1. Chapitre 31 : Brouillard
Chapitre 31 : Brouillard
Onitopia, la naissance d’une guilde (par Nezumy)
Illustration tirée de Guild Wars 2 : Le Marais d’Anathema
31Mais la vigilance, ça me connaît. C’est pas demain
la veille qu’on me surprendra, moi, Oméga et… Ah,
tiens, qu’est-ce ?
Qu’on lui coupe la tête !
Ah, ne vous ai-je pas déjà parlé de Soupolé ?
Dans le bosquet aux abords du campement, formé
d’arbres noueux et déformés, j’eus d’abord un gros
doute, puis ça devint un énorme
doute.
Qu’est-ce que c’est que
cette Fille du Soleil encore,
qu’est-ce que… Oh merde, c’est pas vrai ?!
Un volcan aussi vieux que notre monde en fait.
Visiblement, elles sont en train de
se disputer pour savoir laquelle
d’entre elles aura le droit de nous
croquer tout cru.
On n’a pas de chef, connard, mais moi
bien vouloir te péter la gueule !
Nous installâmes notre campement à quelques
lieues de ce lieu maudit.
J’en avais les larmes aux yeux.
Tout embrumé de sommeil, je voyais
les troncs se déplacer,
carrément !
Déjà une tête,
c’est pas forcément
simple, mais alors sept,
je me marre.
Bon, une chose est sure, Svynge n’est
pas faite pour la diplomatie.
Je n’y ai jamais pensé ! Comment diantre n’y ai-
je jamais pensé ? C’est trop cool !
Tous les habitants avaient été massacrés.
Libérez la Fille du Soleil !
Jamais je n’ai
vu d’entretien
aussi
rondement
mené et
prestement
bouclé.
Comment ai-
je pu oublier
ma petite
chouette
toute
chouette ?
Étrange, n’est-ce pas ?
3. Chapitre 31 : Brouillard
Il y a des choses que j’aime bien. Les animaux - en particulier les oiseaux – j’aime bien. Les
quaggans aussi, car c’est trop mignon. Et les bonbons enfin, car c’est trop bon. Tout ça, ça
fait partie des choses que j’aime bien. Et il y a des choses que j’aime pas aussi. Les charrs,
trop nerveux à mon goût, les sylvaris aussi, trop mous, et diantre les asuras ! J’y comprends
rien et sont trop petits. Je dois être ce qu’on qualifie d’insociable, mais bon, on s’y fait bien
à ce titre. Non pas que je fasse pas d’efforts, mais il suffit de voir un Nezumy pour que je devienne
folle, une Lianis pour que je m’endorme ou une Yaddle pour me faire grogner. Non vraiment, il n’y a
que les norns, mon peuple en fait, avec qui ça passe bien, et les humains à la rigueur, pas trop
pénibles. Pas trop.
Outre cette passionnante réflexion anthropologique, quand on m’a proposé hier l’alternative entre
un volcan ou un désert, je ne savais pas trop quoi en penser. Je me suis jamais trop posé la question
si j’aimais bien l’un ou l’autre, difficile de trancher. Mon choix s’est fait logiquement en fonction des
deux groupes qui se sont construits. D’un côté, les sylvaris désireux de voir à quoi pourrait
ressembler un désert, de l’autre, ben, les norns, mes potes quoi. Mon choix a été rapide du coup, vu
que je n’avais pas envie de me prendre la tête : l’expédition du volcan me semblait une bonne
alternative. Malgré la présence d’Oméga, cet asura silencieux – une fois n’est pas coutume – le reste
du groupe tenait la route. Svynge la râleuse, Gledi la cool (je l’aime bien, elle est chouette), Lazare le
déprimé (depuis la disparition mystérieuse de sa princesse, de son rayon de soleil, de tout ça quoi, ce
qui ne vaut clairement pas un bon bonbon) et son grand frère Pogonar, le taciturne. Et moi quoi. Et
Soupolé bien sûr, comment ai-je pu oublier ma petite chouette toute chouette ?
