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Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 233
1. Le présent Argument a pour but de proposer quelques lignes
d’approfondissement des «fondements » et des « leviers » qui structurent
la « Vision stratégique de la réforme 2015-2030 » intitulée « Pour une
école de l’équité, de la qualité et de la promotion » élaborée par le Conseil
supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (juin
2015). A l'origine, il s’agit d'un concept paper élaboré dans le cadre d'une
réflexion conduite en 2016 au sein de l'Académie Hassan II des sciences
et tehcniques, sur une demande du ministère de l'Éducation nationale, sur
« les fondements et orientations de la refonte du système éducatif  
». Trois
volets ont été définis: «le socle des compétences de base», «l'orientation à
long terme de l'enseignement des sciences», et, enfin, «les savoirs nécessaires
à l'essor d'une économie compétitive». Ce dernier volet, qui est l'objet
du présent Argument, n'ayant pas eu de suite, les «approfondissements»
proposés en encadrés sont restés à l'état de projet (1).
2. Il s'agit de principes fondamentaux que requiert aujourd’hui toute
inscription de l’école marocaine dans les nouvelles trajectoires de l’éducation
au niveau mondial, sa convergence vers la frontière cognitive et digitale
et sa mise au service du bien-être, à la fois individuel et collectif, et du
développement humain et durable de notre pays.
3. Ces principes de base, qui sont à peine énoncés dans cette « note
introductive », feront l’objet de développements plus approfondis dans le
rapport qui, outre la justification théorique et pratique de leur bien-fondé
et des effets performatifs (Speech Act) qu’ils sont susceptibles de produire
sur l’école nationale, mettra l’accent sur les conditions de leur traduction
en dispositifs pédagogiques et de leur déploiement au sein des champs de
l’enseignement tout au long des cycles scolaires.
4. Les arguments qui soutiennent les points de vue ici adoptés prennent
appui sur la pragmatique de la réforme initiée en 1999 par la Charte
nationale d’éducation et de formation, dont la mise en œuvre a contribué,
au fil des années, à renforcer les processus de réforme, affiner les méthodes et
les outils, favoriser les interactions dialogiques autour des enjeux de l’école,
signaler les goulots d’étranglement et capitaliser les bonnes pratiques.
Noureddine
El Aoufi
Laboratoire Economie
du déveoppement (LED,
www.ledmaroc.ma)
Rabat
(noureddine.elaoufi
@gmail.com)
(1) Je tiens à remercier
Rachid Benmokhtar qui,
en tant que ministre de
l'Education nationale
et de la Formation
professionnelle (2013-
2017), m'a sollicité pour
contribuer à cette étude.
Je tiens à remercier
également Eric Verdier, du
Laboratoire d'économie
et de sociologie du travail
(LEST France), pour sa
relecture de cet Argument
et ses commentaires
pertinents.
L’école publique marocaine:
sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Arguments
Noureddine El Aoufi
234 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
5. La Constitution de 2011 est venue inscrire dans le marbre la priorité
donnée à l’éducation comme un droit fondamental et une « obligation de
la famille et de l’enfant » (article 32) impliquant une « mobilisation de tous
les moyens pour faciliter l’égal accès des citoyens à une éducation moderne,
accessible et de qualité » (article 31).
6. Dans la même optique, considérant que « l’élément humain reste la
vraie richesse du Maroc et l’une des composantes essentielles de son capital
immatériel », le Discours royal (20 août 2014), en redéfinissant le concept de
développement à la lumière des « nouveaux indicateurs de richesse », assigne
à l’éducation une fonction à la fois performative des capacités des citoyens
et constitutive du développement humain et durable. L’école se voit investie,
dès lors, d’un double rôle stratégique: « fournir aux générations futures
une éducation qui dépasse la simple accumulation/transmission pour, au-
delà, valoriser la créativité, la réactivité et l’inventivité » (Message royal aux
participants à GSE-Marrakech, 20 novembre 2014). L’objectif ultime est de
contribuer à la satisfaction des besoins économiques du pays et d’améliorer
le bien-être individuel et social.
7. La nouvelle trajectoire du développement humain et durable a partie
liée avec la mutation de la richesse (Shifting Wealth) qui caractérise la
mondialisation (OCDE, 2010). Prenant acte des nouvelles conditions de la
« troisième révolution industrielle » (Rifkin, 2011), le Maroc a dès le début
du siècle engagé des réformes visant à réévaluer les capitaux intangibles qui
sont devenus le triptyque factoriel de la nouvelle frontière que constituent la
soutenabilité économique et l’inclusion sociale : le capital humain, le capital
social, le capital institutionnel et le capital naturel:
(i) le capital humain par la réforme du système éducatif (Charte nationale
d’éducation et de formation (1999) et la Vision stratégique de la réforme
2015-2030 (Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la
recherche scientifique, 2015);
(ii) le capital social par l’amélioration des conditions d’inclusion et d’égalité
d’accès aux services de base et à la protection sociale et par le renforcement
des capacités à « agir par soi-même » contre la pauvreté, l’exclusion et la
vulnérabilité (Initiative nationale pour le développement humain, 2006);
(iii) le capital institutionnel (approfondissement du processus
démocratique, amélioration de la gouvernance et de la régulation);
(iv) le capital naturel en prenant à bras le corps les préoccupations
environnementales et en investissant dans les énergies renouvelables
(Nouvelle stratégie énergétique nationale, 2013).
1. Sentier de l’inclusion et de la durabilité
8. Les dynamiques du développement durable dépendent désormais de la
richesse réelle de la nation qui comprend, outre le capital tangible (les actifs
fixes, c’est-à-dire les équipements, les infrastructures physiques, le foncier,
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 235
etc.), les capitaux intangibles (capital humain, capital institutionnel, capital
social, actifs financiers nets étrangers) et le capital naturel (actifs du sous-sol,
ressources forestières, terres arables, zones protégées, pâturages). A la suite du
rapport de la Banque mondiale sur la richesse totale des nations (2006), le
Maroc s’est attelé à la tâche primordiale de mesurer sa « richesse véritable » afin
de mieux évaluer ses potentiels intangibles lui permettant de s’engager sur le
sentier de la soutenabilité et du développement durable. Les résultats attendus
du rapport confié par Sa majesté le Roi en 2015 au Conseil économique,
social et environnemental (CESE) et à Bank Al-Maghrib devront permettre,
en intégrant la méthodologie des indicateurs intangibles initiée par Pearce et
Atkinson (1993), de réorienter les politiques de développement du pays et
de définir des incitations en termes de prix à même de guider les stratégies
sectorielles davantage vers le recours aux actifs intangibles, dont le capital
humain, et de stimuler la création de richesse totale.
9. Les chemins du développement durable et inclusif exigent donc une
planification stratégique des nouveaux besoins en capital humain. L’école
marocaine devrait s’y préparer en anticipant les formations appropriées en
correspondance de phase avec les nouvelles trajectoires économiques fondées
davantage sur l’usage intensif des actifs intangibles en général et sur une
montée en niveau du capital humain.
Approfondissement 1
• 
Se référer aux résultats du rapport du CESE/Bank Al-Maghrib pour
dégager les potentiels du Maroc en capitaux intangibles.
• 
Mettre l’accent sur les implications en termes d’estimation des
nouvelles qualifications, compétences et métiers requis et des besoins
correspondants en éducation et en formation devant faire l’objet d’une
planification stratégique.
2. Frontière cognitive et digitale
10. Le Maroc a entrepris, depuis 1999 (Charte nationale d’éducation
et de formation), des réformes importantes visant à améliorer la qualité de
« l’école pour tous » et à combler les déficits enregistrés en matière d’accès à
l’école et de généralisation de l’éducation de base à toutes les catégories de la
population, notamment aux filles et au monde rural.
Déjà dans les années 90, plusieurs mesures furent prises (à la suite des
travaux du Conseil national de la jeunesse et de l’avenir) pour lutter contre
les formes de chômage dues, notamment, à l’inadéquation entre la formation
et l’emploi et à l’asymétrie de l’information sur le marché du travail par
la création de dispositifs institutionnels plus efficaces d’intermédiation
(création de l’ANAPEC en 2000).
Noureddine El Aoufi
236 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
11. Aujourd’hui, on assiste à un changement de paradigme relatif aux
conditions de l’employabilité. Celle-ci n’est plus exclusivement imputable
aux décalages entre l’offre éducative et de formation et la demande du
monde productif. Ces décalages ont, certes, pu marquer, par le passé, la
relation entre les deux systèmes, mais la réforme de l’éducation mise en
œuvre au début de ce siècle n’a pas moins contribué à réduire l’ampleur du
phénomène d’inadéquation et à rapprocher les contenus et les méthodes
d’apprentissage et d’acquisition des savoirs des changements intervenus dans
les domaines techniques, productifs et managériaux et, par conséquent, à
mieux répondre aux exigences des entreprises. Aujourd’hui, l’effort qui reste
à accomplir doit concerner davantage la « séquence commune » aux deux
systèmes dans le processus formation/emploi et pourrait se traduire par le
développement à la fois de la formation alternée, de la formation en cours
d’emploi et de la formation permanente qui pourrait s’adresser aux catégories
sans emploi, voire sans activité.
12. L’ampleur du chômage frappant les jeunes est, en partie, nourrie par
les flux importants des sortants précoces du système éducatif dont une part
non négligeable appartient à la tranche d’âge 15-24 ans dont une bonne part
serait considérée comme inactive si la durée scolaire était prolongée au-delà
de 15 ans.
