contexte réglementaire
Les PME et TPE n’ont aujourd’hui ni l’obligation de mettre en place une politique RSE, ni
l’obligation de rendre des comptes sur leurs impacts sociaux et environnementaux.
Seules les entreprises cotées en bourse et celles de plus de 500 salariés et 100 millions de
chiffre d’affaires sont soumises à la publication d’un rapport de performance
extra-financière. Ces dernières sont également soumises à la loi de lutte contre la corruption
et la loi relative au devoir de vigilance.
3 - Contexte social
L’environnement social façonne le comportement des individus et ceci de multiples façons,
notamment à travers les normes sociales. Ces dernières sont liées aux attentes définies10
par le groupe auquel appartient l’individu. Par exemple, dans le cas d’un dirigeant qui fait
partie d'une association de pairs, les attentes peuvent être fortes en termes de
développement durable. Ainsi, ces associations deviennent des catalyseurs de démarches
responsables (Berger-Douce, 2005 ; Delchet-Cochet et Vo, 2012) et sont génératrices de
10
Extrait de l’ouvrage La cognition sociale de François Ric et Dominique Muller, chapitre 4, page 77.
10
12. savoirs mais aussi, d’outils de rhétorique, d’influence et de valorisation (Bonneveux et al,
2011).11
A la norme sociale j’ajouterais la pression sociale qui pourrait être caractérisée par les
jeunes diplômés en recherche d’entreprises vertueuses, par les salariés en quête de
bien-être au travail, ou encore par les clients potentiellement sanctionnateurs de mauvaises
pratiques.
PARTIE 4 : ENQUÊTE DE TERRAIN
Afin de pouvoir appréhender les facteurs explicatifs de l’engagement des dirigeants dans le
développement durable, il m’a paru essentiel de recueillir des témoignages de dirigeants.
L’objectif était de cerner leur niveau d’engagement, leurs motivations, leurs attentes ou
encore leur niveau de connaissance des enjeux.
L’état de l’art des parties 2 et 3 nous a permis de lister les facteurs d'engagement inhérents
à la personne et les facteurs contextuels. Nous allons utiliser cette liste comme grille
d’analyse des résultats de l’enquête de terrain.
1 - Méthodologie de l’enquête
J’ai choisi la méthode de l’entretien semi-directif, basé sur un guide d’entretien, afin de
laisser libre cours à la pensée des personnes interrogées. Ce guide d’entretien (annexe 1) a
été élaboré sur la base d’une liste de variables issues de lectures sur les déterminants de
l’engagement . Voici les variables qui ont été abordées lors de chaque entretien :12
Bouquet Variables
Posture du dirigeant vis-à-vis du DD* sa définition du DD
son engagement personnel
ses motivations à l’engagement
Engagement DD de la structure les enjeux DD de sa structure
les impacts environnementaux de l’activité
11
Extrait de l’article de recherche “L’engagement responsable des PME : quelle influence d’un prix
RSE pour les lauréats ?” de Véronique Bon et Jean-Luc Pensel.
12
“Analyse typologique des déterminants de l'engagement des sociétés non cotées en matière de
développement durable : Premiers résultats d'une enquête exploratoire” de Ben Larbi, Sami, Alain
Lacroux, et Philippe Luu.
“Les déterminants institutionnels, organisationnels et individuels de la sensibilité des PME au sujet du
développement durable” de François Labelle et Josée St-Pierre.
11
13. les attentes derrière l’engagement
les facteurs favorisant l’engagement
les freins à l’engagement
Organisation interne l’engagement des collaborateurs
*DD : Développement Durable
L’échantillon était composé de 7 dirigeants issus de mon réseau professionnel pour lesquels
j’ai choisi de garder l’anonymat. Ils se répartissent comme suit :
- 5 dirigeants de TPE et PME
- 1 dirigeant de Scop
- 1 dirigeant d’association
L’objectif de ce mémoire étant d’identifier les facteurs explicatifs de l’engagement, je ne fais
pas d’analyse descriptive de leurs actions en faveur du développement durable. Le postulat
de départ est que l’échantillon comporte essentiellement des dirigeants d’une entreprise ou
organisation engagée dans une démarche de développement durable.
