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Par Olivier GUY, édition du 04/02/2013
A la une
Pendant que le monde se passionne pour le gaz de schiste, et maintenant pour le gaz de houille (lire
cet article de Sophie Fabrégat dans Actu-environnement), l’exploitation des sables bitumineux (en
anglais « tar sands ») peut tranquillement prospérer à l’abri des projecteurs. En Amérique du Nord
cependant, les « tar sands » ré-apparaissent régulièrement à la une des media à cause de la bataille
menée autour de la construction du pipeline Keystone XL qui doit permettre d’augmenter le flux de
pétrole allant du Canada vers les raffineries du Texas. Bloqué par Obama il y a un an, ce projet
pourrait prochainement redevenir d’actualité (bluewin.ch).
Le sujet semble concerner principalement le Canada qui possède la ressource et les Etats-Unis qui
représentent le premier débouché commercial. Selon les estimations, cette source de pétrole dit
« non conventionnel » placerait le Canada en 2 ou 3 ème position mondiale pour les réserves après
l’Arabie Saoudite et le Vénézuela, avec 170 milliards de barils (la production mondiale annuelle de
pétrole est d’environ 30 milliards de barils).
Mais l’impact climatique, lui, est planétaire.
Les sables bitumineux s’apparentent à une boue très épaisse et sont exploités soit dans des mines à
ciel ouvert pour les gisements les moins profonds soit par des forages utilisant des technologies
entièrement spécifiques compte tenu du fait que la matière récupérée n’est pas liquide à l’état
naturel. Pour la rendre utilisable, on doit séparer le bitume des minéraux indésirables. Ce bitume
est ensuite dilué avec des hydrocarbures légers ou transformé en pétrole de synthèse (le
« syncrude ») avant de pouvoir être traité en raffinerie.
Il faut 4 barils d’eau et au minimum l’équivalent énergétique d’un baril de pétrole pour produire 5
barils de syncrude. Pour le pétrole conventionnel, par exemple au Moyen Orient, le rapport est
couramment de 1 à 20. Mauvais bilan carbone donc, comme d’ailleurs celui de la combustion des
carburants issus de cette filière. Autre impact négatif : le raffinage des pétroles lourds provenant
des bitumes produit de grandes quantités de « petcoke » (coke de pétrole) revendu comme ersatz de
charbon mais dont la combustion est encore plus polluante (ecowatch.org).
Quant aux coûts de production, ils se situent entre 40 et 80 $ le baril alors que dans les meilleurs
gisements traditionnels, on peut descendre sous les 10 $.
Cet extraordinaire portfolio de Garth Lenz, montre à quel point l’environnement du bassin de la
rivière Athabasca, dans la province canadienne de l’Alberta subit les ravages de cette industrie. Les
photos disponibles sur le site de Syncrude Canada, principal exploitant de la région, montrent
évidemment une tout autre réalité faite de nature verdoyante, de technologie amicale et d’êtres
humains joyeux. Même si les cahiers des charges prévoient une remise en état des sites après
massacre, on a des doutes. Mais une chose est sure, ils ont vraiment de très très gros camions et de
1
2. très très grosses pelleteuses (ici en action).
Face aux emplois créés et aux retombées économiques du pipeline Keystone XL, les opposants
mettent en avant plusieurs arguments pour justifier leur volonté d'entraver le développement de ce
qu’ils considèrent comme « le projet le plus destructeur de l’environnement sur Terre ».
En premier lieu, comme le rappelait il y a quelque mois dans une tribune sur le site du New York
Times James Hansen, le climatologue en chef de la NASA, l’expansion de la production de pétrole à
partir des sables bitumineux signifierait « game over » pour le climat. Ensuite, la nature particulière
du produit transporté dans cet oléoduc, le « dilbit » (diluted bitumen), rendrait toute fuite
catastrophique ainsi que l’expliquent les auteurs du livre «The dilbit disaster» en s’appuyant sur un
cas réel (demosgblog.com).
Keystone ou pas, les investissements en pipelines au départ de l’Alberta pourraient totaliser 40
milliards de dollars d’ici à 2017 comme le montre cette carte élaborée par Inside Climate News.
Alors que la Chine fait sentir son impatience de pouvoir accéder à cette ressource ( Alberta Oil), les
autorités canadiennes et provinciales ne seront certainement pas disposées à laisser passer cette
manne même si elles essaient de donner des gages aux environnementalistes (The Globe and Mail).
La leçon de l’histoire, c’est que nous ne sommes pas prêts de manquer de pétrole. Mais il sera de
plus en plus cher et de plus en plus sale.
Economie et Politique
[Greenprint]
C’est le titre d’un livre récemment écrit par deux économistes indiens, sur lequel revient The
Economist. Ils plaident pour une approche renouvelée du débat climatique entre les nations, qui a
prouvé son peu d’efficacité jusqu’à maintenant. En particulier, l’Inde et la Chine devraient prendre
une part de leadership plus importante sur ces questions car elles ont le plus à perdre. Par exemple,
une augmentation de température de 2,5°C ferait baisser les rendements agricoles de 6% aux Etats-
Unis mais de 38% en Inde. D’autre part, l’endettement des pays riches ne permettra pas de
pérenniser un transfert financier massif de cash vers les pays en développement en échange de leurs
efforts de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.