Ces sorties trop précoces vers le marché du travail semblent elles-mêmes
largement favorisées par la « préférence » de certains segments du système
productif national pour la main-d’œuvre peu qualifiée, voire non qualifiée,
comme en témoignent les faibles taux de chômage enregistrés pour les
bas diplômes et les sans-diplôme. Il s’agit, dès lors, d’un véritable cercle
vicieux où la cause et l’effet s’interfèrent et se confondent, le marché du
travail envoyant un signal aux jeunes de 15 ans et plus que les conditions
sociales difficiles poussent, en toute vraisemblance, à quitter l’école et à aller
chercher un emploi.
13. Caractéristique notamment des petites et moyennes entreprises,
la prédominance des faibles qualifications sur le marché du travail a pour
conséquence quasi directe une disqualification d’une part non négligeable
des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, avec toutefois un
différentiel entre système « régulé » et système « ouvert », entre filières
scientifiques et filières sciences humaines et sociales. Résultat paradoxal : les
ressources humaines les plus qualifiées et les compétences les plus pointues
sont loin d’être pleinement employées. En revanche, la population active
employée est largement dominée par une main-d’œuvre sans instruction, peu
ou non qualifiée. Le dilemme peut sembler insoluble : la nature du régime de
croissance et les structures productives à l’œuvre commandent de tels choix
en matière d’emploi : l’ouverture externe, la compétitivité et la promotion
des exportations sont associées à un type d’avantages comparatifs fondés sur
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 237
le coût salarial et, par conséquent, sur l’usage intensif d’une main-d’œuvre
bon marché.
14. Prenant la forme d’un équilibre de faible niveau de qualification,
cette « loi économique » qui, à moyen long terme, semble plutôt défavorable
à notre pays, s’avère de moins en moins défendable aujourd’hui. En effet, la
nouvelle économie que structurent les services, la production immatérielle,
l’industrie de haute technologie, les nouvelles technologies de l’information
et de la communication et la transformation digitale est, fondamentalement,
basée sur le savoir et la connaissance. L’avantage comparatif des nations, lié à
ces évolutions, est devenu un avantage qualitatif primordial. La compétitivité
est désormais fonction de la qualité des produits, elle-même fonction de
l’importance du capital humain et des potentiels immatériels dont dispose
un pays.
Dès lors, afin de s’affranchir du dilemme emploi qualifié versus
compétitivité salariale, le Maroc est appelé à s’engager résolument sur la
frontière cognitive et la transformation digitale et à faire le choix stratégique
d’une montée en emplois qualifiés et en compétences en prenant appui
sur les enchaînements vertueux amorcés par les « grands chantiers »
économiques, politiques et sociaux en cours.
15. L’inflexion de trajectoire, opérée en termes de développement humain
(Rapport du Cinquantenaire, 2006), vise à desserrer les « cinq nœuds du
futur » (savoir, compétitivité, inclusion, santé, gouvernance). Elle dessine
les conditions d’un enchaînement macro-économique vertueux fondé sur
l’articulation capital humain, bien-être individuel et social et richesse totale.
Dans cet enchaînement, l’éducation constitue une valeur performative du
développement humain et durable. De fait, l’éducation constitue, du point
de vue de la théorie de la justice (Rawls, 1971 ; Sen, 2009), non seulement
un bien recherché en soi, mais aussi une valeur instrumentale permettant
d’accroître les capacités, d’élargir le champ de l’autonomie et de développer
la fonction d’agent, notamment des femmes. L’éducation accroît l’autonomie
des individus et réduit leur dépendance à l’égard d’autrui. Celle-ci « n’est pas
seulement condamnable d’un point de vue éthique, c’est aussi une véritable
atteinte à l’esprit d’initiative et à l’effort individuel, voire une négation de
l’estime de soi » (Sen, 2000, p. 282). Par ailleurs, c’est par l’éducation que la
fonction d’agent économique et social des femmes se développe, garantissant
ainsi la scolarisation des enfants et contribuant au bien-être familial.
16. A moyen et long terme, la relation éducation-développement est de
type causal : le processus du développement est la conséquence cumulative
de l’investissement dans l’éducation, notamment dans ses deux niveaux
extrêmes : l’éducation de base et l’enseignement supérieur. Les politiques en
faveur de l’éducation, comme par ailleurs l’amélioration des soins de santé de
base et la réduction de la pauvreté, ne sont pas « un luxe inaccessible sauf aux
pays les plus riches ». Pour Amartya Sen, en effet, « un pays pauvre dispose
Noureddine El Aoufi
238 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
d’un faible budget pour la santé et l’éducation, mais il peut aussi fournir ces
services pour un coût bien moindre que leur équivalent dans des pays plus
riches ».
17. Dans le prolongement de la Charte ayant érigé l’éducation en priorité
nationale, l’Initiative nationale pour le développement humain (Indh),
lancée en 2005, a pour objectif d’articuler, dans un même processus
interactif, l’accroissement de l’agency, ou puissance d’agir, et l’empowerment
(encapacitation) des citoyens et des communautés de base.
De fait, la perspective du développement inclusif et durable n’est
pertinente que si et seulement si elle peut se fonder sur une structuration
sociale de la capacité d’agir par soi-même des populations, notamment des
plus pauvres et des plus vulnérables, ainsi que de leur autonomie réelle.
Dans cette structuration cumulative, conjuguant autonomie et socialisation,
l’éducation joue un rôle déterminant en dernière instance.
18. En dotant la population de ressources éducatives et cognitives,
l’éducation tend à améliorer la rationalité des choix des populations en leur
permettant de définir, de délibérer et de décider collectivement et à l’échelon
de leur « établissement humain » local, de leurs besoins communs, de la
hiérarchie de leurs priorités, des moyens requis ainsi que des processus et des
modalités de leur mise en œuvre.
Bref, l’éducation possède une portée performative contribuant à placer
durablement la dynamique de coproduction de l’agency, de bien-être
individuel et collectif, de développement humain et durable, d’accroissement
de la richesse tangible et intangible sur un sentier vertueux et irréversible.
Figure 1
Cercle vertueux capital humain, bien-être social, richesse totale
Capabilités Capital humain Inclusion
Bien-être Richesse totale Soutenabilité
3. Compétences et émergence
19. L’emphase placée aujourd’hui sur les principes de travail décent
et de dignité humaine est en résonance directe avec l’Agenda global pour
l’emploi élaboré par les trois mandants de l’OIT (employeurs, travailleurs et
gouvernements) et ayant « pour principal objectif de placer l’emploi au cœur
des politiques économiques et sociales», conformément aux Objectifs du
Millénaire pour le développement (OMD) et qui « s’attache, par la création
d’emplois productifs, à améliorer la vie des personnes sans emploi ou mal
rémunérées pour les soustraire à la pauvreté ainsi que leur famille ».
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 239
Rejoignant le principe de « vie bonne », mis en évidence par la
philosophie politique, le concept de travail décent est fondé sur l’hypothèse
que l’emploi est le principe même de la dignité humaine. En favorisant la
croissance économique, il contribue à la reproduction des conditions de
stabilité familiale, d’inclusion sociale, de confiance dans les institutions.
Faisant aujourd’hui l’objet d’un « consensus mondial », le travail décent
constitue un puissant moyen de lutte contre la pauvreté, une condition
essentielle du « développement équitable, solidaire et durable », un vecteur
de la « mondialisation juste », ainsi qu’un levier du bien-être individuel et
du progrès social.
20. Le principe de dignité humaine associé à l’emploi décent trouve,
dans le monde d’aujourd’hui, sa traduction la plus élaborée dans la
catégorie de travail salarié. Les sociétés modernes étant des sociétés salariales,
l’histoire du XXe siècle est, en effet, scandée par un mouvement profond
d’industrialisation et d’extension, selon un schéma évolutionnaire inégal
selon les pays, du rapport salarial. Précisément, la « grande transformation »
du capitalisme (Polanyi, 1944) correspond à l’échafaudage institutionnel
élaboré après la Seconde Guerre mondiale, notamment en Europe et aux
USA : codification de la durée du travail, du salaire minimum, de la sécurité
sociale, de la négociation entre les partenaires sociaux, des conventions
collectives, etc.
Au Maroc, et à la différence des pays ayant accompli, au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, leur transformation taylorienne et fordiste, la
composante salariale est loin d’être la composante dominante, pour deux
raisons essentielles d’ordre à la fois historique et structurel :
(i) La faiblesse du processus d’industrialisation induite par les stratégies
adoptées depuis l’indépendance : substitution aux importations puis
promotion des exportations. Cette dernière stratégie a privilégié les formes
de sous-traitance présentant, par définition, peu d’ancrage dans le tissu
productif et générant de faibles pillover effects sur l’activité productive.
(ii) La prédominance du secteur tertiaire dont la contribution au
« noircissement » de la matrice Leontief (1941), c’est-à-dire à la densification
des échanges intersectoriels, est loin d’être suffisante et dont l’effet
multiplicatif d’emplois demeure assez faible en comparaison avec le secteur
industriel.
21. Les stratégies sectorielles, à l’œuvre aujourd’hui dans notre pays
(Emergence, Maroc vert, Energies renouvelables, Halieutis, Logistique, etc.),
constituent une base pour une véritable politique nationale d’accélération
industrielle et d’engagement sur le sentier de l’inclusion et de la soutenabilité.
