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La bataille de la Mortagne en 1914 et l’abbé Alphonse Collé,
curé de Ménil-sur-Belvitte (Vosges)
À peine quinze jours après leur départ des Alpes, les Alpins du 157e
RI (régiment d’infanterie) de Gap et de
la vallée de l’Ubaye et ceux du 159e
RI de Briançon vont être confrontés à leur première grande bataille
après leur baptême du feu en Alsace : la bataille de la Mortagne. Cette bataille, ainsi appelée par les
historiens, rassemble tous les combats de Ménil-sur-Belvitte (Vosges) et du col de la Chipotte qui ont eu lieu
entre le 25 août 1914 et le 12 septembre 1914. L’annonce des premiers morts Bas-Alpins et Hauts-Alpins en
ce premier mois de guerre va ensuite avoir un retentissement inouï dans nos deux départements alpins tant
par l’importance de ces pertes initiales que par l’incroyable action d’un prêtre, l’abbé Alphonse Collé, curé
du petit village de Ménil-sur-Belvitte.
Il nous paraît important, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, de rappeler les circonstances de ces
combats et de décrire ensuite les nombreuses actions de cet omnipotent curé, au cours de la guerre, actions
qui vont nettement se prolonger par une constante œuvre mémorielle dans son village après la fin du conflit.
La situation militaire sur le front sud de la Lorraine en août 1914.
Fin août 1914, après la bataille des frontières, offensive française non couronnée de succès et sanctionnée
par les combats de Morhange et de Sarrebourg, les forces allemandes continuent leur pression vers le sud.
Le général Moltke, chef d’état-major de l’armée allemande, dans son PC lointain du Luxembourg, était
placé en face d’une option capitale. Devait-il, afin de respecter le plan Schlieffen, retirer du front de
Lorraine des éléments de le VIe
et de la VIIe
armées allemandes afin de les transporter le plus rapidement
possible à l’aile droite marchant en Belgique ou bien profiter de l’avantage acquis en poursuivant l’avantage
entre Nancy et les Vosges avant d’orienter ses forces vers l’ouest. Il se décida à poursuivre le mouvement en
avant en vue de la trouée de Charmes et il lance la VIIe
armée entre la forêt de Charmes et Rambervillers
afin de porter le coup de grâce aux deux armées françaises, opération qui va lui permettre de s’orienter soit
vers Toul soit vers la Champagne.
À l’ouest de la Mortagne1
, la VIe
armée du Kronprinz de Bavière est contenue autour du Grand Couronné et
de Nancy par la résistance des troupes du général de Castelnau, commandant la IIe
armée. À l’est de la ligne
Lunéville-Gerbéviller, la Ire
armée du général Dubail s’accroche sur les pans ouest des Vosges et va tenir
tête à la VIIe
armée allemande.
25 août 1914 : comme prévu, la horde allemande de la VIIe
armée allemande du général Von Heeringen se
rue en direction de Charmes en dépassant Baccarat et Raon-l’Etape et tente de passer par le col de la
Chipotte. De violents combats ont d’abord lieu à Baccarat pour la conquête du pont de Baccarat sur la
Meurthe, pont défendu par le 86e
RI du Puy-en-Velay et du 38e
RI de Saint-Etienne. Ces deux régiments
submergés subissent de nombreuses pertes. Les Allemands s’engagent ensuite entre Ménil-sur-Belvitte et le
col de la Chipotte. Ils font face au 13e
CA (corps d’armée) de Clermont-Ferrand, au 14e
CA de Lyon et au
21e
CA d’Épinal. Ces trois corps d’armée sont renforcés par la 44e
division d’infanterie arrivée en urgence
d’Alsace ce même jour et la 2e
brigade coloniale de Lyon.
1
Affluent de la Meurthe, passant par Rambervillers, cette rivière de 75 km rejoint la Meurthe en rive gauche à Mont-sur-Meurthe
en aval de Lunéville.
2
Les combats de la 44e DI et notamment du 157e RI et du 159e RI.
La 44e
division d’infanterie, commandée par le général Soyer jusqu’au 24 août puis par le général de
Vassart, était chargée initialement de la défense des Alpes face à l’Italie. Le gouvernement d’Antonio
Salandra, dès le 2 août, annonce que l’Italie restera neutre et la mission de la 44e
DI devenant caduque, la
division est mise à la « disposition du général en chef ». Elle est composée des unités suivantes :
 La 88e
brigade d’infanterie du général Plessier comprenant :
 Le 97e
régiment d’infanterie de Chambéry commandé par le lieutenant-colonel Roux,
 Le 159e
régiment d’infanterie de Briançon commandé par le colonel Barbot puis par le colonel
Mordacq,
 La 89e
brigade d’infanterie du général Buchner comprenant :
 157e
régiment d’infanterie commandé par le colonel Castaing,
 163e
régiment d’infanterie commandé par le colonel Pelletier de Chambure.
Cette division particulièrement puissante puisque tous ces régiments sont à quatre bataillons (au lieu de trois
pour les autres régiments inscrits à l’ordre de bataille, soit plus de 4 000 hommes par régiment)2
est d’abord
envoyée en Alsace, en renfort de l’offensive sur Mulhouse. Les premiers combats ont lieu les 18 et 19 août à
Walheim et Wittersdorf où la division subit son baptême du feu. Le 159e
RI est durement touché à Walheim,
au sud de Mulhouse et perd plus de 700 hommes.
Mais l’offensive en Alsace étant un échec, le général Joffre, face à une nouvelle menace sur les contreforts
ouest des Vosges, décide d’y envoyer la 44e
DI en renfort. La 44e
DI rembarque à Belfort le 21 août. Le 24
août, le 157e
RI et le 163e
RI débarquent à Saint-Dié et rejoignent Rambervillers à marche forcée le 25 août.
Hélas dans la nuit du 23 août, le train transportant1es alpins du 159e
RI est heurté par un train de munitions.
Des wagons broyés, l’on retire 30 blessés et 79 morts. Le 24 août, le 159e
RI et le 97e
RI débarquent à
Bruyères. Eux aussi se portent dans la région de Rambervillers à pied.
Les alentours de la Chipotte étant montagneux et boisés et l’accès malaisé, la pression allemande, plus à
l’ouest, vers Ménil-sur-Belvitte et Saint-Benoît devient inévitable. Entre Ménil et la Chipotte, 225 000
Français affrontent environ 300 000 Allemands entre le 23 août et le 12 septembre 1914, en une succession
d’attaques ininterrompues et de contre-attaques meurtrières.
Des chasseurs alpins, des alpins et des coloniaux appuyés par des artilleurs vont mener de violents combats
et doivent tenir coûte que coûte le Col de la Chipotte véritable verrou stratégique fermant la trouée de
Charmes
En face des troupes françaises, la VIIe
armée allemande du colonel-général Von Heeringen est composée du
Ier
corps du général Xylander, du XIVe
corps du général Von Heeringen entre Baccarat et Sainte-Barbe et du
XVe
corps du général Von Deimling à Raon-l’Etape vers le col de la Chipotte. Pratiquement toutes ces
unités proviennent de Strasbourg, Saverne, Haguenau, Metz mais aussi de Wiesbaden et de Sarrebrück.
Dès le 25 août, l’avancée allemande oblige les forces françaises à se replier, mais pas question de leur laisser
la position capitale du col la Chipotte. En face du 21e
CA, les Allemands tiennent les lisières nord de Ménil
et sont proches du col de la Chipotte. La 44e
DI est à pied d’œuvre au soir du 25 août.
Voyons à partir du 25 août les combats du 157e
RI et du 159e
RI.
2
Par exemple, l’effectif du 157e
RI est de 4 441 hommes dont 73 officiers, 264 sous-officiers et 4 104 hommes. À cela, il faut
rajouter 117 chevaux de selle ou de trait et 232 mulets.
3
Carte schématique de la région de Ménil-sur-Belvitte
Les combats du 157e RI.
 25 août. Ce jour-là, à 5 heures du matin, après une longue marche, le 157e
RI a enfin atteint le village de
Brû au nord de Rambervillers et y cantonne.
L’ordre donné pour le 26 août est d’atteindre le village de Ménil-sur-Belvitte, occupé par les Allemands, à
partir des lisières du bois d’Hertemeuche.
 26 août, démarrant leur mouvement offensif à partir de Brû, le 1er
et le 3e
bataillon, en première ligne,
arrivent au nord du bois. Ils ne peuvent déboucher, l’artillerie allemande arrosant la lisière de projectiles. Ils
y restent toute la journée et le soir vers 19 h se replient vers Brû où ces deux bataillons cantonnent. Quant au
4e
bataillon, il occupe toute la journée le plateau sud-est d’Anglemont. En ce 26 août, le régiment perd 138
hommes.
 Le 27 août, nouvelle attaque avec les 1ers
et 4es
bataillons. Même ordre que la veille pour le 1er
bataillon qui
échoue dans cette tentative d’atteindre Ménil et se replie à midi sur le plateau au nord de Brû. Plus à l’ouest,
Le 4e
bataillon tente de rejoindre Anglemont malgré le feu de l’artillerie allemande et lui aussi est obligé de
se replier. À 15 h, ces deux bataillons reçoivent l'ordre de renouveler l’attaque sur Ménil de nuit. Ils
atteignent enfin le sud du village, baïonnettes au canon, mais sont stoppés par des tirs d’infanterie3
provenant des maisons.
Ils établissent des barricades et s’installent pour la nuit. Le 1er
bataillon, en tête, est au contact du village. Le
4e
bataillon est légèrement en arrière. Pendant cette attaque, de leur côté et plus à l’est, les deux autres
bataillons sont rassemblés à Brû. À onze heures, ils attaquent en direction de Sainte-Barbe à travers bois,
atteignent dans un premier temps Saint-Benoît. La lisière de la forêt à l’est de Sainte-Barbe inoccupée est
3
Les Allemands avaient percé les murs des maisons et pouvaient se déplacer plus facilement.
4
atteinte à 14 h 30. Deux compagnies poursuivent vers le nord-ouest mais sont prises à partie par des tirs
violents d’artillerie et d’infanterie. À la nuit tombante, les unités sont rassemblées sur la route de Sainte-
Barbe à Thiaville. Ces deux bataillons perdent 87 hommes au cours des actions de la journée.
 28 août : dès cinq heures du matin, une contre-attaque allemande menée par au moins deux régiments va
causer de nombreuses pertes au 15-7 en deux heures à peine entre 6 h et 8 h du matin. À la lecture de
l’extrait complet de la page du JMO du 15-74
datée du 28 août, on se rend compte du caractère meurtrier de
cette journée :
« À cinq heures du matin, les 1ers
et 4es
bataillons sont attaqués dans Ménil par une contre-attaque
allemande. Le 1er
bataillon se porte à l’attaque du plateau de Ménil ; la 1re
et la 4e
compagnie
défendent la lisière du village, la 2e
et la 3e
compagnie occupent sur les arrières de Ménil une position
de repli.
L’ennemi attaque en force avec un effectif d’environ deux régiments. Les sections de mitrailleuses des
bataillons peuvent se mettre en position et ouvrent un feu nourri sur les colonnes ennemies, mais
bientôt le 4e
bataillon puis le 1er
bataillon est obligé de battre en retraite, n'étant pas soutenus par
l'arrière. Les 2es
et 3es
bataillons couvrent leur retraite, mais ils sont obligés à leur tour de se replier à la
lisière du bois.
La retraite des bataillons s’est opérée sur un glacis d’environ 1 500 à 2 000 mètres sous le feu de
l’artillerie allemande. Les bataillons subissent des pertes importantes, en particulier le 4e
bataillon. Le
lieutenant-colonel Compagnon est blessé, le chef de bataillon Baille est tué, le chef de bataillon
Reboul est blessé.
Après cette retraite, les bataillons ont été ralliés par le capitaine Béziers et ont rejoint les autres unités
du régiment. »
Au moins deux régiments attaquent en force les deux bataillons du 157e
RI. Les sections de mitrailleuses
peuvent se mettre en position et ouvrent un feu nourri sur les colonnes ennemies, mais bientôt le 4e
bataillon
puis le 1er
bataillon est obligé de battre en retraite, n'étant pas soutenus par l'arrière. Le 2e
et le 3e
bataillon
couvrent leur retraite, mais ils sont obligés à leur tour de se replier à la lisière du bois.
 29 août, le régiment se réorganise et est en réserve.
 30 août : le 1er
et le 4e
bataillons occupent des tranchées en deuxième ligne sur les hauteurs nord de
Rambervillers tandis que le 2e
et le 3e
bataillon sont en cantonnement d’alerte.
 31 août : Peu de changement. Les 2e
et 3e
bataillons forment la réserve d’une attaque à Grande Rue (2 km à
l’est de Brû).
 1er
septembre : de violents combats par une brigade d’attaque vers la Chipotte en cours se terminent par
une retraite obligeant les deux bataillons qui n’étaient qu’en position de réserve à se retrancher entre Saint-
Benoît et Sainte-Barbe.
 2 septembre : le régiment est relevé par l’infanterie coloniale. Devant l’ampleur des pertes des officiers du
15-7, c’est le capitaine Béziers qui est obligé de prendre provisoirement le commandement du 1er
et du 4e
bataillon.
À partir de cette journée, jusqu’au12 septembre, la situation évolue peu. Le régiment est positionné à l’est de
Saint-Benoît et s’oppose à toute pénétration allemande en provenance des bois de la Chipotte.
Les combats du 159e RI.
 25 août. Le 159e
RI a quitté son cantonnement de Bruyères et rejoint à pied le cantonnement de Jeanménil,
petit village à l’est de Rambervillers. Dès son arrivée, en arrière et à droite du 97e
RI, il doit participer à
4
À cette époque, il était de tradition d’appeler les régiments à trois chiffres ainsi : quinze-sept ou quinze-neuf.
5
l’attaque sur Ménil en direction de Saint-Benoît où il doit avant de pousser des attaques très diluées sur
Ménil jeter au passage un élément à Saint-Barbe. Le 3e
bataillon est en réserve. En soirée, les bataillons
engagés arrivent à peine aux lisières sud du village où ils sont accueillis par des tirs d’infanterie. Le
régiment n’insiste pas et le soir, il bivouaque sur des positions en lisière ouest du bois de Sainte-Barbe.
 26 août : Le 1er
bataillon assure le service d’avant-postes en première ligne dans les bois face à Ménil
tandis que le 2e
, soumis à des tirs de mitrailleuses, doit finalement se replier vers La Haye (1 km au nord-
ouest de Saint-Benoît). Sur les positions de la veille, victime de tirs d’artillerie de 5 h à 16 h, le 3e
bataillon
se replie. Le 4e
bataillon, lui aussi soumis à des tirs d’artillerie, reçoit l’ordre de venir cantonner à Saint-
Benoît.
 27 août : Une nouvelle tentative sans grand succès est opérée ce jour sous les ordres du colonel Barbot en
direction de Sainte-Barbe en liaison à gauche avec le 15-7 et à droite avec deux bataillons du 97e
RI.
L’artillerie n’étant disponible que vers 16 h 30, l’attaque est reportée Mais en même temps, l’effort allemand
sur tout le front est tel que le 15-9 doit se replier au sud de Saint-Benoît de manière confuse où il cantonne
tant bien que mal, le régiment subissant de sérieuses pertes.
 28 août : Contrairement à ce qui se passe au sein du 15-7, journée calme : les 2e
et 3e
bataillons sont au
repos à Saint-Benoît.
 Le 29 août, ce qui reste du régiment doit participer à l’attaque du 21e
CA prévue le 1er
septembre sur le
front Saint-Rémy (5 km à l’est de Saint-Benoît).
Le rédacteur du JMO résume dans ces quelques lignes le déroulement de ces journées :
« Les journées qui se sont succédées depuis le 25 août ont été dures pour le régiment en permanence
aux avant-postes. Les nombreux cadavres épars dans les bois et qui n’ont pu être inhumés commencent
à se décomposer et rendent le stationnement pénible. L’eau qu’on ne peut guère trouver qu’à la ferme
de la Haie est contaminée. La majeure partie de l’effectif est atteinte de diarrhée ».
Les 30 et 31 août, tandis que le 15-7 et le 15-9, en repos, pansent leurs plaies, c’est une attaque générale
avec panache des chasseurs de la « brigade bleue »5
: les 1er
, 3e
, 10e
et 31e
bataillon de chasseurs à pied, de
Saint-Dié qui se déroule dans la zone du dépôt de Merrains (4 km à l’est de Ménil). En vain !
 Le 1er
septembre, l’attaque vers le Nord, commence à 4 h du matin. L’offensive du 2e
bataillon est arrêtée
face à un ennemi supérieur, nécessitant le renfort d’un bataillon du 97e
RI tandis que le 1er
bataillon se
heurtait dans les bois à une batterie allemande et s’emparait de quatre pièces, de munitions et d’un matériel
téléphonique. Mais une forte colonne ennemie oblige le régiment à se replier vers le Sud au sud-ouest de La
Chipotte.
 Du 2 au 3 septembre, les positions évoluent peu. Ménil est devenue allemande. Saint-Benoît est tombé, le
col de la Chipotte est perdu. Le 15-7 et le 15-9 tentent de se reconstituer.
Le 3 septembre, tandis que le 15-7 doit renforcer l’attaque du 5e
et 6e
colonial sur le col de la Chipotte, le
15-9 a changé de secteur. Il est désormais positionné plus au sud de la Chipotte, autour du col de Barrémont6
devant s’opposer à toute tentative de pénétration en provenance des zones boisées de l’Est.
Les positions restent ainsi figées jusqu’au 11 septembre, les Français tenant fermement sur place. Les
Allemands doivent alors évacuer de ce front un corps d’armée, devant renforcer leur défensive sur la Marne
et se rendent compte qu’ils ne peuvent plus accentuer leur percée vers Charmes. Le général Von Heeringen
décide de se retirer au nord de la Meurthe. Cela engage enfin les Français à regagner Raon-l’Etape le 12
septembre.
5
Nom donné aux quatre bataillons de la 86e
brigade d’infanterie en garnison à Saint-Dié
6
Quatre kilomètres au sud du col de La Chipotte, sur la route de Rambervillers à Saint-Dié.
6
Le 15-7, combat dans la zone de Celles-sur-Plaine (au nord-est de Baccarat) jusqu’au 23 septembre où il
reçoit l’ordre de quitter la zone et de rembarquer à Charmes pour Toul le 25 septembre, faisant désormais
partie du XXIe
CA qui a comme mission d’empêcher les Allemands venant de prendre Saint-Mihiel, dans la
plaine de Woëvre de s’emparer de Toul.
Après les combats de Verdun de mars 1916, le régiment revient dans la zone de Celles-sur-Plaine jusqu’en
décembre 1916 avant de quitter la France pour l’armée d’Orient. Dans les Vosges, c’est la guerre des
tranchées et le régiment va être amené à monter une opération de « type commando » en vue de conquérir
l’observatoire allemand au sommet du Pain de Sucre en août 1916.
Le 15-9, lui aussi, reste dans les Vosges, du côté de Senones (est du col de la Chipotte) et en octobre 1914,
durant la course à la mer, gagne la Picardie et est mis à la disposition de la 77e
DI dans la défense d’Arras.
Le front de cette partie des Vosges va peu bouger jusqu’en 1918. Seuls quelques actions sporadiques seront
menées plus au nord et à l’est de Celles-sur-Plaine par une impressionnante guerre de mines afin de
contribuer notamment à la conquête du sommet de La Chapelotte.
Le bilan des pertes humaines au niveau des départements alpins.
Les pertes de la bataille de la Mortagne sont conséquentes. On dénombre plus de 4 000 morts7
,
Au niveau des Hautes-Alpes, sur 3 914 Haut-Alpins dont les noms sont inscrits sur les monuments aux
morts, au moins 140 d’entre eux sont « morts pour la France » à Ménil-sur-Belvitte et à la Chipotte. On en
dénombre, au moins 74 au 15-7 et 55 au 15-9.
Au niveau des Basses-Alpes, sur les 4 422 Bas-Alpins dont les noms sont gravés sur les monuments aux
morts du département, 103 Bas-Alpins décèdent durant la bataille de la Mortagne et 64 appartenaient au
157e
RI et 29 au 159e
RI.
On s’aperçoit que les pertes les plus lourdes concernent le 157e
RI. On peut d’ailleurs se faire une idée plus
précise de de ces pertes en étudiant le JMO (Journal des Marches et des Opérations) du régiment, puisqu’à la
fin de chaque journée, l’officier d’état-major responsable de la rédaction de ce JMO, recense à chaque
combat, les pertes de la journée.
Date Lieu Tués Blessés Disparus Totaux
26 août Hertemeuche 6 83 49 138
27 août Méni-sur-Belvitte 2 8 7 17
27 août Sainte-Barbe 10 70 7 87
28 août Ménil-sur-Belvitte 21 85 598 704
1er
sept Saint-Benoît 33 110 22 165
Du 3 au 5 septembre Même zone 14 27 8 49
Du 6 au 9 septembre Même zone 6 14 20
Totaux 92 377 711 1180
Pertes du 157e
RI entre le 26 août et le 9 septembre d’après le JMO du régiment.