Lors de mon enquête terrain, j’ai eu l’occasion de m’entretenir par téléphone avec deux
dirigeants supplémentaires. J’ai pris la décision de les ôter de mon échantillon en raison de
leurs réponses courtes qui ne me donnaient pas suffisamment de contenu à analyser. Ce
phénomène est dû au canal, le téléphone, qui ne m’a pas permis d’avoir un échange fluide
et interactif. De plus, il me semble qu’au téléphone les échanges sont plus expéditifs et par
conséquent moins riches en contenus.
2 - Analyse des résultats
Afin de permettre une approche globale du sujet, l’analyse des résultats que je propose est
une analyse transversale des réponses des dirigeants.
Ce travail de terrain ayant été mené de manière exploratoire auprès d’un faible échantillon,
les résultats obtenus n’ont pas pour ambition d’être extrapolés.
2 - 1 - Niveau de connaissance des enjeux de développement durable
Les réponses à la première question, “Nommez-moi de manière spontanée les 3 mots qui
vous viennent à l’esprit quand vous entendez développement durable”, apparaissent
ci-dessous sous la forme d’un nuage de mots :
12
14. Le terme “environnement” tient sans surprise la première place du classement tant il est
associé au développement durable dans l’esprit des gens. Le fait que le mot “engagement”
se place en deuxième position peut être dû au fait qu’il s’agit d’un mot que j’ai prononcé en
amont de l’entretien étant donné qu’il fait partie de ma question de recherche. Les autres
mots tels que “complexité”, “social”, “conscience” nous confirment que nous sommes en
présence d’un échantillon d’initiés au développement durable.
Je remarque que ces 3 mots donnés spontanément en début d’entretien par les dirigeants
donnent le ton pour la suite. En effet, pour plusieurs dirigeants, les 3 mots du début
représentent le fil conducteur de leur pensée. Je vous invite à aller explorer cela dans le
tableau d’analyse des résultats en annexe 2, en prenant par exemple le dirigeant A, le
dirigeant B ou encore le dirigeant D.
La deuxième question les invitait à me donner “leur” définition du développement durable.
Dans le tableau d’analyse des contenus (annexe 2), vous trouverez la retranscription des
réponses à cette question. Les réponses, qui pour la plupart aborde les trois piliers du
développement durable, confirment que les dirigeants interrogés ont intégré le concept.
Prenons l’exemple du dirigeant G qui résume le développement durable ainsi : "Faire
développer une entreprise de manière durable en prenant en compte les problématiques
environnementales et surtout sociétales".
Tout au long des entretiens, les dirigeants ont confirmé leurs connaissances des enjeux du
développement durable via :
- leurs attitudes : "Je ferai tout mon possible pour lutter contre la 5G", "J'ai rompu
mon activité professionnelle pour me lancer dans une activité 100% zéro déchet",
“J'ai l'impression d'avoir été emporté par un mouvement sociétal qui me correspond
beaucoup plus, plus à l'aise qu'avant dans cette société qui se pose ces questions, je
suis plus aligné”...
- leurs croyances : "On a misé beaucoup sur des sujets environnementaux dans la RSE
mais c'est archi faux, c'est d'abord un sujet social dans 3/4 des entreprises", "J'ai
bien conscience qu'il y ait plein de choses à améliorer","Je trouve que l'on fait
tellement pas assez par rapport aux besoins"...
13
15. - leurs normes personnelles : "J'aimerais améliorer mon engagement citoyen mais il
faudrait que mon métier m'en laisse le temps", "J'aurais des scrupules à gagner
beaucoup d'argent sur le dos de personnes qui sont payées au ras des pâquerettes",
"Notre souci premier est demain comment je fais pour continuer à employer les
gens"...