Celui-ci exige une mise en cohérence et en convergence de l’ensemble des
programmes sectoriels, le recentrage des objectifs stratégiques en matière de
développement sur l’optimisation des articulations inter-secteurs et branches
et l’accroissement des effets d’échelle et de distribution territoriale.
Noureddine El Aoufi
240 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
La perspective institutionnelle, ouverte par la nouvelle Constitution,
constitue une opportunité pour consolider les bases productives de
l’émergence d’une « société salariale » où le travail retrouve sa valeur à
la fois constitutive et instrumentale : un droit humain intrinsèque et un
moyen de réalisation des besoins essentiels et d’accomplissement des choix
individuels.
22. L’engagement de l’État en faveur de l’emploi qualifié et du travail
décent est justifié non seulement par l’ampleur du déficit souligné dans
le Rapport du Cinquantenaire (2006) et dans les rapports du Conseil
supérieur de l’enseignement (2008 et 2010), mais aussi et surtout par les
possibilités qu’ils offrent en termes de réalisation des choix des citoyens, de
réduction des inégalités de capabilités et d’amélioration des autres indicateurs
de développement humain, en particulier du niveau de revenu et de la
croissance économique.
Dans la même optique, l’engagement de l’État ne saurait être exclusif
du rôle complémentaire incombant au secteur privé. Outre la création
de richesses, l’entreprise moderne contribue aujourd’hui à la régulation
du rapport salarial, à l’organisation des relations professionnelles et à
l’innovation sociale. Les nouvelles normes sociales définies par l’OIT
(responsabilité sociale de l’entreprise, travail décent, abolition du travail
des enfants, etc.) tendent à s’imposer, de plus en plus, comme des critères
d’efficacité et de compétitivité internationale, obligeant les entreprises
nationales à reconfigurer leurs procédures de management eu égard
au respect des droits fondamentaux des salariés et à l’application de la
législation du travail.
23. Ces principes impliquent, en convergence avec les objectifs du
développement inclusif et durable, un infléchissement de la dépendance du
chemin, c’est-à-dire un recentrage du régime de croissance sur l’avantage
qualitatif que peuvent procurer l’extension du domaine d’usage intensif de
l’emploi qualifié et le recours aux compétences.
Un tel recentrage prend acte des perspectives à l’œuvre à l’échelle
mondiale en matière de travail et d’emploi. De fait, les modèles productifs
ont tendance à valoriser les capitaux intangibles, notamment le capital
humain, à mobiliser les compétences et à asseoir les différentiels de
compétitivité sur la qualité des procédés, des processus et des produits.
Les opportunités associées à ces modèles productifs doivent constituer
pour l’entreprise privée un facteur d’impulsion d’une nouvelle stratégie
d’investissement dans les emplois qualifiés.
24. Dans le même mouvement, l’investissement par l’entreprise dans la
valorisation du capital humain, en amont et en aval du système éducatif,
est de nature à agir de façon incitative sur les comportements des jeunes
diplômés, sur leurs préférences et leur motivation. De la défiance vis-à-vis de
l’entreprise privée, les représentations d’une partie non négligeable des jeunes
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 241
demandeurs de travail devront évoluer et se transformer en comportements
de confiance favorisant l’engagement de la société (individus et familles) en
faveur de l’emploi décent.
4. Savoir critique et pensée complexe
25. Le savoir constitue, dans la civilisation moderne, à la fois une finalité
en soi ou une « finalité sans fin » (au sens de Kant) et une valeur dont les
usages sont incommensurables.
26. Le savoir comme valeur d’usage, le savoir utile et productif, a
pour visée (Discours royal anniversaire de la Révolution du Roi et du
peuple, 2012, 2013) de « permettre aux jeunes d’affûter leurs talents, de
valoriser leur créativité et de s’épanouir pleinement, pour qu’ils puissent
remplir les obligations de citoyenneté qui sont les leurs, dans un climat de
dignité et d’égalité des chances et pour qu’ils apportent leur concours au
développement économique, social et culturel du pays. C’est là, du reste, que
réside le défi majeur du moment ». Un tel objectif impliquant, d’une part,
de « revoir notre approche et les méthodes en vigueur à l’école pour passer
d’une logique d’enseignement centrée sur l’enseignant et sa performance
et limitée à la transmission des connaissances aux apprenants, à une autre
logique fondée sur la réactivité des apprenants et axée sur le renforcement de
leurs compétences propres et la possibilité qui leur est donnée de déployer
leur créativité et leur inventivité, d’acquérir des savoir-faire et de s’imprégner
des règles du vivre-ensemble dans le respect de la liberté, de l’égalité, de
la diversité et de la différence ». Il implique, d’autre part, « de faire passer
l’école d’un espace organisé autour d’une logique axée essentiellement sur
le stockage en mémoire et l’accumulation des connaissances à un lieu où
prévaut une logique vouée à la formation de l’esprit critique et la stimulation
de l’intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de
l’information et de la communication ».
27. Le concours apporté par les jeunes au développement économique,
social et culturel concerne les « nouveaux métiers » du Maroc et ses nouvelles
spécialisations qui enregistrent un déficit en main-d’œuvre qualifiée
(automobile, aéronautique, électronique, textile et cuir, agroalimentaire,
offshoring, énergies renouvelables, logistique, services aux entreprises,
finance de marché, etc.). Tous ces métiers et spécialisations, qui structurent le
nouveau régime du développement au niveau mondial et qui conditionnent
le processus d’émergence de l’économie marocaine, doivent trouver une
traduction dans le cadre d’un vaste programme d’enseignement dont les
finalités pédagogiques et cognitives sont en correspondance de phase avec les
emplois qualifiés qui sont requis par de telles trajectoires d’émergence et de
développement.
Noureddine El Aoufi
242 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
Approfondissement 2
• 
Tenter une estimation des emplois liés aux « métiers mondiaux »
du Maroc (automobile, aéronautique, électronique, textile et cuir,
agroalimentaire, offshoring) et aux stratégies sectorielles (Plan
d’accélération industrielle, Plan Maroc vert, Halieutis, nouvelle stratégie
énergétique nationale, stratégie de compétitivité logistique, Plan Azur).
• 
Traduire ces emplois en qualifications, compétences et spécialisations
requises dans le domaine de l’enseignement.
28. Parallèlement, l’insertion des jeunes dans la dynamique du
développement économique, social et culturel peut prendre appui sur
les « anciens métiers » du Maroc qui forment autant d’actifs tangibles et
intangibles dont le Maroc peut tirer un avantage comparatif non négligeable
(artisanat, travaux manuels, professions techniques). Ce qui nécessite
l’incorporation sur une grande échelle, au sein du système de formation
professionnelle, de l’ensemble des « apprentissages traditionnels », accumulés
au fil de l’histoire, correspondant aux métiers de l’artisanat que le Maroc
tente de réhabiliter et de rénover.
Approfondissement 3
• 
Etablir un diagnostic du secteur l’artisanat en termes d’opportunités
d’emploi
• 
Définir les possibilités offertes par le système de formation professionnelle
afin de répondre aux besoins d’un secteur artisanal réhabilité et rénové.
29. Repensée en termes d’inclusion et de durabilité, l’éducation permet de
garantir un « avenir viable » (Unesco, 1996). Une telle perspective suppose,
outre la mobilisation des pouvoirs publics, du secteur privé, de la société
civile, de la communauté pédagogique et académique, une redéfinition des
contenus de la connaissance et du savoir et de leurs modes de transmission
aux élèves compte tenu d’une série de principes consubstantiels au monde
moderne dont les implications en termes de reformulation des programmes
pédagogiques, des modes éducatifs et des curricula sont innombrables
(Morin, 1999) : rationalité, incertitude, complexité.
30. L’école devrait, d’une part, former les élèves à la rationalité (logos,
logique), c’est-à-dire à la fois au rationnel (registre cognitif) et au raisonnable
(registre pragmatique). On trouve dans la théorie économique classique une
application au plan comportemental du principe de rationalité se traduisant
par l’optimisation, au niveau individuel et collectif, de la fonction d’utilité,
d’intérêt et de bien-être. L’enseignement du calcul, des mathématiques,
de l’économie notamment est, en l’occurrence, un savoir nécessaire à
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 243
l’édification du comportement rationnel, à l’optimisation des choix
individuels et collectifs, à l’anticipation et à l’objectivation des processus de
décision.
31. L’enseignement devrait, ensuite, incorporer le concept d’incertitude de
façon transversale non seulement dans les matières des sciences dites exactes
(microphysique, biologie, sciences de l’environnement, thermodynamique,
cosmologie, etc.), mais aussi et surtout au sein des sciences humaines et
sociales (philosophie, psychologie comportementale, économie, sociologie,
anthropologie, histoire, arts et littérature, etc.).
La science économique moderne opère une distinction entre les
catégories de risque et d’incertitude (Knight, 1921 ; Keynes, 1936). La
première peut faire l’objet d’une prévision (probabilités mathématiques,
statistiques fréquentistes), alors que la seconde est non probabilisable en
raison de sa nature inattendue, aléatoire, volatile, imprévisible et donc
non prédictible. Remettant en cause les principes de déterminisme, de
stabilité des marchés et d’information parfaite, l’incertitude est devenue
une hypothèse forte des modèles appliqués dans le domaine du choix, de la
décision, des anticipations, de la stratégie, etc. Dès lors, la prise en compte de
l’incertitude doit trouver une traduction dans une approche complémentaire
et convergente des enseignements scientifiques et des cursus en sciences
humaines et sociales, la finalité étant de permettre de mieux affronter les
aléas, de s’adapter aux changements, d’infléchir les trajectoires, de mettre en
œuvre des stratégies de résilience.