7
Chiffre indiqué qu’affirme dans le livre, paru 1925, de l’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte.
7
L’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte durant la bataille.
Durant ces dix-neuf jours, l’abbé Alphonse Collé, curé du village va
suivre cet apocalypse. À l’est, les habitants des autres villages de Sainte-
Barbe, de Saint-Benoît-la-Chipotte vivent le même calvaire.
L’abbé Collé est aux premières loges de ce conflit qui va transcender son
existence. Il assiste avec quelques villageois restés ici, à ces luttes
fratricides, dès l’aube du 23 août jusqu’au 12 septembre où enfin les
troupes françaises reprennent le territoire conquis par l’adversaire.
Né le 23 janvier 1867 à Gugney-aux-Aulx, petit village au sud de
Charmes, ordonné prêtre le 8 juin 1895 ; il fait toute sa carrière dans les
Vosges. D’abord vicaire à Moyenmoutier durant cinq années puis curé de
La Vacheresse-et-la-Rouillie au sud-ouest de Contrexeville en décembre
1900. Ce n’est que le 5 novembre 1908 qu’il devient le curé à Ménil-sur-
Belvitte jusqu’à sa mort en 1943. C’est un prélat à la forte personnalité,
omniprésent, gardien tutélaire de sa paroisse et bénéficiant d’un entregent
qui l’amène à s’entourer de Maurice Barrès ou du député des Vosges
Louis Madelin. Dans la préface du livre de l’abbé Collé sur « la Bataille
de la Mortagne », Louis Madelin le dépeint ainsi en 1924 :
« Quiconque a vu - ne fut-ce qu’une fois - ce prêtre vigoureux, à la
figure pleine et énergique, aux yeux de flamme sous les forts sourcils noirs, à la bouche ferme, parfois
légèrement ironique, à l’attitude résolue et à la parole prompte, se rend compte du caractère qu’il dut
apporter dans des circonstances si critiques, en des heures tragiques. »
Un de ses autres admirateurs, étant sous les armes, décrit cet homme hors norme et raconte, sous le
pseudonyme de Parroy, dans la revue « Lecture pour tous » d’août 1915, sa visite de ces zones de combat en
avril 1915. Il est accompagné de Maurice Barrès et d’Enrique Larreta, ministre de la République argentine
en France. Il parcourt la forêt tout autour du col de la Chipotte et raconte :
« On se sent, dès le premier regard, dès les premières paroles, en présence d’un homme dominé,
possédé par une idée qui s’est emparée de lui tout entier. Cette idée, c’est l’entretien du champ de
bataille, le culte de tous les souvenirs qui s’y rattachent. Il s’est donné à cette œuvre corps et âme.
Aussitôt qu’il en parle - et il ne consent guère - à parler d’autre chose - une foi débordante,
contagieuse, anime son regard et éclaire sa physionomie. »
Dès le 23 août, recevant les premiers blessés, l’abbé Collé transforme sa cure en
infirmerie. La majeure partie de la population ayant déjà quitté le village, c’est
avec quelques vieillards restés sur place qu’il va chercher les blessés et les
ramène au presbytère à l’aide d’une brouette. Même des Allemands lui
demandent de s’occuper de leurs blessés. Accueillant un officier du 170e
régiment d’infanterie bavarois, ce geste va lui faciliter la tâche car le blessé, très
bien soigné, devient son interprète et parvient à le défendre face aux critiques
des autorités allemandes.
Le 28 août 1914, l’abbé Collé vit le calvaire que subit le 4e
bataillon du 157e
RI
dans sa retraite à travers un glacis particulièrement meurtrier vers le Bois
d’Hertemeuche. Deux jours auparavant, le 26 août, l’église bombardée prend
feu, tout seul, il tente d’éteindre l’incendie en actionnant la pompe du village.
Aucun effet ! Alors il se jette dans le brasier pour sauver les objets précieux de
l’autel. Sa peine est immense ! Mais il n'a pas le temps de s'apitoyer sur le sort
8
de l'église, car d’autres blessés l’attendent. Il est même obligé d’accueillir plus de 50 blessés tant français
qu’allemands dans les granges des alentours
Après avoir soigné et réconforté les blessés, il va devoir s’atteler à une noble et pénible tâche, qu'est le
recueil des nombreuses dépouilles laissées en plein champ. C’est une tâche inhabituelle pour un prêtre. Il
s’agit en fait de pallier à l’incurie des autorités militaires dans le traitement initial des dépouilles des morts.
En se retirant, les régiments ont abandonné sur place bon nombre des leurs.
Le travail d’identification et d’inhumation sur le champ de bataille.
Ce travail inlassable, contrairement à ce que l’on peut penser, ne se termine pas à la fin des combats mais va
durer de nombreuses années. On ne peut qu’être étonné par l’imprévoyance du commandement dans ce
domaine. Les unités militaires quittant la zone et n’ayant point assumer cette tâche de recueil des cadavres,
personne ni aucun organisme, au début du conflit, là ou ailleurs, n’a été désigné pour remplir cette mission.
De cette mission non assurée par l’armée française en négligeant de recueillir avec décence tous les corps
français, on s’en aperçoit aisément en lisant ce témoignage paru dans le numéro 63 du bulletin paroissial du
« Petit Mois de Sainte-Cécile » réalisé durant les 52 mois de guerre par l’abbé Pelissier, curé de
Barcelonnette. C’est un extrait d’un courrier d’un de ses fidèles paroissiens, le médecin-major Jean Rebattu
de Barcelonnette, qui a passé quinze jours après, au milieu de ce désolant champ de bataille. Ce dernier est
médecin au 217e
RI et il écrivait souvent au curé de Barcelonnette :
« J’ai reçu le dernier bulletin du patronage. J’ai lu avec intérêt les lettres de Bertin Tron. La lettre du
curé de Ménil m'a également intéressé, car les combats dans cette région au nord et à l'est de
Rambervillers ont duré du 25 ou 26 jusqu'au 12 septembre.
C’est le 12 au matin que les six régiments de la 71e
division8
avec quelques bataillons de chasseurs ont
achevé de repousser les Allemands, qui, ayant appris leur échec sur la Marne, avaient reçu également
l’ordre de se replier.
Le 12 au matin donc, nous avons traversé le champ de bataille de Ménil et d’Anglemont où pendant 15
jours, on s’était battu sans pouvoir seulement enterrer les morts et, c’est le spectacle le plus navrant
que j’aie jamais vu : cadavres à demi-momifiés, horriblement mutilés, chevaux éventrés, débris de
fusils, de baïonnettes, vêtements en lambeaux, routes et prés creusés d’immenses trous d’obus. Sur la
capote des morts, j’ai bien lu souvent le N° 157. Mais il fallait aller de l’avant ; le soir, nous couchions
à Baccarat d’où les Allemands venaient de partir… »
C’est pourquoi, les corps de ces morts abandonnés honteusement sur place puis leur souvenir va hanter
l’esprit de l’abbé Collé. En pleine bataille, Il continue à ramasser les corps de ces jeunes gens venus de si
loin, récupère lettres, plaques d’identité, portefeuilles, objets personnels. À l'aide de quelques paroissiens qui
prêtent leurs charrettes et leur bras, les combattants sont enterrés sommairement mais dignement dans
quelques cimetières qu’il va être obligé de réaliser à la hâte tout autour du village. Un autre problème surgit :
comment les identifier ? Pour certains combattants, leurs papiers ont disparu ou n’existent plus. Avant de les
enterrer sur place, une bouteille contenant des précisions sur l’endroit où ils ont été trouvés est attachée au
pied des dépouilles. Un numéro leur est affecté, numéro inscrit sur une plaque métallique attachée également
sur le corps avec du fil de fer. En outre, des croix sommaires en bois sont confectionnées. Il dirige lui-même
ces inhumations avec beaucoup de minutie et ainsi peut renseigner les familles qui s’adressent très tôt à lui.
Il sait qu’il doit être en mesure de pouvoir dire à ces familles dans la peine : « Votre fils, votre mari est mort
là : c’est moi-même qui l’ai placé dans sa tombe. »
8
dont fait partie le 217e
RI
9
Et, au fur et à mesure de l’inhumation des corps, sachant qu’un jour ils seront sûrement ré-inhumés, le curé
de Ménil améliore sa technique et attache les plaques numérotées d’identification à l’aide de fil de laiton,
plus souple.
Devant l’ampleur de la tâche, il se rend compte qu’il doit procéder également à un travail de secrétariat et
consciencieusement enregistre le fruit de ses recherches. Plusieurs registres d’identification ou
d’inhumations sont remplis, des listes de morts sont ouvertes et mises continuellement à jour. Ces précieux
documents ont été heureusement conservés par la commune de Ménil-sur-Belvitte. En 2010, une étude
entreprise par l’Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins a permis d’y déceler de nombreuses traces
d’Hauts-Alpins ou d’Ubayens.
Ainsi dans l’un d’entre eux, intitulé « Carnet
de recherches des corps - exhumations -
identifications », où le moindre détail est
mentionné, sur cet extrait on lit par exemple :
En Haut :
« 11 octobre à gauche des champs St-
Maurice »
En dessous :
« matr.6974 - souliers - écusson 157e
- taille
plutôt grand - Chev. très noirs - Corréard
Joseph-Frédéric9
- H. Alpes. » Et en travers
« à Ménil » et trois mots barrés.
Et dans la colonne de gauche :
« 464 Soldat du 157 Tombe 251 »
Puis le chiffre :
« 7954 ».
Parfois, l’abbé Collé complète ses écrits par des réflexions personnelles. Dans un
des carnets d’identification, l’abbé en colère note au sujet de l’aide fournie en sous-
officiers par le commandement que :
« C’est toujours la même chose, pagaille ! Sergents de tout acabit aimant
beaucoup mieux les « poules » de Baccarat que leur devoir, n’ayant d’ailleurs
aucun goût et, malgré toutes mes complaisances, n’ayant à mon endroit que des
impolitesses.
Je ne sais rien que ce que je veux savoir. Pauvres familles, en quelles mains sont
leurs enfants ! »
Ces enterrements étant provisoires, il réalise en outre de nombreux schémas de
l’emplacement des tombes. Ces travaux l’occupent durant trois années. Souvent, il
est aidé par des personnels militaires. Des territoriaux du 92e
RIT sont mis à sa
disposition ainsi que quelques prisonniers allemands. Mais aussi, des artilleurs du 6e
de Valence vont l’aider en automne 1914. Dans ce travail quasi quotidien, trouvant des livrets militaires, fin
1914, deux sacs remplis de ces livrets sont remis à la gendarmerie de Rambervillers.
9
Il s’agit effectivement de Joseph-Frédéric-Gabriel Corréard, né le 20 mars 1863 à Sainte-Marie (Hautes-Alpes), journalier. Il
effectuait son service militaire au 157e
RI depuis le 28 novembre 1913. Disparu à Ménil-sur-Belvitte, son décès a été fixé au 28
août 1914 par le jugement du tribunal de Gap du 5 avril 1921. Sa famille a envoyé une photo pour qu’elle soit affichée dans le
musée.
Photo de Corréard
provenant du musée
de la bataille.
10
En 1915, l’état-major pourtant réticent continue à désigner quelques équipes parmi les unités présentes pour
le seconder dans cette pénible tâche. Même en 1916, cette aide est maintenue et le 17 novembre, le général
Péquinot, commandant la 6e
division de cavalerie met à sa disposition une équipe de six hommes du 39e
territorial.
D’emblée, ce souci qui va devenir constant de la part du curé de Ménil vis-à-vis de l'inhumation pourtant
respectueuse des soldats morts sur le champ de bataille ne plaît pas à tout le monde.
Un jour, au début de septembre 1914, tandis qu’il parcourt le champ de bataille près des lignes allemandes,
des Bavarois le saisissent, veulent lui bander les yeux afin de le ramener à l’arrière. Il proteste d’une façon si
véhémente que les soldats cèdent et le conduisent à leur général qui n’est autre que le prince de Bavière.
L’abbé Collé lui dit : « je recueille et je soigne les blessés quels qu’ils soient Français ou Allemands, ils
auront tous mes soins ». Finalement bien accueilli par ce prince demeuré courtois, il est remis en liberté et le
prince l’encourage à continuer son action.
L’abbé Collé est autant loué que décrié pour cette permanente action en faveur des soldats morts dans les
combats du massif de la Chipotte. Après le retrait allemand du 12 septembre 1914, il est dénoncé à plusieurs
reprises par les autorités civiles françaises locales qui l’accusent de dépouiller les cadavres après les avoir
exhumés. Même le maire du village, M. Poignon, en décembre 1914, écrit au préfet des Vosges et lui
demande la cessation des activités du curé en ces termes :
« … Je me contenterai de mettre fin à tous ces incidents, mais je n'admettrai pas que le curé se
permette de faire creuser des fosses à l'avance comme il en existe encore aujourd'hui au cimetière ; sa
conduite doit être sévèrement réprimée et son autorité complètement nulle vis-à-vis de l'autorité civile.
Si l’Administration préfectorale est en mesure de mettre un frein à son autorité déplacée, vous
satisferez, monsieur le Préfet, aux désirs du plus grand nombre des habitants de Ménil-sur-Belvitte. »
Après enquête, conscient que cet abbé remplit une noble mission et se rendant compte de la qualité du
travail exercé sur le terrain, aucune interdiction n’est envisagée envers l’abbé Collé par le préfet.
Il reste actuellement de ces années de travaux d’identification ou d’inhumations
réalisés par l’abbé Collé, de nombreux documents provenant de son musée et encore
conservés par la mairie de Ménil. Un premier carton contient les nombreuses listes
(photo ci-contre), différents cahiers d’identification ainsi que des cahiers de schémas
des tombes provisoires.
Dans un second carton, on peut étudier tous les courriers des familles (reliés en une
vingtaine de livrets) qui interrogent le curé de Ménil sur la disparition d’un des leurs
ou bien sur le devenir de leurs proches, mais encore sur l’emplacement et
l’aménagement de leurs tombes et surtout sur la manière d’honorer la mémoire de
ces combattants.
Finalement, au fur et à mesure de l’avancement de ces travaux, aidé de villageois revenus au pays et parfois,
aidé de militaires mis à sa disposition, le curé de Ménil se doit de faire creuser des tombes et surtout de les
réunir. Ce ne sont plus des fosses communes comme durant la guerre de 1870 mais des tombes
individuelles. Elles sont donc rassemblées dans plusieurs cimetières construits à partir de septembre 1914
aux quatre coins du village. En consultant les nombreuses cartes postales du « Musée commémoratif de la
bataille », on s’aperçoit de la présence de nombreux cimetières d’importance inégale tout autour de Ménil et
de quelques autres du côté du col de la Chipotte. Ceux de Ménil sont :
- la grande tombe du 157e
et le cimetière du sud-est, embryons de la future nécropole,
- le cimetière français de Montplaisir-Anglemont,
- le cimetière du bois de la Pêche (Sainte-Barbe),
11
- le grand cimetière du nord-est, à gauche et à droite de la route de Baccarat,
- le cimetière de l’entrée sud-ouest de Ménil,
- la grande tombe de 18 braves français et d’officiers à côté de l’église de Ménil,
- la tombe de 21 Français de la sortie nord-est de Ménil,
- le cimetière de la ferme de Copé.
Le musée commémoratif de la bataille.
Parallèlement à cette œuvre bienfaitrice, dès le 12 septembre 1914,
l’abbé Collé crée dans une partie du presbytère, partiellement détruit, le
musée10
des combats qui se sont déroulés dans son village qu’il appelle
« le Musée commémoratif de la Bataille ». Au plafond d’une des pièces,
une carte de la bataille est reproduite. Dans son livre, Alphonse Collé
écrit :
« Le plafond reproduit très exactement le graphique de la bataille. Dans
le rayonnement des points cardinaux, se placent les villes et villages de la
région, ainsi que les régiments ou bataillons respectifs. »
Sur un des murs, des baïonnettes allemandes et françaises sont exposées ;
un peu plus loin, ce sont des tenues bien en vue. Sous l’autel, se dressent
des obus français ou allemands non explosés. Ailleurs, on peut voir
casques, coiffures, sabres d’officiers, lances de dragons allemands,
poignards, revolvers, mines diverses et beaucoup de balles. C’est dans ce
musée que vont être rangés les drapeaux que les communes vont lui
confier. Plus tard, il fait réaliser de grands tableaux (photo ci-dessous)
avec de nombreuses photos de poilus que lui envoient les familles à sa demande, manière d’honorer en
permanence le souvenir des défunts. Son musée, qui est aussi un oratoire, surprend.
Lisons ce qu’écrit Parroy (pseudonyme d’un admirateur sous les armes) dans Lecture pour tous au sujet de
ce musée :
« Son église étant pour longtemps hors d’usage, l’abbé
Collé a arrangé une petite chapelle dans une chambre du
presbytère. C’est le reliquaire de la bataille. Pendant des
jours et des nuits, on s’est battu dans ce village et sur les
crêtes voisines. Obus, sabres, baïonnettes, fusils, képis,
écussons, pattes d'épaule, dont les champs étaient
recouverts, le curé de Ménil les a recueillis et disposés ici
avec un soin pieux. C’est le musée les plus prodigieux que
l’on puisse imaginer. La plupart des képis sont troués par
des balles, les baïonnettes tordues par le choc. Les armes
allemandes sont mêlées aux armes françaises, les Mauser
aux Lebel. Mais plus encore que les armes, ce qu’il s’est
attaché à recueillir et à conserver, ce sont les noms, les
lettres, les papiers, tous les souvenirs des soldats, des
officiers français qui tombèrent ici pour la défense du pays.
10
Sans doute, le premier musée de France dédié à la guerre de 1914-1918.
12
Il en a dressé des listes minutieuses. À force de vivre parmi ces reliques, il parvient à les faire revivre,
de sorte que ces morts glorieux ressuscitent et redeviennent presque des vivants… »
Conscient que cette initiative peut provoquer des réactions hostile, l’abbé Collé, surpris par la réaction
parfois négative de quelques visiteurs, prend heureusement la précaution de rendre compte au général-
gouverneur d’Épinal en lui envoyant un rapport d’exécution à transmettre au ministre de la Guerre.
Néanmoins, fin mars 1915, il est dénoncé auprès du procureur de la République d’Épinal :
« Je viens vous informer que M. le curé de Ménil possède une grande quantité de matériel militaire
français et allemand, principalement des armes, des obus qui ne sont pas tirés et qui serviraient si bien
pour tuer des Boches, et une collection de bandes de mitrailleuses, etc.
Une perquisition serait plus que fructueuse car il possède une chambre pleine de matériel qui ne lui
appartient pas. »
Le mardi 6 avril 1915, il reçoit effectivement la visite de la police secrète. Leur montrant le rapport envoyé à
M. Millerand, ministre de la Guerre, ceux-ci se ravisent et la sévérité des inspecteurs se transforme en
admiration.
Dans le même temps, autre idée de génie ! Il fait réaliser
de nombreuses cartes postales marquées « Collection du
Musée Commémoratif de Ménil-sur-Belvitte (Vosges) »
et développe ainsi un sens incroyable et plutôt moderne
de la communication.
Ce sont essentiellement des cartes postales des
cimetières provisoires, des cartes de l'église ou du village
en partie détruit et des cartes des villages environnants,
etc. Sans aucun doute Ménil-sur-Belvitte est le village du
front le plus « cartographié » de toute la guerre. Parfois,
lui-même se met en situation comme on le voit sur celle-
ci, en pleine prière au milieu du champ de bataille (photo ci-dessus)
Enfin, toutes les cérémonies font aussi l’objet de cartes
postales. Sur celles-ci, on s’attache à mentionner
volontairement la qualité des personnes présentes. La
première et importante cérémonie du 2 novembre 1914
est immortalisée puis suit la cérémonie du 25 août 1915
(le premier anniversaire de la bataille), celle du 28 août
1917, celle de la remise de la Croix de guerre du 18
décembre 1916 et enfin celle, grandiose du quatrième
anniversaire du 25 au 28 août 1918
Beaucoup de visiteurs et notamment des parents vont se
servir de ces cartes et par exemple vont y positionner
l’emplacement des tombes de leurs proches comme l’a
fait Paul Gilly de Barcelonnette.
Plus de deux cents cartes éditées par le musée sont encore en vente aujourd’hui dans les sites des
collectionneurs (site Delcampe) et font la joie de ceux-ci.
La carte postale du 4e
anniversaire en 1918 où l’on
distingue Maurice Barrès au premier plan.
13
Ces visites du musée de Ménil durent jusqu'au début de la seconde guerre mondiale. En juin 1940, les
Allemands pillent le musée. Mais on ne sait pour quelle raison, ils n’emportent ni le stock de cartes postales
ni les drapeaux11
. La mairie détient encore, dans un petit local, un stock important de ces cartes postales.
Et trois tableaux de photos de portraits de poilus12
envoyés par les familles ornent les murs de cette pièce.
On y trouve aussi les deux fameux cartons d’archive de l’abbé Collé.
