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TGV magazine	 53TGV magazine	 52
L e c u b e
d e M a r i u s
Installée à Salon-de-Provence depuis 115 ans,
l’entreprise familiale Marius Fabre compte parmi les dernières
savonneries traditionnelles à fabriquer le « vrai » cube
vert selon une méthode datant du XVIIe
siècle. Visite guidée.
lat. :43°31'N
long. :5°26'E
141000hab.
Texte : Marianne Morizot
Photos : Jean-Marc Tassetti pour TGV magazine
r e p o r t a g e
Mondialement connu, le savon de Mar-
seille n’en finit pas d’être copié. Au grand
dam des quatre dernières savonneries
– Marius Fabre, la Savonnerie du Midi, le
SérailetleFeràcheval– quiœuvrentpour
perpétuer ce savoir-faire local qui a acquis
ses lettres de noblesse sous Louis XIV.
À Salon-de-Provence, deux sœurs compli­
ces font de la résistance. Depuis six ans,
JulieetMarieBousquet-Fabresontàlatête
deladernièresavonneriedelaville,quien
compta quinze jusqu’en 1924. Après avoir
choisi des voies différentes, la protection
de l’environnement pour l’une, l’export
pour l’autre, ce duo de trentenaires dyna-
miques s’est naturellement retrouvé dans
l’entreprise familiale. « Nos parents ne
nous ont jamais forcées, c’est l’envie qui
nous a guidées. » Julie, l’aînée, raconte
avec passion : « En 1900, à son retour du
ser­vice militaire, notre arrière-grand-père,
qui avait déjà travaillé dans le savon, a
décidé de créer sa savonnerie. C’était un
visionnaire : il a, par exemple, mis sur pied
un réseau de vente par correspondance et
engagédesreprésentantsquiétaientchar-
gés de distribuer ses savons. »
Désignant du regard l’héritage de son
aïeul – trois gros chaudrons en pierres
réfractaires destinées à conserver la cha-
leur –, Julie poursuit son récit : « Le pro-
cédédecuissonàcielouvertestuniqueau
monde. » Et de lever – en partie – le secret
de la composition du fameux cube vert :
huile d’olive (majoritairement), huile de >
Chaque année, 1 000 tonnes de savon
sont fabriquées dans la savonnerie Marius Fabre. 
TGV magazine	 55TGV magazine	 54 TGV magazine	 55
coprah et huile de palme. D’abord alimen-
tés au feu de bois, au fioul et, aujourd'hui,
au gaz naturel, les chaudrons contiennent
« la cuite » : un mélange d’huiles végétales
et de lessive de soude que l’on porte à
100 °C. Sous l’effet combiné de la chaleur
et de la soude, l’assemblage se transforme
en pâte à savon au terme de dix jours de
cuisson. Un processus scrupuleusement
surveillé par Jean-Pierre Denne, maître
savonnier depuis vingt ans. « Je suis entré
icicommemagasinieretj'aiapprislemétier
sur le terrain », se souvient ce discret Salo-
nais. Reproduisant les mêmes gestes que
ses prédécesseurs, il admet que ce métier
rare requiert beaucoup de patience. « Il
faut rester devant le chaudron pendant
r e p o r t a g e
>
>
En ouvrant
gratuitement les portes
de leur musée – unique
en France – consacré
au savon de Marseille,
Marie (à gauche) et
Julie Bousquet-Fabre
espèrent sensibiliser
petits et grands
à la défense
du mythique cube.
L'authentique savon
de Marseille est
idéal pour la peau et
biodégradable à 98 %.
Pendant l'âge d'or du savon, Salon-de-Provence
compta jusqu'à quinze savonneries.
des heures et le regarder bouillir, on ne
peut pas s’absenter. » Fort de ses années
d’expérience, il est capable en observant
simplement la matière de déterminer son
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le test du palais
Après plusieurs lavages à l’eau salée et à
l’eau pure, débarrassée de toute impureté,
lapâteàsavonestalorsestampillée« extra-
pure ».Ultimevérification :letestincontour-
nable du palais. « On goûte la pâte de sa-
von, explique le maître savonnier. Si elle
pique, il faut encore faire un lavage pour
retirerlesexcédentsdesoude.»S’ensui­vent
deux jours de repos, avant de passer à la
délicate étape de « la coulée de la cuite ».