32. Last but not least, l’école devrait enseigner les principes de la
complexité, ce qui suppose une élision des séparations traditionnelles entre
les connaissances et les disciplines, notamment entre les sciences de la vie et
de la nature, d’une part, les sciences de l’homme ou les humanités, de l’autre.
Trouvant ses fondements scientifiques dans la théorie de l’information
(complexité algorithmique), la cybernétique, la thermodynamique, la théorie
des systèmes, la théorie de l’auto-organisation, la théorie évolutionnaire,
la théorie de l’émergence, de l’entropie sociale, les neurosciences, etc., la
complexité est constitutive du monde réel qui est un monde ouvert, pluriel,
diversifié et sophistiqué, caractérisé par les processus irréversibles. Cette
complexité du monde doit se refléter dans les modes de « penser et d’agir »
(Morin, 1982) : mode critique, procédural et autoréflexif, mode créatif et
heuristique, mode dialogique et dialectique.
33. La pensée complexe ne peut se déployer que selon un choix
méthodologique privilégiant la démarche critique. Loin d’être objectives, les
représentations individuelles et sociales du monde sont gouvernées, peu ou
prou, par les affects, la subjectivité, les croyances, la culture, l’éducation.
L’école doit apprendre, dès lors, à l’élève à cultiver « l’esprit critique », à faire
un usage réflexif de la méthode critique (description, analyse, interprétation,
argumentation, évaluation) y compris eu égard à l’objectivité, à la rationalité.
Noureddine El Aoufi
244 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
Dans cette optique, les économistes ont mis au point le concept de
« rationalité limitée » (Simon, 1965) pour montrer que les comportements
des agents ne sont pas toujours rationnels compte tenu des imperfections du
marché, des asymétries de l’information ou, comme on peut le constater dans
le domaine de la finance, en raison de « biais cognitifs ». Loin d’optimiser
leurs choix et préférences, les individus se contentent souvent de prendre des
décisions satisfaisantes ou moins désavantageuses. Dans un environnement
marqué par l’incertitude radicale, la rationalité critique et autocritique est
une pédagogie du savoir, du savoir-faire et du savoir-être tout à la fois.
Approfondissement 4
• 
Il s’agit, sur la base des différents champs du savoir (scientifiques et
humanités), de traduire les principes de rationalité, d’incertitude et de
complexité en curricula et dispositifs pédagogiques (cursus et matières
d’enseignement)…
• 
… et de les décliner tout au long de la scolarité de l’élève (4-19 ans)
selon le tableau indicatif ci-après.
Principes Champs cognitifs
Dispositifs
pédagogiques
Niveau
d’enseignement
Rationalité critique
Incertitude
Complexité
5. Grammaire du bien-être
34. Dans l’évolution stratégique du Maroc vers un nouveau régime de
développement inclusif et durable, centré sur des ajustements en faveur
des actifs en général et du capital humain en particulier, l’éducation et la
formation détiennent une place majeure et jouent le rôle déterminant, non
seulement en tant que force de changement et de résilience, mais aussi et
surtout en tant que facteur de convergence de l’autonomie individuelle et du
bien-être social.
35. Bien-être social et développement humain sont indissociables. Mais
si la théorie économique standard, en référence à l’optimum de Pareto, fait
dériver le bien-être social du bien-être individuel (Pigou, 1920), en revanche
la théorie du développement humain de Amartya Sen (2000), sans réduire
le bien-être social à une agrégation de bien-être individuels, met davantage
l’accent sur ses éléments constitutifs ou capabilités : éducation, santé, emploi,
autonomie, participation.
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 245
36. L’éducation est une composante fondamentale de la grammaire du
bien-être (figure 2): elle en est à la fois l’input ou la ressource, le dispositif
pédagogique et l’output (fonctionnement ou réalisation au sens de Sen).
Figure 2
Inputs et outputs du bien-être
Inputs
Qualité
Equité
Convivialité
Outputs
Autonomie
Initiative
Inventivité
Responsabilité
Participation
Altruisme
Dispositifs pédagogiques
Ateliers d’expression
artistique et littéraire,
d’innovation et d’invention,
de création de projets,
de compétition sportive,
d’activités ludiques
Bien-être
37. Comme l’a montré la Vision stratégique de la réforme 2015-2030
(Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche
scientifique, 2015), les inputs du bien-être qu’il convient de mette en œuvre
au sein de l’école sont la qualité, l’équité et la convivialité.
(i) L’équité, ou la justice scolaire, implique l’accès à l’éducation pour tous
et tout au long de la vie, avec les mêmes critères de qualité et d’efficience,
des infrastructures suffisantes et distribuées équitablement sur l’ensemble du
territoire, notamment en milieu rural, des dispositifs de soutien matériel,
pédagogique et psychosocial au profit des élèves.
(ii) La qualité de l’éducation se fonde sur le principe d’offrir à tous les
élèves l’opportunité d’acquérir, de façon équitable, les compétences cognitives
(théoriques et pratiques), affectives, expressives et créatives. Ces compétences
prennent appui, en particulier, sur la disponibilité et l’attractivité des espaces
et des infrastructures scolaires, la qualité de la formation initiale et de la
formation continue, l’adéquation des contenus pédagogiques aux exigences
évolutives du système productif, l’organisation des méthodes d’apprentissage,
de façon à mobiliser chez l’élève les sources de l’autonomie, de la motivation
et de la pro-activité, à cultiver chez lui les facultés de se gouverner soi-même
et d’agir par soi-même, à renforcer ses capacités d’initiative, d’adaptation,
d’anticipation et de résilience.
(iii) La convivialité, à l’instar de la justice et de la qualité, est une
source fondamentale du bien-être à l’école. Le concept (Illich, 1973)
permet d’élargir la mission d’éducation au-delà de la fonction stricte
Noureddine El Aoufi
246 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019
d’enseignement et d’enrayer l’effet contre-productif de l’école en termes
d’envie d’apprendre et de capacité d’apprendre par soi-même, en intégrant
d’autres dimensions comme le transfert des savoirs traditionnels, l’éducation
à la citoyenneté, l’environnement, etc. En promouvant d’autres modes
alternatifs et spontanés d’apprentissage (enseignement en réseau, éducation
permanente, rapports égalitaires, échanges intergénérationnels), l’école
conviviale favorise un ajustement entre l’autonomie et l’hétéronomie,
contribue à élargir le champ d’action personnelle et à améliorer les
conditions du bien-être.
38. Les outputs d’une éducation au bien-être, c’est-à-dire ses résultats
et ses implications sur les individus dans la société et dans le monde, se
traduisent par des comportements d’autonomie, d’initiative, d’inventivité, de
responsabilité, de participation et d’altruisme.
39. Traduisant, au plan comportemental, les règles du vivre-ensemble, de
la convivialité, de la bienveillance et de l’empathie dans les sociétés modernes,
une telle configuration d’outputs puise ses dispositifs pédagogiques dans les
sciences sociales et humaines, notamment dans les sciences anthropologiques
et comportementales. En contribuant à la formation du savoir-être de
l’élève, les compétences expressives, communicationnelles, esthétiques et
culturelles ont pour effet d’articuler, au plan individuel et collectif, bien-être
et développement dans une boucle vertueuse et auto-réalisatrice.
Approfondissement 5
• 
Préciser les dispositifs institutionnels permettant d’asseoir l’école
sur les inputs du bien-être scolaire que sont la qualité, l’équité et la
convivialité…
• 
… et de les redéployer en règles de conduite et de comportement des
élèves.
• 
Traduire les outputs du bien-être (autonomie, initiative, inventivité,
responsabilité, participation, altruisme) à la fois dans des curricula
pratico-dirigés de convivialité (ateliers d’expression artistique et
littéraire, d’innovation et d’invention, de création de projets, de
compétition sportive, d’activités ludiques, etc.).
Aghion P., Cohen E. (2004), Education et
croissance, Rapport du Conseil d’analyse
économique, La Documentation française.
Banque mondiale (2006), Where is the
Wealth of Nations? Measuring Capital for the
21th Century.
Illich Y. (1973), Tools for Conviviality, Harper
 Row Keynes J.M. (1936), The General
Theory of Employment, Interest, and
Money, Palgrave, Macmillan.
Knight F. (1921), Risk, Uncertainty and Profit,
Boston, Houghton Mifflin.
Références
L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs
Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 247
Morin E. (1982), les Sept savoirs nécessaires à
l’éducation du futur, Paris, Editions du Seuil.
Morin E. (1982), Science avec conscience, Paris,
Editions Fayard.
Leontief W. (1941), The Structure
of the American Economy, Cambridge,
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Lipman M. (1991), Thinking in Education,
Cambridge, MA: Cambridge University Press.
Nussbaum M. (2000), Not for Profit : Why
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Princeton University Press.
Nussbaum M., Cultivating Humanity: A Classical
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Pearce David W., Atkinson Giles D. (1993),
« Capital Theory and Measurement of
Sustainable Development: An Indicator of
Weak Sustainability », Ecological Economics,
Elsevier, vol. 8(2), october.
Pigou A. (1920), The Economics of Welfare,
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Polanyi K. (1944), The Great Transformation,
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Rawls J. (1971), A Theory of Justice, Harvard,
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Rifkin J. (2011), The Third Industrial Revolution.