Ah, ne vous ai-je pas déjà parlé de Soupolé ? C’est une belle chouette effraie des montagnes, aux
plumes plus blanches qu’une neige immaculée. C’est ma pote. Mais si, rappelez-vous, elle était là,
lors du combat contre le Flammotaure ? Vous vous en rappelez pas ? Ah oui, c’est vrai, elle s’était
enfuie dès le début du combat, j’avais oublié. Une chouette de combat… Concept original non ? Oh,
c’est sur, on s’est souvent moqué de moi depuis que j’essaie de faire d’une chouette une redoutable
alliée mais un coup de serres dans les yeux et pif, plus d’adversaire ! Bon, le problème, c’est qu’elle a
la fâcheuse tendance à s’enfuir rapidement, sans compter sa faculté à se planter sur le premier
obstacle venu lorsqu’il y a trop de lumière. Un art où elle est passée maître, c’est sur. Mais vous
verrez, Soupolé, c’est une chouette chouette qui a du potentiel, oui.
De bon matin donc, au grand bonheur de Gledinia, nous sommes partis pour un long voyage, un très
long voyage, en direction du Mont Maëlstrom, au sud du continent. Un volcan aussi vieux que notre
monde en fait. Oh, des légendes, il y en a sur son compte. Certains parlent de ce lieu comme d’un
berceau de naissance des dragons ce qui est, à mon avis, d’une grande stupidité car expliquez-moi,
messieurs dames, comment un dragon de glace tel que Jormag pourrait naître dans la lave ? Hein
hein ? Pas conne la Pajim. A la rigueur Primordus je dis pas, mais pour les autres, nenni. D’autres
disent qu’au cœur du volcan circulerait le feu primordial, le genre de truc qui aurait créé la vie il y a
de cela bien longtemps. Pareil… Foutaises. Après, il y a des histoires moins fantaisistes,
malheureusement. Des histoires de créatures de lave terribles et dangereuses qui sommeilleraient
dans le puits par exemple, mais aussi de sombres histoires de sacrifices de quaggans auxquelles je
compte y mettre un terme bien sur. Sans oublier les manigances que la Légion de la Flamme, la
destituée, mettrait en place. Tout ça, je veux bien y croire, surtout l’histoire des quaggans en fait, ces
créatures trop trop trop trop mignonnes, comment pourrait-on oser leur faire du mal ?!
4. Chapitre 31 : Brouillard
Plein sud donc ! Au bout de trois jours, nous passâmes à quelques lieues de l’antre de feu
Flammotaure sans croiser nos compères asuras qui devaient toujours farfouiller à l’intérieur. Enfin je
l’espère, même si j’y comprends rien et qu’ils sont trop petits, je ne leur veux aucun mal. Bien au
contraire. Ni de traces de Pan d’Orr par ailleurs. Sa disparition silencieuse a soulevé moult discussions
dont j’avais cure il faut bien l’avouer, mais que j’entendais malgré moi. Personne n’a été mis au
courant de son départ, tout simplement. Alia était visiblement inquiète de cette disparition, et Lazare
au bord du gouffre, mais que pouvons nous y faire si elle a décidé de faire ses bagages sans nous
prévenir ? Si les adieux c’est pas son truc, c’est comme ça. Svynge avait tranché dès le premier jour et
s’était tirée de bonne heure, au plus grand bonheur de Gledi. Pour ça que j’aime bien les norns, c’est
cool, ça se prend pas la tête et, bien sur, on est les meilleurs en terme de combat.