Au cours de la guerre, le 18 septembre 1916, l’armée, en récompense de son action, lui décerne une
citation :
« L’abbé Collé curé de Ménil-sur-Belvitte a fourni
aux combats du 27 août 1914 de précieux
renseignements sur l’ennemi ; s’est employé à aller
relever nos blessés sous le feu, à leur donner des
soins dans le presbytère, puis à les défendre avec la
plus grande énergie contre la fureur de l’ennemi,
s’est ensuite consacré avec un inlassable
dévouement à recueillir, à identifier et à inhumer
dans un cimetière les Français tués à Ménil. »
Et le 22 décembre 1917, à l’occasion d’une
cérémonie, sur le front des troupes, la Croix de
guerre lui est remise et bien sûr cette cérémonie est immortalisée par une carte postale spécifique.
Les échanges entre les familles éplorées et l’abbé Collé.
Une relation privilégiée s’établit très tôt entre les familles meurtries et le curé de Ménil-sur-Belvitte par un
échange permanent de courriers, Et les touchantes réponses de l’abbé Collé « père de ses enfants tués à
Ménil » contribuent au devoir de deuil et à l’apaisement indéniable des familles. Dès septembre 1914, quand
les tristes annonces des décès commencent à être connues dans ces garnisons lointaines, de nombreuses
familles découvrant son dévouement lui écrivent d’emblée. En Ubaye, ces échanges ont été la conséquence
d’un premier contact établi par le père Pelissier, curé de Barcelonnette, qui s’est adressé, sans le connaître, à
l’abbé Collé. Conseillé ensuite par l’abbé Pelissier, des familles ubayennes inquiètes ou éplorées écrivent
rapidement au curé de Ménil et lui demandent des nouvelles du père, du frère, du fils ou du fiancé et veulent
savoir si la dépouille chérie a été retrouvée. On lui écrit de partout : de Gap, de Briançon, de Nice, de Lyon,
etc. L’évêque de Gap et l’abbé Collé se connaissent. Et systématiquement, il leur répond aussitôt par de
magnifiques réponses qui ont le don d’atténuer les souffrances des familles. Il était le seul lien entre les
familles et les poilus qui « dorment à Ménil », lieu si lointain que celles-ci ne peuvent s’y rendre. Quand les
parents n’osent ou ne savent écrire, ce sont parfois les enfants, sœurs ou frères qui s’en chargent.
Les familles s’adressent à lui afin de savoir s’il a vu le corps du père, du fils ou du fiancé. Certaines envoient
de l’argent pour célébrer des messes, voire envoient un petit colis de graines au profit du fleurissement des
tombes.
Ainsi du Lauzet, le notaire Camille Combe demande à l’abbé Collé des nouvelles de six enfants du village et
des autres enfants de la vallée :
11
treize drapeaux de ces communes sont toujours en possession de la mairie. Sont manquants ceux de Nice, Briançon et
Mulhouse.
12
dont une photo se trouve à la page précédente.
14
« Depuis le 28 août, plus de quatre-vingts familles que je connais très bien sont sans nouvelles de leurs
fils, frères et parents ». Il termine en se proposant après la guerre d’aller « dans votre région et y saluer en
portant des fleurs des Alpes sur les tombes de mes compatriotes, morts, faisant sacrifice de leur vie pour
l’honneur et l’intégrité de notre patrie. »
La lecture de toutes ces lettres, soigneusement regroupées et reliées dans des livrets (détenus en mairie de
Ménil) est toujours passionnante, voire émouvante. En voici quelques-unes.
Lettre de madame André de Maurin (Haute-Ubaye), du 8 décembre 1914 :
« Monsieur le Curé
Veuillez, je vous prie, m’excuser de la liberté que je prends de vous adresser cette lettre.
Par la présente, je me permets de vous demander, monsieur le curé, tous les renseignements qu’il vous
serait possible de me donner, sur le sort de mon malheureux fils.
Joseph-Antoine André13
, soldat au 157e
régiment d’infanterie, 16e
compagnie, classe 1913, numéro
matricule : 7375 - 65.
Il a, paraît-il, disparu dans un violent combat livré au Ménil, le 28 août, et depuis je suis sans nouvelles
de lui. A-t-il été blessé, tué, ou fait prisonnier ? Des renseignements demandés à différents endroits
n’ont pu me fixer. Aussi, comme on m’a dit que vous vous étiez occupé avec dévouement de
nombreux morts et blessés tombés dans ce combat, je viens humblement vous demander de vouloir
bien me dire si mon malheureux fils n’était pas du nombre.
Faites-moi, monsieur le curé, une réponse, si possible, par retour du courrier. En faisant cela, vous
calmeriez une malheureuse mère, veuve qui pleure son unique soutien.
Veuillez me dire si vous avez connaissance que les Allemands aient fait des prisonniers ce jour-là.
Dans l'attente du plaisir de vous lire, veuillez agréer, monsieur le curé, l'expression de mes
remerciements bien sincères, et l'assurance de ma respectueuse considération.
Votre très obligée Veuve André Marie
La Barge à Maurin par Saint-Paul Basses-Alpes ».
Lettre du 24 décembre 1914 du gendarme en retraite Demaison de Barcelonnette :
« Monsieur le Curé
J’ai recours à votre bienveillance pour obtenir des renseignements sur mon cher fils Demaison
Edouard, maréchal-des-logis au 6e
régiment d’artillerie 27e
batterie (tué à l’ennemi) le 27 août 1914 et
inhumé le jour dit à Saint-Benoît, bois d’Hertemeuche, lisière nord du bois à l’est du sentier
conduisant à Ménil.
D'après les renseignements, monsieur le curé, je vous serais très reconnaissant d'avoir la bonté de faire
tout ce qui dépend de vous pour trouver la tombe provisoire qui a été donnée à mon pauvre fils.
Mon intention irrévocable étant d’aller chercher ses restes et les faire transporter ici à Barcelonnette,
Basses-Alpes, auprès de sa pauvre mère qui repose et que le pauvre petit avait à peine connue.
Il y a dix jours à peine, c'est-à-dire lorsque j'ai appris sa mort, j'ai fait dire une messe pour le repos de
son âme, cela ne me suffit pas, je tiens à avoir son corps ici pour lui faire les funérailles qu'il méritait.
13
Joseph-Antoine André, né le 2 novembre 1893 à Maurin, est tombé le 28 août à Ménil-sur-Belvitte, considéré comme disparu
(jugement du 31 juillet 1917 du tribunal de Barcelonnette), inhumé à Roville.
15
Faites donc, monsieur le curé, tout ce qui est en votre pouvoir, car aussitôt que j'aurai une lettre de
vous, je partirai pour Ménil où je serais très heureux de converser avec vous tout en vous réglant les
dépenses que nous aurons occasionnées concernant les recherches faites pour découvrir la dépouille de
mon cher fils.
Dans l'attente, veuillez agréer, monsieur le curé, avec mes remerciements, l'assurance de mon profond
respect.
Demaison
Gendarme en retraite à Barcelonnette. Basses-Alpes »
Seconde lettre du 25 décembre 1914 :
« Monsieur le Curé
Au reçu de votre lettre, je m'empresse de vous faire parvenir en un mandat-poste la somme de
cinquante francs pour frais d'exhumation et transfert dans votre cimetière la dépouille de mon cher fils
Édouard Demaison, maréchal des Logis au 6e
régiment d'artillerie. Je vous remercie infiniment de
toutes les peines que je vous ai données et vous prie de croire que vous n’aurez pas obligé un ingrat.
Après les hostilités, j’irai vous voir et d’un commun accord nous ferons le nécessaire pour le transfert
des restes de mon cher fils.
En attendant monsieur le curé, recevez avec mes sentiments dévoués, l'hommage de mon profond
respect et de mon entier dévouement.
Demaison
Gendarme en retraite à Barcelonnette. Basses-Alpes
PS : Les lettres que vous avez écrites aux parents éprouvés par la mort de leurs enfants ont été
collectionnées par M. Pellissier, vicaire à Barcelonnette qui en a fait un petit recueil dont je pense
qu’un des susdits vous sera adressé par lui-même.
Encore mille fois, merci.
Demaison »
Dans le dossier des correspondances de la famille Gilly détenu par Mme
Andrau de Barcelonnette, Paul
Gilly, frère d’Albert de Barcelonnette, tombé à Ménil le 28 août 1914, profitant d’une permission début
1917 et voulant se recueillir sur la tombe d’Albert, raconte à ses parents dans une longue lettre sa rencontre
avec l’abbé qui :
« est d’une amabilité parfaite et plus d’une heure bien sûr, nous avons pu causer, ce qui lui a fait
d’autant plus de plaisir que j’étais présent le 28 août. Longuement, nous avons parlé de cette triste
journée et il est au courant de tout. Je n'ai pu le quitter sans signer son carnet de visite, ce qui lui faisait
plaisir. Son musée est superbe et devient musée national, m’a-t-il dit ! « Je l’ai commencé et l’ai
installé le même jour et dans la même chambre où tant de blessés ruisselants de sang et dont beaucoup
ont expiré m’ont été apportés. Balles et obus y sifflaient ». C’est dans cette même chambre qu’il
célèbre la messe en ce moment car avec les divers trophées, elle est transformée en chapelle. Il a reçu
déjà une bonne partie des photographies qu'il a demandée aux parents de nos pauvres défunts et qui
ornent un côté de la pièce. J’y ai aussi vu le petit drapeau que lui a adressé M. Pellissier par le
concours des familles. Quel travail s'est donné et se donne encore ce pauvre homme pour l'entretien de
tant de tombes et quelle reconnaissance doit avoir pour lui les familles ! Tout y est tenu d’une façon
parfaite, bon nombre de tombes qui étaient groupées forment déjà un cimetière rangé de façon
admirable. Quant à celles qui sont isolées, elles sont aussi très bien entretenues et sur toutes, on y voit
quelques fleurs. Une croix surmontée d’un petit drapeau porte le nom, le numéro et celui du régiment
16
dont faisait partie l’homme tué et sur pas mal de tombes déjà se trouve une plaque en bronze sur
laquelle est inscrit : « Honneur et Patrie ». Malheureusement, quelques corps n’ont pu être identifiés, il
pense le faire encore mais en tout cas, ces tombes sont rangées comme les autres et celles-là ne portent
sur la croix que 15-7 et le numéro qui leur a été donné.
Les tombes du 157e
tiennent à peu près toute la place et combien il y en a, aussi ce brave curé ne cesse
de répéter : « Les pauvres enfants ! Pauvre 157 ! Ils sont un peu les miens maintenant et je dois y
veiller. »
Le quartier où nous avons fait
l’attaque en est presque tout recouvert
et c’est presque à l’endroit où ils sont
tombés qu’ils ont été inhumés. J'ai pu
voir par-là que le pauvre Albert, dont
la tombe est isolée, a été touché assez
loin déjà dans la retraite, car elle était
à quelques mètres à peine de l'endroit
où j'avais couché la nuit au bord de la
route avant d'aller à l'attaque et c'est à
peine si dans notre retour précipité, j'y
suis passé à une trentaine de mètres.
Quant à Félix (Chiardola), il a dû
tomber plus tôt car sa tombe est
beaucoup plus en avant : avec lui, se trouvent enterrés Béraud Louis, fermier de Gastinel de l’Adroit,
Fabre Joseph d’Uvernet, Armando de Barcelonnette. Combien j’en ai vu de la vallée ! En tout cas,
tous les corps, me l’a dit M. le curé, sont bien séparés et sur les genoux de chacun qui sont identifiés, il
a mis avant de les recouvrir une bouteille dans laquelle un bout de papier porte le nom du défunt et le
sien.
Je n’ai pu aller voir la tombe du pauvre Antoine Martel car il était déjà tard et l’herbe toute mouillée
ne me permettait pas de circuler librement. J’ai vu la tombe du fils Demaison (mort le 26 août à Saint-
Benoît-la-Chipotte du 6e
régiment d’artillerie à pied) qui est dans le cimetière. Je tâcherai de retourner.
Je porterai un souvenir sur la tombe du pauvre Albert et de celle de Félix.
Le numéro de la tombe du pauvre Albert n’est pas 187 mais 40, celle de Félix, 187. »
Au cours de ce séjour, Paul Gilly visite le musée et achète plusieurs cartes postales. Il accompagne cette
lettre de trois cartes. Sur la carte « Grande tombe du 157e
», l’annotation (photo ci-dessus) offre un intérêt
particulier car il mentionne l’emplacement où l’abbé Collé songe déjà à réaliser un cimetière unique à la fin
du conflit.
Et dans ce dossier, on trouve également trois cartes écrites par l’abbé Collé14
. Ainsi, en réponse d’un
courrier des Gilly d’octobre 1914, courrier accompagné d’une somme d’argent, Alphonse Collé écrit le 30
octobre :
« Cher Monsieur
Au reçu de votre très honorée et de son contenu, je vous donne l’assurance que nos tombes sont très
belles. Dernièrement, je les ai revues toutes et elles ont reçu en plus des arbustes qui les rendent
14
Seuls courriers de la part de l’abbé Collé connus à ce jour en Ubaye.
17
vraiment belles. N’ayez aucun souci à ce sujet. Rien d’étonnant que la plaque ne vous soit pas encore
revenue. Patience, vous l’aurez.
Rien aussi de plus sûr que vous puissiez recueillir les restes glorieux de votre enfant. Le cercueil ne
signifie rien, puisqu’il repose seul et que la tombe est entourée et bien marquée. Si vous voyiez, vous
seriez absolument rassuré. D’ailleurs, je suis là. Grand merci de votre générosité mais vous ne me
devez rien. Ne suis-je pas le père de ces enfants tombés sur ma paroisse et dont la présence me remplit
de fierté ! Nous sommes parents et une amitié inébranlable scellée de leur sang nous enchaîne, n’est-ce
pas.
Je vous redis tous mes sentiments les meilleurs. Prions ensemble !
Votre bienfaiteur ! Alphonse Collé, curé »
Seconde carte du 30 novembre 1914 dans laquelle l’abbé répond une nouvelle fois à la famille :
« Il est bien vrai que Ménil sert de tombeau aux restes d’Albert Gilly, classe 1907, caporal au 157e
. Il a
été reconnu en ma présence le 22 novembre 1914 et sa dépouille que vous retrouverez est marquée
d’une croix portant avec son nom, un signe qui ne s’effacera pas.
C’est un numéro au fil laiton N°187. Je vous demande, chers parents, de me croire à la hauteur de ma
noble mission tenant ici votre place et rendant à vos enfants martyrs tout l’honneur qu’ils méritent.
Vous le saurez plus tard, un musée est déjà fait en leur mémoire et chaque jour au Saint-Sacrifice, je
les recommande à celui qui est mort pour l’humanité, comme est morte pour la plus belle des patries,
la France. Dans votre douleur, Monsieur, relevez la tête, votre nom est glorifié par ce sacrifice.
Je demeure tout dévoué et vous prie de me faire confiance car je signe :
Le pasteur de vos enfants. Alphonse Collé
Enfin la dernière carte du 21 décembre de l’abbé Collé :
« Cher Monsieur
Nos soldats furent inhumés en grande partie par les Allemands qui furent maîtres du territoire 19 jours
durant. On a ouvert les tombes pour identifier, voilà pourquoi on a exhumé les corps et on en a
reconnu beaucoup grâce à la médaille. Il sera toujours possible aux familles de retrouver leurs reliques
et surtout ceux du 157e
que j’ai fait placer séparément.
Albert repose dans la tombe n°187. Ce numéro au fil de fer est fixé sur la croix. Le nom peut subir des
avaries, le numéro ne craint rien. Il se rapporte au registre que je tiens soigneusement.
Il est inutile de songer à exhumer de nouveau pour le moment. J’ai béni la terre qui les garde tous et
leur corps se garde même mieux qu’en un cercueil. Il n’y a aucun frais. Le linge qu’il porte est-il
encore en état médiocre ? Contentez-vous de savoir sûrement où il repose sans crainte d’être
confondu. Je l’ai vu, je l’ai marqué, je vous le garde.
Demaison est au cimetière dans un cercueil. Il y a eu depuis l’interdiction d’exhumer.
Croyez cher Monsieur à ma compassion ainsi qu’à mon plus affectueux dévouement.
A Collé Curé »
Après la guerre, des lettres continuent à être échangées. Cette relation va durer de nombreuses années et en
parcourant les archives de Ménil, on se rend compte de l’intensité et de l’importance de ces courriers, source
évidente de réconfort auprès des familles.
18
Les drapeaux des villes de garnison engagées dans la bataille.
L’hommage à ces héros de Ménil et de la Chipotte morts au champ d’honneur est toujours d’actualité malgré
les duretés de la guerre qui se prolonge, tel est le sens que l’infatigable curé donne à ses actions symboliques
ou commémoratives. En 1915, l’abbé Collé estime que tout n’est pas fait pour se souvenir quotidiennement
de ces enfants. Il s’agit sous forme de décor supplémentaire dans son musée bien avancé de l’enrichir de
drapeaux en provenance des communes touchées par cette bataille. Il écrit (sans doute) à toutes les
communes concernées du Sud-Est et du Centre-Est de la France d’où sont partis ces combattants tués à
Ménil et leur demande l’envoi de drapeaux. La présence permanente de ces drapeaux, c’est en quelque sorte
une garde d’honneur veillant éternellement sur ces « chers enfants ».
En effet, on en a pour preuve l’existence d’un petit drapeau de Barcelonnette de 1916… retrouvé en 2011
dans une commode de la paroisse de Barcelonnette.
En mars 1916, un petit drapeau en drap (photo ci-contre) est
donc confectionné avec ferveur par les jeunes filles du
collège de Barcelonnette, sur lequel elles ont brodées cette
inscription :
«Barcelonnette
àsesHÉROS
deMénil
28août1914».
Il est béni le 23 mars 1916 et l’on peut lire dans le numéro 76
d’avril 1916 du bulletin Le Petit Mois de Sainte-Cécile, le
récit de cette messe :
« Service de nos soldats et bénédictions de drapeaux.
Nous avons un peu orné l’église, avec le concours dévoué de quelques personnes toujours actives. Au
catafalque, d’aspect monumental, nous avons placé, sous un baldaquin, formé de quatre colonnes
reliées par des arceaux une croix rustique enlacée avec le drapeau qui ira à Ménil. Autour du
catafalque, des faisceaux de fusils, comme frontispice, un soleil de baïonnettes, relevé au centre par un
chapelet de lampes électriques aux couleurs françaises. Ce rayonnement de lances et ces armes,
attribut naturel d’un catafalque militaire en formaient la partie la plus appréciée. Merci à
l’administration militaire.
Un cercle de petits drapeaux décorait le sommet des quatre colonnes. Ces drapeaux, petits presque
comme des fleurs, comme un képi de soldat, iront à Ménil monter la garde sur les tombes de nos
héros, y fleurir comme des fleurs de la patrie, se balançant au vent d’été. Il y en a 50.
Le grand drapeau, frangé d’or, porte la broderie esquissée là, à côté. Il est destiné au Musée de la
guerre, organisé par les soins de M. le curé de Ménil, et à assister aux cérémonies religieuses et
patriotiques qui se feront en cette paroisse… »
Acheminé à Ménil en avril 1916 par une délégation ubayenne composée d’élus et de quelques familles, ce
petit drapeau va pouvoir participer à la seconde commémoration de la bataille en août 1916. Il est alors
remplacé par un second drapeau en soie et aux armes de la ville, car en été 1917, nouvelle idée de l’abbé
Collé ! Cette fois-ci, il souhaite, de la part de toutes ces communes ayant des enfants tués au Ménil, détenir
un nouveau drapeau, plus élégant cette fois-ci et si possible en soie et avec les « armes de la cité » brodées.
19
Les communes sollicitées sont celles des
garnisons de la 44e
division d’infanterie
(Gap, Barcelonnette, Briançon, Chambéry
et Nice). Les villes des quatre corps
d’armée (13e
, 14e
, 15e
et du 21e
corps
d’armée, présents sur ce front de la
Mortagn, sont celles du Centre-Est)
sont également sollicitées : Aurillac, Lyon,
Saint-Étienne, Clermont et Ferrand15
,
Montbrison, Roanne, Grenoble, Le Puy-en-
Velay, Dijon. Ces villes meurtries
répondent favorablement à sa demande.
Il contacte également les communes
d’Alsace-Lorraine annexées : Metz,
Colmar, Mulhouse, Strasbourg mais aussi Épinal et Saint-Dié. Dans l’ensemble, ces dernières cités ne
répondent pas, sauf Metz et Mulhouse. Il insiste plusieurs fois auprès de la municipalité d'Épinal, mais son
maire ne répond pas à ses demandes. Or Épinal, pourtant très proche de Ménil, capitale des Vosges, est aussi
la garnison du 149e
RI composé de Spinaliens dont certains sont hélas « Morts pour la France » à Ménil. La
mairie d’Épinal exprime simplement ses regrets de ne pouvoir lui donner satisfaction, la ville, selon la
réponse laconique du maire « ne disposant point de drapeaux à ses armes ». Curieuse attitude ! Faut-il y voir
une des conséquences de l’antagonisme toujours vif entre les autorités civiles et le clergé suite à la
séparation de l’Église et de l’État en 1905 ?
