1. Doische, Matagne-la-Grande
Le sanctuaire gallo-romain du " Bois
des Noël "
Saskia BOTT et Pierre CATTELAIN
Le " Bois des Noël " à Matagne-la-Grande constitue un ensemble
archéologique comportant de très importants vestiges préhistoriques et
gallo-romains Grande (coord. Lambert : 166,020 est/ 89,190 nord.
Découvert en 1893 par A. Becquet et sondé par celui-ci et par la
Société Archéologique de Namur à la fin du 19ème siècle,
l'établissement gallo-romain a fait l'objet de fouilles importantes entre
1975 et 1981 par le Cercle de Recherches et d'Etudes Archéologiques
de Doische (CEREA), sous la direction de A. Rober, en collaboration
avec le Service National des Fouilles. Ces recherches ont permis la
mise au jour d'un vaste ensemble cultuel datant du Bas-Empire
romain. Ces recherches ont été reprises en 1994 par le CEDARC,
avec le soutien de la Région Wallonne, dans le cadre de la restauration
et de la mise en valeur du site.
D'autre part, J.-L. Duvivier de Fortemps avait découvert et publié en
1988, avec F. Hubert, un polissoir fixe néolithique découvert à
proximité de l'enceinte gallo-romaine. En 1991 et 1992, les fouilles
réalisées par le CEDARC dans la grotte Ambre, située à un peu plus
d'une centaine de mètres au nord du sanctuaire, ont permis la mise au
jour d'une sépulture collective du Néolithique final (civilisation de
Seine-Oise-Marne).
L'ensemble des terrains englobant le sanctuaire, la grotte et le
polissoir, est classé comme monument et comme site par Arrêté Royal
du 30 septembre 1981.
Le sanctuaire gallo-romain
Le sanctuaire gallo-romain du " Bois des Noël " semble avoir été édifié
au début du Bas-Empire romain, vers 260 de notre ère. Les vestiges
gallo-romains plus anciens sont en effet très peu nombreux, et
consistent exclusivement en monnaies du Haut-Empire, généralement
très usées, qui ont probablement été perdues ou données en offrande
après l'année 260. A l'exception des vestiges néolithiques, beaucoup
plus anciens, aucun vestige pré-romain n'a été découvert sur le site ou
à proximité. Cette caractéristique est assez rare : dans la plupart des
cas, comme par exemple dans les temples tout proches de la " Plaine
de Bieure " à Matagne-la-Petite, les sanctuaires montrant une
occupation au cours du Bas-Empire romain trouvent leur origine dans
2. un établissement daté du Haut-Empire, voire même de l'indépendance
gauloise.
Le sanctuaire du " Bois des Noël " montre deux grandes phases de
construction.
La première, datée de la deuxième moitié du IIIème siècle après J.-C.
montre une aire sacrée d'environ 66 ares, le péribole, de forme
trapézoïdale, délimité par un mur de moellons calcaires. Ce péribole,
dont l'entrée se trouve au milieu du mur sud-est, englobe un grand
fanum, temple gallo-romain de tradition celtique, composée d'une cella
de plan carré entourée d'un déambulatoire, également de plan carré
(voir plan, n° 5). Le déambulatoire a peut-être été ajouté
postérieurement, comme pourraient le suggérer des différences dans
le mortier utilisé pour la construction des murs. La toiture de ce fanum
était constituée de tuiles. Son entrée, probablement flanquée de
colonnes, se trouve dans l'axe de l'entrée du péribole. Le sol était en
terre battue recouverte d'un dallage d'épaisses plaques en calcaire,
installé après 275. Un deuxième fanum (plan, n° 10), découvert fin
1996, de plan semblable mais plus petit, jouxte au nord-est le fanum
principal. Il peut remonter à la première phase de construction comme
appartenir à la seconde : sa fouille, non encore terminée, n'a pas livré
jusqu'à présent d'éléments de datation. La première phase de
construction voit aussi l'aménagement d'une grande fosse au fond
ovale, dallé et bordé de gros blocs (plan, n° 7), dont la fonction
n'apparaît pas clairement (bassin à offrandes ?, source sacrée ? ...) et
la construction, à l'extérieur du péribole, d'un petit bâtiment à trois
côtés, au sol en terre battue, situé au nord-est de celui-ci (plan, n° 9).
L'embellissement du sanctuaire date de la seconde moitié du IVème
siècle. C'est à ce moment que sont ajoutés le portique de façade avec
la salle d'angle (plan, n° 1, 2 et 3), un bâtiment de dépôt d'offrandes
(plan, n° 6) et un petit temple annexe extérieur (plan, n° 8). De
nombreuses traces d'incendie semblent montrer que le sanctuaire est
détruit au début du Vème siècle.
