1. DOS SIER S / ISRAËL
ISRAËL : LA FOI
EN L’INNOVATION
Malgré un climat géopolitique instable, l’État hébreu affiche une belle santé économique.
Israël a réussi son pari sur la recherche et l’innovation et s’impose comme le royaume des serial
entrepreneurs. À découvrir d’urgence.
Le Matam, le plus grand parc technologique israëlien. Israël est le premier pays au monde en nombre de start-ups par habitant.
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2. ON COMPTE PLUS DE SOCIÉTÉS
ISRAËLIENNES AU NASDAQ
QUE D’ENTREPRISES EUROPÉENNES.
Assaf Sayada (H.97)
Philippe Roitman (H.97)
Des espaces désertiques, des marais et des collines pelées. de consortiums et de faire émerger une industrie locale
C’est dans ce cadre que l’État d’Israël a été créé en 1948. de capital-risque. En 1991, l’arrivée de plus d’un million
Soixante-quatre ans plus tard, le Matam s’étend à l’entrée d’immigrants russes, ingénieurs de formation pour la
de Haïfa. Connu comme le plus grand parc technologique plupart, pousse les pouvoirs publics à créer un dispositif
israélien, il symbolise la mutation du pays en une véritable d’incubateurs technologiques. Aujourd’hui, les inventeurs
“nation start-up”. Ici, les principaux noms de l’informa- bénéficient de quelque soixante-dix incubateurs, dont
tique mondiale (Google, Microsoft, Intel…) ont ouvert vingt-quatre financés à 80 % par des fonds publics, et les
des centres de recherche et de développement. On y investissements high-tech sont gigantesques (près de
trouve les fleurons israéliens des industries de pointe, 1,1 milliard d’euros en 2010 selon FrenchWeb). Autre
comme Elbit Systems (défense), ou encore les start-ups caractéristique de cet écosystème unique : le rôle moteur
de l’incubateur du Technion, le MIT local. “Israël est le joué par l’armée. Les unités d’élites technologiques de
numéro un mondial en nombre de start-ups par habitant et Tsahal servent de viviers pour la high-tech locale, qui
le deuxième vivier mondial, derrière la Silicon Valley”, représente 35 % du PIB israélien et 10 % de la population
précise Assaf Sayada (H.97), associé de Karta Partners, active. Les gradés viennent exposer leurs besoins sur
PDG de 70global et président du groupement HEC en les campus, notamment celui de Technion, la fameuse
Israël. Près de cinq cents start-ups seraient créées dans université scientifique fondée par le mouvement sioniste
le pays chaque année, et l’on compte plus de sociétés avant même la naissance de l’État d’Israël. Maintes inno-
israéliennes cotées au Nasdaq que d’européennes. Pour vations s’inspirent de technologies initiées dans les
l’heure, l’État hébreu est l’un des pays qui investissent industries de la Défense : dans les télécoms, les expertises
le plus dans la R&D civile, soit près de 5 % de son PIB développées dans les secteurs militaire et civil sont très
(contre 2,2 % en France). “Le taux d’ingénieurs par habi- similaires, et dans l’industrie médicale, l’exemple le plus
tant (l’un des plus élevés au monde) et le nombre de prix connu reste celui de la capsule d’endoscopie de Given
Nobel (quatre durant les cinq dernières années) reflètent la Imaging, une adaptation d’une technologie mise au point
puissance de la recherche. D’ailleurs, beaucoup de technolo- par le missilier Rafael.
gies ont été mises au point ici : la clé USB, la messagerie
instantanée, la voix sur IP, la messagerie téléphonique…”, “L’HOMO ISRAELUS ENTREPRENARIUS”
observe Assaf Sayada. Albert Einstein ne le prophétisait-
il pas en déclarant dès 1922 : “Israël ne pourra survivre Israël, une terre d’entrepreneurs. Ce n’est pas un hasard
qu’en développant la connaissance et la technologie.” si l’Université de Business International et d’Économie
de Pékin, l’une des plus prestigieuses universités
L’INNOVATION “MADE IN ISRAËL” chinoises, a décidé d’ouvrir un département d’économie
israélienne pour y enseigner la haute technologie et la
Dès la fin des années 60, dans le sillage de la guerre des culture d’entreprise israéliennes. “L’homo israelus entre-
Six Jours et de l’embargo militaire décrété par la France, prenarius a l’entrepreneuriat dans le sang, plaisante Philippe
l’innovation industrielle est devenue un mot d’ordre dans Roitman (H.97), président du cabinet de conseil BlueTech
un pays dépourvu de ressources naturelles. Le bureau et Chairman du comité high-tech de la Chambre de
du Chief Scientist du ministère de l’Industrie et du Com- commerce et d’industrie Israël-France. Ici, on réussit en
merce voit alors le jour. Afin de développer la recherche créant son entreprise, tandis que les salaires des cadres supé-
civile, l’organisme se dote peu à peu d’outils permettant rieurs ne sont pas très élevés. À cela s’ajoutent un soutien
de financer des technologies génériques dans le cadre
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35 %
du PIB israélien
provient du secteur des
hautes technologies
Le centre Azrieli de Tel-Aviv.