En revanche, à Barcelonnette, l’adhésion est immédiate. Le conseil municipal de la ville s'est réuni le 28
septembre 1917, sous la présidence d'Augustin Pellotier, adjoint au maire qui lit la lettre de l'abbé Collé
datée du 16 septembre 1917 :
« Vous devez savoir tout ce qui se passe en ce Ménil où tant de vos concitoyens sont tombés au champ
d’honneur. Les journaux vous ont déjà renseignés sur le caractère grandiose de la cérémonie du 28
août : certains ont cité parmi les drapeaux des villes : Lyon, Saint-Étienne, etc., celui de Barcelonnette.
Il y était en effet, le petit drapeau confectionné par les petites filles de la ville ; il passait même le
premier et faisait bonne figure auprès des grands frères de Grenoble, Chambéry, le Puy, Saint-
Étienne…
Je viens donc, monsieur le Maire, au nom de mes enfants du 157e
, vous adresser ma requête… (de
vous demander un drapeau officiel en soie et aux armes de la ville. Au cours des cérémonies
patriotiques, je fais incliner ces drapeaux sur nos cimetières militaires et en temps normal, ils montent
avec moi la garde d’honneur au musée de la bataille fondé deux jours après la retraite allemande dans
une des pièces rougies de sang alpin d’une bataille de 19 jours et de 18 nuits. »
Le projet est adopté à l’unanimité par le conseil municipal qui « après délibéré et à l’unanimité adhère avec
empressement à la demande du drapeau faite par M. le curé de Ménil et en confie la confection aux Dames
de la Croix-Rouge de Barcelonnette. »
Début 1918, le nouveau drapeau, entièrement brodé à la main, est terminé. Il est baptisé lors d’une messe
mémorable en l’église de Barcelonnette, le 22 mars 1918, par l’abbé Chabot, curé de la paroisse.
15
En 1917, les deux villes n’étaient pas fusionnées.
20
La municipalité et les familles l’amènent ensuite à
Ménil au cours du mois d’avril 1918. Désirant rendre
compte de cette mémorable arrivée, l’abbé Collé
envoie cette lettre éloquente et émouvante datée du 1er
mai, lettre reproduite intégralement dans le Journal de
Barcelonnette avec cet en-tête curieux « Ménil-la-
bataille » :
« Ménil-la-bataille, le 1er
mai 1918,
Monsieur le Maire,
Le splendide emblème de la ville de Barcelonnette
vient d’arriver au Ménil en excellent port.
S’il m’est permis d’établir une comparaison, je
dirais que, avec celui de Briançon, il attirera plus
particulièrement les regards des pèlerins du champ
de bataille, tant est brillante sa confection. Digne
de vos fiers et incomparables soldats, il est digne aussi de tous ceux qui les admirent et les pleurent là-
bas.
Levez-vous pour un instant, mes chers Alpins des 157e
, 159e
et 6e
d’artillerie, et regardez bien cette
touchante manifestation de foi patriotique et d’inaltérable souvenir !
Ah ! S'ils pouvaient parler encore, je les entendrais se réjouir, aimant répéter : « Mourir pour la Patrie,
c'est véritablement le sort le plus beau puisque c'est cueillir à la fois la palme du martyr, les lauriers de
l'immortalité ». Aux témoins de leurs héroïques combats : à celui qui, remplaçant leurs mères, les a
couchés pieusement dans cette terre imprégnée et parfumée de leur sang généreux ; à celui qui a sauvé
de l’oubli ces noms devenus illustres à jamais et qui garde avec un réel bonheur ces « Christs » tombés
sur leur calvaire, qu’il soit permis encore de parler pour eux.
Monsieur le maire, vous qui représentez si noblement la ville de Barcelonnette, j’incline devant vous
et vos distingués collègues, devant toutes les autorités civiles et religieuses ; devant la Croix-Rouge de
votre ville comme aussi devant tous ceux grands ou petits, riches ou pauvres, qui sous votre impulsion
ont donné au superbe étendard, toute son âme, toute sa parure, j’incline la gloire des héros, de votre
région, tombés sur la terre de Lorraine !
Je sais combien fut émouvante la cérémonie du 22 mars dernier en votre église. C’était la petite patrie
bien unie, bien groupée, autour d’un catafalque, pour le pieux souvenir et le grand exemple. Il était là,
le petit drapeau revenu du front, chargé d’émotions et de souvenirs, et comme un peu noirci par la
poudre ; il était là, « mon grand et splendide drapeau », que les yeux ne quittaient pas et que les cœurs
chargeaient d’interminables baisers tandis que l’archiprêtre lui indiquait sa mission et le sanctifiait !
J’en connais le prix de ce dépôt sacré et je saurai le garder, puis le montrer dans nos cimetières. Il
représentera tous les chers absents en attendant que sonne pour eux avec l’heure de la paix victorieuse,
l’heure du pèlerinage douloureux ; mais toujours dans ses plis « la reconnaissante fierté de la ville de
Barcelonnette à ses enfants morts pour la France ».
Veuillez agréer, monsieur le maire, la nouvelle expression de ma vive gratitude, avec l’assurance de
mon inaltérable et parfait dévouement. »
Dans le livre qu’il fait paraître en 1925, l’abbé Collé consacre un paragraphe à cet épisode des drapeaux
intitulé « Les villes de garnison envoient un drapeau ». À la page 117, il cite un passage d’un courrier du
Le second drapeau de Barcelonnette, confectionné en
1917, retrouvé par la délégation de l’Amicale
Ubayenne des Chasseurs Alpins en 2010.
21
maire de Briançon, Hippolyte Escale (maire de 1910 à 1919), qui annonce qu’il se fait un plaisir de répondre
très favorablement à sa demande d’un drapeau en ces termes :
« Vous me témoignez le désir de recevoir le drapeau de Briançon pour le joindre à ceux dont les plis flottent
déjà sur les tombes de nos héros, et qui constituent un pieux hommage de gratitude pour ceux qui ont barré
la route à l’envahisseur et succombé dans l’accomplissement de cette patriotique tâche.
« Votre devoir répond trop aux sentiments de la population briançonnaise dont je suis tout heureux de me
porter garant, pour que je ne tienne pas à vous donner, dès aujourd’hui, l’assurance que votre demande a été
accueillie de grand cœur.
« je vais donc inviter la population féminine de Briançon à broder un drapeau aux armes de la ville.
Veuillez agréer, etc.
Le maire de Briançon
Deux pages plus loin, on a le plaisir de lire un poème de Jean Brochier écrit le 2 novembre 1918 à Gap :
« Salut au drapeau de Gap
Salut, Drapeau tissé pour des tombes lointaines
De nos héros partis qui ne reviendront pas…
Beaux Alpins, fils des Monts, que les premiers combats
En mil neuf cent quatorze, ont couché dans les plaines !
Confident de nos deuils et de nos saintes haines,
Amasse dans les plis, pour les porter là-bas,
L’amour reconnaissant, les regrets, vains, hélas !
Et toute pitié dont nos âmes sont pleines.
Mais surtout redis-leur, à nos morts glorieux,
La prière dont tous, d’un même élan pieux,
Vieillards, femmes, enfants, égrènent des demandes :
Seigneur, ne perdez pas ceux qui nous ont sauvés !
Paix et pardon sur eux ! A nos martyrs, ouvrez
De votre paradis, les portes toutes grandes !
Les nécropoles de Ménil, de la Chipotte et de Rambervillers.
La guerre terminée, la vie ici reprend ses droits. L’État est confronté à un sérieux problème dans la gestion
des sépultures disséminées le long du front. Des initiatives de toutes sortes provoquées parfois par les
familles sont prises. Un service des sépultures est créé. Des règles strictes sont établies. Il est procédé à un
recensement des cimetières et il est prévu de diminuer leur nombre en les rassemblant dans des lieux choisis
par l’État. Dans cette région des Vosges, tous les cimetières provisoires installés dans les communes
avoisinant le col de la Chipotte : Ménil-sur-Belvitte, Sainte-Barbe, Bazien et Xaffévillers doivent être
regroupées dans trois nécropoles entre 1921 et 1924 : il s’agit de Saint-Benoît-la Chipotte, Rambervillers et
Ménil). Il n’était point question de créer un grand cimetière à Ménil. Ce projet d’installation de ces
nécropoles se heurte immédiatement à la vive hostilité de l’abbé Collé. Des tensions animent les communes
voisines et la préfecture. Qu’à cela ne tienne ! Il alerte tous ses appuis politiques car il s’oppose
Le drapeau de Gap présenté par Mr. Renard,
maire de Ménil en août 2013. Sur ce drapeau
est gravé :
« La ville de Gap
aux Héros du 157e
Régt »
22
vigoureusement au transfert des tombes de son village vers Rambervillers. L’administration prévoyait de
regrouper à Rambervillers tous les soi-disant petits cimetières de Sainte-Barbe, Ménil, Bazien, Xaffévillers.
Finalement, grâce à l’appui de ces élus, la municipalité de Ménil et l’abbé Collé obtiennent gain de cause.
La nécropole est construite en 1926 et regroupe 1 096 combattants français dont 197 sont en ossuaire.
À La Chipotte, à la même date, la nouvelle nécropole accueille 1 899 combattants français dont 893 en
ossuaire. Et enfin à Rambervillers, ce sont 1596 combattants français dont 881 inconnus qui sont rassemblés
en deux ossuaires dans un cimetière au nord-est de la ville, jouxtant le cimetière civil.
Le mémorial à la gloire de l’infanterie alpine.
En 1922, dernière initiative du curé de
Ménil dans ce domaine qu’il chérit tant : le
souvenir et l’hommage aux poilus de la
bataille de la Mortagne. Il souhaite
maintenant élever dans la commune un
mémorial à la gloire de l’infanterie. Avec
des dons, il achète un bout de terrain sur les
hauteurs de Ménil près de l’endroit qu’il
avait montré à Paul Gilly en 1917. Il
sollicite à nouveau les communes : celles
des Vosges et celles lointaines avec qui il a
conservé de chaleureuses relations. Il
n’oublie pas les nouvelles associations
d’anciens combattants qui se créent après la
guerre. Si les petites communes (Fours et
Enchastrayes, par exemple en Ubaye)
donnent entre 25 et 100 francs, les grandes
communes font de même de manière plus importante (entre 1 00016
et 2 000 francs parfois). Les anciens du
15-9 ont donné 475 francs et la ville de Gap 200 francs. Ce mémorial que les Mélinois appellent « La
Jeanne » puisque Jeanne d’Arc dominante veille au sommet de ce monument de granit vient d’être
curieusement appelé le « monument des Ubayens »17
) depuis la parution en novembre 2012 du nouveau
guide Michelin des champs de bataille.
En juillet 2012, dans le numéro 51 de la revue Au bord de la
Mortagne, Marie-Hélène Saint-Dizier publie un article intitulé
« Jeanne d’Arc, figure emblématique de la Grande Guerre » sur
l’influence notoire de Jeanne « patriote exemplaire » dans cette
région vosgienne. Elle apporte de précieux renseignements sur la
composition du monument, achevé en 1927.
Au sommet de ce mémorial : « dressant son épée en forme de croix
(symbole du bras armé de Dieu), l’air déterminé, son regard détaché
est légèrement orienté vers le ciel. Elle porte un casque qui masque
sa chevelure. C’est la réplique de la statue de Jeanne d’Arc de trois
16
1 000 francs de 1922 valent 1117 € en 2015.
17
« du nom des habitants de la vallée de Barcelonnette ayant payé un lourd tribut dans les combats de la Mortagne pour reprendre
le village de Ménil-sur-Belvitte et ayant abouti à la reprise au col de la Chipotte. »
23
mètres de haut, fondue par Charles Pierson et édifiée au sommet du grand pignon de la chapelle de
Vaucouleurs construite entre 1923 et 1926 à l’emplacement de la chapelle primitive construite en 1234 ».
En effet, sur le côté gauche, précise-t-elle : « la Vierge implorante
soutient sur ses genoux le corps d'un soldat mourant, un fantassin
vosgien du 149e
RI d'Épinal (chiffre 149 sur le képi au premier plan)
Fonte - Union artistique de Vaucouleurs. »
De l’autre côté du monument, à droite,
deux magnifiques Alpins coiffés de la
« tarte » partent à l’attaque. Celui de
droite est un alpin du 97e
RI de
Chambéry et celui de gauche porte les
écussons du 157e
RI. Ces statues
choisies par l’abbé Collé sont inspirées des propositions de Charles Pierson (ou
de son fils Albert), Martin Pierson, de l’Union artistique internationale de
Vaucouleurs.
Parallèlement à cette réalisation, poursuivant avec foi son œuvre mémorielle,
Alphonse Collé termine son livre sur « La Bataille de La Mortagne - La
Chipotte - l’occupation - Ménil est ses environs ». Il paraît en 1925 grâce à la Librairie catholique
Emmanuel Vitte. En page de couverture, il met bien en vue sa devise éternelle :
« Oublier ? Jamais ! »
Dans cet ouvrage, l’abbé Collé retrace la période douloureuse « des dix-neuf jours d’apocalypse » de son
village et des alentours en tant que témoin et acteur aux première loges de ces jours fébriles où il est
confronté également à l’occupation éphémère des troupes allemandes. C’est une mine d’or et une source de
renseignements divers, utiles à tout historien. Il rappelle tout ce qu’il a entrepris au fil des années : la
réalisation de son musée, le déroulement des premiers anniversaires, la nécropole, le mémorial. Il cite de
nombreux témoignages, reproduit des courriers d’autorités et parle sans détour de la gestion des dépouilles
abandonnées par l’autorité militaire. Il n’oublie pas pour autant d’évoquer le sacrifice des villages en
énumérant la liste des victimes même si elles ne sont pas tombées à Ménil.
Son livre se termine par une longue liste « Liste des Héros (plus de 4 000) » écrit-il. Ces listes, sans fil
directeur, sont plutôt diverses et les noms des combattants sont énumérés soit par régiment, soit par date et
soit encore par lieux de combat.
In fine, on est étonné, même si ce n’est qu’un détail, à la lecture de cet ouvrage à l’allure parfois brouillonne,
de ne pas comprendre la raison pour laquelle l’abbé Collé n’a fait aucunement allusion au remarquable livret
de poèmes, écrit par Anna de Laumé, poétesse béarnaise, livret intitulé : « Dans les ruines de Mesnil - Le
musée de la bataille » édité en 1919 également par la librairie catholique Emmanuel Vitte18
.
Dans la préface de ce petit ouvrage qui contient dix-huit poèmes, Anna de Laumé raconte que, lors d’une
visite dans la région en août 1919, elle a « visité, erré dans les ruines de Mesnil et médité parmi les débris de
la pauvre église, qui pleure en silence ».
« J’ai passé de longs instants dans le musée de la Bataille, à contempler toutes les reliques pieusement
recueillies par M. le Curé de Mesnil. » Après avoir admiré le musée de la bataille et, après s’être recueillie
18
Cette maison d’éditions a également édité le livre de l’abbé Collé, quelques années plus tard. Anna de Laumé a écrit quelques
pièces de théâtre (Les Héros du Nord) et de nombreux autres poèmes dont l’Allée des Braves à Pau.
24
sur les tombes de la Chipotte et de Ménil, Anna de Laumé a discuté longuement avec l’abbé Collé qui lui a
raconté « les heures sombres et héroïques qu’il a vécues ».
Dans un long poème dont le titre est « Dans Mesnil », elle écrit :
« Mesnil, en deux moitiés, que la Belvitte coupe,
Dont l’une est aux Français, l’autre à l’adverse troupe,
A vu bien des horreurs, et de fameux exploits,
Car, pendant quatre jours, les troupes sont aux prises,
Avançant, reculant, tendant pièges, surprises,
Et Mesnil reste enfin aux mains des Bavarois.
(…)
Avec ses fiers Alpins, le sachant brave Baille !
Il va droit à la mort, héros d’une bataille,
Il tombe avec six cents ! Brave cent cinquante-sept !
Là dorment des milliers de nos obscurs héros,
Premiers sauveurs, trop oubliés dans leur repos ;
Mais l’avenir dira que la Lorraine incarne
Le rempart qui permit l’action de la Marne. »
Et elle termine ce long poème par ces vers :
« Vaillant petit Mesnil, je chante ton histoire,
Tes ruines et tes douleurs !
Je les transforme en douces fleurs
Pour t’offrir un bouquet qui grave ta mémoire.
Petit Mesnil, petit fleuron de la Lorraine,
Dans son diadème orné de croix,
Ta gloire embellira sa couronne de Reine,
Qui ceignit le front de ses rois.
Anna de Laumé
Ménil-sur-Belvitte, 16 août 1919. »
La reconstruction de l’église de Ménil-sur-Belvitte
Dernière œuvre de cet abbé, la reconstruction de l’église en 1929, en ruines dès le 23 août 1914, est
reconstruite. Évidemment, l’abbé Collé est très directif dans sa conception en incitant par ailleurs les
paroissiens à immortaliser le passé glorieux de la cité par la présence de verrières. Le don des familles des
héros du cimetière national de Ménil-sur-Belvitte se traduit par la création artistique de deux vitraux qui
viennent de l’atelier Georges Janin de Nancy.
Sur le premier vitrail de l'église Saint-Maurice de Ménil (photo à droite, page suivante), on peut admirer
Jeanne d'Arc en posture triomphante juste avant l’attaque. Sur le second vitrail (photo à gauche, page
suivante), c’est une vue du mémorial et des tombes de la nécropole tandis qu’au-dessus, des Anges y
déposent des palmes.
25
En même temps, il songe à sa future disparition et
obtient curieusement l’autorisation de
l’Administration de réaliser un caveau. Ce petit
caveau est creusé à gauche de la nef centrale, non
loin de l’autel de la Vierge, et c’est là qu’il souhaite
que son cercueil soit déposé.
En juin 1940, pour la deuxième fois de son
existence, les « Teutons » traversent son village. Le
curé de Ménil vit très mal cette seconde présence
allemande et assiste impuissant au pillage de son
beau musée.
Le dimanche 16 mai 1943, il est en chaire, c’est le
jour de la communion solennelle. Il est victime
d’une attaque devant tous ses fidèles. Ne reprenant
qu’à demi-connaissance, il s’éteint à jamais le
vendredi 21 mai 1943 à 7 h du matin
Comme on est en pleine guerre, les villageois devant être discrets et ne voulant point irriter l’occupant, ils
enterrent simplement l’abbé Alphonse Collé dans le petit cimetière qui jouxte la gauche de l’église.
… Quelques années plus tard, par une nuit brumeuse, quelques fidèles paroissiens décident de transférer les
restes du cercueil à l'intérieur de l'église, exauçant ainsi ses vœux. Pratiquement personne n’était au courant.
Plus tard, dans les années 2000, M. Renard, le maire du village à l’écoute des continuelles rumeurs
d’anciens du village, décidé d’en avoir le cœur net, en compagnie de son premier adjoint, inspecte le sol de
l’église et au bout de quelques instants, découvre sous le tapis de l’harmonium une série de carreaux non
scellés. À l’aide d’un pied de biche, soulevant le premier carreau, ils s’aperçoivent de l’existence d’une
petite cavité puis la présence d’un coffret en bois contenant un squelette. La véracité des dires des anciens
est exacte : sous le plancher de l’église, juste en face du petit autel dédié à la Vierge, dans le petit caveau
découvert, l’abbé Alphonse Collé, l’imposant curé du village repose définitivement en paix dans cette belle
église.
Depuis 1918, la commune de Ménil et les communes avoisinantes célèbrent cette bataille chaque dernier
dimanche d’août, le matin à Ménil, à l’issue de la messe et l’après-midi, à la Chipotte et enfin au cimetière
de Rambervillers.
Le dimanche 25 août 2013, le maire de Ménil, accompagné de Christian Poncelet, président du Conseil
général des Vosges et ancien président du Sénat, en l’église de Ménil, inaugure au-dessus du caveau, une
plaque en l’honneur de cet incroyable curé qu’était l’inoubliable abbé Collé.
Ce coin des Vosges, fidèle à la devise de l’abbé Collé, sans cesse se rappelle que des poilus venus de loin et
notamment de nos montagnes, y sont « Morts pour la France » en défendant ces lopins de terre française.
En 2018, dernière année de la commémoration du centenaire de la guerre de 1914-1918, M. Joël Blary,
maire actuel de Ménil-sur-Belvitte, souhaiterait réunir une délégation de toutes ces villes de France dont les
enfants en 1914 sont « Morts pour la France » à Ménil ou à La Chipotte, communes qui ont toujours leurs
drapeaux à Ménil et qui ne le savent plus.
Puisse ce texte encourager nos compatriotes des Alpes du Sud à ne pas oublier le sacrifice de ces poilus
alpins en répondant massivement par leur présence à la volonté des habitants de ce petit village des Vosges !
26
Sources
 « La Bataille de la Mortagne - La Chipotte - L’occupation - Ménil » et ses environs de l’abbé Alphonse
Collé. Librairie catholique Emmanuel Vitte. 1925.
