Au nom de la transition énergétique, l’Agence française de développement pourrait financer une centrale à charbon dans la province chinoise du Xinjiang, où sévit en outre une répression intense. Ce dossier sensible met à l’épreuve le volontarisme climatique affiché par l’Élysée.
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L'agriculture, le climat et l'énergie - Franche-Comté - 19/01/2021
La France veut aider une centrale à charbon en Chine - 22/11/2017
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La France veut aider une centrale à
charbon en Chine
PAR JADE LINDGAARD
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 23 NOVEMBRE 2017
La centrale à charbon de 660 MW de Tianfu Energy à Shihezi (Sourcewatch)
Au nom de la transition énergétique, l’Agence
française de développement pourrait financer une
centrale à charbon dans la province chinoise du
Xinjiang, où sévit en outre une répression intense.
Ce dossier sensible met à l’épreuve le volontarisme
climatique affiché par l’Élysée.
C’était une belle amorce de discours. Lors de la
COP23, le sommet sur le climat qui vient de s’achever
à Bonn, Emmanuel Macron a décrit l’action pour le
climat en combat contre l’injustice : « Le dérèglement
climatique ajoute de la pauvreté à la pauvreté, ajoute
de l’insécurité à l’insécurité. Il touche en particulier
ceux qui sont déjà les plus fragiles. En cela, c’est bien
l’un des combats majeurs de notre temps. »
Malgré l’affirmation de ces principes vertueux, la
France envisage d’aider une centrale à charbon
en Chine, dans une région soumise à un régime
militaire particulièrement attentatoire aux libertés
individuelles, le Xinjiang.
Mercredi 22 novembre, le Comité des États
étrangers, une instance décisionnaire de l’Agence
française de développement (AFD), principal organe
public d’aide au développement, doit étudier un
dossier sensible : un prêt de 41 millions d’euros au
ministère chinois des finances, destiné à cofinancer
la construction d’un système de cogénération adossé
à une centrale à charbon de 660 mégawatts (MW).
La cogénération est une technique permettant de
récupérer la chaleur émise par la combustion du
charbon, et de la réutiliser pour un autre usage.
Dans ce cas précis, elle doit servir à chauffer une
partie de la ville de Shihezi, au nord du Xinjiang. À
hauteur de 40 %, elle doit aussi alimenter une future
zone industrielle aujourd’hui en construction. Pour
l’AFD, ce projet permettrait d’optimiser l’efficacité
énergétique de la centrale à charbon et, donc,
contribuerait au développement durable de la localité.
La centrale à charbon de 660 MW de Tianfu Energy à Shihezi (Sourcewatch)
Pour Arnaud Dubrac, chef de projet énergie à l’AFD,
joint par Mediapart, « la centrale de cogénération
qui fournit la vapeur nécessaire au projet date de
2014. Le projet financé par l’AFD contribuera à
diminuer les impacts négatifs en termes d’émission de
gaz à effet de serre. Ce dispositif permettra d’arrêter
d’autres centrales vétustes et très polluantes de la
ville et par là même de baisser la consommation
de charbon. Il y a un vrai bénéfice pour la ville
et ses habitants. Le mandat de l’AFD en Chine est
d’accompagner la transition énergétique vers une
diminution de la consommation de charbon. Dans
ce contexte de transition, on ne peut pas éliminer le
charbon du jour au lendemain ».
L’agence estime que le dispositif de cogénération
permettrait d’éviter 329 000 tonnes de CO2 par an.
Ce serait une économie substantielle en gaz à effet
de serre. Mais cela reste une goutte d’eau si l’on
compare à la quantité de gaz carbonique émise par les
deux unités de la centrale de 660 MW – l’équivalent
en puissance de la moitié d’un réacteur nucléaire en
France. Dans le meilleur des cas, une installation
de ce type fonctionnant à pleine capacité, avec des
filtres propres, émet environ 4 million de tonnes de
dioxyde de carbone par an, selon nos estimations. La
cogénération aidée par la France ne supprimerait que
10 % environ des émissions annuelles de la centrale.
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Mais pour un responsable de l’AFD, impliqué dans le
suivi du dossier, « la transition énergétique, ça veut
dire quelque chose. Si on abandonnait le charbon, les
habitants auraient froid. Nous sommes dans une phase
introductive de transition ».