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très fort du gouvernement pour les hautes technologies (avec “Quand je suis arrivé en Israël, je me suis lancé tête baissée,
notamment des réductions d’impôt), la maturité des jeunes car j’avais déjà l’expérience d’une création de start-up en
qui, en sortant du service militaire obligatoire, n’hésitent France. Je conseillerais néanmoins à quelqu’un qui veut
pas à lancer leur société, et les nombreux investissements entreprendre en Israël de travailler d’abord dans une start-
étrangers. Tous les grands fonds de capital-risque américains up sur place avant de monter la sienne. Il vaut mieux connaître
se trouvent en Israël.” Ouriel Ohayon (H.96), qui a monté la langue et tisser un réseau de connaissances. Cela dit, une
sa start-up, Appsfire, entre la France et Israël, confirme fois que l’on sait comment le pays fonctionne, il y a beaucoup
cet esprit d’entreprise : “C’est tout le contraire de la France. de possibilités.” Et Gilles Debache (H.79), Senior Partner
Il est très facile de fonder une société, de trouver des talents de Poc investments Ltd., de renchérir : “Ce pays n’a pas
et des financements. Si les coûts entre les deux pays sont du tout la même culture des affaires que la France. Il est
comparables, la taxation sur les plus-values et les capitaux donc très important de trouver des opérateurs locaux qui
est en revanche beaucoup plus intéressante qu’en France. peuvent guider les entrepreneurs français dans leur approche
Mais attention : Israël disposant d’un petit marché de 7,7 du marché. Sans un support local de qualité, on n’aboutit à
millions d’habitants, on doit penser exportations et inter- rien.”
national dès la création de son entreprise.” Un Eldorado
pour start-ups ? La prudence est toutefois de mise, comme HOUTSPA !
en témoigne David Amselem (H.86), à la tête de TvTak :
Aux yeux d’Assaf Sayada, l’entrepreneuriat n’est pas la
seule possibilité offerte par l’État hébreu : “Il existe un
potentiel énorme pour les grands groupes français et euro-
péens, qui consiste à créer des centres de R&D. Les acquisi-
tions sont un autre axe : les Israéliens sont réputés pour
vendre très vite leur start-up sans attendre leur maturité
commerciale. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un des
géants de l’Internet ou des sciences de la vie ne rachète une
start-up israélienne. Les partenariats stratégiques avec des
sociétés d’innovation locales et le domaine de l’investissement
peuvent aussi s’avérer intéressants.” En outre, une loi anti-
trust récemment adoptée par le gouvernement impose
Ouriel Ohayon (H.96)
une séparation entre la banque et le secteur industriel :
de nombreux patrons israéliens devront donc se séparer
d’une partie de leurs participations. Autant d’opportu-
nités pour les investisseurs étrangers.
Mais quel que soit l’axe de développement adopté,
l’esprit de “houtspa” est dans l’air, souligne Philippe
Roitman : “Israël est une start-up, toujours dans la néces-
sité de survivre, de s’adapter. Les ressources naturelles sont
faibles et le marché local réduit. Cela stimule la “houtspa”
(littéralement, entre l’audace et le culot). Ici, on apprend à
David Amselem (H.86) Gilles Debache (H.79) oser.” •
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4. LA CLÉ USB, LA MESSAGERIE INSTANTANÉE
ET LA VOIX SUR IP: AUTANT DE TECHNOLOGIES
QUI NOUS VIENNENT D’ISRAËL.