- leurs motivations intrinsèques : "Communiquer auprès des consommateurs pour
changer les habitudes, dire que c'est simple de réduire ses déchets", “J'ai 4 enfants
et je pense que ma principale motivation c'est de me retourner demain et pouvoir
leur montrer que j'aurais été un père attentif à la protection de l'environnement”,
"Se dire que l'on peut travailler sans que la finalité soit l'argent", "Je n'ai pas envie de
faire une entreprise où c'est le chef qui décide, je veux faire une entreprise
collaborative”...
NB : vous trouverez l’ensemble des verbatims classés par facteur d’engagement dans
l’annexe 2.
En explorant les réponses des dirigeants, nous prenons la mesure de leur connaissance
approfondie des enjeux du développement durable. Nous pouvons ainsi lier leur niveau de
connaissance à leur niveau d’engagement comme cela a été évoqué dans la partie 2 via les
normes personnelles. Le niveau de connaissance étant un déterminant de la norme
personnelle (via la variable “efficacité de l‘action”), elle-même facteur d’engagement dans le
développement durable.
Il est intéressant de voir que cela est conscientisé par les dirigeants. En effet, à la question
“Quels sont selon vous les facteurs qui favorisent l'engagement dans le développement
durable”, 4 dirigeants sur 7 ont spontanément nommé le niveau de connaissance (ou une
notion qui s’en rapproche). Toujours à cette même question, 4 dirigeants sur 7 répondent
que “le dirigeant” est un facteur d’engagement. Par cette réponse, les dirigeants indiquent
qu’ils prennent la responsabilité de l'engagement de leur structure dans le développement
durable. Aussi, cette réponse témoigne du bon niveau de connaissance des dirigeants
interrogés dans le sens où l’on sait que les structures les plus engagées le sont par
l'entremise de leur dirigeant.
2 - 2 - Attitudes
Nous avons également évoqué, dans la partie 2, l’attitude comme facteur
psycho-sociologique de l’engagement. Nous avons vu que Rosenberg et Hovland (1960)
décomposent l’attitude en trois composantes :
- composante affective : évaluation positive ou négative de l’objet et expression de
l’émotion ou du sentiment induit par l’objet,
14
16. - composante comportementale : tendance à se comporter de telle ou telle façon
envers l’objet,
- composante cognitive : informations, croyances et représentations en rapport avec
l’objet.
Vous trouverez dans le tableau ci-dessous, sur la base de verbatims de dirigeants, des
exemples de décomposition d’une attitude envers un objet selon les différentes
composantes de cette attitude :
Dirigeant B Dirigeant C Dirigeant F
Objet : protection de
l'environnement
Objet : passage à l'acte
citoyen
Objet : engagement
sociétal
Dimension
Affective
“J'ai 4 enfants et je
pense que ma principale
motivation c'est de me
retourner demain et
pouvoir leur montrer
que j'aurais
été un père attentif à la
protection de
l'environnement”
"Je suis dans une forme
de militantisme par
l'action, par les actes"
“J'ai l'impression d'avoir
été emporté par un
mouvement sociétal qui
me correspond
beaucoup plus, plus à
l'aise qu'avant dans
cette société qui se pose
ces questions, je suis
plus aligné”
Dimension
Comporteme
ntale
“[...] on vient de mettre
un compost dans le
jardin, avec nos 4
enfants on aimerait
générer moins de
déchets, on a qu'une
voiture”,"Je ferai tout
mon possible pour lutter
contre la 5G"
"il faut montrer que
c'est possible, qu'il y a
un intérêt", "il faut
convaincre par
l'efficacité du modèle"
“J'ai quitté mon boulot
pour créer [nom de
l'association]”,
“Mon principal enjeu est
de redonner la place
dans la société à des
personnes
particulièrement
fragiles, d'abord en
changeant le regard de
la société par rapport à
ces personnes”
Dimension
Cognitive
“On a pas besoin de la
5G [...] et on sait que le
numérique est déjà, ou
sera demain, plus
polluant que
l'aéronautique”
"Avec un peu de
volontarisme on peut
faire des choses, mettre
en place des
collaborations
efficientes"
“Être dirigeant d'une
entreprise qui ne sert
pas au mieux être global
a assez peu de sens”
NB : vous trouverez l’ensemble des verbatims liés aux attitudes dans l’annexe 2.