Pourtant, le système de cogénération ne pourrait pas
fonctionner sans la centrale à charbon. Autrement dit,
il la rend indispensable pour plusieurs années, voire
quelques décennies de plus. À terme, au lieu de réduire
le volume de CO2 émis, le dispositif contribuera
au contraire à le maintenir à très haut niveau. Ce
sont autant de particules fines qui viendront polluer
davantage l’air respiré par les habitant·e·s de Shihezi.
Une note juridique interne de l’AFD que Mediapart a
pu lire remarque que la mise en œuvre de ce projet
« reviendrait à pérenniser l’utilisation d’une centrale
à charbon, ce qui pourrait être interprété comme le
financement de ce secteur ».
Emplacement de la ville de Shihezi, en rouge sur cette carte.
Officiellement, il est interdit à l’AFD de financer des
centrales à charbon, à l’exception de celles incluant
un dispositif opérationnel de captage et stockage de
CO2 – aucun système n’a fait ses preuves à ce jour.
L’approvisionnement du réseau de chauffage collectif
de Shihezi est assuré par six centrales au charbon, dont
cinq sont gérées par Xinjiang Tianfu Energy, la société
que la France envisage d’aider.
Difficulté supplémentaire, l’argent du prêt français
doit revenir à cette même société. Dans ces conditions,
l’agence pourra-t-elle concrètement vérifier que
sa contribution finance la cogénération et non
l’exploitation de la centrale ? Il est permis d’en douter,
lorsque l’on connaît les réticences de l’État chinois à
ouvrir aux regards étrangers la comptabilité carbone
de ses industries. Tianfu Energy est une entreprise
stratégique pour l’État chinois, car c’est le principal
acteur public du secteur de l’énergie dans le Xinjiang.
Cette région du nord-ouest de la Chine est devenue
au fil des ans l’un des principaux sites chinois de
production textile et agroalimentaire – notamment de
sauces tomate.
Le Comité des États étrangers, présidé par Laurence
Tubiana, négociatrice en chef de l’Accord de Paris sur
le climat, réunit des représentant·e·s des ministères de
l’économie, des affaires étrangères et de l’intérieur,
ainsi que du personnel de l’agence. Ni ses ordres du
jour, ni ses décisions ne sont rendues publiques. Cela
permet des discussions en toute discrétion. Dans un
récent rapport, l’ONG Oxfam a dénoncé l’opacité
des arbitrages de l’AFD, qui ne publie ni la liste
de tous les projets qu’elle soutient, ni leurs études
d'impact social et environnemental. Sollicitée par
Mediapart, Laurence Tubiana nous a répondu ne pas
pouvoir s’exprimer en raison de la confidentialité des
délibérations de l’agence.
La répression politique contre les Ouïghours
à son plus haut
Ce projet d’aide à la centrale chinoise a fait l’objet
de multiples consultations depuis le printemps 2017.
Mais tou·te·s ne sont pas unanimes au sein de
l’AFD pour le défendre. Le service de contrôle
permanent et conformité de l’agence, qui livre une
expertise juridique, considère qu’il existe un « risque
réputationnel potentiel » à soutenir ce projet.
L’avis Développement durable de l’AFD est quant à
lui « réservé » sur le projet et alerte sur le sort des
minorités ethniques de la région, qui « se heurtent
à de graves restrictions à l’exercice de leurs droits
fondamentaux, à l’accès à l’éducation, à la santé,
aux droits culturels et à la liberté d’expression et
d’information ». Le document insiste sur le fait que
l’AFD « n’est pas en mesure de vérifier si les terres
allouées à ce projet appartiennent à des minorités »,
qui risqueraient en ce cas l’expulsion en raison du
chantier. Il remarque enfin que le projet « ne prend pas
suffisamment en compte les différentes ethnies de cette
zone et pourrait s’adresser presque exclusivement à
la population Han ». La principale minorité de cette
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sur l’ensemble du cycle de vie des infrastructures
concernées, plutôt que sur une seule année. Il n’est
pas raisonnable de se lancer dans des calculs abstraits
pour tenter de montrer en quoi un tel projet contribue
à diminuer les émissions de gaz à effet de serre sur
une année, alors que l’enjeu est de tourner la page du
charbon. Il s’agit en l’occurrence d’un choix de court
terme, qui contribue à ancrer cette méga-centrale à
charbon dans le paysage (et dans l’atmosphère) pour
les décennies à venir ».