Encore chaud, le contenu de la cuve est
pompé jusqu’au premier étage, puis ache-
miné par une goulotte en bois – chemisée
en Inox, modernité oblige. Semblable à de
la lave, la pâte verte et visqueuse est alors
couléedansdes« mises » parNicolasBack.
OriginairedeMetz,lesecondmaîtresavon-
nier remplit consciencieusement cha­­que
moule rectangulaire en béton, préala­ble­
ment talqué afin que la matière n’adhè­re
pas. Quarante-huit heures plus tard, em­mi­
tou­flés dans leur polaire, chaussons aux
pieds pour ne pas abîmer le précieux
«ta­­pis»vert,l’étonnantduotracedespoints
de repère à la surface à l’aide d’un compas
d’époque en suivant un plan bien précis.
Unefoislequadrillageréalisédansle savon
TGV magazine	 56
r e p o r t a g e
Après avoir été coupés
par Jean-Pierre Denne,
maître savonnier, les blocs
de savon sont débités
mécaniquement en
barres. Tampon en main,
Laurent Biasini les marque
une à une d'un geste sûr.
durci, place à la coupe. « C’est l’étape la
plus physique. Elle consiste à couper des
blocs de 35 kilos à l’aide d’un couteau relié
à un treuil. J’ai connu l’époque où on les
levait à la main, c’était l’enfer, surtout l'été,
se souvient Jean-Pierre en montrant l’ou-
verture qui permettait de retirer le premier
morceau. Aujourd’hui, c’est une ventouse
mécaniquequifaitletravail. »
Le circuit se poursuit au rez-de-chaussée
avec Laurent Biasini. Depuis quatorze ans,
il manie la coupeuse à retour d’équerre.
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que bloc est retirée en une jolie spirale, qui
sera ensuite recyclée ou vendue. Puis le
cœur de la matière est débité en cubes ou
barres de 2,5 kg. Tamponnés avec convic-
tionàlamainsurdeuxfacesetvendusavec
un fil à couper, ces longs rectangles sont
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sont ensuite stockés sur des canisses en
boisavantderejoindrelasalledemoulage.
Marqué mécaniquement sur les six faces,
puis emballé individuellement, l’authen-
tique savon de Marseille est maintenant
prêt à rejoindre les étagères des magasins
oùilseravenduàcôtédusavonnoir,l’autre
spécialitédelamaisonFabre.
patrimoine vivant
Contrairement à ce dégraissant naturel
breveté, le savon de Marseille ne jouit
d’au­cune protection juridique. C’est pour-
quoi Julie et Marie sont déterminées à
le défendre. « On s’attache à maintenir la
ligne traditionnelle. Par exemple, nous ne
sommes pas présents dans la grande dis-
tribution, ce n’est pas notre philosophie »,
assure Marie. En 2011, les deux sœurs ont
rejoint l’Union des professionnels du savon
de Marseille. Ensemble, ils éditent un logo
garantissant la composition (sans parfum,
colorant ni ajout), les procédés de fabrica-
tion et l’origine géographique (Marseille et
sa région) de leurs produits. À la veille des
115 ans de l’entreprise familiale, labellisée
« patrimoine vivant », leur combat pour
l’obtention de l’IGP (Indication géogra-
phique protégée) n’est pas encore gagné.
« On attend le décret d’application. On
veut que le vrai savon soit protégé pour
queleconsommateuraitunmoyendefaire
la distinction. En effet, au moins 80 % des
savons sont des faux, il faut donc un label
d’État », martèlent-elles d’une seule voix.