Nous remarquons dans ces exemples que les attitudes envers des objets liés au
développement durable peuvent nous donner des indications sur les intentions d’action des
15
17. individus dans le futur. De nombreux verbatims tournent effectivement autour de l’action :
“on peut faire les choses”, “il faut convaincre”, “je ferai tout mon possible”, “je suis
commerçant militant”, “je suis dans une forme de militantisme par l’action, par les actes”...
2 - 3 - Valeurs environnementales
Nous avons également vu dans la partie 2 que les valeurs environnementales (biocentrées
et anthropocentrées) sont corrélées positivement avec celles de “l’universalisme”, du
“pouvoir”, de la “sécurité”, de la “conformité” et de la “tradition”.
J’ai retrouvé sans surprise dans l’échantillon de dirigeants interrogés quelques-unes de ces
grandes valeurs :
- universalisme : "On est en train de bousiller la planète et nous avec et il est plus que
temps. Je dis que ces actions sur la planète ne peuvent passer que par les gens", "Au-
delà d'être dirigeant, ce qui m'importe, c'est d'avoir une activité professionnelle qui
a du sens, par rapport à la vie, la société, l'utilité"
- sécurité : "L'aspect sociétal, citoyen ; que la vie au travail fasse partie de la vie, ne
pas créer de frontière opaque. Bien chez soi, bien dans son travail, tout est lié",
"Consommer moins et passer plus de temps avec vos potes, c'est ça ce qu'il faudrait
véhiculer"
- tradition : "Au niveau du sourcing, c'est lié à notre mentalité, on a pas attendu de
faire de la RSE, il faut être respectueux des gens avec qui on travaille", “Le rôle du
chef d'entreprise c'est de faire en sorte qu'on se dise que dans la boite il y a un
respect, on s'écoute, des valeurs qu'on partage, qu'on applique",
- bienveillance : "Je vais visiter une personne âgée une fois par mois mais j'aimerais
faire plus”.
Cela permet de confirmer que les valeurs environnementales des dirigeants interrogés ont
un impact sur leur propension à s’engager.
2 - 4 - Croyances environnementales
Nous l’avons évoqué, les croyances environnementales peuvent englober les trois types de
croyances suivantes :
- croyances descriptives ou existentielles : ce qui est considéré comme vrai ou faux,
- croyances évaluatives : l’objet de croyance est jugé plus ou moins positivement ou
négativement,
16
18. - croyances prescriptives : intentions d’action ou actions jugées désirables ou
indésirables.
Pour illustrer cela, je me suis attachée, dans le tableau ci-dessous, à retrouver dans le
discours des dirigeants les trois types de croyance :
Dirigeant B Dirigeant F Dirigeant G
Croyances
descriptives
ou
existentielles
"On sait que l'entreprise
va être l'endroit où l'on
va reconstruire bcp de
chose comme le lien
social"
"En aidant les plus
fragiles on aide les
moins fragiles, on pense
à tout le monde en fait"
"On est encore au stade
où certains veulent juste
un bulletin de salaire"
Croyances
évaluatives
"On a déjà plein
d'impacts positifs : on
prend plein de
stagiaires, d'alternants,
qui sont reçus par des
gens formés au tutorat,
on fait des dons"
"Je préfère prendre le
vélo que la bagnole, il se
trouve que c'est bon
pour la planète",
"Etre dirigeant d'une
entreprise qui ne sert
pas au mieux-être global
a assez peu de sens"
" Je suis étonné de voir
que même petits, [mes
enfants] sont dans la
société de
consommation"
Croyances
prescriptives
"Je ferai tout mon
possible pour lutter
contre la 5G."
"Faire plus pour moi
serait [...] arriver à
convaincre autour de
moi des personnes
d'aller plus loin dans le
développement
durable"
"On aimerait que
chaque personne trouve
du sens dans ce qu'elle
fait, qu'elle se sente
bien dans l'entreprise,
[...] qu'elle participe aux
changements"
NB : vous trouverez l’ensemble des verbatims liés aux croyances dans l’annexe 2.