Pour Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer
climat et énergie à Oxfam France: « Il est inadmissible
que l'AFD qui s'est engagée en 2013 à cesser tout
soutien financier à des projets charbon investisse
aujourd'hui dans un projet qui va pérenniser
une centrale à charbon. Sous couvert d'augmenter
l'efficacité énergétique de cette centrale, elle va en
fait rendre viable sur le long terme une centrale
polluante. L'AFD doit rejeter ce projet incompatible
avec l'Accord de Paris et les engagements pris par
la France au niveau international. L’AFD doit au
contraire soutenir des projets qui bénéficient aux
populations les plus vulnérables, en accord avec
l’objectif de l’ONU dédié à l’accès à énergie durable.
»
À l’approche du sommet du 12 décembre sur le climat,
organisé à l’initiative d’Emmanuel Macron et dont
l’AFD est l’une des chevilles ouvrières, l’agence a
adopté un nouveau slogan : « 100 % Accord de
Paris ». Pour 350.org, « cette ambition est louable
mais elle ne sera rien d’autre qu’un slogan si elle
ne s’accompagne pas de règles strictes : cesser de
financer toute infrastructure liée au charbon, au gaz
ou au pétrole, pour initier la sénescence programmée
de l’industrie fossile. C’est d’autant plus décevant que
lorsque nous avions rencontré Rémy Rioux, le délégué
général de l'AFD, et son équipe, à Bonn, lors de la
COP23, il avait assuré que l’AFD avait des “principes
très clairs” en matière climatique et affirmé “ne pas
faire de charbon” ».
Le projet de l’AFD dans le Xinjiang a été
validé en amont par le Quai d’Orsay et Bercy.
L’actuel secrétaire général du ministère des affaires
étrangères, Maurice Gourdault-Montagne, était encore
ambassadeur de Chine lorsqu’il a été consulté. Il
a rendu un avis favorable à l’instruction du projet,
sous réserve du respect de la responsabilité sociale
de l’entreprise. Le prêt que la France envisage de
concéder à la Chine ne bénéficie pas de conditions
préférentielles. Il doit être accordé au taux du marché.
C’est un prêt souverain, donc garanti par l’État, non
concessionnel, qui financerait le projet à hauteur de
49 %, le reste étant autofinancé.
40 millions d’euros, c’est une goutte d’eau par rapport
aux 9,4 milliards d’euros d’activité du groupe, en
2016. Mais le Xinjiang est stratégiquement placé pour
le projet dit de Route de la soie, qui vise à étendre
le rayonnement de la Chine en Asie centrale via,
notamment, des chantiers d’infrastructures. Pour la
division Asie de l’AFD, les conséquences d’un refus
d’intervention seraient à interpréter dans ce contexte.
En tant que délégué général de l’AFD, Rémy Rioux
vient de prendre la présidence de l’IFDC, un club
qui regroupe 23 grandes banques de développement
internationales, dont le plus gros bailleur est la
China Development Bank – un des plus gros acteurs
internationaux du secteur.
L’histoire de ce projet de chauffage urbain au charbon
dans le Xinjiang révèle à quel point l’Agence française
de développement est devenue une actrice de la
diplomatie économique. Cela jette une lumière crue
sur le sommet climat du 12 décembre à Paris, consacré
aux financements de la lutte contre les gaz à effet de
serre. Enfin de l’action climatique, promet l’Élysée.
Mais à quel prix écologique et moral ?
Boite noire
Cet article a été modifié à 12 h 05 le 22 novembre pour
y inclure la réaction d'Oxfam France.
Cet article est le premier d'une série que Mediapart
publiera jusqu'au 12 décembre, date du sommet sur
le climat organisé par l’Élysée à Paris et consacré
aux financements de l'action contre les dérèglements
climatiques. Il est le fruit d'une collaboration avec
l'ONG 350.org, sa campagne « Pas un euro de plus
» et l'Observatoire des multinationales.
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