En sortant d’Hoelbrak le jour de mon départ, accompagnée par les chants des canards
sauvages du cru qui volaient déjà haut dans le ciel, j’ai cru remarquer, l’espace d’un
moment, des empreintes familières dans la neige durcie suite à la froideur de la nuit. Des
traces de pas qui sortaient de la ville. Celles de Pan d’Orr sans aucun doute. Oh, d’aucun
doute des compétences de Nono, mon ours de compagnie, mais c’est un fin limier, pour
sur. Nous suivîmes la piste de longues heures, en nous détournant fort peu du chemin initial par
ailleurs, précédés par Nono, le museau dans la neige, les sens en alerte. Il nous entraîna ainsi la
journée durant pour nous emmener dans une forêt de conifères recouverte de neige, qui
commençait à fondre aux extrémités des branches, tombant par légers flocons parfois sur nos têtes.
Parvenus aux abords d’une clairière, le paysage avait radicalement changé ! Les arbres étaient
noircis, pas noircis comme pourrait le faire un incendie non, noircis comme vidés d’un coup de leur
substance vitale, rachitiques, déformés, ils n’étaient plus que des écorces vides et sans vie.
L’ambiance nous apparaissait d’un coup plus malsaine. Une odeur de mort flottait dans l’air et
tourmentait mon pauvre petit Nono.
En y regardant de plus près, il y a eu un affrontement ici. De nombreuses traces en témoignaient : la
terre boueuse était retournée en maints endroits, des corps ont chuté, se sont relevés. Des traces de
sang aussi, sombres et séchées. Des traces de sève par ailleurs. Pas la sève d’un arbre non. C’est très
bizarre. Une sève fluide avec une texture de sang. Très étrange. Et des griffures, un peu partout, dans
le sol, dans les troncs. Rien de plus. Difficile d’interpréter tout cela, et la perplexité de mes
compagnons face à la scène ne nous donnerait guère plus d’indices. Nous suivîmes les traces dans la
forêt, mêlées à des gouttes de sève. Je commençais à deviner qu’un sylvari avait été blessé, il n’y
avait plus aucun doute. Mais ce qui m’intrigua le plus, c’est cette deuxième paire d’empreintes,
exactement identique à la première que nous suivions ; sans les gouttes de sève ceci dit. Les deux
paires d’empreintes étaient en tout point similaires, dans la taille, dans la manière de se déplacer,
dans les lignes. Que c’est étonnant ! La piste finit par s’effacer d’elle-même au franchissement d’un
ruisseau printanier et, bizarrement, toutes les traces avaient disparu à ce niveau. Nous n’aurons
guère plus d’indices quant aux mystères de ces lieux, d’autant plus que la nuit commençait déjà à
tomber après cette première journée de marche et que nous nous détournions cette fois-ci
beaucoup trop de notre objectif initial : le volcan, pour mettre un terme à cette malédiction que
représente l’épée de Svynge, Jormun-Anda.
5. Chapitre 31 : Brouillard
Néanmoins, le lendemain, nous retrouvâmes la piste de Pan d’Orr, qui nous mena à un hameau norn,
ce genre de petit hameau composé de quelques masures où de courageux norns affrontaient les
dangers de la nature pour cultiver les froides terres et vivre de la chasse. Le village en question était
totalement vide et silencieux lorsque nous y rentrâmes. Nous hélâmes les habitants des lieux mais
aucun ne daigna nous répondre. Bon gré mal gré, nous pénétrâmes dans une des demeures pour
constater, à notre plus grande horreur, que tous ses habitants avaient été massacrés. Dans leur
sommeil en l’occurrence, leurs corps privés de vie reposaient dans leurs lits. Aucune trace de lutte ni
de sang étrangement, tous ont été tués dans leur sommeil sans leur laisser la moindre chance.
Hommes, femmes, enfants ! Qui a pu oser commettre un tel sacrilège sur notre fier peuple !? J’en
avais les larmes aux yeux. Leurs visages défigurés par la peur faisaient peine à voir. Tous ont été
massacrés sans avoir eu l’honneur de croiser le fer, quelle honte ! Aucun survivant, les quatre
bâtisses ont été visitées et leur habitants massacrés. A bien y regarder, on aurait dit que leur essence
vitale avait été absorbée, sans autre forme de procès. Quelle créature pourrait contrôler une telle
sorcellerie ?
