Joseph Schmauch_Des archives comtales à la visite princière_texte
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RASAD 2018
L’archiviste hors de ses frontières –
transversalités/passerelles/coopérations
Angoulême, 1er
-2 février 2018
Des archives comtales à la visite princière : numériser et
valoriser les archives des terres mazarines d’Alsace
Joseph Schmauch
Directeur des Archives départementales du Territoire de Belfort
S’appuyant sur des relations historiques et familiales entre la Maison Grimaldi et la Haute-Alsace, un
partenariat a été noué en 2014 avec les Archives du palais princier de Monaco dans le but de
numériser un ensemble de 400 boîtes d’archives relatives aux seigneuries mazarines d’Alsace. Ces
documents viennent compléter les sources locales, permettant de mieux en appréhender le
dynamisme la région située entre Vosges et Rhin à l’époque moderne. De ce projet strictement
archivistique est né le projet plus politique de valoriser ce passé historique, débouchant sur une
invitation, par le Département du Territoire de Belfort, du prince Albert II de Monaco. Le 6 juin 2016,
ce travail de mise en relations fondé sur l’existence d’un fonds d’archives, matérialisant un passé
commun, débouchait sur la visite en grande pompe du prince Albert II de Monaco dans la Cité du
lion, visite au carrefour du patrimoine, des relations institutionnelles et du people. Denis Godefroy
(1615-1681), était à la fois historien de cour, archiviste et historiographe du roi de France Louis XIV. À
l’heure des bases de données, des archives essentielles et des sciences historiques, dans quelle
mesure l’archiviste, dans son cadre local et territorial, conserve-t-il quelques beaux restes de sa
vêture ancienne de commensal ou d’ordonnateur des fêtes et cérémonies ayant « bouche à la
cour » ? Hors de ses frontières ordinaires, entre tradition et modernité, ne bénéficie-t-il pas là d’une
singulière opportunité de promotion et de valorisation de ses fonds et des missions dévolues au
service dont il a la charge ?
Ducs de Mazarin, comtes de Belfort
Depuis le XIVe
siècle, les Habsbourg possèdent en Alsace les seigneuries de Belfort, Rougemont,
Masevaux, Thann, Altkirch, Delle, Ferrette, Cernay, Issenheim, Landser, Hohlandsperg,
Hohkoenigsburg, Ensisheim, Bollwiller, Villé et Brisach. Associées à des territoires situés sur la rive
droite du Rhin, ces terres forment les Vorderoesterreischische Länder ou Vorlande (pays d’Autriche
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antérieure). La région de Belfort est administrée par un Landvogt (ou grand-bailli) établi à Ensisheim,
représentant de l’archiduc d’Autriche pour ses terres de Haute-Alsace. Sous l’autorité du grand bailli,
les baillis, notamment celui de Belfort, rendent compte de leur gestion des impôts, de la justice et
des questions militaires.
La Guerre de Trente ans, qui éclate en 1618, provoque l’effondrement de l’édifice autrichien. Par les
traités de Münster et d’Osnabrück, signés en 1648, la France acquiert les droits de l’Empereur, du
Saint-Empire romain germanique et de la Maison d’Autriche « sur la ville de Brisac, le Landgraviat de
la Haute et Basse-Alsace, le Sundgau et la Préfecture provinciale des dix villes impériales ». À la mort
de Louis de Champagne, l’investiture des seigneuries de Belfort et de Delle échoit à Gaspard de
Champagne, comte de la Suze, qui accède ainsi à la seigneurie. Compromis dans la Fronde, celui-ci
perd ses titres et ses fiefs au profit de son ennemi. En décembre 1659, alors qu’il séjourne à
Toulouse pour préparer son mariage avec l’Infante Marie-Thérèse de Habsbourg, Louis XIV signe une
lettre de donation du comté de Ferrette et des seigneuries de Belfort, Delle, Thann, Altkirch et
Issenheim en faveur du cardinal de Mazarin. Le cardinal meurt sans avoir visité ses terres d’Alsace,
qui ne constituent qu’une petite partie de ses biens. C’est à la hâte, quelques jours avant sa fin, que
le cardinal résout le problème posé par la transmission de sa fortune et de son nom. Le cardinal
n’ayant pas eu d’enfant, c’est à sa nièce préférée, Hortense Mancini 1649-1699, qu’il lègue ses biens
et ses titres au jour de son mariage le 1er
mars 1661, à la condition expresse que son époux, Charles-
Armand marquis de la Porte duc de La Meilleraye, renonce à son nom pour porter celui de Mazarin et
perpétue ainsi le nom du cardinal. De la donation de 1659 à la Révolution, cinq membres de la
maison de Mazarin se succèdent en tant que comtes de Belfort. Aussi le titre de duc de Mazarin se
transmet-il jusqu’à la fin du XVIIIe
siècle. Louise-Félicité-Victoire constitue la dernière héritière ; elle
épouse, en 1777, Honoré de Grimaldi, duc de Valentinois (qui montera sur le trône de Monaco en
1814). Le mariage n’est guère heureux : Honoré de Grimaldi se montre infidèle ; et, ce qui est plus
grave encore, dépensier, dilapidant la fortune transmise par les Mazarin. Sous la Révolution, la
duchesse de Valentinois connaît des heures difficiles : divorcée en 1798, elle perd ses biens, est
emprisonnée à Paris et ne doit son salut qu’à la chute de Robespierre, avant de mourir en 1826.