DES OBSTACLES LES SECTEURS PORTEURS
CULTURELS Israël dispose d’une économie diversifiée et technologiquement avancée. Ses
domaines d’excellence sont la chimie (Israël s’est spécialisé dans les médica-
Compte tenu de l’étroitesse du marché israé- ments génériques), la plasturgie et les technologies de pointe (aéronautique,
lien, le secteur high-tech a dû miser sur des électronique, télécommunications, logiciels, biotechnologies). “Dans les
projets compétitifs à l’échelle internationale. nouvelles technologies, les secteurs actuellement les plus porteurs sont le
Dans ce contexte, le partenariat noué avec software de type cloud computing et big data analytics, Internet et les appli-
les États-Unis s’est avéré essentiel. Le pro- cations mobiles, ainsi que les secteurs communications et semi-conducteurs”,
gramme binational Bird en témoigne : en estime Philippe Roitman (H.97). “Les start-ups n’hésitent pas à s’attaquer à
une trentaine d’années, plus de huit cents de gros marchés, comme la télévision ou la publicité, en proposant des solutions
projets dont la R&D était localisée en Israël innovantes en rupture avec les modèles existants”, ajoute David Amselem
et le commercial aux États-Unis ont été sou- (H.86). La taille de diamants, le textile et le tourisme représentent trois autres
tenus. Alors que des acteurs chinois, anglais filières d’importance. Ubifrance tend également à privilégier les transports,
ou allemands s’intéressent de plus en plus
aux opportunités offertes par l’État hébreu,
Israël ayant des années de retard à rattraper dans les infrastructures. Après
le projet du tramway de Jérusalem, dans lequel Alstom était partenaire, le
24 %
du PNB israëlien
la France, elle, reste largement en retrait. pays met en place un autre chantier d’une grande complexité : le métro de est généré par
“Si la relation économique entre les deux la région de Tel-Aviv, qui pourrait intéresser des sociétés françaises d’ingé- les exportationsl
pays n’affiche pas un niveau satisfaisant, cela nierie. “Ce pays est toujours en mouvement et encore en construction. Le
résulte avant tout d’un vrai blocage psycholo- développement des réseaux routiers et autoroutiers est permanent, le réseau
gique du côté français. Le contexte politique ferroviaire connaît un important retard, la construction d’un nouvel aéroport
régional s’avère dissuasif, alors qu’en réalité près d’Eilat et l’extension prochaine de l’aéroport international Ben Gourion à
il a peu d’impact sur l’économie locale”, ana- Tel-Aviv sont prévues. Sans oublier un très large programme de construction
lyse Gilles Debache (H.79). “L’état d’esprit immobilière”, énumère Gilles Debache (H.79).
israélien, assez proche du rêve américain,
est en revanche très éloigné de la mentalité
française, poursuit Assaf Sayada (H.97). CLEANTECH EN POINTE
Les Français sont cartésiens, structurés, stra- Enfin, Israël confirme sa position de leader dans le domaine des technolo-
tégiques, quand l’approche israélienne est gies propres au niveau international. En février 2012, le WWF (organisation
ultrapragmatique et intuitive.” Pour Philippe mondiale de protection de l’environnement) a classé le pays en deuxième
Roitman (H.97), “les Israéliens sont directs position, derrière le Danemark, dans son “Cleantech Global Innovation Index”,
et durs en négociations. Les prises de déci- le classement des pays les plus novateurs dans le domaine du Cleantech. Israël
sions sont plus rapides qu’en France car le totalise près de six cents entreprises spécialisées dans le traitement de l’eau
manager israélien est habitué à prendre des et les énergies alternatives, et compte plusieurs champions d’envergure, tel
risques. Les relations étant plus informelles Netafim, l’inventeur de l’irrigation goutte-à-goutte, ou le groupe IDE, qui a
en Israël, la notion de hiérarchie est moins construit avec Veolia le plus grand site mondial de dessalement à Ashkelon.
stricte, d’autant que la compétence est plus Le secteur des énergies renouvelables figure au cœur des priorités nationales :
valorisée que l’ancienneté. Le revers de la le pays s’est donné dix ans pour abandonner totalement le pétrole, et le
médaille est que la notion de vie privée est gouvernement prévoit d’investir plus de 420 millions d’euros à l’horizon 2020
plus limitée”. afin que 10 % de sa production électrique soit issue d’énergies alternatives
(contre 1 % actuellement).
CONJONCTURE
Le 27 mai 2010, Israël a fait son entrée dans le club des pays développés en devenant membre de l’OCDE. Cette adhésion vient consacrer
la bonne santé de son économie, résultat d’un appareil productif performant, d’une infrastructure bancaire moderne et d’une population à
haut niveau d’éducation. En 2011, l’économie d’Israël est classée au 40e rang mondial avec une population totale de 7,7 millions d’habitants,
un PIB par habitant de 31 000 dollars et un taux de croissance de 4,6 %. L’État hébreu est parvenu jusqu’à présent à limiter les dégâts des
crises des subprimes de 2008 et de la zone euro, malgré sa forte exposition à l’international : les exportations, véritable épine dorsale de la
croissance du pays, représentent environ 24 % du PNB. La croissance, quoiqu’en baisse, devrait atteindre 3,1 % cette année, le chômage ne
touche que 7 % de la population active et la Bourse de Tel-Aviv a grimpé de 13 % entre janvier et octobre 2012. “La note d’Israël a été rele-
vée à A+ par l’agence de notation Standard & Poor’s, quand la plupart des pays de l’OCDE ont vu leur notation baisser”, remarque Assaf
Sayada (H.97). L’économie israélienne doit cependant faire face à de nombreux défis qui pourraient mettre à mal sa dynamique à court et
plus long terme. La priorité est de soutenir la croissance et de contenir l’inflation, dans le contexte de l’appréciation de la monnaie (shekel)
et d’une montée des prix de l’immobilier. Le milieu académique subit par ailleurs une sévère fuite des cerveaux. Autre facteur d’inquiétude :
le taux de pauvreté qui touche 20 % des foyers israéliens contre 11 % pour la zone OCDE.
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