A travers ces exemples, nous pouvons apprécier le lien qui existe entre croyance et prise de
conscience. C’est sur la base de ses croyances que le dirigeant va prendre conscience des
enjeux et peut-être agir. Les exemples de verbatims suivants démontrent bien cette prise de
conscience : “On sait que l'entreprise va être l'endroit où l'on va reconstruire beaucoup de
chose comme le lien social", "Quand on dégage des valeurs pro-environnement on est
toujours bien reçu et encouragé par les consommateurs", "Consommer moins et passer plus
de temps avec vos potes. c'est ça ce qu'il faudrait véhiculer"...
2 - 5 - Normes personnelles
Les normes personnelles sont activées par 4 variables clés :
- conscience des conséquences : conscience des conséquences négatives de ne pas agir,
17
19. - attribution de responsabilité : se sentir responsable pour les conséquences négatives de ne
pas agir,
- efficacité de l'action ; identification des actions pour réduire les problèmes (→ niveau de
connaissances),
- efficacité personnelle : reconnaissance de sa propre habileté à apporter son soutien aux
problèmes (→ compétences).
Dans les exemples ci-dessous, j’ai décomposé quelques normes personnelles identifiées
dans le discours des dirigeants :
Dirigeant B Dirigeant D Dirigeant E
Conscience
des
conséquences
"Il y a moins de valeurs,
il y a moins de sens, [...]
il y a beaucoup de
divorces, cela a un
impact, on ne croit plus
en grand chose [...]."
"Pour moi c'est par
l'engagement citoyen
que ca peut bouger"
"On est sur un secteur
d'activité qui disparaît"
Attribution de
responsabilité
"En tout cas l'entreprise
sera là comme un socle.
Je ne vais pas bien chez
moi mais je vais au
boulot, il a du sens. J'ai
des collègues."
"J'aimerais améliorer
mon engagement
citoyen mais il faudrait
que mon métier m'en
laisse le temps"
"Notre souci premier est
demain comment je fais
pour continuer à
employer les gens"
Efficacité de
l'action
"[les politiques] sont
court-termistes.
L'entreprise ne peut pas
être court-termiste, on
sait que l'entreprise va
être l'endroit où l'on va
reconstruire beaucoup
de choses comme le lien
social"
"Pour le citoyen, deux
moyens d'agir, la carte
bleue et la liste
électorale"
"Chez nous le social
c'est très orienté sur
l'employabilité des
équipes, de les rendre
très polyvalente, de
faire des formations. [...]
Demain si un poste est
supprimé, la personne
est capable d'en
prendre un autre"
Efficacité
personnelle
"Le rôle du chef
d'entreprise c'est de
faire en sorte qu'[...] il y
a un respect, on
s'écoute, des valeurs
qu'on partage, comme
un rempart, j'accepte
cette responsabilité"
"D'où la limitation de
ma consommation ; à
une époque ça a été
réduire un train de vie ;
circuits courts
principalement"
"Notre priorité est de
tenir le choc et essayer
de faire en sorte que si
les problèmes arrivent
les gens s'en sortent au
mieux"
NB : vous trouverez l’ensemble des verbatims liés aux normes personnelles dans l’annexe 2.
18
20. Ces exemples permettent d'illustrer que l'engagement des dirigeants est guidé par des
normes personnelles qui répondent à une motivation individuelle, celle de contribuer au
bien-être des autres (connotation morale). Les termes suivants renvoient à cette notion
d’obligation morale : “il y a vraiment des problèmes de sens”, "J'aurais des scrupules à…”,
“que ça soit éthique”, “on pense à tout le monde en fait”...