 « Chroniques de la Grande Guerre » Tome V (1er
juin-24 août 1915) de Maurice Barrès
 « La Lorraine dévastée » de Maurice Barrès Réimpression de l’édition de de 1919.
 Revue le Pays Lorrain N°7 de juillet 1932. Conférence sur « Les combats entre Meurthe et Mortagne » du
lieutenant-colonel Beaugier. Première partie.
 Revue le Pays Lorrain N°8 de juillet 1932. Conférence sur « Les combats entre Meurthe et Mortagne » du
lieutenant-colonel Beaugier. Seconde partie.
 Revue le Pays Lorrain 1973. N°3. « Deux prêtres vosgiens, amis de Maurice Barrés » par Félix
Vazemmes.
 Recueil de poèmes « Dans les Ruines de Mesnil » d’Anna de Laumé. Librairie catholique Emmanuel Vitte.
1919.
 Revue Au Bord de la Mortagne N°51de Juillet 2012. Article de Marie-Hélène Saint-Dizier « Jeanne d’Arc,
figure emblématique de la Grande Guerre ».
 Revue Mémoire des Vosges : N° 29 Année 2014. Article de Marie-Hélène Saint-Dizier « les premiers
monuments du Souvenir entre Meurthe et Mortagne ».

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La bataille de la mortagne en 1914 texte défintif

  • 1. 1 La bataille de la Mortagne en 1914 et l’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte (Vosges) À peine quinze jours après leur départ des Alpes, les Alpins du 157e RI (régiment d’infanterie) de Gap et de la vallée de l’Ubaye et ceux du 159e RI de Briançon vont être confrontés à leur première grande bataille après leur baptême du feu en Alsace : la bataille de la Mortagne. Cette bataille, ainsi appelée par les historiens, rassemble tous les combats de Ménil-sur-Belvitte (Vosges) et du col de la Chipotte qui ont eu lieu entre le 25 août 1914 et le 12 septembre 1914. L’annonce des premiers morts Bas-Alpins et Hauts-Alpins en ce premier mois de guerre va ensuite avoir un retentissement inouï dans nos deux départements alpins tant par l’importance de ces pertes initiales que par l’incroyable action d’un prêtre, l’abbé Alphonse Collé, curé du petit village de Ménil-sur-Belvitte. Il nous paraît important, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, de rappeler les circonstances de ces combats et de décrire ensuite les nombreuses actions de cet omnipotent curé, au cours de la guerre, actions qui vont nettement se prolonger par une constante œuvre mémorielle dans son village après la fin du conflit. La situation militaire sur le front sud de la Lorraine en août 1914. Fin août 1914, après la bataille des frontières, offensive française non couronnée de succès et sanctionnée par les combats de Morhange et de Sarrebourg, les forces allemandes continuent leur pression vers le sud. Le général Moltke, chef d’état-major de l’armée allemande, dans son PC lointain du Luxembourg, était placé en face d’une option capitale. Devait-il, afin de respecter le plan Schlieffen, retirer du front de Lorraine des éléments de le VIe et de la VIIe armées allemandes afin de les transporter le plus rapidement possible à l’aile droite marchant en Belgique ou bien profiter de l’avantage acquis en poursuivant l’avantage entre Nancy et les Vosges avant d’orienter ses forces vers l’ouest. Il se décida à poursuivre le mouvement en avant en vue de la trouée de Charmes et il lance la VIIe armée entre la forêt de Charmes et Rambervillers afin de porter le coup de grâce aux deux armées françaises, opération qui va lui permettre de s’orienter soit vers Toul soit vers la Champagne. À l’ouest de la Mortagne1 , la VIe armée du Kronprinz de Bavière est contenue autour du Grand Couronné et de Nancy par la résistance des troupes du général de Castelnau, commandant la IIe armée. À l’est de la ligne Lunéville-Gerbéviller, la Ire armée du général Dubail s’accroche sur les pans ouest des Vosges et va tenir tête à la VIIe armée allemande. 25 août 1914 : comme prévu, la horde allemande de la VIIe armée allemande du général Von Heeringen se rue en direction de Charmes en dépassant Baccarat et Raon-l’Etape et tente de passer par le col de la Chipotte. De violents combats ont d’abord lieu à Baccarat pour la conquête du pont de Baccarat sur la Meurthe, pont défendu par le 86e RI du Puy-en-Velay et du 38e RI de Saint-Etienne. Ces deux régiments submergés subissent de nombreuses pertes. Les Allemands s’engagent ensuite entre Ménil-sur-Belvitte et le col de la Chipotte. Ils font face au 13e CA (corps d’armée) de Clermont-Ferrand, au 14e CA de Lyon et au 21e CA d’Épinal. Ces trois corps d’armée sont renforcés par la 44e division d’infanterie arrivée en urgence d’Alsace ce même jour et la 2e brigade coloniale de Lyon. 1 Affluent de la Meurthe, passant par Rambervillers, cette rivière de 75 km rejoint la Meurthe en rive gauche à Mont-sur-Meurthe en aval de Lunéville.
  • 2. 2 Les combats de la 44e DI et notamment du 157e RI et du 159e RI. La 44e division d’infanterie, commandée par le général Soyer jusqu’au 24 août puis par le général de Vassart, était chargée initialement de la défense des Alpes face à l’Italie. Le gouvernement d’Antonio Salandra, dès le 2 août, annonce que l’Italie restera neutre et la mission de la 44e DI devenant caduque, la division est mise à la « disposition du général en chef ». Elle est composée des unités suivantes :  La 88e brigade d’infanterie du général Plessier comprenant :  Le 97e régiment d’infanterie de Chambéry commandé par le lieutenant-colonel Roux,  Le 159e régiment d’infanterie de Briançon commandé par le colonel Barbot puis par le colonel Mordacq,  La 89e brigade d’infanterie du général Buchner comprenant :  157e régiment d’infanterie commandé par le colonel Castaing,  163e régiment d’infanterie commandé par le colonel Pelletier de Chambure. Cette division particulièrement puissante puisque tous ces régiments sont à quatre bataillons (au lieu de trois pour les autres régiments inscrits à l’ordre de bataille, soit plus de 4 000 hommes par régiment)2 est d’abord envoyée en Alsace, en renfort de l’offensive sur Mulhouse. Les premiers combats ont lieu les 18 et 19 août à Walheim et Wittersdorf où la division subit son baptême du feu. Le 159e RI est durement touché à Walheim, au sud de Mulhouse et perd plus de 700 hommes. Mais l’offensive en Alsace étant un échec, le général Joffre, face à une nouvelle menace sur les contreforts ouest des Vosges, décide d’y envoyer la 44e DI en renfort. La 44e DI rembarque à Belfort le 21 août. Le 24 août, le 157e RI et le 163e RI débarquent à Saint-Dié et rejoignent Rambervillers à marche forcée le 25 août. Hélas dans la nuit du 23 août, le train transportant1es alpins du 159e RI est heurté par un train de munitions. Des wagons broyés, l’on retire 30 blessés et 79 morts. Le 24 août, le 159e RI et le 97e RI débarquent à Bruyères. Eux aussi se portent dans la région de Rambervillers à pied. Les alentours de la Chipotte étant montagneux et boisés et l’accès malaisé, la pression allemande, plus à l’ouest, vers Ménil-sur-Belvitte et Saint-Benoît devient inévitable. Entre Ménil et la Chipotte, 225 000 Français affrontent environ 300 000 Allemands entre le 23 août et le 12 septembre 1914, en une succession d’attaques ininterrompues et de contre-attaques meurtrières. Des chasseurs alpins, des alpins et des coloniaux appuyés par des artilleurs vont mener de violents combats et doivent tenir coûte que coûte le Col de la Chipotte véritable verrou stratégique fermant la trouée de Charmes En face des troupes françaises, la VIIe armée allemande du colonel-général Von Heeringen est composée du Ier corps du général Xylander, du XIVe corps du général Von Heeringen entre Baccarat et Sainte-Barbe et du XVe corps du général Von Deimling à Raon-l’Etape vers le col de la Chipotte. Pratiquement toutes ces unités proviennent de Strasbourg, Saverne, Haguenau, Metz mais aussi de Wiesbaden et de Sarrebrück. Dès le 25 août, l’avancée allemande oblige les forces françaises à se replier, mais pas question de leur laisser la position capitale du col la Chipotte. En face du 21e CA, les Allemands tiennent les lisières nord de Ménil et sont proches du col de la Chipotte. La 44e DI est à pied d’œuvre au soir du 25 août. Voyons à partir du 25 août les combats du 157e RI et du 159e RI. 2 Par exemple, l’effectif du 157e RI est de 4 441 hommes dont 73 officiers, 264 sous-officiers et 4 104 hommes. À cela, il faut rajouter 117 chevaux de selle ou de trait et 232 mulets.
  • 3. 3 Carte schématique de la région de Ménil-sur-Belvitte Les combats du 157e RI.  25 août. Ce jour-là, à 5 heures du matin, après une longue marche, le 157e RI a enfin atteint le village de Brû au nord de Rambervillers et y cantonne. L’ordre donné pour le 26 août est d’atteindre le village de Ménil-sur-Belvitte, occupé par les Allemands, à partir des lisières du bois d’Hertemeuche.  26 août, démarrant leur mouvement offensif à partir de Brû, le 1er et le 3e bataillon, en première ligne, arrivent au nord du bois. Ils ne peuvent déboucher, l’artillerie allemande arrosant la lisière de projectiles. Ils y restent toute la journée et le soir vers 19 h se replient vers Brû où ces deux bataillons cantonnent. Quant au 4e bataillon, il occupe toute la journée le plateau sud-est d’Anglemont. En ce 26 août, le régiment perd 138 hommes.  Le 27 août, nouvelle attaque avec les 1ers et 4es bataillons. Même ordre que la veille pour le 1er bataillon qui échoue dans cette tentative d’atteindre Ménil et se replie à midi sur le plateau au nord de Brû. Plus à l’ouest, Le 4e bataillon tente de rejoindre Anglemont malgré le feu de l’artillerie allemande et lui aussi est obligé de se replier. À 15 h, ces deux bataillons reçoivent l'ordre de renouveler l’attaque sur Ménil de nuit. Ils atteignent enfin le sud du village, baïonnettes au canon, mais sont stoppés par des tirs d’infanterie3 provenant des maisons. Ils établissent des barricades et s’installent pour la nuit. Le 1er bataillon, en tête, est au contact du village. Le 4e bataillon est légèrement en arrière. Pendant cette attaque, de leur côté et plus à l’est, les deux autres bataillons sont rassemblés à Brû. À onze heures, ils attaquent en direction de Sainte-Barbe à travers bois, atteignent dans un premier temps Saint-Benoît. La lisière de la forêt à l’est de Sainte-Barbe inoccupée est 3 Les Allemands avaient percé les murs des maisons et pouvaient se déplacer plus facilement.
  • 4. 4 atteinte à 14 h 30. Deux compagnies poursuivent vers le nord-ouest mais sont prises à partie par des tirs violents d’artillerie et d’infanterie. À la nuit tombante, les unités sont rassemblées sur la route de Sainte- Barbe à Thiaville. Ces deux bataillons perdent 87 hommes au cours des actions de la journée.  28 août : dès cinq heures du matin, une contre-attaque allemande menée par au moins deux régiments va causer de nombreuses pertes au 15-7 en deux heures à peine entre 6 h et 8 h du matin. À la lecture de l’extrait complet de la page du JMO du 15-74 datée du 28 août, on se rend compte du caractère meurtrier de cette journée : « À cinq heures du matin, les 1ers et 4es bataillons sont attaqués dans Ménil par une contre-attaque allemande. Le 1er bataillon se porte à l’attaque du plateau de Ménil ; la 1re et la 4e compagnie défendent la lisière du village, la 2e et la 3e compagnie occupent sur les arrières de Ménil une position de repli. L’ennemi attaque en force avec un effectif d’environ deux régiments. Les sections de mitrailleuses des bataillons peuvent se mettre en position et ouvrent un feu nourri sur les colonnes ennemies, mais bientôt le 4e bataillon puis le 1er bataillon est obligé de battre en retraite, n'étant pas soutenus par l'arrière. Les 2es et 3es bataillons couvrent leur retraite, mais ils sont obligés à leur tour de se replier à la lisière du bois. La retraite des bataillons s’est opérée sur un glacis d’environ 1 500 à 2 000 mètres sous le feu de l’artillerie allemande. Les bataillons subissent des pertes importantes, en particulier le 4e bataillon. Le lieutenant-colonel Compagnon est blessé, le chef de bataillon Baille est tué, le chef de bataillon Reboul est blessé. Après cette retraite, les bataillons ont été ralliés par le capitaine Béziers et ont rejoint les autres unités du régiment. » Au moins deux régiments attaquent en force les deux bataillons du 157e RI. Les sections de mitrailleuses peuvent se mettre en position et ouvrent un feu nourri sur les colonnes ennemies, mais bientôt le 4e bataillon puis le 1er bataillon est obligé de battre en retraite, n'étant pas soutenus par l'arrière. Le 2e et le 3e bataillon couvrent leur retraite, mais ils sont obligés à leur tour de se replier à la lisière du bois.  29 août, le régiment se réorganise et est en réserve.  30 août : le 1er et le 4e bataillons occupent des tranchées en deuxième ligne sur les hauteurs nord de Rambervillers tandis que le 2e et le 3e bataillon sont en cantonnement d’alerte.  31 août : Peu de changement. Les 2e et 3e bataillons forment la réserve d’une attaque à Grande Rue (2 km à l’est de Brû).  1er septembre : de violents combats par une brigade d’attaque vers la Chipotte en cours se terminent par une retraite obligeant les deux bataillons qui n’étaient qu’en position de réserve à se retrancher entre Saint- Benoît et Sainte-Barbe.  2 septembre : le régiment est relevé par l’infanterie coloniale. Devant l’ampleur des pertes des officiers du 15-7, c’est le capitaine Béziers qui est obligé de prendre provisoirement le commandement du 1er et du 4e bataillon. À partir de cette journée, jusqu’au12 septembre, la situation évolue peu. Le régiment est positionné à l’est de Saint-Benoît et s’oppose à toute pénétration allemande en provenance des bois de la Chipotte. Les combats du 159e RI.  25 août. Le 159e RI a quitté son cantonnement de Bruyères et rejoint à pied le cantonnement de Jeanménil, petit village à l’est de Rambervillers. Dès son arrivée, en arrière et à droite du 97e RI, il doit participer à 4 À cette époque, il était de tradition d’appeler les régiments à trois chiffres ainsi : quinze-sept ou quinze-neuf.
  • 5. 5 l’attaque sur Ménil en direction de Saint-Benoît où il doit avant de pousser des attaques très diluées sur Ménil jeter au passage un élément à Saint-Barbe. Le 3e bataillon est en réserve. En soirée, les bataillons engagés arrivent à peine aux lisières sud du village où ils sont accueillis par des tirs d’infanterie. Le régiment n’insiste pas et le soir, il bivouaque sur des positions en lisière ouest du bois de Sainte-Barbe.  26 août : Le 1er bataillon assure le service d’avant-postes en première ligne dans les bois face à Ménil tandis que le 2e , soumis à des tirs de mitrailleuses, doit finalement se replier vers La Haye (1 km au nord- ouest de Saint-Benoît). Sur les positions de la veille, victime de tirs d’artillerie de 5 h à 16 h, le 3e bataillon se replie. Le 4e bataillon, lui aussi soumis à des tirs d’artillerie, reçoit l’ordre de venir cantonner à Saint- Benoît.  27 août : Une nouvelle tentative sans grand succès est opérée ce jour sous les ordres du colonel Barbot en direction de Sainte-Barbe en liaison à gauche avec le 15-7 et à droite avec deux bataillons du 97e RI. L’artillerie n’étant disponible que vers 16 h 30, l’attaque est reportée Mais en même temps, l’effort allemand sur tout le front est tel que le 15-9 doit se replier au sud de Saint-Benoît de manière confuse où il cantonne tant bien que mal, le régiment subissant de sérieuses pertes.  28 août : Contrairement à ce qui se passe au sein du 15-7, journée calme : les 2e et 3e bataillons sont au repos à Saint-Benoît.  Le 29 août, ce qui reste du régiment doit participer à l’attaque du 21e CA prévue le 1er septembre sur le front Saint-Rémy (5 km à l’est de Saint-Benoît). Le rédacteur du JMO résume dans ces quelques lignes le déroulement de ces journées : « Les journées qui se sont succédées depuis le 25 août ont été dures pour le régiment en permanence aux avant-postes. Les nombreux cadavres épars dans les bois et qui n’ont pu être inhumés commencent à se décomposer et rendent le stationnement pénible. L’eau qu’on ne peut guère trouver qu’à la ferme de la Haie est contaminée. La majeure partie de l’effectif est atteinte de diarrhée ». Les 30 et 31 août, tandis que le 15-7 et le 15-9, en repos, pansent leurs plaies, c’est une attaque générale avec panache des chasseurs de la « brigade bleue »5 : les 1er , 3e , 10e et 31e bataillon de chasseurs à pied, de Saint-Dié qui se déroule dans la zone du dépôt de Merrains (4 km à l’est de Ménil). En vain !  Le 1er septembre, l’attaque vers le Nord, commence à 4 h du matin. L’offensive du 2e bataillon est arrêtée face à un ennemi supérieur, nécessitant le renfort d’un bataillon du 97e RI tandis que le 1er bataillon se heurtait dans les bois à une batterie allemande et s’emparait de quatre pièces, de munitions et d’un matériel téléphonique. Mais une forte colonne ennemie oblige le régiment à se replier vers le Sud au sud-ouest de La Chipotte.  Du 2 au 3 septembre, les positions évoluent peu. Ménil est devenue allemande. Saint-Benoît est tombé, le col de la Chipotte est perdu. Le 15-7 et le 15-9 tentent de se reconstituer. Le 3 septembre, tandis que le 15-7 doit renforcer l’attaque du 5e et 6e colonial sur le col de la Chipotte, le 15-9 a changé de secteur. Il est désormais positionné plus au sud de la Chipotte, autour du col de Barrémont6 devant s’opposer à toute tentative de pénétration en provenance des zones boisées de l’Est. Les positions restent ainsi figées jusqu’au 11 septembre, les Français tenant fermement sur place. Les Allemands doivent alors évacuer de ce front un corps d’armée, devant renforcer leur défensive sur la Marne et se rendent compte qu’ils ne peuvent plus accentuer leur percée vers Charmes. Le général Von Heeringen décide de se retirer au nord de la Meurthe. Cela engage enfin les Français à regagner Raon-l’Etape le 12 septembre. 5 Nom donné aux quatre bataillons de la 86e brigade d’infanterie en garnison à Saint-Dié 6 Quatre kilomètres au sud du col de La Chipotte, sur la route de Rambervillers à Saint-Dié.
  • 6. 6 Le 15-7, combat dans la zone de Celles-sur-Plaine (au nord-est de Baccarat) jusqu’au 23 septembre où il reçoit l’ordre de quitter la zone et de rembarquer à Charmes pour Toul le 25 septembre, faisant désormais partie du XXIe CA qui a comme mission d’empêcher les Allemands venant de prendre Saint-Mihiel, dans la plaine de Woëvre de s’emparer de Toul. Après les combats de Verdun de mars 1916, le régiment revient dans la zone de Celles-sur-Plaine jusqu’en décembre 1916 avant de quitter la France pour l’armée d’Orient. Dans les Vosges, c’est la guerre des tranchées et le régiment va être amené à monter une opération de « type commando » en vue de conquérir l’observatoire allemand au sommet du Pain de Sucre en août 1916. Le 15-9, lui aussi, reste dans les Vosges, du côté de Senones (est du col de la Chipotte) et en octobre 1914, durant la course à la mer, gagne la Picardie et est mis à la disposition de la 77e DI dans la défense d’Arras. Le front de cette partie des Vosges va peu bouger jusqu’en 1918. Seuls quelques actions sporadiques seront menées plus au nord et à l’est de Celles-sur-Plaine par une impressionnante guerre de mines afin de contribuer notamment à la conquête du sommet de La Chapelotte. Le bilan des pertes humaines au niveau des départements alpins. Les pertes de la bataille de la Mortagne sont conséquentes. On dénombre plus de 4 000 morts7 , Au niveau des Hautes-Alpes, sur 3 914 Haut-Alpins dont les noms sont inscrits sur les monuments aux morts, au moins 140 d’entre eux sont « morts pour la France » à Ménil-sur-Belvitte et à la Chipotte. On en dénombre, au moins 74 au 15-7 et 55 au 15-9. Au niveau des Basses-Alpes, sur les 4 422 Bas-Alpins dont les noms sont gravés sur les monuments aux morts du département, 103 Bas-Alpins décèdent durant la bataille de la Mortagne et 64 appartenaient au 157e RI et 29 au 159e RI. On s’aperçoit que les pertes les plus lourdes concernent le 157e RI. On peut d’ailleurs se faire une idée plus précise de de ces pertes en étudiant le JMO (Journal des Marches et des Opérations) du régiment, puisqu’à la fin de chaque journée, l’officier d’état-major responsable de la rédaction de ce JMO, recense à chaque combat, les pertes de la journée. Date Lieu Tués Blessés Disparus Totaux 26 août Hertemeuche 6 83 49 138 27 août Méni-sur-Belvitte 2 8 7 17 27 août Sainte-Barbe 10 70 7 87 28 août Ménil-sur-Belvitte 21 85 598 704 1er sept Saint-Benoît 33 110 22 165 Du 3 au 5 septembre Même zone 14 27 8 49 Du 6 au 9 septembre Même zone 6 14 20 Totaux 92 377 711 1180 Pertes du 157e RI entre le 26 août et le 9 septembre d’après le JMO du régiment. 7 Chiffre indiqué qu’affirme dans le livre, paru 1925, de l’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte.