Les héritiers du cardinal, malgré leurs riches domaines et leurs brillantes alliances, sont méconnus de
leurs contemporains. Leur fortune est dilapidée par le train de vie à la cour. Les rapports entre
l’Alsace et les Mazarin sont impersonnels et lointains : entre 1659 et 1791, les Mazarin ne séjournent
qu’à sept reprises à Belfort (cinq voyages sont le fait de Charles-Armand entre 1661 et 1672).
Les Mazarin et leurs archives
Quant aux archives des ducs de Mazarin, elles ont connu un historique de conservation pour le
moins chaotique. Ce fonds comprend deux parties distinctes :
– d’une part l’ensemble des documents, antérieurs à 1659, prélevés à différentes époques dans les
archives de la Régence d’Ensisheim, dans celle de la Régence d’Innsbruck et de la Province d’Alsace
à Strasbourg. Ces documents étaient nécessaires au cardinal Mazarin puis à ses héritiers pour la
transmission de leurs droits et l’administration de leurs possessions,
– d’autre part, en très grande majorité, des papiers concernant la gestion de ces biens depuis 1659
jusqu’en 1791.
À la fin de l’Ancien Régime, ces archives sont conservées à Belfort, à l’Hôtel de Duras (actuelle école
Jules Heidet) et chez des agents ou fermiers de la famille Mazarin, notamment à Belfort chez les
familles Mengaud, Reiset et Grandidier, officiers royaux au service du subdélégué de l’Intendant
d’Alsace. Réunies au district de Belfort sous la Révolution, les archives ne furent transférées qu’en
1821 aux Archives du département du Haut-Rhin à Colmar sur la demande expresse du directeur des
Domaines. Entre-temps, les agents des Domaines aussi bien que ceux de Mme
de Duras y avaient
puisés selon leurs besoins (notamment pour alimenter la machine judiciaire dans le cadre des procès
à répétition engagés par la duchesse de Valentinois. Les archives conservées par la famille Mazarin
ou retirées par elle à l’hôtel de Duras entre 1791 et 1821 sont, par conséquent, toujours conservées
au palais princier de Monaco.
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Il s’agit là d’un fonds particulièrement riche pour la connaissance de la période moderne. C’est en
effet au cours des XVIIe
et XVIIIe
siècles que s’affirme le rôle militaire de la place de Belfort :
intendants seigneuriaux et agents royaux représentent des vecteurs de modernisation et
d’aménagement du territoire qu’ils administrent. Les archives Mazarin constituent par ailleurs des
sources de premier ordre pour l’histoire économique et sociale : on rappellera que les ducs de
Mazarin, maitres de forges soucieux d’exploiter les ressources forestières et les droits d’eau dans le
pays sous-vosgien, sont à l’origine d’une proto-industrialisation dans laquelle le Territoire de Belfort a
trouvé sa vocation manufacturière.
