Intervention (mai 2016) sur la capitalisation des préjudices futurs de victimes de Maître Dimitri PHILOPOULOS, Avocat spécialiste en droit médical et responsabilité médicale.
La capitalisation des préjudices futurs de victimes
1. Dommage corporel : pour aller plus loin
Maison du Barreau, Paris 20 mai 2016
La capitalisation en pratique :
que faire pour 2016 et au delà
Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine, Etats-Unis
2. Sujets traités
I Rappel rapide du calcul des prix de rente
II TEC10 est un taux nominal (non pas un taux réel...)
III Pourquoi prendre en compte l’inflation dans le taux de capitalisation ?
IV Comment prendre en compte l’inflation dans le taux de capitalisation
V Nouveau barème de capitalisation de la Gazette du Palais (2016)
VI Pourquoi des taux différents pour la victime et les organismes sociaux ?
VII L’avenir :
i Faut-il tenir compte de la fiscalité et frais de gestion dans le taux ?
ii Faut-il utiliser deux barèmes de capitalisation (inflation et SMIC) ?
iii Faut-il modifier l’échéance de 10 ans du taux ?
3. I. Rappel rapide du calcul des prix de rente d’un
barème de capitalisation
4. I. Rappel rapide du calcul des prix de rente
Pour capitaliser (ou actualiser) une rente il faut utiliser un taux de
capitalisation car la victime aura la possibilité d’investir une indemnité
versée sous forme d’un capital.
L’expression utilisée pour la capitalisation d’un versement à terme échu
est de : 1 / (1 + taux de capitalisation)N pour une victime qui touchera
1 euro à la fin de N années.
Ainsi quand le taux monte, le capital diminue.
Il faut effectuer cette opération pour chaque année de la rente et en faire
la somme.
5. I. Rappel rapide du calcul des prix de rente
Problème : il faut que la victime soit en vie pour pouvoir toucher le
versement chaque année.
Donc, pour chaque année de la rente, il faut multiplier le calcul
précédent par la probabilité de survie de la victime.
Par exemple, avec la table de mortalité INSEE 2008, pour une femme
victime qui vient d’avoir 62 ans aujourd’hui, la probabilité d’être en vie à
l’âge de 63 ans est de 1 moins la différence entre la mortalité de 62 et 63
ans divisée par la mortalité à 62 ans :
Age Mortalité Probabilité de survie de 62 à 63 ans
1 - ((93111 - 92623) / 93111)
6. I. Rappel rapide du calcul des prix de rente
Au total, pour chaque année de la rente, on capitalise et on multiplie par
la probabilité de survie : la somme donne le prix de rente.
Par exemple, avec le taux de 1,04% du nouveau barème de capitalisation
de la Gazette, pour une femme qui vient d’avoir 62 ans, le prix de rente
temporaire à 64 ans est de 1,953 selon le calcul ci-dessous :
7. II. Le TEC10 est un taux nominal (et non pas un
taux réel...)
8. II. Le TEC10 est un taux nominal
Le TEC10 est utilisé comme taux de placement de base pour nos
barèmes de capitalisation.
C’est le taux de rendement déduit quotidiennement à partir de deux
obligations assimilables du Trésor (OAT) encadrant une maturité exacte
de 10 ans (par exemple une OAT à 8 ans et une OAT à 12 ans).
Donc le TEC10 est le taux quotidien d’une OAT fictive avec une
échéance de 10 ans.
Le taux TEC10 (comme les taux des OAT utilisés pour son calcul) est un
taux nominal autrement dit c’est un taux observé non ajusté pour
l’inflation comme par exemple celui affiché dans les vitrines des banques.
Si le TEC10 et l’inflation pouvaient être de 0,47 %, les intérêts perçus
seraient sans aucune valeur réelle et personne n’aurait envie d’acheter
une OAT française à 10 ans.
9. II. Le TEC10 est un taux nominal
En réalité, les prévisions de l’inflation (l’inflation anticipée) sont
incorporées promptement dans le taux nominal des OAT et donc TEC10.
Ceci traduit une règle chère aux actuaires, le principe de Fisher (au nom
d’un économiste renommé) : taux nominal = taux réel + taux d’inflation.