Royaume du Maroc (2006), 50 ans de
développement humain et perspectives 2025,
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Sen A. (2009), The Idea of Justice, Allen Lane 
Harvard University Press
Sen A. (1999), Development as Freedom, New
York, Anchor Books (édition française : Un
Nouveau Modèle économique: développement,
justice, liberté, Editions Odile Jacob, Paris,
2000).
Simon H.A. (1965), Administrative Behavior,
New York, The Free Press.
Unesco (1996), Programme international sur
l’éducation, la sensibilisation du public et
la formation à la viabilité, Commission
du développement durable des Nations
Unies.

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  • 1. Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 233 1. Le présent Argument a pour but de proposer quelques lignes d’approfondissement des «fondements » et des « leviers » qui structurent la « Vision stratégique de la réforme 2015-2030 » intitulée « Pour une école de l’équité, de la qualité et de la promotion » élaborée par le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (juin 2015). A l'origine, il s’agit d'un concept paper élaboré dans le cadre d'une réflexion conduite en 2016 au sein de l'Académie Hassan II des sciences et tehcniques, sur une demande du ministère de l'Éducation nationale, sur « les fondements et orientations de la refonte du système éducatif   ». Trois volets ont été définis: «le socle des compétences de base», «l'orientation à long terme de l'enseignement des sciences», et, enfin, «les savoirs nécessaires à l'essor d'une économie compétitive». Ce dernier volet, qui est l'objet du présent Argument, n'ayant pas eu de suite, les «approfondissements» proposés en encadrés sont restés à l'état de projet (1). 2. Il s'agit de principes fondamentaux que requiert aujourd’hui toute inscription de l’école marocaine dans les nouvelles trajectoires de l’éducation au niveau mondial, sa convergence vers la frontière cognitive et digitale et sa mise au service du bien-être, à la fois individuel et collectif, et du développement humain et durable de notre pays. 3. Ces principes de base, qui sont à peine énoncés dans cette « note introductive », feront l’objet de développements plus approfondis dans le rapport qui, outre la justification théorique et pratique de leur bien-fondé et des effets performatifs (Speech Act) qu’ils sont susceptibles de produire sur l’école nationale, mettra l’accent sur les conditions de leur traduction en dispositifs pédagogiques et de leur déploiement au sein des champs de l’enseignement tout au long des cycles scolaires. 4. Les arguments qui soutiennent les points de vue ici adoptés prennent appui sur la pragmatique de la réforme initiée en 1999 par la Charte nationale d’éducation et de formation, dont la mise en œuvre a contribué, au fil des années, à renforcer les processus de réforme, affiner les méthodes et les outils, favoriser les interactions dialogiques autour des enjeux de l’école, signaler les goulots d’étranglement et capitaliser les bonnes pratiques. Noureddine El Aoufi Laboratoire Economie du déveoppement (LED, www.ledmaroc.ma) Rabat (noureddine.elaoufi @gmail.com) (1) Je tiens à remercier Rachid Benmokhtar qui, en tant que ministre de l'Education nationale et de la Formation professionnelle (2013- 2017), m'a sollicité pour contribuer à cette étude. Je tiens à remercier également Eric Verdier, du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (LEST France), pour sa relecture de cet Argument et ses commentaires pertinents. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Arguments
  • 2. Noureddine El Aoufi 234 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 5. La Constitution de 2011 est venue inscrire dans le marbre la priorité donnée à l’éducation comme un droit fondamental et une « obligation de la famille et de l’enfant » (article 32) impliquant une « mobilisation de tous les moyens pour faciliter l’égal accès des citoyens à une éducation moderne, accessible et de qualité » (article 31). 6. Dans la même optique, considérant que « l’élément humain reste la vraie richesse du Maroc et l’une des composantes essentielles de son capital immatériel », le Discours royal (20 août 2014), en redéfinissant le concept de développement à la lumière des « nouveaux indicateurs de richesse », assigne à l’éducation une fonction à la fois performative des capacités des citoyens et constitutive du développement humain et durable. L’école se voit investie, dès lors, d’un double rôle stratégique: « fournir aux générations futures une éducation qui dépasse la simple accumulation/transmission pour, au- delà, valoriser la créativité, la réactivité et l’inventivité » (Message royal aux participants à GSE-Marrakech, 20 novembre 2014). L’objectif ultime est de contribuer à la satisfaction des besoins économiques du pays et d’améliorer le bien-être individuel et social. 7. La nouvelle trajectoire du développement humain et durable a partie liée avec la mutation de la richesse (Shifting Wealth) qui caractérise la mondialisation (OCDE, 2010). Prenant acte des nouvelles conditions de la « troisième révolution industrielle » (Rifkin, 2011), le Maroc a dès le début du siècle engagé des réformes visant à réévaluer les capitaux intangibles qui sont devenus le triptyque factoriel de la nouvelle frontière que constituent la soutenabilité économique et l’inclusion sociale : le capital humain, le capital social, le capital institutionnel et le capital naturel: (i) le capital humain par la réforme du système éducatif (Charte nationale d’éducation et de formation (1999) et la Vision stratégique de la réforme 2015-2030 (Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la recherche scientifique, 2015); (ii) le capital social par l’amélioration des conditions d’inclusion et d’égalité d’accès aux services de base et à la protection sociale et par le renforcement des capacités à « agir par soi-même » contre la pauvreté, l’exclusion et la vulnérabilité (Initiative nationale pour le développement humain, 2006); (iii) le capital institutionnel (approfondissement du processus démocratique, amélioration de la gouvernance et de la régulation); (iv) le capital naturel en prenant à bras le corps les préoccupations environnementales et en investissant dans les énergies renouvelables (Nouvelle stratégie énergétique nationale, 2013). 1. Sentier de l’inclusion et de la durabilité 8. Les dynamiques du développement durable dépendent désormais de la richesse réelle de la nation qui comprend, outre le capital tangible (les actifs fixes, c’est-à-dire les équipements, les infrastructures physiques, le foncier,
  • 3. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 235 etc.), les capitaux intangibles (capital humain, capital institutionnel, capital social, actifs financiers nets étrangers) et le capital naturel (actifs du sous-sol, ressources forestières, terres arables, zones protégées, pâturages). A la suite du rapport de la Banque mondiale sur la richesse totale des nations (2006), le Maroc s’est attelé à la tâche primordiale de mesurer sa « richesse véritable » afin de mieux évaluer ses potentiels intangibles lui permettant de s’engager sur le sentier de la soutenabilité et du développement durable. Les résultats attendus du rapport confié par Sa majesté le Roi en 2015 au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et à Bank Al-Maghrib devront permettre, en intégrant la méthodologie des indicateurs intangibles initiée par Pearce et Atkinson (1993), de réorienter les politiques de développement du pays et de définir des incitations en termes de prix à même de guider les stratégies sectorielles davantage vers le recours aux actifs intangibles, dont le capital humain, et de stimuler la création de richesse totale. 9. Les chemins du développement durable et inclusif exigent donc une planification stratégique des nouveaux besoins en capital humain. L’école marocaine devrait s’y préparer en anticipant les formations appropriées en correspondance de phase avec les nouvelles trajectoires économiques fondées davantage sur l’usage intensif des actifs intangibles en général et sur une montée en niveau du capital humain. Approfondissement 1 • Se référer aux résultats du rapport du CESE/Bank Al-Maghrib pour dégager les potentiels du Maroc en capitaux intangibles. • Mettre l’accent sur les implications en termes d’estimation des nouvelles qualifications, compétences et métiers requis et des besoins correspondants en éducation et en formation devant faire l’objet d’une planification stratégique. 2. Frontière cognitive et digitale 10. Le Maroc a entrepris, depuis 1999 (Charte nationale d’éducation et de formation), des réformes importantes visant à améliorer la qualité de « l’école pour tous » et à combler les déficits enregistrés en matière d’accès à l’école et de généralisation de l’éducation de base à toutes les catégories de la population, notamment aux filles et au monde rural. Déjà dans les années 90, plusieurs mesures furent prises (à la suite des travaux du Conseil national de la jeunesse et de l’avenir) pour lutter contre les formes de chômage dues, notamment, à l’inadéquation entre la formation et l’emploi et à l’asymétrie de l’information sur le marché du travail par la création de dispositifs institutionnels plus efficaces d’intermédiation (création de l’ANAPEC en 2000).