Svynge, Pajim et moi bouillonnons de rage mais nous nous contenions. Oméga gardait le silence
même si ça se voyait bien qu’il ne cautionnait pas un seul instant la terrible scène de crime qui s’était
déroulée ici la nuit dernière. Nous prîmes la journée pour offrir aux dépouilles prières et tombes, afin
que leurs esprits puissent trouver le repos éternel. En y repensant, les traces de Pan d’Orr nous ont
menés ici. Avait-elle quelque chose à voir avec ce massacre ? La piste s’arrêtait ici malheureusement,
et nous ne pûmes suivre plus longtemps sa trace. Qu’est-ce qui s’est passé dans ce village, par tous
les esprits ? Nous installâmes notre campement à quelques lieues de ce lieu maudit, épuisés par
notre dur labeur de la journée. Personne ne prononça mot ce soir là et tous nous couchâmes
silencieusement, totalement effarés par la gratuité d’un tel massacre.
Le lendemain, nous reprîmes la route et, quelques jours plus tard, nous aperçumes enfin les brumes
du marais. Celles-ci commençaientt à nous entourer déjà tandis que nous approchions des steppes
boueuses et gluantes. Le soleil, haut dans le ciel à cette heure de la journée, avait du mal à percer
l’épais brouillard qui maintenant s’accumulait autour de nous et l’astre ressemblait plus à une grosse
boule jaune, floue et pâlotte qu’autre chose. Nous cheminâmes le reste de l’après-midi dans les
marais, nous enfonçant plus profondément dans cette mélasse grise et usante.
Intéressant intéressant. Quand j’y repense, pendant que j’installais ma tente
multifonctions dans le lieu qui nous servirait de campement. Très intéressant. Une
chouette de combat ! Je n’y avais jamais pensé ! Comment diantre n’y ai-je jamais pensé ?
C’est trop cool ! J’en veux une aussi ! Mmh, j’ai pas le talent des norns pour fricoter avec la
nature… Comment faire ? Ah, facile, une golette ! Mi golem, mi chouette. Quelques
cristaux bien placés et zou ! Facile, trop facile. Je me demande si Pajim voudra bien me laisser
prélever quelques plumes sur Soupolé. Je lui demande ou je lui demande pas ? Ah, je sais pas ! Elle a
pas l’air d’aimer les asuras. Me faudrait la corrompre. Comment faire comment faire… Hmm, ah,
facile ! Je lui fabrique un quaggan, un quaggem et elle, toute heureuse, me laisse faire mes
expériences sur Soupolé ! Ah ça tient du génie ça. Sauf que sauf que… Comment fabriquer un
quaggem ? Ah, par tout ce qui est triangulaire, je sais pas ! C’est Nezumy et Stathor les ingénieurs,
pas moi. Moi je tape et fracasse avec Perte et Fracas… Perte et Fracas ? C’est le nom de mon épée. Je
6. Chapitre 31 : Brouillard
me demande comment les autres se portent si près de Primordus d’ailleurs, j’espère qu’ils ne font
pas des leurs. Et les autres devraient être partis pour le désert de cristal maintenant. Et Pan d’Orr ?
Pourquoi est-elle partie aussi vite ? Elle qui commençait à se plaire parmi nous, je ne comprends pas.
Ça reste intéressant quand même. Tous assis autour du feu que Svynge avait fini par allumer, nous
écoutions maintenant les histoires de Pogonar.
Alors que les brumes silencieuses nous enlaçaient dans les ombres d’une nuit déjà
avancée que seul notre feu parvenait à faire reculer, je repensais à une histoire que me
raconta jadis un pirate de la Côte de la Mélancolie, dans une auberge du Promontoire un
soir de pluie. Eh oh, je ne passe pas tout mon temps dans les tavernes et les auberges,
mais j’y passe régulièrement quand même. Il y a toujours des histoires croustillantes à se
mettre sous la dent. Et celle de la Matriarche me revenait maintenant, et avait tendance à
m’angoisser, aussi cela m’apparut approprié d’en faire part à mes compagnons.