2 - 6 - Motivations
Pour sonder les dirigeants sur leurs motivations, je leur ai posé la question ouverte suivante
“Quelles sont vos principales motivations à cet engagement ?”. Vous trouverez dans le
tableau ci-dessous un extrait des réponses :
Dirigeant A Dirigeant C Dirigeant G
Motivations
intrinsèques
"Accompagner les
consommateurs à
réduire leurs déchets",
"Se dire que l'on peut
travailler sans que la
finalité soit l'argent",
"Le fait que l'on ne
travaille pas pour une
seule personne, on
travaille pour un
collectif"
"Je n'ai pas envie de
faire une entreprise où
c'est le chef qui décide,
je veux faire une
entreprise collaborative,
que les gens
s'impliquent, on essaie
car ce n'est pas facile
dans notre métier"
NB : vous trouverez l’ensemble des verbatims liés aux motivations dans l’annexe 2.
La motivation intrinsèque nous permet de mieux comprendre ce qui pousse les dirigeants à
agir. Dans notre échantillon, nous pouvons remarquer que les motivations sont en premier
lieu sociales et environnementales :
- motivations sociales : "L'aspect sociétal, citoyen, que la vie au travail fasse partie de
la vie, ne pas créer de frontière opaque. Bien chez soi, bien dans son travail, tout est
lié", "Transmission d'information, de formation, d'information des gens, de
compréhension, c'est pour moi l'enjeu le plus important, de faire en sorte qu'ils aient
compris le truc", “[...] je veux faire une entreprise collaborative, que les gens
s'impliquent,
- motivations environnementales : “[...] ma principale motivation c'est de me
retourner demain et pouvoir leur montrer que j'aurai été un père attentif à la
protection de l'environnement”, "Accompagner les consommateurs à réduire leurs
déchets".
Nous noterons, dans les réponses des dirigeants à cette question, l’absence de motivation
de rentabilité économique derrière leur engagement. C’est dans d’autres contextes de
réponses que cette motivation surgira au cours de certains entretiens : “On optimise les
19
21. trajets [pour consommer moins d’énergie], mais c'est aussi économique”, “Je suis dans une
forme de militantisme par l'action, par les actes, le faire savoir, montrer que c'est possible,
qu'il y a un intérêt, ça reste une logique économique”, “Quand on s'améliore dans le tri des
déchets on se rend compte qu'on peut faire des valorisations de déchets et que cela devient
un centre de profit et pas un centre de coût” et “On est dans une phase de développement,
il ne faut pas que l'on bascule, il faut que l'on s'équilibre, il faut faire attention. Il faut
pouvoir transformer derrière”.
2 - 7 - Les facteurs contextuels
Nous avons évoqué, dans la partie 3 de ce mémoire, trois types de facteurs contextuels
pouvant favoriser l’engagement des dirigeants dans le développement durable :
économique, réglementaire et social. Je vous propose d’explorer les réponses des dirigeants
sous cet angle contextuel.
A la question ouverte “Quels sont selon vous les facteurs qui favorisent l'engagement dans
le développement durable ?”, trois dirigeants ont donné des facteurs contextuels :
- économique : "C'est plus facile de faire tout ce dont on parle quand l'entreprise va
bien, il y a quand même une réalité économique, [...] si l'entreprise ne va pas bien il
n'y a pas de sérénité et le chef d'entreprise ne peut pas dégager du temps pour faire
autre chose"" et " [un des facteurs d'engagement] c'est la peur car "je risque de rater
un marché" si je n'ai pas de démarche RSE",
- réglementaire : "Il faut des obligations extérieures, ça crée une pression",
- social : “Être dans un groupement va permettre de nous benchmarker, être dans des
associations, des certifications ça vous ouvre des perspectives”.
Plus tard dans la discussion, deux autres dirigeants se sont exprimés par rapport au champ
réglementaire : "J'attends que le législateur contraigne beaucoup plus" et "On est rentré
dans Imprim'Vert il y a 15 ans, ça c'est une certification hyper vertueuse. Mise en place
d'une charte assez détaillée mais raisonnablement exigeante".
Enfin, ce sont différents facteurs sociaux qui ont été évoqués, dont la plupart ont trait à leur
appartenance à des associations de pairs :
- "Je connais la RSE depuis 5 ans grâce au CJD [Centre des Jeunes Dirigeants
d’entreprise], j'adhère à Planet'RSE et DRO [Dirigeants Responsables de l’Ouest] avec
l'intérêt de travailler ensemble",
- “On fait de l'échange de bonnes pratiques via un club”.