Cette inflation cachée dans le TEC10 selon le principe de Fisher est
révélée en France par les OAT indexées à l’inflation où la victime touche
un intérêt réel net d’inflation et aussi un intérêt calculé sur l’inflation :
les OAT indexées nous permettent de voir les composantes du TEC10.
Irving Fisher Les obligations françaises indexées à l’inflation
10. II. Le TEC10 est un taux nominal
C’est tout ?
Non, le principe de Fisher est utilisé pour déterminer tous les taux
nominaux affichés dans nos banques y compris celui du Livret A selon
l’article 2 de l’Arrêté du 29 janvier 2008 qui explicitement ajoute le taux
moyen de l’inflation des douze derniers mois à un taux réel de base.
L’inflation détermine le taux du Livret A
11. II. Le TEC10 est un taux nominal
Dans le cadre de l’arrêt rendu le 10 décembre 2015 par la Cour de
cassation (le choix du barème relève du pouvoir souverain), le moyen du
pourvoi de l’assureur, selon lequel l’inflation future serait incertaine et
hypothétique, contrairement au TEC10, comporte une contradiction : on a
bien vu que le TEC10 est un taux déterminé par l’inflation anticipée donc
toute incertitude sur l’inflation future se trouve également intégrée dans le
TEC10.
Moyen du pourvoi de l’assureur
12. II. Le TEC10 est un taux nominal
Sur cet arrêt, le professeur Philippe BRUN a noté cette occasion
manquée pour la Cour de cassation de se prononcer directement sur la
question de l’inflation au lieu de se retrancher derrière le pouvoir
souverain des juges du fond (contrairement à l’approbation clairement
exprimée par la Cour en 1974 sur l’indexation de la rente à l’inflation).
14. III. Pourquoi prendre en compte l’inflation dans le taux ?
Lors du rappel du calcul d’un prix de rente, on a montré à tort cette
image avec 1 euro de préjudice capitalisé chaque année.
15. III. Pourquoi prendre en compte l’inflation dans le taux ?
En réalité, en raison de l’inflation, les préjudices futurs augmentent
annuellement ce qui ne doit pas être oublié pour respecter le principe de
la réparation intégrale du préjudice.
Cette prise en compte de l’inflation pour le préjudice est d’autant plus
nécessaire que le niveau du TEC10 augmente avec l’inflation.
En effet, ce serait une erreur de capitaliser une rente de 1 euro avec un
taux nominal comme le TEC10 car ce faisant on laisse l’inflation exercer
ses effets sur le taux mais non pas sur le préjudice.
Ceci est moins important aujourd’hui vu le faible niveau de l’inflation.
17. IV. Comment prendre en compte l’inflation dans le taux
Avec la rente temporaire de 62 à 64 ans et le barème 2016 de la Gazette
(taux de placement de 1,29%, taux d’inflation de 0,25% et donc un taux
de capitalisation de 1,04%) on obtient le même prix de rente de 1,953 :
soit par la capitalisation de 1 euro avec un taux unique de 1,04% (gauche)
soit, selon la méthode des actuaires, par la capitalisation de 1 euro qui
augmente chaque année de 0,25% avec un taux de 1,29% (droite)
C’est la même chose !
Rente de 1 euro
chaque année capitalisée
avec 1,04%
Rente de 1 euro qui ↑
chaque année de 0,25%
capitalisée avec 1,29%
18. IV. Comment prendre en compte l’inflation dans le taux
Voilà les mêmes calculs cette fois pour une rente viagère d’une femme
victime de 18 ans avec un logiciel utilisé par les actuaires.
Le prix de rente est le même (47,252) que l’on utilise 1,29% et 0,25%
séparément ou 1,04% seul.
19. IV. Comment prendre en compte l’inflation dans le taux
S’il en est besoin, nous avons mis en ligne une application qui calcule des
prix de rente au taux de votre choix (https ://dimitriphilopoulos.com)
20. V. Barème de la Gazette du Palais millésime 2016
21. V. Barème de la Gazette du Palais 2016
Le barème de capitalisation millésime 2016 publié par la Gazette du
Palais présente plusieurs points forts car il établit un consensus entre
assureurs et victimes sur des points importants :
L’utilisation des mêmes tables de mortalité 2006-2008 car ce sont les
dernières tables définitives publiées
L’utilisation du même taux de placement à savoir la moyenne du TEC10
lissé sur les deux années de 2014 et 2015 : 1,29%
Donc, la seule différence (faible) qui reste entre ces deux barèmes est la
prise en compte de l’inflation dans le barème de la Gazette
Le barème de la Gazette utilise la moyenne de l’inflation sur les mêmes
années à savoir 2014 (0,5%) et 2015 (0%) soit une moyenne de 0,25%
On ne peut utiliser l’inflation 2016 car sans effet sur TEC10 2014 et 2015.