  • 7. 7 L’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte durant la bataille. Durant ces dix-neuf jours, l’abbé Alphonse Collé, curé du village va suivre cet apocalypse. À l’est, les habitants des autres villages de Sainte- Barbe, de Saint-Benoît-la-Chipotte vivent le même calvaire. L’abbé Collé est aux premières loges de ce conflit qui va transcender son existence. Il assiste avec quelques villageois restés ici, à ces luttes fratricides, dès l’aube du 23 août jusqu’au 12 septembre où enfin les troupes françaises reprennent le territoire conquis par l’adversaire. Né le 23 janvier 1867 à Gugney-aux-Aulx, petit village au sud de Charmes, ordonné prêtre le 8 juin 1895 ; il fait toute sa carrière dans les Vosges. D’abord vicaire à Moyenmoutier durant cinq années puis curé de La Vacheresse-et-la-Rouillie au sud-ouest de Contrexeville en décembre 1900. Ce n’est que le 5 novembre 1908 qu’il devient le curé à Ménil-sur- Belvitte jusqu’à sa mort en 1943. C’est un prélat à la forte personnalité, omniprésent, gardien tutélaire de sa paroisse et bénéficiant d’un entregent qui l’amène à s’entourer de Maurice Barrès ou du député des Vosges Louis Madelin. Dans la préface du livre de l’abbé Collé sur « la Bataille de la Mortagne », Louis Madelin le dépeint ainsi en 1924 : « Quiconque a vu - ne fut-ce qu’une fois - ce prêtre vigoureux, à la figure pleine et énergique, aux yeux de flamme sous les forts sourcils noirs, à la bouche ferme, parfois légèrement ironique, à l’attitude résolue et à la parole prompte, se rend compte du caractère qu’il dut apporter dans des circonstances si critiques, en des heures tragiques. » Un de ses autres admirateurs, étant sous les armes, décrit cet homme hors norme et raconte, sous le pseudonyme de Parroy, dans la revue « Lecture pour tous » d’août 1915, sa visite de ces zones de combat en avril 1915. Il est accompagné de Maurice Barrès et d’Enrique Larreta, ministre de la République argentine en France. Il parcourt la forêt tout autour du col de la Chipotte et raconte : « On se sent, dès le premier regard, dès les premières paroles, en présence d’un homme dominé, possédé par une idée qui s’est emparée de lui tout entier. Cette idée, c’est l’entretien du champ de bataille, le culte de tous les souvenirs qui s’y rattachent. Il s’est donné à cette œuvre corps et âme. Aussitôt qu’il en parle - et il ne consent guère - à parler d’autre chose - une foi débordante, contagieuse, anime son regard et éclaire sa physionomie. » Dès le 23 août, recevant les premiers blessés, l’abbé Collé transforme sa cure en infirmerie. La majeure partie de la population ayant déjà quitté le village, c’est avec quelques vieillards restés sur place qu’il va chercher les blessés et les ramène au presbytère à l’aide d’une brouette. Même des Allemands lui demandent de s’occuper de leurs blessés. Accueillant un officier du 170e régiment d’infanterie bavarois, ce geste va lui faciliter la tâche car le blessé, très bien soigné, devient son interprète et parvient à le défendre face aux critiques des autorités allemandes. Le 28 août 1914, l’abbé Collé vit le calvaire que subit le 4e bataillon du 157e RI dans sa retraite à travers un glacis particulièrement meurtrier vers le Bois d’Hertemeuche. Deux jours auparavant, le 26 août, l’église bombardée prend feu, tout seul, il tente d’éteindre l’incendie en actionnant la pompe du village. Aucun effet ! Alors il se jette dans le brasier pour sauver les objets précieux de l’autel. Sa peine est immense ! Mais il n'a pas le temps de s'apitoyer sur le sort
  • 8. 8 de l'église, car d’autres blessés l’attendent. Il est même obligé d’accueillir plus de 50 blessés tant français qu’allemands dans les granges des alentours Après avoir soigné et réconforté les blessés, il va devoir s’atteler à une noble et pénible tâche, qu'est le recueil des nombreuses dépouilles laissées en plein champ. C’est une tâche inhabituelle pour un prêtre. Il s’agit en fait de pallier à l’incurie des autorités militaires dans le traitement initial des dépouilles des morts. En se retirant, les régiments ont abandonné sur place bon nombre des leurs. Le travail d’identification et d’inhumation sur le champ de bataille. Ce travail inlassable, contrairement à ce que l’on peut penser, ne se termine pas à la fin des combats mais va durer de nombreuses années. On ne peut qu’être étonné par l’imprévoyance du commandement dans ce domaine. Les unités militaires quittant la zone et n’ayant point assumer cette tâche de recueil des cadavres, personne ni aucun organisme, au début du conflit, là ou ailleurs, n’a été désigné pour remplir cette mission. De cette mission non assurée par l’armée française en négligeant de recueillir avec décence tous les corps français, on s’en aperçoit aisément en lisant ce témoignage paru dans le numéro 63 du bulletin paroissial du « Petit Mois de Sainte-Cécile » réalisé durant les 52 mois de guerre par l’abbé Pelissier, curé de Barcelonnette. C’est un extrait d’un courrier d’un de ses fidèles paroissiens, le médecin-major Jean Rebattu de Barcelonnette, qui a passé quinze jours après, au milieu de ce désolant champ de bataille. Ce dernier est médecin au 217e RI et il écrivait souvent au curé de Barcelonnette : « J’ai reçu le dernier bulletin du patronage. J’ai lu avec intérêt les lettres de Bertin Tron. La lettre du curé de Ménil m'a également intéressé, car les combats dans cette région au nord et à l'est de Rambervillers ont duré du 25 ou 26 jusqu'au 12 septembre. C’est le 12 au matin que les six régiments de la 71e division8 avec quelques bataillons de chasseurs ont achevé de repousser les Allemands, qui, ayant appris leur échec sur la Marne, avaient reçu également l’ordre de se replier. Le 12 au matin donc, nous avons traversé le champ de bataille de Ménil et d’Anglemont où pendant 15 jours, on s’était battu sans pouvoir seulement enterrer les morts et, c’est le spectacle le plus navrant que j’aie jamais vu : cadavres à demi-momifiés, horriblement mutilés, chevaux éventrés, débris de fusils, de baïonnettes, vêtements en lambeaux, routes et prés creusés d’immenses trous d’obus. Sur la capote des morts, j’ai bien lu souvent le N° 157. Mais il fallait aller de l’avant ; le soir, nous couchions à Baccarat d’où les Allemands venaient de partir… » C’est pourquoi, les corps de ces morts abandonnés honteusement sur place puis leur souvenir va hanter l’esprit de l’abbé Collé. En pleine bataille, Il continue à ramasser les corps de ces jeunes gens venus de si loin, récupère lettres, plaques d’identité, portefeuilles, objets personnels. À l'aide de quelques paroissiens qui prêtent leurs charrettes et leur bras, les combattants sont enterrés sommairement mais dignement dans quelques cimetières qu’il va être obligé de réaliser à la hâte tout autour du village. Un autre problème surgit : comment les identifier ? Pour certains combattants, leurs papiers ont disparu ou n’existent plus. Avant de les enterrer sur place, une bouteille contenant des précisions sur l’endroit où ils ont été trouvés est attachée au pied des dépouilles. Un numéro leur est affecté, numéro inscrit sur une plaque métallique attachée également sur le corps avec du fil de fer. En outre, des croix sommaires en bois sont confectionnées. Il dirige lui-même ces inhumations avec beaucoup de minutie et ainsi peut renseigner les familles qui s’adressent très tôt à lui. Il sait qu’il doit être en mesure de pouvoir dire à ces familles dans la peine : « Votre fils, votre mari est mort là : c’est moi-même qui l’ai placé dans sa tombe. » 8 dont fait partie le 217e RI
  • 9. 9 Et, au fur et à mesure de l’inhumation des corps, sachant qu’un jour ils seront sûrement ré-inhumés, le curé de Ménil améliore sa technique et attache les plaques numérotées d’identification à l’aide de fil de laiton, plus souple. Devant l’ampleur de la tâche, il se rend compte qu’il doit procéder également à un travail de secrétariat et consciencieusement enregistre le fruit de ses recherches. Plusieurs registres d’identification ou d’inhumations sont remplis, des listes de morts sont ouvertes et mises continuellement à jour. Ces précieux documents ont été heureusement conservés par la commune de Ménil-sur-Belvitte. En 2010, une étude entreprise par l’Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins a permis d’y déceler de nombreuses traces d’Hauts-Alpins ou d’Ubayens. Ainsi dans l’un d’entre eux, intitulé « Carnet de recherches des corps - exhumations - identifications », où le moindre détail est mentionné, sur cet extrait on lit par exemple : En Haut : « 11 octobre à gauche des champs St- Maurice » En dessous : « matr.6974 - souliers - écusson 157e - taille plutôt grand - Chev. très noirs - Corréard Joseph-Frédéric9 - H. Alpes. » Et en travers « à Ménil » et trois mots barrés. Et dans la colonne de gauche : « 464 Soldat du 157 Tombe 251 » Puis le chiffre : « 7954 ». Parfois, l’abbé Collé complète ses écrits par des réflexions personnelles. Dans un des carnets d’identification, l’abbé en colère note au sujet de l’aide fournie en sous- officiers par le commandement que : « C’est toujours la même chose, pagaille ! Sergents de tout acabit aimant beaucoup mieux les « poules » de Baccarat que leur devoir, n’ayant d’ailleurs aucun goût et, malgré toutes mes complaisances, n’ayant à mon endroit que des impolitesses. Je ne sais rien que ce que je veux savoir. Pauvres familles, en quelles mains sont leurs enfants ! » Ces enterrements étant provisoires, il réalise en outre de nombreux schémas de l’emplacement des tombes. Ces travaux l’occupent durant trois années. Souvent, il est aidé par des personnels militaires. Des territoriaux du 92e RIT sont mis à sa disposition ainsi que quelques prisonniers allemands. Mais aussi, des artilleurs du 6e de Valence vont l’aider en automne 1914. Dans ce travail quasi quotidien, trouvant des livrets militaires, fin 1914, deux sacs remplis de ces livrets sont remis à la gendarmerie de Rambervillers. 9 Il s’agit effectivement de Joseph-Frédéric-Gabriel Corréard, né le 20 mars 1863 à Sainte-Marie (Hautes-Alpes), journalier. Il effectuait son service militaire au 157e RI depuis le 28 novembre 1913. Disparu à Ménil-sur-Belvitte, son décès a été fixé au 28 août 1914 par le jugement du tribunal de Gap du 5 avril 1921. Sa famille a envoyé une photo pour qu’elle soit affichée dans le musée. Photo de Corréard provenant du musée de la bataille.
  • 10. 10 En 1915, l’état-major pourtant réticent continue à désigner quelques équipes parmi les unités présentes pour le seconder dans cette pénible tâche. Même en 1916, cette aide est maintenue et le 17 novembre, le général Péquinot, commandant la 6e division de cavalerie met à sa disposition une équipe de six hommes du 39e territorial. D’emblée, ce souci qui va devenir constant de la part du curé de Ménil vis-à-vis de l'inhumation pourtant respectueuse des soldats morts sur le champ de bataille ne plaît pas à tout le monde. Un jour, au début de septembre 1914, tandis qu’il parcourt le champ de bataille près des lignes allemandes, des Bavarois le saisissent, veulent lui bander les yeux afin de le ramener à l’arrière. Il proteste d’une façon si véhémente que les soldats cèdent et le conduisent à leur général qui n’est autre que le prince de Bavière. L’abbé Collé lui dit : « je recueille et je soigne les blessés quels qu’ils soient Français ou Allemands, ils auront tous mes soins ». Finalement bien accueilli par ce prince demeuré courtois, il est remis en liberté et le prince l’encourage à continuer son action. L’abbé Collé est autant loué que décrié pour cette permanente action en faveur des soldats morts dans les combats du massif de la Chipotte. Après le retrait allemand du 12 septembre 1914, il est dénoncé à plusieurs reprises par les autorités civiles françaises locales qui l’accusent de dépouiller les cadavres après les avoir exhumés. Même le maire du village, M. Poignon, en décembre 1914, écrit au préfet des Vosges et lui demande la cessation des activités du curé en ces termes : « … Je me contenterai de mettre fin à tous ces incidents, mais je n'admettrai pas que le curé se permette de faire creuser des fosses à l'avance comme il en existe encore aujourd'hui au cimetière ; sa conduite doit être sévèrement réprimée et son autorité complètement nulle vis-à-vis de l'autorité civile. Si l’Administration préfectorale est en mesure de mettre un frein à son autorité déplacée, vous satisferez, monsieur le Préfet, aux désirs du plus grand nombre des habitants de Ménil-sur-Belvitte. » Après enquête, conscient que cet abbé remplit une noble mission et se rendant compte de la qualité du travail exercé sur le terrain, aucune interdiction n’est envisagée envers l’abbé Collé par le préfet. Il reste actuellement de ces années de travaux d’identification ou d’inhumations réalisés par l’abbé Collé, de nombreux documents provenant de son musée et encore conservés par la mairie de Ménil. Un premier carton contient les nombreuses listes (photo ci-contre), différents cahiers d’identification ainsi que des cahiers de schémas des tombes provisoires. Dans un second carton, on peut étudier tous les courriers des familles (reliés en une vingtaine de livrets) qui interrogent le curé de Ménil sur la disparition d’un des leurs ou bien sur le devenir de leurs proches, mais encore sur l’emplacement et l’aménagement de leurs tombes et surtout sur la manière d’honorer la mémoire de ces combattants. Finalement, au fur et à mesure de l’avancement de ces travaux, aidé de villageois revenus au pays et parfois, aidé de militaires mis à sa disposition, le curé de Ménil se doit de faire creuser des tombes et surtout de les réunir. Ce ne sont plus des fosses communes comme durant la guerre de 1870 mais des tombes individuelles. Elles sont donc rassemblées dans plusieurs cimetières construits à partir de septembre 1914 aux quatre coins du village. En consultant les nombreuses cartes postales du « Musée commémoratif de la bataille », on s’aperçoit de la présence de nombreux cimetières d’importance inégale tout autour de Ménil et de quelques autres du côté du col de la Chipotte. Ceux de Ménil sont : - la grande tombe du 157e et le cimetière du sud-est, embryons de la future nécropole, - le cimetière français de Montplaisir-Anglemont, - le cimetière du bois de la Pêche (Sainte-Barbe),
  • 11. 11 - le grand cimetière du nord-est, à gauche et à droite de la route de Baccarat, - le cimetière de l’entrée sud-ouest de Ménil, - la grande tombe de 18 braves français et d’officiers à côté de l’église de Ménil, - la tombe de 21 Français de la sortie nord-est de Ménil, - le cimetière de la ferme de Copé. Le musée commémoratif de la bataille. Parallèlement à cette œuvre bienfaitrice, dès le 12 septembre 1914, l’abbé Collé crée dans une partie du presbytère, partiellement détruit, le musée10 des combats qui se sont déroulés dans son village qu’il appelle « le Musée commémoratif de la Bataille ». Au plafond d’une des pièces, une carte de la bataille est reproduite. Dans son livre, Alphonse Collé écrit : « Le plafond reproduit très exactement le graphique de la bataille. Dans le rayonnement des points cardinaux, se placent les villes et villages de la région, ainsi que les régiments ou bataillons respectifs. » Sur un des murs, des baïonnettes allemandes et françaises sont exposées ; un peu plus loin, ce sont des tenues bien en vue. Sous l’autel, se dressent des obus français ou allemands non explosés. Ailleurs, on peut voir casques, coiffures, sabres d’officiers, lances de dragons allemands, poignards, revolvers, mines diverses et beaucoup de balles. C’est dans ce musée que vont être rangés les drapeaux que les communes vont lui confier. Plus tard, il fait réaliser de grands tableaux (photo ci-dessous) avec de nombreuses photos de poilus que lui envoient les familles à sa demande, manière d’honorer en permanence le souvenir des défunts. Son musée, qui est aussi un oratoire, surprend. Lisons ce qu’écrit Parroy (pseudonyme d’un admirateur sous les armes) dans Lecture pour tous au sujet de ce musée : « Son église étant pour longtemps hors d’usage, l’abbé Collé a arrangé une petite chapelle dans une chambre du presbytère. C’est le reliquaire de la bataille. Pendant des jours et des nuits, on s’est battu dans ce village et sur les crêtes voisines. Obus, sabres, baïonnettes, fusils, képis, écussons, pattes d'épaule, dont les champs étaient recouverts, le curé de Ménil les a recueillis et disposés ici avec un soin pieux. C’est le musée les plus prodigieux que l’on puisse imaginer. La plupart des képis sont troués par des balles, les baïonnettes tordues par le choc. Les armes allemandes sont mêlées aux armes françaises, les Mauser aux Lebel. Mais plus encore que les armes, ce qu’il s’est attaché à recueillir et à conserver, ce sont les noms, les lettres, les papiers, tous les souvenirs des soldats, des officiers français qui tombèrent ici pour la défense du pays. 10 Sans doute, le premier musée de France dédié à la guerre de 1914-1918.
  • 12. 12 Il en a dressé des listes minutieuses. À force de vivre parmi ces reliques, il parvient à les faire revivre, de sorte que ces morts glorieux ressuscitent et redeviennent presque des vivants… » Conscient que cette initiative peut provoquer des réactions hostile, l’abbé Collé, surpris par la réaction parfois négative de quelques visiteurs, prend heureusement la précaution de rendre compte au général- gouverneur d’Épinal en lui envoyant un rapport d’exécution à transmettre au ministre de la Guerre. Néanmoins, fin mars 1915, il est dénoncé auprès du procureur de la République d’Épinal : « Je viens vous informer que M. le curé de Ménil possède une grande quantité de matériel militaire français et allemand, principalement des armes, des obus qui ne sont pas tirés et qui serviraient si bien pour tuer des Boches, et une collection de bandes de mitrailleuses, etc. Une perquisition serait plus que fructueuse car il possède une chambre pleine de matériel qui ne lui appartient pas. » Le mardi 6 avril 1915, il reçoit effectivement la visite de la police secrète. Leur montrant le rapport envoyé à M. Millerand, ministre de la Guerre, ceux-ci se ravisent et la sévérité des inspecteurs se transforme en admiration. Dans le même temps, autre idée de génie ! Il fait réaliser de nombreuses cartes postales marquées « Collection du Musée Commémoratif de Ménil-sur-Belvitte (Vosges) » et développe ainsi un sens incroyable et plutôt moderne de la communication. Ce sont essentiellement des cartes postales des cimetières provisoires, des cartes de l'église ou du village en partie détruit et des cartes des villages environnants, etc. Sans aucun doute Ménil-sur-Belvitte est le village du front le plus « cartographié » de toute la guerre. Parfois, lui-même se met en situation comme on le voit sur celle- ci, en pleine prière au milieu du champ de bataille (photo ci-dessus) Enfin, toutes les cérémonies font aussi l’objet de cartes postales. Sur celles-ci, on s’attache à mentionner volontairement la qualité des personnes présentes. La première et importante cérémonie du 2 novembre 1914 est immortalisée puis suit la cérémonie du 25 août 1915 (le premier anniversaire de la bataille), celle du 28 août 1917, celle de la remise de la Croix de guerre du 18 décembre 1916 et enfin celle, grandiose du quatrième anniversaire du 25 au 28 août 1918 Beaucoup de visiteurs et notamment des parents vont se servir de ces cartes et par exemple vont y positionner l’emplacement des tombes de leurs proches comme l’a fait Paul Gilly de Barcelonnette. Plus de deux cents cartes éditées par le musée sont encore en vente aujourd’hui dans les sites des collectionneurs (site Delcampe) et font la joie de ceux-ci. La carte postale du 4e anniversaire en 1918 où l’on distingue Maurice Barrès au premier plan.