- “Vous croisez des schémas RSE beaucoup plus installés et ça vous permet de vous
mettre en ordre, ce qui vous permet d'accélérer”,
20
22. - “Si on sort une innovation et qu'elle consomme deux fois plus de matières
premières, et bien non il ne faut pas la sortir car on sait bien que les clients vont dire
que l'impact environnemental est terrible”.
Évoluant par essence dans des contextes économique, réglementaire et social, les dirigeants
sont soumis à des influences extérieures. En revanche, je remarque, au travers de leurs
réponses, que les dirigeants de l’échantillon semblent être moins influencés par des
éléments extérieurs que par des facteurs inhérents à leur personne.
21
23. Conclusion
L’objectif de ce mémoire était d’identifier les facteurs explicatifs de l’engagement des
dirigeants d’entreprise dans le développement durable, par une entrée théorique illustrée
d’exemples émanant du terrain.
J’ai dans un premier temps réalisé une revue de littérature des facteurs
psycho-sociologiques qui semblaient entrer dans le processus d’engagement. Puis, je me
suis intéressée aux facteurs contextuels pouvant favoriser l’engagement d’un dirigeant, d’un
point de vue économique, réglementaire et social. Enfin, je suis allée rencontrer des
dirigeants engagés dans une démarche de développement durable pour les questionner sur
leurs motivations.
L’analyse transversale des données ainsi collectées m’a permis de dégager les grandes
tendances suivantes, explicatives de l’engagement des dirigeants :
- les dirigeants interrogés possèdent une connaissance approfondie des enjeux du
développement durable,
- de par leurs croyances environnementales bien ancrées, ils ont pris conscience des
enjeux du développement durable, et en acceptent la responsabilité au sein de leur
structure,
- leurs valeurs environnementales et leurs attitudes vis-à-vis du développement
durable jouent un rôle clé pour expliquer leurs intentions d’action,
- leurs motivations intrinsèques semblent être d’abord orientées environnement et
social, avant d’être économiques,
- les dirigeants sont soumis à des influences contextuelles, mais cela apparaît comme
un élément moins déterminant que les facteurs psycho-sociologiques.
Maintenant que les facteurs explicatifs de l’engagement ont été identifiés et illustrés par le
terrain, il serait intéressant de se poser la question des freins à l’engagement. Nous
pourrions légitimement nous poser la question de leurs déterminants. Au même titre que
les facteurs d’engagement, est-ce que les freins à l’engagement s’expliquent par des
déterminants interpersonnels et contextuels ?
Pour ma part mon travail de recherche est terminé, il est temps pour moi d’être actrice de
mon changement, à l’image des dirigeants que j’ai rencontrés.
“J'essaie d'être à mon échelle un gros
colibri, le plus gros colibri possible”
“Je suis commerçant militant”
“Consommer moins et passer plus de
temps avec vos potes, c'est ça ce qu'il
faudrait véhiculer”
“Je suis dans une forme de militantisme
par l’action, par les actes”
“C'est tellement nécessaire, urgent, que je
vis cette urgence, je la ressens, ce n'est
pas une motivation, c'est un sens naturel”
22
24. Bibliographie
Ouvrages :
Joule, Robert-Vincent et Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie, PUF, 2010.
Ghozlane Fleury-Bahi, Psychologie et environnement, De Boeck, 2010.
Gabriel Moser, Psychologie environnementale, les relations homme-environnement, De
Boeck, 2009.
François Ric et Dominique Muller, La cognition sociale, PUF, 2017.
Karine Weiss et Fabien Girandola, Psychologie et développement durable, In press, 2010.
Alex Mucchielli, La psychologie sociale, Hachette, 2001.
Sandrine Berger-Douce, Les stratégies d'engagement sociétal des entrepreneurs, De Boeck,
2007.
Articles de recherche :
Sylvie Kergreis, “Les valeurs et les actes : une perspective transdisciplinaire pour
l’éducation à l’environnement”, Éducation relative à l'environnement [En ligne], Volume 8,
2009.