La façade de l'enceinte du péribole est transformée en portique à deux
galeries (plan, n° 1-2), couvert d'un toit à deux versants en tuiles. La
galerie extérieure montrait peut-être une colonnade, comme le
suggèrent de nombreux fragments de colonnes. Cependant, il est
possible que ces colonnes se soient limitées à encadrer les différentes
portes des galeries : dès le Moyen-Age, le site a fait office de carrière,
et la plus grande partie des matériaux de construction a été récupérée
pour l'édification de nouveaux bâtiments (de nombreux moellons gallo-
romains, ainsi que des seuils et des fragments de tuiles peuvent
encore être observés dans les maçonneries du château médiéval de
Fagnolles, tout proche).
L'entrée principale (plan, n° 4), décalée vers le sud-ouest, montre trois
portes donnant dans la galerie extérieure. Seul le passage central
permet l'accès vers la galerie intérieure, puis le péribole, face au grand
fanum. Les deux portes latérales ouvrent uniquement dans le mur
extérieur de la galerie extérieure. Le passage central est séparé des
3. galeries par des pilastres carrés, accolés aux murs. Au sud-ouest du
portique, une porte permet le passage de la galerie intérieure vers le
péribole, tandis qu'au nord-est, une autre porte fait communiquer la
galerie extérieure avec l'extérieur du sanctuaire.
Ce portique de façade a vraisemblablement servi de lieu de rencontre
ou d'échanges, à la manière d'un forum. Il est flanqué au nord-est
d'une grande salle d'angle quadrangulaire (plan, n° 3), couverte d'une
toiture à quatre pans, en ardoise. Cette salle est implantée en saillie
sur l'angle est du mur d'enclos initial, dont la fondation arasée était
encore visible lors des fouilles. Cette salle communique par deux
portes avec les galeries de façade; elle possède également un accès
extérieur, au nord.
Le bâtiment de dépôt a la forme d'une salle rectangulaire accolée au
mur de clôture nord-est, à l'intérieur du péribole (plan, n° 6). Il possède
deux portes, du côté sud. Le mur nord, plus épais que les autres, était
probablement creusé de niches destinées à abriter les offrandes. Le
sol intérieur était recouvert d'un béton de sol rose, lissé, posé sur
radier de pierres. Il était muni, le long des parois, d'une plinthe en
chanfrein bétonnée.
Un petit bâtiment carré est implanté à l'extérieur du péribole,
également dans la deuxième moitié du IVème siècle (plan n° 9). Il
s'agit d'un petit fanum, sans déambulatoire, au sol en terre battue sur
radier de pierres et à toiture d'ardoises. Il montre un socle central,
destiné à supporter une statue en pierre, dont seul un fragment de pied
a été retrouvé. Les murs intérieurs de ce fanum étaient parementés de
gros blocs calcaires sommairement taillés, recouverts de béton rose,
enduit en blanc. C'est dans ce fanum qu'ont été retrouvées la plupart
des offrandes : plusieurs dizaines de monnaies, des fibules, bracelets,
boucles d'oreilles et épingles à cheveux en bronze, les éléments d'un
collier à perles en pâte de verre et pendentifs en argent, une bague en
pâte de verre ornée du Chrisme, etc.
La restauration
Les vestiges de la salle d'angle et du petit temple annexe ont été
partiellement restaurés au moment des fouilles du CEREA. Après
l'arrêt des travaux en 1982, les vestiges exhumés non restaurés ont
terriblement souffert, et les murs se présentaient, en 1991, beaucoup
moins bien conservés que lors des fouilles : la végétation avait tout
envahi, les rejets de souches avaient littéralement fait éclater certains
murs, les assises conservées étaient partiellement écroulées et même
les parties restaurées avant 1982 commençaient à se détériorer. La
reprise du sauvetage de ce site majeur n'en était que plus urgente.
Après quelques travaux d'entretien réalisés en 1991-1993, le CEDARC
a entrepris, dès 1994, des travaux de fouilles et de restauration
exhaustifs, avec le soutien de la Région Wallonne, Division du
Patrimoine.
4. Le principe de la restauration consiste à démonter les assises encore
conservées jusqu'aux fondations, à consolider ces dernières en les
coffrant dans une dalle de béton armé, et à ensuite remonter les
moellons à l'identique jusqu'au maximum de la hauteur retrouvée en
fouille, en remplaçant le mortier de chaux original par un mortier
moderne, susceptible de résister aux intempéries. Les murs ainsi
restaurés sont ensuite recouverts d'un couvre-mur en mortier, de
manière à éviter tout descellement.
Conclusions
Les nouvelles fouilles entreprises depuis 1994 dans le sanctuaire gallo-
romain du " Bois des Noël " à Matagne-la-Grande ont déjà permis de
confirmer et de compléter de manière non négligeable les données
acquises entre 1975 et 1981 par le CEREA, notamment en retrouvant
des éléments de datation dans les maçonneries. Le plan général des
substructions a ainsi pu être précisé et complété, notamment par la
découverte d'un nouveau fanum, et donne une image nouvelle, encore
plus complexe, de l'ensemble. Les fouilles sont loin d'être terminées,
plus de 75% de la surface du péribole devant encore être explorés. Les
restaurations effectuées permettent d'ores et déjà au visiteur de
découvrir cet ensemble cultuel très important.