  • 13. 13 Ces visites du musée de Ménil durent jusqu'au début de la seconde guerre mondiale. En juin 1940, les Allemands pillent le musée. Mais on ne sait pour quelle raison, ils n’emportent ni le stock de cartes postales ni les drapeaux11 . La mairie détient encore, dans un petit local, un stock important de ces cartes postales. Et trois tableaux de photos de portraits de poilus12 envoyés par les familles ornent les murs de cette pièce. On y trouve aussi les deux fameux cartons d’archive de l’abbé Collé. Au cours de la guerre, le 18 septembre 1916, l’armée, en récompense de son action, lui décerne une citation : « L’abbé Collé curé de Ménil-sur-Belvitte a fourni aux combats du 27 août 1914 de précieux renseignements sur l’ennemi ; s’est employé à aller relever nos blessés sous le feu, à leur donner des soins dans le presbytère, puis à les défendre avec la plus grande énergie contre la fureur de l’ennemi, s’est ensuite consacré avec un inlassable dévouement à recueillir, à identifier et à inhumer dans un cimetière les Français tués à Ménil. » Et le 22 décembre 1917, à l’occasion d’une cérémonie, sur le front des troupes, la Croix de guerre lui est remise et bien sûr cette cérémonie est immortalisée par une carte postale spécifique. Les échanges entre les familles éplorées et l’abbé Collé. Une relation privilégiée s’établit très tôt entre les familles meurtries et le curé de Ménil-sur-Belvitte par un échange permanent de courriers, Et les touchantes réponses de l’abbé Collé « père de ses enfants tués à Ménil » contribuent au devoir de deuil et à l’apaisement indéniable des familles. Dès septembre 1914, quand les tristes annonces des décès commencent à être connues dans ces garnisons lointaines, de nombreuses familles découvrant son dévouement lui écrivent d’emblée. En Ubaye, ces échanges ont été la conséquence d’un premier contact établi par le père Pelissier, curé de Barcelonnette, qui s’est adressé, sans le connaître, à l’abbé Collé. Conseillé ensuite par l’abbé Pelissier, des familles ubayennes inquiètes ou éplorées écrivent rapidement au curé de Ménil et lui demandent des nouvelles du père, du frère, du fils ou du fiancé et veulent savoir si la dépouille chérie a été retrouvée. On lui écrit de partout : de Gap, de Briançon, de Nice, de Lyon, etc. L’évêque de Gap et l’abbé Collé se connaissent. Et systématiquement, il leur répond aussitôt par de magnifiques réponses qui ont le don d’atténuer les souffrances des familles. Il était le seul lien entre les familles et les poilus qui « dorment à Ménil », lieu si lointain que celles-ci ne peuvent s’y rendre. Quand les parents n’osent ou ne savent écrire, ce sont parfois les enfants, sœurs ou frères qui s’en chargent. Les familles s’adressent à lui afin de savoir s’il a vu le corps du père, du fils ou du fiancé. Certaines envoient de l’argent pour célébrer des messes, voire envoient un petit colis de graines au profit du fleurissement des tombes. Ainsi du Lauzet, le notaire Camille Combe demande à l’abbé Collé des nouvelles de six enfants du village et des autres enfants de la vallée : 11 treize drapeaux de ces communes sont toujours en possession de la mairie. Sont manquants ceux de Nice, Briançon et Mulhouse. 12 dont une photo se trouve à la page précédente.
  • 14. 14 « Depuis le 28 août, plus de quatre-vingts familles que je connais très bien sont sans nouvelles de leurs fils, frères et parents ». Il termine en se proposant après la guerre d’aller « dans votre région et y saluer en portant des fleurs des Alpes sur les tombes de mes compatriotes, morts, faisant sacrifice de leur vie pour l’honneur et l’intégrité de notre patrie. » La lecture de toutes ces lettres, soigneusement regroupées et reliées dans des livrets (détenus en mairie de Ménil) est toujours passionnante, voire émouvante. En voici quelques-unes. Lettre de madame André de Maurin (Haute-Ubaye), du 8 décembre 1914 : « Monsieur le Curé Veuillez, je vous prie, m’excuser de la liberté que je prends de vous adresser cette lettre. Par la présente, je me permets de vous demander, monsieur le curé, tous les renseignements qu’il vous serait possible de me donner, sur le sort de mon malheureux fils. Joseph-Antoine André13 , soldat au 157e régiment d’infanterie, 16e compagnie, classe 1913, numéro matricule : 7375 - 65. Il a, paraît-il, disparu dans un violent combat livré au Ménil, le 28 août, et depuis je suis sans nouvelles de lui. A-t-il été blessé, tué, ou fait prisonnier ? Des renseignements demandés à différents endroits n’ont pu me fixer. Aussi, comme on m’a dit que vous vous étiez occupé avec dévouement de nombreux morts et blessés tombés dans ce combat, je viens humblement vous demander de vouloir bien me dire si mon malheureux fils n’était pas du nombre. Faites-moi, monsieur le curé, une réponse, si possible, par retour du courrier. En faisant cela, vous calmeriez une malheureuse mère, veuve qui pleure son unique soutien. Veuillez me dire si vous avez connaissance que les Allemands aient fait des prisonniers ce jour-là. Dans l'attente du plaisir de vous lire, veuillez agréer, monsieur le curé, l'expression de mes remerciements bien sincères, et l'assurance de ma respectueuse considération. Votre très obligée Veuve André Marie La Barge à Maurin par Saint-Paul Basses-Alpes ». Lettre du 24 décembre 1914 du gendarme en retraite Demaison de Barcelonnette : « Monsieur le Curé J’ai recours à votre bienveillance pour obtenir des renseignements sur mon cher fils Demaison Edouard, maréchal-des-logis au 6e régiment d’artillerie 27e batterie (tué à l’ennemi) le 27 août 1914 et inhumé le jour dit à Saint-Benoît, bois d’Hertemeuche, lisière nord du bois à l’est du sentier conduisant à Ménil. D'après les renseignements, monsieur le curé, je vous serais très reconnaissant d'avoir la bonté de faire tout ce qui dépend de vous pour trouver la tombe provisoire qui a été donnée à mon pauvre fils. Mon intention irrévocable étant d’aller chercher ses restes et les faire transporter ici à Barcelonnette, Basses-Alpes, auprès de sa pauvre mère qui repose et que le pauvre petit avait à peine connue. Il y a dix jours à peine, c'est-à-dire lorsque j'ai appris sa mort, j'ai fait dire une messe pour le repos de son âme, cela ne me suffit pas, je tiens à avoir son corps ici pour lui faire les funérailles qu'il méritait. 13 Joseph-Antoine André, né le 2 novembre 1893 à Maurin, est tombé le 28 août à Ménil-sur-Belvitte, considéré comme disparu (jugement du 31 juillet 1917 du tribunal de Barcelonnette), inhumé à Roville.
  • 15. 15 Faites donc, monsieur le curé, tout ce qui est en votre pouvoir, car aussitôt que j'aurai une lettre de vous, je partirai pour Ménil où je serais très heureux de converser avec vous tout en vous réglant les dépenses que nous aurons occasionnées concernant les recherches faites pour découvrir la dépouille de mon cher fils. Dans l'attente, veuillez agréer, monsieur le curé, avec mes remerciements, l'assurance de mon profond respect. Demaison Gendarme en retraite à Barcelonnette. Basses-Alpes » Seconde lettre du 25 décembre 1914 : « Monsieur le Curé Au reçu de votre lettre, je m'empresse de vous faire parvenir en un mandat-poste la somme de cinquante francs pour frais d'exhumation et transfert dans votre cimetière la dépouille de mon cher fils Édouard Demaison, maréchal des Logis au 6e régiment d'artillerie. Je vous remercie infiniment de toutes les peines que je vous ai données et vous prie de croire que vous n’aurez pas obligé un ingrat. Après les hostilités, j’irai vous voir et d’un commun accord nous ferons le nécessaire pour le transfert des restes de mon cher fils. En attendant monsieur le curé, recevez avec mes sentiments dévoués, l'hommage de mon profond respect et de mon entier dévouement. Demaison Gendarme en retraite à Barcelonnette. Basses-Alpes PS : Les lettres que vous avez écrites aux parents éprouvés par la mort de leurs enfants ont été collectionnées par M. Pellissier, vicaire à Barcelonnette qui en a fait un petit recueil dont je pense qu’un des susdits vous sera adressé par lui-même. Encore mille fois, merci. Demaison » Dans le dossier des correspondances de la famille Gilly détenu par Mme Andrau de Barcelonnette, Paul Gilly, frère d’Albert de Barcelonnette, tombé à Ménil le 28 août 1914, profitant d’une permission début 1917 et voulant se recueillir sur la tombe d’Albert, raconte à ses parents dans une longue lettre sa rencontre avec l’abbé qui : « est d’une amabilité parfaite et plus d’une heure bien sûr, nous avons pu causer, ce qui lui a fait d’autant plus de plaisir que j’étais présent le 28 août. Longuement, nous avons parlé de cette triste journée et il est au courant de tout. Je n'ai pu le quitter sans signer son carnet de visite, ce qui lui faisait plaisir. Son musée est superbe et devient musée national, m’a-t-il dit ! « Je l’ai commencé et l’ai installé le même jour et dans la même chambre où tant de blessés ruisselants de sang et dont beaucoup ont expiré m’ont été apportés. Balles et obus y sifflaient ». C’est dans cette même chambre qu’il célèbre la messe en ce moment car avec les divers trophées, elle est transformée en chapelle. Il a reçu déjà une bonne partie des photographies qu'il a demandée aux parents de nos pauvres défunts et qui ornent un côté de la pièce. J’y ai aussi vu le petit drapeau que lui a adressé M. Pellissier par le concours des familles. Quel travail s'est donné et se donne encore ce pauvre homme pour l'entretien de tant de tombes et quelle reconnaissance doit avoir pour lui les familles ! Tout y est tenu d’une façon parfaite, bon nombre de tombes qui étaient groupées forment déjà un cimetière rangé de façon admirable. Quant à celles qui sont isolées, elles sont aussi très bien entretenues et sur toutes, on y voit quelques fleurs. Une croix surmontée d’un petit drapeau porte le nom, le numéro et celui du régiment
  • 16. 16 dont faisait partie l’homme tué et sur pas mal de tombes déjà se trouve une plaque en bronze sur laquelle est inscrit : « Honneur et Patrie ». Malheureusement, quelques corps n’ont pu être identifiés, il pense le faire encore mais en tout cas, ces tombes sont rangées comme les autres et celles-là ne portent sur la croix que 15-7 et le numéro qui leur a été donné. Les tombes du 157e tiennent à peu près toute la place et combien il y en a, aussi ce brave curé ne cesse de répéter : « Les pauvres enfants ! Pauvre 157 ! Ils sont un peu les miens maintenant et je dois y veiller. » Le quartier où nous avons fait l’attaque en est presque tout recouvert et c’est presque à l’endroit où ils sont tombés qu’ils ont été inhumés. J'ai pu voir par-là que le pauvre Albert, dont la tombe est isolée, a été touché assez loin déjà dans la retraite, car elle était à quelques mètres à peine de l'endroit où j'avais couché la nuit au bord de la route avant d'aller à l'attaque et c'est à peine si dans notre retour précipité, j'y suis passé à une trentaine de mètres. Quant à Félix (Chiardola), il a dû tomber plus tôt car sa tombe est beaucoup plus en avant : avec lui, se trouvent enterrés Béraud Louis, fermier de Gastinel de l’Adroit, Fabre Joseph d’Uvernet, Armando de Barcelonnette. Combien j’en ai vu de la vallée ! En tout cas, tous les corps, me l’a dit M. le curé, sont bien séparés et sur les genoux de chacun qui sont identifiés, il a mis avant de les recouvrir une bouteille dans laquelle un bout de papier porte le nom du défunt et le sien. Je n’ai pu aller voir la tombe du pauvre Antoine Martel car il était déjà tard et l’herbe toute mouillée ne me permettait pas de circuler librement. J’ai vu la tombe du fils Demaison (mort le 26 août à Saint- Benoît-la-Chipotte du 6e régiment d’artillerie à pied) qui est dans le cimetière. Je tâcherai de retourner. Je porterai un souvenir sur la tombe du pauvre Albert et de celle de Félix. Le numéro de la tombe du pauvre Albert n’est pas 187 mais 40, celle de Félix, 187. » Au cours de ce séjour, Paul Gilly visite le musée et achète plusieurs cartes postales. Il accompagne cette lettre de trois cartes. Sur la carte « Grande tombe du 157e », l’annotation (photo ci-dessus) offre un intérêt particulier car il mentionne l’emplacement où l’abbé Collé songe déjà à réaliser un cimetière unique à la fin du conflit. Et dans ce dossier, on trouve également trois cartes écrites par l’abbé Collé14 . Ainsi, en réponse d’un courrier des Gilly d’octobre 1914, courrier accompagné d’une somme d’argent, Alphonse Collé écrit le 30 octobre : « Cher Monsieur Au reçu de votre très honorée et de son contenu, je vous donne l’assurance que nos tombes sont très belles. Dernièrement, je les ai revues toutes et elles ont reçu en plus des arbustes qui les rendent 14 Seuls courriers de la part de l’abbé Collé connus à ce jour en Ubaye.
  • 17. 17 vraiment belles. N’ayez aucun souci à ce sujet. Rien d’étonnant que la plaque ne vous soit pas encore revenue. Patience, vous l’aurez. Rien aussi de plus sûr que vous puissiez recueillir les restes glorieux de votre enfant. Le cercueil ne signifie rien, puisqu’il repose seul et que la tombe est entourée et bien marquée. Si vous voyiez, vous seriez absolument rassuré. D’ailleurs, je suis là. Grand merci de votre générosité mais vous ne me devez rien. Ne suis-je pas le père de ces enfants tombés sur ma paroisse et dont la présence me remplit de fierté ! Nous sommes parents et une amitié inébranlable scellée de leur sang nous enchaîne, n’est-ce pas. Je vous redis tous mes sentiments les meilleurs. Prions ensemble ! Votre bienfaiteur ! Alphonse Collé, curé » Seconde carte du 30 novembre 1914 dans laquelle l’abbé répond une nouvelle fois à la famille : « Il est bien vrai que Ménil sert de tombeau aux restes d’Albert Gilly, classe 1907, caporal au 157e . Il a été reconnu en ma présence le 22 novembre 1914 et sa dépouille que vous retrouverez est marquée d’une croix portant avec son nom, un signe qui ne s’effacera pas. C’est un numéro au fil laiton N°187. Je vous demande, chers parents, de me croire à la hauteur de ma noble mission tenant ici votre place et rendant à vos enfants martyrs tout l’honneur qu’ils méritent. Vous le saurez plus tard, un musée est déjà fait en leur mémoire et chaque jour au Saint-Sacrifice, je les recommande à celui qui est mort pour l’humanité, comme est morte pour la plus belle des patries, la France. Dans votre douleur, Monsieur, relevez la tête, votre nom est glorifié par ce sacrifice. Je demeure tout dévoué et vous prie de me faire confiance car je signe : Le pasteur de vos enfants. Alphonse Collé Enfin la dernière carte du 21 décembre de l’abbé Collé : « Cher Monsieur Nos soldats furent inhumés en grande partie par les Allemands qui furent maîtres du territoire 19 jours durant. On a ouvert les tombes pour identifier, voilà pourquoi on a exhumé les corps et on en a reconnu beaucoup grâce à la médaille. Il sera toujours possible aux familles de retrouver leurs reliques et surtout ceux du 157e que j’ai fait placer séparément. Albert repose dans la tombe n°187. Ce numéro au fil de fer est fixé sur la croix. Le nom peut subir des avaries, le numéro ne craint rien. Il se rapporte au registre que je tiens soigneusement. Il est inutile de songer à exhumer de nouveau pour le moment. J’ai béni la terre qui les garde tous et leur corps se garde même mieux qu’en un cercueil. Il n’y a aucun frais. Le linge qu’il porte est-il encore en état médiocre ? Contentez-vous de savoir sûrement où il repose sans crainte d’être confondu. Je l’ai vu, je l’ai marqué, je vous le garde. Demaison est au cimetière dans un cercueil. Il y a eu depuis l’interdiction d’exhumer. Croyez cher Monsieur à ma compassion ainsi qu’à mon plus affectueux dévouement. A Collé Curé » Après la guerre, des lettres continuent à être échangées. Cette relation va durer de nombreuses années et en parcourant les archives de Ménil, on se rend compte de l’intensité et de l’importance de ces courriers, source évidente de réconfort auprès des familles.
  • 18. 18 Les drapeaux des villes de garnison engagées dans la bataille. L’hommage à ces héros de Ménil et de la Chipotte morts au champ d’honneur est toujours d’actualité malgré les duretés de la guerre qui se prolonge, tel est le sens que l’infatigable curé donne à ses actions symboliques ou commémoratives. En 1915, l’abbé Collé estime que tout n’est pas fait pour se souvenir quotidiennement de ces enfants. Il s’agit sous forme de décor supplémentaire dans son musée bien avancé de l’enrichir de drapeaux en provenance des communes touchées par cette bataille. Il écrit (sans doute) à toutes les communes concernées du Sud-Est et du Centre-Est de la France d’où sont partis ces combattants tués à Ménil et leur demande l’envoi de drapeaux. La présence permanente de ces drapeaux, c’est en quelque sorte une garde d’honneur veillant éternellement sur ces « chers enfants ». En effet, on en a pour preuve l’existence d’un petit drapeau de Barcelonnette de 1916… retrouvé en 2011 dans une commode de la paroisse de Barcelonnette. En mars 1916, un petit drapeau en drap (photo ci-contre) est donc confectionné avec ferveur par les jeunes filles du collège de Barcelonnette, sur lequel elles ont brodées cette inscription : «Barcelonnette àsesHÉROS deMénil 28août1914». Il est béni le 23 mars 1916 et l’on peut lire dans le numéro 76 d’avril 1916 du bulletin Le Petit Mois de Sainte-Cécile, le récit de cette messe : « Service de nos soldats et bénédictions de drapeaux. Nous avons un peu orné l’église, avec le concours dévoué de quelques personnes toujours actives. Au catafalque, d’aspect monumental, nous avons placé, sous un baldaquin, formé de quatre colonnes reliées par des arceaux une croix rustique enlacée avec le drapeau qui ira à Ménil. Autour du catafalque, des faisceaux de fusils, comme frontispice, un soleil de baïonnettes, relevé au centre par un chapelet de lampes électriques aux couleurs françaises. Ce rayonnement de lances et ces armes, attribut naturel d’un catafalque militaire en formaient la partie la plus appréciée. Merci à l’administration militaire. Un cercle de petits drapeaux décorait le sommet des quatre colonnes. Ces drapeaux, petits presque comme des fleurs, comme un képi de soldat, iront à Ménil monter la garde sur les tombes de nos héros, y fleurir comme des fleurs de la patrie, se balançant au vent d’été. Il y en a 50. Le grand drapeau, frangé d’or, porte la broderie esquissée là, à côté. Il est destiné au Musée de la guerre, organisé par les soins de M. le curé de Ménil, et à assister aux cérémonies religieuses et patriotiques qui se feront en cette paroisse… » Acheminé à Ménil en avril 1916 par une délégation ubayenne composée d’élus et de quelques familles, ce petit drapeau va pouvoir participer à la seconde commémoration de la bataille en août 1916. Il est alors remplacé par un second drapeau en soie et aux armes de la ville, car en été 1917, nouvelle idée de l’abbé Collé ! Cette fois-ci, il souhaite, de la part de toutes ces communes ayant des enfants tués au Ménil, détenir un nouveau drapeau, plus élégant cette fois-ci et si possible en soie et avec les « armes de la cité » brodées.
  • 19. 19 Les communes sollicitées sont celles des garnisons de la 44e division d’infanterie (Gap, Barcelonnette, Briançon, Chambéry et Nice). Les villes des quatre corps d’armée (13e , 14e , 15e et du 21e corps d’armée, présents sur ce front de la Mortagn, sont celles du Centre-Est) sont également sollicitées : Aurillac, Lyon, Saint-Étienne, Clermont et Ferrand15 , Montbrison, Roanne, Grenoble, Le Puy-en- Velay, Dijon. Ces villes meurtries répondent favorablement à sa demande. Il contacte également les communes d’Alsace-Lorraine annexées : Metz, Colmar, Mulhouse, Strasbourg mais aussi Épinal et Saint-Dié. Dans l’ensemble, ces dernières cités ne répondent pas, sauf Metz et Mulhouse. Il insiste plusieurs fois auprès de la municipalité d'Épinal, mais son maire ne répond pas à ses demandes. Or Épinal, pourtant très proche de Ménil, capitale des Vosges, est aussi la garnison du 149e RI composé de Spinaliens dont certains sont hélas « Morts pour la France » à Ménil. La mairie d’Épinal exprime simplement ses regrets de ne pouvoir lui donner satisfaction, la ville, selon la réponse laconique du maire « ne disposant point de drapeaux à ses armes ». Curieuse attitude ! Faut-il y voir une des conséquences de l’antagonisme toujours vif entre les autorités civiles et le clergé suite à la séparation de l’Église et de l’État en 1905 ? En revanche, à Barcelonnette, l’adhésion est immédiate. Le conseil municipal de la ville s'est réuni le 28 septembre 1917, sous la présidence d'Augustin Pellotier, adjoint au maire qui lit la lettre de l'abbé Collé datée du 16 septembre 1917 : « Vous devez savoir tout ce qui se passe en ce Ménil où tant de vos concitoyens sont tombés au champ d’honneur. Les journaux vous ont déjà renseignés sur le caractère grandiose de la cérémonie du 28 août : certains ont cité parmi les drapeaux des villes : Lyon, Saint-Étienne, etc., celui de Barcelonnette. Il y était en effet, le petit drapeau confectionné par les petites filles de la ville ; il passait même le premier et faisait bonne figure auprès des grands frères de Grenoble, Chambéry, le Puy, Saint- Étienne… Je viens donc, monsieur le Maire, au nom de mes enfants du 157e , vous adresser ma requête… (de vous demander un drapeau officiel en soie et aux armes de la ville. Au cours des cérémonies patriotiques, je fais incliner ces drapeaux sur nos cimetières militaires et en temps normal, ils montent avec moi la garde d’honneur au musée de la bataille fondé deux jours après la retraite allemande dans une des pièces rougies de sang alpin d’une bataille de 19 jours et de 18 nuits. » Le projet est adopté à l’unanimité par le conseil municipal qui « après délibéré et à l’unanimité adhère avec empressement à la demande du drapeau faite par M. le curé de Ménil et en confie la confection aux Dames de la Croix-Rouge de Barcelonnette. » Début 1918, le nouveau drapeau, entièrement brodé à la main, est terminé. Il est baptisé lors d’une messe mémorable en l’église de Barcelonnette, le 22 mars 1918, par l’abbé Chabot, curé de la paroisse. 15 En 1917, les deux villes n’étaient pas fusionnées.