- La Matriarche, ça vous dit quelque chose ?
- Oh, de matriarche, je n’en connais qu’une.
Mais elle s’est fait la malle, triste infortune.
Celle qui s’est emparée de mon cœur à jamais.
Matriarche qui me charmerait et me marcherait
Dessus pour l’éternité.
- Non, pas celle-là Lazare. Pas celle-là. Celle dont je vous parle remonte à bien longtemps.
C’était une créature des premiers âges. Une créature dotée de sept têtes !
- Sept têtes ?
- Oui. Sept têtes de serpent sur un corps énorme. Cette créature vivait en reine dans les
marécages qui nous entourent. Il est dit que chacune de ces têtes contrôlait un élément, une
pour le feu, une autre pour l’eau, une troisième pour la terre et sa voisine l’air. La cinquième
et la sixième représentait la lumière et les ténèbres. Tandis que la tête de lumière pouvait
vous redonner vie d’une simple morsure, étrangement, celle des ténèbres vous ôtait la vie
comme le plus redoutable des poisons.
- Et la septième ?
- Personne ne le sait. Mais il est dit qu’elle contrôlerait le temps.
- Le temps ?
- Étrange n’est-ce pas ?
- Balivernes.
- Non Pajim, il ne faut pas dire ça. Après tout, on a bien des dragons qui se baladent en ce
moment, alors pourquoi une hydre n’aurait pas ce droit ?
- Est-elle dangereuse ?
- Terriblement. De ce qu’on en dit. Mais elle agresse rarement. Elle protège son antre qui, dit-
on, cache de grandes richesses et d’incroyables magies.
- Grand frère, pourquoi tes histoires,
à mon grand déboire,
parlent tout le temps de pognon…
c’est pas trognon !
- Eh oh, je ne fais que répéter ce que j’entends.
- Cette bestiole existe toujours ? demanda Svynge, contemplative devant le feu.
7. Chapitre 31 : Brouillard
- Qui sait ? Ces récits remontent à des siècles mais je ne serai pas étonné qu’elle se terre
quelque part dans ces marais aux brumes éternelles.
- Mouais. Moi je vais me coucher. Il nous reste beaucoup de route à faire. Bonne nuit à vous.
- Bonne nuit Svynge.
Une bestiole à sept têtes. Non mais ce qu’il faut pas entendre. Déjà une tête, c’est pas
forcément simple, mais alors sept, je me marre. Bien belle histoire mais…
- Elle existe.
- Quoi ?
- … La Matriarche… Déjà vue...
- Ah, tu te réveilles toi. Tu profites bien de tes derniers jours ?
- Ne fais… … fourvoies.
- Ouais ouais, tu radotes.
- … Faim…
- Crève de faim alors, et ferme là.
S
ympa les autres de m’accompagner. Sont venus d’eux-mêmes, sans leur caler aucun argument dans
le museau. Pas vraiment périlleux le chemin, à moins de tomber sur une bouffiole à sept têtes, mais
rien de bien dangereux sinon, quelques meutes errantes de loups, d’énormes moustiques et
compagnie, probablement un ou deux pillards, pas plus. Le plus pénible peut être serait de se perdre
dans ce marais puant. Si tout se passe bien, trois jours de merde dans cette mélasse, et le volcan sera
à nous. On aurait pu contourner ce bourbier, mais une semaine de plus m’enchantait guère. J’étais
pressée de me débarrasser de cette bâtarde de J-A. N’empêche que seule, je me serai pourrie l’esprit
dans mes réflexions, ça l’aurait pas fait. Allez, pas tout ça, mais bonne nuit.