  • 4. Noureddine El Aoufi 236 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 11. Aujourd’hui, on assiste à un changement de paradigme relatif aux conditions de l’employabilité. Celle-ci n’est plus exclusivement imputable aux décalages entre l’offre éducative et de formation et la demande du monde productif. Ces décalages ont, certes, pu marquer, par le passé, la relation entre les deux systèmes, mais la réforme de l’éducation mise en œuvre au début de ce siècle n’a pas moins contribué à réduire l’ampleur du phénomène d’inadéquation et à rapprocher les contenus et les méthodes d’apprentissage et d’acquisition des savoirs des changements intervenus dans les domaines techniques, productifs et managériaux et, par conséquent, à mieux répondre aux exigences des entreprises. Aujourd’hui, l’effort qui reste à accomplir doit concerner davantage la « séquence commune » aux deux systèmes dans le processus formation/emploi et pourrait se traduire par le développement à la fois de la formation alternée, de la formation en cours d’emploi et de la formation permanente qui pourrait s’adresser aux catégories sans emploi, voire sans activité. 12. L’ampleur du chômage frappant les jeunes est, en partie, nourrie par les flux importants des sortants précoces du système éducatif dont une part non négligeable appartient à la tranche d’âge 15-24 ans dont une bonne part serait considérée comme inactive si la durée scolaire était prolongée au-delà de 15 ans. Ces sorties trop précoces vers le marché du travail semblent elles-mêmes largement favorisées par la « préférence » de certains segments du système productif national pour la main-d’œuvre peu qualifiée, voire non qualifiée, comme en témoignent les faibles taux de chômage enregistrés pour les bas diplômes et les sans-diplôme. Il s’agit, dès lors, d’un véritable cercle vicieux où la cause et l’effet s’interfèrent et se confondent, le marché du travail envoyant un signal aux jeunes de 15 ans et plus que les conditions sociales difficiles poussent, en toute vraisemblance, à quitter l’école et à aller chercher un emploi. 13. Caractéristique notamment des petites et moyennes entreprises, la prédominance des faibles qualifications sur le marché du travail a pour conséquence quasi directe une disqualification d’une part non négligeable des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, avec toutefois un différentiel entre système « régulé » et système « ouvert », entre filières scientifiques et filières sciences humaines et sociales. Résultat paradoxal : les ressources humaines les plus qualifiées et les compétences les plus pointues sont loin d’être pleinement employées. En revanche, la population active employée est largement dominée par une main-d’œuvre sans instruction, peu ou non qualifiée. Le dilemme peut sembler insoluble : la nature du régime de croissance et les structures productives à l’œuvre commandent de tels choix en matière d’emploi : l’ouverture externe, la compétitivité et la promotion des exportations sont associées à un type d’avantages comparatifs fondés sur
  • 5. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 237 le coût salarial et, par conséquent, sur l’usage intensif d’une main-d’œuvre bon marché. 14. Prenant la forme d’un équilibre de faible niveau de qualification, cette « loi économique » qui, à moyen long terme, semble plutôt défavorable à notre pays, s’avère de moins en moins défendable aujourd’hui. En effet, la nouvelle économie que structurent les services, la production immatérielle, l’industrie de haute technologie, les nouvelles technologies de l’information et de la communication et la transformation digitale est, fondamentalement, basée sur le savoir et la connaissance. L’avantage comparatif des nations, lié à ces évolutions, est devenu un avantage qualitatif primordial. La compétitivité est désormais fonction de la qualité des produits, elle-même fonction de l’importance du capital humain et des potentiels immatériels dont dispose un pays. Dès lors, afin de s’affranchir du dilemme emploi qualifié versus compétitivité salariale, le Maroc est appelé à s’engager résolument sur la frontière cognitive et la transformation digitale et à faire le choix stratégique d’une montée en emplois qualifiés et en compétences en prenant appui sur les enchaînements vertueux amorcés par les « grands chantiers » économiques, politiques et sociaux en cours. 15. L’inflexion de trajectoire, opérée en termes de développement humain (Rapport du Cinquantenaire, 2006), vise à desserrer les « cinq nœuds du futur » (savoir, compétitivité, inclusion, santé, gouvernance). Elle dessine les conditions d’un enchaînement macro-économique vertueux fondé sur l’articulation capital humain, bien-être individuel et social et richesse totale. Dans cet enchaînement, l’éducation constitue une valeur performative du développement humain et durable. De fait, l’éducation constitue, du point de vue de la théorie de la justice (Rawls, 1971 ; Sen, 2009), non seulement un bien recherché en soi, mais aussi une valeur instrumentale permettant d’accroître les capacités, d’élargir le champ de l’autonomie et de développer la fonction d’agent, notamment des femmes. L’éducation accroît l’autonomie des individus et réduit leur dépendance à l’égard d’autrui. Celle-ci « n’est pas seulement condamnable d’un point de vue éthique, c’est aussi une véritable atteinte à l’esprit d’initiative et à l’effort individuel, voire une négation de l’estime de soi » (Sen, 2000, p. 282). Par ailleurs, c’est par l’éducation que la fonction d’agent économique et social des femmes se développe, garantissant ainsi la scolarisation des enfants et contribuant au bien-être familial. 16. A moyen et long terme, la relation éducation-développement est de type causal : le processus du développement est la conséquence cumulative de l’investissement dans l’éducation, notamment dans ses deux niveaux extrêmes : l’éducation de base et l’enseignement supérieur. Les politiques en faveur de l’éducation, comme par ailleurs l’amélioration des soins de santé de base et la réduction de la pauvreté, ne sont pas « un luxe inaccessible sauf aux pays les plus riches ». Pour Amartya Sen, en effet, « un pays pauvre dispose
  • 6. Noureddine El Aoufi 238 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 d’un faible budget pour la santé et l’éducation, mais il peut aussi fournir ces services pour un coût bien moindre que leur équivalent dans des pays plus riches ». 17. Dans le prolongement de la Charte ayant érigé l’éducation en priorité nationale, l’Initiative nationale pour le développement humain (Indh), lancée en 2005, a pour objectif d’articuler, dans un même processus interactif, l’accroissement de l’agency, ou puissance d’agir, et l’empowerment (encapacitation) des citoyens et des communautés de base. De fait, la perspective du développement inclusif et durable n’est pertinente que si et seulement si elle peut se fonder sur une structuration sociale de la capacité d’agir par soi-même des populations, notamment des plus pauvres et des plus vulnérables, ainsi que de leur autonomie réelle. Dans cette structuration cumulative, conjuguant autonomie et socialisation, l’éducation joue un rôle déterminant en dernière instance. 18. En dotant la population de ressources éducatives et cognitives, l’éducation tend à améliorer la rationalité des choix des populations en leur permettant de définir, de délibérer et de décider collectivement et à l’échelon de leur « établissement humain » local, de leurs besoins communs, de la hiérarchie de leurs priorités, des moyens requis ainsi que des processus et des modalités de leur mise en œuvre. Bref, l’éducation possède une portée performative contribuant à placer durablement la dynamique de coproduction de l’agency, de bien-être individuel et collectif, de développement humain et durable, d’accroissement de la richesse tangible et intangible sur un sentier vertueux et irréversible. Figure 1 Cercle vertueux capital humain, bien-être social, richesse totale Capabilités Capital humain Inclusion Bien-être Richesse totale Soutenabilité 3. Compétences et émergence 19. L’emphase placée aujourd’hui sur les principes de travail décent et de dignité humaine est en résonance directe avec l’Agenda global pour l’emploi élaboré par les trois mandants de l’OIT (employeurs, travailleurs et gouvernements) et ayant « pour principal objectif de placer l’emploi au cœur des politiques économiques et sociales», conformément aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) et qui « s’attache, par la création d’emplois productifs, à améliorer la vie des personnes sans emploi ou mal rémunérées pour les soustraire à la pauvreté ainsi que leur famille ».
  • 7. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 239 Rejoignant le principe de « vie bonne », mis en évidence par la philosophie politique, le concept de travail décent est fondé sur l’hypothèse que l’emploi est le principe même de la dignité humaine. En favorisant la croissance économique, il contribue à la reproduction des conditions de stabilité familiale, d’inclusion sociale, de confiance dans les institutions. Faisant aujourd’hui l’objet d’un « consensus mondial », le travail décent constitue un puissant moyen de lutte contre la pauvreté, une condition essentielle du « développement équitable, solidaire et durable », un vecteur de la « mondialisation juste », ainsi qu’un levier du bien-être individuel et du progrès social. 20. Le principe de dignité humaine associé à l’emploi décent trouve, dans le monde d’aujourd’hui, sa traduction la plus élaborée dans la catégorie de travail salarié. Les sociétés modernes étant des sociétés salariales, l’histoire du XXe siècle est, en effet, scandée par un mouvement profond d’industrialisation et d’extension, selon un schéma évolutionnaire inégal selon les pays, du rapport salarial. Précisément, la « grande transformation » du capitalisme (Polanyi, 1944) correspond à l’échafaudage institutionnel élaboré après la Seconde Guerre mondiale, notamment en Europe et aux USA : codification de la durée du travail, du salaire minimum, de la sécurité sociale, de la négociation entre les partenaires sociaux, des conventions collectives, etc. Au Maroc, et à la différence des pays ayant accompli, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, leur transformation taylorienne et fordiste, la composante salariale est loin d’être la composante dominante, pour deux raisons essentielles d’ordre à la fois historique et structurel : (i) La faiblesse du processus d’industrialisation induite par les stratégies adoptées depuis l’indépendance : substitution aux importations puis promotion des exportations. Cette dernière stratégie a privilégié les formes de sous-traitance présentant, par définition, peu d’ancrage dans le tissu productif et générant de faibles pillover effects sur l’activité productive. (ii) La prédominance du secteur tertiaire dont la contribution au « noircissement » de la matrice Leontief (1941), c’est-à-dire à la densification des échanges intersectoriels, est loin d’être suffisante et dont l’effet multiplicatif d’emplois demeure assez faible en comparaison avec le secteur industriel. 21. Les stratégies sectorielles, à l’œuvre aujourd’hui dans notre pays (Emergence, Maroc vert, Energies renouvelables, Halieutis, Logistique, etc.), constituent une base pour une véritable politique nationale d’accélération industrielle et d’engagement sur le sentier de l’inclusion et de la soutenabilité. Celui-ci exige une mise en cohérence et en convergence de l’ensemble des programmes sectoriels, le recentrage des objectifs stratégiques en matière de développement sur l’optimisation des articulations inter-secteurs et branches et l’accroissement des effets d’échelle et de distribution territoriale.