Clara Pailleux et Philippe Le Coënt, “Tenir compte des normes personnelles dans les
politiques agro environnementales : une « obligation morale » ?”, 9. Journées de
recherches en sciences sociales (JRSS) [En ligne], Dec 2015.
Sarah Bordes (ISIT), “Dans quelle mesure la motivation et la dimension psychoaffective
jouent-elles un rôle déterminant dans l’apprentissage de l’interprétation de conférence ?”,
D’Amelio La recherche en interprétation : fondements scientifiques et illustrations
méthodologiques. Centre International de Phonétique Appliquée de Mons [En ligne], 2013.
Véronique Bon et Jean-Luc Pensel, “L’engagement responsable des PME : quelle influence
d’un prix RSE pour les lauréats ?”, RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme &
Entreprise [En ligne], 2015/4 (n° 18).
Ben Larbi, Sami, Alain Lacroux, et Philippe Luu, “Analyse typologique des déterminants de
l'engagement des sociétés non cotées en matière de développement durable : Premiers
résultats d'une enquête exploratoire”, Recherches en Sciences de Gestion, vol. 96, no. 3 [En
ligne], 2013.
François Labelle et Josée St-Pierre, “Les déterminants institutionnels, organisationnels et
individuels de la sensibilité des PME au sujet du développement durable”, 10e CIFEPME [En
ligne], 2010, Bordeaux.
23
25. Annexes
Annexe 1 : Guide d’entretien
Guide d’entretien
Posture du dirigeant vis-à-vis du développement durable
1 - Nommez, de manière spontanée, les 3 mots qui vous viennent à l’esprit quand vous
entendez “développement durable”
………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………...
2 - Donnez-moi votre définition du développement durable
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
3 - Comment considérez-vous votre engagement personnel au quotidien dans le
développement durable ?
très engagé - engagé - moyennement engagé - peu engagé - pas du tout engagé
Comment cet engagement se matérialise ? Aimeriez-vous changer quelque chose dans vos
comportements ? Si oui, savez-vous comment ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
4 - Quelles sont vos principales motivations à cet engagement ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
Engagement dans le développement durable de la structure
5 - Quels sont les principaux enjeux de développement durable de votre structure ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
6 - Comment vous situez-vous par rapport à l’affirmation suivante : “je connais les impacts
de mon activité professionnelle sur l’environnement”
Tout à fait d’accord - d’accord - ni d’accord ni pas d’accord - pas d’accord - pas du tout
d’accord
Si “tout à fait d’accord” ou “d’accord”, quels sont ces impacts, positifs et/ou négatifs ?
………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………...
24
26. 7 - Quel est le niveau d’engagement de votre structure pour chaque pilier du
développement durable ?
Pilier économique : très engagé - engagé - moyennement engagé - peu engagé - pas du tout
engagé. Pourquoi ?
………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………...
Pilier social : très engagé - engagé - moyennement engagé - peu engagé - pas du tout
engagé
Pourquoi ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
Pilier environnement : très engagé - engagé - moyennement engagé - peu engagé - pas du
tout engagé. Pourquoi ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
8 - Quelles sont vos attentes derrière l’engagement de votre structure dans le
développement durable ?
………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………….
9 - Quels sont, selon vous, les facteurs qui favorisent l’engagement d’une structure dans le
développement durable ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
10 - Quels sont les avantages à s’engager dans une politique de développement durable ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
11 - Quels sont les principaux freins à l’engagement dans une politique de développement
durable ? En rencontrez-vous ?
………………………………………………………………………………………………………………
…………………………………………………………………………………...
Organisation interne
12 - Que signifie pour vous l’engagement des collaborateurs dans le développement durable
? Quelle forme prend cet engagement dans votre structure ?
………………………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………
25
27. Annexe 2 : Analyse des contenus
Disponible sous ce lien (à imprimer en format A3 pour une meilleure lecture)
Annexe 3 : Retranscription des entretiens (non disponible en version publique)
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