Pas réussi à super bien dormir cette nuit. Le golette me turlupinait l’esprit. Pas top. La
gueule enfarinée par un sommeil qui ne venait pas, des bruits de feuillage me firent
relever et sortir à moitié de ma tente, les yeux à demi clos et encroutés de sommeil. Dans
le bosquet aux abords du campement, composé d’arbres noueux et déformés, j’eus
d’abord un gros doute, puis ça devint un énorme doute ! Tout embrumé de sommeil, je
voyais les troncs se déplacer, carrément ! En me frottant les yeux pour mieux y regarder, ça ne
s’arrangeait pas. Certains troncs se déplaçaient effectivement, de massives ombres faisant sept
asuras de haut facile, se mouvaient lentement entre les arbres, en faisant craquer branches mortes
et autres. Ces troncs étaient pourvus de… de têtes de serpents ? Que quoi ? Je me refrottai les yeux
pour mieux y voir et, lorsque je les rouvris, tout avait disparu. Seuls les craquements des branches
témoignaient d’une présence qui commençait à s’éloigner. Ouh, faudrait que je dorme moi, l’histoire
de Pogonar m’embrouille l’esprit, c’est malin.
Dans les choses que je n’aime pas, je vais me permettre de rajouter les marais. Voilà deux
jours que nous pataugions dans les eaux croupissantes et puantes de ces marais qui
s’étendaient à perte de vue, bouffés par les moustiques à ne plus avoir de sang ! La tente
multi fonction d’Oméga lui faisait aussi office de moustiquaire, j’étais jalouse ! Quelques
8. Chapitre 31 : Brouillard
arbustes touffus et gluants agrémentaient le paysage à la brume éternelle. En certains endroits, il y
avait des bosquets d’arbres distordus dont les lianes s’agglutinaient dessus comme d’immenses toiles
d’araignées. La brume pénétrante, glauque, froide et insidieuse, nous refroidissait jusqu’à l’os, nous
pénétrait au cœur de nos corps, nous pourrissait l’esprit.
La brume opaque nous empêchait de voir à plus de quelques pas. Un moment d’inattention de la
part de l’un d’entre nous, et c’était sa disparition dans ce brouillard angoissant. Les grenouilles
croassaient à m’en rendre folle, et se taisaient sur notre passage, pour reprendre leur vacarme
quelques mètres plus loin. Il n’y avait pas de vent non plus ici, c’aurait été trop beau. Le moral n’était
pas au beau fixe. Le campement sommairement installé sur un ilot de terre spongieux surélevé par
rapport au reste des terres humides, je remarquai Gledinia farfouillant le sol à la recherche de je ne
sais quoi.
- Gledi, tout se passe bien ?
- Silence… Regarde. Nous sommes sur un territoire d’hyleks.
- Des hyleks ? Oh non. Alliés ou ennemis ?
- Je ne sais pas, cette tribu m’est totalement inconnue. A mon avis, on ferait mieux de ne pas
rester ici. Ces totems me laissent penser que nous ne sommes pas les bienvenus.
Svynge vint à notre niveau.
- Je suis d’accord Gledi, malheureusement, si nous évoluons dans ce bourbier à la lueur de la
lune, on va méchamment se paumer, ça risque d’être bien pire.
- En effet.
- Pas de feu ce soir. Pas de ronflement. Que dalle. On reste discrets comme nos ombres et on
reprend la route demain aux première lueurs de l’aube. Ça marche ?
Nous acquiesçâmes et préparâmes les rondes de surveillance. Pourvu que les hyleks nous laissent
tranquilles ! Je déteste ces bestioles, au moins autant que les kraits.
La première moitié de la nuit se déroula sans accrocs. Gledinia et Pajim avaient fait leurs
tours de garde et c’était à mon tour de prendre la relève. Installé sur un promontoire
rocheux, je restai aussi vigilant que possible, scrutant le moindre mouvement. Mais dans
cette brume opaque, au beau milieu de la nuit, chaque bruit, chaque ombre pouvait
représenter une menace. Mais la vigilance, ça me connaît, c’est pas demain la veille qu’on
me surprendra, moi, Oméga et… Ah tiens, qu’est-ce ? Une fléchette dans mon bras ? Oh oh.