  • 8. Noureddine El Aoufi 240 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 La perspective institutionnelle, ouverte par la nouvelle Constitution, constitue une opportunité pour consolider les bases productives de l’émergence d’une « société salariale » où le travail retrouve sa valeur à la fois constitutive et instrumentale : un droit humain intrinsèque et un moyen de réalisation des besoins essentiels et d’accomplissement des choix individuels. 22. L’engagement de l’État en faveur de l’emploi qualifié et du travail décent est justifié non seulement par l’ampleur du déficit souligné dans le Rapport du Cinquantenaire (2006) et dans les rapports du Conseil supérieur de l’enseignement (2008 et 2010), mais aussi et surtout par les possibilités qu’ils offrent en termes de réalisation des choix des citoyens, de réduction des inégalités de capabilités et d’amélioration des autres indicateurs de développement humain, en particulier du niveau de revenu et de la croissance économique. Dans la même optique, l’engagement de l’État ne saurait être exclusif du rôle complémentaire incombant au secteur privé. Outre la création de richesses, l’entreprise moderne contribue aujourd’hui à la régulation du rapport salarial, à l’organisation des relations professionnelles et à l’innovation sociale. Les nouvelles normes sociales définies par l’OIT (responsabilité sociale de l’entreprise, travail décent, abolition du travail des enfants, etc.) tendent à s’imposer, de plus en plus, comme des critères d’efficacité et de compétitivité internationale, obligeant les entreprises nationales à reconfigurer leurs procédures de management eu égard au respect des droits fondamentaux des salariés et à l’application de la législation du travail. 23. Ces principes impliquent, en convergence avec les objectifs du développement inclusif et durable, un infléchissement de la dépendance du chemin, c’est-à-dire un recentrage du régime de croissance sur l’avantage qualitatif que peuvent procurer l’extension du domaine d’usage intensif de l’emploi qualifié et le recours aux compétences. Un tel recentrage prend acte des perspectives à l’œuvre à l’échelle mondiale en matière de travail et d’emploi. De fait, les modèles productifs ont tendance à valoriser les capitaux intangibles, notamment le capital humain, à mobiliser les compétences et à asseoir les différentiels de compétitivité sur la qualité des procédés, des processus et des produits. Les opportunités associées à ces modèles productifs doivent constituer pour l’entreprise privée un facteur d’impulsion d’une nouvelle stratégie d’investissement dans les emplois qualifiés. 24. Dans le même mouvement, l’investissement par l’entreprise dans la valorisation du capital humain, en amont et en aval du système éducatif, est de nature à agir de façon incitative sur les comportements des jeunes diplômés, sur leurs préférences et leur motivation. De la défiance vis-à-vis de l’entreprise privée, les représentations d’une partie non négligeable des jeunes
  • 9. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 241 demandeurs de travail devront évoluer et se transformer en comportements de confiance favorisant l’engagement de la société (individus et familles) en faveur de l’emploi décent. 4. Savoir critique et pensée complexe 25. Le savoir constitue, dans la civilisation moderne, à la fois une finalité en soi ou une « finalité sans fin » (au sens de Kant) et une valeur dont les usages sont incommensurables. 26. Le savoir comme valeur d’usage, le savoir utile et productif, a pour visée (Discours royal anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple, 2012, 2013) de « permettre aux jeunes d’affûter leurs talents, de valoriser leur créativité et de s’épanouir pleinement, pour qu’ils puissent remplir les obligations de citoyenneté qui sont les leurs, dans un climat de dignité et d’égalité des chances et pour qu’ils apportent leur concours au développement économique, social et culturel du pays. C’est là, du reste, que réside le défi majeur du moment ». Un tel objectif impliquant, d’une part, de « revoir notre approche et les méthodes en vigueur à l’école pour passer d’une logique d’enseignement centrée sur l’enseignant et sa performance et limitée à la transmission des connaissances aux apprenants, à une autre logique fondée sur la réactivité des apprenants et axée sur le renforcement de leurs compétences propres et la possibilité qui leur est donnée de déployer leur créativité et leur inventivité, d’acquérir des savoir-faire et de s’imprégner des règles du vivre-ensemble dans le respect de la liberté, de l’égalité, de la diversité et de la différence ». Il implique, d’autre part, « de faire passer l’école d’un espace organisé autour d’une logique axée essentiellement sur le stockage en mémoire et l’accumulation des connaissances à un lieu où prévaut une logique vouée à la formation de l’esprit critique et la stimulation de l’intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de l’information et de la communication ». 27. Le concours apporté par les jeunes au développement économique, social et culturel concerne les « nouveaux métiers » du Maroc et ses nouvelles spécialisations qui enregistrent un déficit en main-d’œuvre qualifiée (automobile, aéronautique, électronique, textile et cuir, agroalimentaire, offshoring, énergies renouvelables, logistique, services aux entreprises, finance de marché, etc.). Tous ces métiers et spécialisations, qui structurent le nouveau régime du développement au niveau mondial et qui conditionnent le processus d’émergence de l’économie marocaine, doivent trouver une traduction dans le cadre d’un vaste programme d’enseignement dont les finalités pédagogiques et cognitives sont en correspondance de phase avec les emplois qualifiés qui sont requis par de telles trajectoires d’émergence et de développement.
  • 10. Noureddine El Aoufi 242 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 Approfondissement 2 • Tenter une estimation des emplois liés aux « métiers mondiaux » du Maroc (automobile, aéronautique, électronique, textile et cuir, agroalimentaire, offshoring) et aux stratégies sectorielles (Plan d’accélération industrielle, Plan Maroc vert, Halieutis, nouvelle stratégie énergétique nationale, stratégie de compétitivité logistique, Plan Azur). • Traduire ces emplois en qualifications, compétences et spécialisations requises dans le domaine de l’enseignement. 28. Parallèlement, l’insertion des jeunes dans la dynamique du développement économique, social et culturel peut prendre appui sur les « anciens métiers » du Maroc qui forment autant d’actifs tangibles et intangibles dont le Maroc peut tirer un avantage comparatif non négligeable (artisanat, travaux manuels, professions techniques). Ce qui nécessite l’incorporation sur une grande échelle, au sein du système de formation professionnelle, de l’ensemble des « apprentissages traditionnels », accumulés au fil de l’histoire, correspondant aux métiers de l’artisanat que le Maroc tente de réhabiliter et de rénover. Approfondissement 3 • Etablir un diagnostic du secteur l’artisanat en termes d’opportunités d’emploi • Définir les possibilités offertes par le système de formation professionnelle afin de répondre aux besoins d’un secteur artisanal réhabilité et rénové. 29. Repensée en termes d’inclusion et de durabilité, l’éducation permet de garantir un « avenir viable » (Unesco, 1996). Une telle perspective suppose, outre la mobilisation des pouvoirs publics, du secteur privé, de la société civile, de la communauté pédagogique et académique, une redéfinition des contenus de la connaissance et du savoir et de leurs modes de transmission aux élèves compte tenu d’une série de principes consubstantiels au monde moderne dont les implications en termes de reformulation des programmes pédagogiques, des modes éducatifs et des curricula sont innombrables (Morin, 1999) : rationalité, incertitude, complexité. 30. L’école devrait, d’une part, former les élèves à la rationalité (logos, logique), c’est-à-dire à la fois au rationnel (registre cognitif) et au raisonnable (registre pragmatique). On trouve dans la théorie économique classique une application au plan comportemental du principe de rationalité se traduisant par l’optimisation, au niveau individuel et collectif, de la fonction d’utilité, d’intérêt et de bien-être. L’enseignement du calcul, des mathématiques, de l’économie notamment est, en l’occurrence, un savoir nécessaire à
  • 11. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 243 l’édification du comportement rationnel, à l’optimisation des choix individuels et collectifs, à l’anticipation et à l’objectivation des processus de décision. 31. L’enseignement devrait, ensuite, incorporer le concept d’incertitude de façon transversale non seulement dans les matières des sciences dites exactes (microphysique, biologie, sciences de l’environnement, thermodynamique, cosmologie, etc.), mais aussi et surtout au sein des sciences humaines et sociales (philosophie, psychologie comportementale, économie, sociologie, anthropologie, histoire, arts et littérature, etc.). La science économique moderne opère une distinction entre les catégories de risque et d’incertitude (Knight, 1921 ; Keynes, 1936). La première peut faire l’objet d’une prévision (probabilités mathématiques, statistiques fréquentistes), alors que la seconde est non probabilisable en raison de sa nature inattendue, aléatoire, volatile, imprévisible et donc non prédictible. Remettant en cause les principes de déterminisme, de stabilité des marchés et d’information parfaite, l’incertitude est devenue une hypothèse forte des modèles appliqués dans le domaine du choix, de la décision, des anticipations, de la stratégie, etc. Dès lors, la prise en compte de l’incertitude doit trouver une traduction dans une approche complémentaire et convergente des enseignements scientifiques et des cursus en sciences humaines et sociales, la finalité étant de permettre de mieux affronter les aléas, de s’adapter aux changements, d’infléchir les trajectoires, de mettre en œuvre des stratégies de résilience. 32. Last but not least, l’école devrait enseigner les principes de la complexité, ce qui suppose une élision des séparations traditionnelles entre les connaissances et les disciplines, notamment entre les sciences de la vie et de la nature, d’une part, les sciences de l’homme ou les humanités, de l’autre. Trouvant ses fondements scientifiques dans la théorie de l’information (complexité algorithmique), la cybernétique, la thermodynamique, la théorie des systèmes, la théorie de l’auto-organisation, la théorie évolutionnaire, la théorie de l’émergence, de l’entropie sociale, les neurosciences, etc., la complexité est constitutive du monde réel qui est un monde ouvert, pluriel, diversifié et sophistiqué, caractérisé par les processus irréversibles. Cette complexité du monde doit se refléter dans les modes de « penser et d’agir » (Morin, 1982) : mode critique, procédural et autoréflexif, mode créatif et heuristique, mode dialogique et dialectique. 33. La pensée complexe ne peut se déployer que selon un choix méthodologique privilégiant la démarche critique. Loin d’être objectives, les représentations individuelles et sociales du monde sont gouvernées, peu ou prou, par les affects, la subjectivité, les croyances, la culture, l’éducation. L’école doit apprendre, dès lors, à l’élève à cultiver « l’esprit critique », à faire un usage réflexif de la méthode critique (description, analyse, interprétation, argumentation, évaluation) y compris eu égard à l’objectivité, à la rationalité.