Il faut donc moins d'affrontement et une logique de coopération fondée sur l'acceptation des réalités
économiques. Les auteurs résument leur pensée en vidéo sur le site du Center for Global
Development.
[Peak car]
On entend souvent parler du « peak oil », ce moment presque mythique où la production de pétrole
commencera à décliner inexorablement, mais certains voient arriver le « peak car » : la baisse
continue des ventes de voitures (Yahoo!Finance). Signe avant-coureur aux Etats-Unis : le nombre de
kilomètres parcourus diminue régulièrement depuis 2007 alors que la population augmente
(advisorperspectives.com).
Les constructeurs comptent sur les pays émergents pour prendre le relais, ce qui serait un
cauchemar pour l'environnement, mais là aussi la saturation pourrait venir plus vite que prévu. En
cause le prix de l’essence, des assurances, de l’espace de parking mais également l’engorgement
des infrastructures routières. Les Chinois se souviennent du mois d’aout 2010 qui a connu un
embouteillage de 12 jours et 100 kilomètres sur l’autoroute Pékin-Tibet (autoevolution.com).
2
3. Pékin devrait compter 7 millions d’automobiles en 2015.
Science et technologie
[Nucléaire flottant]
La Russie prépare depuis longtemps un modèle de centrale nucléaire flottante. Le premier prototype
baptisé "Akademik Lomonossov" serait en bonne voie (World Nuclear News) après bien des errements
financiers et juridiques depuis 2006 (bellona.org). Il pourrait être opérationnel en 2016 et entrer
rapidement dans une phase de construction industrielle grâce à un accord de coopération avec la
Chine (designbuildsource.com.au).
L'idée n'est pas mauvaise en soi : pouvoir fournir de l'électricité bon marché à des régions cotières
isolées, ou de l'eau désalinisée au Moyen Orient. Mais il serait inquiétant que de tels dispositifs
viennent à se multiplier dans des zones peu controlées ou sécurisées. Lorsque la barge support a été
inaugurée en 2010, Greenpeace avait qualifié le projet de "Tchernobyl flottant en puissance" (The
Telegraph).
[Graphène]
Le graphène a été sélectionné comme l'une des deux premières "FET" (Future and Emerging
Technologies) par la Commission Européenne qui consacrera 1 milliard d'euros à la recherche sur ce
matériau dans les 10 prochaines années (cea.fr). Le graphène est un cristal de carbone bi-
dimensionnel (tous les autres cristaux ont 3 dimensions) et possède des propriétés extraordinaires de
solidité et de conductivité électrique. Il jouera un rôle important dans le développement des
technologies vertes, comme l'explique John Parnell sur rtcc.com .
[STEP]
Chacun sait que le stockage des productions d'énergie intermittentes -éolien,solaire- représente l'un
des défis majeurs de la transition énergétique. Sur le principe connu des STEP (station de transfert
d'énergie par pompage), un consortium mené par des sociétés belges s'apprêterait à lancer un
nouveau concept qui consiste en gros à fait un trou dans la mer, que l'on viderait par pompage grâce
à l'électricité excédentaire des champs d'éoliennes voisins, et que l'on remplirait tout en faisant
tourner des turbines pour produire à nouveau du courant au gré des besoins. Si cela vous parait
nébuleux, voyez les explications sur le blog d'Audrey Garric.
Entreprises
[Sen-Ethanol]
Le projet agricole mené par la société Sen-Ethanol provoque une polémique au Sénégal
(Youphil.com). Vingt-mille hectares ont été attribués à cette société pour cultiver tournesol et
patate douce, dont une partie de la récolte servira à produire de l'énergie et de l'éthanol carburant.
On retrouve dans ce cas d'école plusieurs problématiques liées au développement : société
traditionnelle contre entrepreneuriat, insuffisance du dialogue social dans les pays africains,
concurrence entre agriculture vivrière et agro-carburants... Souleymane Dème, directeur
d’exploitation de Sen-Ethanol défend son projet dans une interview sur lequotidien.sn .
[Bosch]
Bosch a perdu 1 milliard d'euros dans son activité solaire en 2012, sur un chiffre d'affaires de 52
milliards (lesechos.fr). Les 200 salariés français de l'usine de Vénissieux qui assemble des panneaux
3
4. photovoltaïques pourraient donc faire les frais d'un prochain abandon de cette activité par le groupe
allemand. Pourtant, leur carnet de commande s'est bien rempli en début d'année (latribune.fr).
Photo/vidéo de la semaine
Si vous n'en avez pas assez vu avec les photos des carrières de sables bitumineux de Garth Lenz, je
vous propose pour le plaisir de yeux cette image de la centrale à charbon de Belchatow, en Pologne,
la plus grosse d'Europe. Celle de Taïchung (Taïwan) est encore plus puissante mais avec le coucher de
soleil en bord de mer, cela en devient presque poétique. Qu'est ce que vous faites pour les vacances,
cet été ?
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