- Alerte !
Les autres se réveillèrent brutalement, armes au poings. J’entendais les fléchettes siffler tout autour
de nous, se fichant parfois à travers les mailles de nos armures d’un tir bien ajusté. Les ombres
ennemies se déplaçaient autour de notre camp, comme une ronde endiablée. J’avais terriblement
sommeil… Oh non… Un somnifère. Il faut résister. Je dois résister ! …
Putain, ce que j’ai mal au crâne ! J’émergeai avec une migraine de tous les dragons,
debout, accrochée à une saloperie de piquet par les mains et les pieds liés solidement.
9. Chapitre 31 : Brouillard
J’essayai de me rappeler. Attaque. Fléchettes. Dodo. Ouais, compris, ces crétins de lopettes de
crapaud nous ont endormis avec leur poison. Un art où ils sont maîtres.
Je regardai autour de moi. Toujours de la brume puante. Un village. Du moins ça y ressemblait.
Quelques cahutes rondes en roseau, en bambou et en terre séchée, pas bien grandes, dispersées un
peu partout, le tout entouré d’une palissade en bois. De nombreux totems, symboles des tribus
hyleks. Ceux-ci pouvaient faire penser à un soleil vert perché sur une longue pique de bois. Connais
pas. Et des hyleks bien sur. Ces bestioles poisseuses ont tout de l’apparence d’un crapaud, sauf qu’ils
sont aussi grand qu’un humain et se déplacent sur deux pattes aussi. Leurs yeux globuleux de part et
d’autre de leur visages étaient jaunes, la pupille fendue, comme celles d’un lézard. Ces bestioles
gluantes se déplaçaient maladroitement mais, quand il s’agissait d’être agile, on pouvait compter sur
elles, j’ai bien vu cette nuit : capables de te sauter des distances effarantes en un bond et de courir à
une vitesse prodigieuse. Équipées de leurs armes favorites aussi, des lances sur lesquels les vigies
prenez appui, des sarbacanes pour attaquer à distance. Des armes meurtrières dans leurs pattes
ouais. Heureusement, nous sommes encore en vie, les hyleks sont connus pour foudroyer net leurs
adversaires avec de redoutables poisons. Mais pour combien de temps ? Que veulent-ils de nous ? La
vigie devant moi grogna quelques paroles à son voisin lorsqu’elle prit conscience de mon réveil.
J’avoue, j’essayai de me dégager de cette merde et luttai contre les liens qui m’enserraient comme
une folle furieuse.
- Va chercher chef Tiki.
- Bien.
Malgré l’opiniâtreté de mes efforts, je ne pouvais qu’accepter de rester ligotée comme un vulgaire
saucisson à ce pieu pourri. Le chef en question ne mit pas bien longtemps à se montrer. De ses yeux
globuleux il me fixait.
- Toi être le chef ? me demanda-t-il.
- On n’a pas de chef connard, mais moi bien vouloir te péter la gueule.
Les hyleks murmuraient entre eux, certains parlant de me mettre à mort sans sommation.
- Que faites-vous ici, sur notre territoire ?
- Ça ne te regarde pas.
- Vous portez épée maudite. Elle tuer trois des miens.
Putain, J-A !
- Rendez-moi ça, bande de crapauds décérébrés !
- Toi être créature des dragons, nous devons te tuer.
- Abrutis ! Je n’ai rien à voir avec les dragons. Ce sont mes pires ennemis.
- Toi être malin. Nous pas bêtes. Si ce que tu dis est vrai, alors toi et tes compagnons
survivront à l’épreuve.
- L’épreuve ?
- Épreuve du Dieu Soleil oui. Si vous remportez l’épreuve, alors vous être bons. Si vous perdez,
alors le Dieu Soleil vous châtiera pour l’éternité.
- C’est ça, à d’autres. Amène-moi à ta putain d’épreuve qu’on en finisse.