« De plus, contrairement à un gel douche
composéà90%d’eau,cequiestuneaber­
rationéconomiqueetécologique,lesavon
deMarseilleestidéalpourlapeauetbiodé-
gradable à 98 % », conclut Marie. Affichant
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  • 1. TGV magazine 53TGV magazine 52 L e c u b e d e M a r i u s Installée à Salon-de-Provence depuis 115 ans, l’entreprise familiale Marius Fabre compte parmi les dernières savonneries traditionnelles à fabriquer le « vrai » cube vert selon une méthode datant du XVIIe siècle. Visite guidée. lat. :43°31'N long. :5°26'E 141000hab. Texte : Marianne Morizot Photos : Jean-Marc Tassetti pour TGV magazine r e p o r t a g e Mondialement connu, le savon de Mar- seille n’en finit pas d’être copié. Au grand dam des quatre dernières savonneries – Marius Fabre, la Savonnerie du Midi, le SérailetleFeràcheval– quiœuvrentpour perpétuer ce savoir-faire local qui a acquis ses lettres de noblesse sous Louis XIV. À Salon-de-Provence, deux sœurs compli­ ces font de la résistance. Depuis six ans, JulieetMarieBousquet-Fabresontàlatête deladernièresavonneriedelaville,quien compta quinze jusqu’en 1924. Après avoir choisi des voies différentes, la protection de l’environnement pour l’une, l’export pour l’autre, ce duo de trentenaires dyna- miques s’est naturellement retrouvé dans l’entreprise familiale. « Nos parents ne nous ont jamais forcées, c’est l’envie qui nous a guidées. » Julie, l’aînée, raconte avec passion : « En 1900, à son retour du ser­vice militaire, notre arrière-grand-père, qui avait déjà travaillé dans le savon, a décidé de créer sa savonnerie. C’était un visionnaire : il a, par exemple, mis sur pied un réseau de vente par correspondance et engagédesreprésentantsquiétaientchar- gés de distribuer ses savons. » Désignant du regard l’héritage de son aïeul – trois gros chaudrons en pierres réfractaires destinées à conserver la cha- leur –, Julie poursuit son récit : « Le pro- cédédecuissonàcielouvertestuniqueau monde. » Et de lever – en partie – le secret de la composition du fameux cube vert : huile d’olive (majoritairement), huile de > Chaque année, 1 000 tonnes de savon sont fabriquées dans la savonnerie Marius Fabre. 
  • 2. TGV magazine 55TGV magazine 54 TGV magazine 55 coprah et huile de palme. D’abord alimen- tés au feu de bois, au fioul et, aujourd'hui, au gaz naturel, les chaudrons contiennent « la cuite » : un mélange d’huiles végétales et de lessive de soude que l’on porte à 100 °C. Sous l’effet combiné de la chaleur et de la soude, l’assemblage se transforme en pâte à savon au terme de dix jours de cuisson. Un processus scrupuleusement surveillé par Jean-Pierre Denne, maître savonnier depuis vingt ans. « Je suis entré icicommemagasinieretj'aiapprislemétier sur le terrain », se souvient ce discret Salo- nais. Reproduisant les mêmes gestes que ses prédécesseurs, il admet que ce métier rare requiert beaucoup de patience. « Il faut rester devant le chaudron pendant r e p o r t a g e > > En ouvrant gratuitement les portes de leur musée – unique en France – consacré au savon de Marseille, Marie (à gauche) et Julie Bousquet-Fabre espèrent sensibiliser petits et grands à la défense du mythique cube. L'authentique savon de Marseille est idéal pour la peau et biodégradable à 98 %. Pendant l'âge d'or du savon, Salon-de-Provence compta jusqu'à quinze savonneries. des heures et le regarder bouillir, on ne peut pas s’absenter. » Fort de ses années d’expérience, il est capable en observant simplement la matière de déterminer son niveaudecuisson. le test du palais Après plusieurs lavages à l’eau salée et à l’eau pure, débarrassée de toute impureté, lapâteàsavonestalorsestampillée« extra- pure ».Ultimevérification :letestincontour- nable