Sensibles à l’histoire de ce beau fonds et au parti qui pourrait en être tiré en termes d’action
culturelle, les archivistes terrifortains successifs se sont efforcés de réunir ce que les vicissitudes de
l’histoire avaient dispersé. Une première démarche fut entreprise auprès des Archives
départementales du Haut-Rhin, en 2005, aboutissant à la dévolution/transfert du fonds Mazarin
jusque-là conservé à Colmar, dans d’une opération plus globale d’échanges de documents entre le
Haut-Rhin et le territoire de Belfort, apurant les conséquences archivistiques du traité de Francfort
(annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine au Reich allemand, création du territoire de
Belfort). Dès lors, les anciennes archives de la famille Mazarin étaient-elles partagées entre les
Archives départementales du Territoire de Belfort et les archives du palais princier de Monaco.
Du partenariat professionnel à la visite d’État
Les premiers contacts avec les Archives du palais princier de Monaco furent pris au cours de
l’automne 2013, à la suite des journées du patrimoine (un arbre généalogique de la Maison Mazarin
avait soulevé de nombreuses questions) ; l’événement m’avait incité à creuser un peu plus la
question quant aux fameux fonds monégasque, au demeurant peu connues puisqu’un seul historien
local, François Liebelin (décédé en 2011), y avait eu jusque-là accès.
Ce premier échange déboucha sur un projet de microfilmage (support de conservation privilégié par
les Archives du palais princier de Monaco), ouvrant des perspectives de recherche nouvelles pour les
historiens habitués à fréquenter notre salle de lecture ou notre portail internet. Le microfilmage fut
engagé en 2014, suivi l’année d’après, par la numérisation desdits microfilms, soit quelques 58 000
pages numérisées. Une autorisation de rediffusion du fonds fut adressée auprès du cabinet du prince
de Monaco, permettant la diffusion de ces ressources sur notre portail web
(www.archives.territoiredebelfort.fr).
En avril 2014, je me suis rendu sur le Rocher pour y rencontrer mon homologue monégasque. Sous
les voutes des Archives du palais princier, nous avons pu affiner le choix de documents à
microfilmer, sélectionner les documents cartographiques devant faire l’objet d’une numérisation
couleur directe. Cette visite déboucha sur une belle surprise : convié dans le bureau du chef de
cabinet du prince Albert II, quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’on m’exposa le souhait du prince
Albert II de se rendre, à titre personnel, dans la cité du Lion. Tout à coup, la modeste opération
archivistique engagée prenait une ampleur tout à fait inédite. En fait, dans le cadre d’une tournée
dans les anciens fiefs de la Maison Grimaldi, le prince Albert II s’était déjà rendu en Normandie, à
Saint-Lô, dans le, ainsi qu’en Alsace (Ferrette, Altkirch). Dans le Cantal, la visite princière réalisée en
2014 avait également été assortie d’un volet patrimonial, avec la numérisation du fonds du comté de
Carladès. Une invitation fut adressée au prince par le président du conseil général le 1er
juillet 2014,
invitation acceptée deux mois plus tard. La visite princière était fixée au printemps de 2016. Elle
s’accompagnerait d’une exposition sur les Mazarin, permettant de valoriser archives anciennes : le
fonds Mazarin, mais également le fonds de l’Intendance d’Alsace, qui avait lui-même fait l’objet d’un
transfert en 2013, dans le cadre des politiques de dévolution conduites avec les Archives
départementales du Haut-Rhin.
L’événement majeur de l’année 2016 fut donc la visite officielle de SAS le prince Albert II de Monaco,
venu inaugurer l’exposition « Le territoire de Belfort au temps des Mazarin » le 6 juin 2016. Une visite
mûrement préparée ; elle fut notamment précédée d’une sorte de répétition générale, en présence du
chef de cabinet du prince Albert II et de l’ensemble des acteurs locaux concernés. L’exposition
présentée au public durant trois mois consécutifs est venue illustrer l’histoire de la région de Belfort
aux XVIIe
et XVIIIe
siècles, s’appuyant sur des archives conservées à Belfort et dans la Principauté de
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Monaco. Il s’agissait d’un vernissage exceptionnel, longuement préparé, avec sa liste d’invités triés
sur le volet, en présence du directeur régional des affaires culturelles et d’un représentant du SIAF.