  • 12. Noureddine El Aoufi 244 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 Dans cette optique, les économistes ont mis au point le concept de « rationalité limitée » (Simon, 1965) pour montrer que les comportements des agents ne sont pas toujours rationnels compte tenu des imperfections du marché, des asymétries de l’information ou, comme on peut le constater dans le domaine de la finance, en raison de « biais cognitifs ». Loin d’optimiser leurs choix et préférences, les individus se contentent souvent de prendre des décisions satisfaisantes ou moins désavantageuses. Dans un environnement marqué par l’incertitude radicale, la rationalité critique et autocritique est une pédagogie du savoir, du savoir-faire et du savoir-être tout à la fois. Approfondissement 4 • Il s’agit, sur la base des différents champs du savoir (scientifiques et humanités), de traduire les principes de rationalité, d’incertitude et de complexité en curricula et dispositifs pédagogiques (cursus et matières d’enseignement)… • … et de les décliner tout au long de la scolarité de l’élève (4-19 ans) selon le tableau indicatif ci-après. Principes Champs cognitifs Dispositifs pédagogiques Niveau d’enseignement Rationalité critique Incertitude Complexité 5. Grammaire du bien-être 34. Dans l’évolution stratégique du Maroc vers un nouveau régime de développement inclusif et durable, centré sur des ajustements en faveur des actifs en général et du capital humain en particulier, l’éducation et la formation détiennent une place majeure et jouent le rôle déterminant, non seulement en tant que force de changement et de résilience, mais aussi et surtout en tant que facteur de convergence de l’autonomie individuelle et du bien-être social. 35. Bien-être social et développement humain sont indissociables. Mais si la théorie économique standard, en référence à l’optimum de Pareto, fait dériver le bien-être social du bien-être individuel (Pigou, 1920), en revanche la théorie du développement humain de Amartya Sen (2000), sans réduire le bien-être social à une agrégation de bien-être individuels, met davantage l’accent sur ses éléments constitutifs ou capabilités : éducation, santé, emploi, autonomie, participation.
  • 13. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 245 36. L’éducation est une composante fondamentale de la grammaire du bien-être (figure 2): elle en est à la fois l’input ou la ressource, le dispositif pédagogique et l’output (fonctionnement ou réalisation au sens de Sen). Figure 2 Inputs et outputs du bien-être Inputs Qualité Equité Convivialité Outputs Autonomie Initiative Inventivité Responsabilité Participation Altruisme Dispositifs pédagogiques Ateliers d’expression artistique et littéraire, d’innovation et d’invention, de création de projets, de compétition sportive, d’activités ludiques Bien-être 37. Comme l’a montré la Vision stratégique de la réforme 2015-2030 (Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, 2015), les inputs du bien-être qu’il convient de mette en œuvre au sein de l’école sont la qualité, l’équité et la convivialité. (i) L’équité, ou la justice scolaire, implique l’accès à l’éducation pour tous et tout au long de la vie, avec les mêmes critères de qualité et d’efficience, des infrastructures suffisantes et distribuées équitablement sur l’ensemble du territoire, notamment en milieu rural, des dispositifs de soutien matériel, pédagogique et psychosocial au profit des élèves. (ii) La qualité de l’éducation se fonde sur le principe d’offrir à tous les élèves l’opportunité d’acquérir, de façon équitable, les compétences cognitives (théoriques et pratiques), affectives, expressives et créatives. Ces compétences prennent appui, en particulier, sur la disponibilité et l’attractivité des espaces et des infrastructures scolaires, la qualité de la formation initiale et de la formation continue, l’adéquation des contenus pédagogiques aux exigences évolutives du système productif, l’organisation des méthodes d’apprentissage, de façon à mobiliser chez l’élève les sources de l’autonomie, de la motivation et de la pro-activité, à cultiver chez lui les facultés de se gouverner soi-même et d’agir par soi-même, à renforcer ses capacités d’initiative, d’adaptation, d’anticipation et de résilience. (iii) La convivialité, à l’instar de la justice et de la qualité, est une source fondamentale du bien-être à l’école. Le concept (Illich, 1973) permet d’élargir la mission d’éducation au-delà de la fonction stricte
  • 14. Noureddine El Aoufi 246 Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 d’enseignement et d’enrayer l’effet contre-productif de l’école en termes d’envie d’apprendre et de capacité d’apprendre par soi-même, en intégrant d’autres dimensions comme le transfert des savoirs traditionnels, l’éducation à la citoyenneté, l’environnement, etc. En promouvant d’autres modes alternatifs et spontanés d’apprentissage (enseignement en réseau, éducation permanente, rapports égalitaires, échanges intergénérationnels), l’école conviviale favorise un ajustement entre l’autonomie et l’hétéronomie, contribue à élargir le champ d’action personnelle et à améliorer les conditions du bien-être. 38. Les outputs d’une éducation au bien-être, c’est-à-dire ses résultats et ses implications sur les individus dans la société et dans le monde, se traduisent par des comportements d’autonomie, d’initiative, d’inventivité, de responsabilité, de participation et d’altruisme. 39. Traduisant, au plan comportemental, les règles du vivre-ensemble, de la convivialité, de la bienveillance et de l’empathie dans les sociétés modernes, une telle configuration d’outputs puise ses dispositifs pédagogiques dans les sciences sociales et humaines, notamment dans les sciences anthropologiques et comportementales. En contribuant à la formation du savoir-être de l’élève, les compétences expressives, communicationnelles, esthétiques et culturelles ont pour effet d’articuler, au plan individuel et collectif, bien-être et développement dans une boucle vertueuse et auto-réalisatrice. Approfondissement 5 • Préciser les dispositifs institutionnels permettant d’asseoir l’école sur les inputs du bien-être scolaire que sont la qualité, l’équité et la convivialité… • … et de les redéployer en règles de conduite et de comportement des élèves. • Traduire les outputs du bien-être (autonomie, initiative, inventivité, responsabilité, participation, altruisme) à la fois dans des curricula pratico-dirigés de convivialité (ateliers d’expression artistique et littéraire, d’innovation et d’invention, de création de projets, de compétition sportive, d’activités ludiques, etc.). Aghion P., Cohen E. (2004), Education et croissance, Rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française. Banque mondiale (2006), Where is the Wealth of Nations? Measuring Capital for the 21th Century. Illich Y. (1973), Tools for Conviviality, Harper Row Keynes J.M. (1936), The General Theory of Employment, Interest, and Money, Palgrave, Macmillan. Knight F. (1921), Risk, Uncertainty and Profit, Boston, Houghton Mifflin. Références
  • 15. L’école publique marocaine: sa vie, ses valeurs, ses savoirs Critique économique n° 38-39 • Printemps-été 2019 247 Morin E. (1982), les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Editions du Seuil. Morin E. (1982), Science avec conscience, Paris, Editions Fayard. Leontief W. (1941), The Structure of the American Economy, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press. Lipman M. (1991), Thinking in Education, Cambridge, MA: Cambridge University Press. Nussbaum M. (2000), Not for Profit : Why Democracy Needs the Humanities, Princeton, Princeton University Press. Nussbaum M., Cultivating Humanity: A Classical Defense of Reform in Liberal Education, Cambridge, Harvard University Press, 199. Pearce David W., Atkinson Giles D. (1993), « Capital Theory and Measurement of Sustainable Development: An Indicator of Weak Sustainability », Ecological Economics, Elsevier, vol. 8(2), october. Pigou A. (1920), The Economics of Welfare, Macmillan. Polanyi K. (1944), The Great Transformation, York: Farrar Rinehart. Rawls J. (1971), A Theory of Justice, Harvard, Harvard University Press. Rifkin J. (2011), The Third Industrial Revolution. Royaume du Maroc (2006), 50 ans de développement humain et perspectives 2025, Rabat. Sen A. (2009), The Idea of Justice, Allen Lane Harvard University Press Sen A. (1999), Development as Freedom, New York, Anchor Books (édition française : Un Nouveau Modèle économique: développement, justice, liberté, Editions Odile Jacob, Paris, 2000). Simon H.A. (1965), Administrative Behavior, New York, The Free Press. Unesco (1996), Programme international sur l’éducation, la sensibilisation du public et la formation à la viabilité, Commission du développement durable des Nations Unies.