Bon, une chose est sure, Svynge n’est pas faite pour la diplomatie. J’en restai bouche-bée
! Jamais je n’ai vu d’entretien aussi rondement mené et prestement bouclé. Des hyleks. Je
10. Chapitre 31 : Brouillard
n’en avais jamais vu d’aussi près. Les parures du chef Tiki sont magnifiques. De chatoyantes plumes
de moas ornaient sa tête tandis que son corps était recouvert de bijoux et autres pendentifs de la
plus belle facture, malgré le matériau, des os… Les guerriers hyleks, deux bonnes dizaines au moins,
nous avaient détachés et nous poussaient maintenant avec leurs lances dans notre dos vers une
grande palissade circulaire. Oh non. Une arène, encore ? Je commence sérieusement à en souper.
La dite arène, toute en bois, était de facture tout ce qu’il y a de plus simple. D’imposantes clôtures en
piquets de bois solide nous cernaient. Les hyleks curieux pouvaient assister au spectacle à travers
d’étroits orifices. Leurs yeux globuleux nous scrutaient maintenant et le silence s’était imposé de lui-
même parmi la foule. Le chef Tiki, en haut d’une palissade, leva les pattes et sa lance au ciel.
- Libérez la fille du Soleil ! Que la Vérité soit faite par son nom !
L’impressionnante herse de bois se souleva devant nous avec un ingénieux système de poulies et de
cordes. Dieu qu’elle était longue et lourde à se soulever. Les cliquetis des mécanismes se faisaient
entendre comme un compte à rebours. Qu’est-ce que c’est que cette Fille du Soleil encore, qu’est-ce
que… Oh merde, c’est pas vrai !
- Euh, mon bon grand frère,
c’est pas pour le faire le fier
mais ne me dis pas que ton histoire d’hier
Rien que pour nous plaire…
- Avait quelque chose de prémonitoire, j’en ai bien peur oui, mon bon Lazare.
La créature sortait lentement de sa prison, en baissant ses têtes pour passer la herse. Ses têtes oui.
Quatre. Génial. Un gros corps bourgogne surmonté de cous aussi haut qu’une guivre adulte au bout
desquels se dressaient quatre têtes reptiliennes menaçantes. Une hydre. Alors là, si on m’avait dit
que j’en croiserai une un jour, je me serai bien marré. Ces créatures étaient censées ne plus exister,
appartenant à une époque révolue. Que nenni. En d’autres circonstances, j’aurais été enchanté de
voir une telle bestiole, mais là, les crapauds nous avaient salement mis dans le pétrin face à cette
prédatrice, avec en guise d’armes de vulgaires lances en bois.
L’hydre claquait des mâchoires, produisant des sons secs et durs. Les langues sortaient des gueules
de l’animal comme le feraient celles des serpents. Les yeux reptiliens, le corps recouvert d’écailles
couleur bourgogne supporté par quatre puissantes pattes griffues, une queue divisée en quatre
branches, voilà à quoi ressemblait la Fille du Soleil. Une des têtes essaya de mordre sa voisine en
produisant un claquement sec, que cette dernière esquiva en se baissant vivement pour siffler,
mécontente, sur la première. Visiblement, elles sont en train de se disputer pour savoir laquelle
d’entre elles aura le droit de nous croquer tout cru. Nos armes confisquées, nous étions équipées de
vulgaires lances en bois et de nos armures encore, heureusement.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant, se risqua Oméga ?
- Qu’on lui coupe la tête ! s’écria Svynge. Hum… Les têtes… Au temps pour moi.
- Vous ai-je déjà dit, s’immisça Pajim, que je n’aimais pas les serpents ?
- Non jamais.
- Ben voilà, c’est fait. Je n’aime pas les serpents.
11. Chapitre 31 : Brouillard
Et tandis que nous mûrissions une tactique, l’hydre s’avança d’une patte décidée vers nous. Un
combat au nom de la Vérité, et bien, ça promet.