Accueilli par le préfet du Territoire de Belfort sur le tarmac de l’aérodrome de Montbéliard, le prince
de Monaco se présentait à 10h30 à l’hôtel du département. S’ensuivit une présentation de
l’exposition présentée dans l’atrium de l’hôtel du Département, un échange de cadeaux protocolaires
(remise d’un fac-simile de l’arbre généalogique des Mazarin conservé par les Archives
départementales) et un déjeuner officiel ; la journée se poursuivit par le dévoilement d’une plaque
commémorative, apposée sur l’ancien hôtel comtal, un bain de foule sur la place d’Armes de Belfort
et un déplacement à Giromagny, où un bref concert d’orgue fut donné en hommage à celui qui avait
apporté son concours à la restauration de cet instrument de musique. Le vernissage de l’exposition,
mettant en avant les documents originaux, la campagne de numérisation et le partenariat établi entre
les Archives du palais princier et les Archives départementales constitua un temps fort d’une journée
empreinte de solennité et de cordialité. Échange de cadeaux. Le prince poursuivit sa visite le
lendemain en Alsace à Issenheim, Thann et enfin Colmar.
Conclusion
Dans le sillage de cet événement, un partenariat politique plus classique a pu être engagé à travers
l’adhésion du Département au réseau des sites historiques de la Maison Grimaldi de Monaco. Plus
d’une centaine de communes en France et en Italie ont une histoire partagée avec la famille Grimaldi.
L’association s’est donné pour objectif de faire connaître les liens anciens qui unissent la France,
l’Italie et la Principauté de Monaco. Elle a vocation à rassembler, valoriser et promouvoir ces sites
tant au niveau culturel que touristique. Cette adhésion donne au Département l’opportunité d’être
identifié comme proposant à la visite un certain nombre de sites liés au destin des princes de
Monaco. L’association propose en effet de nombreuses actions concrètes, notamment la réalisation
d’un guide touristique, recensant les villes adhérentes, le tirage et la vente de la collection des
Sceaux des Grimaldi, ainsi que la production de produits dérivés susceptibles de faire l’objet d’une
commercialisation dans les offices du tourisme.
Le partenariat monégasque s’est révélé une très belle opération permettant l’enrichissement de nos
fonds numériques, la réalisation d’un travail sur une période d’ordinaire peu valorisée de la geste
belfortaine, l’ouverture de nouvelles perspectives de recherches pour les historiens, l’inscription du
service dans une dynamique d’ouverture et de mise en valeur des fonds comme de l’activité des
archivistes. Cette expérience illustre la possibilité, à travers une opération de médiation patrimoniale
largement médiatisée, de travailler sur les fonds (moyennant une complémentarité intéressante entre
papier et numérique) et de porter très opportunément les projecteurs sur les archives, dans une
période de transition politique et de disette budgétaire. Il est apparu que les archives constituaient un
levier culturel aussi bien qu’une ressource patrimoniale créatrice de fierté, d’identité locale et
participant de la politique de promotion touristique portée par la collectivité départementale. Le
président prit soin de remercier personnellement l’ensemble des collaborateurs ayant pris part
l’organisation de cette belle journée, un beau témoignage de reconnaissance et un facteur de
cohésion pour l’équipe des Archives départementales. Je mentionnerai également les mots aimables
employés par le directeur général des services à l’endroit de l’équipe « pour cette belle manifestation
qui contribue pleinement au rayonnement de notre collectivité bien au-delà de ses frontières
régionales. » L’ensemble des événements concoctés au cours de l’année 2016 reposent sur la
volonté du prince de Monaco d’inscrire son action dans une tradition familiale et territoriale, même si
celle-ci est toute symbolique, dans la mesure où nous vivons en République. Ce témoignage souligne
par ailleurs, s’il en était besoin, le caractère étroitement institutionnel et politique des archives,
traduisant une sorte de continuité symbolique, dans l’ordre de l’administration locale, entre les ducs
de Mazarin et la collectivité départementale décentralisée.
Saluant l’étroite collaboration engagée entre les Archives départementales du Territoire de Belfort et
les Archives du Palais afin de mettre à la disposition du plus grand nombre les documents conservés
au Palais de Monaco, le prince de Monaco eut ce mot, qui sera aussi ma conclusion : « Puisse cette
publication donner l’élan à des recherches qui permettront une meilleure connaissance de notre
passé commun. »
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Liens externes
– Portail internet des Archives départementales du Territoire de Belfort
– http://www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/Drac-Bourgogne-Franche-
Comte/Actualites/Actualites-a-la-une/ARCHIVES-L-exposition-des-archives-mazarines-inauguree-
par-le-Prince-Albert-de-Monaco
– https://www.rfgenealogie.com/s-informer/infos/archives/belfort-monaco-mise-en-ligne-du-fonds-
mazarin