22. VI. Pourquoi deux taux différents pour la victime
et les organismes sociaux ?
23. VI. Taux différents de la victime et les organismes sociaux
La victime est un investisseur particulier car sa survie dépend de manière
critique de son investissement surtout en cas de perte de gains
professionnels futurs : donc, un taux sans risque est utilisé.
Un organisme social financé par l’Etat ou une société mutualiste privée
n’a pas cette contrainte majeure : un risque modéré est justifié d’où un
rendement plus élevé qu’un taux sans risque.
Taux sans risque Taux sans risque n’est pas approprié
24. VII. L’avenir : faut-il tenir compte de la fiscalité
et frais de gestion dans le taux ?
25. VII. L’avenir : Fiscalité
Certains pays (par exemple, le Royaume-Uni) tiennent compte de la
fiscalité ce qui conduit à diminuer encore le taux de capitalisation.
Toutefois, selon la jurisprudence en France, la fiscalité des revenus
(négative ou positive) est sans incidence sur le calcul de l’indemnisation
de la victime : Cass. 2e civ., 8 juill. 2004 et Cass. crim., 19 oct. 2010.
A priori, il apparaît difficile donc de tenir compte de la fiscalité dans le
taux en France.
La solution pourrait être différente pour les charges sociales car les
revenus nets de charges sont utilisés pour le calcul de l’indemnisation des
pertes de gains (Cass. 2e civ., 16 nov. 1983).
Ce serait difficile de tenir compte de la fiscalité dans le taux en France
26. VII. L’avenir : Frais de gestion
Détenir des obligations implique des frais de transactions et de garde.
Néanmoins, ces frais peuvent varier sensiblement d’une victime à l’autre :
il apparaît donc plus aisé d’en tenir compte par une demande accessoire
et non pas dans le taux de capitalisation.
Pour plus d’information voir : http ://www.boursedeparis.fr/centre-d-
apprentissage/les-oat/comment-acheter-des-oat
27. VII. L’avenir (suite) : faut-il utiliser deux barèmes
de capitalisation dont un pour les préjudices
futurs liés à l’inflation et un autre pour ceux liés
au SMIC ?
28. VII. L’avenir : deux barèmes ?
Hors accident de la circulation, les rentes peuvent être indexées sur le
SMIC afin d’assurer la réparation intégrale du préjudice car
habituellement le SMIC augmente chaque année un peu plus que
l’inflation.
Deux articles (de 2006 et 2012) de Maîtres Claudine BERNFELD et
Aurélie COVIAUX ont mis en évidence cette importance de l’indice SMIC
pour l’indexation faute de quoi la revalorisation des rentes est trop faible.
29. VII. L’avenir : deux barèmes ?
Il en va de même des barèmes de capitalisation : pour les préjudices
futurs liés au SMIC (tels que les pertes de gains professionnels ou les
frais de tierce personne), la déduction de l’inflation du taux de placement
est insuffisante.
En effet, il faudra déduire le taux d’augmentation annuelle du SMIC.
Comme on l’a vu, c’est ce qui se passe au Québec mais leurs taux
publiés en 1997 sont trop élevés par rapport à la conjoncture actuelle.
Préjudices futurs ↑ avec l’inflation Préjudices futurs ↑ avec le SMIC
30. VII. L’avenir : deux barèmes ?
Dans les conditions économiques habituelles dans la zone euro, les
actuaires ont montré que, pour les préjudices futurs qui augmentent avec
le SMIC, le taux de capitalisation ne saurait excéder 0% .
Le taux est d’environ de 1% pour les préjudices liés à l’inflation.
Afin de garantir la réparation intégrale du préjudice, il faudra deux
barèmes de capitalisation dont l’un pour les préjudices liés à l’inflation et
l’autre pour ceux liés au SMIC.
32. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
L’échéance actuelle du taux sans risque est de 10 ans avec le TEC10.
Il est légitime de se poser la question si des taux avec des échéances plus
longues (comme 20 ans et/ou 30 ans) seraient plus appropriés car
certaines rentes peuvent durer longtemps pour des jeunes victimes.
Un outil mis en ligne par Monsieur Christophe QUEZEL-AMBRUNAZ à
l’Université de Savoie utilise ensemble les TEC10, TEC20 et TEC30 ce
qui permet la durée du taux de suivre celle des rentes plus longues.
33. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
Si l’on regard un peu à ce qui se passe autour de nous, la Belgique, la
Suisse et le Royaume-Uni utilisent un taux de 10 ans.
Il en est ainsi car le taux à 10 ans (dont le TEC10) sert de véritable
référence dans nos économies et il traduit la maturité moyenne d’une
portefeuille d’actifs de beaucoup d’investisseurs.
Belgique Suisse Royaume-Uni
34. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
Mais l’utilisation d’un taux à 10 ans n’est pas une règle absolue.
Par exemple, la province d’Ontario au Canada utilise deux taux dont l’un
pour les premières quinze années de la rente (0 % en 2016) et l’autre
pour les années suivantes (2,5 % en 2016). Le premier peut être conçu
comme un taux plus court qu’un TEC10 et le deuxième comme un taux
plus long qu’un TEC10.
Ontario, Canada : article 53.09 du Code de procédure civile
35. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
Il convient de préciser qu’en France en 2005 l’Etat a modernisé le marché
des OAT destiné aux particuliers pour leur permettre d’effectuer toutes
transactions d’achat et de vente, chaque jour de Bourse, sur une large
gamme d’OAT cotées sur Euronext (www.euronext.com).
Ce marché secondaire des OAT « d’occasion » est un marché très actif
et montre leur liquidité.
36. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
Pourquoi acheter ou vendre une OAT avant l’échéance ? Parce que le
cours (prix) des OAT suit l’évolution des taux.
Par exemple, si la victime avait acheté il y a quelques années une OAT
avec un coupon (intérêt) de 2% et si par la suite les taux ont baissé
(comme aujourd’hui), le cours de cette OAT de la victime va augmenter
car ayant un rendement supérieur aux OAT plus récentes : la victime
peut donc la vendre et faire une plus-value.
37. VII. L’avenir : Modification de l’échéance du taux ?
En raison de cette liquidité, beaucoup de victimes ne vont pas garder
leurs obligations jusqu’à l’échéance : est-ce donc raisonnable d’utiliser
une maturité supérieure à 10 ans ?
Il ne faut pas oublier que la victime a des besoins à court terme (1
an, 2 ans, 5 ans...) et le TEC10 permet d’en tenir compte mieux que le
TEC20 ou TEC30.
! Néanmoins ce barème de capitalisation de l’Université de Savoie est
un outil complémentaire au barème de la Gazette du Palais !
38. Références
1. C Jaumain, La capitalisation des dommages et intérêts en droit commun, Anthémis,
2009
2. M Schaetzle, S Weber, Manuel de capitalisation, Schultess, 2001
3. D Philopoulos, Au sujet du barème de capitalisation 2011 de la Gazette du Palais,
Gaz. Pal. 9 nov. 2012, pp. 9-13
4. P Brun, Méthodes de capitalisation des préjudices futurs et réparation intégrale : la
Cour de cassation renonce à trancher, La Semaine Juridique Edition Générale - 8
Février 2016 - n° 6
5. F Planchet, Quel taux de capitalisation des préjudices futurs des victimes ?, colloque
sur la capitalisation des préjudices futurs des victimes, avril 2013, intervention
disponible à http ://www.ressources-actuarielles.net
6. Cl Bernfeld, A Coviaux, Rentes : leur trop faible revalorisation interdit la réparation
intégrale, Gaz. Pal. 13 juil. 2006, pp. 31-32
7. Cl Bernfeld, A Coviaux, Rentes : leur trop faible revalorisation interdit la réparation
intégrale, Gaz. Pal. 9 nov. 2012, pp. 14-15
8. https ://dimitriphilopoulos.com/indemnisation-erreur-medicale/capitalisation-
prejudices.php
9. http ://www.fac-droit-savoie.fr/index.php ?page=317