  • 20. 20 La municipalité et les familles l’amènent ensuite à Ménil au cours du mois d’avril 1918. Désirant rendre compte de cette mémorable arrivée, l’abbé Collé envoie cette lettre éloquente et émouvante datée du 1er mai, lettre reproduite intégralement dans le Journal de Barcelonnette avec cet en-tête curieux « Ménil-la- bataille » : « Ménil-la-bataille, le 1er mai 1918, Monsieur le Maire, Le splendide emblème de la ville de Barcelonnette vient d’arriver au Ménil en excellent port. S’il m’est permis d’établir une comparaison, je dirais que, avec celui de Briançon, il attirera plus particulièrement les regards des pèlerins du champ de bataille, tant est brillante sa confection. Digne de vos fiers et incomparables soldats, il est digne aussi de tous ceux qui les admirent et les pleurent là- bas. Levez-vous pour un instant, mes chers Alpins des 157e , 159e et 6e d’artillerie, et regardez bien cette touchante manifestation de foi patriotique et d’inaltérable souvenir ! Ah ! S'ils pouvaient parler encore, je les entendrais se réjouir, aimant répéter : « Mourir pour la Patrie, c'est véritablement le sort le plus beau puisque c'est cueillir à la fois la palme du martyr, les lauriers de l'immortalité ». Aux témoins de leurs héroïques combats : à celui qui, remplaçant leurs mères, les a couchés pieusement dans cette terre imprégnée et parfumée de leur sang généreux ; à celui qui a sauvé de l’oubli ces noms devenus illustres à jamais et qui garde avec un réel bonheur ces « Christs » tombés sur leur calvaire, qu’il soit permis encore de parler pour eux. Monsieur le maire, vous qui représentez si noblement la ville de Barcelonnette, j’incline devant vous et vos distingués collègues, devant toutes les autorités civiles et religieuses ; devant la Croix-Rouge de votre ville comme aussi devant tous ceux grands ou petits, riches ou pauvres, qui sous votre impulsion ont donné au superbe étendard, toute son âme, toute sa parure, j’incline la gloire des héros, de votre région, tombés sur la terre de Lorraine ! Je sais combien fut émouvante la cérémonie du 22 mars dernier en votre église. C’était la petite patrie bien unie, bien groupée, autour d’un catafalque, pour le pieux souvenir et le grand exemple. Il était là, le petit drapeau revenu du front, chargé d’émotions et de souvenirs, et comme un peu noirci par la poudre ; il était là, « mon grand et splendide drapeau », que les yeux ne quittaient pas et que les cœurs chargeaient d’interminables baisers tandis que l’archiprêtre lui indiquait sa mission et le sanctifiait ! J’en connais le prix de ce dépôt sacré et je saurai le garder, puis le montrer dans nos cimetières. Il représentera tous les chers absents en attendant que sonne pour eux avec l’heure de la paix victorieuse, l’heure du pèlerinage douloureux ; mais toujours dans ses plis « la reconnaissante fierté de la ville de Barcelonnette à ses enfants morts pour la France ». Veuillez agréer, monsieur le maire, la nouvelle expression de ma vive gratitude, avec l’assurance de mon inaltérable et parfait dévouement. » Dans le livre qu’il fait paraître en 1925, l’abbé Collé consacre un paragraphe à cet épisode des drapeaux intitulé « Les villes de garnison envoient un drapeau ». À la page 117, il cite un passage d’un courrier du Le second drapeau de Barcelonnette, confectionné en 1917, retrouvé par la délégation de l’Amicale Ubayenne des Chasseurs Alpins en 2010.
  • 21. 21 maire de Briançon, Hippolyte Escale (maire de 1910 à 1919), qui annonce qu’il se fait un plaisir de répondre très favorablement à sa demande d’un drapeau en ces termes : « Vous me témoignez le désir de recevoir le drapeau de Briançon pour le joindre à ceux dont les plis flottent déjà sur les tombes de nos héros, et qui constituent un pieux hommage de gratitude pour ceux qui ont barré la route à l’envahisseur et succombé dans l’accomplissement de cette patriotique tâche. « Votre devoir répond trop aux sentiments de la population briançonnaise dont je suis tout heureux de me porter garant, pour que je ne tienne pas à vous donner, dès aujourd’hui, l’assurance que votre demande a été accueillie de grand cœur. « je vais donc inviter la population féminine de Briançon à broder un drapeau aux armes de la ville. Veuillez agréer, etc. Le maire de Briançon Deux pages plus loin, on a le plaisir de lire un poème de Jean Brochier écrit le 2 novembre 1918 à Gap : « Salut au drapeau de Gap Salut, Drapeau tissé pour des tombes lointaines De nos héros partis qui ne reviendront pas… Beaux Alpins, fils des Monts, que les premiers combats En mil neuf cent quatorze, ont couché dans les plaines ! Confident de nos deuils et de nos saintes haines, Amasse dans les plis, pour les porter là-bas, L’amour reconnaissant, les regrets, vains, hélas ! Et toute pitié dont nos âmes sont pleines. Mais surtout redis-leur, à nos morts glorieux, La prière dont tous, d’un même élan pieux, Vieillards, femmes, enfants, égrènent des demandes : Seigneur, ne perdez pas ceux qui nous ont sauvés ! Paix et pardon sur eux ! A nos martyrs, ouvrez De votre paradis, les portes toutes grandes ! Les nécropoles de Ménil, de la Chipotte et de Rambervillers. La guerre terminée, la vie ici reprend ses droits. L’État est confronté à un sérieux problème dans la gestion des sépultures disséminées le long du front. Des initiatives de toutes sortes provoquées parfois par les familles sont prises. Un service des sépultures est créé. Des règles strictes sont établies. Il est procédé à un recensement des cimetières et il est prévu de diminuer leur nombre en les rassemblant dans des lieux choisis par l’État. Dans cette région des Vosges, tous les cimetières provisoires installés dans les communes avoisinant le col de la Chipotte : Ménil-sur-Belvitte, Sainte-Barbe, Bazien et Xaffévillers doivent être regroupées dans trois nécropoles entre 1921 et 1924 : il s’agit de Saint-Benoît-la Chipotte, Rambervillers et Ménil). Il n’était point question de créer un grand cimetière à Ménil. Ce projet d’installation de ces nécropoles se heurte immédiatement à la vive hostilité de l’abbé Collé. Des tensions animent les communes voisines et la préfecture. Qu’à cela ne tienne ! Il alerte tous ses appuis politiques car il s’oppose Le drapeau de Gap présenté par Mr. Renard, maire de Ménil en août 2013. Sur ce drapeau est gravé : « La ville de Gap aux Héros du 157e Régt »
  • 22. 22 vigoureusement au transfert des tombes de son village vers Rambervillers. L’administration prévoyait de regrouper à Rambervillers tous les soi-disant petits cimetières de Sainte-Barbe, Ménil, Bazien, Xaffévillers. Finalement, grâce à l’appui de ces élus, la municipalité de Ménil et l’abbé Collé obtiennent gain de cause. La nécropole est construite en 1926 et regroupe 1 096 combattants français dont 197 sont en ossuaire. À La Chipotte, à la même date, la nouvelle nécropole accueille 1 899 combattants français dont 893 en ossuaire. Et enfin à Rambervillers, ce sont 1596 combattants français dont 881 inconnus qui sont rassemblés en deux ossuaires dans un cimetière au nord-est de la ville, jouxtant le cimetière civil. Le mémorial à la gloire de l’infanterie alpine. En 1922, dernière initiative du curé de Ménil dans ce domaine qu’il chérit tant : le souvenir et l’hommage aux poilus de la bataille de la Mortagne. Il souhaite maintenant élever dans la commune un mémorial à la gloire de l’infanterie. Avec des dons, il achète un bout de terrain sur les hauteurs de Ménil près de l’endroit qu’il avait montré à Paul Gilly en 1917. Il sollicite à nouveau les communes : celles des Vosges et celles lointaines avec qui il a conservé de chaleureuses relations. Il n’oublie pas les nouvelles associations d’anciens combattants qui se créent après la guerre. Si les petites communes (Fours et Enchastrayes, par exemple en Ubaye) donnent entre 25 et 100 francs, les grandes communes font de même de manière plus importante (entre 1 00016 et 2 000 francs parfois). Les anciens du 15-9 ont donné 475 francs et la ville de Gap 200 francs. Ce mémorial que les Mélinois appellent « La Jeanne » puisque Jeanne d’Arc dominante veille au sommet de ce monument de granit vient d’être curieusement appelé le « monument des Ubayens »17 ) depuis la parution en novembre 2012 du nouveau guide Michelin des champs de bataille. En juillet 2012, dans le numéro 51 de la revue Au bord de la Mortagne, Marie-Hélène Saint-Dizier publie un article intitulé « Jeanne d’Arc, figure emblématique de la Grande Guerre » sur l’influence notoire de Jeanne « patriote exemplaire » dans cette région vosgienne. Elle apporte de précieux renseignements sur la composition du monument, achevé en 1927. Au sommet de ce mémorial : « dressant son épée en forme de croix (symbole du bras armé de Dieu), l’air déterminé, son regard détaché est légèrement orienté vers le ciel. Elle porte un casque qui masque sa chevelure. C’est la réplique de la statue de Jeanne d’Arc de trois 16 1 000 francs de 1922 valent 1117 € en 2015. 17 « du nom des habitants de la vallée de Barcelonnette ayant payé un lourd tribut dans les combats de la Mortagne pour reprendre le village de Ménil-sur-Belvitte et ayant abouti à la reprise au col de la Chipotte. »
  • 23. 23 mètres de haut, fondue par Charles Pierson et édifiée au sommet du grand pignon de la chapelle de Vaucouleurs construite entre 1923 et 1926 à l’emplacement de la chapelle primitive construite en 1234 ». En effet, sur le côté gauche, précise-t-elle : « la Vierge implorante soutient sur ses genoux le corps d'un soldat mourant, un fantassin vosgien du 149e RI d'Épinal (chiffre 149 sur le képi au premier plan) Fonte - Union artistique de Vaucouleurs. » De l’autre côté du monument, à droite, deux magnifiques Alpins coiffés de la « tarte » partent à l’attaque. Celui de droite est un alpin du 97e RI de Chambéry et celui de gauche porte les écussons du 157e RI. Ces statues choisies par l’abbé Collé sont inspirées des propositions de Charles Pierson (ou de son fils Albert), Martin Pierson, de l’Union artistique internationale de Vaucouleurs. Parallèlement à cette réalisation, poursuivant avec foi son œuvre mémorielle, Alphonse Collé termine son livre sur « La Bataille de La Mortagne - La Chipotte - l’occupation - Ménil est ses environs ». Il paraît en 1925 grâce à la Librairie catholique Emmanuel Vitte. En page de couverture, il met bien en vue sa devise éternelle : « Oublier ? Jamais ! » Dans cet ouvrage, l’abbé Collé retrace la période douloureuse « des dix-neuf jours d’apocalypse » de son village et des alentours en tant que témoin et acteur aux première loges de ces jours fébriles où il est confronté également à l’occupation éphémère des troupes allemandes. C’est une mine d’or et une source de renseignements divers, utiles à tout historien. Il rappelle tout ce qu’il a entrepris au fil des années : la réalisation de son musée, le déroulement des premiers anniversaires, la nécropole, le mémorial. Il cite de nombreux témoignages, reproduit des courriers d’autorités et parle sans détour de la gestion des dépouilles abandonnées par l’autorité militaire. Il n’oublie pas pour autant d’évoquer le sacrifice des villages en énumérant la liste des victimes même si elles ne sont pas tombées à Ménil. Son livre se termine par une longue liste « Liste des Héros (plus de 4 000) » écrit-il. Ces listes, sans fil directeur, sont plutôt diverses et les noms des combattants sont énumérés soit par régiment, soit par date et soit encore par lieux de combat. In fine, on est étonné, même si ce n’est qu’un détail, à la lecture de cet ouvrage à l’allure parfois brouillonne, de ne pas comprendre la raison pour laquelle l’abbé Collé n’a fait aucunement allusion au remarquable livret de poèmes, écrit par Anna de Laumé, poétesse béarnaise, livret intitulé : « Dans les ruines de Mesnil - Le musée de la bataille » édité en 1919 également par la librairie catholique Emmanuel Vitte18 . Dans la préface de ce petit ouvrage qui contient dix-huit poèmes, Anna de Laumé raconte que, lors d’une visite dans la région en août 1919, elle a « visité, erré dans les ruines de Mesnil et médité parmi les débris de la pauvre église, qui pleure en silence ». « J’ai passé de longs instants dans le musée de la Bataille, à contempler toutes les reliques pieusement recueillies par M. le Curé de Mesnil. » Après avoir admiré le musée de la bataille et, après s’être recueillie 18 Cette maison d’éditions a également édité le livre de l’abbé Collé, quelques années plus tard. Anna de Laumé a écrit quelques pièces de théâtre (Les Héros du Nord) et de nombreux autres poèmes dont l’Allée des Braves à Pau.
  • 24. 24 sur les tombes de la Chipotte et de Ménil, Anna de Laumé a discuté longuement avec l’abbé Collé qui lui a raconté « les heures sombres et héroïques qu’il a vécues ». Dans un long poème dont le titre est « Dans Mesnil », elle écrit : « Mesnil, en deux moitiés, que la Belvitte coupe, Dont l’une est aux Français, l’autre à l’adverse troupe, A vu bien des horreurs, et de fameux exploits, Car, pendant quatre jours, les troupes sont aux prises, Avançant, reculant, tendant pièges, surprises, Et Mesnil reste enfin aux mains des Bavarois. (…) Avec ses fiers Alpins, le sachant brave Baille ! Il va droit à la mort, héros d’une bataille, Il tombe avec six cents ! Brave cent cinquante-sept ! Là dorment des milliers de nos obscurs héros, Premiers sauveurs, trop oubliés dans leur repos ; Mais l’avenir dira que la Lorraine incarne Le rempart qui permit l’action de la Marne. » Et elle termine ce long poème par ces vers : « Vaillant petit Mesnil, je chante ton histoire, Tes ruines et tes douleurs ! Je les transforme en douces fleurs Pour t’offrir un bouquet qui grave ta mémoire. Petit Mesnil, petit fleuron de la Lorraine, Dans son diadème orné de croix, Ta gloire embellira sa couronne de Reine, Qui ceignit le front de ses rois. Anna de Laumé Ménil-sur-Belvitte, 16 août 1919. » La reconstruction de l’église de Ménil-sur-Belvitte Dernière œuvre de cet abbé, la reconstruction de l’église en 1929, en ruines dès le 23 août 1914, est reconstruite. Évidemment, l’abbé Collé est très directif dans sa conception en incitant par ailleurs les paroissiens à immortaliser le passé glorieux de la cité par la présence de verrières. Le don des familles des héros du cimetière national de Ménil-sur-Belvitte se traduit par la création artistique de deux vitraux qui viennent de l’atelier Georges Janin de Nancy. Sur le premier vitrail de l'église Saint-Maurice de Ménil (photo à droite, page suivante), on peut admirer Jeanne d'Arc en posture triomphante juste avant l’attaque. Sur le second vitrail (photo à gauche, page suivante), c’est une vue du mémorial et des tombes de la nécropole tandis qu’au-dessus, des Anges y déposent des palmes.
  • 25. 25 En même temps, il songe à sa future disparition et obtient curieusement l’autorisation de l’Administration de réaliser un caveau. Ce petit caveau est creusé à gauche de la nef centrale, non loin de l’autel de la Vierge, et c’est là qu’il souhaite que son cercueil soit déposé. En juin 1940, pour la deuxième fois de son existence, les « Teutons » traversent son village. Le curé de Ménil vit très mal cette seconde présence allemande et assiste impuissant au pillage de son beau musée. Le dimanche 16 mai 1943, il est en chaire, c’est le jour de la communion solennelle. Il est victime d’une attaque devant tous ses fidèles. Ne reprenant qu’à demi-connaissance, il s’éteint à jamais le vendredi 21 mai 1943 à 7 h du matin Comme on est en pleine guerre, les villageois devant être discrets et ne voulant point irriter l’occupant, ils enterrent simplement l’abbé Alphonse Collé dans le petit cimetière qui jouxte la gauche de l’église. … Quelques années plus tard, par une nuit brumeuse, quelques fidèles paroissiens décident de transférer les restes du cercueil à l'intérieur de l'église, exauçant ainsi ses vœux. Pratiquement personne n’était au courant. Plus tard, dans les années 2000, M. Renard, le maire du village à l’écoute des continuelles rumeurs d’anciens du village, décidé d’en avoir le cœur net, en compagnie de son premier adjoint, inspecte le sol de l’église et au bout de quelques instants, découvre sous le tapis de l’harmonium une série de carreaux non scellés. À l’aide d’un pied de biche, soulevant le premier carreau, ils s’aperçoivent de l’existence d’une petite cavité puis la présence d’un coffret en bois contenant un squelette. La véracité des dires des anciens est exacte : sous le plancher de l’église, juste en face du petit autel dédié à la Vierge, dans le petit caveau découvert, l’abbé Alphonse Collé, l’imposant curé du village repose définitivement en paix dans cette belle église. Depuis 1918, la commune de Ménil et les communes avoisinantes célèbrent cette bataille chaque dernier dimanche d’août, le matin à Ménil, à l’issue de la messe et l’après-midi, à la Chipotte et enfin au cimetière de Rambervillers. Le dimanche 25 août 2013, le maire de Ménil, accompagné de Christian Poncelet, président du Conseil général des Vosges et ancien président du Sénat, en l’église de Ménil, inaugure au-dessus du caveau, une plaque en l’honneur de cet incroyable curé qu’était l’inoubliable abbé Collé. Ce coin des Vosges, fidèle à la devise de l’abbé Collé, sans cesse se rappelle que des poilus venus de loin et notamment de nos montagnes, y sont « Morts pour la France » en défendant ces lopins de terre française. En 2018, dernière année de la commémoration du centenaire de la guerre de 1914-1918, M. Joël Blary, maire actuel de Ménil-sur-Belvitte, souhaiterait réunir une délégation de toutes ces villes de France dont les enfants en 1914 sont « Morts pour la France » à Ménil ou à La Chipotte, communes qui ont toujours leurs drapeaux à Ménil et qui ne le savent plus. Puisse ce texte encourager nos compatriotes des Alpes du Sud à ne pas oublier le sacrifice de ces poilus alpins en répondant massivement par leur présence à la volonté des habitants de ce petit village des Vosges !
  • 26. 26 Sources  « La Bataille de la Mortagne - La Chipotte - L’occupation - Ménil » et ses environs de l’abbé Alphonse Collé. Librairie catholique Emmanuel Vitte. 1925.  « Chroniques de la Grande Guerre » Tome V (1er juin-24 août 1915) de Maurice Barrès  « La Lorraine dévastée » de Maurice Barrès Réimpression de l’édition de de 1919.  Revue le Pays Lorrain N°7 de juillet 1932. Conférence sur « Les combats entre Meurthe et Mortagne » du lieutenant-colonel Beaugier. Première partie.  Revue le Pays Lorrain N°8 de juillet 1932. Conférence sur « Les combats entre Meurthe et Mortagne » du lieutenant-colonel Beaugier. Seconde partie.  Revue le Pays Lorrain 1973. N°3. « Deux prêtres vosgiens, amis de Maurice Barrés » par Félix Vazemmes.  Recueil de poèmes « Dans les Ruines de Mesnil » d’Anna de Laumé. Librairie catholique Emmanuel Vitte. 1919.  Revue Au Bord de la Mortagne N°51de Juillet 2012. Article de Marie-Hélène Saint-Dizier « Jeanne d’Arc, figure emblématique de la Grande Guerre ».  Revue Mémoire des Vosges : N° 29 Année 2014. Article de Marie-Hélène Saint-Dizier « les premiers monuments du Souvenir entre Meurthe et Mortagne ».