du palais. « On goûte la pâte de sa- von, explique le maître savonnier. Si elle pique, il faut encore faire un lavage pour retirerlesexcédentsdesoude.»S’ensui­vent deux jours de repos, avant de passer à la délicate étape de « la coulée de la cuite ». Encore chaud, le contenu de la cuve est pompé jusqu’au premier étage, puis ache- miné par une goulotte en bois – chemisée en Inox, modernité oblige. Semblable à de la lave, la pâte verte et visqueuse est alors couléedansdes« mises » parNicolasBack. OriginairedeMetz,lesecondmaîtresavon- nier remplit consciencieusement cha­­que moule rectangulaire en béton, préala­ble­ ment talqué afin que la matière n’adhè­re pas. Quarante-huit heures plus tard, em­mi­ tou­flés dans leur polaire, chaussons aux pieds pour ne pas abîmer le précieux «ta­­pis»vert,l’étonnantduotracedespoints de repère à la surface à l’aide d’un compas d’époque en suivant un plan bien précis. Unefoislequadrillageréalisédansle savon
  • 3. TGV magazine 56 r e p o r t a g e Après avoir été coupés par Jean-Pierre Denne, maître savonnier, les blocs de savon sont débités mécaniquement en barres. Tampon en main, Laurent Biasini les marque une à une d'un geste sûr. durci, place à la coupe. « C’est l’étape la plus physique. Elle consiste à couper des blocs de 35 kilos à l’aide d’un couteau relié à un treuil. J’ai connu l’époque où on les levait à la main, c’était l’enfer, surtout l'été, se souvient Jean-Pierre en montrant l’ou- verture qui permettait de retirer le premier morceau. Aujourd’hui, c’est une ventouse mécaniquequifaitletravail. » Le circuit se poursuit au rez-de-chaussée avec Laurent Biasini. Depuis quatorze ans, il manie la coupeuse à retour d’équerre. Dans un premier temps, la croûte de cha­ que bloc est retirée en une jolie spirale, qui sera ensuite recyclée ou vendue. Puis le cœur de la matière est débité en cubes ou barres de 2,5 kg. Tamponnés avec convic- tionàlamainsurdeuxfacesetvendusavec un fil à couper, ces longs rectangles sont devenus au fil du temps particulièrement appréciés… des Japonais ! Les cubes verts sont ensuite stockés sur des canisses en boisavantderejoindrelasalledemoulage. Marqué mécaniquement sur les six faces, puis emballé individuellement, l’authen- tique savon de Marseille est maintenant prêt à rejoindre les étagères des magasins oùilseravenduàcôtédusavonnoir,l’autre spécialitédelamaisonFabre. patrimoine vivant Contrairement à ce dégraissant naturel breveté, le savon de Marseille ne jouit d’au­cune protection juridique. C’est pour- quoi Julie et Marie sont déterminées à le défendre. « On s’attache à maintenir la ligne traditionnelle. Par exemple, nous ne sommes pas présents dans la grande dis- tribution, ce n’est pas notre philosophie », assure Marie. En 2011, les deux sœurs ont rejoint l’Union des professionnels du savon de Marseille. Ensemble, ils éditent un logo garantissant la composition (sans parfum, colorant ni ajout), les procédés de fabrica- tion et l’origine géographique (Marseille et sa région) de leurs produits. À la veille des 115 ans de l’entreprise familiale, labellisée « patrimoine vivant », leur combat pour l’obtention de l’IGP (Indication géogra- phique protégée) n’est pas encore gagné. « On attend le décret d’application. On veut que le vrai savon soit protégé pour queleconsommateuraitunmoyendefaire la distinction. En effet, au moins 80 % des savons sont des faux, il faut donc un label d’État », martèlent-elles d’une seule voix. « De plus, contrairement à un gel douche composéà90%d’eau,cequiestuneaber­ rationéconomiqueetécologique,lesavon deMarseilleestidéalpourlapeauetbiodé- gradable à 98 % », conclut Marie. Affichant 72 % d’huile minimum, l’authentique cube vertdeMariusn’apasditsonderniermot…